judaïsme - Consistoire de Paris

Transcription

judaïsme - Consistoire de Paris
“La condition
juive
en France”
Par Dominique Schnapper
Judaïsme :
Le dictionnaire
amoureux d’Attali
Pessah :
Quand trois
générations
se rencontrent
Histoire :
Les juifs du Maroc
sous le Protectorat
Hommage :
Schlomo
Carlebach
N°288 - MARS 2009 - 3€
M 01907 - 288 - F: 3,00 E
Connaissez vous le Talmudland ?
3:HIKLTA=\UXUUU:?a@m@s@i@a;
N°288 - MARS 2009
AU SOMMAIRE D’
EDITO
4- Idolart par Josy Eisenberg
JUIFS ET FRANCAIS
7- La condition juive en France par Dominique Schnapper
4
10
7
EN COUVERTURE
10- Retrouver les saveurs de l'hébreu par Claude Lanzmann
JUDAÏSME
14- Le dictionnaire amoureux du judaïsme Un entretien avec Jacques Attali
CHRONIQUE
17- Les tribus proportionnelles par Guy Konopnicki
ANTISEMITISME
19- Durban : symbole de la haine par Philippe Haddad
LA VIE JUIVE
20- Connaissez-vous le Talmudland ? par Pierre-Henry Salfati
14
23
LA VIE DU CONSISTOIRE - 23
JUDAÏSME
26- Pessah : quand 3 générations se rencontrent par Philippe Haddad
DÉBATS
28- Le coup de gueule de Konop par Odette Lang
19
20
OPINION
29- Les mensonges et la vérité historique par Paul Giniewski
BONNES FEUILLES
30- Les juifs du Maroc sous le protectorat par Michel Abitbol
HISTOIRE
33- La Bible et ses peuples par Léa Philpott
26
EXPOSITIONS
34- Chronique d'un rêve avorté par Léa Philpott
LIVRES
35- par Odette Lang
30
32
HOMMAGE
36- Shlomo Carlebach, l'homme qui incarnait la yiddishkeit par Rahel Musleah
L’HUMOUR DES SENS
38- Cheminements de l'humour juif par Alain Barchechath
CINÉMA
40- Quand Téchiné nous plonge au cœur du mensonge par Elie Korchia
CARNET - 41
36
40
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VERBATIM - 42
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Chroniqueur : Guy Konopnicki
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Les manuscrits non retenus
INFORMATION
JUIVE Juin 2008 3
ne
sont pas renvoyés.
EDITO
Idolart
F
ête de Pessah oblige :
aujourd’hui, chers lecteurs,
vous aurez deux éditoriaux
pour le prix d’un.En
premier lieu, quelques
réflexions qui m’ont été
inspirées par la vente Bergé SaintLaurent, et les montants pharaoniques
atteints par certaines enchères. Certes, la
Torah n’a jamais condamné l’art. Elle cite
PAR JOSY EISENBERG
géniales ne sont manifestement que des
« gogoooos » : ce n’est pas une faute
d’orthographe, mais une petite idée du
nombre de zéros qui figurent sur leurs
chèques… Chacun est certes libre de faire
ce qu’il veut de son argent. Cependant :
1/ En ces temps de crise, plus que
jamais, l’argent investi – ou plutôt, placé
dans ces valeurs-refuge que sont
devenues les œuvres d’art, dévoyées de
On peut exonérer l'art moderne non figuratif de ce
risque d'idolâtrie. Il suscite cependant d'autres
perversions : celles de l'argent et du narcissisme.
même Tubal-Caïn, qui inventa les
instruments de musique. Quant au
créateur - architecte et décorateur – de
l’Arche Sainte, Betsalel, il est présenté
comme « inspiré par l’esprit ». La beauté
est un don divin puisque, dans la
Cabbale, la Sefira de l’éthique, Tiferet,
est aussi celle de l’esthétique. C’est tout
dire.
L’ART
ET LA VIE
C
ependant, on le sait, il a
toujours existé dans le
judaïsme, depuis le
Décalogue, l’interdit
d’une certaine représentation par l’image qui
pourrait mener à l’idolâtrie : « Tu ne te
feras pas d’image… ».
On peut apparemment exonérer l’art
moderne non figuratif de ce risque
d’idolâtrie. Il suscite cependant d’autres
perversions : celles de l’argent et du
narcissisme. Je passe rapidement sur
l’incroyable survalorisation de certaines
formes de cet art, comme Mondrian ou
Rothko – que jadis Yasmina Reza avait si
subtilement brocardé dans sa pièce «Art».
Certains magnats qui se laissent séduire
par des toiles monocolores prétendues
4 INFORMATION JUIVE Mars 2009
leur fonction initiale – pourrait servir
utilement à d’autres causes. Il est
stérilement retiré de la sphère
économique. Je parle des acheteurs, et
non des vendeurs qui semblent vouloir
affecter à des œuvres caritatives le produit
de la vente. Ce dévoiement est déjà de
l’ordre de l’idolâtrie.
2/ L’achat à prix d’or d’une pièce d’art
constitue le sommet d’une autre
idolâtrie : l’égoïsme et l’orgueil. Il s’agit
de rien moins que de soustraire à la vue
du grand nombre une œuvre que l’on a
le monopole de contempler, satisfaction
égotiste qui établit également un lien
narcissique entre l’artiste et l’acheteur.
Narcissisme mais aussi exhibition-nisme
de la propriété et de la richesse. C’est
une formule célèbre : «Dieu dit à
l’orgueilleux : toi et Moi, nous ne
pouvons pas habiter ensemble.»
La sacralisation de l’art – le mot dit
bien en quoi il peut devenir une
véritable religion – se fait d’ailleurs
précisément au nom d’un autre concept
révélateur : celui de l’Unicité. Sa copie
ne vaut rien : l’original vaut de l’or.
Singulières contradictions d’un monde
moderne qui survalorise la copie quand
il s’agit de musique, alors qu’il
n’accorde de valeur qu’à l’original
quand il s’agit des arts plastiques.
Ce terme – pièce unique – m’a
toujours fait tiquer. Il ne s’agit plus de
beauté, mais de fétichisme : confer les
sommes astronomiques payées pour les
lunettes de Gandhi ou la pipe de
Churchill. On est en plein fétichisme,
c’est-à-dire une des formes les plus
spectaculaires de l’idolâtrie.
F
rancis Bacon disait :
«Homo
ars
additus
naturae». L’homme, c’est
de l’art-ajouté à la nature.
Toute vie humaine est en
soi création et œuvre d’art.
Chaque pièce d’art est certes « unique
», mais il y a des milliards d’unicités.
On peut certes en dire autant des
milliards d’êtres humains, dont le
On est en plein fétichisme, c'est-à-dire une
des formes les plus spectaculaires de l'idolâtrie.
en effet le culte de l’argent plus que
celui de la beauté: le plus souvent,
l’œuvre d’art sommeille d’ailleurs dans
le coffre d’une banque…
Péché d’orgueil qui est considéré dans
la pensée juive comme l’expression
suprême de l’idolâtrie. L’orgueilleux
prend toute la place et expulse Dieu de
son monde. Le Talmud résume cela en
Talmud rappelle que chacun est unique:
c’est pour cela que la Torah les fait tous
descendre d’un même homme. Mais un
abîme sépare l’unicité statique et
idolâtrie d’une œuvre d’art de l’unicité
fragile de la personne humaine ;
chaque vie est un film, alors que
l’unicité artistique, quelles que soient
les émotions qu’elle peut susciter, fige
les choses dans la matière.
© Javky Azoulai
APPEL NATIONAL POUR LA TSÉDAKA :
LES JUIFS DE FRANCE ONT RÉPONDU PRÉSENT !
UN ENTRETIEN AVEC LE DR GIL TAÏEB,
PRÉSIDENT DE L'APPEL NATIONAL POUR LA TSÉDAKA*
donc d'aide aux personnes démunies ou exclues. Autant de
personnes, de familles que nous n'aurions pas pu aider. Dans
une période comme celle que nous traversons, ce n'était pas
imaginable.
Les sommes recueillies vont être distribuées selon une
procédure qui respecte la plus grande transparence, sur la base
des programmes présentés par les 120 associations juives sociales
au Fonds Social Juif Unifié.
Et en 2009 ?
G.T. : Je remplirai encore ce rôle de président de cette très
noble cause. Mes engagements dans la campagne de la Tsédaka,
remontent à plusieurs années.
Quels résultats pour la Tsédaka 2008 ?
Gil Taieb : Notre campagne s'est achevée avec des résultats
très satisfaisants, malgré la crise, les subprimes, Madoff et les
problèmes sociaux et économiques qui ont commencé très fort
en 2008, et se poursuivront, avec encore davantage d'amplitude,
en 2009, d'après tous les experts.
Je veux dire combien je suis fier de la communauté juive,
elle a été exemplaire. Elle a été au rendez-vous du cœur et de
la générosité et a compris que c'était aussi de sa responsabilité.
Quels types de problématiques rencontre-t-on dans la communauté
juive ?
G.T. : Les problèmes rencontrés par les responsables des
associations sociales juives sont identiques à ceux observés au
sein de la communauté nationale.
On peut y ajouter cependant des problèmes d'insécurité,
notamment avec l'effet " guerre de Gaza ".
Nos militants rencontrent le même éventail de détresses : des
adolescents sans repères, des enfants livrés à eux-mêmes, des
familles monoparentales avec des problèmes de santé et de
n'arrivent pas à commencer à travailler, des personnes âgées
atteintes de maladies graves et pour lesquels il n'existe pas de
structures d'accueil, des exclus ….
Je souhaite que chaque Juif de France en devienne
l'ambassadeur.
L'année 2009 devrait voir se renforcer les actions sur le terrain
pour permettre à tous ceux qui ont besoin de nous d'être secouru.
Cette campagne devra être encore plus unitaire.
Notre choix dans la façon d'aborder la campagne 2008 a été
celui de répéter sans cesse que chacun de nous, donateurs,
acteurs social, professionnel ou bénévole , était responsable face
aux défis et attentes de ceux qui souffrent.
Nous avons parlé vrai, sans détour !
Nous avons montré les choses, nous avons expliqué qu'il existe
des solutions.
Nous avons parlé de la souffrance de l'âme de nos frères et
nous avons fait appel à
l'humanisme et au sentiment de fraternité de chacun.
Nous avons un début de réponse cette année.
L'année 2009 verra encore d'autres maux se développer aussi
nous devons tous être prêts à œuvrer pour y faire face ensemble.
Quelles différences avec les années précédentes ?
G.T. : Voici deux ans que je préside l'Appel national pour la
tsédaka et je dois dire que j'ai ressenti cette année une très réelle
mobilisation. L'Appel pour la tsédaka est la seule campagne
unitaire de la communauté juive. Pendant un mois du 15
novembre au 15 décembre, les associations culturelles, cultuelles,
sociales, éducatives ... agissent à l'unisson et s'investissent de
façon remarquable. C'est quelque chose que je tiens à saluer.
Quelle utilisation des sommes collectées ?
G.T. : Nous avons collecté 2 735 322 euros avec 16 365
donateurs. Soit 100 000 euros de plus que l'an dernier pour un
nombre de donateurs équivalent.
C'est bien, mais il n'y a pas de quoi se congratuler.
En vérité, nous respirons car nous avions envisagé une baisse
significative des dons. Cela eut été un vrai déchirement. Car
moins de collecte, c'est moins d'aides aux programmes associatifs,
Merci aux 16 365 donateurs pour leur générosité.
Rendez-vous pour la campagne 2009.
*Le Dr Gil Taïeb vient d'être élu Vice-Président du Fonds
Social Juif Unifié.
INFORMATION JUIVE Mars 2009 5
EDITO
Il y a dans la sacralisation et la religion
de l’art, outre l’insupportable vénalité
qu’elle génère, une vaine tentative de
créer une artificielle éternité. C’est sans
doute pourquoi l’art revendique une
certaine transcendance dans un monde
où la vie humaine ne vaut pas grandchose.
Or, c’est à juste titre que l’on parle d’art
de vivre : c’est la vie même qui est un art,
mouvant, émouvant et à construire
chaque jour. Ce serait d’ailleurs une
excellente définition de la Torah : elle
n’est rien d’autre qu’un art de vivre. Sans
l’opposer à l’art proprement dit, on
comprendra aisément quel art je
privilégie.
Mais, chez Sotheby, combien vaut cette
pièce unique : un être humain ?
LA BOUCHE
DU PROPHETE
A
utre actualité, évidemment bien plus importante, Pessah. Cette fête,
c’est d’abord la fête de la
Parole. Il n’est point de
religion au monde où l’on
puisse trouver l’équivalent d’une fête où
l’obligation religieuse consiste à parler, à
dialoguer et à commenter aussi
longuement que lors de la soirée du
Sédère. Et la Haggada est formelle :
6 INFORMATION JUIVE Mars 2009
«Plus on parle, plus on est digne de
louanges». Précisons cependant que cet
adage n’est évidemment vrai que pour le
Sédère…
Or, cette parole est centrale dans
l’histoire de la sortie d’Egypte. Elle est
prescrite à Moïse, qui se dérobe tout
d’abord. Il a, dit-il à Dieu, une maladie
de la parole. Sa bouche est lourde ; ses
lèvres sont incirconcises. Seule la
s’oppose au verbe interdire «ASSOUR»
qui signifie entraver. On ne saurait mieux
dire que célébrer le Sédère, c’est d’abord
s’autoriser à prendre la parole le soir de
Pessah, mais pour la libérer ensuite. C’est
l’autre versant, fondamental, de la sortie
d’Egypte, le nom d’Egypte signifiant
d’ailleurs enserrer, entraver !
Et ce n’est pas par hasard que la liberté
d’expression est un des articles les plus
Célébrer le Sédère, c'est d'abord s'autoriser
à prendre la parole le soir de Pessah,
mais pour la libérer ensuite.
guérison de cette pathologie pourra lui
permettre d’être le maître d’œuvre de la
délivrance.
Il y a bien des années, Marc-Alain
Ouaknin avait été un des premiers à
découvrir dans l’œuvre de Rabbi Nahman
un extraordinaire commentaire. A savoir,
que le mot TEROUPHA – guérison – peut
aussi se lire LEHATIR PÉ : délivrer la
parole. C’est la source même de la vue
psychanalytique. Notre parole authentique est souvent esclave d’entraves de
toutes sortes et de toutes origines. Etre
véritablement homme, c’est se construire
et se reconstruire par la parole, seul mode
de communication réel entre Dieu et les
hommes et entre l’homme et son
prochain. Le mot «délivrer» signifie
d’ailleurs étymologiquement dénouer. Il
fondamentaux de la Déclaration des
Droits de l’Homme. C’est la vraie liberté.
Moïse s’est libéré en parlant au Pharaon.
Cette parole libérée a été le facteur
déterminant de la libération des Hébreux.
Et, en point d’orgue, c’est elle qui va leur
permettre de recevoir les Dix Paroles par
lesquelles fut créé le monde. A bon
entendeur, ou plutôt, à bon parleur,
salut !
PS : Le Nouvel Observateur vient de
publier une lettre d’une juive antisioniste
qui traite tout simplement Israël d’Etat
voyou. Toutes les bornes sont franchies.
J’encourage vivement la communauté
juive et tous les amis d’Israël à boycotter
ce journal ainsi que les annonceurs dont
la manne lui permet depuis trop
longtemps de distiller son venin.
JUIFS ET FRANÇAIS
UN ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE SCHNAPPER
La condition juive
en France
" La condition juive en France. La tentation de l'entre-soi " : tel est le titre de
l'enquête entreprise par trois sociologues français. Dominique Schnapper est
membre du Conseil constitutionnel et directrice d'études à l'Institut des
Dominique Schnapper
Hautes études en sciences sociales ; Chantal Bordes-Benayoun est directrice
de recherche au CNRS et M.Freddy Raphaël est professeur émérite à l'université Marc Bloch de
Strasbourg. Cette enquête a été réalisée par questionnaires auprès d'un échantillon de la population
juive à Strasbourg, Toulouse et dans la région parisienne.
Les résultats de cette enquête et les commentaires qui les accompagnent paraissent dans un livre édité
par les PUF.
Nous avons rencontré l'un des auteurs de cet ouvrage, Mme Dominique Schnapper.
OOO I.J : Que cherchiez-vous à évaluer dans
cette enquête ?
Dominique Schnapper : A la fin des
années 7O, j'avais réalisé une enquête sur
l'identité juive - elle avait paru en 1981
aux éditions Gallimard sous le titre Juifs
et Israélites. De son côté, Chantal
Benayoun avait fait une enquête sur les
comportements politiques des juifs à la
même époque. Quant à Freddy Raphaël,
il a toujours travaillé sur les juifs
strasbourgeois. Nous avions depuis un
certain nombre d'années le projet de
mettre nos capacités en commun sur les
identifications juives aujourd'hui.
I.J : Qu'entendez-vous par ce que vous
appelez la position de" la marginalité critique
du juif " ?
D.S. : Les juifs ont été de grands
patriotes français ( d'autres ont été de
grands patriotes italiens, anglais à la
même période ). En même temps, ils
étaient quelque peu marginaux. La
distance favorisait la réflexion et l'analyse.
Je considère que ce n'est pas un hasard si
la sociologie est née au sein de la société
juive.
I.J : Pourquoi les juifs s'intéresseraientils,plus que d'autres, à la politique et à la chose
publique ?
D.S. : Parce que leur destin a été, dans
l'histoire de l'Occident chrétien, très
Nous n'avions pas les moyens financiers
d'entreprendre cette enquête. J'ai profité
d'un prix que j'ai obtenu pour en consacrer
une partie au financement de cette
enquête. Trente-cinq ans après la première
enquête, ce que nous avions observé et
analysé avait sans doute changé. C'est ce
changement que nous avons tenté de
mesurer objectivement.
I.J : Vous dites dans le texte de votre
introduction que les juifs ont souvent fait figure
de citoyens modèles. Ne serait-ce plus le cas
aujourd'hui ?
D.S. : On est aujourd'hui citoyen de
manière différente. L'une des idées à
laquelle nous tenons c'est qu'on ne peut
pas séparer le destin des juifs dans la
société française de l'ensemble de cette
société. Dans une période de patriotisme
et de citoyenneté très affirmés, les juifs
ont été de ceux qui ont proclamé avec
force l'un et l'autre. Aujourd'hui la société
a évolué.
INFORMATION JUIVE Mars 2009 7
JUIFS ET FRANÇAIS
directement lié aux situations politiques
qui étaient les leurs. Ils ont donc par
définition à s'interroger sur leur destin
collectif lequel est inséparable des régimes
politiques au sein desquels ils vivent.
l'ensemble des comportements. Tout se
passe aujourd'hui comme si ces deux
pôles étaient réunis pour une partie de la
population dans une affirmation juive tout
à la fois religieuse et politique.
I.J : Vous observez que les juifs ont le
sentiment que l'antisémitisme de gauche est
mal contrôlé. Partagez-vous le point de vue de
Pierre-André Taguieff selon qui la nouvelle
judéophobie s'épanouit dans l'indifférence
générale ?
D.S. : Nous avons le sentiment que
Taguieff a souligné un phénomène
important. Son analyse est loin d'être
fausse. Peut-être est-elle un peu excessive.
I.J : A quoi est due la forte politisation
que vous avez observée au cours de votre
enquête ?
D.S. : Elle a toujours existé. Les juifs
appartiennent à une catégorie sociale qui
vote plus que les ouvriers et les chômeurs
par exemple. L'autre raison est le
sentiment. très fort qu'ont les juifs que leur
destin dépend beaucoup des conditions
politiques.
Les juifs sont armés si j'ose dire pour
répondre à l'antisémitisme de l'extrême
droite. C'est une tradition. Ce qui a été
pour beaucoup d'entre eux une découverte
décourageante c'est de le rencontrer à
l'extrême gauche. Parce qu'elle est sous la
pression de ces milieux d'extrême gauche,
la gauche classique a tendance à sousestimer cet antisémitisme. Cela étant, la
gauche en général n'a pas été indemne
par le passé de tendances antisémites.
I.J : A ce propos, vous observez que les juifs
sont inquiets sur la capacité de la République
à les protéger contre l'antisémitisme.
D.S. : Il y a eu des épisodes où quand
un enfant juif était persécuté dans un
collègue ou dans un lycée, c'est plutôt lui
qu'on transfère dans un autre
établissement plutôt que ceux qui l'ont
I.J : Vous vous demandez si le rapport des
juifs à la nation a évolué et dans quel sens.
Quelle est votre réponse ?
D.S. : Les juifs ont évolué comme l'a fait
la société en général. Ils ont eu naguère
une relation passionnée à la nation
française. Souvenez-vous de la formule "
heureux comme Dieu en France ". C'était
la France qui avait donné l'émancipation
aux juifs, en 1791. Cette relation a été
brisée par le Statut des juifs.
Du coup ce rapport passionné n'existe
plus parce
que les événements
historiques l'ont détruit. Ce qui reste c'est
une foi dans l'idée de citoyenneté, le
sentiment que la République, si elle est
fidèle à elle-même, protège le destin des
juifs. C'est désormais une citoyenneté de
raison, de réflexion. Ce n'est plus la
relation passionnée qui fut celle de mes
parents et de mes grands parents.
I.J : Comment les juifs gèrent-ils aujourd'hui
la tension entre le pôle religieux et le pôle
politique ?
D.S. : Ce qui m'avait frappé lors de mon
enquête en 1970 c'est que les juifs étaient
partagés entre ces deux pôles. Mais c'était
le pôle politique - c'est-à-dire le rapport à
Israël - qui dominait. Le paysage
aujourd'hui est très différent : le pôle
religieux s'affirme de plus en plus et
devient premier. L'intensité des pratiques
spécifiquement
juives
détermine
8 INFORMATION JUIVE Mars 2009
La religion est devenue une référence
identitaire majeure
persécuté. Ces épisodes ont pu donner à
des juifs le sentiment que la République
était peut-être fidèle à ses valeurs mais
que, dans la pratique quotidienne, ces
valeurs n'étaient pas toujours pratiquées
comme elles devraient l'être.
Cela crée un sentiment d'inquiétude et
de précarité. Et nous observons que ce
sont ceux des juifs qui sont revenus à une
pratique intense du judaïsme qui sont en
même temps ceux qui ont les liens les plus
forts avec Israël. Nous avons observé une
double tentation : celle de vivre entre soi
parce que le reste du monde est devenu
dangereux. Se refermer à l'autre. L'autre
tentation c'est, contrairement à ce qu'avait
été la tradition de l'israélitisme français,
d'intervenir en tant que juif dans le
domaine public. Il y a désormais des
expressions reconnues du particularisme
juif dans l'espace public.
I.J : C'est ce que vous appelez " le nouvel
israélitisme ", celui qui veut conjuguer fidélité
juive et loyauté à la nation.
D.S. : C'est la reconstruction d'un
israélitisme religieux ouvert dont l'élection
du grand rabbin Bernheim est le symbole.
Traditionnel dans tout ce qui concerne la
foi mais aussi ouvert sur la cité.
I.J : Vous semblez penser que la religion est
devenue une référence identitaire majeure.
Voici les chiffres que vous citez : “53% des
enquêtés se siutent entre les catégories” 'assez
pratiquants' et 'très pratiquants' ; 18,4%
seulement se définissent en dehors de toute
référence de pratique ; 16,4% déclarent ne
jamais fréquenter la synagogue et 10,7% ne
la fréquanter qu'une fois par an, le jour du Yom
Kippour
D.S. : Il y a en effet une grosse majorité
qui se définissent ainsi. Le résultat
essentiel de cette enquête montre cette
évolution de la population juive. Il y a à
l'évidence un retour de l'identité et de
l'identification juives à travers le religieux.
I.J : Il y a également un chiffre impressionnant : 68% des personnes interrogées
s'estiment plus religieuses que leurs parents.
Deux tiers de l'échantillon estiment être au
moins aussi voire plus pratiquants que la
génération précédente.
D.S. : La précédente enquête montrait
que la dominante était le rapport à l'Etat
d'Israël. Aujourd'hui la dominante c'est la
religion. Cela s'explique à la fois par ce
qu'on a appelé "le retour au religieux", un
religieux plus choisi et moins imposé.
Mais aussi par l'évolution du monde juif
lui-même.
I.J : Vous dites qu'il y a différentes manières
de se vouloir juif aujourd'hui. Quelle est celle
de Dominique Schnapper ?
D.S. : Je n'en sais rien. J'écris sur les
juifs. C'est sans doute une manière de
rester fidèle au judaïsme de ma famille
paternelle. J'ai eu un mari juif et je pense
que l'accord profond de nos existences
n'était pas étranger au fait que nous avions
tous les deux cette ascendance.
Mes enfants ont la conscience d'une
hérédité juive. Le contenu n'en est peutêtre pas considérable dans l'ordre des
connaissances et des pratiques mais le
sentiment d'identification est là.
Tests psychométriques :
la Réussite de l'Alyah de vos enfants
L
es tests psychométriques, organisés par le NITE
israélien (Institut National des Tests d'Evaluation),
existent depuis 1981. Ces tests ont été créés afin
de centraliser la sélection d'entrée aux différentes
Universités. L'examen est composé de 8 sections
qui varient de 25 à 30 questions à choix multiples.
Il existe trois domaines distincts:
z réflexion verbale (capacité de compréhension,
analyse de texte, logique et expression),
z réflexion quantitative
(aptitude à manier les concepts mathématiques),
z anglais (comme langue étrangère).
Les tests psychométriques disponibles en français, hébreu,
anglais, espagnol, russe et arabe évaluent les capacités plutôt
que les connaissances. Ils ont pour rôle de classer les différentes
personnes sur une même échelle quel que soit leur bagage
culturel. Ils permettent également de contrôler le niveau
d'anglais, indispensable en Israël.
Chaque année les étudiants francophones bénéficient de 2
sessions en français : la première en France, Paris ou Marseille
(généralement le premier dimanche après Pessah) et une en
Israël, dans toutes les grandes villes du pays (généralement les
tous premiers jours du mois de Juillet). Le nombre de
présentations à l'examen est illimité ; toutefois, un minimum
de 6 mois entre chaque examen est requis. Les Universités
prennent en compte le meilleur résultat des 5 dernières
tentatives. Ces résultats sont valides 10 ans.
Objectifs & fondements
Ces tests ont pour objectif de servir de régulateur à l'entrée
dans les différentes Universités israéliennes. Le principe étant
d'offrir les places aux étudiants les plus aptes à mener leurs
études à terme.
Le score définitif est obtenu après notation puis réajustement
de la note calculée proportionnellement au nombre d'élèves
inscrits à une même session. Le classement des élèves s'effectue
au prorata des erreurs ; les notes étant comprises entre 200 et
800.
Depuis plus de 20 ans, le NITE réalise des études qui tendent
à prouver l'efficacité de ces tests. En effet, les résultats obtenus
par les étudiants aux tests psychométriques corrèlent
positivement les résultats obtenus ensuite à l'Université.
Le choix des tests psychométriques a aussi été motivé par
certaines particularités inhérentes au pays :
z les israéliens débutant leur études universitaires
après leur service militaire, leur BAC est devenu obsolète.
z L'hétérogénéité de la population israélienne, composée
par ailleurs de nombreux nouveaux immigrants, rend difficile
la comparaison des niveaux de connaissance des étudiants.
D'autre part, les BACs étrangers ne sont pas toujours évalués
équitablement.
z Le système éducatif israélien ne conçoit pas le redoublement
pendant les études ; leur coût étant trop élevé tant à
l'étudiant qu'à l'Etat, ce qui justifie la nécessité de sélection
à l'entrée des Universités.
Comment se préparer
Il existe à ce jour un petit nombre de sociétés qui proposent
des cours en français. Le manque d'exercices, examens blancs,
etc… pénalisent les francophones par rapport aux israéliens.
Cependant, la moyenne des notes francophones obtenue est
plus élevée que la moyenne générale. La société
psychometriques.com inaugure un tout nouveau site permettant
aux étudiants d'accéder à des tests psychométriques on-line et
gratuits. Vous y trouverez aussi les formulaires d'inscription à
l'examen ainsi que des exemples d'examens corrigés.
David Robbes
[email protected]
INFORMATION JUIVE Mars 2009 9
EN COUVERTURE
UN ENTRETIEN CLAUDE LANZMANN
“Retrouver les saveurs
de l'hébreu”
Si vous ne deviez lire qu'un livre cette année ( ou ce mois ) que ce soit celui-là :
Le lièvre de Patagonie ( Editions Gallimard (25 euros). Livre dense, intelligent
comme tout ce que fait l'auteur Claude Lanzmann. Il y raconte son enfance, son
Claude Lanzmann
combat dans la Résistance, ses origines, son engagement aux côtés d'Israël, les
films qu'il a faits et notamment " Pourquoi Israël " et " Tsahal ". Il y rappelle surtout ce qu'ont été les
douze années d'efforts qu'il a dû consentir pour parvenir à la réalisation de son chef d'œuvre " Shoah ".
Nous avons voulu prolonger les confessions du directeur des Temps Modernes. Voici l'entretien qu'il
nous a accordé.
OOO I.J : Tous les critiques ont salué la
force de ce livre. Certains parlent de chef
d'œuvre, d'autres disent qu'il est aussi important dans l'ordre littéraire que Shoah l'avait
été dans le domaine cinématographique. Que
vouliez-vous montrer ?
Claude Lanzmann : Je n'étais pas sûr
d'avoir une grande envie de le faire. Ce
n'était pas facile de s'engager dans une
pareille aventure, après l'effort que
j'avais déployé pour le film Shoah. En
vérité, on m'a poussé à faire ce livre. La
j'appelle "un juif de la positivité", je
n'aurais sûrement pas fait Shoah et
"Pourquoi Israël".J'avais sans doute
besoin d'une étrangeté, d'un éloignement…
C.L. : Absolument. C'était la plus
belle femme du monde. Mais je suis
personnellement très sensible au
nez ? J'aurais fait fortune à la chasse
au faciès pour la Gestapo.
I.J : Pourtant vous êtes convaincu que
l'assimilation est une destruction, un
triomphe de l'oubli.
C.L. : J'y crois profondément. Mon
grand père paternel était d'une famille
de treize enfants. Je n'en connais aucun.
I.J : Les Réflexions sur la question juive
de Sartre ont, dites-vous, joué un rôle
capital dans votre existence. Ne sont-elles
pas dépassées aujourd'hui ?
C.L. : Elles l'étaient déjà quand il les
a écrites. Il faut que je vous dise que
personnellement j'ai connu l'antisémitisme avant la guerre. La violence
extraordinaire de cet antisémitisme au
lycée Condorcet à Paris c'était quelque
chose. J'ajoute que l'antisémitisme n'a
pas disparu du jour au lendemain à la
Libération.
Je suis impressionné par ces “rabbins miraculeux”.
Pourquoi ? Parce que c'est mon peuple.
Ce sont les miens. Mes frères.
première page, je l'ai dictée facilement
puis je me suis arrêté pendant un an. Et
en me remettant petit à petit au travail,
j'ai pris plaisir à l'écriture. Il y a dans
ce livre des choses intimes (mon
enfance, mes parents) que je ne croyais
pas pouvoir raconter. Elles se sont
imposées à moi au fur et à mesure que
le récit avançait.
I.J : Votre grand père Yankel Groberman
était un juif de stricte observance et vous
dites de votre mère qu'elle était malgré tout
" une Juive de la Torah ". Vous n'avez, vousmême jamais été tenté de vous rapprocher
de l'étude et de la pratique ?
C.L. : Evidemment que je l'ai été. Ne
pas connaître l'hébreu, le Talmud, j'ai
conscience qu'il s'agit là d'un grand
manque. Je le regrette. Mais je dis aussi
dans le livre que si j'avais été ce que
10 INFORMATION JUIVE Mars 2009
Beaucoup sont sans doute morts
pendant la Shoah.
I.J : Vous comprenez le fait que votre mère,
vous voyant un jour déguisé en abbé, vous
ait giflé en disant : cela chez moi, jamais !
C.L. : Je comprends cela et je
l'approuve tout à fait. Il faut dire que
cela se passait au cours d'une année
très difficile pour moi. La guerre avait
été très dure et j'avais besoin de
"déconnade" : je m'étais déguisé en
curé pour mendier. Je pensais que
c'était drôle mais cela n'avait pas
marché.
I.J : Vous parlez de votre sœur
Evelyne.Vous dites une fois qu'elle avait
un nez sémite et, plus loin, qu'elle avait un
nez d'intellectuelle juive. C'est la même
chose ?
Le portrait que Sartre a dressé dans
son livre
de l'antisémite était
magnifique comme était magnifique la
description de ce qu'il a appelé "la
conduite du juif inauthentique". Je
m'étais reconnu dans ces descriptions.
De voir tout cela lumineusement exposé
par le plus grand écrivain français m'a
libéré profondément. Je respirais mieux
en France.
En revanche quand Sartre dit que
"c'est l'antisémite qui fait le juif ", ça ne
tient pas debout. Après mon premier
voyage en Israël, je lui ai dit : vous
savez, il y a un peuple juif conscient de
soi, une religion admirable, des
traditions formidables, une culture. Il
en a convenu.
EN COUVERTURE
I.J : Qu'est-ce que Shoah a
changé définitivement en Claude
Lanzmann ?
C.L. : C'est un autre homme et
en même temps c'est le même. Je
peux dire que j'ai regardé la
douleur juive en face. Il y a eu au
cours du tournage des scènes
effroyables que j'ai tenu à
raconter. Des scènes qui relèvent
du polar. Je raconte comment un
jour que nous tournions avec une
petite caméra cachée chez des
nazis, notre stratagème a été
découvert parce que la caméra
avait pris feu. On nous a couru
après et nous avons, mon
assistante et moi, pris la fuite en
ayant peur pour nos vies.
I.J : Est-ce que la mémoire de la
Shoah, pour indispensable qu'elle
soit, n'est pas en train de devenir une
religion ?
C.L. : Nous revenons au
problème précédent : il y a des juifs de
la positivité et ceux qui ont été faits juifs
par la Shoah. Il y a bien des façons de
se revendiquer comme juif. Les seuls
juifs que je ne supporte pas sont les juifs
antisémites. Et il y en a, le dernier en
date étant Shlomo Sand…
I.J : Vous parlez quelque part de " la
formidable dimension mystique du judaïsme
extrême ". Y êtes-vous sensible ?
C.L. : Beaucoup. Dès mon premier
voyage en Israël, j'ai de la tendresse et
de l'indulgence pour eux.
Je suis impressionné par ces " rabbins
miraculeux ".Pourquoi ? Parce que c'est
mon peuple.
Ce sont les miens. Mes frères.
Je n'oublierai jamais mon premier
shabbat à Afoula, dans le nord d'Israël.
A propos des hassidim de Méa
Chéarim j'ai écrit : " Ces intraitables sont
mon peuple, le peuple juif plus fort que
mille morts et je ne les renierai pas "
I.J : Vous dites aussi que vous n'avez pas
réalisé Shoah pour répondre aux
révisionnistes et aux négationnistes. On ne
doit pas discuter avec ces gens-là…
C.L. : On ne doit pas discuter avec
12 INFORMATION JUIVE Mars 2009
Claude Lanzmann au cours du tournage du film “Pourquoi Israël”
eux en effet mais il faut des lois telles
que la loi Gayssot. Je suis favorable à
d'Israël,
continuent
de
vivre
aujourd'hui - et à s'habiller -comme
Je suis beaucoup plus sensible à ce qui unit les
Israéliens qu'à ce qui les divise.
cette loi. Quant à Dieudonné, je le
trouve ignoble mais je parie que son
cinéma, il va le faire de moins en
moins…
leurs grands pères vivaient et
s'habillaient en Pologne. Ils sont
indifférents à ce que l'on peut dire
d'eux…
I.J : Que vous a inspiré l'affaire
Williamson ?
C.L. : Je ne suis pas sûr que Benoît
XVI ait été au courant. Cela étant, je n'ai
aucune espèce d'indulgence ni pour ce
pape ni pour les autres.
I.J : Que représente pour vous aujourd'hui
l'Etat d'Israël ?
C.L. :J'ai le même attachement
profond pour Israël. Je ne lui tire pas
dessus. Je le comprends. Mon neveu,
le fils de mon frère qui est
mathématicien vit là-bas. J'ajoute que
je suis beaucoup plus sensible à ce qui
unit les Israéliens qu'à ce qui les divise.
I.J : Vous dites aussi avoir admiration pour
la religion juive. Qu'y admirez-vous ?
C.L. : J'ai beaucoup débattu avec
quelqu'un qui était vraiment un ami
Gerschom Scholem.
Nous parlions souvent du fait que
dans les yéchivot on ne cesse de
commenter la loi et d'ajouter des
commentaires à des commentaires. Il y
a dans toue cela une formidable
grandeur. Cela développe l'intelligence.
Je trouve u'il y a une grande force
chez ces gens qui, dans les chaleurs
I.J : La condition juive en France s'estelle, selon vous, détériorée ?
C.L. : Le poison antisémite est
toujours présent. Mais il n'est ni dans
les institutions ni au niveau
gouvernemental.
I.J : Vous évoquez dans ce livre la
cohérence de votre histoire. Comment
pourriez-vous la résumer ?
C.L. : D'une phrase : je suis un
homme libre.
L
Création d'unités de Zaka
pour les situations quotidiennes
et d'urgence dans le monde entier
'organisation Zaka va agrandir
ses activités et accroître son
unité internationale, tant pour
les situations quotidiennes que
les situations d'urgence. C'est la
leçon tirée de l'attaque terroriste
de Bombay. Là encore, l'organisation a prouvé
qu'elle était capable en un temps record
d'envoyer des équipes à l'autre bout du monde
et à agir dans toutes les situations. Zaka est
une organisation internationale reconnue par
l'ONU.
L'idée qui sous-tend la création de l'unité
internationale de Zaka est celle d'avoir une
organisation internationale composée de
milliers de bénévoles membres des
communautés juives du monde entier qui
recevront une formation de premiers soins et
de médecine d'urgence, de repérage et de
secours, et d'aide à l'identification des défunts
pour pouvoir rapidement prodiguer des soins
en cas d'urgence dans leurs pays respectifs
ou se rendre dans les pays voisins si besoin
est.
Une grande organisation juive de secours
humanitaire, basée en Israël, peut agir dans
des situations d'urgence, quels que soient la
communauté ou le pays, et ce, grâce à la riche
expérience israélienne dans ce domaine.
L'unité internationale se fixera des objectifs
à court terme pour que les personnes formées
puissent se rendre sur les lieux des
catastrophes humanitaires et faire partie des
forces de sauvetage de l'État d'Israël et du
peuple juif, partout dans le monde, pas
uniquement en cas de victimes juives.
Une équipe professionnelle dans les
communautés juives du monde entier ou en
Israël sera chargée de la formation des
bénévoles. En outre, les jeunes juifs venant
en Israël dans le cadre de divers programmes
de l'Agence juive ou d'autres organisations,
recevront également une formation. Les
bénévoles porteront le gilet de Zaka et
obtiendront une carte de bénévoles reconnus
par l'ONU.
Zaka a déjà prouvé ses capacités
opérationnelles en envoyant des missions lors
des attentats en Turquie, à Mombasa, à Taba,
à Mumbay, lors du tsunami en Thaïlande, des
crash des avions en Thaïlande, en Namibie
et de la navette spatiale Colombia, lors de
l'ouragan de Katrina à la Nouvelle-Orléans,
et dernièrement lors du crash d'un avion à
Buffalo.
Pour se joindre à nous et vous inscrire :
s'adresser à [email protected]
INFORMATION JUIVE Mars 2009 13
JUDAÏSME
" Le dictionnaire amoureux…" de Jacques Attali :
Survivre
par l'amour…
C
haque
ouvrage
de
Jacques
Attali
romancier,
historien,
essayiste, mémorialiste est
une
manière
d'autobiographie. Entrant
ici dans la prestigieuse collection des "
Dictionnaires amoureux " créée par JeanClaude Simoën, il hésite entre
l'encyclopédisme et la confession pour
choisir résolument la voie de " Moi, un
Juif ". Et donc, Jacques Attali nous dévoile
son judaïsme, sa pratique, son enfance à
Alger au sein d'une famille pieuse, sa
fréquentation de l'Alliance, où sa mère
enseignait au Talmud Torah, ses options
plus tard qui le poussent vers le judaïsme
libéral, tout en gardant une fibre
sentimentale qui l'amène, à Kippour, à
retrouver la synagogue algéroise de
Saint-Lazare, où l'accueille en tribune sa
mère, fidèle et pratiquante. Il évoque la
bar-mitzvah de son fils, célébrée en
France puis en Israël, auprès de Shimon
Pérès, son ami. Il mentionne son rôle
politique aussi, et l'amitié de François
Mitterrand, qui fut son témoin de mariage
à Copernic ; il parle de ses nombreux
voyages en Israël, de sa rencontre avec
les leaders israéliens, et aussi avec Yasser
Arafat. Il prône une paix dans la justice
et l'harmonie entre les deux Etats : Israël
et Palestine, tout en laissant pointer, ici
et là, son scepticisme. On ne peut
résumer pareil ouvrage qui, en forme de
dictionnaire non exhaustif, fonctionnant
sur la base d'un choix forcément subjectif,
ne comprend pas moins de 86 articles,
d'Aaron à Zohar. Les grandes figures
bibliques sont bien là : Abraham - et avant
lui, certes, Adam et Ève, Abel et Noé -,
Jacob, Moïse, Aaron, David et Salomon,
mais aussi Sarah, Ruth, Bethsabée,
Déborah. Les hautes figures prophétiques
sont convoquées, de Joseph à Samuel,
d'Isaïe à Jérémie, d'Ezéchiel à Amos. Sans
oublier les visages mythologiques de Job
et de Jonas. Et les ouvrages allégoriques
et philosophiques : Qohélet et le Cantique
des cantiques. Et puis les figures
rabbiniques, Hillet, Maïmonide, Luria,
Nahman de Bretslav, Rachi, enfin presque
14 INFORMATION JUIVE Mars 2009
tous y sont, soit directement soit
indirectement, et l'on peut dire qu'en
général Attali ne fait pas d'impasse.
Quant aux figures contemporaines, on
ne s'étonnera pas de voir figurer le
banquier Sigmund Warburg, ou
l'inventeur des " droits de l'homme ", René
Cassin. Et du côté des politiques,
seulement Shimon Pérès.
Nous retiendrons de ce livre cet esprit
curieux, résolument moderne, un rien
impertinent qui fait le charme et la force
du lettré. Avec un sens des formules qui
font mouche : " Le judaïsme est un livre",
déclare-t-il d'emblée, mais il est aussi une
théories sur l'après-vie, il a cette belle
formule : " Alors que les autres religions
promettent un au-delà, le judaïsme ne
promet que le droit d'espérer ".
Quant au Messie, viendra-t-il quand la
paix règnera au Moyen-Orient, ou au
contraire quand " une guerre terrible s'y
déroulera et qu'Israël sera détruit " ? Attali
n'en sait trop rien, il n'est pas théologien,
il se veut seulement humaniste et
rationnel, c'est pourquoi il porte très haut,
en l'analysant judicieusement, la pensée
de Maïmonide (dont certains hassidim
brûlaient les œuvres ). En fait, Attali croit
que le judaïsme contient un message non
pas à l'usage des seuls Juifs pratiquants,
“Le judaïsme est par nature une façon d'aimer. Il ne
pourra survivre que par l'amour”.
pratique et une théologie. Le judaïsme
est aussi une histoire, et aussi une
énigme… puisque, après tant de
vicissitudes qui ont vu tous ses
oppresseurs disparaître, le judaïsme est
toujours là. Florissant et éblouissant,
malgré les difficultés apportées aux
conversions qu'Attali dénonce, car il
prône un judaïsme ouvert et accueillant.
Il distingue bien le judaïsme des autres
religions, en particulier en démontrant
que la sortie du jardin d'Eden " n'a rien
d'une chute ", car elle permet à l'homme
" d'entrer dans le temps ". Quant à
l'eschatologie, après avoir fait le tour des
mais pour toute la terre. Il privilégie des
figures connexes du judaïsme (si l'on peut
dire) comme Jésus. Il entend le message
de Jonas comme la valorisation de tous
les peuples et de tous les hommes sans
nulle hiérarchie (" Il n'est pas de peuple
meilleur que d'autres "). Et pour finir, s'il
tente de donner une définition du
judaïsme, il déclare tout nettement : " Le
judaïsme est par nature une façon d'aimer.
Il ne pourra survivre que par l'amour ".
(Jacques Attali Dictionnaire amoureux
du judaïsme Ed. Plon/Fayard, 2009, 542p.,
24€)
Albert Bensoussan
“Primauté à l'altruisme
sur le repli identitaire”
UN ENTRETIEN AVEC JACQUES ATTALI
OOO I.J : Quels sont les critères qui ont
présidé au choix des mots et des concepts
que vous commentez dans ce livre ?
Jacques Attali : D'abord tous les mots
fondamentaux pour comprendre le
judaïsme, sa pratique, son histoire et
sa théologie et permettre à un ignare
de savoir tout ce qui doit être su, de
façon simple et pointue. Puis les
personnages de l'Histoire qui me
paraissent le mieux incarner le destin
juif.
JUDAÏSME
I.J : Que voulez-vous dire quand vous
écrivez que la diaspora est menacée de
disparaître dans l'univer-salisme et Israël
dans le nationalisme ?
J.A : La diaspora peut disparaître
dans le mélange et l'assimilation à
laquelle conduit naturellement la
globa-lisation et Israël peut devenir
une nation comme une autre oubliant
sa raison d'être dans un nationalisme
banalisé.
I.J : Vous considérez aussi que la
diaspora se dissout par le renoncement
de ses membres à leur identité. Comment
percevez-vous ce renoncement ?
J.A : En cessant d'être amoureux
du judaïsme et de vouloir le
transmettre par l'ignorance de son
histoire et de sa théologie et surtout
de ses valeurs qui accordent une
primauté à la vie sur la foi et à
l'altruisme sur le repli identitaire.
I.J : Vous aviez naguère consacré un
superbe livre à " Siegmund Warburg, un
homme d'influence " ( Fayard
1985). Aujourd'hui vous
écrivez à propos des
banquiers juifs qu'ils sont
d'autant plus haïs qu'étaient
grands les services qu'ils
avaient rendus.
J.A : Plus généralement,
le
fondement
de
l'antisémitisme
est
l'ingratitude à l'égard de
ceux qui ont apporté au
monde le monothéisme et
le capital, l'un et l'autre
conditions du progrès
humain.
I.J : Pour éviter les
catastrophes qui menacent le
judaïsme vous proposez ce
que vous appelez une
stratégie et un programme
autour de trois idées :
valoriser
les
maîtres,
sauvegarder les familles et
accueillir les nouveaux venus.
Qu'entendez-vous
véritablement par ces trois
idées ?
J.A : Les deux premières
sont simples: donner aux
16 INFORMATION JUIVE Mars 2009
maîtres un statut très élevé dans les
communautés. Les maîtres sont les
contraire à l'ensei-gnement ouvert du
Talmud. Sans conversion massive,le
Il faut faire partager l'amour du judaïsme et
pour cela le vivre de façon gaie, amoureuse, ouverte
et tolérante et non sectaire.
sages, pas nécessairement rabbins.
Bien des rabbins ne sont pas des
maîtres.
Il faut écouter ces maîtres, les
valoriser beaucoup plus que ceux qui
détiennent les pouvoirs politiques et
théologiques.
Le deuxième principe consiste à
tout faire pour aider les familles à
connaître le judaïsme et à le
transmettre. Le troisième consiste à
être très accueillants pour ceux qui
veulent partager la mission juive
quelle qu'en soit la motivation. Sortir
de cette clôture obscurantiste qui est
peuple juif disparaîtra. Il faut faire
partager l'amour du judaïsme et pour
cela le vivre de façon gaie,
amoureuse, ouverte et tolérante et
non sectaire.
I.J : Vous êtes vraiment convaincu que
les juifs ne peuvent durer qu'en restant à
l'avant-garde du savoir. Est-ce le cas
aujourd'hui ?
J.A : Oui quand on considère le
nombre de savants et de prix Nobel ;
non si on considère l'évolution de la
pratique juive qui ne valorise pas
assez la curiosité et le questionnement libre.
I.J : Qu'est-ce qui semble
vous fasciner dans la kabbale ?
J.A : L'invention de la
cosmologie et la recherche
proprement scientifique
d'un message caché dans
le texte biblique.
I.J : Pourquoi vous
proclamez-vous marrane ?
J.A
: Parce que le
marrane est celui qui se
veut à la frontière de
plusieurs cultures et
invente le nouveau dans
cette faille entre deux
certitudes.
Jacques Attali
I.J : En vous lisant, j'ai eu
le sentiment qu'au fond, ce
livre de ferveur et d'amour est
un merveilleux kaddish
prononcé à la mémoire de
votre père. Est-ce le cas ?
J.A : Merci de l'avoir
compris ainsi. C'est à lui
que je dois tout. C'est à lui
que je pense sans cesse et
c'est de lui que j'essaie
d'être digne.
LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI
Les tribus
proportionnelles
D
epuis de sa création, l'État d'Israël a élu ses
représentants au scrutin proportionnel, qui seul
pouvait exprimer l'esprit divisé et tourmenté
du peuple juif. En bien des occasions, les
résultats électoraux ont essentiellement
démontré l'impossibilité de gouverner cet
étrange ensemble de situations différentes et d'opinions
contradictoires qui forment la nation israélienne. La nouvelle
Knesset ne diffère des précédentes que par sa composition, qui
oblige à de savantes combinaisons entre opinions et expressions
du mode de vie. Les Israéliens qui, selon tous les sondages,
sont majoritairement favorables à une paix fondée sur le
partage, ont renvoyé dans l'opposition les deux formations qui
défendent cette formule, les travaillistes et Kadima. L'ensemble
des suffrages portés sur les partis de droite dessine une majorité.
Cependant les électeurs " russes " de Lieberman ont exprimé
leur opposition aux lois adoptées sous la pression des partis
religieux. La conception de la légitimité territoriale selon Israël
S'il y avait un principe partagé
par toutes les tendances du sionisme,
c'était bien la nécessité d'abandonner
ses oripeaux diasporiques
en arrivant en Israël.
Bethénou est à l'opposé des définitions bibliques chères aux
religieux. Lieberman demeure profondément soviétique, dans
sa manière d'envisager les déplacements de populations et de
tracer la carte idéale d'un Proche-Orient pacifié. Il conçoit la
séparation des Arabes et des juifs à la manière de Staline, qui
déplaçait à sa guise, les Polonais, les Ukrainiens, les Hongrois,
les Roumains ou les Tatars . Or, non seulement l'espace d'Israël
est singulièrement plus réduit que l'ex-URSS, mais Lieberman
se retrouve dans une coalition qui comprend les adversaires
de tout abandon des sites historiques de la terre d'Israël.
ses proclamations électorales. Les électeurs ne peuvent l'ignorer.
Ils imaginent seulement qu'il n'appliquera pas une politique
conçue à Washington.
La faiblesse du système israélien, c'est de ne plus produire
de majorité politique. Idéologiquement, la Knesset compte une
majorité de droite. Mais ce n'est que la fédération de trois
familles : la droite sioniste historique incarnée par le Likoud,
la droite religieuse et ce qui ressemble à une droite populiste.
Partout ailleurs, on appelle populistes ceux qui opposent le
peuple installé aux immigrés récents. En Israël, le parti
populiste est issu d'une immigration récente, qui s'exprime
dans sa langue diasporique et passe pour n'être pas totalement
juive. On imagine difficilement les pères fondateurs du Likoud
gouvernant avec un parti qui communique en langue russe
avec ses électeurs. S'il y avait un principe partagé par toutes
les tendances du sionisme, c'était bien la nécessité d'abandonner
ses oripeaux diasporiques en arrivant en Israël. Les pionniers
renonçaient à se parler en yiddish, qui était pourtant une langue
juive, ils s'imposaient l'effort quotidien de l'hébreu. Sur ce point,
les partisans de Jabotinski se montraient particulièrement
intraitables, considérant le yiddish comme un ancien idiome
associé à l'avilissement du juif dans les ghettos d'Europe. Leurs
descendants politiques se voient contraints de passer un accord
avec les représentants d'une minorité qui conserve non le
yiddish, mais le russe, langue de l'oppresseur antisémite.
La véritable nouveauté, c'est qu'il est désormais impossible
de gouverner Israël avec une majorité sioniste, ce qui
supposerait un accord entre le Likoud, Kadima et les
travaillistes. La politique israélienne a longtemps été marquée
par l'opposition entre deux conceptions du sionisme, celle de
Begin et celle de Ben Gourion, les religieux n'étant alors qu'une
Le Likoud, qui doit gouverner en fédérant les uns et les
autres, raisonne d'une autre manière, en se gardant toujours
de définir par avance les lignes d'un accord de paix qu'il n'est
guère pressé de signer. Il doit peut-être sa victoire à un paradoxe
: sachant Obama littéralement plébiscité par les juifs des EtatsUnis, les Israéliens lui ont refusé une seconde légitimité, jugeant
Kadima et les travaillistes trop proches des démocrates
américains. Benjamin Netanyahu passe, à tort ou à raison, pour
le garant de l'indépendance d'Israël, face à ses alliés. Hillary
Clinton a contribué très involontairement à son succès, en
annonçant qu'elle entendait parvenir à la paix, avant la fin du
mandat de Barack Obama. Les plus pacifistes des Israéliens
se méfient d'une paix imposée. " Bibi ", comme avant lui Shamir
et Sharon, finira par accepter des compromis fort éloignés de
INFORMATION JUIVE Mars 2009 17
LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI
force d'appoint pour l'un ou pour l'autre. Désormais, aucun
parti sioniste n'est majoritaire. Il peut, au mieux diriger une
coalition comme le fait le Likoud. Pour satisfaire ses partenaires,
il doit renoncer à quelques principes constitutifs du sionisme.
C'est un bouleversement historique.
On pouvait penser, il y a quarante ans, que le sionisme
historique allait être bousculé par l'arrivée massive des juifs
venus des pays arabes. Or, si ces immigrations ont
incontestablement renforcé le poids des religieux, elles ont
Autant le dire, le système électoral est
devenu catastrophique. Il perpétue, sur
la terre d'Israël, les divisions du peuple
juif en diaspora.
accepté le principe d'unification du peuple juif. Les
particularismes qu'elles ont pu conserver n'étaient que des
réponses au mépris affiché par l'aristocratie ashkénaze " de
gauche ". Les " Russes " ont conservé dans la société israélienne
les réflexes de repli qui leur permettaient de survivre en Union
Soviétique. Ils se sont protégés d'Israël, comme ils se
protégeaient du parti et du KGB. Même ceux qui ne sont pas
vraiment juifs…
Les immigrants russes n'ont pas seulement apporté leur
différence, ils ont révélé en retour toutes celles que la société
israélienne s'efforçait de masquer !
La fracture droite gauche lisible dans toutes les démocraties
occidentales est loin d'être la seule ligne de partage au sein de
la Knesset. Aujourd'hui, on vote en fonction de ces
appartenances communautaires que le sionisme entendait
effacer. On vote " russe ", religieux séfarade, religieux
ashkénaze, orthodoxe, ainsi de suite. La moitié des députés
représentent ainsi des fractions du peuple d'Israël et non plus
le projet unitaire des partis sionistes. Les majorités se fondent
donc sur des additions de voix et des compromis quand elles
ne dépendent pas de marchandages, de répartitions de
subventions entre les divers groupes. Il faut, cette fois, faire
vivre ensemble, dans une même coalition, les partisans d'un
strict respect de la Tora et les clients des charcuteries russes.
Autant le dire, le système électoral est devenu catastrophique.
Il perpétue, sur la terre d'Israël, les divisions du peuple juif en
diaspora. C'est le sens des votes par pays d'origine ou par
obédience rabbinique. Et ce système dispense les partis de
toute recherche des convergences de programme qui fondent
les coalitions politiques. Les majorités se brisent un jour ou
l'autre, provoquant des élections anticipées. Israël vient
d'affronter une guerre conduite par un gouvernement
démissionnaire, dont les principaux ministres s'affrontaient
devant les électeurs. Le taux d'abstention ne cesse de croître,
40% des Israéliens n'ont pas voté. Pis : l'abstention est
particulièrement forte chez les jeunes. Ces mêmes jeunes, qui
ont
risqué
leur
vie
au
Liban
et
à
Gaza
ne se reconnaissent pas dans le système d'expression politique
d'Israël !
Il est temps de s'inquiéter.
G.K
La Knesset
18 INFORMATION JUIVE Mars 2009
ANTISÉMITISME
Durban : symbole de la haine
E
n septembre 2001, je me trouvais à Durban en
Afrique du Sud, invité par le Centre Simon
Wisenthal pour témoigner des actes antisémites qui
frappaient les lieux de culte de France. En effet, le
12 septembre 2000, notre synagogue des Ulis fut
l'objet d'une agression aux cocktails Molotov. Me
trouvant à l'intérieur du bâtiment lors de cette attaque, je pus
m'enfuir par l'étage supérieur et prévenir les agents du commissariat
de police situé non loin de là. Il était évident que les agresseurs
avaient pris prétexte de l'Intifada qui faisait rage à l'époque et dont
le point d'orgue médiatique fut la soi-disant mort du jeune
Mohamed al Doura
Au mois de juillet 2001, je fus contacté par le docteur Samuels,
directeur du Centre Simon Wisenthal qui me demandait de venir
témoigner à Durban, en tant que victime de l'antisémitisme. Il
espérait (sans trop d'espoir) que ma voix serait entendue au milieu
d'un tumulte qu'il pressentait hostile à Israël. J'acceptais. Notre
délégation était formée de responsables du Centre Simon
Wisenthal, de représentants du Ministère israélien des affaires
étrangères, ainsi que de Mme Ruth Gillis et du rabbin Seth
Mandel. Mme Gillis était la veuve du professeur Shmouel Gillis,
de mémoire bénie, cancérologue de renom à l'hôpital Hadassa
de Jérusalem, qui avait été assassiné le 1er février 2001 par un
terroriste. Quant au rabbin d'origine américaine, Seth Mandel,
il avait perdu son fils Koby, de mémoire bénie, assassiné et mutilé,
lors de son ultime ballade de lag baomer, le 11 avril 2001.
J'ai gardé quelques souvenirs de la ville de Durban : des grands
hôtels modernes, de larges rues chauffées par un soleil encore
ardent, un bord de plage au sable fin et surtout ces grands
panneaux publicitaires, sponsorisés par l'ONU, où l'on pouvait
lire cette belle formule, que les rabbins du Talmud auraient
authentifiée : " une seule race, la race humaine ".
Malheureusement, nous découvrîmes très vite qu'il existait aussi
deux poids deux mesures entre les hommes. Et ce qui devait
constituer une grande farandole fraternelle entre des hommes
et des femmes de différentes ethnies, cultures ou langues allait
être un grand réquisitoire contre un seul Etat (responsable
évidemment de tous les maux de la terre) : l'Etat d'Israël.
Dans l'immense esplanade d'accueil du parc des expositions,
dans les auditoriums, dans les couloirs, dans les cafétérias, les
discours tournaient tous autour de ce sujet. D'ailleurs, le Shabbat
précédant notre venue, un groupe d'intégristes musulmans avait
manifesté devant le centre communautaire juif en lançant des
slogans haineux "Mort aux juifs" ou "Hitler n'a pas terminé le
travail". Curieuse attitude qui, d'un côté, affirme que les chambres
à gaz n'ont jamais existé et de l'autre celle qui regrette que les
nazis n'aient pas achevé leur oeuvre exterminatrice ; mais il est
vrai que la haine n'a pas besoin d'une autre logique que la sienne
propre. Ici l'hostilité envers l'Etat d'Israël rejoignait la haine
antisémite.
Je me souviens aussi de ces trois Nétouré Karta qui portaient
sur leur caftan noir un badge. En s'approchant d'eux on pouvait
distinguer cette équation : sionisme = racisme.
Un autre élément m'a surpris : dans le spot publicitaire
présentant la réunion de Durban et qui tournait en boucle dans
les centaines d'écran installés dans tout le parc, des mots
apparaissent et disparaissent en fondu enchaîné : xénophobie,
racisme, apartheid, ségrégation, torture, homophobie ; un mot
n'apparaissait jamais "antisémitisme". (Peut-on l'auteur de ce
spot n'était-il pas sûr de l'exacte orthographe du mot ?)
PAR PHILIPPE HADDAD
Au fur et à mesure que nous déambulions dans l'immense
bâtiment, il devenait clair qu'une seule idée traversait de façon
obsessionnelle le discours : Israël était coupable, coupable d'exister,
coupable de se défendre ; un bouc émissaire tout choisi.
Les problèmes du racisme, du fanatisme religieux, des injustices
sociales dans le monde, des violences envers les femmes, les
questions d'éducation des nouvelles générations aux valeurs
démocratiques, tous ces thèmes qui auraient dû constituer le
cœur des débats étaient totalement occultés. Certes, nous les
victimes de l'antisémitisme nous avons été interviewés, filmés,
photographiés, mais je pense que les pellicules vieillissent toujours
au fond d'un tiroir. Nous sommes restés trois jours à Durban. Le
troisième jour les Etats-Unis et Israël annonçaient officiellement
leur départ. A leurs yeux, l'ONU était devenue l'otage des ennemis
d'Israël, le projet "one race, human race" n'avait été qu'un prétexte
de plus pour répandre le venin de la haine.
Il n'y a pas d'illusion à se faire : Durban II ne sera pas différent
de Durban I : il y aura beaucoup de monde, beaucoup de jeunes,
beaucoup de journalistes, beaucoup de T-shirt prônant l'unité du
genre humain, beaucoup de sandwichs, mais il y aura surtout
beaucoup de haine, beaucoup de slogans hostiles à Israël et au
peuple juif. Ce sera la même chanson et les " démocrates " qui
s'y rendront pourront danser sur des airs de dictature
nauséabonde.
ODASEJ
L’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V E
est une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919
Pa r c e q u ’ u n e n f a n t h e u r e u x
devient un adulte qui a de meilleures chances
de construire son avenir et celui
de la communauté
L’ODASEJ a pour mission
d’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou
en difficulté sur le territoire national
Leur avenir
est entre vos
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de solidarité…
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Que vous ayez des héritiers ou non, vous pouvez faire
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en exonération des droits de succession ou de mutation
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INFORMATION JUIVE Mars 2009 19
LA VIE JUIVE
Un wagon de train transformé en yéchiva ambulante :
Connaissez-vous
le Talmudland ?
Dans notre dernière livraison, nous avons publié un extrait du livre de Pierre-Henry Salfati " Talmud. Enquête
dans un monde très secret " (Editiosn Albin Michel) consacré à la guénizah.
Or, le livre de Salfati constitue surtout une très intéressante enquête sur les lieux où le Talmud est aujourd'hui
vivant. Rencontre avec l'auteur.
OOO I.J : Pourquoi appelez-vous le Talmud un
monde " très secret " ?
Pierre-Henry Salfati : Secret dans la
mesure où ceux qui l'étudient, ceux qui en
font leur quotidien, perpétuent une
tradition ancestrale au sein d'un monde
volontairement clos. Il en va ainsi d'une
singularité, elle se doit pour se perpétuer,
de demeurer à l'abri du monde séculier, à
l'abri de toutes sortes d'influences pouvant
nuire à sa continuation. Les juifs
orthodoxes, puisque c'est d'eux dont il s'agit,
se sont contraints à préserver au maximum
cette singularité au sein du ghetto
communautaire.
Préservant
cette
singularité autant que faire se peut, ils
préservent l'identité juive. Le Talmud
pouvant être considéré comme l'ouvrage
fondateur de l'identité juive.
Cette discrétion volontariste est dictée
par la loi juive elle même : non seulement
le Talmud se doit de se générer à l'ombre
du monde, en retrait, au sein des "quatre
coudées" de la halakha, mais, qui plus est,
il n'a aucune ambition prosélyte. Tout cela
contribue à faire de l'univers du Talmud un
monde quelque peu confidentiel, voire, les
siècles passant, quasi impénétrable. Ainsi
les juifs orthodoxes en cultivant cette forme
de discrétion perpétuelle ont su jusqu'à nos
jours préserver l'identité juive tout en
conférant au Talmud un aspect mystérieux.
I.J : Pour les besoins de votre film sur le
Talmud et de votre livre, vous avez enquêté aux
Etats-Unis et en Israël, en Allemagne,
à Venise et à Londres. Que vouliez-vous montrer
?
P-H.S : En voyageant ainsi sur les traces
talmudiques, il s'agissait de reconstituer "la
géographie de l'exil." Dépossédé à maintes
reprises de leur terre d'origine, chassés
définitivement par les Romains au 1er
siècle, les juifs sont redevenus les nomades
du désert décrits par la Bible. Leur véritable
patrie devenait le Talmud. Le Talmud s'est
20 INFORMATION JUIVE Mars 2009
ainsi constitué et complété le long de leurs
pérégrinations. Il convient d'avoir à l'esprit
que le Talmud est un ouvrage en
perpétuelle évolution et durant des siècles
cette évolution s'est poursuivie, suivant la
carte des déplacements des juifs imposés
par les aléas de l'histoire. Venise,
Amsterdam, Worms, Mayence, Cordoue
Si certaines sommités talmudiques sont
encore opposées à l'utilisation d'Internet
en général et pour la diffusion du Talmud
en particulier, elles sont aujourd'hui en
minorité. Se multiplient on line les sites où
toutes sortes de questions sont posées dans
le cadre de la halakha, auxquelles des
érudits répondent en ne ménageant pas
Parmi ces lieux d'étude de la page quotidienne du
Talmud : ces trains de banlieue, entre Long Island et
Manhattan. Hommes et femmes d'affaires, avocats,
banquiers et autres travailleurs new-yorkais, profitent
tous les matins de l'heure quotidienne de transport en
chemin de fer pour transformer leur wagon en
véritable yéchiva.
etc, jusqu'à New-York de nos jours, sont
autant de "nouvelles Jérusalem", capitales
éphémères d'un monde talmudique en
perpétuelle évolution.
I.J : Qu'est-ce qui caractérise les sites qui, sur
Internet, se livrent aujourd'hui à l'enseignement
du Talmud ?
P-H.S : Peut-être déjà de s'offrir au
monde sans se soucier de la prescription
talmudique de ne pas enseigner le Talmud
aux non- juifs pour des raisons de
singularité. Mais apparemment cette notion
là est devenue caduque. Peut-être parce
qu'il semble plus important de l'enseigner
au plus grand nombre de juifs et pour ce
faire utiliser toutes les technologies qu'offre
la modernité. Les non- juifs ont donc
désormais accès au Talmud dans ses
détails. Convient- il d'y voir un signe des
temps ? Ne dit- on pas que le Messie
viendra quand "les sources seront
répandues à l'extérieur". En tout état de
cause, Internet illustre bien cette période.
leur peine. Se perpétue ainsi une des
"filiales" de la littérature talmudique, ce que
l'on nomme les Chéélot Outchouvot, mot
à mot les Questions-Réponses, qui ont fait
florès dés le lendemain de la clôture du
Talmud et qui consistaient en un perpétuel
questionnements entre maîtres et élèves
en matière talmudique. Internet est peutêtre le lieu de cette continuité.
I.J : Qu'avez-vous découvert dans votre enquête
concernant le Talmud ?
P-H.S : Tant et tant de rencontres, toutes
plus enrichissantes les unes que les autres.
Au- delà des rencontres, ma principale
découverte à été le constat de la modernité
du Talmud. Loin d'être un livre d'arrière
garde, le Talmud a une actualité plus vive
que jamais. Jamais sur cette planète autant
de gens n'ont étudié le Talmud. Même à
l'âge d'or de sa compilation, même au
temps des premiers maîtres de la Mishna
et de la Guemara, il n'y a eu autant d'élèves
qu'aujourd'hui. Ne serait- ce que parce que
LA VIE JUIVE
la démographie augmente, alors
nécessairement le nombre de talmudistes
en herbe augmente, et augmente
nécessairement le nombre de ses maîtres.
Même si leur niveau général n'est pas
comparable à celui de leurs ancêtres, les
talmudistes qui apprennent et enseignent
aujourd'hui ont pour mérite de perpétrer
un acte millénaire.
I.J : Comment est née l'initiative de la page
quotidienne de Talmud apprise par tous ?
P-H.S : Le Talmud contient 2711 pages.
Au rythme d'une page par jour, il faut 2711
jours, soit 7 ans et demi pour venir à bout
de l'ensemble. Et tous les 7 ans et demi,
c'est la fête au royaume de l'orthodoxie
juive. En fait, tout a commencé le 15 août
1923, à Vienne, où le jeune rabbin Meir
Shapiro propose son idée du cycle de
l'étude quotidienne de Talmud. Son idée :
demander aux juifs de par le monde,
d'apprendre la même page de Talmud afin
que tous, où qu'ils se trouvent ? soient unis
dans et par l'étude. Méir
Shapiro s'exprime ainsi :
" Si en tous lieux où
vivent les juifs sur la terre,
on se mettait à étudier la
même page de Talmud le
même jour, pourrionsnous avoir meilleure
expression palpable du
lien éternel entre le Saint
béni soit Il, sa Tora et son
peuple ?" Unir le peuple
juif ! Lutter contre
l'assimilation
des
communautés ! Bâtir un
Temple à la Sagesse. Le
succès fut immédiat.
Onze cycles après,
quatre-vingt deux ans plus
tard, en 2005, au Madison Square Garden
de New York, s'élevait ce Temple à la
Sagesse, dont les prêtres et les fidèles
étaient les successeurs du rabbin Shapiro
et des six- cent membres de la première
assemblée des étudiants du Daf Yomi
(littéralement : page quotidienne).
L'émulation était d'autant plus forte, que
l'événement était relayé dans plus de
cinquante villes dans le reste du pays, et
dans une quinzaine de pays dans le
monde, via le satellite, ce n'était pas 45 000
personnes qui fêtaient le onzième Siyoum
Hashas (clôture du Talmud) in live, mais
plus de 120 000.
I.J : Un wagon de train qui devient une
véritable yéchiva, comment est-ce possible ?
P-H.S : Parmi ces lieux d'étude de la
22 INFORMATION JUIVE Mars 2009
page quotidienne du Talmud : ces trains
de banlieue, entre Long Island et
Manhattan. Hommes et femmes d'affaires,
avocats, banquiers et autres travailleurs
new-yorkais, profitent tous les matins de
l'heure quotidienne de transport en chemin
de fer pour transformer leur wagon en
véritable yéchiva. En quelques années cela
est devenu une institution. Avec l'accord
de la compagnie ferroviaire concernée, le
wagon yéchiva accueille tous les passagers.
Cela donne lieu à des scènes tout à fait
rocambolesques où des non- juifs entrant
dans le wagon deviennent eux mêmes les
acteurs de ce Daf Yomi. Mais il n'y pas que
les trains, les fameux bus jaunes qui
conduisent aussi tous les jours les juifs
pieux de Brooklyn à Manhattan sont de
véritables yéchivot sur roue.
I.J : Qu'êtes-vous allé chercher à Worms, la
ville où Rachi aurait enseigné ?
P-H.S : Dés le 10e siècle le triangle d'or
de Shoum était fameux. Shoum étant
Dans une yéchiva en Israël
l'anagramme en hébreu des trois noms de
villes Spire, Worms et Mayence. Trois villes
qui délimitaient à l'époque le nouveau
talmudland au lendemain de l'exil des juifs
de Babylone et du Moyen Orient. C'est
donc en Rhénanie que s'est développé le
judaïsme rabbinique ashkénaze durant
cette période. Rachi est connu pour être
citoyen de Troyes en Champagne, il l'est
moins pour avoir poursuivi une grande
partie de ses études à Worms. Il n'a pas
enseigné à Worms mais il a étudié auprès
de maîtres prestigieux. Malgré tout persiste
l'idée qu'il aurait été enseignant là bas, à
tel point que dans la synagogue ancienne
de Worms - aujourd'hui restaurée - l'un des
murs de la salle d'étude comporte un creux
en forme de siège, lequel est dit de Rachi.
Que suis- je allé chercher à Worms ? Un
peu de cet air du 10e, 11e et 12e siècle. Cet
air respiré par Guershom Méor Hagola,
par Rabbi Yaakov ben Yakar et d'autres
illustres prédécesseurs et maîtres de Rachi.
I.J : A Rome vous avez découvert, dites-vous,
pourquoi l'Eglise a souvent attaqué le Talmud.
P-H.S : Le premier brûlement du Talmud
a eu lieu à Paris, sous l'ordre du Pape, Saint
Louis a procédé à la mise au bûcher de tous
les manuscrits juifs. Le Talmud a été victime
du premier grand librocide de l'histoire, il
s'agissait de l'éradiquer de la surface du
monde. Le Vatican s'en est ainsi pris à l'âme
juive, considérée comme diabolique,
perverse et surtout ennemie de la
chrétienté. C'est parce que l'Eglise s'est
imaginée, suite à des dénonciations
calomnieuses, que le Talmud relevait de
l'antéchrist (on y aurait décrit Jésus, la
Vierge Marie comme des personnages peu
recommandables) que l'ordre fut pris d'en
exterminer le moindre manuscrit. Le
Talmud ayant toujours conservé un esprit
sulfureux pour la papauté
et ses prélats, il fallut cette
dénonciation pour ne pas
aller voir plus loin et
commettre l'autodafé. La
chose fit école. Les nazis
brûlèrent autant de livres
juifs, qu'au lendemain de
la guerre on ne put mettre
la main, sur le moindre
exemplaire complet d'un
Talmud en Europe.
I.J : A Londres enfin vous
avez eu l'occasion de
compulser les neuf volumes
du Talmud au cœur de
l'abbaye de Westminster.
Qu'est-ce que ce Talmud de
Bomberg a de particulier ?
P-H.S : Au 16e siècle, à
l'heure des premières imprimeries, le
Talmud va passer de manuscrit au statut
de livre. Et quel livre ! Pour ne plus que
se renouvellent des autodafés de
manuscrits juifs, la communauté juive de
Venise va réunir une énorme somme pour
s'offrir le Talmud en caractères
d'imprimerie. C'est à Daniel Bomberg,
venu de Hollande, qu'incombe la tâche.
Entouré des plus érudits d'entre les juifs
il va mettre au monde en plusieurs
années, l'un des chefs- d'œuvre du
patrimoine mondial en matière de
bibliophilie. Bomberg va non seulement
imprimer le premier Talmud, mais
également en formater les pages pour
tous les siècles suivants et ce jusqu'à
aujourd'hui.
LA VIE DU CONSISTOIRE
Une importante délégation
de rabbins européens à Paris
Le Congrès annuel du Centre Rabbinique Européen s’est
tenu à Paris le 3 mars dernier. Une importante délégation de
près de cent cinquante rabbins venus de toute l’Europe avait
fait le déplacement. Après une journée de travail sur le thème
de « la famille juive », l’ensemble des rabbins a assisté à une
importante cérémonie donnée en leur honneur à la synagogue
des Tournelles, en présence du grand rabbin d’Israël Yona
Metzger, du grand rabbin de France Gilles Bernheim, du grand
rabbin de Paris David Messas, du Président du Consistoire
central Joël Mergui, de l'Ambassadeur d'Israël en France Daniel
Shek, et du Président de la synagogue des Tournelles Marc
Zerbib.
Chants et discours des principales
personnalités présentes se sont succédés
au cours d’une soirée marquée par la
solennité née de l’importante délégation
de rabbins remplissant la synagogue.
Le lendemain, Mme Alliot-Marie,
Ministre de l'Intérieur en charge des
cultes, a accueilli le Président du
Le grand rabbin de Paris, le grand rabbin d'Israël,
le Président du Consistoire Central, l'Ambassadeur d'Israël
et le Président de la communauté des Tournelles.
Consistoire Joël Mergui et du grand rabbin de Paris David
Messas, entourés de la délégation de rabbins. Après avoir
abordé les questions de l'antisémitisme qui concerne l'ensemble
des pays représentés, Mme Alliot-Marie a réaffirmé
l'engagement de la France dans ce combat et l'ampleur des
mesures prises notamment en matière
de sécurisation des lieux de culte. La
question sensible du projet de législation
européenne concernant l'abattage rituel
fut abordée et Mme le ministre a fait part
de son intervention personnelle auprès
du Commissaire européen pour que ce
pilier fondamental de la pratique
La délégation de rabbins européens
religieuse juive ne soit pas menacé.
remplissant la synagogue des Tournelles
La Team Roquette
fait étape à Lunéville
Dans le cadre de son tour de France entamé l’été dernier, et
après Angers, Caen et Evian, les jeunes de la Team Roquette
se sont rendus à Lunéville le 14 février pour un nouveau
Chabbat plein dans la synagogue qui date de 1785. Les 50
jeunes venus de toute la France se sont une nouvelle fois
retrouvés pour un Chabbat imprégné de joie, de chants, de
ferveur et d’émotion. Cette nouvelle étape de la Team Roquette
a été l’occasion de reconnaître l'engagement exemplaire du
Les jeunes de la Team Roquette dans la synagogue de Lunéville
Président de la Communauté de Lunéville Dr. Jean-Yves
Sebban pour qui, selon ses termes « lorsqu'on veut un mynian, on le trouve ». Et d’ajouter : « Cette initiative du consistoire
central avec comme relais exceptionnel les jeunes de la Team roquette est à mes yeux exemplaire. Elle doit se poursuivre, se
pérenniser et se bonifier si cela est encore possible ». Selon un jeune ayant participé à cette rencontre, « De nouveau ce fut un
chabbat extraordinaire dans une ambiance exceptionnelle grâce à la team roquette ainsi qu’à la communauté juive de Lunéville
qui nous a accueilli avec une très grande gentillesse, qui nous a permis de nous rassembler dans cette magnifique synagogue.
Ce mouvement est devenu nécessaire pour tous les jeunes juifs de France. Nous attendons avec impatience le prochain Chabbat
organisé, où qu’il soit ! ». Le Président du Consistoire Central Joël Mergui, accompagné du vice-Président Jack-Yves Bohbot,
ont tenu à faire le déplacement pour l’occasion, accueillis par le député-maire de Lunéville Jacques Lamblin, et ont notamment
participé à une réunion de travail sur place avec l'ensemble des
Présidents de la Région. Joël Mergui a notamment déclaré que «
Les jeunes qui sont ici font un travail beaucoup plus important qu'ils
ne le pensent ». Mettre en place des équipes de jeunes motivés et
formés pour assumer la prise en charge et le soutien des
communautés isolées, tel est le défi auquel Joël Mergui a choisi de
répondre, « un enjeu majeur pour les prochaines années ».
Le député-maire de Lunéville Jacques Lamblin avec le Président
de la Communauté Dr Sebban, le Vice-Président M. Zenou et
le Président du Consistoire Central Joël Mergui
Mais pour tous les jeunes de la Team Roquette accompagnés par le
Rabbin Menahem Engelberg et son épouse, ce fut surtout un Chabbat
exceptionnellement chaleureux. Rendez-vous est déjà pris pour le
prochain déplacement de cette équipe dynamique et volontaire.
Désormais, et pour répondre aux nombreuses demandes, la Team
Roquette aura un bureau au Consistoire Central. La prochaine étape
de la Team Roquette se déroulera à La Rochelle le 1er mai.
INFORMATION JUIVE Mars 2009 23
LA VIE DU CONSISTOIRE
Me Elie Korchia succède à Joël Mergui
à la présidence des communautés
des Hauts-de-Seine
Mme Christine Albanel, Ministre de
la Culture, reçue au Consistoire Central
C
Elie Korchia
onvoqué par son président
fondateur, M. Joël Mergui,
en vue de l’élection de son
nouveau Président et du nouveau
Bureau,
le
Conseil
des
Communautés Juives des Hautsde-Seine a tenu dimanche 15 mars
à Montrouge une réunion
extraordinaire de son Conseil
d’administration.
Fait exceptionnel, les vingt-cinq communautés juives du
département des Hauts-de-Seine étaient, à l’exception d’une
seule, toutes présentes pour l’occasion, chacune d’entre-elles
étant représentée par son Président ainsi que par ses délégués
désignés, soit un total de soixante-dix-huit dirigeants
communautaires du département venus spécialement pour
cette élection.
Après des propos d’introduction du Président Mergui,
rappelant avec émotion l’action menée dans le département
au cours des dernières années qui, selon lui, a fait des Hautsde-Seine « un département pilote pour de très nombreux
projets ayant servi par la suite de base au niveau national»,
les deux candidats en lice, Me Elie Korchia et M. Alberto
Gabai, devaient effectuer leur Grand oral, dans le but de
présenter, à tour de rôle, leur profil, leurs expériences et leurs
projets.
Puis, à l’issue d’un scrutin à bulletin secret, Elie Korchia a
été élu avec 56 voix contre 19 pour Alberto Gabai et trois
abstentions.
Après avoir précisé que son projet comportait à court terme
plusieurs points majeurs, Elie Korchia a insisté sur le fait qu’il
sera l’ « homme des communautés du département » tenant
à travailler avant tout en coopération étroite avec l’institution
consistoriale, maison mère des communautés juives, ainsi
qu’avec les autres institutions juives nationales, au service de
toutes les communautés juives des Hauts-de-Seine.
Tout juste élu, le nouveau Président a proposé un Bureau de
huit membres, qui a été élu à l’unanimité.
La ministre de la culture en réunion de travail au Consistoire Central
R
appelant les liens étroits entre la République et le
judaïsme, M. Joël Mergui a souligné le rôle actif
que doit pouvoir jouer le Ministère de la Culture
en cette période d'inquiétude liée à la résurgence d'actes
anti-juifs. Mme Christine Albanel a souligné quant à elle
son souhait de contribuer à rassurer la Communauté juive
par des actions portant sur l'aspect patrimonial relatif aux
400 synagogues appartenant aux consistoires et dont seul
un faible nombre a été inscrit au classement des
Monuments Historiques. Mme Albanel a assuré le
Président du Consistoire de son soutien et de son appui
tant pour ce qui concerne la Fondation du Patrimoine Juif
que sur le dossier urgent du Cimetière d'Ennezat où des
tombes juives médiévales risquent de disparaître dans
un projet de lotissement.
Réunion de travail avec
Mme Roselyne Bachelot
L
es sujets abordés lors de la réunion de travail au
Consistoire Central avec Mme Roselyne Bachelot,
Ministre de la Santé et des Sports, furent nombreux : jeunesse, aumôneries des hôpitaux, vie
associative, venue de la Ministre au centre Fleg pour
rencontrer les étudiants ainsi que le Haut-Patronage des
soirées sur la bio-éthique qui doivent être organisées
dans les prochaines semaines.
Gala de soutien à Toulouse pour le Gan Rachi
D
ans le cadre de ses déplacements en province à la rencontre des responsables des communautés juives et des
autorités régionales, M. Joël Mergui s'est rendu le 16 mars à Toulouse. En présence du Président de la
Communauté M. Arié Bensemhoun, Joël Mergui a rencontré M. Pierre Cohen, maire de Toulouse, pour un
échange de vues sur la situation actuelle des relations entre la communauté juive et la ville de Toulouse et
l'établissement de liens encore plus étroits notamment dans le domaine culturel.
Au cours de ce voyage, la visite du Gan Rachi, qui accueille 200 enfants de la crèche à l'école primaire, a été menée
par son Directeur, M. Yossef Matusof. La journée s'est achevée à l'espace du judaïsme par un diner de gala de soutien
au Gan au cours duquel Joël Mergui a rappelé que "L'existance d'une ecole juive est une richesse precieuse pour
les communautés qui ont la chance d'en avoir une" et a appelé les personnes présentes "à soutenir ce projet scolaire
communautaire".
24 INFORMATION JUIVE Mars 2009
LA VIE DU CONSISTOIRE
Tikvatenou et Yaakov Shwekey
au Casino de Paris
P
our la sixième année consécutive, le
chanteur hassidique américain Yaakov
Shwekey s'est rendu à Paris le 18 mars
dernier pour un concert organisé cette année au
Casino de Paris par le mouvement de jeunesse
Tikvatenou et parrainé par le Consistoire de
Paris. La soirée s'est déroulée en présence du
grand rabbin de France Gilles Bernheim et du
Président du Consistoire Central Joël Mergui.
Devant une salle remplie de jeunes et dans une
ambiance survoltée, le chanteur a repris la
plupart de ses succès et de ses nouveautés.
Tant le grand rabbin de France que le Président du
Consistoire ont souligné, à l'approche de la joie de Pessah,
la ferveur et la chaleur de notre jeunesse qui a offert ce soir
là une fête très spéctaculaire sur les airs tout imprégnés de
vitalité, d'émotion et de judaïsme. Un hommage a été rendu
à la fois au dynamisme et l'enthousiasme de nos jeunes et à
l'action menée sans relâche par Tikvatenou au service de
l'ensemble des jeunes de la communauté dans les valeurs
du Consistoire, de laTorah et d'Israël.
Le Président Joël Mergui et les jeunes de Tikvatenou
Le Président Mergui a rappelé les efforts consentis toute au
long de l'année par le Consistoire en faveur des projets
tournés vers la jeunesse, l'une des priorités de l'action globale
de l'instititution, que ce soit au centre Fleg, à Tikvatenou,
au Talmud Torah, ou plus généralement au sein même de
chacune des communanutés. A propos du très beau projet
récemment mis en place des Chabbat jeunes, il a notamment
lancé un appel à l'ensemble des jeunes présents : "notre
Jeunesse doit prendre le pouvoir dans nos synagogues".
Un credo prioritaire pour le Consistoire.
Grand diner du Consistoire à Bordeaux avec le Ministre de l’éducation nationale
© Yves Elbaz
Une soirée prestigieuse a été organisée à Bordeaux le 19 mars
par le Consistoire Régional du Sud-Ouest. Un grand diner de gala
a eu lieu pour célébrer le Bicentenaire du Consistoire, avec la
présence exceptionnelle du Ministre de l’éducation nationale
Xavier Darcos, du grand rabbin de France Gilles Bernheim, du
Président du Consistoire Central Joël Mergui, du Président du
Consistoire de la région Sud-Ouest Dr. Erick Aouizerat, du
Président de la Région Aquitaine Alain Rousset, du maire de
Bordeaux Alain Juppé et de nombreux élus locaux et représentants
de l’Etat. Etaient également présents de nombreux Présidents de
communautés de la région, et notamment de La Rochelle,
Le Ministre de l'Education nationale, le Président du Consistoire
Arcachon, Périgueux. L’objectif premier était de mettre l’accent
Régional Sud-Ouest, le Président du Consistoire Central,
sur l'importance de la relation entre la communauté Juive et la
le grand rabbin de France lors du diner de gala
France en cette année du Bicentenaire de la création des
Consistoires Régionaux. Le Président Mergui a notamment mis l’accent auprès de M. Darcos sur l’importance et la nécessité
de la vitalité des petites écoles juives comme celle de bordeaux qui « jouent un rôle central dans la pérennité même du judaïsme
», ce à quoi le ministre de l’éducation a répondu qu’il examinerait de près ce dossier et lui apporterait toute l’attention nécessaire.
Face au succès de cette très belle soirée, rendez-vous est déjà pris pour 2010.
8 avril 2009 - Bénédiction sur le soleil
I
l existe dans le calendrier juif une mitsva que l'on accomplit rarement. Tous les 28 ans en effet, le soleil achève
un cycle et se retrouve à sa position initiale au moment de la création et entame alors un nouveau cycle. C'est
à cette occasion, au début du printemps, que les communautés se réunissent pour réciter ensemble la Bénédiction
du soleil, la Birkat ha'Hama. Cette mitsva trouve sa source dans le Talmud (Berakhot 59b). Nos sages rappellent
que lors de la création du monde, le soleil fut créé au commencement du printemps, en Nissan, la nuit du quatrième
jour.
Cette année, la Bénédiction du soleil sera récitée le mercredi 8 avril 2009 (14 Nissan 5769). Le Consistoire de Paris
vous invite à rejoindre nombreux à cette occasion exceptionnelle votre communauté afin de réciter tous ensemble
cette bénédiction. La dernière célébration a eu lieu le 8 avril 1981 et la prochaine aura lieu le 8 avril 2037 !
INFORMATION JUIVE Mars 2009 25
JUDAÏSME
Pessah : Quand trois
générations se rencontrent
I
«
l vaut mieux être à deux que tout seul (Ecclésiaste IV,
9). Il vaut mieux être un juste fils de juste que d’être
un juste fils de méchant, car le mérite de celui qui est
seul ne ressemble pas à ceux de deux justes qui
possèdent un acquis. Et si un malheur devait s’abattre
sur la famille, le mérite des deux la protègera. Mais
s’ils sont trois justes : un juste qui engendre un fils juste qui
lui-même engendre un fils juste, alors ce mérite ne les quittera
jamais, ainsi qu’il est dit (ibid. IV, 4) « et le triple nœud ne rompt
pas rapidement ». Rabbi Zéïra s’est étonné : Pourtant il peut
se trouver une lignée de trois justes alors que la quatrième
génération donnera des fauteurs ? On répondit : Salomon n’a
pas dit que le nœud ne rompt pas, mais qu’il ne rompt pas «
rapidement ». Ainsi, s’il rompt dans une génération, le lien se
refera-t-il ensuite, comme il est dit (Isaïe 59, 21) « Et ces paroles
que je place dans ta bouche ne quitteront jamais ni ta bouche,
ni la bouche de ta descendance, ni la bouche de la descendance
de ta descendance, dit l’Eternel, pour maintenant et à tout
jamais. » Si un homme est disciple de
sage, puis son fils, puis son petit-fils, alors
la Torah ne quittera jamais cette famille,
comme il est dit dans ce verset « à partir
de maintenant et pour toujours ». Et quel
sens donner à « parole de l’Eternel » ?
Le Saint, béni soit-il, déclare : « Je suis
garant de cela ». (Midrash Téhélim sur
psaume 59)
La famille d’abord
S’il est une solennité que nous devons
vivre en famille, c’est bien cette fête de
Pessah . Plus qu’une autre, elle nous
invite à nous rassembler dans un même
lieu, lisant et interrogeant les mêmes
textes, partageant ensemble le même
repas. Déjà la Torah (Ex XII) requiert que
les Hébreux doivent se trouver chacun
dans sa maison, que l’agneau soit mangé
en famille et qu’il faille s’associer aux
voisins si l’on doute de pouvoir terminer
la consommation de l’agneau en petit
comité. Déjà, au pharaon qui lui demande
qui va quitter son pays, Moïse répond
(Ex 10, 9): « Nous partirons avec nos
jeunes et avec nos vieillards, nous partirons avec nos fils et avec
nos filles. » Le Maharal de Prague, ce maître du XVIème siècle,
va dans le même sens expliquant pourquoi l’agneau pascal devait
être grillé et non bouilli. Car une viande bouillie s’effiloche dans
son jus, alors que le feu rend compact la chair, écrit-il ; il en est
de même pour la communauté israélite qui se doit cette nuit-là
de se retrouver réunie et non dispersée.
Si pour Protagoras « l’homme est la mesure de toute chose »,
le judaïsme préférera se référer à la famille. C’est ainsi que selon
la halakha, la longueur minimale d’une ligne de sefer Torah doit
26 INFORMATION JUIVE Mars 2009
PAR PHILIPPE HADDAD
contenir trois fois le mot lémishpéhotékhem « pour vos familles
». On ne pouvait trouver meilleur étalon !
Qui dit famille dit rencontre générationnelle. Autour de la table
pascale, deux ou trois générations (voire quatre aujourd’hui, dans
notre temps de progrès médical) vont de nouveau se rencontrer
pour rappeler la merveilleuse épopée des origines du peuple
d’Israël arraché il y a plus de trois mille ans, au joug et aux fers
du despote égyptien, et s’élançant sous la conduite de Moïse vers
un destin riche de gloire comme d’épreuves.
Redire notre mémoire
Et lorsque la famille sera réunie, la cérémonie de la sortie
d’Egypte pourra débuter. Etude et prière, manducation et chants,
questions et réponses, la soirée pascale balance entre des actes
hautement religieux et des gestes plus naturels. Car le judaïsme
se veut une religion de la vie autant qu’une religion dans la vie.
La bouche sera l’organe de cette rencontre avec Dieu et avec les
autres convives. La bouche pour réciter
le Haggadah et pour manger les herbes
amères, le pain azyme ou boire les quatre
coupes de vin. Dire, redire, transmettre,
transformer la nourriture en symbole, lui
donner toute la consistance d’une
mémoire, comme s’il fallait au final
ingurgiter sa propre identité, l’assimiler
autant par son cerveau et son cœur que
par les cellules de sa propre chair. Telle
est la vocation du Seder, de cet «
ordonnancement » méticuleux établi par
les Sages. Ici le livre se nomme
Haggadah, il veut dit dire « récit » ; il
n’appartient pas au canon biblique
comme le rouleau d’Esther, mais il
marquera fortement les mémoires. Qui
ne se souvient des quatre questions de
l’enfant ou de ce petit agneau acheté
pour deux zouz et qui engendre une
belle réaction en chaîne.
La Torah revient sur cette nécessité de
dire le récit, de dire l’origine (Ex 10, 2) :
“afin que tu racontes à ton fils et ton petitfils”. A bien y réfléchir l’histoire juive se
joue en effet sur trois générations. Au commencement il y eut
Abraham, Isaac et Jacob, par la suite il y a toujours eu un grandparent, un enfant et un petit-enfant. Que l’un s’absente et la
chaîne de la transmission s’affaiblit. Dans ce scénario répétitif et
si exigeant, celui qui dit la mémoire, même plus de trois
millénaires après, appartient à la génération sortie d’Egypte.
Quand nous récitons “nous étions esclaves de Pharaon”, ce
“nous” engage celui qui l’exprime.
L’actuel débat autour de “qui est juif” (mi hou yéhoudi), qui
oppose les différentes obédiences du judaïsme, comme les non-
JUDAÏSME
religieux et les religieux, trouve en cette nuit de Pessah son temps
de repos et de trêve : Si trois générations se sentent concernées
par cette histoire ancienne pour lui trouver son caractère
permanent, alors autour de cette table familial c’est l’avenir du
peuple d’Israël qui s’écrit, et aucune instance politique ou
religieuse ne peut y insérer quelque doute.
Certes l’affaire n’est pas toujours évidente. Il fut des époques
où les petits-fils ressemblaient aux grands-parents, dans leur
manière de parler, de s’habiller et d’espérer. Il en est d’autres, et
la nôtre en particulier, où rien à première vue ne pousse à la
ressemblance. La technologie aidant, en quelques décennies,
nous sommes passés dans un autre univers ; les langages, les
habits et les rêves ont changé. Si l’on veut rester fidèle à
l’injonction biblique de raconter la mémoire, cette rencontre
pascale portera en elle tout le défi d’une transmission à réussir.
Je me suis rendu compte de cette problématique le jour où j’ai
compris que mes outils pédagogiques ne correspondaient pas à
mon jeune public du Talmud Torah. Mes documents portaient
des personnages du shtetl alors que mes gamins supportaient
Zidane. Il n’existe pas de réponses toute faites pas plus que des
talismans magiques, et chaque famille est confrontée à ce
questionnement : comment dire dans le langage d’aujourd’hui
ce qui constitue notre trame mémorielle et comment susciter chez
l’enfant le désir de transmettre « ce quelque chose de juif » à
son propre enfant, qui fera que le grand-parent pourra « quelque
part » se reconnaître dans sa progéniture.
L
Le triple nœud ne rompt pas facilement
Maintenir l’identité juive sur trois générations c’est lui
donner la solidité du triple nœud qui ne rompt pas facilement.
Cette préoccupation de la transmission se trouve dans le
midrash placé en exergue de notre propos. L’extraordinaire
de tout midrash est qu’il reste audible même dépouillé de son
habit religieux. Même sécularisée, une leçon rabbinique parle
à l’homme. Tenir trois générations, voilà la leçon lancée en
un véritable défi, un authentique challenge comme on dit
aujourd’hui.
A parler concrètement, nous dirions que la table du Seder
de la communauté vivante d’Israël rassemble aujourd’hui,
le grand-père qui a connu l’horreur de Shoa et le miracle de
la résurrection d’Israël ; le fils qui a vécu dans l’espérance
d’une normalisation de la condition juive enfin admise
comme une manière d’être homme ; et le petit-fils de la «
génération Nintendo » et qui s’étonne d’être traité de « sale
juif » dans cette étrange atmosphère de haine. On le voit
bien : le défi de la famille juive consiste à se rappeler que
les pharaons ont plusieurs visages, et qu’il faut rester, coûte
que coûte, malgré les doutes et les découragements, des
porteurs d’espérance. Et comme chaque année, notre
espérance s’exprimera au premier matin de Pessah quand
avec ferveur et dévotion nous demanderons la rosée de
bénédiction pour toutes les terres et tous les hommes du
monde !
MAGUEN DAVID ADOM :
SEULE SOCIÉTÉ NATIONALE
DE SOINS D'URGENCE EN ISRAËL.
MISSION : SAUVER DES VIES.
e MDA dispose de secouristes motorisés pouvant
intervenir en quelques
instants pour sauver des
vies. Yehouda Hanau
25 ans, au MDA depuis
5 ans témoigne :
Je suis étudiant dans une des plus
prestigieuses écoles talmudiques de
Jérusalem, la Yeshiva de Mir. Le MDA m'a
confié un scooter équipé pour pouvoir
intervenir rapidement dans mon quartier,
Bait Vagan.
Sur mon scooter se trouve tout le matériel
médical nécessaire pour soigner une
victime :sac de réanimation, défibrillateur
semi-automatique, nécessaire pour les
naissances, etc.
Dès l'adolescence j'ai eu envie d'être utile
a mon peuple. J'ai donc passé une
formation de secouriste du MDA. Puis je
suis devenu bénévole dans les ambulances.
Lorsque j'ai appris que les responsables de
la station de Jérusalem cherchaient un
volontaire pour le scooter de mon quartier,
ça m'a paru naturel d'être candidat.
Ce n'est pas facile tous les jours, mais
étant profondément croyant, je le ressens
comme une mission indispensable.
Relié 24h24, 7j/7 au MDA, j'ai un bipper
qui reçoit les interventions du quartier.
Quand je reçois un appel, j'abandonne
tout et prends la route. En scooter j'arrive
généralement en moins d'une minute sur
les lieux du drame où je commence à
stabiliser le patient.
J'ai deux interventions dans mon quartier
chaque jour. Il y a 20 scooters dans toute
la ville. Nous pouvons vraiment en
desservir chaque recoin en quelques
instants.
Nos scooters se faufilent partout, évitent
les bouchons et c'est là leur force.
Il y a peu de temps, un cas m'a vraiment
touché…
J'ai été appelé pour un bébé qui faisait
un malaise, il était en arrêt cardiaque. J'ai
commencé à le réanimer avec d'autres
secouristes. Au bout d'une demi-heure de
réanimation, le miracle a eu lieu, il a
commencé à pleurer. C'était comme une
seconde naissance !
Chaque intervention raconte une
histoire. Si je peux modestement aider, et
bien je serai toujours là, comme les 12 000
autres bénévoles du MDA, c'est notre rôle,
notre vocation.
MDA France. 40 rue de Liège. 75008 Paris. 01 43 87 49 02. [email protected]. cerfa pour tout don.
INFORMATION JUIVE Mars 2009 27
DÉBATS
Le coup de gueule
de Konop
L
renforce-t-il pas la résurgence de
e nouveau livre de notre
l'antisémitisme ?
ami et collaborateur Guy
Konopnicki
essai?
Dans " L'exhibition communautaire "
plaidoyer provocateur? vous lirez que l'atmosphère actuelle
plonge au coeur de la
pousse au repli communautaire alors
brûlante actualité politique
qu'après le Seconde Guerre mondiale les
et communautaire. Huit chapitres, de la
juifs ne souhaitaient qu'une seule chose
Shoah à " Notre identité nationale ", de
: s'intégrer à la population française ou
"L'Exhibition communautaire " à " La
alors, comme les sionistes " conséquents
France présumée coupable ", et un
" partir pour la terre d'Israël. " De la
prologue le composent pour cerner les
synagogue au parti communiste, les
causes de l'événementiel du passé au
diverses tendances philosophiques et
présent. Que recouvrent aujourd'hui des
politiques de la rue juive partageaient
mots comme discrimination - positive ou
une même volonté d'intégration. Le
négative - , sionisme, prérogatives
bourgeois israélite avec sa tradition
justifiées ou non au pays des Droits de
d'extrême discrétion, l'ouvrier façonnier
l'Homme? Liberté, Egalité, Fraternité : la
Guy Konopnicki
rivé à sa machine à coudre, ne rêvaient
belle devise qui véhiculait l'espoir d'un
pas du ghetto. Beaucoup d'organisations juives étaient alors
monde meilleur... Fraternité ? Aux Buttes Chaumont le samedi,
des vecteurs d'insertion ". Très peu d'écoles juives étaient en
rapporte notre narrateur, il croise des groupes, pardon, des
activité. On allait à l'école publique. Banal, normal.
bandes bien scotchées, bien séparées chacune pour soi, des
Aujourd'hui, c'est devenu chacun pour soi et la transposition
feujs " depuis l'agression d'un jeune Juif, tout près, dans la
des conflits internationaux - Israël/Palestine - voit se construire
rue Petit, on se rassemble le samedi, pour garder le terrain ",
et s'affronter " sionistes imaginaires " et " arabes fictifs " sur
des black " vaut mieux rester groupés ", des barbus "mais en
djellabas blanches " qui se dirigent vers la mosquée toute
proche. La voiture de police du coin lui conseille " de se
méfier de cette racaille ". Fraternité alors que notre auteur en
a par-dessus la tête d'être considéré par sa différence et " veut
vivre, dans l'espace banal, dans le bien commun "
Dans le chapitre " La Shoah religion d'Etat " il va, entreautres, revoir la personnalité de Nicolas Sarkozy et son choix
pour s'inscrire à vie dans la lignée des grands que furent
l'Abbé Grégoire et la citoyenneté, Napoléon et le Consistoire,
Crémieux et les juifs d'Algérie, Clemenceau et le Capitaine
Dreyfus, Charles de Gaulle avec l'Appel du 18 Juin et le
gaullisme, Mitterrand et ses tentatives, Jacques Chirac avec
Vichy et l'hommage aux Justes. Il lui faut trouver quelque
chose d'inédit, de nouveau. Mais quoi ? Alors, au dîner du
Crif où il va se rendre en tant que Président de la République
(çà aussi c'est une première) il proclame son souhait de faire
porter la mémoire d'un petit martyr juif par un gosse d'école
primaire. On connaît la suite. Notre auteur s'interroge et
s'insurge: Est-ce une ritualisation de la religion? Une "
mystique d'Etat "? Et de donner son point de vue : " Le rôle
des autorités politiques, républicaines, est de faire connaître
l'Histoire. Elles érigent des monuments et commémorent les
moments tragiques. Mais elles n'ont pas à célébrer un culte,
fût-il celui des martyres juifs ". Et pourquoi d'autres minorités
n'auraient-elles pas droit aux mêmes égards, souligne-t-il,
tels les victimes des crimes coloniaux par exemple ; cela ne
28 INFORMATION JUIVE Mars 2009
On allait à l'école publique. Banal,
normal. Aujourd'hui, c'est devenu
chacun pour soi et la transposition
des conflits internationaux
- Israël/Palestine - voit se construire
et s'affronter “sionistes imaginaires” et
“arabes fictifs” sur le sol français.
le sol français. Tous ces communautarismes seront "courtisés"
par les futurs élus, de droite comme de gauche qui se "pillent"
à qui mieux mieux, lors des campagnes pour les élections
nationales!
Et pour conclure, notre auteur s'élève fermement contre la
place prise par le religieux au détriment de la laïcité si
chèrement acquise au nom " du respect des différences ".
A méditer. (La banalité du bien. Contre le culte des
différences par Guy Konopnicki Editions Hugo et Cie - 15€)
Odette Lang
OPINION
Les mensonges et
la vérité historique
C
PAR PAUL GINIEWSKI
omme tout au long du conflit israélo-arabe, il
s'avère maintenant que la quasi-totalité des
allégations de massacres et de destructions
massives, de centaines de femmes et d'enfants
palestiniens tués pendant la récente guerre, sont
des affabulations inventées par la propagande
reproduit la photo de l'un d'entre eux, Anas Naïm, neveu du
ministre de la santé du Hamas, Bassem Naïm. Il serait tombé le
4 janvier alors qu'il faisait son travail médical dans le cadre du
Croissant Rouge palestinien. La photo publiée par l'armée et tirée
d'un site du Hamas, montre Anas Naïm en tenue de combat,
épaulant sa kalachnikov…
Malheureusement, répercutées à l'infini par les medias
occidentaux, au premier rang desquels les télévisions, les
mensonges ont fait leur œuvre. Les fantasmagories ont aggravé
l'intoxication des opinions publiques, noirci encore davantage
l'image d'Israël et motivé la politique anti-israélienne des pays
occidentaux.
Bien entendu, comme à l'accoutumée, les informations , les
preuves, les protestations de source israélienne rétablissant la
vérité, sont totalement ignorées par ceux qui, il y a quelques
semaines encore, publiaient des titres à sensation, diffusaient
d'interminables reportages, protestaient hautement contre les "
ripostes disproportionnées " et " les brutalités " des Israéliens. Et
ce silence sur la vérité israélienne équivaut à la complicité avec
le crime.
des terroristes.
L'armée d'Israël vient en effet de publier un rapport de 200
pages, solidement documenté et accompagné de preuves sur les
affabulations des ennemis d'Israël, notamment sur les pertes "
civiles ". L'armée a établi les dossiers personnels de plus de 1.200
tués qu'elle a pu identifier sur les 1.338 annoncés par le Hamas,
avec leurs noms et même avec les numéros de leurs cartes
d'identité palestiniennes. 880 d'entre eux appartiennent aux
groupes armés du Hamas et d'autres organisations terroristes,
alors que celles-ci avaient annoncé 48 de leurs combattants
tombés.
Trois cents parmi les 1.200, femmes, enfants de moins de 15
anset hommes de plus de 65 ans, ont été classés par l'armée
comme "civils ", bien que l'on comptât parmi eux des femmes
terroristes, notamment celles qui ont tenté des attentats- suicide
contre l'armée et celles qui sont restées volontairement dans la
maison de Nizar Rayyan, un dirigeant terroristes que l'armée
avait prévenu du bombardement imminent.
Il y a quelques années, au cours d'un symposium consacré aux
rapports des medias et du terrorisme, organisé par l'Institut
israélien pour l'étude de la propagande, le professeur Ariel Merari,
un spécialiste de réputation internationale, conclut que " lesmedias
sont l'arme de prédilection des terroristes. L'objectif partiel de
tout acte de terrorisme est sa couverture médiatique ". Et il ajoutait:
" Un commando terroriste se compose de deux terroristes et de
huit journalistes ".
Et il faut bien dire que cette formule-choc correspond bien à
la vérité.
Les deux tiers des morts n'étaient pas des civils mais des
terroristes tués au combat.
Plusieurs cas précis qui avaient déclenché en Occident des
campagnes anti-israéliennes féroces viennent d'être démystifiés.
On se souvient de l'école de l'UNRWA, prétendument bombardée
par Israël et où 40 ou 42 civils qui s'y étaient réfugiés avaient été
" massacrés ".Lors de cette affaire, on a retrouvé dans les medias
européens les titres, les tirades, l'emphase, le vocabulaire insensé
qui avaient fleuri lors des combats de Jénine en 2002. Rappelons
que toutes les enquêtes internationales avaient alors établi que
les " milliers " de Palestiniens massacrés avaient été en réalité 52
dont moins de civils. Par ailleurs Jénine que l'on disait " détruite,
rasée, un autre Hiroshima " était en réalité quasi-intacte.
Il est maintenant établi que 12 personnes ( pas 40 ou 42 ) ont
été tuées lorsque l'armée a riposté aux tirs venant de cette école
de l'UNRWA. Neuf parmi les douze étaient des terroristes armés,
trois des non-comabattants.
Autre affaire éventée par l'enquête de Tsahal :le Hamas avait
annoncé plusieurs médecins palestiniens tués par Israël. La vérité
c'est que laplupart d'entre eux étaient des terroristes armés. Tsahal
INFORMATION JUIVE Mars 2009 29
BONNES FEUILLES
Les Juifs du Maroc
sous le Protectorat
PAR MICHEL ABITBOL
Notre ami Michel Abitbol, historien, professeur à l'université hébraïque de Jérusalem publie
une Histoire du Maroc aux éditions Perrin. Nous remercions l'auteur et l'éditeur de nous
avoir autorisés à publier ici en bonnes feuilles, un extrait du chapitre qu'il consacre, dans
cet ouvrage, aux Juifs du Maroc sous le protectorat. Les intertitres sont de la rédaction.
C
omme ce fut le cas dans la plupart des pays
colonisés par l'Europe, les débuts de la
colonisation française entraînèrent
la
paupérisation d'une bonne partie de la
population indigène, juive et musulmane. Un
phénomène aggravé, en ce qui concerne les
Juifs marocains, par la concurrence des colons, l'inondation du
marché local en produits industriels d'importation, concurrençant
directement les produits artisanaux locaux, l'unification du
système des poids et mesures, le désenclavement des villages
les plus reculés à mesure du développement du système routier,
l'apparition des premiers grands magasins, l'ouverture des
banques - autant d'activités modernes qui eurent pour effet
immédiat d'affaiblir l'activité commerciale et artisanale des Juifs
et surtout de battre en brèche leur rôle traditionnel
d'intermédiaires entre les fellahs musulmans et le monde
extérieur.
Parallèlement à ces transformations, les Juifs étaient de plus
en plus nombreux à quitter leur habitat traditionnel, pour se
rapprocher des nouveaux quartiers à population européenne :
Les actions les plus sérieuses contre le
pourrissement des relations entre
Juifs et Musulmans vinrent à la veille
du second conflit mondial
des organisations politiques
françaises de gauche.
à la veille de la seconde guerre mondiale, près de la moitié des
citadins juifs des grandes villes avaient abandonné le Mellah ,
ses maisons vétustes et insalubres et ses ruelles étroites , pour
la " ville nouvelle " . Suivant un processus bien réglé, ils
s'établissent dans un premier temps dans des quartiers
intermédiaires, comme la rue Arsat al-Maach à Marrakech et
autour de la place de Verdun à Casablanca ni trop loin du
quartier traditionnel où l'on avait laissé vieux parents et lieux
de culte, ni trop proches de la " ville nouvelle ", habitée par les
30 INFORMATION JUIVE Mars 2009
familles du Protectorat et les Européens que n'enthousiasmaient
pas l'arrivée des nouveaux venus juifs et indigènes. En règle
générale, peu de Juifs choisissaient de vivre en " médina "
(quartier musulman) et ceux qui en caressaient l'idée se
heurtaient - comme à Fès - à l'opposition véhémente des
autorités françaises invoquant à ce sujet des raisons religieuses
plus que douteuses. La modernisation n'était pas la seule cause
de cet abandon massif de l'habitat traditionnel : les Mellahs
marocains étaient parmi les lieux d'habitation les plus surpeuplés
du monde (…)
Parmi les changements économiques les plus remarquables,
il est à noter l'entrée des femmes dans la vie active et la
diminution graduelle du nombre de commerçants dans la
population juive : de 41,30% en 1931 à moins de 25% en 1951
. Le nombre de Juifs ayant une activité artisanale y était resté
plus ou moins stable (entre 45% et 50%) mais un nombre de
plus en plus grand de Juifs était passé à des métiers techniques
- mécaniciens, coiffeurs, électriciens, etc... nécessitant une
formation professionnelle moderne. Une petite classe de paysans
vivait d'agriculture et d'élevage dans le sud marocain.
Une société compartimentée
Cependant, du fait du retard accusé par l'enseignement
secondaire et supérieur, la communauté marocaine tarda à voir
l'émergence d'une nouvelle classe moyenne, avec des options
sociales et politiques bien articulées. Rien de comparable, à cet
égard, à la situation prévalant en Tunisie où l'on avait affaire,
depuis assez longtemps, à une véritable classe moyenne juive
qui servit de relais, entre les deux guerres, à tous les choix et à
toutes les orientations politiques qui se partagèrent les
sympathies des Juifs dans cet autre Protectorat. Au Maroc, on
en était encore à une " poussière " d'individus, d'horizons et
d'extractions différentes, passant leur temps à se faire un nom
dans les comités et les œuvres de bienfaisance de la
communauté.
A travers tout le pays, Juifs, Musulmans et Européens vivaient
dans une société compartimentée dans laquelle un profond
clivage séparait le groupe colonial proprement dit de la masse
des indigènes juifs et musulmans. Ethnique et culturel, ce
BONNES FEUILLES
cloisonnement était politique et social à la fois : les Européens
et les naturalisés français étaient les seuls à pouvoir disposer
de droits et de libertés parfois les plus élémentaires ainsi que
d'avantages économiques qui allaient en s'amenuisant à mesure
que l'on descendait dans la hiérarchie coloniale pour disparaître
complètement en milieu indigène.
Critère de clivage identitaire autant qu'instrument de pouvoir,
jamais le facteur ethno-religieux ne fut aussi déterminant dans
la vie politique du Maroc qu'à l'époque coloniale : poussé à ses
délivrance et de reconnaissance à l'endroit de la puissance
colonisatrice dont l'entrée en scène avait sauvé la communauté
de graves périls, réels ou virtuels.
Un fossé profond
Dès lors, génératrice de tensions et de distorsions de toutes
sortes, la situation coloniale n'allait guère contribuer à
l'amélioration des relations entre les Juifs et leurs voisins
musulmans. Bien au contraire, jamais le fossé entre les deux
populations ne fut si profond qu'au temps des Français.(…)
A partir des années 30, on assista à une nette détérioration
des relations judéo- musulmanes dans les grandes villes du
Royaume. Les causes en étaient multiples. Elles avaient trait
au conflit judéo-arabe de Palestine, à la montée du nazisme en
Europe et à la crise économique mondiale aussi bien qu'à
l'effervescence politique qui agita le Protectorat au lendemain
de la promulgation du dahir berbère - auquel les Juifs restèrent
insensibles puis à la suite des émeutes de Meknès où plusieurs
magasins juifs furent saccagés. L'action spécifique des
organisations françaises d'extrême droite n'était pas en reste :
elle se manifesta au Maroc à travers les journaux à grand tirage
La Presse marocaine, le Soir marocain, le Soleil du Maroc ainsi
que les organes du P.P.F La Voix Française et La Bougie de Fès
qui donnèrent libre cours à leur antisémitisme après l'avènement
de Léon Blum au pouvoir, en 1936.
Juifs du Maroc (Dessin d’Arnaud Charbit)
extrêmes, en périodes de crises, il donna naissance à un
ostracisme d'une rare virulence entre colons et indigènes, Juifs
et colons et entre Arabes et Juifs.
Mais alors que la société coloniale avait toutes les apparences
d'une société figée et raciale, le discours colonial français, lui,
était très ouvert, généraux et universaliste. Il donna l'illusion à
tous les colonisés de pouvoir jouir de tous les privilèges de la
classe dominante coloniale, sans distinction de religion, s'ils
adoptaient la culture, la langue et les manières de la puissance
coloniale, donc s'ils abandonnaient leurs propres traditions pour
se moderniser. Ainsi défini, ce " mirage colonial " fut diversement
apprécié par les Juifs et les Arabes. Considérant l'occupation
coloniale comme une catastrophe nationale et une atteinte à
leur religion, ces derniers refusèrent d'entrer dans le jeu colonial,
alors que les Juifs, réagirent dans l'ensemble favorablement à
la présence européenne. De manière générale, par souci
d'adaptation à une nouvelle situation historique même s'il s'y
ajoutait également, dans l'imaginaire juif, un fort sentiment de
Le Congrès panislamique tenu en 1931 à Jérusalem marqua
ainsi sur bien des points un véritable tournant dans les relations
entre Juifs et Musulmans. Il se traduisit par une série
d'affrontements à Casablanca (21 février 1932) , Rabat (18 mai
1933) ainsi qu'à Ksar el-Kébir (28 juin 1933) , Tanger et Tétouan.
L'écho de ces incidents fut exagérément amplifié, du côté juif,
par les journaux sionistes de Tunisie et du Maroc, Le Réveil Juif
et l'Avenir Illustré et par la presse nationaliste locale du côté
musulman. Celle-ci qui ne manquait aucune occasion de
vilipender les autorités françaises qui permettaient aux Juifs
de recueillir des dons pour les organisations sionistes mondiales,
était largement inspirée par le Comité Syro-palestinien de l'Emir
Shakib Arsalan, siégeant à Genève. Mêlant pêle-mêle griefs
anti-sionistes et griefs anti-juifs, les amis marocains de l'émir
druze, Abd al Khaliq Torres, Mohamed Bennouna, Makki alNasiri, Mohamed Kettani et Ahmed Balafrej reprochaient à la
France son favoritisme pro- juif, la liberté d'action laissée aux
organisations sionistes et, de façon plus globale, d'avoir
émancipé les Juifs, ce qui, aux yeux de La Voix Nationale était
une atteinte au Traité de Fès. La pression exercée par une partie
de la communauté d'obtenir la nationalité française n'arrangeait
pas les choses.
Un sionisme interne
Il est indéniable cependant que parallèlement à la
radicalisation du mouvement nationaliste marocain, l'activité
sioniste s'était considérablement développée au Maroc depuis
le départ de Lyautey et l'arrivée à la Résidence de Stéphane
Steeg qui permit ,à partir de 1926, la parution de l'Avenir Illustré.
Loin d'être une idéologie de combat, le sionisme marocain de
INFORMATION JUIVE Mars 2009 31
BONNES FEUILLES
cette époque semblait être une pâle copie du sionisme français
de l'entre-deux-guerres, un mouvement vaguement nationaliste
et prudemment politique passant le plus clair de son temps à
organiser des activités culturelles et sportives - ainsi que des
collectes de fonds pour la Palestine juive. Un sionisme distillé
à doses homéopathiques qui n'avait aucune volonté de préparer
les Juifs au " grand départ " vers la Terre Promise :
" C'est un sionisme interne, si l'on peut l'appeler ainsi que
nous avons cherché à faire connaître parmi notre populationexpliquait à ses lecteurs marocains Jonathan Thurtz, le directeur
de l'Avenir Illustré ; nous laisserons à d'autres communautés
moins heureuses que la nôtre et moins favorisées du destin, de
chercher dans le sionisme national un refuge trop nécessaire,
hélas ".
Ces explications ne désarmèrent pas les vives réactions que
ne cessa de suscita la parution de l'Avenir Illustré dans les
milieux nationalistes musulmans. Craignant un embrasement
Caire et au collège Al-Najah de Naplouse ou encore émissions
en arabe et en berbère de Radio-Stuttgart, Radio- Berlin et
Radio-Bari que l'on captait parfois jusqu'aux coins les plus
reculés du bled marocain grâce aux postes TSF dont le nombre
augmenta sensiblement au cours des années 1930. Sans en
exagérer l'importance, cette propagande eut certainement un
effet cumulatif qui, ajouté à la détérioration de la situation
générale , explique par exemple, la multiplication des mots
d'ordre de boycott , lancés sporadiquement à l'encontre des
épiciers et des artisans juifs, dans certaines grandes villes du
pays ; ou encore les demandes émanant de certains Caïds et
Pachas - dont celui de Marrakech- , réclamant, aux autorités
du Protectorat d'interdire aux Juifs de s'installer dans les médinas
ou d'employer, chez eux, des domestiques musulmanes.
Alourdie par des rumeurs émanant des journaux de l'extrême
droite française - sur l'imminence d'une Saint-Barthélemy des
Juifs marocains programmée pour la journée du Kippour 1934
(19 septembre), l'atmosphère était suffisamment inquiétante
pour inciter le journal nationaliste La
Volonté du Peuple qui remplaça pendant
quelques mois l'Action du Peuple,
suspendue, à ouvrir ses colonnes à des
personnalités juives . Mais si l'on excepte
cette initiative et les discours lénifiants des
responsables
officiels
des
deux
communautés sur la nécessités de préserver
l'amitié judéo- musulmane, les actions les
plus sérieuses contre le pourrissement des
relations entre Juifs et Musulmans vinrent
à la veille du second conflit mondial des
organisations politiques françaises de
gauche.
C'est ainsi qu'à l'initiative du président de
la LICA, Bernard Lecache fut fondé, en
juillet 1936, à Fès une Union Marocaine
des Juifs et des Musulmans groupant
quelques jeunes intellectuels des deux
communautés. L'année suivante, des juifs
Après l’indépendance : mes assemblée du judaïsme marocain
marocains ajoutèrent leurs signatures à une
pétition présentée par des Musulmans contre le plan britannique
général des relations entre Juifs et Musulmans à la suite de la
de partage de la Palestine. A partir de cette même années des
révolte arabe de Palestine (1936-1939), la Résidence interdit,
militants juifs de gauche participèrent à toutes les manifestations
en 1938, toute levée de fonds en faveur des fondations judéosocialistes et communistes en faveur de la libération des
palestiniennes. Deux ans plus tard, le sionisme fut interdit sur
dirigeants nationalistes jetés en prison ou déportés hors du
l'ensemble du territoire. L'Avenir Illustré se saborda en avril
Maroc par les autorités coloniales. Lors des troubles sociaux
1940 et son directeur fut prié de quitter le Maroc .
de 1936, des ouvriers juifs et musulmans prirent part à des
grèves communes souvent contre des employeurs juifs comme
Quant à la propagande allemande, elle redoubla d'intensité
les patrons des minoteries Lévy et Baruk de Fès qui les
après la prise du pouvoir par Franco en Espagne et l'envoi, en
menaçaient de licenciement pour adhésion à la CGT.
1937, de troupes allemandes à Melilla et à Ceuta(…).
Sans doute, est-il malaisé d'évaluer l'influence sur la
population musulmane de cette propagande d'inspiration
étrangère. Ses relais de diffusion étaient multiples et divers :
feuilles antijuives ronéotypées en France et en Algérie,
pèlerinages à La Mecque, séjours à l'université Al-Azhar au
32 INFORMATION JUIVE Mars 2009
Ainsi donc, malgré toutes les difficultés et en dépit de toutes
les oppositions, des îlots de coopération entre Juifs et
Musulmans continuèrent d'exister à travers le pays.
(Copyright Editions Perrin )
HISTOIRE
“La Bible et ses peuples
face aux archéologues”
M
ine spirituelle pour les croyants, la Bible
demeure un trésor tout aussi précieux
pour les chercheurs en sciences humaines,
et notamment les historiens et
archéologues qui découvrent en elle le
plus fantastique livre d’histoire jamais
écrit. Le plus énigmatique aussi. L’objectif de ce numéro spécial
Sciences et Vies est bien de présenter, dans une série d’articles,
une vue synoptique des diverses voies empruntées pour percer
l’énigme biblique. Passées au pinceau et à la truelle, les ruines
de Judée et de Samarie portent témoignage d’un foisonnement
de récits dont les scientifiques cherchent à restituer la cohérence.
La résolution de cette énigme prend les allures d’une course
vaine. Pourtant cette difficulté même semble accroître le zèle
et la passion des experts. Comme si chaque pierre examinée se
transformait aussitôt en une nouvelle pierre d’achoppement
face aux certitudes établies. La quête paraît interminable, mais
en contrepartie, elle laisse la voie libre à toutes les interrogations.
PAR LÉA PHILPOTT
et Edomites mitoyens: des récits d’assimilation, de cohabitation
et de conflits. Et ainsi, au cœur de ce « melting-pot » procheoriental, on voit surgir l’origine des langues sacrées, les apports
des dialectes locaux à l’araméen et à l’hébreu. On traverse avec
plaisir le temps et les lieux grâce à des reconstitutions de
Ces tentatives d'expliquer la Bible par
la science m'ont toujours plus amusé
que convaincu…
synthèse ainsi qu’à une iconographie abondante mais sélective.
De Babylone en Perse, jusqu’en Grèce, l’itinéraire suit les fils
qui rattachent les écrits bibliques, dont la rédaction s’échelonne
sur près d’un millénaire, aux établissements et renversements
d’antiques civilisations. Comme toute synthèse honorablement
bâtie, c’est grisant.
Qu’en est-il de la véracité des destins bibliques, ceux des
patriarches par exemple, où « le flou des origines » pose de
sérieuses complications aux chercheurs? Ces derniers voient
dans la migration et la
descendance d’Abraham «
une préhistoire pieuse d’Israël,
qui définit les frontières de la
nation et formule l’unité
fondamentale du peuple
hébreu par la métaphore d’une
famille unifiée ». Cette thèse
rejoint
celle
d’Israël
Finkelstein, auteur du fameux
La Bible dévoilée (éd.Folio) .
André Lemaire, professeur à
l’EHESS, qui signe ici un
article sur David et Salomon,
se demande quant à lui si « la
légende n’a pas totalement,
aujourd’hui, recouvert l’histoire
». L’enquête porte également
sur les prodiges contés dans l’Exode, comme dans ces pages
qui, traitant de l’ouverture de la mer Rouge, établissent les
diverses causes géophysiques susceptibles d’expliquer le miracle
des « eaux qui se fendent » ou encore celui des dix plaies
d’Egypte. En tant que cours de sciences naturelles, cela ne va
pas sans intérêt.
Quant à l’entreprise d’authentification des faits révélés, on
constate, on questionne, on compile et associe études, mythes
et vestiges. Les apories demeurent pourtant, irréductibles,
jusqu’à ce que la narration biblique se dissocie parfois
absolument
des
bilans
archéologiques in situ, comme
si la tentative de recoupement,
de justification, de légitimation
même, se révélait somme
toute vaine. Dans une courte
interview donnée à M.
Finkelstein à propos de la
démarche explicative du texte
biblique, on lit : « Selon moi,
les événements extraordinaires
rapportés par la Bible peuvent
porter la trace ici et là de
fragments de souvenirs, mais
totalement
transformés,
déformés de générations en
générations et recouverts
d‘intentions et de significations
diverses dont le but était toujours le même : témoigner de la
toute puissance de Dieu…Donc interpréter les événements décrits
par la Bible à la lumière des phénomènes naturels est un
contresens […]En conclusion, je voudrais dire que ces tentatives
d’expliquer la Bible par la science m’ont toujours plus amusé
que convaincu… »
La forme éditoriale choisie, partant du noyau hébraïque pour
ensuite s’élargir en cercles concentriques aux divers peuples
voisins et aux empires successifs ayant administré au cours des
siècles les régions de Canaan et de Transjordanie, offre
également d’édifiantes leçons d’histoire ancienne au confluent
de l’archéologie, de l’anthropologie et de la linguistique. Les
textes explorent les divers échanges qu’ont connus les Hébreux
avec Araméens, Philistins, Phéniciens, Moabites, Ammonites
Reste que l’ouvrage demeure fort didactique, plaisant à
parcourir, pédagogique à souhait dans sa claire et méthodique
cartographie, ses magnifiques clichés et son agréable mise en
page. En tant que revue de vulgarisation scientifique, on ne
peut attendre mieux d’un semblable panorama. Avec pour
bagage une culture érudite, il s’agit avant tout ici de s’instruire,
et de se situer, dans une structure socio-historique d’une
complexité inégalée.
INFORMATION JUIVE Mars 2009 33
EXPOSITIONS
Chronique
d'un rêve avorté
«
M
on art vient des livres que j’ai vus
sur les pupitres et dans les armoires
des synagogues, et que j’ai touchés
de mes mains pâles ». Par cette
confession, Marc Chagall peut
ainsi se faire le porte-parole de ses
confrères du shtetl, pionniers d’une aventure aussi méconnue
qu’exceptionnelle . Tous ne sont pas, comme lui, passés à
la postérité. El Lissitzky ou Altman, figures-phares d’une
riche et fascinante exposition que propose le MAHJ,
consacrée à l’avant-garde yiddish. Tous ont pourtant été
chacun à leur manière, et bien souvent œuvrant de concert,
les initiateurs et artisans d’une construction esthétique hors
du commun, tant au niveau artistique qu’intellectuel. La
portion d’histoire qui a vu surgir et s’amplifier cet élan inouï
s’étend de 1914 à l’irrémédiable brisure de 1939, gage de
l’oubli d’un trésor aujourd’hui révélé. Dans une Europe
orientale ghettoïsée, matérialisée en une « zone de résidence
», il s’agissait pour les jeunes artistes de l’époque de se
constituer une facture inédite : fidèle à un patrimoine
populaire et religieux séculaire -bien que nouvellement
redécouvert car victime, au long d’un XIXème siècle héritier
de la Haskalah, d’un désir d’assimilation rendant vite
amnésique- mais contemporaine et farouche partisane d’une
modernité en mouvement.
C’est en 1908 qu’est créée à Saint-Pétersbourg la Société
Juive d’histoire et d’ethnographie. Deux ans plus tard, une
expédition est organisée pour collecter les traces du legs juif
russo-polonais. L’écrivain Ansky est de la partie et puisera
au cours de l’entreprise d’exhumation le matériel narratif de
son illustre pièce, le Dybbouk (des extraits du film de
Waszynski tiré de l’œuvre d’Ansky sont projetés durant la
visite). Ce projet de grande envergure, qui s’inscrit dans le
souci de préservation d’une identité précaire, se poursuivra
en 1916 au cours d’une mission confiée à El Lissitzky et
Ryback le long du Dniepr, les deux peintres étant chargés
de croquer les gravures des pierres tombales et les motifs
ornementaux de plus de deux cent synagogues d’Ukraine et
de Biélorussie. Leur parcours les mènera jusqu’à la
synagogue de Mogilev, joyau d’un « art juif » avant l’heure.
C’est sous la voûte formée par le faîte de l’édifice que
s’inaugure l’itinéraire de l’exposition. Dans la salle, comme
pour faire revivre au visiteur la stupeur des deux hommes,
un écran suspendu en guise de toit déroule les images du
magistral plafond réalisé par Hayyim Ben Isaac Segal de
Sloutsk, peintre de synagogues du XVIIIe siècle dont Chagall
se voulait le descendant. Le bouleversement suscité par cette
découverte inspire à Lissitzky l’idée d’un art typiquement
juif, par l’intermédiaire notamment de la lettre hébraïque et
de sa « plasticité », tout en se portant garant de nouveaux
courants tels le cubisme, le constructivisme ou
l’expressionnisme. Quand Lissitzky relate en 1923 son arrivée
à la synagogue de Mogilev, cela donne : « C’est un art qui
34 INFORMATION JUIVE Mars 2009
PAR LÉA PHILPOTT
est à l’opposé du primitif, c’est le fruit d’une grande culture
». De cette déclaration au manifeste, il n’y a qu’un pas : «
A l’heure actuelle, alors qu’un peuple de culture se reconnaît
au fait d’avoir une littérature imprimée, des journaux et des
revues, son propre théâtre, sa peinture, sa musique, etc. -nous
avons tout cela, nous sommes donc nous aussi un peuple de
culture. Il ne nous manque plus que de brillantes lettres de
noblesse. » Le ton est donné, le pari lancé. En privilégiant
l’objet-livre comme incarnation principale de cette
renaissance, les avant-gardistes yiddishophones avancent
un postulat : le livre pour enfant demeure le meilleur moyen
de fournir aux masses une éducation esthétique aussi bien
qu’un socle culturel commun. Dès lors, on suit le déroulement
des pages, tantôt stylisées à l’encre noire, tantôt vivement
colorées, dont le Sikhes Khulin (« Conversation courante »)
d’El Lissitzky offre l’exemple abouti. Pour y inscrire le sceau
de la tradition, l’artiste a adopté le support formel d’une
megilah et a demandé à un sofer de calligraphier le récit.
Dans son sillage, mais dans un style tout différent, Ryback
illustre à la manière enfantine un livre de contes ; langage
de l’enfance qui, reflet de l’essentiel, parlerait au plus près
à l’âme populaire.
Langage de l'enfance qui, reflet de
l'essentiel, parlerait au plus près à
l'âme populaire.
Un foisonnement de talents se retrouve pour débattre et
créer dans les années 20, au sein de nouvelles revues comme
Yung-Yidish, Khaliastre, Troyer ou Albatros, organes divers
prônant un rassemblement de tous les arts sous l’égide
fédératrice de la langue yiddish en plein renouveau.
Parallèlement, un centre de culture juive est créé en 1918 à
Kiev, la Kultur Lige, promotrice d’initiatives variées dans tous
les domaines de l’art : littérature, théâtre, musique et beauxarts, et moteur d’édition du livre yiddish. Heureuse époque
où le projet fut alors soutenu par le gouvernement ukrainien.
Ce bouillonnement aura duré un bref instant, à la mesure
peut-être de son intensité : le 12 août 1952, alors que presque
tout de cette folle épopée avait disparu dans l’anéantissement,
des poètes yiddish sont fusillés dans la cour de la Loubianka
à Moscou, comme ennemis du régime.
Mais la lettre hébraïque, de même que le souvenir, sont
récalcitrants. Il en résulte un très beau livre, tout à l’honneur
de ceux parcourus lors de la visite, catalogue d’exposition
au rare mérite de pédagogie et d’exhaustivité (Flammarion,
49€). Plus qu’un bréviaire, c’est toute une histoire de l’art
autant qu’un pan de mémoire qui sont retracés ici, à portée
de celui qui s’accorde à dire, avec Oser Warzsawski, que «
chacun de nous s’élance vers les lointains, mais une part de
nous-mêmes reste, pour toujours, liée à l’origine
LIVRES
Le Marchand de lunettes
et mes autres histoires juives
Adam Biro
OOO Quel juif n'est pas friand de witz, de
bonnes et belles blagues? Quel juif ne se
sent pas grandir en les racontant à son tour
devant un auditoire attentif et émerveillé?
Seulement, il y a conter et ... conter. C'est
une science, un savoir-faire, un art de
vivre, disons un art tout court dans lequel
notre auteur excelle. Son héros, le Juif, est
à la fois " cible " et narrateur, ses acteurs
favoris sont Kohn et Grün, mais peuvent
indifféremment endosser les fringues de
Moïse et Shlomo, de Derek et Clint (A witz
for all season), de Loewinger Leopold et Schönberger Izrael
selon le lieu géographique et le temps qui passe. Ce lieu
géographique de prédilection reste la bien-aimée Hongrie
natale de notre conteur, mais la terre est ronde et Paris ou NewYork sont aujourd'hui la porte d'à côté! Jeux de phrases, jeux
de mots, chutes vertigineuses ou attendues, les thèmes de ces
histoires traitent tour à tour de philosophie, d'antisémitisme,
d'entraide, d'argent - le cher argent - , de la famille - sublime
louange de la plainte (Des enfants) et bien sûr du reste sans
oublier le Créateur et les rabbins.
Il faut s'en imprégner, s'y immerger, et, comme le suggère
si bien Adam Biro en guise de conclusion, les apprendre pour
pouvoir, à notre tour, les raconter et les préserver de l'oubli.
(Editions Belfond - 18€)
TEL-AVIV sans répit
Ami Bouganim
OOO Tel-Aviv vient de faire son entrée dans
la collection " Autrement - Villes en
Mouvement ". Tel-Aviv - la Colline du
Printemps - fêtera cette année le centenaire
de sa création. Ville insolite en perpétuel
devenir, fière de ses origines et avide de son
dépassement. Dans une belle introduction
très fouillée notre auteur remonte
l'historique de la cité, de l'émergence des
petits quartiers d'autrefois à nos jours. Il
rappelle la foi et l'enthousiasme d'Akiba
Aryeh Weiss qui, le 11 Avril 1909 sur une éminence, futur
embryon de la ville, face à la mer, fit tirer au sort au moyen de
ses coquillages de couleur leur lopin de terre aux 60 sociétaires
de son association, suivi du débat pour attribuer un nom à la
ville. C'est sur cette même éminence, future maison du maire
Méïr Dizengoff, puis Musée d'Art que David Ben Gourion
proclamera l'indépendance de la nation d'Israël. La ville
s'érigera de main d'hommes luttant contre l'épuisement
physique et psychique vu l'environnement, dans un étonnant
mélange de styles : blancheur des constructions, utopie du
Bauhaus, architecture miniature des capitales européennes,
tours futuristes mais surtout contre la forme des ghettos
d'autrefois, dans l'espoir d'une " ville aérée ", moderne à tout
va, vibrante de toutes les passions avouées ou non.
Pour illustrer les " séquences " habituelles de cette collection,
Ami Bouganim a convoqué et analysé une palette
représentative d'acteurs : ancien ministre, pêcheur, directeur,
rabbin, journaliste, conservateur de musée, poète. De chacun
émerge une vision et une expression unique du tourbillon
perpétuel de la cité.
Un superbe travail, superbement illustré par les photos noir
et blanc de Moti Milrod
(Editions Autrement - Villes en Mouvement - 23€)
Les trompettes d'argent
Sébastien Allali
OOO L'auteur nous offre un ouvrage à la
fois érudit et d'une écriture limpide. Traiter
de la responsabilité de l'Homme dans
l'optique du judaïsme est un vaste sujet.
Mais qu'est l'Homme vis-à-vis du
Créateur? Un sujet soumis? Un simple
exécutant? Que non, répond Sébastien
Allali en citant nos textes, l'Homme est bel
et bien le partenaire du Créateur, debout
face à lui. Dieu s'étant " retiré " du monde,
c'est à lui qu'incombe de parachever le
travail de la Création, c'est son rôle sur cette terre, sa possibilité
de donner un sens à sa vie et de permettre aux étincelles de
la lumière de jaillir. Pour ce faire, le rôle des Sages est
primordial dans " l'élaboration " de la Loi à appliquer sur cette
terre. Le cri de Rabbi Josué " La Torah n'est pas dans le ciel "
en reste une des plus célèbres applications.
Un livre à la portée de tout lecteur avide de connaissance
(Editions Lichma - 19,90€)
La fin de l'innocence
La Pologne face à son passé juif
Jean-Yves Potel
OOO Lieu exécutoire de la plus terrifiante,
de la plus inimaginable tragédie de tous
les temps, comment la Pologne fait-elle
face à son passé? Depuis une décennie et
demi, depuis l'intégration de la république
dans l'Union Européenne, les recherches
sur ce passé sont ouvertes et les documents
d'archives accessibles. Les nouvelles
générations posent les questions qui les
interpellent, tentent de comprendre,
de réparer. Des noms torturent nos
mémoires : Lodz, Lublin, Cracovie, Varsovie, Auschwitz et
Birkenau, le massacre de Jedwabne. Jean-Yves Potel mène
une enquête minutieuse, remonte le cours de ce passé si
présent, parcourt villes et villages, interroge les témoins encore
vivants, s'intéresse aux médias, rassemble un maximum de
documents, et veut transmettre afin que jamais plus...(Editions
Autrement - Collection Frontières - 22€)
Odette Lang
INFORMATION JUIVE Mars 2009 35
HOMMAGE
Shlomo Carlebach, l'homme
qui incarnait la yiddishkeit
L
e vendredi soir et durant toute l’année, il n’y a
plus de places assises. Le temple étroit et tout en
longueur déborde souvent d’une foule qui peut
aller jusqu’à trois cents personnes. D’un côté de
la mehitza lambrissée, les femmes se rassemblent,
certaines tête couverte et en jupes longues,
d’autres tête nue et en pantalons. Les hommes sont en jeans et
tee-shirts ou portent des costumes – et on distingue même
quelques streimels…
Qu’ils soient fortunés ou sans domicile fixe, qu’ils se cherchent
ou qu’ils soient enracinés dans la tradition, les fidèles sont attirés
à la Carlebach Shul, comme on appelle affectueusement la
Congrégation Kehilath Jacob de New York, par l’héritage
musical et spirituel de son célèbre chef, le rabbin Shlomo
Carlebach.
Quatorze ans après le décès de Carlebach à l’âge de soixanteneuf ans – il mourut le 20 octobre 1994 -, son influence est forte:
des légions de disciples le considèrent comme l’un des trentesix justes cachés du monde. De la Russie à Singapour, dans la
plupart des synagogues d’Amérique et d’Israël, la musique de
Carlebach est partout, même quand ceux qui la chantent ne
savent pas qu’il en est l’auteur, ou même qui il était, transformant
des lieux de prière en vibrants happenings spirituels où l’on
danse sans retenue et où on se recueille les yeux clos.
«Depuis Carlebach, on s’attend lorsqu’on se rend à un office,
à ce que le cœur s’ouvre et que l’esprit s’élève», dit Jay
Michaelson, trente-sept ans, écrivain et professeur : «Il incarnait
la Yiddishkeit.»
Carlebach a été un rabbin orthodoxe qui embrassa des causes
féministes et avancées tout en transmettant la sagesse
hassidique. Son impact s’est propagé dans la prière juive
contemporaine, qui va vers l’autre et apaise. Quelques sites de
rencontre juifs, tels que www.frumster.com, proposent même
un ensemble d’observances religieuses appelées «
carlebachiennes », impliquant ouverture et orientation
spirituelles.
«Il serait difficile de trouver un chef spirituel juif de moins de
soixante ans qui n’ait pas été influencé par Carlebach»,
remarque Michaelson. «Ce serait comme trouver un leader du
mouvement des droits civiques qui n’aurait pas été influencé
par Martin Luther King.»
Chez Carlebach le mélange de chansons populaires et de
niggunim hassidique a révolutionné la musique juive. Ses
chansons emblématiques vont de sa toute première Od Yishama
(incontournable aux mariages) à Ve-ha’er Einenu, popularisée
36 INFORMATION JUIVE Mars 2009
PAR RAHEL MUSLEAH
par le Festival de la Chanson hassidique israélienne en 1969,
et à Am Yisroel Chai, devenu l’hymne du mouvement Juifs
Soviétiques.
À l’heure actuelle, il existe même un spectacle, Shlomo : la
nouvelle comédie musicale, dont la première a été donnée en
avril au Musée de l’héritage juif – Mémorial Vivant de
l’Holocauste, à New York. « Avec son talent fulgurant, son
incroyable charisme, son amour sans limite et son authentique
érudition juive, Carlebach a réinventé l’expérience juive », dit
Danny Wise, auteur dramatique et producteur. La comédie
musicale de Wise fait revivre l’homme Carlebach, depuis sa
naissance à Berlin, sa fuite avec sa famille de l’Europe occupée
par les Nazis jusqu’à New York et son ascension au statut de
rock star. C’était le rabbin hippie qui respirait l’amour et guidait
les âmes tourmentées. Dans la chanson qui ouvre le spectacle,
l’acteur principal David Rossmer chante : « Dans cette maison
d’amour et de prière/ qu’on se mette enfin à faire le bien / élevez
la voix et préparez-vous /à guérir un cœur brisé. »
« Il se demandait : «Si je n’avais que deux mots à dire à
quelqu’un, que dirais-je ? » nous raconte Wise, qui connaissait
bien Carlebach. «Il demandait alors : «Savez-vous où est Dieu?»
et de répondre : «Partout où vous Le laissez entrer.» Ou
encore : «Vous êtes le plus haut des hauts.» Les histoires
Carlebach s'est consacré à revigorer
la spiritualité juive et a été un pionnier
d'activisme rabbinique
abondent de gens qui, grâce à Carlebach, non seulement se
sont mis à l’observance religieuse, mais changèrent aussi
complètement de vie. «C’était un troubadour itinérant», dit le
rabbin et musicien Moshe Shur, qui a accompagné Carlebach
en tournée.
Carlebach a rendu le judaïsme accessible à un public qui
aurait pu rester indifférent, ajoute Michaelson, mais il a «
toujours affirmé qu’il était sincère dans sa foi… La leçon à en
tirer aujourd’hui est de ne pas édulcorer notre propre tradition
spirituelle, mais de la communiquer dans son authenticité.»
Michaelson se souvient d’avoir attendu longuement que
Carlebach dirige une session éducative un soir en semaine dans
une synagogue de Jérusalem, en 1994. Comme à son habitude,
Carlebach avait deux heures de retard. «Mais quand il est entré
dans la pièce, ça a été… magique», se rappelle Michaelson. «Il
y a eu un courant d’amour et d’énergie qu’il semblait pouvoir
exploiter»
HOMMAGE
Né dans une famille de rabbins orthodoxes, Carlebach s’est
imprégné de la Torah dès l’enfance. Une scène d’ouverture de
la comédie musicale dépeint l’histoire vraie d’un Shlomo âgé
de cinq ans qui avait disparu et que l’on a retrouvé dans l’Arche,
entourant de ses bras et de ses jambes un rouleau de la Torah.
Il a été reconnu comme un génie du Talmud, adolescent, à
l’ultra-orthodoxe Beth Medrash Govoha du rabbin Aharon Kotler
à Lakewood dans le New Jersey, mais il partit suivre son frère
jumeau Eli Chaim, à Chabad-Lubavitch, choisissant un travail
de terrain plutôt que de poursuivre ses études.
l’Holocauste : «Le judaïsme apparaissait terriblement mal en
point, torturé par l’assimilation, le vide et un nombre croissant
d’âmes tourmentées. Après la disparition de six millions de
personnes… il était impératif de sauvegarder chaque étincelle
et… de sauver chaque juif survivant.» Carlebach a défini le
judaïsme comme une religion de bonheur et d’amour, dit
récemment Sarna dans une interview. «Avant que n’existe
l’expression s’ouvrir à l’autre, il la mettait en pratique.»
Là où Reb Shlomo innovait, c’était dans l’expression joyeuse
et spécifique de sa foi, qui a servi à guider des
générations après lui, selon Judah Cohen, spécialiste
de musique juive à l’université d’Indiana à
Bloomington. «Il y a une aspiration ardente dans sa
musique», dit Cohen, «l’aspiration d’une âme à
atteindre le divin. Il a donné aux gens l’impulsion…
pour qu’ils composent leur propre musique et fassent
entendre leur voix.»
«La brièveté des textes et le style hassidique
volontairement répétitif des chansons qu’il écrivait et
chantait… ont été la clef de ses efforts d’ouverture à
l’autre et ont permis aux personnes sans éducation
juive dans son public d’être partie prenante dans
l’écriture de la musique», écrit Marsha Bryan Edelman,
professeur de musique et de pédagogie au Collège
Gratz de Philadelphie et auteur de À la découverte de
la musique juive (Jewish Publication Society). En
conformité avec la notion hassidique selon laquelle
les mots étaient secondaires par rapport la musique
et qu’ils entravaient parfois la vraie communication
avec Dieu, les nouvelles mélodies faciles à retenir ont
encouragé les juifs américains à intégrer ces chansons
dans leurs offices. Elle écrit : «Pour beaucoup, ça a
été parmi leurs plus fortes expériences juives…»
Shlomo Carlebach
En 1949, le rebbe Lubavitcher, Yosef Yitzhak Schneersohn,
l’envoya lui et Zalman Schachter-Shalomi, futur père du
mouvement Renouveau Juif, sur des campus universitaires
comme émissaires. Tous deux conclurent que pour ramener les
juifs au judaïsme, il leur fallait rompre avec quelques aspects
de la tradition, en particulier ce qui concerne les femmes, et en
fin de compte ils quittèrent Chabad…
Carlebach s’est consacré à revigorer la spiritualité juive et a
été un pionnier d’activisme rabbinique, épousant, par exemple,
la cause des Noirs d’Afrique du Sud. L’historien Jonathan Sarna
écrit dans Le judaïsme américain (Yale University Press) qu’après
Dans la tradition des leaders charismatiques du
hassidisme, Carlebach a été idéalisé, dit Michaelson,
mais d’une façon qui «simplifie et déforme sa
personnalité complexe et controversée. En dépit de
tous ses défauts, Reb Shlomo a créé un courant dont
les portes sont grandes ouvertes.» La yeshiva de
Carlebach, Simchat Shlomo à Nahlaot, à Jérusalem,
accepte les hommes et les femmes d’origines diverses
pour l’étude des textes et leur apprentissage actif. Pour
répondre à sa vision d’un «judaïsme spirituel traditionnel en
dialogue constant avec le monde moderne complexe dans lequel
nous vivons», ses cours vont de la Mishna, de la Kabbale aux
«Secrets de joie» et à «Torah et écologie». Sur son site internet
on trouve cette citation de Carlebach : «La bonne yeshiva est
un endroit où il y a tant d’amour que c’en est terriblement
impressionnant. Dieu nous a donné la Torah avec tellement
d’amour que si je veux transmettre la Torah à mes enfants, çela
doit se faire de la même façon…»
(Extrait de Hadassah Magazine. Traduit de l’anglais et adpaté
par Hermance Triay )
INFORMATION JUIVE Mars 2009 37
L’HUMOUR DES SENS
Cheminements
de l'humour juif
PAR ALAIN BARCHECHATH
L'humour est habituellement défini comme une forme d'esprit qui consiste à présenter
la réalité de façon insolite, destinée à provoquer un sourire de connivence. Nous retrouvons
ainsi certains traits communs aux humours qui ne sont par ailleurs pas utilisés de façon
" pure " par leurs auteurs.
Laissons de côté les techniques qui habillent les histoires et leur donnent leur sel. En
quoi l'humour juif se différencie t il fondamentalement des autres humours reconnus
tels l'humour anglais, l'humour noir et le jeu des mots d'esprit?
Du sens de la vie au sens dessus-dessous de
l'humour
Dans toutes les sociétés humaines, l'univers
a un sens. Dans le judaïsme par exemple, il
doit permettre à l'homme d'améliorer, de
parachever la création par sa propre action, en pratiquant la
vertu et la justice. C'est sur une base supposant au préalable
des valeurs que peut surgir un humour qui a pour fonction
d'annuler, de déconstruire, de détourner le sens initial.
Dans l'expression " sens de l'humour ", le terme sens est
habituellement synonyme de direction, mise en mouvement.
Toutefois, l'humour est aussi de l'ordre du sens caché et nous
interpelle sur la signification des choses. L'humour travaille
ainsi sur le sens du sens de l'histoire avec un petit h, ce que
certains appellent contre-sens, détournement de sens, nonsens, déconstruction du sens ou perte du sens.
L'ironie, du sens prioritaire au sens unique
L'humour, dans son rapport à l'altérité, se
place dans un rapport de contradiction avec
l'ironie qui ne fait qu'annuler un sens au profit
d'un autre. En effet, l'ironie - en riant du
malheur d'autrui sous le masque du sérieux- suppose la
certitude de sa position face aux autres. Elle est l'arme du
A l'inverse, l'humour ne s'adresse pas, comme l'ironie, à
une personne précise dans l'intention de l'inférioriser. Pour
rester dans la belgitude, nous sommes bien loin de cette
histoire juive :
" L'adjudant belge passe en revue les nouveaux appelés.
Il hurle 'les flamands d'un côté, les wallons de l'autre. Le
soldat Rabinovitch sort du rang : 'et les Belges alors ?' "
L'humour vise toujours de façon anonyme et impersonnelle
une situation, un thème, une préoccupation collective. Selon
Freud, le processus de l'humour peut s'accomplir à l'intérieur
d'une unique personne, la participation d'un autre ne lui
ajoute rien de nouveau.
L'humour consiste ainsi à relativiser sa propre situation,
et à partir de la, se moquer de soi-même et des autres au
regard de cette prétention incroyable que nous avons tous
de survivre jusqu'au lendemain.
Quels chemins différents prennent donc les différents
humours ?
Un chien, que son maître emmène
au cinéma, rit aux éclats pendant
tout le film. Un spectateur s'en étonne.
C'est d'autant plus étonnant,
fait remarquer son maître, qu'il n'a pas
tellement aimé le livre !
L'humour noir, du sens tragique au non-sens
L'humour noir part du postulat du sens
tragique de la vie et ainsi de la certitude du
malheur, de la maladie, de " la mort devant soi
"-Il exploite donc des sujets dramatiques et tire
ses effets comiques de la froideur et du cynisme. La mort est
la seule certitude tangible dans ce monde où Dieu serait mort
et où seuls subsistent le vide, le désenchantement du monde.
Dans cette perspective, l'humour est ainsi " la politesse du
désespoir ".
Témoin ces quelques remarques noires de Guy Konopnicki
: " D'ailleurs, quand on a été au pèlerinage d'Auschwitz, ils
ont été très corrects, on a pu sortir du camp comme on
voulait. (….) C'est vrai que tu es même entré dans la chambre
à gaz sans qu'ils ferment la porte. "
fort et suppose un complice et une victime. En témoignent
ces histoires sur les belges :
" Comment peut-on grièvement blesser un Belge à
distance? En lui téléphonant pendant qu'il repasse son
linge. "
" Le belge John Matisse a réussi à tirer une locomotive à
la seule force de ses dents sur une distance de cent cinquante
mètres. A notre connaissance, c'est la première fois qu'un
belge s'appelle John. "
L'humour anglais, du sens apparent au "
nonsense "
Outre le jeu sur l'écart entre un
environnement hyperboliquement hostile et
une attitude flegmatique de réaction
(l'understatement), l'humour anglais est fondé sur le "
nonsense ", lui même reflet de la croyance en l'absurdité de
la condition humaine.
Voici quelques exemples de cet état d'esprit :
38 INFORMATION JUIVE Mars 2009
L’HUMOUR DES SENS
" Quand une bombe de cent mille mégatonnes tombe dans
sa tasse de thé, un anglais reste plongé dans son journal et
dit Hum, ça se couvre. " (Pierre Desproges)
" Deux vieilles anglaises sont en train de prendre leur
habituel whisky dans le bar du Titanic. On entend un fracas
épouvantable, tout est renversé, l'avant d'un énorme iceberg
pénètre dans le bar, et l'une des deux dames remarque : J'ai
demandé de la glace, mais ceci, franchement, frise le
ridicule."
" Un chien, que son maître emmène au cinéma, rit aux
éclats pendant tout le film. Un spectateur s'en étonne. C'est
d'autant plus étonnant, fait remarquer son maître, qu'il n'a
pas tellement aimé le livre !
Le mot d'esprit, du sens commun au sens
logique des mots
Si l'humour anglais raffole du comique de
situation qui met en scène l'absurde, le jeu de
mots d'esprit se nourrit de la raison et la
logique de l'aristocratie intellectuelle dans la recherche du
comique des mots. Il s'agit de traquer le non-sens des mots
ou des expressions pour rire de leur illogisme. Même si, pour
Raymond Devos, " au-delà du simple jeu de mots, il faut que
le mot d'esprit calque le jeu de mots sur le trait de vérité à
révéler. "
En voici quelques exemples tirés des écrits de Pierre
Dac :
"Les voies qui ne sont ni en sens unique, ni en sens interdit,
ni à double sens, n'ont aucun sens parce qu'elles vont dans
tous les sens. "
"Dans le domaine judiciaire, si les prévenus l'étaient à
temps, le banc des accusés
serait souvent vide. "
"La mort n'est en définitive
que le résultat d'un défaut
d'éducation, puisqu'elle est
la
conséquence
d'un
manque de savoir-vivre.
L'humour
juif, du sens
incertain au
sens multiple
Outre
le
souci du grand écart entre
les principes -Un Dieu
Unique et son peuple Eluet la réalité vécue de la
persécution -Un Dieu inique
et son peuple exclu-,
l'humour juif dénonce
l'idolâtrie du mot fétiche, les
mots pris à la lettre dans la
fixité d'un sens unique.
Selon Popek, " L'humour juif,
c'est de faire rire avec une
histoire qui a un double sens et qu'on ne comprend qu'à
moitié. ". Le sens serait sans cesse de l'ordre d'une création
subjective vivante, d'une interprétation renouvelée de la
confusion des sens. Nombre d'histoires juives ne se
terminent-elles pas par un point d'interrogation ou par une
fin qui laisse libre cours aux interprétations ?
En voici quelques exemples significatifs
"Le jour de Yom Kippour, lorsque chacun doit faire l'effort
de se réconcilier avec qui il s'est fâché durant l'année passée,
Moshé s'approche de Yankel : Je te souhaite tout ce que tu
me souhaites. A quoi Yankel répond : déjà tu recommences?"
"-Rabbi, je veux mourir -Mourir n'est pas une solution Vivre ! Il me faut donc vive ? Vivre n'est pas une solution…
L'humour juif ne se retrouve pleinement
ni dans le sens de l'absurde de
l'humour anglais, ni dans la raison des
mots d'esprit. Son goût pour la vie le
tient aussi éloigné de l'humour noir.
- Alors Rabbi quelle est la solution ? Mais qui t'a dit qu'il y
avait une solution ? "
"Quels sont les grands penseurs juifs qui ont-il influencé
l'humanité ? Moïse pour qui tout est dans la loi, Jésus pour
qui tout est dans l'amour, Marx pour qui tout est dans l'argent,
Freud pour qui tout est dans le sexe, enfin Einstein pour qui
tout est relatif…"
En conclusion, l'humour fait le chemin
inverse des interprétations sérieuses qui vont
du non-sens au sens. Comme on l'a déjà
remarqué , les modèles des autres humours
peuvent être résumés successivement par le
principe de certitude des horreurs de la vie, de certitude de
l'absurdité de la condition humaine, de certitude de la raison
humaine. L'humour juif ne se retrouve pleinement ni dans
le sens de l'absurde de l'humour anglais, ni dans la raison
des mots d'esprit. Son goût pour la vie le tient aussi éloigné
de l'humour noir. N'est-il pas l'humour ultime avec ses
incertitudes assumées -le " je sais que je ne sais rien "
socratique- et ce questionnement répété qu'il doit bien y
avoir un sens ?
A.B
INFORMATION JUIVE Mars 2009 39
CINEMA
Quand Téchiné nous plonge
au cœur du mensonge
S
i l'on pouvait légitimement
avoir quelques craintes, de
prime abord, face au
nouveau film d'André
Téchiné, force est de
reconnaître que ce dernier
continue de creuser avec la même
maestria le sillon si fertile qui est le sien,
à savoir celui des égarements et des
tourments juvéniles.
PAR ELIE KORCHIA
petit ami - avant de se voir condamnée à
une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis pour "dénonciation
de délit imaginaire".
Prenant le soin de rappeler que "les
personnages sont totalement fictifs et seul
le point de départ de l'histoire est
véridique", André Téchiné a donc décidé
de s'inspirer très librement de ce fait
divers sur-médiatisé qui avait déjà servi
de postulat à une pièce de théâtre de
l'écrivain Jean-Marie Besset (RER) en
2006.
Exposé de façon limpide et didactique,
le film s'articule ainsi autour de deux
grandes parties, telle une tragédie en
deux actes, à savoir tout d'abord " Les
circonstances" ayant entraîné le mensonge du personnage incarné par Emilie
Dequenne (impressionnante dans le rôle
de Jeanne) et " Les conséquences " qu'un
tel mensonge peut provoquer pour son
entourage ainsi que pour la société.
En effet, tout en plongeant le spectateur
dans les affres d'un sordide fait divers, le
célèbre metteur en scène des Roseaux
sauvages (César du meilleur film en 1995)
parvient à n'en conserver que la trame
initiale et s'en échappe intelligemment,
afin d'aboutir ici à une subtile fable
sentimentale et sociologique.
Le point de départ de l'histoire remonte
donc à ce jour de juillet 2004 où une
jeune femme âgée de 23 ans, déclare à la
police avoir été agressée par six hommes,
alors qu'elle voyageait avec son bébé sur
la ligne D du RER et affirme que, la
croyant de confession juive, ces individus
lui auraient coupé les cheveux, lacéré ses
vêtements ainsi que son visage, et dessiné
trois croix gammées sur le ventre.
Or, après que la machine médiaticopolitique se soit emballée d'une façon tout
à la fois hâtive, excessive et dangereuse,
la jeune femme devait confesser trois
jours plus tard avoir tout inventé - pour
attirer l'attention de sa mère et de son
40 INFORMATION JUIVE Mars 2009
Mais la qualité principale du film, outre
son judicieux et remarquable casting,
réside dans la façon dont le scénario est
brillamment construit et dans les trois
relations qui nous sont contées au travers
du parcours de cette Jeanne mythomane.
En effet, à côté de la
relation quasi fusionnelle
qu'elle entretient avec sa
mère, Louise, (Catherine
Deneuve, comme toujours
parfaite chez Téchiné) garde
d'enfants dans le pavillon
qu'elle habite à la lisière de
la ligne de RER, Jeanne va
nouer
une
relation
amoureuse avec Franck
(Nicolas
Duvauchelle,
épatant) jeune lutteur de
haut niveau, qui rêve de
devenir professeur de sport mais qui,
pour les beaux yeux d'une dulcinée qui
a cruellement besoin d'argent, va se
trouver embarqué dans une combine qui
finira nécessairement mal, à l'image des
histoires d'amour chantées par Les Rita
Mitsouko.
Enfin, André Téchiné s'attache à
dépeindre l'univers haut en couleurs de la
famille Bleistein, qui va se retrouver au
cœur du récit, et ce alors que le chef de
famille, Samuel, (interprété par Michel
Blanc) est à la fois un avocat renommé et
l'un des principaux porte-parole d'une
communauté juive confrontée à de
nombreux actes antisémites.
La force de l'histoire est finalement due
à ces différents axes d'approche, qui se
relient savamment les uns aux autres,
Louise et Samuel Bleistein s'étant connus
durant leur jeunesse, à une époque où la
mère de Jeanne avait repoussé les avances
du futur ténor du barreau.
Et une génération plus tard, la jeune
fille, qui cherche un emploi tout en se
cherchant tout court, est donc
recommandée par sa mère auprès de
l'avocat parisien, qui a lui-même des
problèmes personnels à régler entre son
fils et son ex belle-fille (Ronit Elkabetz,
envoûtante), notamment autour de la
préparation de la bar-mitsva de son petitfils…
Certes, d'aucuns pourront regretter que
Téchiné, qui avait à cœur de rester à
distance de l'enjeu sociétal et politique, se
soit contenté d'une nouvelle étude de
mœurs, certes brillante mais quelque peu
déshumanisée, ne voulant à aucun
moment "juger" son héroïne et souhaitant
avant tout "préserver son caractère
énigmatique".
Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là
d'un exercice de style réussi autour de
thèmes rarement abordés de la sorte au
cinéma, comme celui de l'inconscient
collectif ou encore de la recherche
éperdue de notre identité profonde.
COURRIER
Pas sorti de l'auberge
A l'heure où je vous écris, le gouvernement
israélien n'est pas constitué. M.Netanyahou
est en train de le former et on dit que le
portefeuille des Affaires étrangères serait
confié à Avigdor Libermann. Cette
perspective me plonge dans des réflexions
désabusées. A quel type de paix, ce Monsieur
peut-il conduire ? Qui parmi ses collègues
occidentaux peut-il, en vérité, le prendre au
sérieux ? A qui pourra-t-il faire croire, après
les déclarations intempestives qu'il a pu faire
au sujet de l'Egypte et des Palestiniens, qu'il
est l'homme dont les deux peuples, israélien
et palestinien, ont besoin aujourd'hui ?
Bref, on n'est pas encore sorti de
l'auberge…
Georges Halimi
Marseille
L'affaire Al Doura
La chaîne de télévision publique
allemande ARD a diffusé mercredi 4 mars
2009 un documentaire qui confirme que le
reportage diffusé par France 2 le 30
septembre 2000, ne représente pas la réalité
qu'il prétend montrer.
Voici les éléments révélés, ou confirmés,
par ce documentaire:
Grâce à une analyse biométrique des
visages, il a été prouvé que l'enfant filmé par
France 2 n'est pas celui montré à la morgue
de Gaza et enterré plus tard. Les sourcils et
les lèvres des enfants diffèrent complètement.
L'équipe de télévision allemande a utilisé la
technique de lecture labiale (afin de lire sur
les lèvres du père de l'enfant). Elle a ainsi
pu découvrir que Jamal al Doura donnait des
instructions à des personnes se trouvant dans
la direction du caméraman de France 2.
L'enfant filmé par France 2 déplace un chiffon
rouge de façon inexpliquée. Dans le
reportage de France 2, il n'y a pas de sang
sur les corps de Mohamed et Jamal al Doura
alors qu'ils sont censés avoir reçu 15 balles
à eux deux.
A de nombreuses reprises, Charles
Enderlin et son caméraman, Talal Abou
Rahma, se sont contredits, notamment au
sujet de la durée du film tourné. L'enfant mort
présenté aux obsèques comme étant
Mohamed al Doura est en fait arrivé à
l'hôpital avant 10 heures, alors que la scène
montrée par France 2 a été tournée après
14h30. La presse allemande a largement
rendu compte de ce reportage, notamment
le prestigieux Frankfurter Allgemeine
Zeitung qui y a consacré deux articles.
G.C
Courriel
Bibi à la BBC
Même ceux qui n'ont pas voté pour
Benyamin Netanyahu pourront apprécier
cette interview qu'il a récemment donnée à
la télévision britannique, et dont les réponses
peuvent s'expliquer par ses études à Harvard.
Interviewer : Comment se fait-il que tant
de Palestiniens aient été tués lors du dernier
conflit à Gaza ?
B. Netanyahu : Vous êtes sûr de vouloir
commencer votre interview dans cette
direction ?
Interviewer : Pourquoi pas ?
B. Netanyahu : Parce que pendant la
Seconde Guerre mondiale, il y a eu plus
d'Allemands tués que d'Anglais et
d'Américains réunis, mais personne ne doute
que cette grande guerre soit le fait de
l'agression allemande. Et en réponse au Blitz
allemand sur la ville de Londres, vous les
Anglais vous avez entièrement rasé la ville
de Dresde, exterminant plus de 600 000 civils
allemands soit plus que le nombre des
victimes tuées à Hiroshima. De plus, dois-je
vous rappeler qu'en 1944, quand la Royal Air
Force a tenté de bombarder les immeubles
de la Gestapo à Copenhague, plusieurs
bombes ont raté leur objectif et ont atteint un
hôpital danois pour enfants, en tuant 83
d'entre eux.
Rachel Bartel
Courriel
Précision
Dans l'article "Les traces de l'Internationale
andalouse" (Information Juive de janvier dernier), il convient de citer également parmi les
fondateurs de l'Institut Maïmonide de Montpellier, notre ami Guy Zemmour, président
délégué.
CARNET
Mariage
OOO Notre
ami Philippe Meyer, administrateur
du Consistoire de Paris, gérant et directeur de
la publication du journal Information juive, a
épousé Mlle Vanessa Tordjman. La bénédiction
nuptiale a été donnée au jeune couple par le
grand rabbin de France Gilles Bernheim
le 8 mars dernier en la grande synagogue de
la Victoire à Paris en présence notamment du
Président du Consistoire Central Joël Mergui
et du rabbin Chalom Lellouche.
A Mme et M.Robert Sultan, Mme et M.Sylvain
Tordjman, Mme et M.André Meyer ainsi qu'aux
nouveaux mariés, nous présentons tous nos
voeux de bonheur et un grand mazal tov.
Distinction
Le rabbin Chalom Lellouche, rabbin de
Levallois-Perret, a été fait chevalier dans l'Ordre
du Mérite. La décoration lui a été remise par
l'ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin
le 5 mars 2009 à la Mairie de Levallois en
présence du maire Patrick Balkany, du grand
rabbin de Paris, du directeur du Séminaire
Israélite de France, et du Président du
Consistoire Central.
Nous lui présentons toutes nos félicitations.
OOO
Nécrologie
Nous avons appris avec peine le décès
de notre ami le rabbin Albert Messas, ancien
rabbin de La Varenne St Hilaire, des suites
d'une longue maladie.
Il était le fils du regretté grand rabbin Chalom
Messas, ancien grand rabbin de Jérusalem et
le frère de David Messas, grand rabbin de Paris.
Nous présentons à ses enfants et aux membres
de sa famille nos plus
sincères condoléances.
OOO
Vercingétorix vous fait part avec beaucoup de
peine du décès de Monsieur Pierre
CASTAGNOU ; Maire du 14ème
arrondissement de Paris. C'était un homme
affable, très proche de notre communauté et
aimé de tous.
Isaac PEREZ Président de la communauté
M. Berdugo Ministre officiant
Le Bureau et les Fidèles.
A Yddiche Mamé
nous a quittés. La
combattante, la militante,
la courageuse… celle qui
nous a tous tant aimés est
partie le 31 janvier 2009
- 6 chvat 5769 - Ne
l'oublions pas.
Ses enfants, Petits
enfants, arrières petits
enfants. Familles Sarah
Ammar - Ida Klebaner Annette Sudry
OOO
La Communauté Or
Hahaim du 14ème rue
OOO
INFORMATION JUIVE Mars 2009 41
VERBATIM
BERNARD KOUCHNER.
Ministre des Affaires étrangères :
" Je regrette que les Américains ne
nous aient jamais rejoints dans une
condamnation plus ferme des
colonies de peuplement israéliennes.
Il n'y aura pas de paix possible tant
que les colonies essaimeront "
JEAN-CLAUDE MILNER.
Philosophe :
" Le seul véritable événement du
XXème siècle c'est le retour du nom
juif "
ROBERT SOLÉ.
Chroniqueur :
"Dans ce Proche Orient au climat
déréglé, les cœurs sont de plus en
plus secs. Ou alors noyés de tristesse".
PHILIPPE VAL.
Directeur de Charlie Hebdo :
" Où est le courage politique
de la gauche, et notamment
de Martine Aubry, quand à
Lille, pour la troisième fois,
des manifestants propalestiniens tentent
d'empêcher le spectacle de
l'animateur télé Arthur parce
qu'il est juif ? En France ! En
2009 ! "
Chroniqueur :
"On oublie d'enseigner dans les
grandes écoles que la prescription,
qui joue pour les crimes de sang,
n'existe pas en matière de mauvaise
gestion "
Editorialiste au Figaro :
" La candidature officielle d'Abdelaziz
Bouteflika à sa propre réélection
marque en réalité une période
d'apaisement et de progrès politique
pour l'Algérie "
CARLOS FUENTES.
CHRISTOPHER HITCHENS.
Ecrivain américain :
"En cherchant à se réconcilier avec
les évêques extrémistes - Richard
Williamson ou Marcel Lefebvre Benoît XVI ouvre l'Eglise à l'extrême
droite".
BOB HOPE.
Comédien :
" La banque est un endroit où l'on
vous prête de l'argent si vous
parvenez à prouver que vous n'en
avez pas besoin "
42 INFORMATION JUIVE Mars 2009
JACQUES JULLIARD.
Editorialiste au Nouvel Observateur :
"Faut-il rappeler que le
négationnisme n'est pas une opinion
mais un meurtre symbolique ?...Pas
de Dieudonné à la messe de 11
heures ! "
ODON VALLET.
Historien des religions :
"Ce qui est en cause, ce sont les idées
mêmes du pape, qui sont des idées
non plus seulement conservatrices
mais réactionnaires au sens propre du
terme"
ALAIN MINC.
ALEXANDRE ADLER.
PHILIPPE BOUVARD.
incompatibles avec tout paramètre
démocratique "
Ecrivain latino-américain :
" L'écrivain est là pour redonner du
sens au langage. Tout le temps "
MAX GALLO.
Historien :
"Dans un vieux pays comme la
France, on n'est jamais prêt à la
réforme"
LUIS HERRERO.
Député européen espagnol :
" Hugo Chavez a des comportements
typiques d'un dictateur ,
Economiste :
" Pour Obama, l'Europe est, grosso
modo, ce que la Suisse est pour la
France . Une zone périphérique, riche
et cultivée, mais indifférente "
RÉGIS DEBRAY.
Médiologue :
" 'Religion' est un mot latin qui n'a pas
de traduction en chinois, ni en
hébreu, ni en persan , ni en grec ".
AMIN MAALOUF.
Ecrivain :
"Le monde arabo-musulman traverse
une crise si profonde, si traumatisante
qu'il ne semble plus capable d'avoir
un comportement éthique cohérent"
DENIS OLIVENNES.
Directeur de la publication du Nouvel
Observateur :
" Le pouvoir personnel n'est pas
seulement archaïque et malsain : il
est inefficace "

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