Prise en charge de la scoliose idiopathique de l`enfant et de l

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Prise en charge de la scoliose idiopathique de l`enfant et de l
Société Française de Rhumatologie
Les Publications sélectionnées
Revue du Rhumatisme 71 (2004) 160-170
Prise en charge de la scoliose idiopathique de l’enfant et de l’adolescent
Pierre Mary
Hôpital d’enfants A.-Trousseau, 26, avenue du Dr-Arnold-Netter, 75571 Paris cedex 12, France
Reçu et accepté le 27 novembre 2003
Mots clés : Scoliose idiopathique ; Enfant ; Adolescent ; Chirurgie du rachis
Keywords: Idiopathic scoliosis; Child; Teenager; Spinal surgery
1. Introduction
Lorsque le diagnostic de scoliose idiopathique a été posé, il est indispensable d’avoir à l’esprit, non pas tant la déformation actuelle, que
le risque évolutif de celle-ci en fonction de la croissance restante. Il est essentiel de surveiller très régulièrement les scolioses en période
de croissance, surtout à la puberté, où la vitesse de croissance est maximale. Seule cette surveillance régulière permet de proposer le
meilleur traitement possible. Nous étudierons successivement les traitements orthopédiques, puis les traitements chirurgicaux, en
détaillant les indications de chacun.
2. Les traitements orthopédiques
Lorsque le diagnostic de scoliose idiopathique a été posé, il est indispensable d’avoir à l’esprit, non pas tant la déformation actuelle, que
le risque évolutif de celle-ci en fonction de la croissance restante. Il est essentiel de surveiller très régulièrement les scolioses en période
de croissance, surtout à la puberté, où la vitesse de croissance est maximale. Seule cette surveillance régulière permet de proposer le
meilleur traitement possible. Nous étudierons successivement les traitements orthopédiques, puis les traitements chirurgicaux, en
détaillant les indications de chacun.
2.1.1. La traction vertébrale nocturne
Elle a été proposée par Cotrel [1]. L’idée était d’installer les enfants en traction au lit pendant dix heures sur 24 de manière à leur
permettre, le reste du temps, de mener une vie normale. Cette méthode a montré son efficacité sur des scolioses à petit angle (20–25
degrés) chez des pré-adolescents. Elle est actuellement peu utilisée du fait de sa complexité en pratique et de ses résultats modestes.
2.1.2. L’électrostimulation interne
Elle repose sur le principe de stimulation électrique asymétrique des muscles paravertébraux de la convexité de la scoliose.
Expérimentalement, Bobechko [2] a montré que la stimulation asymétrique des muscles rachidiens chez des animaux était capable de
créer des déformations rachidiennes. Ces constatations ont été extrapolées en clinique humaine. Des électrodes étaient positionnées
dans le tissu souscutané. La stimulation était nocturne. Dans la journée, l’enfant menait une vie tout à fait normale. Les espoirs fondés
sur cette méthode originale ont été contredits par des résultats décevants. Elle est actuellement abandonnée sur le plan thérapeutique.
2.1.3. Les plâtres correcteurs
Ils ont pour but de corriger au maximum la déformation dans les trois plans de l’espace. Ils sont faits sur table de traction de Cotrel [3].
Celle-ci permet d’avoir un effet de correction par une traction dans l’axe, mais également par des bandes de dérotation ou des mains
d’appui qu’on applique pendant le séchage du plâtre. Des fenêtres d’expansion sont faites à l’opposé des gibbosités de manière à limiter
la restriction thoracique et à permettre à l’enfant d’échapper aux appuis, ce qui ajoute à la correction passive un élément de correction
active. La paroi antérieure de l’abdomen est libérée. La confection d’un tel appareillage qui ne doit pas être néfaste ni sur le plan
respiratoire, ni sur le plan cutané, nécessite une équipe entraînée.
2.1.4. Les corsets
Le but du traitement orthopédique n’est pas de corriger la déformation rachidienne, mais d’en empêcher l’évolution. Il agit sur la
croissance du rachis par une traction active, par des appuis, en diminuant les contraintes dans la concavité, et en cherchant à corriger au
maximum le défaut ostéoarticulaire en profitant de sa souplesse encore présente. Ceci ne doit se faire qu’en gardant un équilibre global
du rachis parfait, car on connaît le caractère péjoratif du déséquilibre sur l’évolution de la scoliose. Il existe un grand nombre de corsets
correcteurs différents, et il faut reconnaître qu’il est difficile de s’y retrouver. Il y a en fait trois grands types de corsets ayant fait la
preuve de leur efficacité : les corsets actifs, passifs, et en hypercorrection.
2.1.4.1. Les corsets actifs.
Le corset type est le corset de Milwaukee, présenté en 1954 par Blount [4]. Il est constitué d’une base pelvienne et de trois mâts, un
antérieur, deuxpostérieurs auxquels est relié un collier cervical avec un appui hyoïdien et deux appuis sous-occipitaux (Fig. 1). Des mains
d’appuis souples sont reliées aux mâts. Le principe est que la hauteur des mâts est réglée de telle sorte que l’enfant cherche à échapper
aux appuis en s’auto-agrandissant. L’appui hyoïdien doit être placé à deux travers de doigt audessous de la mandibule en position
debout, car un appui trop haut placé peut être à l’origine de déformations orthodontiques. Un tel appareillage est très peu contraignant
au niveau du thorax, et est bien supporté chez les jeunes enfants. Cependant, son principe de correction a tendance à augmenter la
lordose globale du rachis. Au début de son utilisation, les résultats ont été très encourageants, avec des gains angulaires en fin de
traitement orthopédique de 10 à 20 % par rapport à l’angulation initiale [5]. En fait, à long terme, on retrouve l’angulation initiale dans
la majorité des cas, mais c’est déjà un excellent résultat que d’avoir pu annuler l’aggravation pubertaire prévisible !
Fig. 1. Corset de Milwaukee.
2.1.4.2. Les corsets passifs.
Ce sont les plus nombreux. Le principe correcteur est d’agir grâce à des mains d’appuis situés soit au niveau de la ou des gibbosité(s),
soit un peu en dessous pour chercher à redresser le rachis. Des contreappuis au-dessus et en dessous sont nécessaires pour que l’appui
principal soit efficace, et pour obtenir un équilibre global du tronc satisfaisant. L’action de ces appuis est efficace sur la déformation
frontale, beaucoup moins sur la rotation vertébrale, et pas du tout sur la déformation sagittale. Pratiquement toutes les orthèses
fabriquées selon ce principe sont lordosantes, ce qui est rarement souhaitable pour les déformations thoraciques, dont la majorité sont
des lordoscolioses. Pour lutter contre cet effet néfaste, la rééducation est indispensable.
Chaque enfant ou adolescent nécessite un corset parfaitement adapté à sa morphologie, ce qui nécessite une fabrication personnalisée.
La plupart du temps, l’appareilleur fabrique le corset à partir d’un moulage plâtré du tronc du sujet. Il coule par la suite un positif, et
retouche celui-ci en ajoutant ou en retirant du plâtre aux endroits stratégiques, en fonction des souhaits du prescripteur et de l’aspect
radiographique de la déformation. Cette fabrication nécessite un grand savoirfaire, et une pratique régulière. Il n’est pas question de
demander à un appareilleur non-spécialisé de fabriquer un corset. Certains s’aident de reconstructions des formes par ordinateur [6] ;
actuellement, ces aides informatiques ne remplacent pas le savoir-faire artisanal. Les principaux modèles de corset passifs utilisés en
France sont les suivants :
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le corset lyonnais à trois points (ou valves) a été mis au point en 1971 par Michel et Allègre [7] pour des courbures lombaires et
thoracolombaires. Le principe général est de chercher par les mains d’appui à verticaliser le segment rachidien atteint. La main
iliolombaire cherche à ouvrir au maximum l’angle iliolombaire. Par la suite, la même équipe a conçu un corset quatre points pour
les scolioses à double courbures avec l’ajout d’une valve thoracique, et d’un béquillon d’équilibration concave. Les résultats de ces
orthèses sont difficiles à évaluer pour leur propre compte, car elles ne représentent qu’une part du traitement orthopédique
lyonnais qui comportait une hospitalisation en centre de rééducation avec confection de plusieurs plâtres correcteurs, une
préparation par une rééducation intensive, ultérieurement poursuivie durant toute la durée du traitement. Les
résultats publiés étaient de très bonne qualité, mais la lourdeur du traitement a fait que cette méthode est actuellement peu
utilisée dans son intégralité ;
le corset de Boston, mis au point par John Hall [8] en 1971, tient son originalité au fait qu’il est préfabriqué, avec des modules de
tailles différentes sur lequel l’appareilleur ajoute des mousses d’appuis aux points d’action repérés cliniquement et
radiographiquement. Il est réservé aux courbures lombaires ou dorsolombaires ;
le corset de Cheneau [9] ou CTM (Cheneau–Toulouse– Munster) est une orthèse monovalve en polyéthylène (Fig. 2.). L’idée
générale est d’avoir un maintien puissantà chaque extrémité du tronc, c’est-à-dire sur le bassin et au niveau des ceintures
scapulaires, pour pouvoir agir le long de la colonne par des mains d’appuis fortes et enveloppantes, en regard desquelles des
chambres d’expansion larges permettent au sujet d’échapper à la pression des appuis.
Fig. 2. Corset de Cheneau–Toulouse–Munster ( CTM).
2.1.4.3. Les corsets en hypercorrection.
Le corset de Charleston et le corset de Caen utilisent un principe de correction encore différent. L’idée originale est de confectionner une
orthèse en inclinant le rachis à l’inverse de la déformation (position du bending test) de manière à la corriger au maximum (Fig. 3). Ce
corset ne peut être utilisé qu’en port nocturne. Les promoteurs [10,11] ont publié des résultats encourageants sur des courbures uniques
lombaire ou thoracolombaires prises en charge à des angles inférieurs à 30 degrés.
Fig. 3. Corset nocturne en hypercorrection.
2.1.5. La rééducation dans le cadre du traitement orthopédique
Le port d’un corset doit s’accompagner de séances de rééducation surtout chez les enfants peu actifs sur le plan sportif. Elle doit se faire
au rythme de deux séances par semaine. Une partie du travail se fait avec le corset, une autre sans corset. Les actions sont :
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l’assouplissement du rachis, en insistant sur le travail en cyphose thoracique car à ce niveau la scoliose est une lordoscoliose le
plus souvent.Au surplus, les corsets ont en général tendance à augmenter cette lordose contre laquelle il faut lutter. Sur le
secteur lombaire, il faut en revanche être très attentif à garder une certaine lordose lombaire ; ceci est essentiel pour l’évolution à
l’âge adulte ;
le travail respiratoire, surtout pour les déformations du secteur thoracique ;
le renforcement musculaire des muscles paravertébraux, mais aussi de la sangle abdominale ;
l’autocorrection des défauts posturaux ;
le soutien psychologique, auquel chacun doit participer durant cette période difficile.
2.2. Indications du traitement orthopédique
Comme cela a été expliqué dans l’article précédent, nombre de scolioses ne sont pas évolutives, même en période de croissance. On
peut considérer que ces courbures ne dépassent jamais 30 degrés. Dans la mesure où les résultats qu’on peut espérer d’un traitement
orthopédique même bien conduit, est une stabilisation de la scoliose, il est totalement inutile de traiter une scoliose non évolutive. De
même, certaines scolioses ont été manifestement évolutives mais si, lors du diagnostic, la croissance est terminée, il n’y a plus de risque
évolutif et il n’y a donc plus de justification à traiter cette déformation rachidienne. Pour prendre la décision de débuter un traitement
orthopédique, il faut que les deux conditions suivantes soient absolument réunies :
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la preuve de l’évolutivité de la scoliose doit être établie;
un potentiel de croissance suffisant pour que la scoliose puisse encore s’aggraver.
La preuve de l’évolutivité est obtenue grâce à la surveillance qui doit être faite devant toute scoliose, comme cela a été détaillé
précédemment. Le potentiel d’aggravation de la déformation dépend du chemin qui reste à parcourir sur la courbe d’évolutivité de Mme
Duval-Beaupère [12]. Prenons l’exemple d’une jeune fille non réglée, vue une première fois en consultation avec une scoliose thoracique
de 20 degrés. Il n’y a pas de preuve d’évolutivité, on décide simplement de la surveiller. On la revoit quatre mois après, elle vient tout
juste d’être réglée, et la scoliose fait maintenant 26 degrés, la rotation vertébrale a augmenté. La déformation évolue et le potentiel
d’aggravation s’étend encore sur une période de deux ans environ. La mise en route d’un traitement orthopédique est indispensable.
Prenons un autre exemple : un garçon de sept ans consulte pour une scoliose de 15 degrés, qui en six mois s’est aggravé de dix degrés.
Bien que cet enfant soit largement en période prépubertaire (pente P1), sa scoliose évolue et doitêtre traitée. La période pubertaire sera
d’autant plus redoutable que la pente P1 est importante. Dans les deux cas, le traitement devra être poursuivi jusqu’en fin de croissance.
2.3. Mise en oeuvre d’un traitement orthopédique
2.3.1. Préparation avant la mise en place d’un corset
Lorsque la scoliose est déjà importante au moment de sa découverte (supérieure à 30 degrés), ou lorsque la déformation est raide
(moins de 50 % de réductibilité sur les clichés en inclinaison ou en traction), la confection d’un ou de plusieurs plâtres permettra de
réaliser le moulage sur une scoliose déjà partiellement corrigée.
On a parfois l’impression lors de la consultation que l’adolescent ou sa famille (ou les deux) ont du mal à admettre la gravité de la
pathologie, et prennent un peu les choses à la légère. Débuter le traitement orthopédique par un plâtre peut aider à faire prendre
conscience de la gravité de la situation. De plus, lorsque le plâtre sera remplacé par le corset, celui-ci sera mieux accepté, car il sera
beaucoup plus agréable à vivre que le plâtre.
La détraction agit sur le système digestif et peut être la cause de dilatation gastrique aiguë, voire de syndrome de la pince mésentérique.
La survenue de vomissement après la mise en place d’un plâtre correcteur de scoliose doit faire suspecter le diagnostic. L’ablation du
plâtre est interdite, car ceci peut être la cause de mort subite. En fait, il faut arrêter l’alimentation, et mettre l’enfant sous aspiration
digestive.
En pratique, il faut déconseiller les boissons gazeuses, et les aliments pouvant être à l’origine de dilatations digestives et les chewinggums pendant toute la durée du port du plâtre correcteur.
2.3.2. Choix du type de corset
Quelques règles sont à respecter. Pour le reste, chaque prescripteur doit sélectionner trois ou quatre corsets qui ont fait leurs preuves, et
bien les connaître. Il ne faut pas se disperser et se précipiter à utiliser le tout nouveau type de corset qui semble particulièrement
séduisant. L’expérience montre que de nombreux corsets ont été commercialisés et que peu d’entre eux ont résisté à l’usure du temps,
en apportant des preuves objectives de leur bénéfice supplémentaire par rapport aux orthèses précédentes.
Les règles suivantes sont dans tous les cas à appliquer :
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chez le jeune enfant, il est absolument indispensable d’éviter de mettre des appuis contraignants sur le thorax, car ceci aboutit à
aggraver l’état respiratoire (syndrome restrictif). Le corset de Milwaukee est le plus utilisé durant cette période. Si la scoliose est
strictement lombaire, il est alors possible d’utiliser un corset de type 3 points puisqu’il ne contraint pas la cage thoracique ;
les scolioses lombaires et thoracolombaires de moins de 30 degrés et souples sont celles chez qui on peut proposer le corset
nocturne en hypercorrection ou le corset de Boston à temps plein.
2.3.3. Modalités du port du corset
Tout d’abord, il faut savoir que la prescription de telles orthèses est du domaine du grand appareillage et justifie une prise en charge à
100 % si la scoliose est considérée comme évolutive. Le moulage et les essayages doivent être faits avec l’appareilleur et le prescripteur.
En dehors du cas particulier des corsets nocturnes en hypercorrection, ces appareillages doivent être portés 22 heures sur 24. Ils sont
ôtés pour la toilette. On ne peut pas demander à un enfant de porter son corset d’emblée à temps plein. Il faut prévoir une période
d’adaptation d’environ trois semaines. Une fois que le corset est mis bien régulièrement, nous revoyons les enfants en consultation pour
les réexaminer, répondre à leurs questions, et vérifier cliniquement et radiologiquement que le corset est
efficace.
Pour que le corset n’abîme pas la peau et ne soit pas à l’origine d’une hypersudation, il doit être porté sur un teeshirt mis à l’envers de
manière à ce que les coutures ne soient pas des points de pression trop importants. Les points d’appui vont marquer la peau en regard
au début, puis progressivement, celle-ci va se tanner. Ceci est un bon reflet de la bonne observance du traitement. L’apparition d’escarre
sous plâtre ou lors du port d’un corset est un témoin de défaut de sensibilité algique, et doit faire remettre en cause le diagnostic de
scoliose idiopathique (syringomyélie–insensibilité congénitale à la douleur).
Parfois, l’adolescent se plaint de dysesthésies au niveau de la partie antérolatérale de la cuisse. Ceci est dû à une compression du nerf
cutané latéral de la cuisse (ou nerf fémorocutané) par la partie pelvienne du corset qui descend trop bas en position assise et qui doit
être rectifiée.
Les activités sportives à l’école et en club doivent être poursuivies car elles sont facteur d’intégration, de bien-être pour l’enfant et de
renforcement de la musculature, tous ces éléments étant favorables à la meilleure observance du traitement. Tous les sports sont
autorisés pourvu que cela reste une activité de loisir. Il n’y a pas de justification à imposer telle ou telle activité sportive.
Parfois, l’adolescente demande à être dispensée de sport à l’école. En fait, elle ne souhaite pas montrer à ces camarades qu’elle porte un
corset. Il faut alors aborder la question directement, et trouver un arrangement (par exemple, ne pas mettre le corset la demi-journée
où elle a éducation physique) pour lui permettre de participer normalement à ces activités .
2.3.4. La surveillance du traitement orthopédique
Prendre en charge un enfant ou un adolescent scoliotique n’est pas une mince affaire ! Un suivi régulier est nécessaire durant toute la
durée du traitement orthopédique, très souvent sur plusieurs années. Une consultation tous les quatre mois paraît indispensable. Elle a
pour but de vérifier que le traitement est efficace, bien adapté, mais aussi que l’observance est bonne. Pour cela il faut prendre beaucoup
de temps pour faire le point avec l’adolescent et sa famille, car ce traitement est souvent un sujet de discorde supplémentaire à une
période déjà particulièrement difficile pour tous. Il faut remotiver l’ensemble des intervenants, y compris le médecin traitant, le
kinésithérapeute, réexpliquer inlassablement à l’adolescent pourquoi on lui impose de telles contraintes. Le corset doit être réajusté
régulièrement et renouvelé environ une fois par an.
2.3.5. Quand et comment terminer un traitement orthopédique ?
La décision de stopper un traitement orthopédique ne peut être prise que lorsqu’on est absolument certain que la croissance du rachis
est achevée. Pour cela, il faut s’aider de la mesure de la taille. Lorsque la taille n’augmente pas, il y a deux solutions : soit la croissance
est terminée, soit elle se poursuit et la scoliose s’aggrave, ce que le bilan clinique et radiographique confirmera. Le Risser au moins à 4 et
la fusion du listel marginal antérieur des corps vertébraux sont des reflets assez précis de la fin de la croissance des vertèbres, mais
également du fait que la maturation osseuse est terminée. Le traitement ne doit pas être stoppé brutalement. On commencera par
diminuer la durée du port du corset en libérant l’enfant durant ses heures scolaires sur une durée de quatre à huit mois. S’il ne se produit
pas d’aggravation, le corset sera mis uniquement la nuit pendant la même durée puis stoppé définitivement. Il faudra alors rappeler à
tous que le but initial était d’éviter l’aggravation pubertaire, car très souvent, il se produit une petite perte angulaire à l’arrêt du
traitement. Ceci ne doit pas être vécu comme un échec. Dans tous les cas, il faut poursuivre la surveillance pendant un ou deux ans.
2.3.6. Que dire à un adulte jeune en fin de traitement orthopédique ?
L’essentiel est d’expliquer qu’avoir une scoliose n’est pas une tare. Il n’y a aucune justification à interdire certaines orientations
professionnelles pour cette raison. Les activités sportives sont toutes autorisées et même encouragées pour garder une bonne
musculature du tronc. Il faut mettre en garde contre la prise de poids excessive qui surcharge un rachis dont les contraintes sont plus
importantes que normalement.
Les grossesses sont tout à fait autorisées, seul l’allaitement prolongé paraît néfaste, car il est gros consommateur de calcium osseux.
Il faut aussi réexpliquer qu’il y a un risque d’aggravation à l’âge adulte, mais qu’il est actuellement très difficile de le prévoir. Ceci impose
de confier au patient au moins la dernière radiographie, et de conseiller une consultation tous les quatre ans environ auprès d’un collègue
au fait des problèmes de la scoliose chez l’adulte.
2.4. Scolioses infantiles et juvéniles, traitement orthopédique
Traiter une scoliose évolutive chez un enfant avant la période pubertaire est encore plus délicat. L’aggravation de la déformation doit être
évitée tout en permettant à l’enfant de mener une vie agréable, sans entraver la croissance. Les plâtres correcteurs sont très utilisés. Ils
doivent être changés tous les mois. Lorsqu’on a l’impression d’avoir atteint le maximum de correction, le relais par un corset,
pratiquement toujours de type Milwaukee, est effectué. Le traitement est poursuivi durant toute la période de croissance, ce qui pose de
gros problèmes de tolérance physique, mais surtout psychologique. Il faut savoir parfois alléger le traitement pour passer un cap difficile,
ou lorsque la déformation ne semble pas très évolutive durant une certaine période. Lorsque la puberté approche, le risque évolutif est
majeur, et il ne faut pas que l’enfant aborde cette période en rejetant complètement le traitement orthopédique. Changer de type de
corset est alors un bon moyen de gagner du temps, car souvent l’adolescente refuse de continuer à porter un corset de Milwaukee en
raison de la têtière qui est visible. Il sera alors avantageusement remplacer par un corset type CTM par exemple.
Certaines scolioses infantiles très évolutives peuvent être pratiquement guéries si on applique un protocole très strict décrit de manière
précise par Morin et Morel [13]. La correction est obtenue progressivement par des plâtres changés très régulièrement jusqu’à obtenir
une correction pratiquement totale et un enraidissement partiel du rachis. Le relais est pris par un corset (plutôt de type Milwaukee) qui
est alors confectionné sur un rachis rectiligne dans le plan frontal.
3. Traitement chirurgical de la scoliose
3.1. Historique
L’idée de corriger et de stabiliser les scolioses par des moyens chirurgicaux est ancienne. Les premiers auteurs ont cherché à faire une
arthrodèse vertébrale, c’est-à-dire à fusionner entre elles les vertèbres atteintes pour éviter l’aggravation, ce qui reste la base du
traitement actuel. La correction était confiée à un plâtre laissé en place un an. L’utilisation d’un greffon cortical solide mis en force entre
les vertèbreslimites a également été utilisée. Elle ne dispensait pas d’un maintien plâtré de longue durée.
En 1962, Paul Harrington [14] a présenté son matériel correcteur qui consistait à prendre appui avec des crochets sur les lames
vertébrales et à exercer, grâce à une tige crantée, une forte distraction dans la concavité de la courbure, entre ces deux points fixes. Les
corrections obtenues étaient bien meilleures mais nécessitaient toujours un maintien orthopédique prolongé. Mais cette technique ne
tenait compte que de la composante frontale de la déformation, et négligeait son caractère tridimensionnelle. Par la suite, Luque a mis
au point la première technique qui corrigeait la déformation globalement et permettait de se passer de maintien orthopédique
postopératoire. Des fils prenaient appui sur les lames vertébrales et étaient reliés par des tiges métalliques.
Actuellement toutes ces méthodes ont été abandonnées grâce à la mise au point parYves Cotrel et Jean Dubousset en 1983 [15] d’une
instrumentation multisegmentaire qui avait pour but de corriger la déformation dans les trois plans de l’espace, et suffisamment solide
pour se permettre de se passer de maintien externe postopératoire. Depuis de nombreuses instrumentations ont été conçues, avec des
principes de correction parfois différents mais toujours dérivés du matériel de Cotrel et Dubousset (CD).
Toutes ces techniques tentaient de corriger la déformation en abordant le rachis par voie postérieure. Parallèlement, des
instrumentations antérieures ont été développées. Le raccourcissement de la courbure par l’excision des disques et la mise en place de
vis au niveau des corps vertébraux, reliée par un câble (Dwyer), une tige filetée (Zielke), ou des tiges rigides (CD antérieur–Colorado...)
ont permis des corrections importantes par accourcissement en compression de la convexité et sans manoeuvre de distraction sur la
concavité. L’arthrodèse était alors antérieure, intercorporéale.
3.2. Les instrumentations postérieures
3.2.1. L’instrumentation de Cotrel-Dubousset
Cette technique a maintenant plus de 20 ans de recul et a été largement diffusée et copiée dans le monde entier. Les buts recherchés à
l’origine étaient de réaliser une fixation interne suffisamment solide pour se passer de maintien orthopédique postopératoire. En
multipliant les points d’ancrage sur les arcs postérieurs, les pédicules et les apophyses transverses des vertèbres solidarisées à deux
tiges, une dans chaque gouttière paravertébrale, il est apparu possible d’obtenir différents modes d’action entre chaque implant
(compression ou distraction) [16]. La compression entre deux implants induit une correction en lordose ; une distraction, une correction
en cyphose. Ces deux tiges reliées par des dispositifs de traction transversale transforment l’ostéosynthèse en un cadre rigide
indéformable. La tige est précintrée selon le profil qu’on souhaite obtenir et mise en place dans les implants. La rotation de la tige va
entraîner avec elle le rachis, et corriger la déformation dans les trois plans de l’espace. Les corrections obtenues dans le plan frontal sont
très importantes, le profil est nettement amélioré, mais les reconstructions par méthode informatique de rachis avant et après correction
ont montré que le mouvement induit par la rotation de la tige n’était pas à proprement parler une dérotation vertébrale, mais une
translation vertébrale.
3.2.2. Correction par cintrage in situ
Elle est directement dérivée de l’instrumentation de Cotrel-Dubousset et est utilisée depuis 1993. Sur le plan de la rigidité du montage et
donc l’absence de contention postopératoire, il n’y a pas de différence par rapport au CD. Elle ne comprend pas de manoeuvre de
distraction, manoeuvre dangereuse pour la moelle épinière.
Le principe est de solidariser la tige au rachis dans sa position d’origine et de corriger la déformation rachidienne à chaque niveau
progressivement et successivement dans le plan frontal et sagittal en déformant la tige qui entraîne avec elle le rachis [17]. Ceci est
possible grâce à la mise au point de tiges métalliques particulières, facilement modelables à l’aide de fers à cintrer. Ces tiges gardent la
forme imposée par le cintrage, et ont tendance à être de plus en plus rigides à mesure qu’on les travaillent. Au-dessus de la dixième
vertèbre thoracique, on utilise des crochets pédiculaires, lamaires ou transversaires, en dessous et pour le secteur lombaire, la
préférence va aux vis pédiculaires. Les tiges sont mises en place et solidarisées sans être verrouillées à chaque implant. Elles sont
ensuite progressivement déformées à l’aide des fers à cintrer en cherchant à obtenir progressivement et successivement, une correction
dans les trois plans de l’espace.
3.3. Les instrumentations antérieures
La première instrumentation antérieure a été mise au point par Dwyer en 1964 [18]. Le principe était de corriger la déformation en
comprimant le côté convexe de la déformation à l’aide de l’instrumentation après avoir ôté les disques intervertébraux, pour donner de la
mobilité, et permettre une arthrodèse intercorporéale de bonne qualité. Des vis étaient implantées dans chaque corps vertébral,
appuyées sur une agrafe, et reliées par un câble métallique qui était mis en tension progressivement. La correction de la courbure dans
le plan frontal est pratiquement totale [19]. Dans le plan sagittal, ce type d’instrumentation a tendance à être cyphosante.
Zielke [20,21] a perfectionné cette méthode en utilisant une tige filetée souple à laquelle les vis étaient solidarisés. À cette tige filetée
était associé un système de dérotation des vertèbres instrumentées.
En France, Pouliquen [22] a développé une instrumentation par plaque prémoulée dans le plan sagittal sur laquelle on applique
progressivement le rachis à l’aide de vis. Les corrections sont de bonne qualité dans tous les plans, mais les indications restent limitées à
des déformations relativement souples et d’étendue limitée.
Actuellement, plusieurs instrumentations [23,24] peu différentes ont été mises au point pour corriger les scolioses par voie antérieure
dans les trois plans de l’espace. Les appuis se font au niveau des corps vertébraux par des vis, reliées par des tiges rigides. La rotation
ou le cintrage de la tige permet d’obtenir de bonne correction, sans avoir l’effet cyphosant des instrumentations plus anciennes.
3.4. Indications
Proposer une arthrodèse vertébrale à un enfant ou un adolescent qui a une scoliose est une décision particulièrement lourde qui a des
conséquences à court et long termes. Ceci doit être longuement discuté avec l’intéressé et sa famille, en mesurant précisément le
rapport risque/bénéfice.
Pour ce qui concerne l’adolescent, on peut simplifier en décrivant deux situations pratiques :
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il existe une courbure rachidienne évolutive qui n’est pas stabilisée par un traitement orthopédique ; on souhaite donc stopper
l’aggravation et corriger au mieux cette déformation ;
la courbure a fini d’évoluer mais la déformation est importante et risque de compromettre l’avenir de la colonne vertébrale.
L’arthrodèse et la correction d’une partie du rachis placent les étages laissés mobiles dans de meilleures conditions physiologiques
pour préserver l’avenir à l’âge adulte.
Les indications ne dépendent pas uniquement de l’angle de Cobb, c’est-à-dire de l’importance de la déformation dans le plan frontal ; la
déformation dans les autres plans tous les plans comptent également. Pour un même angle de Cobb, une scoliose avec dos creux sera
plus « chirurgicale » que celle avec profil conservé. L’équilibre global du tronc est un des éléments essentiels à prendre en compte, car
on sait actuellement qu’un rachis déséquilibré en fin de croissance aura beaucoup plus tendance à s’aggraver ultérieurement qu’un rachis
équilibré. La localisation de la courbure est aussi très importante. Schématiquement, les courbures thoraciques isolées sont souvent bien
tolérées, sauf quand l’angle de Cobb dépasse 70 degrés ; à cette limite le retentissement respiratoire est à craindre. Les courbures
lombaires isolées avaient la réputation d’être bien tolérées à l’âge adulte. En fait, elles ont tendance à évoluer en cyphose, surtout vers
l’âge de la ménopause. Les courbures thoracolombaires évoluent également défavorablement, avec la création d’une dislocation
rotatoire, surtout s’il existe un déséquilibre rachidien. Les doubles majeures thoracique et lombaire semblent mieux tolérées, jusqu’à des
angles de Cobb de 70 degrés, surtout si le tronc est équilibré. On a donc tendance à éviter l’arthrodèse qui, si elle était décidée, devrait
intéresser les deux courbures et nécessiterait de bloquer une grande partie du rachis (arrêt inférieur en L3 ou L4), source de handicap
certain dans la vie courante. Mieux vaut vivre avec une courbure double majeure bien équilibrée souple qu’avec un dos arthrodésé
jusqu’en L4, au moins pendant la période active (étude, grossesse, sports, vie professionnelle...). Cette attitude impose une surveillance
très régulière clinique et radiographique du rachis durant l’âge adulte, pour pouvoir dépister des signes de dégradation du rachis qui
pourrait pousser à rediscuter un traitement chirurgical.
Un facteur plus subjectif, l’aspect inesthétique de la scoliose, surtout thoracique, pousse parfois les adolescentes à réclamer un
traitement chirurgical. Souvent la demande n’est pas aussi clairement exprimée ; elle est cachée derrière la description de douleurs
rachidiennes mal définies. Cet élément ne doit pas être négligé, mais il impose d’expliquer clairement que la correction de la déformation
rachidienne ne fait qu’améliorer, mais pas disparaître l’aspect inesthétique de la déformation. La gibbosité persiste dans une large part. Il
faut alors discuter avec la patiente de la nécessité d’ajouter à la correction du rachis, une gibbectomie, qui pourra faire nettement
diminuer la saillie gibbositaire.
3.5. Choix des techniques
Nous avons décrit de nombreuses instrumentations utilisables pour corriger une scoliose. Deux questions se posent : doit-on corriger la
déformation par une instrumentation postérieure ou antérieure ? quel type d’instrumentation choisir ?
Les avantages de la voie antérieure sont :
●
●
●
●
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une meilleure correction dans le plan frontal, et dans le plan horizontal ;
le respect des muscles extenseurs du rachis ;
initialement, l’idée était de pouvoir réaliser des instrumentations de plus courte étendue ; les revues de dossierà moyen et long
terme ont montré que lorsque le montage n’incluait pas toute la courbure, des dégradations au niveau du premier étage mobile
survenaient rapidement ;
une diminution du risque neurologique puisqu’il n’y a pas de contrainte en distraction sur la moelle épinière ;
il a été longtemps reproché aux instrumentations antérieures d’avoir un effet cyphosant. Ceci n’est plus le cas avec les
instrumentations actuelles (CD antérieur–Colorado).
Les avantages de l’abord postérieur sont :
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●
la facilité d’abord ;
la moindre morbidité générale ;
la possibilité de réaliser des montages beaucoup plus étendue que par voie antérieure.
Le choix du type d’instrumentation est en fait plus limité qu’il n’y paraît car certaines instrumentations ne sont plus disponibles sur le
marché, les industriels ayant cessé leur fabrication (Dwyer–Zielke). Chaque instrumentation a ses défenseurs. En fait, l’essentiel est de
bien connaître le matériel utilisé, et d’en changer régulièrement de matériel. La multiplicité des instrumentations ne doit pas faire perdre
de vue que le temps indispensable de cette chirurgie est l’arthrodèse qui est le seul garant du maintien de la correction à long terme
(Figs. 4 et 5).
Fig. 4. Scoliose lombaire avant (Figs 4a et 4b) et après (Figs 4c
et 4d) intervention par voie antérieure. Noter la bonne correction
de la courbure dans les trois plans de l’espace. Le disque sousjacent à l’arthrodèse reste incliné et est très sollicité.
Fig. 5. Correction d’une double courbure thoracique et lombaire
avant (Figs 5a et 5b) et après instrumentation et arthrodèse
postérieure (Figs 5c et 5d). Seule la voie postérieure permet de
réaliser des montages très étendus.
3.6. Les risques de la chirurgie de la scoliose, le bilan pré-opératoire
Traiter chirurgicalement une scoliose expose aux risques habituels de la chirurgie orthopédique lourde, et nécessite un bilan préopératoire complet.
Un des volets de ce bilan concerne directement la déformation rachidienne. Il comprend des clichés du rachis en entier de face et de
profil et en inclinaison ou en traction de manière à apprécier la réductibilité de la scoliose dans les différents plans de l’espace. Si une
préparation par traction ou plâtre d’élongation est prévue, on y ajoute des radiographies du rachis cervical.
Une autre partie du bilan concerne l’état général de l’enfant. Il comprend dans notre pratique quotidienne une échographie cardiaque à la
recherche de malformations mineures, des épreuves fonctionnelles respiratoires pour les déformations qui comprennent une courbure
thoracique, ou chez les enfants qui ont des antécédents respiratoires. Un bilan biologique complet est également réalisé.Avec tous ces
éléments a lieu la consultation d’anesthésie, durant laquelle le patient et sa famille sont informés du type d’anesthésie, des moyens
utilisés pour l’analgésie postopératoire (pompe à morphine), et des contraintes nécessaires en postopératoire (sonde gastrique– sonde
urinaire). C’est également durant cette consultation que sont abordés les problèmes de pertes sanguines qui sont souvent importantes
dans ce type de chirurgie. Des programmes d’autotransfusions sont actuellement largement répandues, qui nécessitent dans la plupart
des cas une supplémentation en fer et acide folique.
La dernière partie de ce bilan est essentiel. Elle cherche à diminuer le risque neurologique en détectant les facteurs de risque. Tout
d’abord, il faut s’assurer que cette scoliose est bien idiopathique, car le risque neurologique est beaucoup plus important s’il s’agit d’une
scoliose malformative, ou si elle est associée avec une syringomyélie. Le moindre signe neurologique, même minime comme une
abolition d’un des six réflexes cutanés abdominaux, impose de faire une IRM qui peut montrer la cavité syringomyélique, mais aussi une
éventuelle malformation de Chiari associée. Dans le cadre des scolioses idiopathiques vraies, les déformations très importantes
(supérieures à 100 degrés) et raides ont un risque neurologique plus important. Globalement, on peut actuellement le chiffrer, toutes
scolioses confondues à 1 % [25]. Pour pouvoir surveiller au mieux la moelle épinière durant l’intervention, l’aide des électrophysiologistes
est indispensable. Il assure une surveillance en continu par les potentiels évoqués somesthésiques, par les potentiels moteurs ou les
deux couplés. En cas de difficulté, on peut également utiliser le test du réveil lorsque les manoeuvres de correction ont été faites pour
vérifier que les membres inférieurs peuvent être mobilisés sur ordre [26]. Malgré toutes ces précautions, il faut admettre que certaines
paraplégies ne trouvent pas d’explication. Tout ceci doit être clairement expliqué au patient et à sa famille.
3.7. L’intervention en pratique, la surveillance postopératoire
La chirurgie de la scoliose est difficile et dangereuse. Elle doit être confiée à des équipes chirurgicales et anesthésiques rompues à ce
type de technique. L’intervention dure en moyenne de quatre à six heures en fonction de l’étendue de l’arthrodèse et de la difficulté de
correction. La surveillance par potentiels évoqués somesthésiques et/ou moteur est indispensable. À défaut, le réveil sur table est
obligatoire. En postopératoire immédiat, des moyens analgésiques puissants sont nécessaires (pompe à morphine–rachianalgésie). Ceci
impose une surveillance en soins intensifs durant quelques jours. Le lever est autorisé dès que possible en fonction de la douleur
essentiellement. Il faut prévenir les adolescents qu’après avoir quitté l’hôpital (8 à 10 jours après l’intervention), une fatigabilité
importante persiste souvent pendant six à 12 semaines, ce qui impose parfois une admission en centre de rééducation médico-scolaire
pour profiter d’un programme de rééducation et d’éviter des trajets prolongés pour se rendre à l’école. L’adolescent doit s’habituer à son
« nouveau dos ». Très souvent, en postopératoire, il persiste un déséquilibre du tronc car la partie laissée mobile du rachis ne s’est pas
encore habituée à cette nouvelle position. Un nouvel équilibre s’établit au bout de six mois en moyenne.
Des précautions sont à prendre pour éviter de trop solliciter le montage lorsque l’arthrodèse s’étend au secteur lombaire. Il faut alors
interdire les positions assises sur des sièges bas, en importante flexion de hanche, ce qui entraîne le bassin en rétroversion, pendant une
période de six mois.
Toutes les activités sportives sont interdites pendant une année, période que l’on considère comme nécessaire pour aboutir à la
consolidation de l’arthrodèse. Fait important, le matériel est définitivement laissé en place.
3.8. Préparation à la chirurgie
Certaines scolioses sont vues très tardivement, avec des angles de Cobb très importants (supérieurs à 80 degrés). La raideur est
majeure. On peut alors proposer d’assouplir ce rachis par des méthodes de préparation, qui se proposent d’exercer une correction
progressive par distraction du rachis.
Le halo suspension consiste à tracter le rachis par l’extrémité céphalique au moyen d’un halo. La charge est régulièrement augmentée.
Ceci a pour avantage de laisser le tronc totalement libre et de permettre au patient de se déplacer à l’intérieur du service spécialisé, dans
un cadre spécial.
Le plâtre de détraction de Stagnara est une méthode de préparation également très efficace. Elle consiste à élonguer la colonne
progressivement par des vérins entre les deux parties du plâtre. Ceci impose une surveillance très précise de la peau au niveau des
points d’appui et un décubitus prolongé dans la journée. La durée de ces tractions varient de trois à six semaines.
3.9. Scolioses infantiles
La prise en charge des scolioses infantiles reste un des problèmes le plus difficile de l’orthopédie pédiatrique. Certaines sont peu
évolutives et sont stabilisées par le traitement orthopédique comme cela a été décrit précédemment. D’autres sont rapidement très
évolutives, échappant au traitement orthopédique. La correction–arthrodèse précoce a l’inconvénient de bloquer la croissance du tronc,
ce qui n’est évidemment pas souhaitable. De plus, elle impose de réaliser une arthrodèse postérieure et antérieure, car si l’arthrodèse
n’est faite que par une seule voie, la croissance des éléments vertébraux non fusionnés aggravera la courbure par rotation du rachis
autour de l’arthrodèse ; c’est l’effet vilbrequin [27].Ce type de chirurgie doit être au maximum évitée.
L’alternative qui a été tentée est de corriger la déformation par une tige sous-cutanée sans fusionner le rachis [28]. Cette tige est remise
régulièrement en tension au fur et à mesure que la croissance se poursuit. Le port d’un corset est systématiquement associé. Les soucis
mécaniques sont très fréquents, et doivent faire réserver ce type de technique à des scolioses très évolutives.
4. Conclusion
Les moyens thérapeutiques à notre disposition pour traiter les déformations rachidiennes durant la croissance sont nombreux. Pour
pouvoir poser une indication quelle qu’elle soit, il est absolument indispensable de s’assurer que la scoliose est évolutive, et seule la
surveillance régulière peut en apporter la preuve.
Le traitement orthopédique freine l’aggravation pubertaire, et doit permettre d’éviter dans bon nombre de cas le traitement chirurgical,
car l’enraidissement du rachis, même sur une étendue limitée n’est pas souhaitable. Étant donnée la lourdeur des traitements
orthopédiques, il est légitime que les enfants et leurs familles se tournent vers des techniques moins agressives. Il est du devoir de
chaque praticien d’expliquer clairement les risques qu’il y a à laisser évoluer une scoliose.
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© SFR - P. Mary / Revue du Rhumatisme 71 (2004) 160–170