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Chapitre 2
Joey
J'arrive au shooting avec dix minutes de retard.
Au moins, ça ne change pas malgré mon âge. Je ne sais pas d'où ça me vient, mais je ne
pourrais pas être à l'heure même si ma vie en dépendait.
En y réfléchissant, c'est peut-être cette voix dans le fond de mon cerveau qui parle avec
l'accent traînant d'un mec totalement stone et qui me dit sans arrêt : « cool mec, t'as le
temps... ».
Sauf que je n'ai plus le temps, merde, j'ai trente ans.
Je gare ma voiture au parking souterrain avant de me précipiter au studio. Dès que je
passe la porte, Alfonso, le photographe me lance un regard exaspéré.
- Content de te voir Joey, laisse tomber les fringues et enfile un maillot de bain.
Jusque-là, tout est normal.
Je passe le couloir et je laisse mon sac dans un coin. Je ne suis franchement pas pudique
- pas plus que les autres modèles - je me change sans chercher à cacher mon corps. J'enfile le
premier maillot de bain qu'on me donne et je passe au maquillage.
J'ai horreur de poser pour les collections plages, je me fais toujours barbouiller d'huile
collante, et cette fois n'échappe pas à la règle.
Le seul point positif est que je m'amuse beaucoup à voir la maquilleuse laisser traîner ses
mains sur mes muscles. Elle ne semble même pas en avoir conscience, mais quand elle relève
les yeux et voit le sourire goguenard qui est collé à mes lèvres, elle se met à rougir, ce qui ne
fait que m'amuser d'avantage.
Je la regarde un instant. Elle est assez banale, mais pas vilaine du tout.
Ses cheveux sont roux pâles et sa peau très claire est à présent colorée par le fard de son
embarras.
Je devrais l'inviter à sortir. Si ça se trouve, c'est une fille géniale. Par le passé j'ai été trop
concentré sur le physique, c'est peut-être ce qui m'a conduit à autant de déboires.
Je suis peut-être passé à côté de relations heureuses, simplement parce que je ne savais
pas regarder.
Elle s'excuse vaguement avant de s'éloigner.
- Hey ! m'exclamé-je pour la retenir.
Bon d'accord, j'aurais pu trouver mieux, mais je suis un peu rouillé.
Je ne suis pas sorti avec une femme depuis longtemps. En fait, je ne suis sorti avec
personne depuis longtemps. Depuis que mon cœur et mon égo ont été foulés au pied par mon
dernier « petit-ami ».
Enfin bref, mon égo va mieux, merci bien. Mon cœur en revanche...
Elle se retourne et je pense qu'elle hésite à se pointer du doigt en demandant « moi ? ».
Je la rejoins rapidement et baisse le regard vers elle. Elle me fixe en clignant plusieurs
fois des yeux quand je lui souris.
- Joey, me présenté-je.
- Je sais. Je suis Évelyne, répond-t-elle.
- Ravi de te rencontrer, je me demandais si tu voulais prendre un verre avec moi,
plus tard.
Je fais mine d'ignorer le photographe qui grince des dents assez fort pour que je l'entende
d'où je me trouve.
Elle accepte finalement, après être passée par différente teinte de rouge et on échange
nos numéros avant que je ne me mette enfin au boulot.
Le shooting s'éternise et je n'en sort qu'aux environs de 13h, j'envoie un message à Lily
pour lui dire que je suis en route pour aller chercher Spark.
Je n'écoute pas mon estomac qui grogne comme un chien enragé. J'aurai tout le temps de
manger plus tard. Je préfère en finir au plus vite avec l'ex-mari de ma sœur.
Lorsque j'arrive chez lui, il m’accueille avec un sourire factice que j'ai envie de lui faire
ravaler.
Je ne suis pas d'un naturel violent, tout au contraire, mais quand je vois sa sale face, j'ai
bien envie de lui faire gouter mes phalanges. Je me demande ce que mes sœurs ont pu lui
trouver, il est tellement banal... C'est monsieur tout le monde. Merde, si elles voulaient, je
pourrais les brancher avec des mannequins !
- Où est Spark ? demandé-je en sortant de ma voiture.
Henry me montre l'intérieur de la maison. Plaçant deux doigts entre mes lèvres, j'en sort
un sifflement à réveiller les morts et le chien se précipite dans ma direction. Je m'accroupis
pour l’accueillir. Contrairement à Henry, le chien m'a manqué.
Les pattes du Golden Retriever viennent s'appuyer sur mes épaules et je le flatte avant
d'ouvrir la portière arrière pour le faire entrer.
Je m'apprête à monter à mon tour dans la voiture quand la voix d'Henry m'arrête.
- Joey ? Tu voudrais dire à Lily de passer me voir ?
- Elle n'a pas envie de te voir, craché-je. Ni toi, ni Holly, alors vous pouvez aller vous
faire foutre.
Je sers les dents. Bon sang, je ne veux pas m'emporter, ça ne me ressemble vraiment pas.
Mais quand je pense à ce que Lily a traversé à cause de lui...
- J'ai rompu avec Holly. Je veux récupérer Lily, je l'aime toujours, c'est la femme de
ma vie.
C'en est trop. Je ne sais pas comment, mais je me retrouve avec mon poing refermé sur sa
chemise alors que je le plaque contre ma voiture, le dominant de toute ma taille.
- Tu crois que tu peux jouer au boomerang avec mes sœurs ? Tu crois que si tu les
jettes elles reviennent ? Ne t'approches plus d'elles ou je te jure que tu le sentiras
passer.
Je suis à bout de nerfs, et je suis à peu près certain que mon regard est meurtrier. Mais ce
sale con se permet de renifler avec un air amusé.
- Tu crois que tu me fais peur ? se moque-t-il en essayant de se dégager de ma poigne
sans succès. Tu te prends pour quoi ? Tu ne sers qu'à faire beau Joey, apprends à
additionner deux et deux avant de chercher à me donner des leçons.
Je n'ai jamais été un homme violent... sauf là.
Je le lâche et mon poing part tout seul se loger dans son nez. J'entends un craquement
qui me fait sourire. Et je perds un peu les pédales. Mes poings semblent avoir leur vie propre
et très vite, Henry se retrouve par terre, moi au-dessus de lui, le maintenant simplement au
sol, pour lui faire comprendre qu'il n'aura jamais le dessus sur moi et qu'il ferait tout aussi
bien d'écouter mon conseil et ne pas s'approcher de mes sœurs.
- Mes muscles qui font si beau, tu sais comment je me les suis fait ? craché-je. En
m’entraînant aux techniques de combat rapproché !
Les yeux d'Henry semblent à la fois furieux et effrayés. Ça se comprend, personne ne m'a
jamais vu comme ça. J'aurais préféré que cela n'arrive pas d'ailleurs. Mais à la guerre, comme
à la guerre!
J'entends le chien aboyer dans la voiture et ça me ramène à la réalité. J'ai à peine le
temps de calmer la bête tremblante qu'une voiture de police vient se garer sur le trottoir,
certainement appelée par des voisins. Une ambulance suit pour récupérer Henry qui ne cesse
de geindre. Et moi, je me fais embarquer.
L'agent, un espèce James Bond à la manque dans son uniforme noir, me passe les
menottes et on m'emmène au poste de police.
Génial ! Je vais finir en taule pour mes trente ans.