Théâtres Loew de la rue Yonge et Winter Garden

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Théâtres Loew de la rue Yonge et Winter Garden
Théâtres Loew de la rue Yonge
et Winter Garden
Le lundi 16 février 2004, la Fondation du patrimoine ontarien a dévoilé à Toronto des plaques
provinciales pour célébrer les théâtres Loew de la rue Yonge et Winter Garden, dans le cadre
de la Semaine du patrimoine et à l’occasion du 90e anniversaire de ces théâtres. En voici le
texte bilingue :
THÉÂTRES LOEW DE LA RUE YONGE ET WINTER GARDEN
Conçus par l’architecte Thomas Lamb pour l’entrepreneur Marcus Loew, en tant
que vedettes canadiennes de sa chaîne de théâtres américaine, ces salles
superposées ont ouvert leurs portes en 1913-1914. Le théâtre du rez-de-chausée,
de 2 149 places, comportait des détails classiques et ses murs étaient recouverts de
damas rouge, tandis que des fleurs, des feuilles, des lanternes et des jardins peints
sur les murs embellissaient le théâtre Winter Garden de 1 410 places, à l’étage
supérieur. Les deux théâtres proposaient des pièces de la période du vaudeville et
des films muets jusqu’en 1928, lorsque le théâtre Winter Garden ferma ses portes
et le théâtre Loew de la rue Yonge fut converti en salle de cinéma. Après la
fermeture du théâtre du rez-de-chaussée en 1981 (rebaptisé théâtre Elgin en 1978),
la Fondation du patrimoine ontarien se porta acquéreur des théâtres et les restaura
tout en y apportant des améliorations. Le Centre des salles de théâtre Elgin et
Winter Garden rouvrit ses portes en 1989. Il s’agit du dernier centre de ce genre
encore en exploitation au monde.
LOEW’S YONGE STREET AND WINTER GARDEN THEATRES
Designed by architect Thomas Lamb for entrepreneur Marcus Loew as the
Canadian flagship of his American theatre chain, these double-decker theatres
opened in 1913-14. The 2,149-seat, lower theatre was decorated with classical
details and red damask, while flowers, leaves, lanterns and garden murals
embellished the 1,410-seat rooftop Winter Garden Theatre. Both theatres
presented vaudeville acts and silent moving pictures until 1928 when the Winter
Garden was closed and Loew’s Yonge Street was converted to show sound movies.
After the lower theatre (renamed the Elgin in 1978) closed in 1981, the theatres
were acquired by the Ontario Heritage Foundation, which restored and upgraded
Théâtres Loew de la rue Yonge et Winter Garden
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the building. The Elgin and Winter Garden Theatre Centre reopened in 1989 and is
the last of its kind in operation.
Historique
Les théâtres Marcus Loew
Marcus Loew, fils d’émigrants juifs nommés Herman Loew et Ida Sichel, est né à New York le 8
mai 1870. M.Loew a travaillé dans l’industrie de la fourrure, avant de rejoindre, au début des
années 1900, l’industrie du spectacle à Cincinnati où il dirigea une chaîne de salles de jeux. Il
ouvrit son premier théâtre, un burlesque, à Brooklyn en 1909. L’année suivante, il créa les
Loew’s Theatrical Enterprises. La société s’étendit jusqu’au Canada en 1912, après avoir
absorbé les chaînes Sullivan-Considine qui opéraient dans le Middle-West et sur la côte Ouest
et louaient des pièces de vaudeville pour les faire jouer à Vancouver, Victoria et Montréal. En
janvier de l’année suivante, Variety annonça que M.Loew ouvrait de nouveaux théâtres à
Philadelphie, Boston, Baltimore et Toronto.1
M.Loew prit conscience de l’importance de la demande pour le théâtre à Toronto. La ville
possédait sept théâtres en activité – deux jouant des pièces traditionnelles (le Royal Alexandra
et le Princess), deux spécialisés dans les comédies et les mélodrames (le Grand Opera House
et le Majestic) et deux consacrés au burlesque (le Gayety et le Star). Le septième, Shea’s
Victoria Theatre, à l’angle des rues Richmond et Yonge, qui avait ouvert ses portes en 1910,
était le seul grand théâtre de vaudeville à Toronto.2 M.Loew constitua la Marcus Loew’s
Theatres Limited à Toronto le 11 février 1913 « pour construire des théâtres et d’autres
bâtiments », « pour gérer, maintenir et développer lesdits théâtres et autres bâtiments » et
pour servir à la production et à la présentation « d’opéras, de pièces, d’opérettes, de
burlesques, de vaudevilles, de ballets, de pantomimes, de pièces à grand spectacle, … de
compositions musicales, de films photographiques et d’autres représentations dramatiques,
artistiques et musicales et de divertissements ».3
Marcus Loew (New York), Lawrence Solman (Toronto), Robert B. Bongard (Toronto), R.S.
McLaughlin (Oshawa) et T.P. Birchall (Montréal) siégeaient au conseil d’administration de
Marcus Loew’s Theatres Limited. M.Solman dirigeait les activités canadiennes de Lee Shubert,
un grand nom du théâtre, et le Royal Alexandra Theatre. Il possédait et dirigeait aussi des
1
Hilary Russell, Double Take: The Story of the Elgin and Winter Garden Theatre. (Toronto : Fondation du patrimoine
ontarien, 1989), pp. 24-25.
2
Ibid, p. 18.
3
Archives publiques de l’Ontario, RG 53, Série 41, Vol. 19, Extra Provincial Corporations, Licence Charter Book
19, Marcus Loew’s Theatres Limited, p. 139. Russell, Double Take, p. 26. M.Loew avait prévu de construire deux
théâtres à Toronto, mais le second théâtre, à l’angle de la rue College et de l’avenue Spadina, à Toronto, ne se
matérialisa jamais.
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équipes de baseball, de lacrosse et de hockey, la Mutual Street Arena, le Hanlan’s Point
Stadium, le parc d’attraction de Sunnyside et les traversiers de l’île de Toronto. M.Bongard était
président de Bongard, Ryerson and Co., courtiers et assureurs. M.McLaughlin possédait la
McLaughlin Motor Car Company. M.Birchall était président de la Canada Industrial Bond
Corporation, directeur de Bras d’Or Coal Co., et directeur de Loew’s Montreal Theatres
Limited.4
À Toronto, M.Loew acheta, pour 600 000 $, un terrain situé, dans le quartier des théâtres
entre les rues Yonge et Victoria, au nord de la rue Queen.5 M.Loew participa à ce projet pour
100 000 $; George Barnsdale Cox, de Cincinnati, pour 50 000 $; Joseph Rhinock, député du
Kentucky, pour 50 000 $; et deux grands noms du théâtre, J.J. et Lee Shubert, pour 100 000 $.
Le joyau canadien
Marcus Loew construisit les théâtres Loew de la rue Yonge et Winter Garden pour en faire le
joyau canadien de sa chaîne américaine de théâtres, qui, en 1914, en contrôlait près d’une
centaine. Il choisit l’architecte new-yorkais Thomas White Lamb pour concevoir ces théâtres à
salles superposées (ou empilées). M.Lamb est né à Dundee, en Écosse, en 1871. Après avoir
travaillé en tant qu’inspecteur de chantier à New York, l’architecte autodidacte ouvrit un
cabinet d’architecture en 1892. Selon le registre des travaux de M.Lamb, les travaux de
rénovation des théâtres commencèrent vers 1905. Au cours de sa carrière, M.Lamb conçut, à
Manhattan, plusieurs théâtres, y compris l’American Roof Theatre en 1909, le National Winter
Garden en 1912, et, en 1913, les théâtres Riviera et Japanese Garden (qui ont été entre-temps
démolis) – qui étaient les jumeaux des théâtres Loew de la rue Yonge et Winter Garden.
M.Lamb était étroitement associé à M.Loew. Les théâtres Loew de la rue Yonge et Winter
Garden étaient le 48e théâtre conçu par M.Lamb, le 22e qu’il dessina en totalité, et le premier
théâtre à salles superposées au Canada.6
Le permis de construire pour le théâtre de la rue Yonge fut délivré le 5 avril 1912. Il estimait le
coût de la construction à 250 000 $ (bien que le coût final ait atteint 500 000 $). Quelques
jours seulement avant la délivrance du permis de construire, le Conseil municipal de Toronto
émit un décret concernant la construction de théâtres et de bâtiments publics. Aucun théâtre à
salles superposées n’avait jamais été construit à Toronto et les autorités de la ville étaient
préoccupées par la sécurité publique. Elles étaient en particulier inquiètes au sujet de la
longueur du couloir qui partait de la rue Yonge. À New York, il était courant, pour les théâtres
faisant l’objet d’une construction neuve, de réduire les coûts en ayant une façade étroite reliée
par un long couloir au terrain meilleur marché situé derrière le théâtre. Cette disposition
4
Russell, Double Take, p. 27.
Ibid, p. 24. Paul Dilse, Toronto’s Theatre Block: An Architectural History. (Toronto: Architectural Conservancy of
Ontario, 1989), pp. 8, 30. Au cours du 19e siècle, l’emplacement acheté par M.Loew fut occupé par Good’s
Foundry, puis par l’Albert Hall – le premier théâtre construit dans le quartier des théâtres de Toronto.
6
Russell, Double Take, p. 44.
5
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permettait au propriétaire du bâtiment de louer, en tant que local commercial, une partie de la
façade du théâtre. Cependant, la conception du théâtre de la rue Yonge, avec son couloir long
de 169 pieds, contrevenait à la réglementation de Toronto, qui stipulait que les étages ne
pouvaient pas être éloignés de la rue de plus de 30 pieds.
Pour contourner cette exigence, Lamb and Stanley Makepeace, les architectes locaux qui
travaillaient sur ce projet, soumirent dans leur dossier au Bureau des architectes de la ville, des
plans pour le théâtre de la rue Victoria (et non pour le théâtre de la rue Yonge) avec une
fausse entrée et un guichet de billetterie donnant sur la rue Victoria.7 Leon Fleischmann
(associé dans la société de construction new-yorkaise Fleischmann Brothers qui supervisait la
construction des théâtres) attestait : « Nous ne considérons pas du tout que la façade de ce
bâtiment soit sur la rue Yonge, mais sur la rue Victoria et je suis persuadé que nous aurions
parfaitement le droit, selon ce décret, de tout simplement fermer complètement ce bâtiment,
et que nous resterions toujours dans le cadre de la réglementation ».8 Finalement, M.Loew
obtint son permis de construire, après avoir accepté des concessions qui, selon lui, ajoutaient
75 000 $ à 100 000 $ au coût du théâtre.9
Le théâtre Loew de la rue Yonge
L’architecture du théâtre de la rue Yonge était caractéristique des théâtres de vaudeville «
mineurs ».10 La façade donnant sur la rue Yonge était ornée d’arches romaines, de rondels, de
pilastres, de masques de théâtre sur les clés de voûte, d’une enseigne verticale, d’une marquise
qui brillait de mille feux et d’un guichet de billetterie indépendant. La façade donnant sur la rue
Victoria était agrémentée d’éléments décoratifs en terre cuite et de motifs en brique. Les
matériaux de construction comprenaient des briques de parement, de la terre cuite
ornementale, de la gypserie, et des décors importés de New York. L’acier était utilisé pour
supporter la charge des théâtres à salles superposées, ce qui se traduisait par « l’étonnante…
absence de colonnes obstruant la vue ».11
L’intérieur du théâtre du rez-de-chaussée, le théâtre Loew de la rue Yonge, était
généreusement décoré « dans le style Renaissance française moderne » avec dorure, marbre
d’imitation, et damas rouge.12 Des masques de théâtre ornementaux en plâtre, des guirlandes
de raisins, des rubans et des instruments de musique décoraient l’intérieur du théâtre. Le
7
Ibid, p. 52.
8 Hilary Russell, Loew’s Yonge Street and Winter Garden Theatres, Toronto: A Structural, Architectural, and Social History
to 1961 (Service canadien des parcs, 1990), Vol. 1, p.20.
9
Ibid, pp. 50-51
10
Le vaudeville majeur proposait chaque jour deux représentations – une en matinée et une en soirée – avec les
acteurs les mieux payés et les places les plus chères. Le vaudeville mineur proposait chaque jour deux
représentations ou plus, et chaque nuit deux représentations à des prix populaires.
11
Construction, avril 1915, Russell, Double Take, p. 55.
12
World, 6 mars 1913, Russell, Double Take, p. 66.
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Toronto Daily News écrivit que, malgré sa taille « immense», « cet endroit était empreint de
chaleur grâce à ses couleurs et à son charme douillet ».13 Les tentures à franges étaient en
velours doré ou beige et ornées de glands dorés. La finition des panneaux muraux était faite de
soie rouge à brocarts damassés, et un tapis Wilton pourpre à motifs en forme de diamants
recouvrait le sol. L’éclairage du bâtiment comprenait un éclairage de secours au gaz, un
éclairage électrique direct dispensé par des chandeliers et des lanternes ainsi qu’un éclairage
indirect diffusé par des appareils translucides.
Le théâtre Loew de la rue Yonge, avec ses 2 149 places, ouvrit ses portes le lundi 15 décembre
1913 – huit mois après avoir obtenu son permis de construire. « Tous ceux qui comptent dans
le monde se sont pressés en masse » à la représentation inaugurale.14 Parmi les invités de
M.Loew figuraient des grands noms du théâtre comme Lee Schubert et A.L. Erlanger, le
compositeur de chansons Irving Berlin, et la troupe de comédiens de Weber and Fields. On
comptait parmi les spectateurs : l’honorable Sir John Gibson, lieutenant-gouverneur de
l’Ontario; Sir James Whitney, Premier ministre de l’Ontario; l’honorable J.J. Foy, Procureur
général de l’Ontario; Monsieur le maire Horatio C. Hocken, maire de Toronto; des membres
du Conseil municipal; John Ross Robertson, éditeur de l’Evening Telegram; Joseph Atkinson,
directeur général du Toronto Star; David R. Wilkie, président directeur général de la Banque
Impériale; le colonel George Sterling Ryerson, fondateur de la Croix-Rouge; et John Lyle,
l’architecte qui conçut le Royal Alexandra Theatre.15
Le théâtre Winter Garden
Le théâtre Winter Garden était situé sept étages au-dessus du théâtre de la rue Yonge. Ce
théâtre de 1 410 places ouvrit ses portes le 16 février 1914; la recette de la soirée
d’inauguration fut versée au profit d’un organisme philanthropique de Toronto, l’établissement
de Riverdale.
Le Winter Garden était le premier théâtre sur les toits du Canada. Sa conception s’inspirait de
la tradition européenne de ce type de théâtre, que Rudolph Aronson introduisit à New York
dans les années 1880, lorsque les constructions à charpente métallique et les ascenseurs
permirent l’utilisation commerciale des espaces sur les toits. Peu à peu, les grands magasins, les
écoles, les bâtiments hospitaliers, les hôtels et les théâtres se mirent à utiliser leur dernier
étage comme salle de théâtre. Ces théâtres se caractérisaient par la présence de tables, de
rafraîchissements, d’arbustes, de fleurs, de sièges rustiques et de lumières colorées. Alors que
le théâtre de plein air sur les toits devenait de plus en plus populaire, il se transforma
progressivement en espaces fermés. En 1896, l’Olympia ouvrit à Manhattan – c‘était le premier
13
Toronto Daily News, n.d. dans Russell, Double Take, p. 67.
“At Opening of New Theatre”, Toronto Daily News, 16 décembre 1913, Russell, Loew’s Yonge Street and Winter
Garden Theatres, Toronto, p. 2.
15
Ibid, pp. 13, 16.
14
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théâtre fermé sur les toits. Le mouvement en faveur des théâtres sur les toits progressa encore
en 1903 avec l’ouverture, à New York, du New Amsterdam Theatre and Aerial Garden.
Le théâtre fermé Winter Garden bénéficiait d’un décor enchanteur. Ses murs étaient ornés de
peintures représentant des jardins; des feuilles et des branches étaient suspendues au plafond,
les colonnes étaient déguisées en troncs d’arbres et des lanternes de jardin illuminaient le
théâtre. Le Toronto Daily News écrivit à son sujet :
Tout cet endroit n’est qu’une masse de feuillage. Le plafond est couvert par tous
les types de plantes imaginables, alors que les murs sont parsemés de fleurs. Et
cette masse de fleurs scintille de la lumière d’une multitude de lampes, de toutes
les couleurs, sorties tout droit d’un conte de fées. Le même thème rustique de
décoration règne à l’orchestre et aux balcons, et, où que vous tourniez la tête,
vous trouvez des fleurs, des fleurs et toujours des fleurs. Même les piliers ont
été recouverts d’écorce pour ressembler à des arbres, alors que près de la
scène, les branches vont en s’amenuisant jusqu’à leur rencontre avec les tiges
peintes sur les murs, produisant un effet vraiment réaliste. Et au-dessus de ce
havre fleuri, flotte paisiblement une lune dont les rayons inondent tout ce
féerique tableau.16
Bien que le théâtre Winter Garden de Toronto soit basé sur le modèle américain du jardin sur
le toit, « le Winter Garden n’était ni une pâle imitation ni une copie conforme de son
prédécesseur new-yorkais [l’American Roof Theatre de M.Lamb, 1909], et les thèmes
décoratifs que M.Lamb avait explorés et expérimentés en 1909 semblent avoir trouvé leur
totale et exceptionnelle expression à Toronto, en 1914 ».17
Un mécanisme lucratif complexe
Le centre des théâtres à salles superposées de la rue Yonge et Winter Garden constituait « un
mécanisme lucratif complexe », conçu, décoré et équipé pour gagner de l’argent en présentant
des films et des pièces de vaudeville.18 Typiquement, les spectacles de vaudeville consistaient en
plusieurs séquences de 10 à 15 minutes, allant de la chanson au drame léger en passant par la
danse, les gymnastes, les ventriloques et les farces. Dans la salle du bas, le spectacle était
permanent pendant l’après-midi et la soirée. Dans la salle du haut, un spectacle identique était
présenté une fois par soirée à des spectateurs payant un prix plus élevé pour des places
attribuées. En échelonnant le début des représentations, on pouvait présenter le même
spectacle à deux auditoires, et ainsi théoriquement doubler la recette au guichet. Les billets
pour une place attribuée à l’étage supérieur coûtaient jusqu’à 50 cents, alors que les billets pour
16
Toronto Daily News, 17 février 1914, Russell, Double Take, pp. 74-75.
Russell, Double Take, p. 38.
18
Toronto Sunday World, 12 avril 1914 , Russell, Double Take, p. 112.
17
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assister au même spectacle au rez-de-chaussée coûtaient entre 10 et 25 cents – des prix moins
chers qu’au Shea’s, au Princess, au Royal Alexandra ou au Grand Opera House.19
Les films parlants
Les théâtres Loew de la rue Yonge et Winter Garden présentaient des acteurs de vaudeville
bien connus, comme Sophie Tucker, Milton Berle, George Burns, Gracie Allen et d’autres. Vers
les années 1920, cependant, les films parlants prenaient sur scène la place des vaudevilles. En
1921, le théâtre Winter Garden commença à projeter des films. L’année suivante, le théâtre
n’était plus ouvert que le samedi et les jours fériés. À la suite de l’incendie du 4 mai 1928, le
théâtre du haut rouvrit brièvement pour des représentations quotidiennes, pendant la
rénovation du théâtre du rez-de-chaussée. À la fin des travaux, le théâtre Winter Garden ferma
ses portes, livrant son fantastique décor à la poussière. Sa dernière représentation eut lieu le
samedi 16 juin 1928.20
La salle du bas fut équipée pour le cinéma parlant en avril 1929 et l’année suivante, le Loew’s
adopta la politique du tout-cinéma. C’était le début de l’âge d’or des salles de cinéma. Le
théâtre du rez-de-chaussée engrangeait des recettes croissantes et entreprenait des travaux
permanents de rénovation, comprenant la climatisation, des salons, des toilettes et la
modernisation de l’apparence extérieure. Pendant de nombreuses années, le théâtre de la rue
Yonge projeta des films en première exclusivité, jusque vers les années 1960, où le théâtre eut
à lutter contre la concurrence de la télévision. Son prestige se mit à décliner et les séances
comprenant deux films en seconde exclusivité (reprises et reconstitutions) remplacèrent les
films en première exclusivité. Le théâtre réagit en introduisant les films en 3 dimensions et le
cinémascope, et fut racheté en 1969 par les 20th-Century Theatres. Entre-temps, le théâtre
était devenu connu sous le nom de Loew’s Downtown Theatre (en 1920, M.Loew avait ouvert
à Toronto l’Uptown Theatre, à l’angle des rues Bloor et Yonge, qui fut démoli en 2003). Il fut
rebaptisé Loew’s Yonge Street en janvier 1970, nom qui fut raccourci en The Yonge le mois
suivant.
Dans les années 1970, le théâtre projetait des films de pornographie douce, d’horreur et de
kung fu. Cependant, en mars 1978, le théâtre reprit sa politique de films en première
exclusivité, destinés à toute la famille. Il fut rebaptisé The Elgin pour le dissocier de sa période
glauque. Le choix du nom fut grandement influencé par la possibilité de réutiliser les lettres
existantes de l’enseigne verticale et par le nombre de lettres dans chaque mot. Malgré le succès
des deux semaines du Festival des Festivals en septembre 1979 (le précurseur du Festival
international du film de Toronto), la popularité du théâtre continua de décliner, jusqu’à sa
fermeture le 14 novembre 1981, en raison de l’importance des ordres de travaux en
souffrance.
19
20
Russell, Double Take, p. 16.
Russell, Double Take, p. 114.
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La reprise
Les théâtres furent sauvés de la démolition par le gouvernement de l’Ontario, qui acheta le
complexe en décembre 1981; ils furent restaurés par la Fondation du patrimoine ontarien.
L’objectif était « de restaurer et de revitaliser ces théâtres d’époque pour en faire un élément
de patrimoine économiquement viable et une ressource culturelle et économique pour
l’industrie canadienne des arts du spectacle en direct et pour la population ontarienne, et pour
offrir de nouvelles possibilités et de nouvelles incitations à la croissance et au développement
d’une industrie commerciale locale du théâtre en Ontario ».21
En 1982, les théâtres Elgin et Winter Garden furent classés lieux historiques nationaux, ce qui
leur ouvrit la voie à des accords de partage des coûts avec le gouvernement fédéral et le
gouvernement provincial. Le théâtre Elgin fut adapté, mis en conformité avec les normes et
peint en noir pour Cats, le spectacle de Andrew Lloyd Weber. À l’ouverture de Cats en 1985,
les finitions originales du hall avaient été restaurées. Cats permit de déceler les problèmes du
théâtre Elgin – la vue depuis le fond des balcons était mauvaise, et le nombre d’espaces publics
pour les entr’actes, de toilettes, de loges, de salons et de locaux d’assemblage et d’entreposage
était insuffisant. Cats se termina en mars 1987; il s’ensuivit une opération de restauration du
théâtre qui dura deux ans et demi et coûta 29 millions de dollars.
La restauration des théâtres consistait, entre autres, à reproduire et restaurer les plâtres
ornementaux, les dorures, les finitions de marbre, les peintures décoratives et le plafond avec
ses branches de hêtre. Il fallut environ 300 000 feuilles d’aluminium ultra mince pour restaurer
les moulures en plâtre doré. Il fallut nettoyer les murs du théâtre Winter Garden avec des
centaines de livres de pâte à pain non cuite pour ne pas endommager les aquarelles originales
peintes à la main. Cinq mille branches de hêtre furent coupées, conservées, peintes, ignifugées
et tissées pour former des maillages pendant du plafond du théâtre Winter Garden. On créa
plus 65 000 pieds carrés de nouveaux locaux, y compris le sous-sol, des bureaux administratifs,
des toilettes, de nouveaux systèmes mécaniques et électriques, une nouvelle toiture, des halls
en cascade sur cinq niveaux, une aile de huit étages et un espace pour les répétitions. Le
Centre des salles de théâtre Elgin et Winter Garden rouvrit ses portes le 15 décembre 1989.22
Le Centre des salles de théâtre Elgin et Winter Garden joue un rôle actif et vital pour la
dynamique communauté artistique et culturelle de Toronto. Ces installations polyvalentes
accueillent une grande variété de divertissements, allant de comédies, tragédies, opéras,
spectacles de danse ou comédies musicales contemporaines aux remises d’oscars, conférences
et projections de gala dans le cadre du Festival international du film de Toronto.
21
22
Ibid, p. 146.
The Elgin and Winter Garden Theatre Restoration Project Design Summary, décembre 1989, p. 3
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L’architecture de ce complexe à salles superposées revêt une grande importance pour la
province. Le bâtiment est l’un des rares théâtres encore existants dessinés par le grand
architecte Thomas W. Lamb; il a été construit pendant une période expérimentale de l’histoire
de l’architecture des théâtres, alors que M.Lamb donnait à cette discipline de nouvelles
orientations. Sa configuration combine le théâtre en jardin sur les toits du 19e siècle et la salle
de cinéma du 20e siècle – marquant ainsi la transition du vaudeville au film parlant. De nos jours,
le Centre des salles de théâtre Elgin et Winter Garden est le dernier complexe de ce type
encore en activité.
La Fondation du patrimoine ontarien remercie Hilary Russell dont les recherches ont aidé à la
rédaction de cet article.
Photographies avec la gracieuse permission de Double Take: The Story of the Elgin and Winter
Garden Theatres par Hilary Russell.
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