judaïsme - Consistoire de Paris
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“La condition juive en France” Par Dominique Schnapper Judaïsme : Le dictionnaire amoureux d’Attali Pessah : Quand trois générations se rencontrent Histoire : Les juifs du Maroc sous le Protectorat Hommage : Schlomo Carlebach N°288 - MARS 2009 - 3€ M 01907 - 288 - F: 3,00 E Connaissez vous le Talmudland ? 3:HIKLTA=\UXUUU:?a@m@s@i@a; N°288 - MARS 2009 AU SOMMAIRE D’ EDITO 4- Idolart par Josy Eisenberg JUIFS ET FRANCAIS 7- La condition juive en France par Dominique Schnapper 4 10 7 EN COUVERTURE 10- Retrouver les saveurs de l'hébreu par Claude Lanzmann JUDAÏSME 14- Le dictionnaire amoureux du judaïsme Un entretien avec Jacques Attali CHRONIQUE 17- Les tribus proportionnelles par Guy Konopnicki ANTISEMITISME 19- Durban : symbole de la haine par Philippe Haddad LA VIE JUIVE 20- Connaissez-vous le Talmudland ? par Pierre-Henry Salfati 14 23 LA VIE DU CONSISTOIRE - 23 JUDAÏSME 26- Pessah : quand 3 générations se rencontrent par Philippe Haddad DÉBATS 28- Le coup de gueule de Konop par Odette Lang 19 20 OPINION 29- Les mensonges et la vérité historique par Paul Giniewski BONNES FEUILLES 30- Les juifs du Maroc sous le protectorat par Michel Abitbol HISTOIRE 33- La Bible et ses peuples par Léa Philpott 26 EXPOSITIONS 34- Chronique d'un rêve avorté par Léa Philpott LIVRES 35- par Odette Lang 30 32 HOMMAGE 36- Shlomo Carlebach, l'homme qui incarnait la yiddishkeit par Rahel Musleah L’HUMOUR DES SENS 38- Cheminements de l'humour juif par Alain Barchechath CINÉMA 40- Quand Téchiné nous plonge au cœur du mensonge par Elie Korchia CARNET - 41 36 40 INFORMATION JUIVE 17, rue Saint-Georges 75009 Paris Rédaction : 01 48 74 34 17 Administration : 01 48 74 29 87 Fax : 01 48 74 41 97 [email protected] Fondateur : Jacques Lazarus Gérant de la SARL, directeur de la publication : Philippe Meyer Directeur : Victor Malka [email protected] VERBATIM - 42 Editorialiste : Josy Eisenberg Chroniqueur : Guy Konopnicki Comité de rédaction : Josy Eisenberg, Michel Gurfinkiel, Victor Malka, Joël Mergui, Philippe Meyer Collaborateurs : Armand Abécassis, Anne-Julie Bémont, Albert Bensoussan, Paul Giniewski, Hélène Hadas-Lebel, Carol Iancu, Gérard Israël, André Kaspi, Naïm Kattan, Elie Korchia, Odette Lang, Annie Lelièvre, Daniel Sibony. 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EDITO Idolart F ête de Pessah oblige : aujourd’hui, chers lecteurs, vous aurez deux éditoriaux pour le prix d’un.En premier lieu, quelques réflexions qui m’ont été inspirées par la vente Bergé SaintLaurent, et les montants pharaoniques atteints par certaines enchères. Certes, la Torah n’a jamais condamné l’art. Elle cite PAR JOSY EISENBERG géniales ne sont manifestement que des « gogoooos » : ce n’est pas une faute d’orthographe, mais une petite idée du nombre de zéros qui figurent sur leurs chèques… Chacun est certes libre de faire ce qu’il veut de son argent. Cependant : 1/ En ces temps de crise, plus que jamais, l’argent investi – ou plutôt, placé dans ces valeurs-refuge que sont devenues les œuvres d’art, dévoyées de On peut exonérer l'art moderne non figuratif de ce risque d'idolâtrie. Il suscite cependant d'autres perversions : celles de l'argent et du narcissisme. même Tubal-Caïn, qui inventa les instruments de musique. Quant au créateur - architecte et décorateur – de l’Arche Sainte, Betsalel, il est présenté comme « inspiré par l’esprit ». La beauté est un don divin puisque, dans la Cabbale, la Sefira de l’éthique, Tiferet, est aussi celle de l’esthétique. C’est tout dire. L’ART ET LA VIE C ependant, on le sait, il a toujours existé dans le judaïsme, depuis le Décalogue, l’interdit d’une certaine représentation par l’image qui pourrait mener à l’idolâtrie : « Tu ne te feras pas d’image… ». On peut apparemment exonérer l’art moderne non figuratif de ce risque d’idolâtrie. Il suscite cependant d’autres perversions : celles de l’argent et du narcissisme. Je passe rapidement sur l’incroyable survalorisation de certaines formes de cet art, comme Mondrian ou Rothko – que jadis Yasmina Reza avait si subtilement brocardé dans sa pièce «Art». Certains magnats qui se laissent séduire par des toiles monocolores prétendues 4 INFORMATION JUIVE Mars 2009 leur fonction initiale – pourrait servir utilement à d’autres causes. Il est stérilement retiré de la sphère économique. Je parle des acheteurs, et non des vendeurs qui semblent vouloir affecter à des œuvres caritatives le produit de la vente. Ce dévoiement est déjà de l’ordre de l’idolâtrie. 2/ L’achat à prix d’or d’une pièce d’art constitue le sommet d’une autre idolâtrie : l’égoïsme et l’orgueil. Il s’agit de rien moins que de soustraire à la vue du grand nombre une œuvre que l’on a le monopole de contempler, satisfaction égotiste qui établit également un lien narcissique entre l’artiste et l’acheteur. Narcissisme mais aussi exhibition-nisme de la propriété et de la richesse. C’est une formule célèbre : «Dieu dit à l’orgueilleux : toi et Moi, nous ne pouvons pas habiter ensemble.» La sacralisation de l’art – le mot dit bien en quoi il peut devenir une véritable religion – se fait d’ailleurs précisément au nom d’un autre concept révélateur : celui de l’Unicité. Sa copie ne vaut rien : l’original vaut de l’or. Singulières contradictions d’un monde moderne qui survalorise la copie quand il s’agit de musique, alors qu’il n’accorde de valeur qu’à l’original quand il s’agit des arts plastiques. Ce terme – pièce unique – m’a toujours fait tiquer. Il ne s’agit plus de beauté, mais de fétichisme : confer les sommes astronomiques payées pour les lunettes de Gandhi ou la pipe de Churchill. On est en plein fétichisme, c’est-à-dire une des formes les plus spectaculaires de l’idolâtrie. F rancis Bacon disait : «Homo ars additus naturae». L’homme, c’est de l’art-ajouté à la nature. Toute vie humaine est en soi création et œuvre d’art. Chaque pièce d’art est certes « unique », mais il y a des milliards d’unicités. On peut certes en dire autant des milliards d’êtres humains, dont le On est en plein fétichisme, c'est-à-dire une des formes les plus spectaculaires de l'idolâtrie. en effet le culte de l’argent plus que celui de la beauté: le plus souvent, l’œuvre d’art sommeille d’ailleurs dans le coffre d’une banque… Péché d’orgueil qui est considéré dans la pensée juive comme l’expression suprême de l’idolâtrie. L’orgueilleux prend toute la place et expulse Dieu de son monde. Le Talmud résume cela en Talmud rappelle que chacun est unique: c’est pour cela que la Torah les fait tous descendre d’un même homme. Mais un abîme sépare l’unicité statique et idolâtrie d’une œuvre d’art de l’unicité fragile de la personne humaine ; chaque vie est un film, alors que l’unicité artistique, quelles que soient les émotions qu’elle peut susciter, fige les choses dans la matière. © Javky Azoulai APPEL NATIONAL POUR LA TSÉDAKA : LES JUIFS DE FRANCE ONT RÉPONDU PRÉSENT ! UN ENTRETIEN AVEC LE DR GIL TAÏEB, PRÉSIDENT DE L'APPEL NATIONAL POUR LA TSÉDAKA* donc d'aide aux personnes démunies ou exclues. Autant de personnes, de familles que nous n'aurions pas pu aider. Dans une période comme celle que nous traversons, ce n'était pas imaginable. Les sommes recueillies vont être distribuées selon une procédure qui respecte la plus grande transparence, sur la base des programmes présentés par les 120 associations juives sociales au Fonds Social Juif Unifié. Et en 2009 ? G.T. : Je remplirai encore ce rôle de président de cette très noble cause. Mes engagements dans la campagne de la Tsédaka, remontent à plusieurs années. Quels résultats pour la Tsédaka 2008 ? Gil Taieb : Notre campagne s'est achevée avec des résultats très satisfaisants, malgré la crise, les subprimes, Madoff et les problèmes sociaux et économiques qui ont commencé très fort en 2008, et se poursuivront, avec encore davantage d'amplitude, en 2009, d'après tous les experts. Je veux dire combien je suis fier de la communauté juive, elle a été exemplaire. Elle a été au rendez-vous du cœur et de la générosité et a compris que c'était aussi de sa responsabilité. Quels types de problématiques rencontre-t-on dans la communauté juive ? G.T. : Les problèmes rencontrés par les responsables des associations sociales juives sont identiques à ceux observés au sein de la communauté nationale. On peut y ajouter cependant des problèmes d'insécurité, notamment avec l'effet " guerre de Gaza ". Nos militants rencontrent le même éventail de détresses : des adolescents sans repères, des enfants livrés à eux-mêmes, des familles monoparentales avec des problèmes de santé et de n'arrivent pas à commencer à travailler, des personnes âgées atteintes de maladies graves et pour lesquels il n'existe pas de structures d'accueil, des exclus …. Je souhaite que chaque Juif de France en devienne l'ambassadeur. L'année 2009 devrait voir se renforcer les actions sur le terrain pour permettre à tous ceux qui ont besoin de nous d'être secouru. Cette campagne devra être encore plus unitaire. Notre choix dans la façon d'aborder la campagne 2008 a été celui de répéter sans cesse que chacun de nous, donateurs, acteurs social, professionnel ou bénévole , était responsable face aux défis et attentes de ceux qui souffrent. Nous avons parlé vrai, sans détour ! Nous avons montré les choses, nous avons expliqué qu'il existe des solutions. Nous avons parlé de la souffrance de l'âme de nos frères et nous avons fait appel à l'humanisme et au sentiment de fraternité de chacun. Nous avons un début de réponse cette année. L'année 2009 verra encore d'autres maux se développer aussi nous devons tous être prêts à œuvrer pour y faire face ensemble. Quelles différences avec les années précédentes ? G.T. : Voici deux ans que je préside l'Appel national pour la tsédaka et je dois dire que j'ai ressenti cette année une très réelle mobilisation. L'Appel pour la tsédaka est la seule campagne unitaire de la communauté juive. Pendant un mois du 15 novembre au 15 décembre, les associations culturelles, cultuelles, sociales, éducatives ... agissent à l'unisson et s'investissent de façon remarquable. C'est quelque chose que je tiens à saluer. Quelle utilisation des sommes collectées ? G.T. : Nous avons collecté 2 735 322 euros avec 16 365 donateurs. Soit 100 000 euros de plus que l'an dernier pour un nombre de donateurs équivalent. C'est bien, mais il n'y a pas de quoi se congratuler. En vérité, nous respirons car nous avions envisagé une baisse significative des dons. Cela eut été un vrai déchirement. Car moins de collecte, c'est moins d'aides aux programmes associatifs, Merci aux 16 365 donateurs pour leur générosité. Rendez-vous pour la campagne 2009. *Le Dr Gil Taïeb vient d'être élu Vice-Président du Fonds Social Juif Unifié. INFORMATION JUIVE Mars 2009 5 EDITO Il y a dans la sacralisation et la religion de l’art, outre l’insupportable vénalité qu’elle génère, une vaine tentative de créer une artificielle éternité. C’est sans doute pourquoi l’art revendique une certaine transcendance dans un monde où la vie humaine ne vaut pas grandchose. Or, c’est à juste titre que l’on parle d’art de vivre : c’est la vie même qui est un art, mouvant, émouvant et à construire chaque jour. Ce serait d’ailleurs une excellente définition de la Torah : elle n’est rien d’autre qu’un art de vivre. Sans l’opposer à l’art proprement dit, on comprendra aisément quel art je privilégie. Mais, chez Sotheby, combien vaut cette pièce unique : un être humain ? LA BOUCHE DU PROPHETE A utre actualité, évidemment bien plus importante, Pessah. Cette fête, c’est d’abord la fête de la Parole. Il n’est point de religion au monde où l’on puisse trouver l’équivalent d’une fête où l’obligation religieuse consiste à parler, à dialoguer et à commenter aussi longuement que lors de la soirée du Sédère. Et la Haggada est formelle : 6 INFORMATION JUIVE Mars 2009 «Plus on parle, plus on est digne de louanges». Précisons cependant que cet adage n’est évidemment vrai que pour le Sédère… Or, cette parole est centrale dans l’histoire de la sortie d’Egypte. Elle est prescrite à Moïse, qui se dérobe tout d’abord. Il a, dit-il à Dieu, une maladie de la parole. Sa bouche est lourde ; ses lèvres sont incirconcises. Seule la s’oppose au verbe interdire «ASSOUR» qui signifie entraver. On ne saurait mieux dire que célébrer le Sédère, c’est d’abord s’autoriser à prendre la parole le soir de Pessah, mais pour la libérer ensuite. C’est l’autre versant, fondamental, de la sortie d’Egypte, le nom d’Egypte signifiant d’ailleurs enserrer, entraver ! Et ce n’est pas par hasard que la liberté d’expression est un des articles les plus Célébrer le Sédère, c'est d'abord s'autoriser à prendre la parole le soir de Pessah, mais pour la libérer ensuite. guérison de cette pathologie pourra lui permettre d’être le maître d’œuvre de la délivrance. Il y a bien des années, Marc-Alain Ouaknin avait été un des premiers à découvrir dans l’œuvre de Rabbi Nahman un extraordinaire commentaire. A savoir, que le mot TEROUPHA – guérison – peut aussi se lire LEHATIR PÉ : délivrer la parole. C’est la source même de la vue psychanalytique. Notre parole authentique est souvent esclave d’entraves de toutes sortes et de toutes origines. Etre véritablement homme, c’est se construire et se reconstruire par la parole, seul mode de communication réel entre Dieu et les hommes et entre l’homme et son prochain. Le mot «délivrer» signifie d’ailleurs étymologiquement dénouer. Il fondamentaux de la Déclaration des Droits de l’Homme. C’est la vraie liberté. Moïse s’est libéré en parlant au Pharaon. Cette parole libérée a été le facteur déterminant de la libération des Hébreux. Et, en point d’orgue, c’est elle qui va leur permettre de recevoir les Dix Paroles par lesquelles fut créé le monde. A bon entendeur, ou plutôt, à bon parleur, salut ! PS : Le Nouvel Observateur vient de publier une lettre d’une juive antisioniste qui traite tout simplement Israël d’Etat voyou. Toutes les bornes sont franchies. J’encourage vivement la communauté juive et tous les amis d’Israël à boycotter ce journal ainsi que les annonceurs dont la manne lui permet depuis trop longtemps de distiller son venin. JUIFS ET FRANÇAIS UN ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE SCHNAPPER La condition juive en France " La condition juive en France. La tentation de l'entre-soi " : tel est le titre de l'enquête entreprise par trois sociologues français. Dominique Schnapper est membre du Conseil constitutionnel et directrice d'études à l'Institut des Dominique Schnapper Hautes études en sciences sociales ; Chantal Bordes-Benayoun est directrice de recherche au CNRS et M.Freddy Raphaël est professeur émérite à l'université Marc Bloch de Strasbourg. Cette enquête a été réalisée par questionnaires auprès d'un échantillon de la population juive à Strasbourg, Toulouse et dans la région parisienne. Les résultats de cette enquête et les commentaires qui les accompagnent paraissent dans un livre édité par les PUF. Nous avons rencontré l'un des auteurs de cet ouvrage, Mme Dominique Schnapper. OOO I.J : Que cherchiez-vous à évaluer dans cette enquête ? Dominique Schnapper : A la fin des années 7O, j'avais réalisé une enquête sur l'identité juive - elle avait paru en 1981 aux éditions Gallimard sous le titre Juifs et Israélites. De son côté, Chantal Benayoun avait fait une enquête sur les comportements politiques des juifs à la même époque. Quant à Freddy Raphaël, il a toujours travaillé sur les juifs strasbourgeois. Nous avions depuis un certain nombre d'années le projet de mettre nos capacités en commun sur les identifications juives aujourd'hui. I.J : Qu'entendez-vous par ce que vous appelez la position de" la marginalité critique du juif " ? D.S. : Les juifs ont été de grands patriotes français ( d'autres ont été de grands patriotes italiens, anglais à la même période ). En même temps, ils étaient quelque peu marginaux. La distance favorisait la réflexion et l'analyse. Je considère que ce n'est pas un hasard si la sociologie est née au sein de la société juive. I.J : Pourquoi les juifs s'intéresseraientils,plus que d'autres, à la politique et à la chose publique ? D.S. : Parce que leur destin a été, dans l'histoire de l'Occident chrétien, très Nous n'avions pas les moyens financiers d'entreprendre cette enquête. J'ai profité d'un prix que j'ai obtenu pour en consacrer une partie au financement de cette enquête. Trente-cinq ans après la première enquête, ce que nous avions observé et analysé avait sans doute changé. C'est ce changement que nous avons tenté de mesurer objectivement. I.J : Vous dites dans le texte de votre introduction que les juifs ont souvent fait figure de citoyens modèles. Ne serait-ce plus le cas aujourd'hui ? D.S. : On est aujourd'hui citoyen de manière différente. L'une des idées à laquelle nous tenons c'est qu'on ne peut pas séparer le destin des juifs dans la société française de l'ensemble de cette société. Dans une période de patriotisme et de citoyenneté très affirmés, les juifs ont été de ceux qui ont proclamé avec force l'un et l'autre. Aujourd'hui la société a évolué. INFORMATION JUIVE Mars 2009 7 JUIFS ET FRANÇAIS directement lié aux situations politiques qui étaient les leurs. Ils ont donc par définition à s'interroger sur leur destin collectif lequel est inséparable des régimes politiques au sein desquels ils vivent. l'ensemble des comportements. Tout se passe aujourd'hui comme si ces deux pôles étaient réunis pour une partie de la population dans une affirmation juive tout à la fois religieuse et politique. I.J : Vous observez que les juifs ont le sentiment que l'antisémitisme de gauche est mal contrôlé. Partagez-vous le point de vue de Pierre-André Taguieff selon qui la nouvelle judéophobie s'épanouit dans l'indifférence générale ? D.S. : Nous avons le sentiment que Taguieff a souligné un phénomène important. Son analyse est loin d'être fausse. Peut-être est-elle un peu excessive. I.J : A quoi est due la forte politisation que vous avez observée au cours de votre enquête ? D.S. : Elle a toujours existé. Les juifs appartiennent à une catégorie sociale qui vote plus que les ouvriers et les chômeurs par exemple. L'autre raison est le sentiment. très fort qu'ont les juifs que leur destin dépend beaucoup des conditions politiques. Les juifs sont armés si j'ose dire pour répondre à l'antisémitisme de l'extrême droite. C'est une tradition. Ce qui a été pour beaucoup d'entre eux une découverte décourageante c'est de le rencontrer à l'extrême gauche. Parce qu'elle est sous la pression de ces milieux d'extrême gauche, la gauche classique a tendance à sousestimer cet antisémitisme. Cela étant, la gauche en général n'a pas été indemne par le passé de tendances antisémites. I.J : A ce propos, vous observez que les juifs sont inquiets sur la capacité de la République à les protéger contre l'antisémitisme. D.S. : Il y a eu des épisodes où quand un enfant juif était persécuté dans un collègue ou dans un lycée, c'est plutôt lui qu'on transfère dans un autre établissement plutôt que ceux qui l'ont I.J : Vous vous demandez si le rapport des juifs à la nation a évolué et dans quel sens. Quelle est votre réponse ? D.S. : Les juifs ont évolué comme l'a fait la société en général. Ils ont eu naguère une relation passionnée à la nation française. Souvenez-vous de la formule " heureux comme Dieu en France ". C'était la France qui avait donné l'émancipation aux juifs, en 1791. Cette relation a été brisée par le Statut des juifs. Du coup ce rapport passionné n'existe plus parce que les événements historiques l'ont détruit. Ce qui reste c'est une foi dans l'idée de citoyenneté, le sentiment que la République, si elle est fidèle à elle-même, protège le destin des juifs. C'est désormais une citoyenneté de raison, de réflexion. Ce n'est plus la relation passionnée qui fut celle de mes parents et de mes grands parents. I.J : Comment les juifs gèrent-ils aujourd'hui la tension entre le pôle religieux et le pôle politique ? D.S. : Ce qui m'avait frappé lors de mon enquête en 1970 c'est que les juifs étaient partagés entre ces deux pôles. Mais c'était le pôle politique - c'est-à-dire le rapport à Israël - qui dominait. Le paysage aujourd'hui est très différent : le pôle religieux s'affirme de plus en plus et devient premier. L'intensité des pratiques spécifiquement juives détermine 8 INFORMATION JUIVE Mars 2009 La religion est devenue une référence identitaire majeure persécuté. Ces épisodes ont pu donner à des juifs le sentiment que la République était peut-être fidèle à ses valeurs mais que, dans la pratique quotidienne, ces valeurs n'étaient pas toujours pratiquées comme elles devraient l'être. Cela crée un sentiment d'inquiétude et de précarité. Et nous observons que ce sont ceux des juifs qui sont revenus à une pratique intense du judaïsme qui sont en même temps ceux qui ont les liens les plus forts avec Israël. Nous avons observé une double tentation : celle de vivre entre soi parce que le reste du monde est devenu dangereux. Se refermer à l'autre. L'autre tentation c'est, contrairement à ce qu'avait été la tradition de l'israélitisme français, d'intervenir en tant que juif dans le domaine public. Il y a désormais des expressions reconnues du particularisme juif dans l'espace public. I.J : C'est ce que vous appelez " le nouvel israélitisme ", celui qui veut conjuguer fidélité juive et loyauté à la nation. D.S. : C'est la reconstruction d'un israélitisme religieux ouvert dont l'élection du grand rabbin Bernheim est le symbole. Traditionnel dans tout ce qui concerne la foi mais aussi ouvert sur la cité. I.J : Vous semblez penser que la religion est devenue une référence identitaire majeure. Voici les chiffres que vous citez : “53% des enquêtés se siutent entre les catégories” 'assez pratiquants' et 'très pratiquants' ; 18,4% seulement se définissent en dehors de toute référence de pratique ; 16,4% déclarent ne jamais fréquenter la synagogue et 10,7% ne la fréquanter qu'une fois par an, le jour du Yom Kippour D.S. : Il y a en effet une grosse majorité qui se définissent ainsi. Le résultat essentiel de cette enquête montre cette évolution de la population juive. Il y a à l'évidence un retour de l'identité et de l'identification juives à travers le religieux. I.J : Il y a également un chiffre impressionnant : 68% des personnes interrogées s'estiment plus religieuses que leurs parents. Deux tiers de l'échantillon estiment être au moins aussi voire plus pratiquants que la génération précédente. D.S. : La précédente enquête montrait que la dominante était le rapport à l'Etat d'Israël. Aujourd'hui la dominante c'est la religion. Cela s'explique à la fois par ce qu'on a appelé "le retour au religieux", un religieux plus choisi et moins imposé. Mais aussi par l'évolution du monde juif lui-même. I.J : Vous dites qu'il y a différentes manières de se vouloir juif aujourd'hui. Quelle est celle de Dominique Schnapper ? D.S. : Je n'en sais rien. J'écris sur les juifs. C'est sans doute une manière de rester fidèle au judaïsme de ma famille paternelle. J'ai eu un mari juif et je pense que l'accord profond de nos existences n'était pas étranger au fait que nous avions tous les deux cette ascendance. Mes enfants ont la conscience d'une hérédité juive. Le contenu n'en est peutêtre pas considérable dans l'ordre des connaissances et des pratiques mais le sentiment d'identification est là. Tests psychométriques : la Réussite de l'Alyah de vos enfants L es tests psychométriques, organisés par le NITE israélien (Institut National des Tests d'Evaluation), existent depuis 1981. Ces tests ont été créés afin de centraliser la sélection d'entrée aux différentes Universités. L'examen est composé de 8 sections qui varient de 25 à 30 questions à choix multiples. Il existe trois domaines distincts: z réflexion verbale (capacité de compréhension, analyse de texte, logique et expression), z réflexion quantitative (aptitude à manier les concepts mathématiques), z anglais (comme langue étrangère). Les tests psychométriques disponibles en français, hébreu, anglais, espagnol, russe et arabe évaluent les capacités plutôt que les connaissances. Ils ont pour rôle de classer les différentes personnes sur une même échelle quel que soit leur bagage culturel. Ils permettent également de contrôler le niveau d'anglais, indispensable en Israël. Chaque année les étudiants francophones bénéficient de 2 sessions en français : la première en France, Paris ou Marseille (généralement le premier dimanche après Pessah) et une en Israël, dans toutes les grandes villes du pays (généralement les tous premiers jours du mois de Juillet). Le nombre de présentations à l'examen est illimité ; toutefois, un minimum de 6 mois entre chaque examen est requis. Les Universités prennent en compte le meilleur résultat des 5 dernières tentatives. Ces résultats sont valides 10 ans. Objectifs & fondements Ces tests ont pour objectif de servir de régulateur à l'entrée dans les différentes Universités israéliennes. Le principe étant d'offrir les places aux étudiants les plus aptes à mener leurs études à terme. Le score définitif est obtenu après notation puis réajustement de la note calculée proportionnellement au nombre d'élèves inscrits à une même session. Le classement des élèves s'effectue au prorata des erreurs ; les notes étant comprises entre 200 et 800. Depuis plus de 20 ans, le NITE réalise des études qui tendent à prouver l'efficacité de ces tests. En effet, les résultats obtenus par les étudiants aux tests psychométriques corrèlent positivement les résultats obtenus ensuite à l'Université. Le choix des tests psychométriques a aussi été motivé par certaines particularités inhérentes au pays : z les israéliens débutant leur études universitaires après leur service militaire, leur BAC est devenu obsolète. z L'hétérogénéité de la population israélienne, composée par ailleurs de nombreux nouveaux immigrants, rend difficile la comparaison des niveaux de connaissance des étudiants. D'autre part, les BACs étrangers ne sont pas toujours évalués équitablement. z Le système éducatif israélien ne conçoit pas le redoublement pendant les études ; leur coût étant trop élevé tant à l'étudiant qu'à l'Etat, ce qui justifie la nécessité de sélection à l'entrée des Universités. Comment se préparer Il existe à ce jour un petit nombre de sociétés qui proposent des cours en français. Le manque d'exercices, examens blancs, etc… pénalisent les francophones par rapport aux israéliens. Cependant, la moyenne des notes francophones obtenue est plus élevée que la moyenne générale. La société psychometriques.com inaugure un tout nouveau site permettant aux étudiants d'accéder à des tests psychométriques on-line et gratuits. Vous y trouverez aussi les formulaires d'inscription à l'examen ainsi que des exemples d'examens corrigés. David Robbes [email protected] INFORMATION JUIVE Mars 2009 9 EN COUVERTURE UN ENTRETIEN CLAUDE LANZMANN “Retrouver les saveurs de l'hébreu” Si vous ne deviez lire qu'un livre cette année ( ou ce mois ) que ce soit celui-là : Le lièvre de Patagonie ( Editions Gallimard (25 euros). Livre dense, intelligent comme tout ce que fait l'auteur Claude Lanzmann. Il y raconte son enfance, son Claude Lanzmann combat dans la Résistance, ses origines, son engagement aux côtés d'Israël, les films qu'il a faits et notamment " Pourquoi Israël " et " Tsahal ". Il y rappelle surtout ce qu'ont été les douze années d'efforts qu'il a dû consentir pour parvenir à la réalisation de son chef d'œuvre " Shoah ". Nous avons voulu prolonger les confessions du directeur des Temps Modernes. Voici l'entretien qu'il nous a accordé. OOO I.J : Tous les critiques ont salué la force de ce livre. Certains parlent de chef d'œuvre, d'autres disent qu'il est aussi important dans l'ordre littéraire que Shoah l'avait été dans le domaine cinématographique. Que vouliez-vous montrer ? Claude Lanzmann : Je n'étais pas sûr d'avoir une grande envie de le faire. Ce n'était pas facile de s'engager dans une pareille aventure, après l'effort que j'avais déployé pour le film Shoah. En vérité, on m'a poussé à faire ce livre. La j'appelle "un juif de la positivité", je n'aurais sûrement pas fait Shoah et "Pourquoi Israël".J'avais sans doute besoin d'une étrangeté, d'un éloignement… C.L. : Absolument. C'était la plus belle femme du monde. Mais je suis personnellement très sensible au nez ? J'aurais fait fortune à la chasse au faciès pour la Gestapo. I.J : Pourtant vous êtes convaincu que l'assimilation est une destruction, un triomphe de l'oubli. C.L. : J'y crois profondément. Mon grand père paternel était d'une famille de treize enfants. Je n'en connais aucun. I.J : Les Réflexions sur la question juive de Sartre ont, dites-vous, joué un rôle capital dans votre existence. Ne sont-elles pas dépassées aujourd'hui ? C.L. : Elles l'étaient déjà quand il les a écrites. Il faut que je vous dise que personnellement j'ai connu l'antisémitisme avant la guerre. La violence extraordinaire de cet antisémitisme au lycée Condorcet à Paris c'était quelque chose. J'ajoute que l'antisémitisme n'a pas disparu du jour au lendemain à la Libération. Je suis impressionné par ces “rabbins miraculeux”. Pourquoi ? Parce que c'est mon peuple. Ce sont les miens. Mes frères. première page, je l'ai dictée facilement puis je me suis arrêté pendant un an. Et en me remettant petit à petit au travail, j'ai pris plaisir à l'écriture. Il y a dans ce livre des choses intimes (mon enfance, mes parents) que je ne croyais pas pouvoir raconter. Elles se sont imposées à moi au fur et à mesure que le récit avançait. I.J : Votre grand père Yankel Groberman était un juif de stricte observance et vous dites de votre mère qu'elle était malgré tout " une Juive de la Torah ". Vous n'avez, vousmême jamais été tenté de vous rapprocher de l'étude et de la pratique ? C.L. : Evidemment que je l'ai été. Ne pas connaître l'hébreu, le Talmud, j'ai conscience qu'il s'agit là d'un grand manque. Je le regrette. Mais je dis aussi dans le livre que si j'avais été ce que 10 INFORMATION JUIVE Mars 2009 Beaucoup sont sans doute morts pendant la Shoah. I.J : Vous comprenez le fait que votre mère, vous voyant un jour déguisé en abbé, vous ait giflé en disant : cela chez moi, jamais ! C.L. : Je comprends cela et je l'approuve tout à fait. Il faut dire que cela se passait au cours d'une année très difficile pour moi. La guerre avait été très dure et j'avais besoin de "déconnade" : je m'étais déguisé en curé pour mendier. Je pensais que c'était drôle mais cela n'avait pas marché. I.J : Vous parlez de votre sœur Evelyne.Vous dites une fois qu'elle avait un nez sémite et, plus loin, qu'elle avait un nez d'intellectuelle juive. C'est la même chose ? Le portrait que Sartre a dressé dans son livre de l'antisémite était magnifique comme était magnifique la description de ce qu'il a appelé "la conduite du juif inauthentique". Je m'étais reconnu dans ces descriptions. De voir tout cela lumineusement exposé par le plus grand écrivain français m'a libéré profondément. Je respirais mieux en France. En revanche quand Sartre dit que "c'est l'antisémite qui fait le juif ", ça ne tient pas debout. Après mon premier voyage en Israël, je lui ai dit : vous savez, il y a un peuple juif conscient de soi, une religion admirable, des traditions formidables, une culture. Il en a convenu. EN COUVERTURE I.J : Qu'est-ce que Shoah a changé définitivement en Claude Lanzmann ? C.L. : C'est un autre homme et en même temps c'est le même. Je peux dire que j'ai regardé la douleur juive en face. Il y a eu au cours du tournage des scènes effroyables que j'ai tenu à raconter. Des scènes qui relèvent du polar. Je raconte comment un jour que nous tournions avec une petite caméra cachée chez des nazis, notre stratagème a été découvert parce que la caméra avait pris feu. On nous a couru après et nous avons, mon assistante et moi, pris la fuite en ayant peur pour nos vies. I.J : Est-ce que la mémoire de la Shoah, pour indispensable qu'elle soit, n'est pas en train de devenir une religion ? C.L. : Nous revenons au problème précédent : il y a des juifs de la positivité et ceux qui ont été faits juifs par la Shoah. Il y a bien des façons de se revendiquer comme juif. Les seuls juifs que je ne supporte pas sont les juifs antisémites. Et il y en a, le dernier en date étant Shlomo Sand… I.J : Vous parlez quelque part de " la formidable dimension mystique du judaïsme extrême ". Y êtes-vous sensible ? C.L. : Beaucoup. Dès mon premier voyage en Israël, j'ai de la tendresse et de l'indulgence pour eux. Je suis impressionné par ces " rabbins miraculeux ".Pourquoi ? Parce que c'est mon peuple. Ce sont les miens. Mes frères. Je n'oublierai jamais mon premier shabbat à Afoula, dans le nord d'Israël. A propos des hassidim de Méa Chéarim j'ai écrit : " Ces intraitables sont mon peuple, le peuple juif plus fort que mille morts et je ne les renierai pas " I.J : Vous dites aussi que vous n'avez pas réalisé Shoah pour répondre aux révisionnistes et aux négationnistes. On ne doit pas discuter avec ces gens-là… C.L. : On ne doit pas discuter avec 12 INFORMATION JUIVE Mars 2009 Claude Lanzmann au cours du tournage du film “Pourquoi Israël” eux en effet mais il faut des lois telles que la loi Gayssot. Je suis favorable à d'Israël, continuent de vivre aujourd'hui - et à s'habiller -comme Je suis beaucoup plus sensible à ce qui unit les Israéliens qu'à ce qui les divise. cette loi. Quant à Dieudonné, je le trouve ignoble mais je parie que son cinéma, il va le faire de moins en moins… leurs grands pères vivaient et s'habillaient en Pologne. Ils sont indifférents à ce que l'on peut dire d'eux… I.J : Que vous a inspiré l'affaire Williamson ? C.L. : Je ne suis pas sûr que Benoît XVI ait été au courant. Cela étant, je n'ai aucune espèce d'indulgence ni pour ce pape ni pour les autres. I.J : Que représente pour vous aujourd'hui l'Etat d'Israël ? C.L. :J'ai le même attachement profond pour Israël. Je ne lui tire pas dessus. Je le comprends. Mon neveu, le fils de mon frère qui est mathématicien vit là-bas. J'ajoute que je suis beaucoup plus sensible à ce qui unit les Israéliens qu'à ce qui les divise. I.J : Vous dites aussi avoir admiration pour la religion juive. Qu'y admirez-vous ? C.L. : J'ai beaucoup débattu avec quelqu'un qui était vraiment un ami Gerschom Scholem. Nous parlions souvent du fait que dans les yéchivot on ne cesse de commenter la loi et d'ajouter des commentaires à des commentaires. Il y a dans toue cela une formidable grandeur. Cela développe l'intelligence. Je trouve u'il y a une grande force chez ces gens qui, dans les chaleurs I.J : La condition juive en France s'estelle, selon vous, détériorée ? C.L. : Le poison antisémite est toujours présent. Mais il n'est ni dans les institutions ni au niveau gouvernemental. I.J : Vous évoquez dans ce livre la cohérence de votre histoire. Comment pourriez-vous la résumer ? C.L. : D'une phrase : je suis un homme libre. L Création d'unités de Zaka pour les situations quotidiennes et d'urgence dans le monde entier 'organisation Zaka va agrandir ses activités et accroître son unité internationale, tant pour les situations quotidiennes que les situations d'urgence. C'est la leçon tirée de l'attaque terroriste de Bombay. Là encore, l'organisation a prouvé qu'elle était capable en un temps record d'envoyer des équipes à l'autre bout du monde et à agir dans toutes les situations. Zaka est une organisation internationale reconnue par l'ONU. L'idée qui sous-tend la création de l'unité internationale de Zaka est celle d'avoir une organisation internationale composée de milliers de bénévoles membres des communautés juives du monde entier qui recevront une formation de premiers soins et de médecine d'urgence, de repérage et de secours, et d'aide à l'identification des défunts pour pouvoir rapidement prodiguer des soins en cas d'urgence dans leurs pays respectifs ou se rendre dans les pays voisins si besoin est. Une grande organisation juive de secours humanitaire, basée en Israël, peut agir dans des situations d'urgence, quels que soient la communauté ou le pays, et ce, grâce à la riche expérience israélienne dans ce domaine. L'unité internationale se fixera des objectifs à court terme pour que les personnes formées puissent se rendre sur les lieux des catastrophes humanitaires et faire partie des forces de sauvetage de l'État d'Israël et du peuple juif, partout dans le monde, pas uniquement en cas de victimes juives. Une équipe professionnelle dans les communautés juives du monde entier ou en Israël sera chargée de la formation des bénévoles. En outre, les jeunes juifs venant en Israël dans le cadre de divers programmes de l'Agence juive ou d'autres organisations, recevront également une formation. Les bénévoles porteront le gilet de Zaka et obtiendront une carte de bénévoles reconnus par l'ONU. Zaka a déjà prouvé ses capacités opérationnelles en envoyant des missions lors des attentats en Turquie, à Mombasa, à Taba, à Mumbay, lors du tsunami en Thaïlande, des crash des avions en Thaïlande, en Namibie et de la navette spatiale Colombia, lors de l'ouragan de Katrina à la Nouvelle-Orléans, et dernièrement lors du crash d'un avion à Buffalo. Pour se joindre à nous et vous inscrire : s'adresser à [email protected] INFORMATION JUIVE Mars 2009 13 JUDAÏSME " Le dictionnaire amoureux…" de Jacques Attali : Survivre par l'amour… C haque ouvrage de Jacques Attali romancier, historien, essayiste, mémorialiste est une manière d'autobiographie. Entrant ici dans la prestigieuse collection des " Dictionnaires amoureux " créée par JeanClaude Simoën, il hésite entre l'encyclopédisme et la confession pour choisir résolument la voie de " Moi, un Juif ". Et donc, Jacques Attali nous dévoile son judaïsme, sa pratique, son enfance à Alger au sein d'une famille pieuse, sa fréquentation de l'Alliance, où sa mère enseignait au Talmud Torah, ses options plus tard qui le poussent vers le judaïsme libéral, tout en gardant une fibre sentimentale qui l'amène, à Kippour, à retrouver la synagogue algéroise de Saint-Lazare, où l'accueille en tribune sa mère, fidèle et pratiquante. Il évoque la bar-mitzvah de son fils, célébrée en France puis en Israël, auprès de Shimon Pérès, son ami. Il mentionne son rôle politique aussi, et l'amitié de François Mitterrand, qui fut son témoin de mariage à Copernic ; il parle de ses nombreux voyages en Israël, de sa rencontre avec les leaders israéliens, et aussi avec Yasser Arafat. Il prône une paix dans la justice et l'harmonie entre les deux Etats : Israël et Palestine, tout en laissant pointer, ici et là, son scepticisme. On ne peut résumer pareil ouvrage qui, en forme de dictionnaire non exhaustif, fonctionnant sur la base d'un choix forcément subjectif, ne comprend pas moins de 86 articles, d'Aaron à Zohar. Les grandes figures bibliques sont bien là : Abraham - et avant lui, certes, Adam et Ève, Abel et Noé -, Jacob, Moïse, Aaron, David et Salomon, mais aussi Sarah, Ruth, Bethsabée, Déborah. Les hautes figures prophétiques sont convoquées, de Joseph à Samuel, d'Isaïe à Jérémie, d'Ezéchiel à Amos. Sans oublier les visages mythologiques de Job et de Jonas. Et les ouvrages allégoriques et philosophiques : Qohélet et le Cantique des cantiques. Et puis les figures rabbiniques, Hillet, Maïmonide, Luria, Nahman de Bretslav, Rachi, enfin presque 14 INFORMATION JUIVE Mars 2009 tous y sont, soit directement soit indirectement, et l'on peut dire qu'en général Attali ne fait pas d'impasse. Quant aux figures contemporaines, on ne s'étonnera pas de voir figurer le banquier Sigmund Warburg, ou l'inventeur des " droits de l'homme ", René Cassin. Et du côté des politiques, seulement Shimon Pérès. Nous retiendrons de ce livre cet esprit curieux, résolument moderne, un rien impertinent qui fait le charme et la force du lettré. Avec un sens des formules qui font mouche : " Le judaïsme est un livre", déclare-t-il d'emblée, mais il est aussi une théories sur l'après-vie, il a cette belle formule : " Alors que les autres religions promettent un au-delà, le judaïsme ne promet que le droit d'espérer ". Quant au Messie, viendra-t-il quand la paix règnera au Moyen-Orient, ou au contraire quand " une guerre terrible s'y déroulera et qu'Israël sera détruit " ? Attali n'en sait trop rien, il n'est pas théologien, il se veut seulement humaniste et rationnel, c'est pourquoi il porte très haut, en l'analysant judicieusement, la pensée de Maïmonide (dont certains hassidim brûlaient les œuvres ). En fait, Attali croit que le judaïsme contient un message non pas à l'usage des seuls Juifs pratiquants, “Le judaïsme est par nature une façon d'aimer. Il ne pourra survivre que par l'amour”. pratique et une théologie. Le judaïsme est aussi une histoire, et aussi une énigme… puisque, après tant de vicissitudes qui ont vu tous ses oppresseurs disparaître, le judaïsme est toujours là. Florissant et éblouissant, malgré les difficultés apportées aux conversions qu'Attali dénonce, car il prône un judaïsme ouvert et accueillant. Il distingue bien le judaïsme des autres religions, en particulier en démontrant que la sortie du jardin d'Eden " n'a rien d'une chute ", car elle permet à l'homme " d'entrer dans le temps ". Quant à l'eschatologie, après avoir fait le tour des mais pour toute la terre. Il privilégie des figures connexes du judaïsme (si l'on peut dire) comme Jésus. Il entend le message de Jonas comme la valorisation de tous les peuples et de tous les hommes sans nulle hiérarchie (" Il n'est pas de peuple meilleur que d'autres "). Et pour finir, s'il tente de donner une définition du judaïsme, il déclare tout nettement : " Le judaïsme est par nature une façon d'aimer. Il ne pourra survivre que par l'amour ". (Jacques Attali Dictionnaire amoureux du judaïsme Ed. Plon/Fayard, 2009, 542p., 24€) Albert Bensoussan “Primauté à l'altruisme sur le repli identitaire” UN ENTRETIEN AVEC JACQUES ATTALI OOO I.J : Quels sont les critères qui ont présidé au choix des mots et des concepts que vous commentez dans ce livre ? Jacques Attali : D'abord tous les mots fondamentaux pour comprendre le judaïsme, sa pratique, son histoire et sa théologie et permettre à un ignare de savoir tout ce qui doit être su, de façon simple et pointue. Puis les personnages de l'Histoire qui me paraissent le mieux incarner le destin juif. JUDAÏSME I.J : Que voulez-vous dire quand vous écrivez que la diaspora est menacée de disparaître dans l'univer-salisme et Israël dans le nationalisme ? J.A : La diaspora peut disparaître dans le mélange et l'assimilation à laquelle conduit naturellement la globa-lisation et Israël peut devenir une nation comme une autre oubliant sa raison d'être dans un nationalisme banalisé. I.J : Vous considérez aussi que la diaspora se dissout par le renoncement de ses membres à leur identité. Comment percevez-vous ce renoncement ? J.A : En cessant d'être amoureux du judaïsme et de vouloir le transmettre par l'ignorance de son histoire et de sa théologie et surtout de ses valeurs qui accordent une primauté à la vie sur la foi et à l'altruisme sur le repli identitaire. I.J : Vous aviez naguère consacré un superbe livre à " Siegmund Warburg, un homme d'influence " ( Fayard 1985). Aujourd'hui vous écrivez à propos des banquiers juifs qu'ils sont d'autant plus haïs qu'étaient grands les services qu'ils avaient rendus. J.A : Plus généralement, le fondement de l'antisémitisme est l'ingratitude à l'égard de ceux qui ont apporté au monde le monothéisme et le capital, l'un et l'autre conditions du progrès humain. I.J : Pour éviter les catastrophes qui menacent le judaïsme vous proposez ce que vous appelez une stratégie et un programme autour de trois idées : valoriser les maîtres, sauvegarder les familles et accueillir les nouveaux venus. Qu'entendez-vous véritablement par ces trois idées ? J.A : Les deux premières sont simples: donner aux 16 INFORMATION JUIVE Mars 2009 maîtres un statut très élevé dans les communautés. Les maîtres sont les contraire à l'ensei-gnement ouvert du Talmud. Sans conversion massive,le Il faut faire partager l'amour du judaïsme et pour cela le vivre de façon gaie, amoureuse, ouverte et tolérante et non sectaire. sages, pas nécessairement rabbins. Bien des rabbins ne sont pas des maîtres. Il faut écouter ces maîtres, les valoriser beaucoup plus que ceux qui détiennent les pouvoirs politiques et théologiques. Le deuxième principe consiste à tout faire pour aider les familles à connaître le judaïsme et à le transmettre. Le troisième consiste à être très accueillants pour ceux qui veulent partager la mission juive quelle qu'en soit la motivation. Sortir de cette clôture obscurantiste qui est peuple juif disparaîtra. Il faut faire partager l'amour du judaïsme et pour cela le vivre de façon gaie, amoureuse, ouverte et tolérante et non sectaire. I.J : Vous êtes vraiment convaincu que les juifs ne peuvent durer qu'en restant à l'avant-garde du savoir. Est-ce le cas aujourd'hui ? J.A : Oui quand on considère le nombre de savants et de prix Nobel ; non si on considère l'évolution de la pratique juive qui ne valorise pas assez la curiosité et le questionnement libre. I.J : Qu'est-ce qui semble vous fasciner dans la kabbale ? J.A : L'invention de la cosmologie et la recherche proprement scientifique d'un message caché dans le texte biblique. I.J : Pourquoi vous proclamez-vous marrane ? J.A : Parce que le marrane est celui qui se veut à la frontière de plusieurs cultures et invente le nouveau dans cette faille entre deux certitudes. Jacques Attali I.J : En vous lisant, j'ai eu le sentiment qu'au fond, ce livre de ferveur et d'amour est un merveilleux kaddish prononcé à la mémoire de votre père. Est-ce le cas ? J.A : Merci de l'avoir compris ainsi. C'est à lui que je dois tout. C'est à lui que je pense sans cesse et c'est de lui que j'essaie d'être digne. LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI Les tribus proportionnelles D epuis de sa création, l'État d'Israël a élu ses représentants au scrutin proportionnel, qui seul pouvait exprimer l'esprit divisé et tourmenté du peuple juif. En bien des occasions, les résultats électoraux ont essentiellement démontré l'impossibilité de gouverner cet étrange ensemble de situations différentes et d'opinions contradictoires qui forment la nation israélienne. La nouvelle Knesset ne diffère des précédentes que par sa composition, qui oblige à de savantes combinaisons entre opinions et expressions du mode de vie. Les Israéliens qui, selon tous les sondages, sont majoritairement favorables à une paix fondée sur le partage, ont renvoyé dans l'opposition les deux formations qui défendent cette formule, les travaillistes et Kadima. L'ensemble des suffrages portés sur les partis de droite dessine une majorité. Cependant les électeurs " russes " de Lieberman ont exprimé leur opposition aux lois adoptées sous la pression des partis religieux. La conception de la légitimité territoriale selon Israël S'il y avait un principe partagé par toutes les tendances du sionisme, c'était bien la nécessité d'abandonner ses oripeaux diasporiques en arrivant en Israël. Bethénou est à l'opposé des définitions bibliques chères aux religieux. Lieberman demeure profondément soviétique, dans sa manière d'envisager les déplacements de populations et de tracer la carte idéale d'un Proche-Orient pacifié. Il conçoit la séparation des Arabes et des juifs à la manière de Staline, qui déplaçait à sa guise, les Polonais, les Ukrainiens, les Hongrois, les Roumains ou les Tatars . Or, non seulement l'espace d'Israël est singulièrement plus réduit que l'ex-URSS, mais Lieberman se retrouve dans une coalition qui comprend les adversaires de tout abandon des sites historiques de la terre d'Israël. ses proclamations électorales. Les électeurs ne peuvent l'ignorer. Ils imaginent seulement qu'il n'appliquera pas une politique conçue à Washington. La faiblesse du système israélien, c'est de ne plus produire de majorité politique. Idéologiquement, la Knesset compte une majorité de droite. Mais ce n'est que la fédération de trois familles : la droite sioniste historique incarnée par le Likoud, la droite religieuse et ce qui ressemble à une droite populiste. Partout ailleurs, on appelle populistes ceux qui opposent le peuple installé aux immigrés récents. En Israël, le parti populiste est issu d'une immigration récente, qui s'exprime dans sa langue diasporique et passe pour n'être pas totalement juive. On imagine difficilement les pères fondateurs du Likoud gouvernant avec un parti qui communique en langue russe avec ses électeurs. S'il y avait un principe partagé par toutes les tendances du sionisme, c'était bien la nécessité d'abandonner ses oripeaux diasporiques en arrivant en Israël. Les pionniers renonçaient à se parler en yiddish, qui était pourtant une langue juive, ils s'imposaient l'effort quotidien de l'hébreu. Sur ce point, les partisans de Jabotinski se montraient particulièrement intraitables, considérant le yiddish comme un ancien idiome associé à l'avilissement du juif dans les ghettos d'Europe. Leurs descendants politiques se voient contraints de passer un accord avec les représentants d'une minorité qui conserve non le yiddish, mais le russe, langue de l'oppresseur antisémite. La véritable nouveauté, c'est qu'il est désormais impossible de gouverner Israël avec une majorité sioniste, ce qui supposerait un accord entre le Likoud, Kadima et les travaillistes. La politique israélienne a longtemps été marquée par l'opposition entre deux conceptions du sionisme, celle de Begin et celle de Ben Gourion, les religieux n'étant alors qu'une Le Likoud, qui doit gouverner en fédérant les uns et les autres, raisonne d'une autre manière, en se gardant toujours de définir par avance les lignes d'un accord de paix qu'il n'est guère pressé de signer. Il doit peut-être sa victoire à un paradoxe : sachant Obama littéralement plébiscité par les juifs des EtatsUnis, les Israéliens lui ont refusé une seconde légitimité, jugeant Kadima et les travaillistes trop proches des démocrates américains. Benjamin Netanyahu passe, à tort ou à raison, pour le garant de l'indépendance d'Israël, face à ses alliés. Hillary Clinton a contribué très involontairement à son succès, en annonçant qu'elle entendait parvenir à la paix, avant la fin du mandat de Barack Obama. Les plus pacifistes des Israéliens se méfient d'une paix imposée. " Bibi ", comme avant lui Shamir et Sharon, finira par accepter des compromis fort éloignés de INFORMATION JUIVE Mars 2009 17 LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI force d'appoint pour l'un ou pour l'autre. Désormais, aucun parti sioniste n'est majoritaire. Il peut, au mieux diriger une coalition comme le fait le Likoud. Pour satisfaire ses partenaires, il doit renoncer à quelques principes constitutifs du sionisme. C'est un bouleversement historique. On pouvait penser, il y a quarante ans, que le sionisme historique allait être bousculé par l'arrivée massive des juifs venus des pays arabes. Or, si ces immigrations ont incontestablement renforcé le poids des religieux, elles ont Autant le dire, le système électoral est devenu catastrophique. Il perpétue, sur la terre d'Israël, les divisions du peuple juif en diaspora. accepté le principe d'unification du peuple juif. Les particularismes qu'elles ont pu conserver n'étaient que des réponses au mépris affiché par l'aristocratie ashkénaze " de gauche ". Les " Russes " ont conservé dans la société israélienne les réflexes de repli qui leur permettaient de survivre en Union Soviétique. Ils se sont protégés d'Israël, comme ils se protégeaient du parti et du KGB. Même ceux qui ne sont pas vraiment juifs… Les immigrants russes n'ont pas seulement apporté leur différence, ils ont révélé en retour toutes celles que la société israélienne s'efforçait de masquer ! La fracture droite gauche lisible dans toutes les démocraties occidentales est loin d'être la seule ligne de partage au sein de la Knesset. Aujourd'hui, on vote en fonction de ces appartenances communautaires que le sionisme entendait effacer. On vote " russe ", religieux séfarade, religieux ashkénaze, orthodoxe, ainsi de suite. La moitié des députés représentent ainsi des fractions du peuple d'Israël et non plus le projet unitaire des partis sionistes. Les majorités se fondent donc sur des additions de voix et des compromis quand elles ne dépendent pas de marchandages, de répartitions de subventions entre les divers groupes. Il faut, cette fois, faire vivre ensemble, dans une même coalition, les partisans d'un strict respect de la Tora et les clients des charcuteries russes. Autant le dire, le système électoral est devenu catastrophique. Il perpétue, sur la terre d'Israël, les divisions du peuple juif en diaspora. C'est le sens des votes par pays d'origine ou par obédience rabbinique. Et ce système dispense les partis de toute recherche des convergences de programme qui fondent les coalitions politiques. Les majorités se brisent un jour ou l'autre, provoquant des élections anticipées. Israël vient d'affronter une guerre conduite par un gouvernement démissionnaire, dont les principaux ministres s'affrontaient devant les électeurs. Le taux d'abstention ne cesse de croître, 40% des Israéliens n'ont pas voté. Pis : l'abstention est particulièrement forte chez les jeunes. Ces mêmes jeunes, qui ont risqué leur vie au Liban et à Gaza ne se reconnaissent pas dans le système d'expression politique d'Israël ! Il est temps de s'inquiéter. G.K La Knesset 18 INFORMATION JUIVE Mars 2009 ANTISÉMITISME Durban : symbole de la haine E n septembre 2001, je me trouvais à Durban en Afrique du Sud, invité par le Centre Simon Wisenthal pour témoigner des actes antisémites qui frappaient les lieux de culte de France. En effet, le 12 septembre 2000, notre synagogue des Ulis fut l'objet d'une agression aux cocktails Molotov. Me trouvant à l'intérieur du bâtiment lors de cette attaque, je pus m'enfuir par l'étage supérieur et prévenir les agents du commissariat de police situé non loin de là. Il était évident que les agresseurs avaient pris prétexte de l'Intifada qui faisait rage à l'époque et dont le point d'orgue médiatique fut la soi-disant mort du jeune Mohamed al Doura Au mois de juillet 2001, je fus contacté par le docteur Samuels, directeur du Centre Simon Wisenthal qui me demandait de venir témoigner à Durban, en tant que victime de l'antisémitisme. Il espérait (sans trop d'espoir) que ma voix serait entendue au milieu d'un tumulte qu'il pressentait hostile à Israël. J'acceptais. Notre délégation était formée de responsables du Centre Simon Wisenthal, de représentants du Ministère israélien des affaires étrangères, ainsi que de Mme Ruth Gillis et du rabbin Seth Mandel. Mme Gillis était la veuve du professeur Shmouel Gillis, de mémoire bénie, cancérologue de renom à l'hôpital Hadassa de Jérusalem, qui avait été assassiné le 1er février 2001 par un terroriste. Quant au rabbin d'origine américaine, Seth Mandel, il avait perdu son fils Koby, de mémoire bénie, assassiné et mutilé, lors de son ultime ballade de lag baomer, le 11 avril 2001. J'ai gardé quelques souvenirs de la ville de Durban : des grands hôtels modernes, de larges rues chauffées par un soleil encore ardent, un bord de plage au sable fin et surtout ces grands panneaux publicitaires, sponsorisés par l'ONU, où l'on pouvait lire cette belle formule, que les rabbins du Talmud auraient authentifiée : " une seule race, la race humaine ". Malheureusement, nous découvrîmes très vite qu'il existait aussi deux poids deux mesures entre les hommes. Et ce qui devait constituer une grande farandole fraternelle entre des hommes et des femmes de différentes ethnies, cultures ou langues allait être un grand réquisitoire contre un seul Etat (responsable évidemment de tous les maux de la terre) : l'Etat d'Israël. Dans l'immense esplanade d'accueil du parc des expositions, dans les auditoriums, dans les couloirs, dans les cafétérias, les discours tournaient tous autour de ce sujet. D'ailleurs, le Shabbat précédant notre venue, un groupe d'intégristes musulmans avait manifesté devant le centre communautaire juif en lançant des slogans haineux "Mort aux juifs" ou "Hitler n'a pas terminé le travail". Curieuse attitude qui, d'un côté, affirme que les chambres à gaz n'ont jamais existé et de l'autre celle qui regrette que les nazis n'aient pas achevé leur oeuvre exterminatrice ; mais il est vrai que la haine n'a pas besoin d'une autre logique que la sienne propre. Ici l'hostilité envers l'Etat d'Israël rejoignait la haine antisémite. Je me souviens aussi de ces trois Nétouré Karta qui portaient sur leur caftan noir un badge. En s'approchant d'eux on pouvait distinguer cette équation : sionisme = racisme. Un autre élément m'a surpris : dans le spot publicitaire présentant la réunion de Durban et qui tournait en boucle dans les centaines d'écran installés dans tout le parc, des mots apparaissent et disparaissent en fondu enchaîné : xénophobie, racisme, apartheid, ségrégation, torture, homophobie ; un mot n'apparaissait jamais "antisémitisme". (Peut-on l'auteur de ce spot n'était-il pas sûr de l'exacte orthographe du mot ?) PAR PHILIPPE HADDAD Au fur et à mesure que nous déambulions dans l'immense bâtiment, il devenait clair qu'une seule idée traversait de façon obsessionnelle le discours : Israël était coupable, coupable d'exister, coupable de se défendre ; un bouc émissaire tout choisi. Les problèmes du racisme, du fanatisme religieux, des injustices sociales dans le monde, des violences envers les femmes, les questions d'éducation des nouvelles générations aux valeurs démocratiques, tous ces thèmes qui auraient dû constituer le cœur des débats étaient totalement occultés. Certes, nous les victimes de l'antisémitisme nous avons été interviewés, filmés, photographiés, mais je pense que les pellicules vieillissent toujours au fond d'un tiroir. Nous sommes restés trois jours à Durban. Le troisième jour les Etats-Unis et Israël annonçaient officiellement leur départ. A leurs yeux, l'ONU était devenue l'otage des ennemis d'Israël, le projet "one race, human race" n'avait été qu'un prétexte de plus pour répandre le venin de la haine. Il n'y a pas d'illusion à se faire : Durban II ne sera pas différent de Durban I : il y aura beaucoup de monde, beaucoup de jeunes, beaucoup de journalistes, beaucoup de T-shirt prônant l'unité du genre humain, beaucoup de sandwichs, mais il y aura surtout beaucoup de haine, beaucoup de slogans hostiles à Israël et au peuple juif. Ce sera la même chanson et les " démocrates " qui s'y rendront pourront danser sur des airs de dictature nauséabonde. ODASEJ L’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V E est une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919 Pa r c e q u ’ u n e n f a n t h e u r e u x devient un adulte qui a de meilleures chances de construire son avenir et celui de la communauté L’ODASEJ a pour mission d’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou en difficulté sur le territoire national Leur avenir est entre vos Transmettez mains votre nom à un programme de solidarité… Perpétuez la mémoire de vos parents … … Faites un legs ou une donation à l’ODASEJ Que vous ayez des héritiers ou non, vous pouvez faire un legs ou une donation en faveur de l’ODASEJ en exonération des droits de succession ou de mutation Pour un rendez-vous confidentiel Appelez Tony SULTAN Tél. : 01 42 17 07 57 • Fax : 01 42 17 07 67 ODASEJ ESPACE RACHI, 39, RUE BROCA, 75005 PARIS INFORMATION JUIVE Mars 2009 19 LA VIE JUIVE Un wagon de train transformé en yéchiva ambulante : Connaissez-vous le Talmudland ? Dans notre dernière livraison, nous avons publié un extrait du livre de Pierre-Henry Salfati " Talmud. Enquête dans un monde très secret " (Editiosn Albin Michel) consacré à la guénizah. Or, le livre de Salfati constitue surtout une très intéressante enquête sur les lieux où le Talmud est aujourd'hui vivant. Rencontre avec l'auteur. OOO I.J : Pourquoi appelez-vous le Talmud un monde " très secret " ? Pierre-Henry Salfati : Secret dans la mesure où ceux qui l'étudient, ceux qui en font leur quotidien, perpétuent une tradition ancestrale au sein d'un monde volontairement clos. Il en va ainsi d'une singularité, elle se doit pour se perpétuer, de demeurer à l'abri du monde séculier, à l'abri de toutes sortes d'influences pouvant nuire à sa continuation. Les juifs orthodoxes, puisque c'est d'eux dont il s'agit, se sont contraints à préserver au maximum cette singularité au sein du ghetto communautaire. Préservant cette singularité autant que faire se peut, ils préservent l'identité juive. Le Talmud pouvant être considéré comme l'ouvrage fondateur de l'identité juive. Cette discrétion volontariste est dictée par la loi juive elle même : non seulement le Talmud se doit de se générer à l'ombre du monde, en retrait, au sein des "quatre coudées" de la halakha, mais, qui plus est, il n'a aucune ambition prosélyte. Tout cela contribue à faire de l'univers du Talmud un monde quelque peu confidentiel, voire, les siècles passant, quasi impénétrable. Ainsi les juifs orthodoxes en cultivant cette forme de discrétion perpétuelle ont su jusqu'à nos jours préserver l'identité juive tout en conférant au Talmud un aspect mystérieux. I.J : Pour les besoins de votre film sur le Talmud et de votre livre, vous avez enquêté aux Etats-Unis et en Israël, en Allemagne, à Venise et à Londres. Que vouliez-vous montrer ? P-H.S : En voyageant ainsi sur les traces talmudiques, il s'agissait de reconstituer "la géographie de l'exil." Dépossédé à maintes reprises de leur terre d'origine, chassés définitivement par les Romains au 1er siècle, les juifs sont redevenus les nomades du désert décrits par la Bible. Leur véritable patrie devenait le Talmud. Le Talmud s'est 20 INFORMATION JUIVE Mars 2009 ainsi constitué et complété le long de leurs pérégrinations. Il convient d'avoir à l'esprit que le Talmud est un ouvrage en perpétuelle évolution et durant des siècles cette évolution s'est poursuivie, suivant la carte des déplacements des juifs imposés par les aléas de l'histoire. Venise, Amsterdam, Worms, Mayence, Cordoue Si certaines sommités talmudiques sont encore opposées à l'utilisation d'Internet en général et pour la diffusion du Talmud en particulier, elles sont aujourd'hui en minorité. Se multiplient on line les sites où toutes sortes de questions sont posées dans le cadre de la halakha, auxquelles des érudits répondent en ne ménageant pas Parmi ces lieux d'étude de la page quotidienne du Talmud : ces trains de banlieue, entre Long Island et Manhattan. Hommes et femmes d'affaires, avocats, banquiers et autres travailleurs new-yorkais, profitent tous les matins de l'heure quotidienne de transport en chemin de fer pour transformer leur wagon en véritable yéchiva. etc, jusqu'à New-York de nos jours, sont autant de "nouvelles Jérusalem", capitales éphémères d'un monde talmudique en perpétuelle évolution. I.J : Qu'est-ce qui caractérise les sites qui, sur Internet, se livrent aujourd'hui à l'enseignement du Talmud ? P-H.S : Peut-être déjà de s'offrir au monde sans se soucier de la prescription talmudique de ne pas enseigner le Talmud aux non- juifs pour des raisons de singularité. Mais apparemment cette notion là est devenue caduque. Peut-être parce qu'il semble plus important de l'enseigner au plus grand nombre de juifs et pour ce faire utiliser toutes les technologies qu'offre la modernité. Les non- juifs ont donc désormais accès au Talmud dans ses détails. Convient- il d'y voir un signe des temps ? Ne dit- on pas que le Messie viendra quand "les sources seront répandues à l'extérieur". En tout état de cause, Internet illustre bien cette période. leur peine. Se perpétue ainsi une des "filiales" de la littérature talmudique, ce que l'on nomme les Chéélot Outchouvot, mot à mot les Questions-Réponses, qui ont fait florès dés le lendemain de la clôture du Talmud et qui consistaient en un perpétuel questionnements entre maîtres et élèves en matière talmudique. Internet est peutêtre le lieu de cette continuité. I.J : Qu'avez-vous découvert dans votre enquête concernant le Talmud ? P-H.S : Tant et tant de rencontres, toutes plus enrichissantes les unes que les autres. Au- delà des rencontres, ma principale découverte à été le constat de la modernité du Talmud. Loin d'être un livre d'arrière garde, le Talmud a une actualité plus vive que jamais. Jamais sur cette planète autant de gens n'ont étudié le Talmud. Même à l'âge d'or de sa compilation, même au temps des premiers maîtres de la Mishna et de la Guemara, il n'y a eu autant d'élèves qu'aujourd'hui. Ne serait- ce que parce que LA VIE JUIVE la démographie augmente, alors nécessairement le nombre de talmudistes en herbe augmente, et augmente nécessairement le nombre de ses maîtres. Même si leur niveau général n'est pas comparable à celui de leurs ancêtres, les talmudistes qui apprennent et enseignent aujourd'hui ont pour mérite de perpétrer un acte millénaire. I.J : Comment est née l'initiative de la page quotidienne de Talmud apprise par tous ? P-H.S : Le Talmud contient 2711 pages. Au rythme d'une page par jour, il faut 2711 jours, soit 7 ans et demi pour venir à bout de l'ensemble. Et tous les 7 ans et demi, c'est la fête au royaume de l'orthodoxie juive. En fait, tout a commencé le 15 août 1923, à Vienne, où le jeune rabbin Meir Shapiro propose son idée du cycle de l'étude quotidienne de Talmud. Son idée : demander aux juifs de par le monde, d'apprendre la même page de Talmud afin que tous, où qu'ils se trouvent ? soient unis dans et par l'étude. Méir Shapiro s'exprime ainsi : " Si en tous lieux où vivent les juifs sur la terre, on se mettait à étudier la même page de Talmud le même jour, pourrionsnous avoir meilleure expression palpable du lien éternel entre le Saint béni soit Il, sa Tora et son peuple ?" Unir le peuple juif ! Lutter contre l'assimilation des communautés ! Bâtir un Temple à la Sagesse. Le succès fut immédiat. Onze cycles après, quatre-vingt deux ans plus tard, en 2005, au Madison Square Garden de New York, s'élevait ce Temple à la Sagesse, dont les prêtres et les fidèles étaient les successeurs du rabbin Shapiro et des six- cent membres de la première assemblée des étudiants du Daf Yomi (littéralement : page quotidienne). L'émulation était d'autant plus forte, que l'événement était relayé dans plus de cinquante villes dans le reste du pays, et dans une quinzaine de pays dans le monde, via le satellite, ce n'était pas 45 000 personnes qui fêtaient le onzième Siyoum Hashas (clôture du Talmud) in live, mais plus de 120 000. I.J : Un wagon de train qui devient une véritable yéchiva, comment est-ce possible ? P-H.S : Parmi ces lieux d'étude de la 22 INFORMATION JUIVE Mars 2009 page quotidienne du Talmud : ces trains de banlieue, entre Long Island et Manhattan. Hommes et femmes d'affaires, avocats, banquiers et autres travailleurs new-yorkais, profitent tous les matins de l'heure quotidienne de transport en chemin de fer pour transformer leur wagon en véritable yéchiva. En quelques années cela est devenu une institution. Avec l'accord de la compagnie ferroviaire concernée, le wagon yéchiva accueille tous les passagers. Cela donne lieu à des scènes tout à fait rocambolesques où des non- juifs entrant dans le wagon deviennent eux mêmes les acteurs de ce Daf Yomi. Mais il n'y pas que les trains, les fameux bus jaunes qui conduisent aussi tous les jours les juifs pieux de Brooklyn à Manhattan sont de véritables yéchivot sur roue. I.J : Qu'êtes-vous allé chercher à Worms, la ville où Rachi aurait enseigné ? P-H.S : Dés le 10e siècle le triangle d'or de Shoum était fameux. Shoum étant Dans une yéchiva en Israël l'anagramme en hébreu des trois noms de villes Spire, Worms et Mayence. Trois villes qui délimitaient à l'époque le nouveau talmudland au lendemain de l'exil des juifs de Babylone et du Moyen Orient. C'est donc en Rhénanie que s'est développé le judaïsme rabbinique ashkénaze durant cette période. Rachi est connu pour être citoyen de Troyes en Champagne, il l'est moins pour avoir poursuivi une grande partie de ses études à Worms. Il n'a pas enseigné à Worms mais il a étudié auprès de maîtres prestigieux. Malgré tout persiste l'idée qu'il aurait été enseignant là bas, à tel point que dans la synagogue ancienne de Worms - aujourd'hui restaurée - l'un des murs de la salle d'étude comporte un creux en forme de siège, lequel est dit de Rachi. Que suis- je allé chercher à Worms ? Un peu de cet air du 10e, 11e et 12e siècle. Cet air respiré par Guershom Méor Hagola, par Rabbi Yaakov ben Yakar et d'autres illustres prédécesseurs et maîtres de Rachi. I.J : A Rome vous avez découvert, dites-vous, pourquoi l'Eglise a souvent attaqué le Talmud. P-H.S : Le premier brûlement du Talmud a eu lieu à Paris, sous l'ordre du Pape, Saint Louis a procédé à la mise au bûcher de tous les manuscrits juifs. Le Talmud a été victime du premier grand librocide de l'histoire, il s'agissait de l'éradiquer de la surface du monde. Le Vatican s'en est ainsi pris à l'âme juive, considérée comme diabolique, perverse et surtout ennemie de la chrétienté. C'est parce que l'Eglise s'est imaginée, suite à des dénonciations calomnieuses, que le Talmud relevait de l'antéchrist (on y aurait décrit Jésus, la Vierge Marie comme des personnages peu recommandables) que l'ordre fut pris d'en exterminer le moindre manuscrit. Le Talmud ayant toujours conservé un esprit sulfureux pour la papauté et ses prélats, il fallut cette dénonciation pour ne pas aller voir plus loin et commettre l'autodafé. La chose fit école. Les nazis brûlèrent autant de livres juifs, qu'au lendemain de la guerre on ne put mettre la main, sur le moindre exemplaire complet d'un Talmud en Europe. I.J : A Londres enfin vous avez eu l'occasion de compulser les neuf volumes du Talmud au cœur de l'abbaye de Westminster. Qu'est-ce que ce Talmud de Bomberg a de particulier ? P-H.S : Au 16e siècle, à l'heure des premières imprimeries, le Talmud va passer de manuscrit au statut de livre. Et quel livre ! Pour ne plus que se renouvellent des autodafés de manuscrits juifs, la communauté juive de Venise va réunir une énorme somme pour s'offrir le Talmud en caractères d'imprimerie. C'est à Daniel Bomberg, venu de Hollande, qu'incombe la tâche. Entouré des plus érudits d'entre les juifs il va mettre au monde en plusieurs années, l'un des chefs- d'œuvre du patrimoine mondial en matière de bibliophilie. Bomberg va non seulement imprimer le premier Talmud, mais également en formater les pages pour tous les siècles suivants et ce jusqu'à aujourd'hui. LA VIE DU CONSISTOIRE Une importante délégation de rabbins européens à Paris Le Congrès annuel du Centre Rabbinique Européen s’est tenu à Paris le 3 mars dernier. Une importante délégation de près de cent cinquante rabbins venus de toute l’Europe avait fait le déplacement. Après une journée de travail sur le thème de « la famille juive », l’ensemble des rabbins a assisté à une importante cérémonie donnée en leur honneur à la synagogue des Tournelles, en présence du grand rabbin d’Israël Yona Metzger, du grand rabbin de France Gilles Bernheim, du grand rabbin de Paris David Messas, du Président du Consistoire central Joël Mergui, de l'Ambassadeur d'Israël en France Daniel Shek, et du Président de la synagogue des Tournelles Marc Zerbib. Chants et discours des principales personnalités présentes se sont succédés au cours d’une soirée marquée par la solennité née de l’importante délégation de rabbins remplissant la synagogue. Le lendemain, Mme Alliot-Marie, Ministre de l'Intérieur en charge des cultes, a accueilli le Président du Le grand rabbin de Paris, le grand rabbin d'Israël, le Président du Consistoire Central, l'Ambassadeur d'Israël et le Président de la communauté des Tournelles. Consistoire Joël Mergui et du grand rabbin de Paris David Messas, entourés de la délégation de rabbins. Après avoir abordé les questions de l'antisémitisme qui concerne l'ensemble des pays représentés, Mme Alliot-Marie a réaffirmé l'engagement de la France dans ce combat et l'ampleur des mesures prises notamment en matière de sécurisation des lieux de culte. La question sensible du projet de législation européenne concernant l'abattage rituel fut abordée et Mme le ministre a fait part de son intervention personnelle auprès du Commissaire européen pour que ce pilier fondamental de la pratique La délégation de rabbins européens religieuse juive ne soit pas menacé. remplissant la synagogue des Tournelles La Team Roquette fait étape à Lunéville Dans le cadre de son tour de France entamé l’été dernier, et après Angers, Caen et Evian, les jeunes de la Team Roquette se sont rendus à Lunéville le 14 février pour un nouveau Chabbat plein dans la synagogue qui date de 1785. Les 50 jeunes venus de toute la France se sont une nouvelle fois retrouvés pour un Chabbat imprégné de joie, de chants, de ferveur et d’émotion. Cette nouvelle étape de la Team Roquette a été l’occasion de reconnaître l'engagement exemplaire du Les jeunes de la Team Roquette dans la synagogue de Lunéville Président de la Communauté de Lunéville Dr. Jean-Yves Sebban pour qui, selon ses termes « lorsqu'on veut un mynian, on le trouve ». Et d’ajouter : « Cette initiative du consistoire central avec comme relais exceptionnel les jeunes de la Team roquette est à mes yeux exemplaire. Elle doit se poursuivre, se pérenniser et se bonifier si cela est encore possible ». Selon un jeune ayant participé à cette rencontre, « De nouveau ce fut un chabbat extraordinaire dans une ambiance exceptionnelle grâce à la team roquette ainsi qu’à la communauté juive de Lunéville qui nous a accueilli avec une très grande gentillesse, qui nous a permis de nous rassembler dans cette magnifique synagogue. Ce mouvement est devenu nécessaire pour tous les jeunes juifs de France. Nous attendons avec impatience le prochain Chabbat organisé, où qu’il soit ! ». Le Président du Consistoire Central Joël Mergui, accompagné du vice-Président Jack-Yves Bohbot, ont tenu à faire le déplacement pour l’occasion, accueillis par le député-maire de Lunéville Jacques Lamblin, et ont notamment participé à une réunion de travail sur place avec l'ensemble des Présidents de la Région. Joël Mergui a notamment déclaré que « Les jeunes qui sont ici font un travail beaucoup plus important qu'ils ne le pensent ». Mettre en place des équipes de jeunes motivés et formés pour assumer la prise en charge et le soutien des communautés isolées, tel est le défi auquel Joël Mergui a choisi de répondre, « un enjeu majeur pour les prochaines années ». Le député-maire de Lunéville Jacques Lamblin avec le Président de la Communauté Dr Sebban, le Vice-Président M. Zenou et le Président du Consistoire Central Joël Mergui Mais pour tous les jeunes de la Team Roquette accompagnés par le Rabbin Menahem Engelberg et son épouse, ce fut surtout un Chabbat exceptionnellement chaleureux. Rendez-vous est déjà pris pour le prochain déplacement de cette équipe dynamique et volontaire. Désormais, et pour répondre aux nombreuses demandes, la Team Roquette aura un bureau au Consistoire Central. La prochaine étape de la Team Roquette se déroulera à La Rochelle le 1er mai. INFORMATION JUIVE Mars 2009 23 LA VIE DU CONSISTOIRE Me Elie Korchia succède à Joël Mergui à la présidence des communautés des Hauts-de-Seine Mme Christine Albanel, Ministre de la Culture, reçue au Consistoire Central C Elie Korchia onvoqué par son président fondateur, M. Joël Mergui, en vue de l’élection de son nouveau Président et du nouveau Bureau, le Conseil des Communautés Juives des Hautsde-Seine a tenu dimanche 15 mars à Montrouge une réunion extraordinaire de son Conseil d’administration. Fait exceptionnel, les vingt-cinq communautés juives du département des Hauts-de-Seine étaient, à l’exception d’une seule, toutes présentes pour l’occasion, chacune d’entre-elles étant représentée par son Président ainsi que par ses délégués désignés, soit un total de soixante-dix-huit dirigeants communautaires du département venus spécialement pour cette élection. Après des propos d’introduction du Président Mergui, rappelant avec émotion l’action menée dans le département au cours des dernières années qui, selon lui, a fait des Hautsde-Seine « un département pilote pour de très nombreux projets ayant servi par la suite de base au niveau national», les deux candidats en lice, Me Elie Korchia et M. Alberto Gabai, devaient effectuer leur Grand oral, dans le but de présenter, à tour de rôle, leur profil, leurs expériences et leurs projets. Puis, à l’issue d’un scrutin à bulletin secret, Elie Korchia a été élu avec 56 voix contre 19 pour Alberto Gabai et trois abstentions. Après avoir précisé que son projet comportait à court terme plusieurs points majeurs, Elie Korchia a insisté sur le fait qu’il sera l’ « homme des communautés du département » tenant à travailler avant tout en coopération étroite avec l’institution consistoriale, maison mère des communautés juives, ainsi qu’avec les autres institutions juives nationales, au service de toutes les communautés juives des Hauts-de-Seine. Tout juste élu, le nouveau Président a proposé un Bureau de huit membres, qui a été élu à l’unanimité. La ministre de la culture en réunion de travail au Consistoire Central R appelant les liens étroits entre la République et le judaïsme, M. Joël Mergui a souligné le rôle actif que doit pouvoir jouer le Ministère de la Culture en cette période d'inquiétude liée à la résurgence d'actes anti-juifs. Mme Christine Albanel a souligné quant à elle son souhait de contribuer à rassurer la Communauté juive par des actions portant sur l'aspect patrimonial relatif aux 400 synagogues appartenant aux consistoires et dont seul un faible nombre a été inscrit au classement des Monuments Historiques. Mme Albanel a assuré le Président du Consistoire de son soutien et de son appui tant pour ce qui concerne la Fondation du Patrimoine Juif que sur le dossier urgent du Cimetière d'Ennezat où des tombes juives médiévales risquent de disparaître dans un projet de lotissement. Réunion de travail avec Mme Roselyne Bachelot L es sujets abordés lors de la réunion de travail au Consistoire Central avec Mme Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé et des Sports, furent nombreux : jeunesse, aumôneries des hôpitaux, vie associative, venue de la Ministre au centre Fleg pour rencontrer les étudiants ainsi que le Haut-Patronage des soirées sur la bio-éthique qui doivent être organisées dans les prochaines semaines. Gala de soutien à Toulouse pour le Gan Rachi D ans le cadre de ses déplacements en province à la rencontre des responsables des communautés juives et des autorités régionales, M. Joël Mergui s'est rendu le 16 mars à Toulouse. En présence du Président de la Communauté M. Arié Bensemhoun, Joël Mergui a rencontré M. Pierre Cohen, maire de Toulouse, pour un échange de vues sur la situation actuelle des relations entre la communauté juive et la ville de Toulouse et l'établissement de liens encore plus étroits notamment dans le domaine culturel. Au cours de ce voyage, la visite du Gan Rachi, qui accueille 200 enfants de la crèche à l'école primaire, a été menée par son Directeur, M. Yossef Matusof. La journée s'est achevée à l'espace du judaïsme par un diner de gala de soutien au Gan au cours duquel Joël Mergui a rappelé que "L'existance d'une ecole juive est une richesse precieuse pour les communautés qui ont la chance d'en avoir une" et a appelé les personnes présentes "à soutenir ce projet scolaire communautaire". 24 INFORMATION JUIVE Mars 2009 LA VIE DU CONSISTOIRE Tikvatenou et Yaakov Shwekey au Casino de Paris P our la sixième année consécutive, le chanteur hassidique américain Yaakov Shwekey s'est rendu à Paris le 18 mars dernier pour un concert organisé cette année au Casino de Paris par le mouvement de jeunesse Tikvatenou et parrainé par le Consistoire de Paris. La soirée s'est déroulée en présence du grand rabbin de France Gilles Bernheim et du Président du Consistoire Central Joël Mergui. Devant une salle remplie de jeunes et dans une ambiance survoltée, le chanteur a repris la plupart de ses succès et de ses nouveautés. Tant le grand rabbin de France que le Président du Consistoire ont souligné, à l'approche de la joie de Pessah, la ferveur et la chaleur de notre jeunesse qui a offert ce soir là une fête très spéctaculaire sur les airs tout imprégnés de vitalité, d'émotion et de judaïsme. Un hommage a été rendu à la fois au dynamisme et l'enthousiasme de nos jeunes et à l'action menée sans relâche par Tikvatenou au service de l'ensemble des jeunes de la communauté dans les valeurs du Consistoire, de laTorah et d'Israël. Le Président Joël Mergui et les jeunes de Tikvatenou Le Président Mergui a rappelé les efforts consentis toute au long de l'année par le Consistoire en faveur des projets tournés vers la jeunesse, l'une des priorités de l'action globale de l'instititution, que ce soit au centre Fleg, à Tikvatenou, au Talmud Torah, ou plus généralement au sein même de chacune des communanutés. A propos du très beau projet récemment mis en place des Chabbat jeunes, il a notamment lancé un appel à l'ensemble des jeunes présents : "notre Jeunesse doit prendre le pouvoir dans nos synagogues". Un credo prioritaire pour le Consistoire. Grand diner du Consistoire à Bordeaux avec le Ministre de l’éducation nationale © Yves Elbaz Une soirée prestigieuse a été organisée à Bordeaux le 19 mars par le Consistoire Régional du Sud-Ouest. Un grand diner de gala a eu lieu pour célébrer le Bicentenaire du Consistoire, avec la présence exceptionnelle du Ministre de l’éducation nationale Xavier Darcos, du grand rabbin de France Gilles Bernheim, du Président du Consistoire Central Joël Mergui, du Président du Consistoire de la région Sud-Ouest Dr. Erick Aouizerat, du Président de la Région Aquitaine Alain Rousset, du maire de Bordeaux Alain Juppé et de nombreux élus locaux et représentants de l’Etat. Etaient également présents de nombreux Présidents de communautés de la région, et notamment de La Rochelle, Le Ministre de l'Education nationale, le Président du Consistoire Arcachon, Périgueux. L’objectif premier était de mettre l’accent Régional Sud-Ouest, le Président du Consistoire Central, sur l'importance de la relation entre la communauté Juive et la le grand rabbin de France lors du diner de gala France en cette année du Bicentenaire de la création des Consistoires Régionaux. Le Président Mergui a notamment mis l’accent auprès de M. Darcos sur l’importance et la nécessité de la vitalité des petites écoles juives comme celle de bordeaux qui « jouent un rôle central dans la pérennité même du judaïsme », ce à quoi le ministre de l’éducation a répondu qu’il examinerait de près ce dossier et lui apporterait toute l’attention nécessaire. Face au succès de cette très belle soirée, rendez-vous est déjà pris pour 2010. 8 avril 2009 - Bénédiction sur le soleil I l existe dans le calendrier juif une mitsva que l'on accomplit rarement. Tous les 28 ans en effet, le soleil achève un cycle et se retrouve à sa position initiale au moment de la création et entame alors un nouveau cycle. C'est à cette occasion, au début du printemps, que les communautés se réunissent pour réciter ensemble la Bénédiction du soleil, la Birkat ha'Hama. Cette mitsva trouve sa source dans le Talmud (Berakhot 59b). Nos sages rappellent que lors de la création du monde, le soleil fut créé au commencement du printemps, en Nissan, la nuit du quatrième jour. Cette année, la Bénédiction du soleil sera récitée le mercredi 8 avril 2009 (14 Nissan 5769). Le Consistoire de Paris vous invite à rejoindre nombreux à cette occasion exceptionnelle votre communauté afin de réciter tous ensemble cette bénédiction. La dernière célébration a eu lieu le 8 avril 1981 et la prochaine aura lieu le 8 avril 2037 ! INFORMATION JUIVE Mars 2009 25 JUDAÏSME Pessah : Quand trois générations se rencontrent I « l vaut mieux être à deux que tout seul (Ecclésiaste IV, 9). Il vaut mieux être un juste fils de juste que d’être un juste fils de méchant, car le mérite de celui qui est seul ne ressemble pas à ceux de deux justes qui possèdent un acquis. Et si un malheur devait s’abattre sur la famille, le mérite des deux la protègera. Mais s’ils sont trois justes : un juste qui engendre un fils juste qui lui-même engendre un fils juste, alors ce mérite ne les quittera jamais, ainsi qu’il est dit (ibid. IV, 4) « et le triple nœud ne rompt pas rapidement ». Rabbi Zéïra s’est étonné : Pourtant il peut se trouver une lignée de trois justes alors que la quatrième génération donnera des fauteurs ? On répondit : Salomon n’a pas dit que le nœud ne rompt pas, mais qu’il ne rompt pas « rapidement ». Ainsi, s’il rompt dans une génération, le lien se refera-t-il ensuite, comme il est dit (Isaïe 59, 21) « Et ces paroles que je place dans ta bouche ne quitteront jamais ni ta bouche, ni la bouche de ta descendance, ni la bouche de la descendance de ta descendance, dit l’Eternel, pour maintenant et à tout jamais. » Si un homme est disciple de sage, puis son fils, puis son petit-fils, alors la Torah ne quittera jamais cette famille, comme il est dit dans ce verset « à partir de maintenant et pour toujours ». Et quel sens donner à « parole de l’Eternel » ? Le Saint, béni soit-il, déclare : « Je suis garant de cela ». (Midrash Téhélim sur psaume 59) La famille d’abord S’il est une solennité que nous devons vivre en famille, c’est bien cette fête de Pessah . Plus qu’une autre, elle nous invite à nous rassembler dans un même lieu, lisant et interrogeant les mêmes textes, partageant ensemble le même repas. Déjà la Torah (Ex XII) requiert que les Hébreux doivent se trouver chacun dans sa maison, que l’agneau soit mangé en famille et qu’il faille s’associer aux voisins si l’on doute de pouvoir terminer la consommation de l’agneau en petit comité. Déjà, au pharaon qui lui demande qui va quitter son pays, Moïse répond (Ex 10, 9): « Nous partirons avec nos jeunes et avec nos vieillards, nous partirons avec nos fils et avec nos filles. » Le Maharal de Prague, ce maître du XVIème siècle, va dans le même sens expliquant pourquoi l’agneau pascal devait être grillé et non bouilli. Car une viande bouillie s’effiloche dans son jus, alors que le feu rend compact la chair, écrit-il ; il en est de même pour la communauté israélite qui se doit cette nuit-là de se retrouver réunie et non dispersée. Si pour Protagoras « l’homme est la mesure de toute chose », le judaïsme préférera se référer à la famille. C’est ainsi que selon la halakha, la longueur minimale d’une ligne de sefer Torah doit 26 INFORMATION JUIVE Mars 2009 PAR PHILIPPE HADDAD contenir trois fois le mot lémishpéhotékhem « pour vos familles ». On ne pouvait trouver meilleur étalon ! Qui dit famille dit rencontre générationnelle. Autour de la table pascale, deux ou trois générations (voire quatre aujourd’hui, dans notre temps de progrès médical) vont de nouveau se rencontrer pour rappeler la merveilleuse épopée des origines du peuple d’Israël arraché il y a plus de trois mille ans, au joug et aux fers du despote égyptien, et s’élançant sous la conduite de Moïse vers un destin riche de gloire comme d’épreuves. Redire notre mémoire Et lorsque la famille sera réunie, la cérémonie de la sortie d’Egypte pourra débuter. Etude et prière, manducation et chants, questions et réponses, la soirée pascale balance entre des actes hautement religieux et des gestes plus naturels. Car le judaïsme se veut une religion de la vie autant qu’une religion dans la vie. La bouche sera l’organe de cette rencontre avec Dieu et avec les autres convives. La bouche pour réciter le Haggadah et pour manger les herbes amères, le pain azyme ou boire les quatre coupes de vin. Dire, redire, transmettre, transformer la nourriture en symbole, lui donner toute la consistance d’une mémoire, comme s’il fallait au final ingurgiter sa propre identité, l’assimiler autant par son cerveau et son cœur que par les cellules de sa propre chair. Telle est la vocation du Seder, de cet « ordonnancement » méticuleux établi par les Sages. Ici le livre se nomme Haggadah, il veut dit dire « récit » ; il n’appartient pas au canon biblique comme le rouleau d’Esther, mais il marquera fortement les mémoires. Qui ne se souvient des quatre questions de l’enfant ou de ce petit agneau acheté pour deux zouz et qui engendre une belle réaction en chaîne. La Torah revient sur cette nécessité de dire le récit, de dire l’origine (Ex 10, 2) : “afin que tu racontes à ton fils et ton petitfils”. A bien y réfléchir l’histoire juive se joue en effet sur trois générations. Au commencement il y eut Abraham, Isaac et Jacob, par la suite il y a toujours eu un grandparent, un enfant et un petit-enfant. Que l’un s’absente et la chaîne de la transmission s’affaiblit. Dans ce scénario répétitif et si exigeant, celui qui dit la mémoire, même plus de trois millénaires après, appartient à la génération sortie d’Egypte. Quand nous récitons “nous étions esclaves de Pharaon”, ce “nous” engage celui qui l’exprime. L’actuel débat autour de “qui est juif” (mi hou yéhoudi), qui oppose les différentes obédiences du judaïsme, comme les non- JUDAÏSME religieux et les religieux, trouve en cette nuit de Pessah son temps de repos et de trêve : Si trois générations se sentent concernées par cette histoire ancienne pour lui trouver son caractère permanent, alors autour de cette table familial c’est l’avenir du peuple d’Israël qui s’écrit, et aucune instance politique ou religieuse ne peut y insérer quelque doute. Certes l’affaire n’est pas toujours évidente. Il fut des époques où les petits-fils ressemblaient aux grands-parents, dans leur manière de parler, de s’habiller et d’espérer. Il en est d’autres, et la nôtre en particulier, où rien à première vue ne pousse à la ressemblance. La technologie aidant, en quelques décennies, nous sommes passés dans un autre univers ; les langages, les habits et les rêves ont changé. Si l’on veut rester fidèle à l’injonction biblique de raconter la mémoire, cette rencontre pascale portera en elle tout le défi d’une transmission à réussir. Je me suis rendu compte de cette problématique le jour où j’ai compris que mes outils pédagogiques ne correspondaient pas à mon jeune public du Talmud Torah. Mes documents portaient des personnages du shtetl alors que mes gamins supportaient Zidane. Il n’existe pas de réponses toute faites pas plus que des talismans magiques, et chaque famille est confrontée à ce questionnement : comment dire dans le langage d’aujourd’hui ce qui constitue notre trame mémorielle et comment susciter chez l’enfant le désir de transmettre « ce quelque chose de juif » à son propre enfant, qui fera que le grand-parent pourra « quelque part » se reconnaître dans sa progéniture. L Le triple nœud ne rompt pas facilement Maintenir l’identité juive sur trois générations c’est lui donner la solidité du triple nœud qui ne rompt pas facilement. Cette préoccupation de la transmission se trouve dans le midrash placé en exergue de notre propos. L’extraordinaire de tout midrash est qu’il reste audible même dépouillé de son habit religieux. Même sécularisée, une leçon rabbinique parle à l’homme. Tenir trois générations, voilà la leçon lancée en un véritable défi, un authentique challenge comme on dit aujourd’hui. A parler concrètement, nous dirions que la table du Seder de la communauté vivante d’Israël rassemble aujourd’hui, le grand-père qui a connu l’horreur de Shoa et le miracle de la résurrection d’Israël ; le fils qui a vécu dans l’espérance d’une normalisation de la condition juive enfin admise comme une manière d’être homme ; et le petit-fils de la « génération Nintendo » et qui s’étonne d’être traité de « sale juif » dans cette étrange atmosphère de haine. On le voit bien : le défi de la famille juive consiste à se rappeler que les pharaons ont plusieurs visages, et qu’il faut rester, coûte que coûte, malgré les doutes et les découragements, des porteurs d’espérance. Et comme chaque année, notre espérance s’exprimera au premier matin de Pessah quand avec ferveur et dévotion nous demanderons la rosée de bénédiction pour toutes les terres et tous les hommes du monde ! MAGUEN DAVID ADOM : SEULE SOCIÉTÉ NATIONALE DE SOINS D'URGENCE EN ISRAËL. MISSION : SAUVER DES VIES. e MDA dispose de secouristes motorisés pouvant intervenir en quelques instants pour sauver des vies. Yehouda Hanau 25 ans, au MDA depuis 5 ans témoigne : Je suis étudiant dans une des plus prestigieuses écoles talmudiques de Jérusalem, la Yeshiva de Mir. Le MDA m'a confié un scooter équipé pour pouvoir intervenir rapidement dans mon quartier, Bait Vagan. Sur mon scooter se trouve tout le matériel médical nécessaire pour soigner une victime :sac de réanimation, défibrillateur semi-automatique, nécessaire pour les naissances, etc. Dès l'adolescence j'ai eu envie d'être utile a mon peuple. J'ai donc passé une formation de secouriste du MDA. Puis je suis devenu bénévole dans les ambulances. Lorsque j'ai appris que les responsables de la station de Jérusalem cherchaient un volontaire pour le scooter de mon quartier, ça m'a paru naturel d'être candidat. Ce n'est pas facile tous les jours, mais étant profondément croyant, je le ressens comme une mission indispensable. Relié 24h24, 7j/7 au MDA, j'ai un bipper qui reçoit les interventions du quartier. Quand je reçois un appel, j'abandonne tout et prends la route. En scooter j'arrive généralement en moins d'une minute sur les lieux du drame où je commence à stabiliser le patient. J'ai deux interventions dans mon quartier chaque jour. Il y a 20 scooters dans toute la ville. Nous pouvons vraiment en desservir chaque recoin en quelques instants. Nos scooters se faufilent partout, évitent les bouchons et c'est là leur force. Il y a peu de temps, un cas m'a vraiment touché… J'ai été appelé pour un bébé qui faisait un malaise, il était en arrêt cardiaque. J'ai commencé à le réanimer avec d'autres secouristes. Au bout d'une demi-heure de réanimation, le miracle a eu lieu, il a commencé à pleurer. C'était comme une seconde naissance ! Chaque intervention raconte une histoire. Si je peux modestement aider, et bien je serai toujours là, comme les 12 000 autres bénévoles du MDA, c'est notre rôle, notre vocation. MDA France. 40 rue de Liège. 75008 Paris. 01 43 87 49 02. [email protected]. cerfa pour tout don. INFORMATION JUIVE Mars 2009 27 DÉBATS Le coup de gueule de Konop L renforce-t-il pas la résurgence de e nouveau livre de notre l'antisémitisme ? ami et collaborateur Guy Konopnicki essai? Dans " L'exhibition communautaire " plaidoyer provocateur? vous lirez que l'atmosphère actuelle plonge au coeur de la pousse au repli communautaire alors brûlante actualité politique qu'après le Seconde Guerre mondiale les et communautaire. Huit chapitres, de la juifs ne souhaitaient qu'une seule chose Shoah à " Notre identité nationale ", de : s'intégrer à la population française ou "L'Exhibition communautaire " à " La alors, comme les sionistes " conséquents France présumée coupable ", et un " partir pour la terre d'Israël. " De la prologue le composent pour cerner les synagogue au parti communiste, les causes de l'événementiel du passé au diverses tendances philosophiques et présent. Que recouvrent aujourd'hui des politiques de la rue juive partageaient mots comme discrimination - positive ou une même volonté d'intégration. Le négative - , sionisme, prérogatives bourgeois israélite avec sa tradition justifiées ou non au pays des Droits de d'extrême discrétion, l'ouvrier façonnier l'Homme? Liberté, Egalité, Fraternité : la Guy Konopnicki rivé à sa machine à coudre, ne rêvaient belle devise qui véhiculait l'espoir d'un pas du ghetto. Beaucoup d'organisations juives étaient alors monde meilleur... Fraternité ? Aux Buttes Chaumont le samedi, des vecteurs d'insertion ". Très peu d'écoles juives étaient en rapporte notre narrateur, il croise des groupes, pardon, des activité. On allait à l'école publique. Banal, normal. bandes bien scotchées, bien séparées chacune pour soi, des Aujourd'hui, c'est devenu chacun pour soi et la transposition feujs " depuis l'agression d'un jeune Juif, tout près, dans la des conflits internationaux - Israël/Palestine - voit se construire rue Petit, on se rassemble le samedi, pour garder le terrain ", et s'affronter " sionistes imaginaires " et " arabes fictifs " sur des black " vaut mieux rester groupés ", des barbus "mais en djellabas blanches " qui se dirigent vers la mosquée toute proche. La voiture de police du coin lui conseille " de se méfier de cette racaille ". Fraternité alors que notre auteur en a par-dessus la tête d'être considéré par sa différence et " veut vivre, dans l'espace banal, dans le bien commun " Dans le chapitre " La Shoah religion d'Etat " il va, entreautres, revoir la personnalité de Nicolas Sarkozy et son choix pour s'inscrire à vie dans la lignée des grands que furent l'Abbé Grégoire et la citoyenneté, Napoléon et le Consistoire, Crémieux et les juifs d'Algérie, Clemenceau et le Capitaine Dreyfus, Charles de Gaulle avec l'Appel du 18 Juin et le gaullisme, Mitterrand et ses tentatives, Jacques Chirac avec Vichy et l'hommage aux Justes. Il lui faut trouver quelque chose d'inédit, de nouveau. Mais quoi ? Alors, au dîner du Crif où il va se rendre en tant que Président de la République (çà aussi c'est une première) il proclame son souhait de faire porter la mémoire d'un petit martyr juif par un gosse d'école primaire. On connaît la suite. Notre auteur s'interroge et s'insurge: Est-ce une ritualisation de la religion? Une " mystique d'Etat "? Et de donner son point de vue : " Le rôle des autorités politiques, républicaines, est de faire connaître l'Histoire. Elles érigent des monuments et commémorent les moments tragiques. Mais elles n'ont pas à célébrer un culte, fût-il celui des martyres juifs ". Et pourquoi d'autres minorités n'auraient-elles pas droit aux mêmes égards, souligne-t-il, tels les victimes des crimes coloniaux par exemple ; cela ne 28 INFORMATION JUIVE Mars 2009 On allait à l'école publique. Banal, normal. Aujourd'hui, c'est devenu chacun pour soi et la transposition des conflits internationaux - Israël/Palestine - voit se construire et s'affronter “sionistes imaginaires” et “arabes fictifs” sur le sol français. le sol français. Tous ces communautarismes seront "courtisés" par les futurs élus, de droite comme de gauche qui se "pillent" à qui mieux mieux, lors des campagnes pour les élections nationales! Et pour conclure, notre auteur s'élève fermement contre la place prise par le religieux au détriment de la laïcité si chèrement acquise au nom " du respect des différences ". A méditer. (La banalité du bien. Contre le culte des différences par Guy Konopnicki Editions Hugo et Cie - 15€) Odette Lang OPINION Les mensonges et la vérité historique C PAR PAUL GINIEWSKI omme tout au long du conflit israélo-arabe, il s'avère maintenant que la quasi-totalité des allégations de massacres et de destructions massives, de centaines de femmes et d'enfants palestiniens tués pendant la récente guerre, sont des affabulations inventées par la propagande reproduit la photo de l'un d'entre eux, Anas Naïm, neveu du ministre de la santé du Hamas, Bassem Naïm. Il serait tombé le 4 janvier alors qu'il faisait son travail médical dans le cadre du Croissant Rouge palestinien. La photo publiée par l'armée et tirée d'un site du Hamas, montre Anas Naïm en tenue de combat, épaulant sa kalachnikov… Malheureusement, répercutées à l'infini par les medias occidentaux, au premier rang desquels les télévisions, les mensonges ont fait leur œuvre. Les fantasmagories ont aggravé l'intoxication des opinions publiques, noirci encore davantage l'image d'Israël et motivé la politique anti-israélienne des pays occidentaux. Bien entendu, comme à l'accoutumée, les informations , les preuves, les protestations de source israélienne rétablissant la vérité, sont totalement ignorées par ceux qui, il y a quelques semaines encore, publiaient des titres à sensation, diffusaient d'interminables reportages, protestaient hautement contre les " ripostes disproportionnées " et " les brutalités " des Israéliens. Et ce silence sur la vérité israélienne équivaut à la complicité avec le crime. des terroristes. L'armée d'Israël vient en effet de publier un rapport de 200 pages, solidement documenté et accompagné de preuves sur les affabulations des ennemis d'Israël, notamment sur les pertes " civiles ". L'armée a établi les dossiers personnels de plus de 1.200 tués qu'elle a pu identifier sur les 1.338 annoncés par le Hamas, avec leurs noms et même avec les numéros de leurs cartes d'identité palestiniennes. 880 d'entre eux appartiennent aux groupes armés du Hamas et d'autres organisations terroristes, alors que celles-ci avaient annoncé 48 de leurs combattants tombés. Trois cents parmi les 1.200, femmes, enfants de moins de 15 anset hommes de plus de 65 ans, ont été classés par l'armée comme "civils ", bien que l'on comptât parmi eux des femmes terroristes, notamment celles qui ont tenté des attentats- suicide contre l'armée et celles qui sont restées volontairement dans la maison de Nizar Rayyan, un dirigeant terroristes que l'armée avait prévenu du bombardement imminent. Il y a quelques années, au cours d'un symposium consacré aux rapports des medias et du terrorisme, organisé par l'Institut israélien pour l'étude de la propagande, le professeur Ariel Merari, un spécialiste de réputation internationale, conclut que " lesmedias sont l'arme de prédilection des terroristes. L'objectif partiel de tout acte de terrorisme est sa couverture médiatique ". Et il ajoutait: " Un commando terroriste se compose de deux terroristes et de huit journalistes ". Et il faut bien dire que cette formule-choc correspond bien à la vérité. Les deux tiers des morts n'étaient pas des civils mais des terroristes tués au combat. Plusieurs cas précis qui avaient déclenché en Occident des campagnes anti-israéliennes féroces viennent d'être démystifiés. On se souvient de l'école de l'UNRWA, prétendument bombardée par Israël et où 40 ou 42 civils qui s'y étaient réfugiés avaient été " massacrés ".Lors de cette affaire, on a retrouvé dans les medias européens les titres, les tirades, l'emphase, le vocabulaire insensé qui avaient fleuri lors des combats de Jénine en 2002. Rappelons que toutes les enquêtes internationales avaient alors établi que les " milliers " de Palestiniens massacrés avaient été en réalité 52 dont moins de civils. Par ailleurs Jénine que l'on disait " détruite, rasée, un autre Hiroshima " était en réalité quasi-intacte. Il est maintenant établi que 12 personnes ( pas 40 ou 42 ) ont été tuées lorsque l'armée a riposté aux tirs venant de cette école de l'UNRWA. Neuf parmi les douze étaient des terroristes armés, trois des non-comabattants. Autre affaire éventée par l'enquête de Tsahal :le Hamas avait annoncé plusieurs médecins palestiniens tués par Israël. La vérité c'est que laplupart d'entre eux étaient des terroristes armés. Tsahal INFORMATION JUIVE Mars 2009 29 BONNES FEUILLES Les Juifs du Maroc sous le Protectorat PAR MICHEL ABITBOL Notre ami Michel Abitbol, historien, professeur à l'université hébraïque de Jérusalem publie une Histoire du Maroc aux éditions Perrin. Nous remercions l'auteur et l'éditeur de nous avoir autorisés à publier ici en bonnes feuilles, un extrait du chapitre qu'il consacre, dans cet ouvrage, aux Juifs du Maroc sous le protectorat. Les intertitres sont de la rédaction. C omme ce fut le cas dans la plupart des pays colonisés par l'Europe, les débuts de la colonisation française entraînèrent la paupérisation d'une bonne partie de la population indigène, juive et musulmane. Un phénomène aggravé, en ce qui concerne les Juifs marocains, par la concurrence des colons, l'inondation du marché local en produits industriels d'importation, concurrençant directement les produits artisanaux locaux, l'unification du système des poids et mesures, le désenclavement des villages les plus reculés à mesure du développement du système routier, l'apparition des premiers grands magasins, l'ouverture des banques - autant d'activités modernes qui eurent pour effet immédiat d'affaiblir l'activité commerciale et artisanale des Juifs et surtout de battre en brèche leur rôle traditionnel d'intermédiaires entre les fellahs musulmans et le monde extérieur. Parallèlement à ces transformations, les Juifs étaient de plus en plus nombreux à quitter leur habitat traditionnel, pour se rapprocher des nouveaux quartiers à population européenne : Les actions les plus sérieuses contre le pourrissement des relations entre Juifs et Musulmans vinrent à la veille du second conflit mondial des organisations politiques françaises de gauche. à la veille de la seconde guerre mondiale, près de la moitié des citadins juifs des grandes villes avaient abandonné le Mellah , ses maisons vétustes et insalubres et ses ruelles étroites , pour la " ville nouvelle " . Suivant un processus bien réglé, ils s'établissent dans un premier temps dans des quartiers intermédiaires, comme la rue Arsat al-Maach à Marrakech et autour de la place de Verdun à Casablanca ni trop loin du quartier traditionnel où l'on avait laissé vieux parents et lieux de culte, ni trop proches de la " ville nouvelle ", habitée par les 30 INFORMATION JUIVE Mars 2009 familles du Protectorat et les Européens que n'enthousiasmaient pas l'arrivée des nouveaux venus juifs et indigènes. En règle générale, peu de Juifs choisissaient de vivre en " médina " (quartier musulman) et ceux qui en caressaient l'idée se heurtaient - comme à Fès - à l'opposition véhémente des autorités françaises invoquant à ce sujet des raisons religieuses plus que douteuses. La modernisation n'était pas la seule cause de cet abandon massif de l'habitat traditionnel : les Mellahs marocains étaient parmi les lieux d'habitation les plus surpeuplés du monde (…) Parmi les changements économiques les plus remarquables, il est à noter l'entrée des femmes dans la vie active et la diminution graduelle du nombre de commerçants dans la population juive : de 41,30% en 1931 à moins de 25% en 1951 . Le nombre de Juifs ayant une activité artisanale y était resté plus ou moins stable (entre 45% et 50%) mais un nombre de plus en plus grand de Juifs était passé à des métiers techniques - mécaniciens, coiffeurs, électriciens, etc... nécessitant une formation professionnelle moderne. Une petite classe de paysans vivait d'agriculture et d'élevage dans le sud marocain. Une société compartimentée Cependant, du fait du retard accusé par l'enseignement secondaire et supérieur, la communauté marocaine tarda à voir l'émergence d'une nouvelle classe moyenne, avec des options sociales et politiques bien articulées. Rien de comparable, à cet égard, à la situation prévalant en Tunisie où l'on avait affaire, depuis assez longtemps, à une véritable classe moyenne juive qui servit de relais, entre les deux guerres, à tous les choix et à toutes les orientations politiques qui se partagèrent les sympathies des Juifs dans cet autre Protectorat. Au Maroc, on en était encore à une " poussière " d'individus, d'horizons et d'extractions différentes, passant leur temps à se faire un nom dans les comités et les œuvres de bienfaisance de la communauté. A travers tout le pays, Juifs, Musulmans et Européens vivaient dans une société compartimentée dans laquelle un profond clivage séparait le groupe colonial proprement dit de la masse des indigènes juifs et musulmans. Ethnique et culturel, ce BONNES FEUILLES cloisonnement était politique et social à la fois : les Européens et les naturalisés français étaient les seuls à pouvoir disposer de droits et de libertés parfois les plus élémentaires ainsi que d'avantages économiques qui allaient en s'amenuisant à mesure que l'on descendait dans la hiérarchie coloniale pour disparaître complètement en milieu indigène. Critère de clivage identitaire autant qu'instrument de pouvoir, jamais le facteur ethno-religieux ne fut aussi déterminant dans la vie politique du Maroc qu'à l'époque coloniale : poussé à ses délivrance et de reconnaissance à l'endroit de la puissance colonisatrice dont l'entrée en scène avait sauvé la communauté de graves périls, réels ou virtuels. Un fossé profond Dès lors, génératrice de tensions et de distorsions de toutes sortes, la situation coloniale n'allait guère contribuer à l'amélioration des relations entre les Juifs et leurs voisins musulmans. Bien au contraire, jamais le fossé entre les deux populations ne fut si profond qu'au temps des Français.(…) A partir des années 30, on assista à une nette détérioration des relations judéo- musulmanes dans les grandes villes du Royaume. Les causes en étaient multiples. Elles avaient trait au conflit judéo-arabe de Palestine, à la montée du nazisme en Europe et à la crise économique mondiale aussi bien qu'à l'effervescence politique qui agita le Protectorat au lendemain de la promulgation du dahir berbère - auquel les Juifs restèrent insensibles puis à la suite des émeutes de Meknès où plusieurs magasins juifs furent saccagés. L'action spécifique des organisations françaises d'extrême droite n'était pas en reste : elle se manifesta au Maroc à travers les journaux à grand tirage La Presse marocaine, le Soir marocain, le Soleil du Maroc ainsi que les organes du P.P.F La Voix Française et La Bougie de Fès qui donnèrent libre cours à leur antisémitisme après l'avènement de Léon Blum au pouvoir, en 1936. Juifs du Maroc (Dessin d’Arnaud Charbit) extrêmes, en périodes de crises, il donna naissance à un ostracisme d'une rare virulence entre colons et indigènes, Juifs et colons et entre Arabes et Juifs. Mais alors que la société coloniale avait toutes les apparences d'une société figée et raciale, le discours colonial français, lui, était très ouvert, généraux et universaliste. Il donna l'illusion à tous les colonisés de pouvoir jouir de tous les privilèges de la classe dominante coloniale, sans distinction de religion, s'ils adoptaient la culture, la langue et les manières de la puissance coloniale, donc s'ils abandonnaient leurs propres traditions pour se moderniser. Ainsi défini, ce " mirage colonial " fut diversement apprécié par les Juifs et les Arabes. Considérant l'occupation coloniale comme une catastrophe nationale et une atteinte à leur religion, ces derniers refusèrent d'entrer dans le jeu colonial, alors que les Juifs, réagirent dans l'ensemble favorablement à la présence européenne. De manière générale, par souci d'adaptation à une nouvelle situation historique même s'il s'y ajoutait également, dans l'imaginaire juif, un fort sentiment de Le Congrès panislamique tenu en 1931 à Jérusalem marqua ainsi sur bien des points un véritable tournant dans les relations entre Juifs et Musulmans. Il se traduisit par une série d'affrontements à Casablanca (21 février 1932) , Rabat (18 mai 1933) ainsi qu'à Ksar el-Kébir (28 juin 1933) , Tanger et Tétouan. L'écho de ces incidents fut exagérément amplifié, du côté juif, par les journaux sionistes de Tunisie et du Maroc, Le Réveil Juif et l'Avenir Illustré et par la presse nationaliste locale du côté musulman. Celle-ci qui ne manquait aucune occasion de vilipender les autorités françaises qui permettaient aux Juifs de recueillir des dons pour les organisations sionistes mondiales, était largement inspirée par le Comité Syro-palestinien de l'Emir Shakib Arsalan, siégeant à Genève. Mêlant pêle-mêle griefs anti-sionistes et griefs anti-juifs, les amis marocains de l'émir druze, Abd al Khaliq Torres, Mohamed Bennouna, Makki alNasiri, Mohamed Kettani et Ahmed Balafrej reprochaient à la France son favoritisme pro- juif, la liberté d'action laissée aux organisations sionistes et, de façon plus globale, d'avoir émancipé les Juifs, ce qui, aux yeux de La Voix Nationale était une atteinte au Traité de Fès. La pression exercée par une partie de la communauté d'obtenir la nationalité française n'arrangeait pas les choses. Un sionisme interne Il est indéniable cependant que parallèlement à la radicalisation du mouvement nationaliste marocain, l'activité sioniste s'était considérablement développée au Maroc depuis le départ de Lyautey et l'arrivée à la Résidence de Stéphane Steeg qui permit ,à partir de 1926, la parution de l'Avenir Illustré. Loin d'être une idéologie de combat, le sionisme marocain de INFORMATION JUIVE Mars 2009 31 BONNES FEUILLES cette époque semblait être une pâle copie du sionisme français de l'entre-deux-guerres, un mouvement vaguement nationaliste et prudemment politique passant le plus clair de son temps à organiser des activités culturelles et sportives - ainsi que des collectes de fonds pour la Palestine juive. Un sionisme distillé à doses homéopathiques qui n'avait aucune volonté de préparer les Juifs au " grand départ " vers la Terre Promise : " C'est un sionisme interne, si l'on peut l'appeler ainsi que nous avons cherché à faire connaître parmi notre populationexpliquait à ses lecteurs marocains Jonathan Thurtz, le directeur de l'Avenir Illustré ; nous laisserons à d'autres communautés moins heureuses que la nôtre et moins favorisées du destin, de chercher dans le sionisme national un refuge trop nécessaire, hélas ". Ces explications ne désarmèrent pas les vives réactions que ne cessa de suscita la parution de l'Avenir Illustré dans les milieux nationalistes musulmans. Craignant un embrasement Caire et au collège Al-Najah de Naplouse ou encore émissions en arabe et en berbère de Radio-Stuttgart, Radio- Berlin et Radio-Bari que l'on captait parfois jusqu'aux coins les plus reculés du bled marocain grâce aux postes TSF dont le nombre augmenta sensiblement au cours des années 1930. Sans en exagérer l'importance, cette propagande eut certainement un effet cumulatif qui, ajouté à la détérioration de la situation générale , explique par exemple, la multiplication des mots d'ordre de boycott , lancés sporadiquement à l'encontre des épiciers et des artisans juifs, dans certaines grandes villes du pays ; ou encore les demandes émanant de certains Caïds et Pachas - dont celui de Marrakech- , réclamant, aux autorités du Protectorat d'interdire aux Juifs de s'installer dans les médinas ou d'employer, chez eux, des domestiques musulmanes. Alourdie par des rumeurs émanant des journaux de l'extrême droite française - sur l'imminence d'une Saint-Barthélemy des Juifs marocains programmée pour la journée du Kippour 1934 (19 septembre), l'atmosphère était suffisamment inquiétante pour inciter le journal nationaliste La Volonté du Peuple qui remplaça pendant quelques mois l'Action du Peuple, suspendue, à ouvrir ses colonnes à des personnalités juives . Mais si l'on excepte cette initiative et les discours lénifiants des responsables officiels des deux communautés sur la nécessités de préserver l'amitié judéo- musulmane, les actions les plus sérieuses contre le pourrissement des relations entre Juifs et Musulmans vinrent à la veille du second conflit mondial des organisations politiques françaises de gauche. C'est ainsi qu'à l'initiative du président de la LICA, Bernard Lecache fut fondé, en juillet 1936, à Fès une Union Marocaine des Juifs et des Musulmans groupant quelques jeunes intellectuels des deux communautés. L'année suivante, des juifs Après l’indépendance : mes assemblée du judaïsme marocain marocains ajoutèrent leurs signatures à une pétition présentée par des Musulmans contre le plan britannique général des relations entre Juifs et Musulmans à la suite de la de partage de la Palestine. A partir de cette même années des révolte arabe de Palestine (1936-1939), la Résidence interdit, militants juifs de gauche participèrent à toutes les manifestations en 1938, toute levée de fonds en faveur des fondations judéosocialistes et communistes en faveur de la libération des palestiniennes. Deux ans plus tard, le sionisme fut interdit sur dirigeants nationalistes jetés en prison ou déportés hors du l'ensemble du territoire. L'Avenir Illustré se saborda en avril Maroc par les autorités coloniales. Lors des troubles sociaux 1940 et son directeur fut prié de quitter le Maroc . de 1936, des ouvriers juifs et musulmans prirent part à des grèves communes souvent contre des employeurs juifs comme Quant à la propagande allemande, elle redoubla d'intensité les patrons des minoteries Lévy et Baruk de Fès qui les après la prise du pouvoir par Franco en Espagne et l'envoi, en menaçaient de licenciement pour adhésion à la CGT. 1937, de troupes allemandes à Melilla et à Ceuta(…). Sans doute, est-il malaisé d'évaluer l'influence sur la population musulmane de cette propagande d'inspiration étrangère. Ses relais de diffusion étaient multiples et divers : feuilles antijuives ronéotypées en France et en Algérie, pèlerinages à La Mecque, séjours à l'université Al-Azhar au 32 INFORMATION JUIVE Mars 2009 Ainsi donc, malgré toutes les difficultés et en dépit de toutes les oppositions, des îlots de coopération entre Juifs et Musulmans continuèrent d'exister à travers le pays. (Copyright Editions Perrin ) HISTOIRE “La Bible et ses peuples face aux archéologues” M ine spirituelle pour les croyants, la Bible demeure un trésor tout aussi précieux pour les chercheurs en sciences humaines, et notamment les historiens et archéologues qui découvrent en elle le plus fantastique livre d’histoire jamais écrit. Le plus énigmatique aussi. L’objectif de ce numéro spécial Sciences et Vies est bien de présenter, dans une série d’articles, une vue synoptique des diverses voies empruntées pour percer l’énigme biblique. Passées au pinceau et à la truelle, les ruines de Judée et de Samarie portent témoignage d’un foisonnement de récits dont les scientifiques cherchent à restituer la cohérence. La résolution de cette énigme prend les allures d’une course vaine. Pourtant cette difficulté même semble accroître le zèle et la passion des experts. Comme si chaque pierre examinée se transformait aussitôt en une nouvelle pierre d’achoppement face aux certitudes établies. La quête paraît interminable, mais en contrepartie, elle laisse la voie libre à toutes les interrogations. PAR LÉA PHILPOTT et Edomites mitoyens: des récits d’assimilation, de cohabitation et de conflits. Et ainsi, au cœur de ce « melting-pot » procheoriental, on voit surgir l’origine des langues sacrées, les apports des dialectes locaux à l’araméen et à l’hébreu. On traverse avec plaisir le temps et les lieux grâce à des reconstitutions de Ces tentatives d'expliquer la Bible par la science m'ont toujours plus amusé que convaincu… synthèse ainsi qu’à une iconographie abondante mais sélective. De Babylone en Perse, jusqu’en Grèce, l’itinéraire suit les fils qui rattachent les écrits bibliques, dont la rédaction s’échelonne sur près d’un millénaire, aux établissements et renversements d’antiques civilisations. Comme toute synthèse honorablement bâtie, c’est grisant. Qu’en est-il de la véracité des destins bibliques, ceux des patriarches par exemple, où « le flou des origines » pose de sérieuses complications aux chercheurs? Ces derniers voient dans la migration et la descendance d’Abraham « une préhistoire pieuse d’Israël, qui définit les frontières de la nation et formule l’unité fondamentale du peuple hébreu par la métaphore d’une famille unifiée ». Cette thèse rejoint celle d’Israël Finkelstein, auteur du fameux La Bible dévoilée (éd.Folio) . André Lemaire, professeur à l’EHESS, qui signe ici un article sur David et Salomon, se demande quant à lui si « la légende n’a pas totalement, aujourd’hui, recouvert l’histoire ». L’enquête porte également sur les prodiges contés dans l’Exode, comme dans ces pages qui, traitant de l’ouverture de la mer Rouge, établissent les diverses causes géophysiques susceptibles d’expliquer le miracle des « eaux qui se fendent » ou encore celui des dix plaies d’Egypte. En tant que cours de sciences naturelles, cela ne va pas sans intérêt. Quant à l’entreprise d’authentification des faits révélés, on constate, on questionne, on compile et associe études, mythes et vestiges. Les apories demeurent pourtant, irréductibles, jusqu’à ce que la narration biblique se dissocie parfois absolument des bilans archéologiques in situ, comme si la tentative de recoupement, de justification, de légitimation même, se révélait somme toute vaine. Dans une courte interview donnée à M. Finkelstein à propos de la démarche explicative du texte biblique, on lit : « Selon moi, les événements extraordinaires rapportés par la Bible peuvent porter la trace ici et là de fragments de souvenirs, mais totalement transformés, déformés de générations en générations et recouverts d‘intentions et de significations diverses dont le but était toujours le même : témoigner de la toute puissance de Dieu…Donc interpréter les événements décrits par la Bible à la lumière des phénomènes naturels est un contresens […]En conclusion, je voudrais dire que ces tentatives d’expliquer la Bible par la science m’ont toujours plus amusé que convaincu… » La forme éditoriale choisie, partant du noyau hébraïque pour ensuite s’élargir en cercles concentriques aux divers peuples voisins et aux empires successifs ayant administré au cours des siècles les régions de Canaan et de Transjordanie, offre également d’édifiantes leçons d’histoire ancienne au confluent de l’archéologie, de l’anthropologie et de la linguistique. Les textes explorent les divers échanges qu’ont connus les Hébreux avec Araméens, Philistins, Phéniciens, Moabites, Ammonites Reste que l’ouvrage demeure fort didactique, plaisant à parcourir, pédagogique à souhait dans sa claire et méthodique cartographie, ses magnifiques clichés et son agréable mise en page. En tant que revue de vulgarisation scientifique, on ne peut attendre mieux d’un semblable panorama. Avec pour bagage une culture érudite, il s’agit avant tout ici de s’instruire, et de se situer, dans une structure socio-historique d’une complexité inégalée. INFORMATION JUIVE Mars 2009 33 EXPOSITIONS Chronique d'un rêve avorté « M on art vient des livres que j’ai vus sur les pupitres et dans les armoires des synagogues, et que j’ai touchés de mes mains pâles ». Par cette confession, Marc Chagall peut ainsi se faire le porte-parole de ses confrères du shtetl, pionniers d’une aventure aussi méconnue qu’exceptionnelle . Tous ne sont pas, comme lui, passés à la postérité. El Lissitzky ou Altman, figures-phares d’une riche et fascinante exposition que propose le MAHJ, consacrée à l’avant-garde yiddish. Tous ont pourtant été chacun à leur manière, et bien souvent œuvrant de concert, les initiateurs et artisans d’une construction esthétique hors du commun, tant au niveau artistique qu’intellectuel. La portion d’histoire qui a vu surgir et s’amplifier cet élan inouï s’étend de 1914 à l’irrémédiable brisure de 1939, gage de l’oubli d’un trésor aujourd’hui révélé. Dans une Europe orientale ghettoïsée, matérialisée en une « zone de résidence », il s’agissait pour les jeunes artistes de l’époque de se constituer une facture inédite : fidèle à un patrimoine populaire et religieux séculaire -bien que nouvellement redécouvert car victime, au long d’un XIXème siècle héritier de la Haskalah, d’un désir d’assimilation rendant vite amnésique- mais contemporaine et farouche partisane d’une modernité en mouvement. C’est en 1908 qu’est créée à Saint-Pétersbourg la Société Juive d’histoire et d’ethnographie. Deux ans plus tard, une expédition est organisée pour collecter les traces du legs juif russo-polonais. L’écrivain Ansky est de la partie et puisera au cours de l’entreprise d’exhumation le matériel narratif de son illustre pièce, le Dybbouk (des extraits du film de Waszynski tiré de l’œuvre d’Ansky sont projetés durant la visite). Ce projet de grande envergure, qui s’inscrit dans le souci de préservation d’une identité précaire, se poursuivra en 1916 au cours d’une mission confiée à El Lissitzky et Ryback le long du Dniepr, les deux peintres étant chargés de croquer les gravures des pierres tombales et les motifs ornementaux de plus de deux cent synagogues d’Ukraine et de Biélorussie. Leur parcours les mènera jusqu’à la synagogue de Mogilev, joyau d’un « art juif » avant l’heure. C’est sous la voûte formée par le faîte de l’édifice que s’inaugure l’itinéraire de l’exposition. Dans la salle, comme pour faire revivre au visiteur la stupeur des deux hommes, un écran suspendu en guise de toit déroule les images du magistral plafond réalisé par Hayyim Ben Isaac Segal de Sloutsk, peintre de synagogues du XVIIIe siècle dont Chagall se voulait le descendant. Le bouleversement suscité par cette découverte inspire à Lissitzky l’idée d’un art typiquement juif, par l’intermédiaire notamment de la lettre hébraïque et de sa « plasticité », tout en se portant garant de nouveaux courants tels le cubisme, le constructivisme ou l’expressionnisme. Quand Lissitzky relate en 1923 son arrivée à la synagogue de Mogilev, cela donne : « C’est un art qui 34 INFORMATION JUIVE Mars 2009 PAR LÉA PHILPOTT est à l’opposé du primitif, c’est le fruit d’une grande culture ». De cette déclaration au manifeste, il n’y a qu’un pas : « A l’heure actuelle, alors qu’un peuple de culture se reconnaît au fait d’avoir une littérature imprimée, des journaux et des revues, son propre théâtre, sa peinture, sa musique, etc. -nous avons tout cela, nous sommes donc nous aussi un peuple de culture. Il ne nous manque plus que de brillantes lettres de noblesse. » Le ton est donné, le pari lancé. En privilégiant l’objet-livre comme incarnation principale de cette renaissance, les avant-gardistes yiddishophones avancent un postulat : le livre pour enfant demeure le meilleur moyen de fournir aux masses une éducation esthétique aussi bien qu’un socle culturel commun. Dès lors, on suit le déroulement des pages, tantôt stylisées à l’encre noire, tantôt vivement colorées, dont le Sikhes Khulin (« Conversation courante ») d’El Lissitzky offre l’exemple abouti. Pour y inscrire le sceau de la tradition, l’artiste a adopté le support formel d’une megilah et a demandé à un sofer de calligraphier le récit. Dans son sillage, mais dans un style tout différent, Ryback illustre à la manière enfantine un livre de contes ; langage de l’enfance qui, reflet de l’essentiel, parlerait au plus près à l’âme populaire. Langage de l'enfance qui, reflet de l'essentiel, parlerait au plus près à l'âme populaire. Un foisonnement de talents se retrouve pour débattre et créer dans les années 20, au sein de nouvelles revues comme Yung-Yidish, Khaliastre, Troyer ou Albatros, organes divers prônant un rassemblement de tous les arts sous l’égide fédératrice de la langue yiddish en plein renouveau. Parallèlement, un centre de culture juive est créé en 1918 à Kiev, la Kultur Lige, promotrice d’initiatives variées dans tous les domaines de l’art : littérature, théâtre, musique et beauxarts, et moteur d’édition du livre yiddish. Heureuse époque où le projet fut alors soutenu par le gouvernement ukrainien. Ce bouillonnement aura duré un bref instant, à la mesure peut-être de son intensité : le 12 août 1952, alors que presque tout de cette folle épopée avait disparu dans l’anéantissement, des poètes yiddish sont fusillés dans la cour de la Loubianka à Moscou, comme ennemis du régime. Mais la lettre hébraïque, de même que le souvenir, sont récalcitrants. Il en résulte un très beau livre, tout à l’honneur de ceux parcourus lors de la visite, catalogue d’exposition au rare mérite de pédagogie et d’exhaustivité (Flammarion, 49€). Plus qu’un bréviaire, c’est toute une histoire de l’art autant qu’un pan de mémoire qui sont retracés ici, à portée de celui qui s’accorde à dire, avec Oser Warzsawski, que « chacun de nous s’élance vers les lointains, mais une part de nous-mêmes reste, pour toujours, liée à l’origine LIVRES Le Marchand de lunettes et mes autres histoires juives Adam Biro OOO Quel juif n'est pas friand de witz, de bonnes et belles blagues? Quel juif ne se sent pas grandir en les racontant à son tour devant un auditoire attentif et émerveillé? Seulement, il y a conter et ... conter. C'est une science, un savoir-faire, un art de vivre, disons un art tout court dans lequel notre auteur excelle. Son héros, le Juif, est à la fois " cible " et narrateur, ses acteurs favoris sont Kohn et Grün, mais peuvent indifféremment endosser les fringues de Moïse et Shlomo, de Derek et Clint (A witz for all season), de Loewinger Leopold et Schönberger Izrael selon le lieu géographique et le temps qui passe. Ce lieu géographique de prédilection reste la bien-aimée Hongrie natale de notre conteur, mais la terre est ronde et Paris ou NewYork sont aujourd'hui la porte d'à côté! Jeux de phrases, jeux de mots, chutes vertigineuses ou attendues, les thèmes de ces histoires traitent tour à tour de philosophie, d'antisémitisme, d'entraide, d'argent - le cher argent - , de la famille - sublime louange de la plainte (Des enfants) et bien sûr du reste sans oublier le Créateur et les rabbins. Il faut s'en imprégner, s'y immerger, et, comme le suggère si bien Adam Biro en guise de conclusion, les apprendre pour pouvoir, à notre tour, les raconter et les préserver de l'oubli. (Editions Belfond - 18€) TEL-AVIV sans répit Ami Bouganim OOO Tel-Aviv vient de faire son entrée dans la collection " Autrement - Villes en Mouvement ". Tel-Aviv - la Colline du Printemps - fêtera cette année le centenaire de sa création. Ville insolite en perpétuel devenir, fière de ses origines et avide de son dépassement. Dans une belle introduction très fouillée notre auteur remonte l'historique de la cité, de l'émergence des petits quartiers d'autrefois à nos jours. Il rappelle la foi et l'enthousiasme d'Akiba Aryeh Weiss qui, le 11 Avril 1909 sur une éminence, futur embryon de la ville, face à la mer, fit tirer au sort au moyen de ses coquillages de couleur leur lopin de terre aux 60 sociétaires de son association, suivi du débat pour attribuer un nom à la ville. C'est sur cette même éminence, future maison du maire Méïr Dizengoff, puis Musée d'Art que David Ben Gourion proclamera l'indépendance de la nation d'Israël. La ville s'érigera de main d'hommes luttant contre l'épuisement physique et psychique vu l'environnement, dans un étonnant mélange de styles : blancheur des constructions, utopie du Bauhaus, architecture miniature des capitales européennes, tours futuristes mais surtout contre la forme des ghettos d'autrefois, dans l'espoir d'une " ville aérée ", moderne à tout va, vibrante de toutes les passions avouées ou non. Pour illustrer les " séquences " habituelles de cette collection, Ami Bouganim a convoqué et analysé une palette représentative d'acteurs : ancien ministre, pêcheur, directeur, rabbin, journaliste, conservateur de musée, poète. De chacun émerge une vision et une expression unique du tourbillon perpétuel de la cité. Un superbe travail, superbement illustré par les photos noir et blanc de Moti Milrod (Editions Autrement - Villes en Mouvement - 23€) Les trompettes d'argent Sébastien Allali OOO L'auteur nous offre un ouvrage à la fois érudit et d'une écriture limpide. Traiter de la responsabilité de l'Homme dans l'optique du judaïsme est un vaste sujet. Mais qu'est l'Homme vis-à-vis du Créateur? Un sujet soumis? Un simple exécutant? Que non, répond Sébastien Allali en citant nos textes, l'Homme est bel et bien le partenaire du Créateur, debout face à lui. Dieu s'étant " retiré " du monde, c'est à lui qu'incombe de parachever le travail de la Création, c'est son rôle sur cette terre, sa possibilité de donner un sens à sa vie et de permettre aux étincelles de la lumière de jaillir. Pour ce faire, le rôle des Sages est primordial dans " l'élaboration " de la Loi à appliquer sur cette terre. Le cri de Rabbi Josué " La Torah n'est pas dans le ciel " en reste une des plus célèbres applications. Un livre à la portée de tout lecteur avide de connaissance (Editions Lichma - 19,90€) La fin de l'innocence La Pologne face à son passé juif Jean-Yves Potel OOO Lieu exécutoire de la plus terrifiante, de la plus inimaginable tragédie de tous les temps, comment la Pologne fait-elle face à son passé? Depuis une décennie et demi, depuis l'intégration de la république dans l'Union Européenne, les recherches sur ce passé sont ouvertes et les documents d'archives accessibles. Les nouvelles générations posent les questions qui les interpellent, tentent de comprendre, de réparer. Des noms torturent nos mémoires : Lodz, Lublin, Cracovie, Varsovie, Auschwitz et Birkenau, le massacre de Jedwabne. Jean-Yves Potel mène une enquête minutieuse, remonte le cours de ce passé si présent, parcourt villes et villages, interroge les témoins encore vivants, s'intéresse aux médias, rassemble un maximum de documents, et veut transmettre afin que jamais plus...(Editions Autrement - Collection Frontières - 22€) Odette Lang INFORMATION JUIVE Mars 2009 35 HOMMAGE Shlomo Carlebach, l'homme qui incarnait la yiddishkeit L e vendredi soir et durant toute l’année, il n’y a plus de places assises. Le temple étroit et tout en longueur déborde souvent d’une foule qui peut aller jusqu’à trois cents personnes. D’un côté de la mehitza lambrissée, les femmes se rassemblent, certaines tête couverte et en jupes longues, d’autres tête nue et en pantalons. Les hommes sont en jeans et tee-shirts ou portent des costumes – et on distingue même quelques streimels… Qu’ils soient fortunés ou sans domicile fixe, qu’ils se cherchent ou qu’ils soient enracinés dans la tradition, les fidèles sont attirés à la Carlebach Shul, comme on appelle affectueusement la Congrégation Kehilath Jacob de New York, par l’héritage musical et spirituel de son célèbre chef, le rabbin Shlomo Carlebach. Quatorze ans après le décès de Carlebach à l’âge de soixanteneuf ans – il mourut le 20 octobre 1994 -, son influence est forte: des légions de disciples le considèrent comme l’un des trentesix justes cachés du monde. De la Russie à Singapour, dans la plupart des synagogues d’Amérique et d’Israël, la musique de Carlebach est partout, même quand ceux qui la chantent ne savent pas qu’il en est l’auteur, ou même qui il était, transformant des lieux de prière en vibrants happenings spirituels où l’on danse sans retenue et où on se recueille les yeux clos. «Depuis Carlebach, on s’attend lorsqu’on se rend à un office, à ce que le cœur s’ouvre et que l’esprit s’élève», dit Jay Michaelson, trente-sept ans, écrivain et professeur : «Il incarnait la Yiddishkeit.» Carlebach a été un rabbin orthodoxe qui embrassa des causes féministes et avancées tout en transmettant la sagesse hassidique. Son impact s’est propagé dans la prière juive contemporaine, qui va vers l’autre et apaise. Quelques sites de rencontre juifs, tels que www.frumster.com, proposent même un ensemble d’observances religieuses appelées « carlebachiennes », impliquant ouverture et orientation spirituelles. «Il serait difficile de trouver un chef spirituel juif de moins de soixante ans qui n’ait pas été influencé par Carlebach», remarque Michaelson. «Ce serait comme trouver un leader du mouvement des droits civiques qui n’aurait pas été influencé par Martin Luther King.» Chez Carlebach le mélange de chansons populaires et de niggunim hassidique a révolutionné la musique juive. Ses chansons emblématiques vont de sa toute première Od Yishama (incontournable aux mariages) à Ve-ha’er Einenu, popularisée 36 INFORMATION JUIVE Mars 2009 PAR RAHEL MUSLEAH par le Festival de la Chanson hassidique israélienne en 1969, et à Am Yisroel Chai, devenu l’hymne du mouvement Juifs Soviétiques. À l’heure actuelle, il existe même un spectacle, Shlomo : la nouvelle comédie musicale, dont la première a été donnée en avril au Musée de l’héritage juif – Mémorial Vivant de l’Holocauste, à New York. « Avec son talent fulgurant, son incroyable charisme, son amour sans limite et son authentique érudition juive, Carlebach a réinventé l’expérience juive », dit Danny Wise, auteur dramatique et producteur. La comédie musicale de Wise fait revivre l’homme Carlebach, depuis sa naissance à Berlin, sa fuite avec sa famille de l’Europe occupée par les Nazis jusqu’à New York et son ascension au statut de rock star. C’était le rabbin hippie qui respirait l’amour et guidait les âmes tourmentées. Dans la chanson qui ouvre le spectacle, l’acteur principal David Rossmer chante : « Dans cette maison d’amour et de prière/ qu’on se mette enfin à faire le bien / élevez la voix et préparez-vous /à guérir un cœur brisé. » « Il se demandait : «Si je n’avais que deux mots à dire à quelqu’un, que dirais-je ? » nous raconte Wise, qui connaissait bien Carlebach. «Il demandait alors : «Savez-vous où est Dieu?» et de répondre : «Partout où vous Le laissez entrer.» Ou encore : «Vous êtes le plus haut des hauts.» Les histoires Carlebach s'est consacré à revigorer la spiritualité juive et a été un pionnier d'activisme rabbinique abondent de gens qui, grâce à Carlebach, non seulement se sont mis à l’observance religieuse, mais changèrent aussi complètement de vie. «C’était un troubadour itinérant», dit le rabbin et musicien Moshe Shur, qui a accompagné Carlebach en tournée. Carlebach a rendu le judaïsme accessible à un public qui aurait pu rester indifférent, ajoute Michaelson, mais il a « toujours affirmé qu’il était sincère dans sa foi… La leçon à en tirer aujourd’hui est de ne pas édulcorer notre propre tradition spirituelle, mais de la communiquer dans son authenticité.» Michaelson se souvient d’avoir attendu longuement que Carlebach dirige une session éducative un soir en semaine dans une synagogue de Jérusalem, en 1994. Comme à son habitude, Carlebach avait deux heures de retard. «Mais quand il est entré dans la pièce, ça a été… magique», se rappelle Michaelson. «Il y a eu un courant d’amour et d’énergie qu’il semblait pouvoir exploiter» HOMMAGE Né dans une famille de rabbins orthodoxes, Carlebach s’est imprégné de la Torah dès l’enfance. Une scène d’ouverture de la comédie musicale dépeint l’histoire vraie d’un Shlomo âgé de cinq ans qui avait disparu et que l’on a retrouvé dans l’Arche, entourant de ses bras et de ses jambes un rouleau de la Torah. Il a été reconnu comme un génie du Talmud, adolescent, à l’ultra-orthodoxe Beth Medrash Govoha du rabbin Aharon Kotler à Lakewood dans le New Jersey, mais il partit suivre son frère jumeau Eli Chaim, à Chabad-Lubavitch, choisissant un travail de terrain plutôt que de poursuivre ses études. l’Holocauste : «Le judaïsme apparaissait terriblement mal en point, torturé par l’assimilation, le vide et un nombre croissant d’âmes tourmentées. Après la disparition de six millions de personnes… il était impératif de sauvegarder chaque étincelle et… de sauver chaque juif survivant.» Carlebach a défini le judaïsme comme une religion de bonheur et d’amour, dit récemment Sarna dans une interview. «Avant que n’existe l’expression s’ouvrir à l’autre, il la mettait en pratique.» Là où Reb Shlomo innovait, c’était dans l’expression joyeuse et spécifique de sa foi, qui a servi à guider des générations après lui, selon Judah Cohen, spécialiste de musique juive à l’université d’Indiana à Bloomington. «Il y a une aspiration ardente dans sa musique», dit Cohen, «l’aspiration d’une âme à atteindre le divin. Il a donné aux gens l’impulsion… pour qu’ils composent leur propre musique et fassent entendre leur voix.» «La brièveté des textes et le style hassidique volontairement répétitif des chansons qu’il écrivait et chantait… ont été la clef de ses efforts d’ouverture à l’autre et ont permis aux personnes sans éducation juive dans son public d’être partie prenante dans l’écriture de la musique», écrit Marsha Bryan Edelman, professeur de musique et de pédagogie au Collège Gratz de Philadelphie et auteur de À la découverte de la musique juive (Jewish Publication Society). En conformité avec la notion hassidique selon laquelle les mots étaient secondaires par rapport la musique et qu’ils entravaient parfois la vraie communication avec Dieu, les nouvelles mélodies faciles à retenir ont encouragé les juifs américains à intégrer ces chansons dans leurs offices. Elle écrit : «Pour beaucoup, ça a été parmi leurs plus fortes expériences juives…» Shlomo Carlebach En 1949, le rebbe Lubavitcher, Yosef Yitzhak Schneersohn, l’envoya lui et Zalman Schachter-Shalomi, futur père du mouvement Renouveau Juif, sur des campus universitaires comme émissaires. Tous deux conclurent que pour ramener les juifs au judaïsme, il leur fallait rompre avec quelques aspects de la tradition, en particulier ce qui concerne les femmes, et en fin de compte ils quittèrent Chabad… Carlebach s’est consacré à revigorer la spiritualité juive et a été un pionnier d’activisme rabbinique, épousant, par exemple, la cause des Noirs d’Afrique du Sud. L’historien Jonathan Sarna écrit dans Le judaïsme américain (Yale University Press) qu’après Dans la tradition des leaders charismatiques du hassidisme, Carlebach a été idéalisé, dit Michaelson, mais d’une façon qui «simplifie et déforme sa personnalité complexe et controversée. En dépit de tous ses défauts, Reb Shlomo a créé un courant dont les portes sont grandes ouvertes.» La yeshiva de Carlebach, Simchat Shlomo à Nahlaot, à Jérusalem, accepte les hommes et les femmes d’origines diverses pour l’étude des textes et leur apprentissage actif. Pour répondre à sa vision d’un «judaïsme spirituel traditionnel en dialogue constant avec le monde moderne complexe dans lequel nous vivons», ses cours vont de la Mishna, de la Kabbale aux «Secrets de joie» et à «Torah et écologie». Sur son site internet on trouve cette citation de Carlebach : «La bonne yeshiva est un endroit où il y a tant d’amour que c’en est terriblement impressionnant. Dieu nous a donné la Torah avec tellement d’amour que si je veux transmettre la Torah à mes enfants, çela doit se faire de la même façon…» (Extrait de Hadassah Magazine. Traduit de l’anglais et adpaté par Hermance Triay ) INFORMATION JUIVE Mars 2009 37 L’HUMOUR DES SENS Cheminements de l'humour juif PAR ALAIN BARCHECHATH L'humour est habituellement défini comme une forme d'esprit qui consiste à présenter la réalité de façon insolite, destinée à provoquer un sourire de connivence. Nous retrouvons ainsi certains traits communs aux humours qui ne sont par ailleurs pas utilisés de façon " pure " par leurs auteurs. Laissons de côté les techniques qui habillent les histoires et leur donnent leur sel. En quoi l'humour juif se différencie t il fondamentalement des autres humours reconnus tels l'humour anglais, l'humour noir et le jeu des mots d'esprit? Du sens de la vie au sens dessus-dessous de l'humour Dans toutes les sociétés humaines, l'univers a un sens. Dans le judaïsme par exemple, il doit permettre à l'homme d'améliorer, de parachever la création par sa propre action, en pratiquant la vertu et la justice. C'est sur une base supposant au préalable des valeurs que peut surgir un humour qui a pour fonction d'annuler, de déconstruire, de détourner le sens initial. Dans l'expression " sens de l'humour ", le terme sens est habituellement synonyme de direction, mise en mouvement. Toutefois, l'humour est aussi de l'ordre du sens caché et nous interpelle sur la signification des choses. L'humour travaille ainsi sur le sens du sens de l'histoire avec un petit h, ce que certains appellent contre-sens, détournement de sens, nonsens, déconstruction du sens ou perte du sens. L'ironie, du sens prioritaire au sens unique L'humour, dans son rapport à l'altérité, se place dans un rapport de contradiction avec l'ironie qui ne fait qu'annuler un sens au profit d'un autre. En effet, l'ironie - en riant du malheur d'autrui sous le masque du sérieux- suppose la certitude de sa position face aux autres. Elle est l'arme du A l'inverse, l'humour ne s'adresse pas, comme l'ironie, à une personne précise dans l'intention de l'inférioriser. Pour rester dans la belgitude, nous sommes bien loin de cette histoire juive : " L'adjudant belge passe en revue les nouveaux appelés. Il hurle 'les flamands d'un côté, les wallons de l'autre. Le soldat Rabinovitch sort du rang : 'et les Belges alors ?' " L'humour vise toujours de façon anonyme et impersonnelle une situation, un thème, une préoccupation collective. Selon Freud, le processus de l'humour peut s'accomplir à l'intérieur d'une unique personne, la participation d'un autre ne lui ajoute rien de nouveau. L'humour consiste ainsi à relativiser sa propre situation, et à partir de la, se moquer de soi-même et des autres au regard de cette prétention incroyable que nous avons tous de survivre jusqu'au lendemain. Quels chemins différents prennent donc les différents humours ? Un chien, que son maître emmène au cinéma, rit aux éclats pendant tout le film. Un spectateur s'en étonne. C'est d'autant plus étonnant, fait remarquer son maître, qu'il n'a pas tellement aimé le livre ! L'humour noir, du sens tragique au non-sens L'humour noir part du postulat du sens tragique de la vie et ainsi de la certitude du malheur, de la maladie, de " la mort devant soi "-Il exploite donc des sujets dramatiques et tire ses effets comiques de la froideur et du cynisme. La mort est la seule certitude tangible dans ce monde où Dieu serait mort et où seuls subsistent le vide, le désenchantement du monde. Dans cette perspective, l'humour est ainsi " la politesse du désespoir ". Témoin ces quelques remarques noires de Guy Konopnicki : " D'ailleurs, quand on a été au pèlerinage d'Auschwitz, ils ont été très corrects, on a pu sortir du camp comme on voulait. (….) C'est vrai que tu es même entré dans la chambre à gaz sans qu'ils ferment la porte. " fort et suppose un complice et une victime. En témoignent ces histoires sur les belges : " Comment peut-on grièvement blesser un Belge à distance? En lui téléphonant pendant qu'il repasse son linge. " " Le belge John Matisse a réussi à tirer une locomotive à la seule force de ses dents sur une distance de cent cinquante mètres. A notre connaissance, c'est la première fois qu'un belge s'appelle John. " L'humour anglais, du sens apparent au " nonsense " Outre le jeu sur l'écart entre un environnement hyperboliquement hostile et une attitude flegmatique de réaction (l'understatement), l'humour anglais est fondé sur le " nonsense ", lui même reflet de la croyance en l'absurdité de la condition humaine. Voici quelques exemples de cet état d'esprit : 38 INFORMATION JUIVE Mars 2009 L’HUMOUR DES SENS " Quand une bombe de cent mille mégatonnes tombe dans sa tasse de thé, un anglais reste plongé dans son journal et dit Hum, ça se couvre. " (Pierre Desproges) " Deux vieilles anglaises sont en train de prendre leur habituel whisky dans le bar du Titanic. On entend un fracas épouvantable, tout est renversé, l'avant d'un énorme iceberg pénètre dans le bar, et l'une des deux dames remarque : J'ai demandé de la glace, mais ceci, franchement, frise le ridicule." " Un chien, que son maître emmène au cinéma, rit aux éclats pendant tout le film. Un spectateur s'en étonne. C'est d'autant plus étonnant, fait remarquer son maître, qu'il n'a pas tellement aimé le livre ! Le mot d'esprit, du sens commun au sens logique des mots Si l'humour anglais raffole du comique de situation qui met en scène l'absurde, le jeu de mots d'esprit se nourrit de la raison et la logique de l'aristocratie intellectuelle dans la recherche du comique des mots. Il s'agit de traquer le non-sens des mots ou des expressions pour rire de leur illogisme. Même si, pour Raymond Devos, " au-delà du simple jeu de mots, il faut que le mot d'esprit calque le jeu de mots sur le trait de vérité à révéler. " En voici quelques exemples tirés des écrits de Pierre Dac : "Les voies qui ne sont ni en sens unique, ni en sens interdit, ni à double sens, n'ont aucun sens parce qu'elles vont dans tous les sens. " "Dans le domaine judiciaire, si les prévenus l'étaient à temps, le banc des accusés serait souvent vide. " "La mort n'est en définitive que le résultat d'un défaut d'éducation, puisqu'elle est la conséquence d'un manque de savoir-vivre. L'humour juif, du sens incertain au sens multiple Outre le souci du grand écart entre les principes -Un Dieu Unique et son peuple Eluet la réalité vécue de la persécution -Un Dieu inique et son peuple exclu-, l'humour juif dénonce l'idolâtrie du mot fétiche, les mots pris à la lettre dans la fixité d'un sens unique. Selon Popek, " L'humour juif, c'est de faire rire avec une histoire qui a un double sens et qu'on ne comprend qu'à moitié. ". Le sens serait sans cesse de l'ordre d'une création subjective vivante, d'une interprétation renouvelée de la confusion des sens. Nombre d'histoires juives ne se terminent-elles pas par un point d'interrogation ou par une fin qui laisse libre cours aux interprétations ? En voici quelques exemples significatifs "Le jour de Yom Kippour, lorsque chacun doit faire l'effort de se réconcilier avec qui il s'est fâché durant l'année passée, Moshé s'approche de Yankel : Je te souhaite tout ce que tu me souhaites. A quoi Yankel répond : déjà tu recommences?" "-Rabbi, je veux mourir -Mourir n'est pas une solution Vivre ! Il me faut donc vive ? Vivre n'est pas une solution… L'humour juif ne se retrouve pleinement ni dans le sens de l'absurde de l'humour anglais, ni dans la raison des mots d'esprit. Son goût pour la vie le tient aussi éloigné de l'humour noir. - Alors Rabbi quelle est la solution ? Mais qui t'a dit qu'il y avait une solution ? " "Quels sont les grands penseurs juifs qui ont-il influencé l'humanité ? Moïse pour qui tout est dans la loi, Jésus pour qui tout est dans l'amour, Marx pour qui tout est dans l'argent, Freud pour qui tout est dans le sexe, enfin Einstein pour qui tout est relatif…" En conclusion, l'humour fait le chemin inverse des interprétations sérieuses qui vont du non-sens au sens. Comme on l'a déjà remarqué , les modèles des autres humours peuvent être résumés successivement par le principe de certitude des horreurs de la vie, de certitude de l'absurdité de la condition humaine, de certitude de la raison humaine. L'humour juif ne se retrouve pleinement ni dans le sens de l'absurde de l'humour anglais, ni dans la raison des mots d'esprit. Son goût pour la vie le tient aussi éloigné de l'humour noir. N'est-il pas l'humour ultime avec ses incertitudes assumées -le " je sais que je ne sais rien " socratique- et ce questionnement répété qu'il doit bien y avoir un sens ? A.B INFORMATION JUIVE Mars 2009 39 CINEMA Quand Téchiné nous plonge au cœur du mensonge S i l'on pouvait légitimement avoir quelques craintes, de prime abord, face au nouveau film d'André Téchiné, force est de reconnaître que ce dernier continue de creuser avec la même maestria le sillon si fertile qui est le sien, à savoir celui des égarements et des tourments juvéniles. PAR ELIE KORCHIA petit ami - avant de se voir condamnée à une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis pour "dénonciation de délit imaginaire". Prenant le soin de rappeler que "les personnages sont totalement fictifs et seul le point de départ de l'histoire est véridique", André Téchiné a donc décidé de s'inspirer très librement de ce fait divers sur-médiatisé qui avait déjà servi de postulat à une pièce de théâtre de l'écrivain Jean-Marie Besset (RER) en 2006. Exposé de façon limpide et didactique, le film s'articule ainsi autour de deux grandes parties, telle une tragédie en deux actes, à savoir tout d'abord " Les circonstances" ayant entraîné le mensonge du personnage incarné par Emilie Dequenne (impressionnante dans le rôle de Jeanne) et " Les conséquences " qu'un tel mensonge peut provoquer pour son entourage ainsi que pour la société. En effet, tout en plongeant le spectateur dans les affres d'un sordide fait divers, le célèbre metteur en scène des Roseaux sauvages (César du meilleur film en 1995) parvient à n'en conserver que la trame initiale et s'en échappe intelligemment, afin d'aboutir ici à une subtile fable sentimentale et sociologique. Le point de départ de l'histoire remonte donc à ce jour de juillet 2004 où une jeune femme âgée de 23 ans, déclare à la police avoir été agressée par six hommes, alors qu'elle voyageait avec son bébé sur la ligne D du RER et affirme que, la croyant de confession juive, ces individus lui auraient coupé les cheveux, lacéré ses vêtements ainsi que son visage, et dessiné trois croix gammées sur le ventre. Or, après que la machine médiaticopolitique se soit emballée d'une façon tout à la fois hâtive, excessive et dangereuse, la jeune femme devait confesser trois jours plus tard avoir tout inventé - pour attirer l'attention de sa mère et de son 40 INFORMATION JUIVE Mars 2009 Mais la qualité principale du film, outre son judicieux et remarquable casting, réside dans la façon dont le scénario est brillamment construit et dans les trois relations qui nous sont contées au travers du parcours de cette Jeanne mythomane. En effet, à côté de la relation quasi fusionnelle qu'elle entretient avec sa mère, Louise, (Catherine Deneuve, comme toujours parfaite chez Téchiné) garde d'enfants dans le pavillon qu'elle habite à la lisière de la ligne de RER, Jeanne va nouer une relation amoureuse avec Franck (Nicolas Duvauchelle, épatant) jeune lutteur de haut niveau, qui rêve de devenir professeur de sport mais qui, pour les beaux yeux d'une dulcinée qui a cruellement besoin d'argent, va se trouver embarqué dans une combine qui finira nécessairement mal, à l'image des histoires d'amour chantées par Les Rita Mitsouko. Enfin, André Téchiné s'attache à dépeindre l'univers haut en couleurs de la famille Bleistein, qui va se retrouver au cœur du récit, et ce alors que le chef de famille, Samuel, (interprété par Michel Blanc) est à la fois un avocat renommé et l'un des principaux porte-parole d'une communauté juive confrontée à de nombreux actes antisémites. La force de l'histoire est finalement due à ces différents axes d'approche, qui se relient savamment les uns aux autres, Louise et Samuel Bleistein s'étant connus durant leur jeunesse, à une époque où la mère de Jeanne avait repoussé les avances du futur ténor du barreau. Et une génération plus tard, la jeune fille, qui cherche un emploi tout en se cherchant tout court, est donc recommandée par sa mère auprès de l'avocat parisien, qui a lui-même des problèmes personnels à régler entre son fils et son ex belle-fille (Ronit Elkabetz, envoûtante), notamment autour de la préparation de la bar-mitsva de son petitfils… Certes, d'aucuns pourront regretter que Téchiné, qui avait à cœur de rester à distance de l'enjeu sociétal et politique, se soit contenté d'une nouvelle étude de mœurs, certes brillante mais quelque peu déshumanisée, ne voulant à aucun moment "juger" son héroïne et souhaitant avant tout "préserver son caractère énigmatique". Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là d'un exercice de style réussi autour de thèmes rarement abordés de la sorte au cinéma, comme celui de l'inconscient collectif ou encore de la recherche éperdue de notre identité profonde. COURRIER Pas sorti de l'auberge A l'heure où je vous écris, le gouvernement israélien n'est pas constitué. M.Netanyahou est en train de le former et on dit que le portefeuille des Affaires étrangères serait confié à Avigdor Libermann. Cette perspective me plonge dans des réflexions désabusées. A quel type de paix, ce Monsieur peut-il conduire ? Qui parmi ses collègues occidentaux peut-il, en vérité, le prendre au sérieux ? A qui pourra-t-il faire croire, après les déclarations intempestives qu'il a pu faire au sujet de l'Egypte et des Palestiniens, qu'il est l'homme dont les deux peuples, israélien et palestinien, ont besoin aujourd'hui ? Bref, on n'est pas encore sorti de l'auberge… Georges Halimi Marseille L'affaire Al Doura La chaîne de télévision publique allemande ARD a diffusé mercredi 4 mars 2009 un documentaire qui confirme que le reportage diffusé par France 2 le 30 septembre 2000, ne représente pas la réalité qu'il prétend montrer. Voici les éléments révélés, ou confirmés, par ce documentaire: Grâce à une analyse biométrique des visages, il a été prouvé que l'enfant filmé par France 2 n'est pas celui montré à la morgue de Gaza et enterré plus tard. Les sourcils et les lèvres des enfants diffèrent complètement. L'équipe de télévision allemande a utilisé la technique de lecture labiale (afin de lire sur les lèvres du père de l'enfant). Elle a ainsi pu découvrir que Jamal al Doura donnait des instructions à des personnes se trouvant dans la direction du caméraman de France 2. L'enfant filmé par France 2 déplace un chiffon rouge de façon inexpliquée. Dans le reportage de France 2, il n'y a pas de sang sur les corps de Mohamed et Jamal al Doura alors qu'ils sont censés avoir reçu 15 balles à eux deux. A de nombreuses reprises, Charles Enderlin et son caméraman, Talal Abou Rahma, se sont contredits, notamment au sujet de la durée du film tourné. L'enfant mort présenté aux obsèques comme étant Mohamed al Doura est en fait arrivé à l'hôpital avant 10 heures, alors que la scène montrée par France 2 a été tournée après 14h30. La presse allemande a largement rendu compte de ce reportage, notamment le prestigieux Frankfurter Allgemeine Zeitung qui y a consacré deux articles. G.C Courriel Bibi à la BBC Même ceux qui n'ont pas voté pour Benyamin Netanyahu pourront apprécier cette interview qu'il a récemment donnée à la télévision britannique, et dont les réponses peuvent s'expliquer par ses études à Harvard. Interviewer : Comment se fait-il que tant de Palestiniens aient été tués lors du dernier conflit à Gaza ? B. Netanyahu : Vous êtes sûr de vouloir commencer votre interview dans cette direction ? Interviewer : Pourquoi pas ? B. Netanyahu : Parce que pendant la Seconde Guerre mondiale, il y a eu plus d'Allemands tués que d'Anglais et d'Américains réunis, mais personne ne doute que cette grande guerre soit le fait de l'agression allemande. Et en réponse au Blitz allemand sur la ville de Londres, vous les Anglais vous avez entièrement rasé la ville de Dresde, exterminant plus de 600 000 civils allemands soit plus que le nombre des victimes tuées à Hiroshima. De plus, dois-je vous rappeler qu'en 1944, quand la Royal Air Force a tenté de bombarder les immeubles de la Gestapo à Copenhague, plusieurs bombes ont raté leur objectif et ont atteint un hôpital danois pour enfants, en tuant 83 d'entre eux. Rachel Bartel Courriel Précision Dans l'article "Les traces de l'Internationale andalouse" (Information Juive de janvier dernier), il convient de citer également parmi les fondateurs de l'Institut Maïmonide de Montpellier, notre ami Guy Zemmour, président délégué. CARNET Mariage OOO Notre ami Philippe Meyer, administrateur du Consistoire de Paris, gérant et directeur de la publication du journal Information juive, a épousé Mlle Vanessa Tordjman. La bénédiction nuptiale a été donnée au jeune couple par le grand rabbin de France Gilles Bernheim le 8 mars dernier en la grande synagogue de la Victoire à Paris en présence notamment du Président du Consistoire Central Joël Mergui et du rabbin Chalom Lellouche. A Mme et M.Robert Sultan, Mme et M.Sylvain Tordjman, Mme et M.André Meyer ainsi qu'aux nouveaux mariés, nous présentons tous nos voeux de bonheur et un grand mazal tov. Distinction Le rabbin Chalom Lellouche, rabbin de Levallois-Perret, a été fait chevalier dans l'Ordre du Mérite. La décoration lui a été remise par l'ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin le 5 mars 2009 à la Mairie de Levallois en présence du maire Patrick Balkany, du grand rabbin de Paris, du directeur du Séminaire Israélite de France, et du Président du Consistoire Central. Nous lui présentons toutes nos félicitations. OOO Nécrologie Nous avons appris avec peine le décès de notre ami le rabbin Albert Messas, ancien rabbin de La Varenne St Hilaire, des suites d'une longue maladie. Il était le fils du regretté grand rabbin Chalom Messas, ancien grand rabbin de Jérusalem et le frère de David Messas, grand rabbin de Paris. Nous présentons à ses enfants et aux membres de sa famille nos plus sincères condoléances. OOO Vercingétorix vous fait part avec beaucoup de peine du décès de Monsieur Pierre CASTAGNOU ; Maire du 14ème arrondissement de Paris. C'était un homme affable, très proche de notre communauté et aimé de tous. Isaac PEREZ Président de la communauté M. Berdugo Ministre officiant Le Bureau et les Fidèles. A Yddiche Mamé nous a quittés. La combattante, la militante, la courageuse… celle qui nous a tous tant aimés est partie le 31 janvier 2009 - 6 chvat 5769 - Ne l'oublions pas. Ses enfants, Petits enfants, arrières petits enfants. Familles Sarah Ammar - Ida Klebaner Annette Sudry OOO La Communauté Or Hahaim du 14ème rue OOO INFORMATION JUIVE Mars 2009 41 VERBATIM BERNARD KOUCHNER. Ministre des Affaires étrangères : " Je regrette que les Américains ne nous aient jamais rejoints dans une condamnation plus ferme des colonies de peuplement israéliennes. Il n'y aura pas de paix possible tant que les colonies essaimeront " JEAN-CLAUDE MILNER. Philosophe : " Le seul véritable événement du XXème siècle c'est le retour du nom juif " ROBERT SOLÉ. Chroniqueur : "Dans ce Proche Orient au climat déréglé, les cœurs sont de plus en plus secs. Ou alors noyés de tristesse". PHILIPPE VAL. Directeur de Charlie Hebdo : " Où est le courage politique de la gauche, et notamment de Martine Aubry, quand à Lille, pour la troisième fois, des manifestants propalestiniens tentent d'empêcher le spectacle de l'animateur télé Arthur parce qu'il est juif ? En France ! En 2009 ! " Chroniqueur : "On oublie d'enseigner dans les grandes écoles que la prescription, qui joue pour les crimes de sang, n'existe pas en matière de mauvaise gestion " Editorialiste au Figaro : " La candidature officielle d'Abdelaziz Bouteflika à sa propre réélection marque en réalité une période d'apaisement et de progrès politique pour l'Algérie " CARLOS FUENTES. CHRISTOPHER HITCHENS. Ecrivain américain : "En cherchant à se réconcilier avec les évêques extrémistes - Richard Williamson ou Marcel Lefebvre Benoît XVI ouvre l'Eglise à l'extrême droite". BOB HOPE. Comédien : " La banque est un endroit où l'on vous prête de l'argent si vous parvenez à prouver que vous n'en avez pas besoin " 42 INFORMATION JUIVE Mars 2009 JACQUES JULLIARD. Editorialiste au Nouvel Observateur : "Faut-il rappeler que le négationnisme n'est pas une opinion mais un meurtre symbolique ?...Pas de Dieudonné à la messe de 11 heures ! " ODON VALLET. Historien des religions : "Ce qui est en cause, ce sont les idées mêmes du pape, qui sont des idées non plus seulement conservatrices mais réactionnaires au sens propre du terme" ALAIN MINC. ALEXANDRE ADLER. PHILIPPE BOUVARD. incompatibles avec tout paramètre démocratique " Ecrivain latino-américain : " L'écrivain est là pour redonner du sens au langage. Tout le temps " MAX GALLO. Historien : "Dans un vieux pays comme la France, on n'est jamais prêt à la réforme" LUIS HERRERO. Député européen espagnol : " Hugo Chavez a des comportements typiques d'un dictateur , Economiste : " Pour Obama, l'Europe est, grosso modo, ce que la Suisse est pour la France . Une zone périphérique, riche et cultivée, mais indifférente " RÉGIS DEBRAY. Médiologue : " 'Religion' est un mot latin qui n'a pas de traduction en chinois, ni en hébreu, ni en persan , ni en grec ". AMIN MAALOUF. Ecrivain : "Le monde arabo-musulman traverse une crise si profonde, si traumatisante qu'il ne semble plus capable d'avoir un comportement éthique cohérent" DENIS OLIVENNES. Directeur de la publication du Nouvel Observateur : " Le pouvoir personnel n'est pas seulement archaïque et malsain : il est inefficace "