La Genèse face à la science _Maldamé_

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La Genèse face à la science _Maldamé_
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La Genèse face à la science
Le monde universitaire et scolaire est actuellement soumis à une pression venue des
milieux religieux. Elle plonge bien des enseignants dans le désarroi. En effet, nombre de cours
de Sciences de la Terre et de la Vie (jadis appelées sciences naturelles) sont l’objet d’une
critique ouverte de la part des élèves. Dans des copies d’examen, des professeurs ont trouvé,
au terme d’un exposé reprenant correctement l’enseignement, des remarques comme : « Je
vous ai dit le cours, mais je sais que ce n’est pas vrai ». Il s’agit du cours concernant
l’apparition de l’homme présentée dans le cadre de la théorie de l’évolution. Face à ces
réactions, bien des enseignants laïcs sont désemparés. Ils constatent que la force de conviction
qui les habite et les faits évoqués dans l’exposé scientifique ne suffisent pas. Ils perçoivent
bien que dans ce rejet, il ne s’agit pas seulement du refus qui oppose les adolescents à une
parole d’adulte, mais bien d’une confrontation entre des cultures : un conflit entre raison et
religion.
Les courants d’opinion hostiles à la théorie de l’évolution sont divers.
Mentionnons d’abord les groupes catholiques conservateurs soucieux de revenir aux « vraies
valeurs » de la liturgie, de l’obéissance au dogme et aux exigences exprimées par le
catéchisme romain. C’est aussi le fait des mouvements protestants dits évangéliques. C’est
encore le fait des milieux musulmans, essentiellement les frères musulmans et les groupes
radicaux présents en Europe. Dans ces milieux, on est convaincu que la vérité de Dieu est
communiquée adéquatement dans un livre marqué du sceau de l’infaillibilité, la Bible ou le
Coran ou encore un dogme. La typologie relevée à l’instant est sommaire ; il faut en percevoir
les racines. Je le ferai pour le monde chrétien.
Dans un souci de clarification, il importe de voir la différence entre le Coran et la
Bible. Le Coran est un livre beaucoup plus court que la Bible (un volume d’un peu plus de
mille pages dans l’édition de la Pléiade – notes comprises, c’est-à-dire à peu près autant que le
Nouveau Testament dans la même édition, tandis que l’Ancien Testament occupe deux
volumes de 2000 pages environ – notes comprises). Mais surtout le Coran rapporte la
prédication de Mahomet ; elle se présente sur un mode qui vise à créer une communion entre
le récitant et l’assemblée ; c’est un texte qui ressemble aux psaumes…. Le langage
symbolique qui l’habite permet une manipulation de type concordiste comme le montre
l’ouvrage apologétique de Marcel Bucaille qui rapproche des termes imagés du Coran pour
retrouver des résultats qu’il présente comme scientifique. Il n’y a pas de récit de la création ;
ce n’est qu’indirectement qu’est signifiée la cosmologie du temps. Par contre, la Bible
comporte des grands récits. Ce sont des récits historiques – naissance de l’histoire dit Pierre
Gibert ! Mais il y a aussi des récits qui ont pour but de dire l’origine et de justifier la mise en
ordre des éléments qui constituent l’univers. Pour cette raison, la Bible a pu être utilisée par
ceux qui voulaient présenter un grand récit fondateur du monde et de l’humanité et la question
du rapport entre la Bible et la science se pose avec acuité. Dans cet ensemble, les onze
premiers chapitres de la Genèse occupent la place centrale. Trois éléments en font partie :
d’abord, le premier récit de la création de l’univers en une semaine inaugurale ; ensuite, le
récit de la formation du premier couple humain, de leur faute et de la violence dans l’histoire
des hommes, enfin des mythes comme le péché des anges (Gn 6), le déluge (Gn 9) et la
confusion des langues à partir de la Tour de Babel (Gn 11). Tous ces textes ont été appelés à
une grande postérité, bien au-delà de la seule confession de foi dans le cadre d’une célébration
liturgique. Il faut donc d’étudier les rapports entre ces textes de la Genèse et la théorie
scientifique de l’évolution.
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1. Sagesse biblique et créationnisme
Je commencerai cette première partie par dire ce qu’est le mouvement créationniste aux
USA. Il est intéressant de voir l’articulation du politique et du religieux. Je rattacherai ce
mouvement à une question plus radicale, liée à la nature même du texte biblique.
1.1. Un héritage
Il est clair à mes yeux que le créationnisme est une erreur. Mais pour voir en quel sens
il est erroné, il faut prendre du recul et voir qu’il se développe sur un terreau qui fait partie de
la tradition chrétienne et qui doit être honoré : un quête de sagesse.
Celle-ci est une quête d’unité ; en effet, un esprit « raisonnable » ne peut accepter une
grande division. Il ne peut accepter la séparation absolue des registres de pensée : d’un côté la
science et de l’autre la foi. De fait, dans la tradition chrétienne, il y a toujours eu une quête
d’harmonie entre les démarches. Il a toujours eu le souci d’un accord justifié par la conviction
que le même Dieu est créateur et sauveur.
Cette recherche d’unité est inscrite dans la Bible elle-même. Elle apparaît dans le livre
grec de la Sagesse attribué à Salomon. Celui-ci explicite la confession de foi monothéisme et
cherche à unifier la confession de foi avec la cosmologie. C’est ainsi que l’auteur unifie la
notion de création par la parole de Dieu avec la cosmologie quand il précise que Dieu a tout
fait avec mesure, nombre et poids (Sg 11, 20). Ces trois termes s’accordent avec la science
grecque fondée sur le nombre (Pythagore, Platon…), la mesure (Aristote, Archimède…) et le
poids (Epicure et l’atomisme…).
Tel est l’horizon de la sagesse chrétienne. La foi en un Dieu unique et créateur et la
compréhension de son action comme œuvre de sagesse rencontrent le projet de la science. La
foi légitime et fonde l’entreprise scientifique. Il est donc légitime de chercher à accorder
science et foi. Le programme a été présent chez les Pères de l’Eglise et dans les écoles
médiévales. Il a été développé dans le cadre des universités médiévales puis dans les
institutions scientifiques de la Renaissance (les Collèges dont le célèbre Collège Romain des
Jésuites au XVIIe siècle) et dans les universités européennes – essentiellement en Allemagne.
C’est dans ce pays marqué par la Réforme qu’il y a eu un travail qui mérite d’être
connu, car il sert de socle aux dérives actuelles. Le mouvement créationniste se rattache à la
réforme protestante. En effet la maxime de Luther « sola scriptura » a été au principe d’une
volonté d’écarter les dérives humanistes, censées être un retour au paganisme et les traditions
latines reçues comme un détournement de la pureté évangélique. Ce principe a motivé la
réorganisation des études dans le monde protestant. En Allemagne, au XVIe siècle, un
compagnon de Luther, Melanchthon, a organisé l’enseignement universitaire. Au XVIIe
siècle, dans l’empire austro-hongrois, Comenius, figure emblématique de la pédagogie
moderne, s’est opposé à Descartes et à l’esprit de la sécularisation liée à la science… C’est à
partir de ce fonds que se comprennent les tension ultérieures. Notons que ce désir est présent
dans le monde romain. Ainsi au Collège romain, un très éminent jésuite, Benoît Pereire, qui
fut un des maîtres de Galilée en mathématiques a écrit un grand commentaire de la Genèse
pour présenter la pensée scientifique de son temps.
C’est face à cette organisation du savoir que s’est dressé la modernité quand les
sciences ont montré que ces présentations étaient devenues déraisonnables. Dans cette remise
en question, la théorie de l’évolution a joué un rôle central. Elle avait commencé avant quand
on s’est aperçu que le cadre chronologique de la Genèse, prise comme livre du savoir
universel, et donc aussi comme livre de science, était impensable. Face à cette crise, il y a eu
des ruptures, fondées sur le dualisme entre raison et foi : le matérialisme récusant toute
référence à Dieu, le piétisme refusant toute intrusion de la science. La dichotomie entre
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science et foi est l’attitude la plus commune. Sur ce fond, le mouvement créationniste apparaît
comme une manière simpliste de vivre le piétisme.
1.2. Le mouvement créationniste
Pour présenter ce qu’il convient d’appeler plus précisément, le créationnisme, je me
contente de rapporter quelques faits significatifs, faute de pouvoir être exhaustif. En 1876
s’est constitué un groupe de pasteurs pour proposer des conférences de réveil de la foi,
Prophecy Conference pour récuser la décadence morale et religieuse de leurs fidèles allant
« aux Amériques ». Ce groupe de missionnaires (pour des missions intérieures aux USA) a
publié des volumes de catéchèse dont le titre était Fundamentals, ce qui explique pourquoi on
appelle ce courant « fondamentalisme »1. Le souci de la prédication est très moralisant.
Dans cet esprit de réforme, un homme politique, William Bryan, joue un grand rôle –
trois fois candidats aux élections présidentielles, il a été secrétaire du Président Wilson.
Progressiste et pacifiste, il a été scandalisé par la guerre mondiale ; pour lui, la guerre est le
fruit d’une faute morale, dont il voit la source dans la théorie de l’évolution. Il considère que
celle-ci fait de la lutte pour la vie le principe de toute légitimation de la violence. Il lui faut
combattre le darwinisme qui corrompt les mœurs. En 1922, il écrit : « Aucune mention de la
religion qui est le seul fondement de la morale ; aucune évocation d’un sens de la
responsabilité humaine envers Dieu – rien sinon un froid et gluant matérialisme. Le
darwinisme transforme la Bible en un livre d’histoires et ramène le Christ au niveau de
l’homme. Il lui donne en fin de compte un singe comme ancêtre […] et le laisse ensuite aller à
la dérive, avec une capacité infinie à faire le bien et le mal, sans aucune lumière pour le
guider, sans compas pour lui indiquer la route, sans carte sur l’océan de la vie ». Usant de son
influence, Bryan dépose des projets de loi pour faire interdire l’enseignement du darwinisme
dans les écoles. Il obtient gain de cause en plusieurs endroits des USA. Même si ses projets ne
sont pas reconnus, ses idées marquent l’opinion publique où est répandue cette diabolisation
de la figure de Darwin.
En 1941, une association dite American Scientific Association (ASA) a été fondée. Elle
rassemble des chrétiens évangélistes diplômés pour répondre aux difficultés de relations avec
la science. Leur but est de montrer que la Genèse n’est pas contredite par la science. De cette
société a émergé Henry Morris qui veut montrer que, du point de vue scientifique, la Bible
l’emporte sur la science moderne. En 1963, il fonde une société : Creation Research Society
(revue, maison d’édition, radios) dont les propos est clairement défini par une charte dont
voici quelques extraits2 :
« 1. La Bible est la parole écrite de Dieu, et parce que nous croyons qu’elle est tout entière un
texte inspiré, il n’est pas une seule de ses assertions qui ne soit historiquement ni scientifiquement vraie
dans le texte original. Pour ceux qui étudient la nature, cela signifie que le récit des origines donné par la
Genèse est la présentation de simples vérités historiques.
2. Tous les types fondamentaux des êtres vivants, hommes inclus, ont été créés par des actes
de Dieu durant la Semaine de la Création telle qu’elle est décrite dans la Genèse. Tous les changements
biologiques qui ont pu survenir depuis la création n’ont pu s’accomplir qu’à l’intérieur des limites fixées
par les « espèces créées à l’origine ».
3. La grande Inondation décrite dans la Genèse, qu’on désigne communément sous le mot de
Déluge, fut un événement historique qui a affecté au même moment le monde entier.
4. Enfin, nous sommes une organisation d’hommes de science chrétiens, qui reconnaissent
Jésus-Christ Seigneur et Sauveur. Le récit de la création spéciale d’Adam et Ève, le premier homme et la
première femme, est la base de notre croyance en la nécessité d’un sauveur pour tout le genre humain. Le
salut ne peut advenir qu’en acceptant Jésus-Christ comme sauveur. ».
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Depuis le terme de fondamentalisme s’est étendu à tous ceux qui s’en tiennent à l’absolutisation de leur
interprétation littéraliste d’un texte : Bible, Coran, dogme.
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Présentation et traduction par Jacques ARNOULD, Les Créationnistes, Paris, Cerf, 1996.
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Cette association se veut scientifique. Elle a fait des procès pour interdire
l’enseignement du darwinisme à l’école (procès perdus en 1968, 1981). Il s’agit là d’un débat
moral, comme le montre cette citation d’un de ses animateurs(Tim Lahaye) : «La théorie de
l’évolution est le fondement philosophique de toutes les pensées séculières contemporaines,
de l’éducation à la biologie, de la psychologie aux sciences sociales. Elle est la plate-forme à
partir de laquelle ont été lancés le socialisme, le communisme, l’humanisme, le déterministe
et l’unitarisme mondial. […]. En considérant l’homme comme un animal, elle prône des
comportements animaux comme l’amour libre, l’éthique situationniste, les drogues, le
divorce, l’avortement et une foule d’idées qui contribuent à conduire l’homme d’aujourd’hui
vers la futilité ou le désespoir[…]. Elle a désorganisé les foyers, ravagés les morales, détruit
l’espoir humain en un monde meilleur et contribué à l’asservissement politique de plus d’un
milliard d’hommes ».
1.3. Erreurs du créationnisme
Dans ces polémiques, les créationnistes se donnent comme cible le « darwinisme » et le
« néo-darwinisme ». L’emploi de ces termes montre que les polémistes considèrent que la
théorie scientifique et les développements idéologiques qui en ont été tirés sont une seule et
même chose. C’est une erreur, car la théorie scientifique comme telle donne une explication
de l’unité et de la diversité des vivants ; le matérialisme ou la vision cynique n’est pas dans la
théorie comme telle. Ce sont des idéologies dérivées. Sur ce point, il faut noter que les
interprétations matérialistes ou athées ne sont pas le fait de Darwin, mais de ceux qui ont
utilisé la théorie pour justifier leurs prises de position matérialistes ou leur athéisme. Par
exemple, en France, le grand livre de Darwin a été traduit par Clémence Royer, qui a écrit
une longue préface avec une déclaration d’athéisme et de matérialisme. En Allemagne, ce fut
Ernst Haeckel qui a présenté la théorie comme une justification de son matérialisme athée ;
en Angleterre, Spencer, Galton et Huxley en ont tiré des conclusions justifiant le racisme et
l’eugénisme. Or rien de cela n’est dans la pensée de Darwin qui rejetait personnellement ces
idées. Le combat moral des religieux créationnistes est donc légitime pour dénoncer ces
déviations, mais ils se trompent en les attribuant à Darwin. Certes, celui-ci a rompu avec la
théologie naturelle de sa prime jeunesse, mais il n’a jamais fait profession de matérialisme ni
d’athéisme. A la lumière de sa correspondance, il apparaît que, grâce à sa femme, il a
découvert dans l’Evangile un Dieu « sensible au cœur » - ce dont les militants de l’athéisme
se gardent bien de parler.
Un autre élément de la critique créationniste vient de leur incompréhension de la nature
d’une théorie scientifique. Il considère que la science doit tout dire de tout avec une parfaite
exactitude. Or une théorie n’est pas une explication exhaustive ; c’est un ouverture qui donne
des programmes de recherche. Ainsi l’explication donnée aujourd’hui par la théorie de
l’évolution retrace des embranchements sur le grand arbre de la vie où paraît l’unité et la
diversité des vivants. Dans les schémas simplifiés, on trace les embranchements ; mais dans
les travaux sérieux, on indique ce qui est sûr et ce qui est encore du domaine de la conjecture.
On trace des embranchements avec des pointillés pour bien dire que le lignage n’est pas
assuré et que l’on manque d’information.
Est-ce que ces vides signifient que la théorie est fausse ? Non, ils signifient seulement
que l’information manque. Or pour la théorie de l’évolution, depuis plus d’un demi siècle, les
vides ont été comblés et de ce fait la théorie n’a cessé d’être confirmée : d’une part les
découvertes (en paléontologie, en biologie, en génétique…) ont pris place dans le grand arbre
de la vie et d’autre part les nouveautés (essentiellement venues avec la génétique) ont ouvert
sur de nouvelles recherches. La théorie reste ouverte. Il est possible qu’un jour des
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découvertes radicalement nouvelles obligent à la repenser entièrement, mais en l’état actuel
des connaissances, ce n’est pas fondé : les nouveautés prennent place dans la vision
d’ensemble donnée lors de l’élaboration de la théorie synthétique de l’évolution. Faute de la
reconnaissance du statut d’une théorie scientifique, les créationnistes répandent l’idée que la
théorie de l’évolution serait dépassée. Ils le font en citant largement un ouvrage de Michael
Denton, L’Évolution, une théorie en crise, qui argumente sur le fait que la théorie de
l’évolution est dépassée3. Cet ouvrage a eu un grand écho dans les milieux catholiques
traditionalistes français qui le présentent comme leur référence scientifique ; ils manifestent
leur inculture, car les difficultés présentées par M. Denton s’inscrivent dans le cadre de la
théorie synthétique de l’évolution et dans ses prolongements qui restent fidèle à son
inspiration.
2. Le sens littéral de la Bible
Au terme de cette rapide évocation, on voit bien que la faute du créationnisme est une
faute théologique : ignorer le chemin de la sagesse dont la figure biblique emblématique est
Salomon dans un chemin qui cherche l’unité des savoirs par une articulation réfléchie et
critique. Le débat n’est pas un affrontement entre science et foi, mais entre une manière de se
situer dans la vérité : s’enfermer dans un seul domaine que l’on absolutisme. Le créationnisme
participe donc d’une fermeture qui est symétrique à celle des militances athées. C’est au nom
même de la foi qu’il faut critiquer la lecture du texte biblique faite par les créationnistes et
montrer que le texte biblique n’est pas un document scientifique qui soit en opposition avec
les découvertes scientifiques.
2.1. Une étude rigoureuse de la Bible
Dans la tradition chrétienne, il y a toujours eu un souci : lire le texte biblique de
manière rigoureuse. Cette exigence présente chez les Pères (Saint Jérôme est la figure
exemplaire) a été renouvelée lors de la Renaissance.
La circulation en Europe des textes anciens a montré la nécessité d’apprendre les
langues originales (hébreu, grec…) La deuxième étape est l’exigence de s’appuyer sur un
texte digne de confiance, au plus près de l’original. La troisième étape a consisté à placer le
texte dans son contexte, celui de la culture du temps. La quatrième était de déterminer le
genre littéraire.
Cette démarche a commencé dès le XVIe siècle avec Erasme et Lefèvre d’Etaples.
Malheureusement, elle n’a pas été développée de manière suffisante, étant donné le
conservatisme des institutions au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais les découvertes du
XIXe (archéologie, lecture des textes jusqu’alors inconnus ou indéchiffrables…) ont
contraint à un essor sans précédent de l’étude de la Bible – dite historico-critique. Cette
méthode a été mise en œuvre dans les universités allemandes essentiellement – puisque cellesci étaient fort brillantes et que la tradition protestante était attentive au texte biblique plus
3 Le pouvoir politique conservateur s’accorde à ces idées, selon le propos électoral de Ronald Reagan :
« Effectivement, il y a une théorie (la théorie de l’évolution), mais c’est seulement une théorie scientifique et
elle a été remise en question, au cours des dernières années dans le monde des sciences ; la communauté
scientifique n’y croit plus désormais comme elle y croyait auparavant. Mais elle continue à être enseignée dans
les écoles ; alors je crois que la théorie de la Bible sur la création qui n’est pas une théorie, mais l’histoire
biblique de la création, devrait être aussi enseignée ».
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qu’au dogme. Or cette manière de faire a été source d’un certain nombre de remises en
causes. Les grands théologiens ont relevé le défi.
La tradition catholique a commencé ce travail avec retard. En France, il a été lié à la
fondation des facultés de théologie dans les Institut Catholique – et ce à l’encontre de l’esprit
piétiste et juridique des séminaires. Ce travail a été encouragé par une invitation du pape
Léon XIII dans son encyclique Providentissimus Deus. Les travaux ont été confiés à une
équipe de chercheurs constituant la Commission biblique. Malheureusement cet effort a été
bloqué avec l’élection de Pie X comme pape qui a entrepris une répression de toute tentative
d’application de la méthode scientifique aux textes bibliques. Il a écarté les membres les plus
compétents de la Commission Biblique, en particulier le Père Lagrange. Les travaux de la
Commission biblique du début du XXe siècles sont marqués par l’esprit le plus étroit qui soit.
La lecture de ses décrets couvre de honte tout lecteur empli de bon sens – moins qu’elle ne le
fasse rire. Par exemple ; la Commission disait qu’il était de foi de dire que la première femme
avait été modelée par Dieu à partir d’une côte prise sur le premier homme ; la seule latitude
donnée aux exégètes catholiques était de débattre sur la nature de la côte – le mot pouvant en
effet être interprété comme désignant le « côté ». Ce n’est que cinquante ans après que le pape
Pie XII a dû reconnaître la vanité de ces propos, dans l’encyclique Divino Afflente Spiritu, en
1943. Pie XII a écrit : « Il faut absolument que l’exégète remonte en quelque sorte par la
pensée jusqu’à ces siècles reculés de l’Orient, afin que, s’aidant des ressources de l’histoire,
de l’archéologie, de l’ethnologie et des autres sciences, il discerne et reconnaisse quels genres
littéraires les auteurs de cet âge antique ont voulu employer et ont réellement employés »
(Encyclique Divino Afflante Spiritu, 1943).
2.2. Le genre littéraire
La notion clef du renouveau de l’étude biblique est la notion de « genre littéraire ». La
notion synthétise la méthode scientifique.
La notion se réfère à l’étude d’un texte. En effet, l’expérience la plus élémentaire de la
lecture nous apprend que tous les textes ne participent pas du même genre. Or comme il a été
dit dans l’introduction, la Bible est un livre fort divers. Il y a des textes de lois ; ils sont écrits
dans le style législatif, impératif, et normatif. Il existe des poèmes ; ils sont écrits avec
lyrisme. Il suffit de comparer le discours des amoureux à celui de textes normatifs sur le
mariage et ses obligations pour percevoir la différence. Autre le récit hagiographique qui
idéalise et la chronique événementielle ; autre le récit de l’observateur critique et le récit de
l’épopée où le cosmos participe à l’action des hommes. Ainsi, pour reprendre le texte qui a
servi contre Galilée, le récit du combat où le soleil s’arrête est épique : il ne vise pas à la
vérité astronomique.
Le pape Pie XII a consenti à la notion de genre littéraire ; le concile Vatican II a
développé cette perspective quand il écrit : « Pour découvrir l’intention des hagiographes, il
faut entre autres choses être attentif aux genres littéraires. En effet, la vérité est proposée et
exprimée de manière différente dans les textes qui sont historiques à des titres divers, dans les
textes prophétiques, les textes poétiques ou les autres sortes de langage. Il faut donc que
l’interprète cherche le sens qu’en des circonstances déterminées, l’hagiographe, étant donné
les conditions de son époque et de sa culture, a voulu exprimer et a de fait exprimé à l’aide
des genres littéraires employés de son temps » (Concile Vatican II, Constitution conciliaire
Dei Verbum, n° 21). Il y a là un point qui explique pourquoi les catholiques devraient être
étrangers au mouvement créationniste ou fondamentaliste.
L’essentiel est le rapport à la vérité. Tenir compte du genre littéraire place devant une
conception de la vérité qui est plus humaine, plus souple que celle qui voit dans le texte un
énoncé intemporel, marqué du signe de l’absolu. La vérité du texte est vivante : elle n’est pas
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figée dans un monde supra-temporel ; elle est articulée à la vie du peuple et à l’expression de
sa foi dans une dynamique.
Le débat n’est pas seulement affaire de spécialistes de littérature, il concerne le rapport
à la vérité : entendre une parole en reconnaissant que la manière de dire est importante, de
sorte que la lettre ne tue pas l’esprit.
2.2. Le sens littéral
La perspective ouverte par la notion de genre littéraire invite à donner un sens
spécifique à la notion de « sens littéral ». L’expression a plusieurs sens. Elle a été entendue
dans le débat entre les Pères de l’Eglise qui donnaient une interprétation allégoriques ou
symbolique des récits. L’appel au « sens littéral » était une invitation à récuser le caractère
arbitraire des ces développements. Il fallait donner aux termes le sens commun. L’appel au
« sens littéral » était aussi invoqué pour établir la vérité des faits rapportés : le salut est dans
l’histoire et la Bible rapporte une histoire, celle de la relation entre un peuple et son Dieu dans
le partenariat d’une alliance riche de péripéties, de pages glorieuses, humiliantes ou
douloureuses… Le sens littéral a été redéfini de la manière suivante pour écarter les lectures
naïves.
Est appelé sens littéral le sens que l’auteur a voulu donner à son propos. Ce sens n’est
pas arbitraire ; il résulte de l’étude. Quels mots ont-ils été choisis ? Quelles idées avancées ?
Quel genre littéraire choisi pour l’exprimer ? Et aussi et surtout : à qui parlait-il ? Quelle était
sa position (parent, enfant, maître, législateur, poète, prêtre, conteur…). Ainsi entendue la
notion de sens littéral permet de situer le texte dans une histoire précise. Le sens littéral est le
sens fondamental du texte inspiré. Cette conception a été rappelée dans un texte récent : « Le
sens littéral n’est pas à confondre avec le sens « littéraliste » auquel s’attachent les
fondamentalistes. Il ne suffit pas de traduire un texte mot à mot pur obtenir son sens littéral. Il
faut le comprendre selon les conventions littéraires de son temps .[…] Le sens littéral de
l’Ecriture est celui qui a été exprimé directement par des auteurs humains inspirés. Etant le
fruit de l’inspiration, ce sens est aussi voulu par Dieu, auteur principal. On le discerne grâce à
une analyse précise du texte, situé dans son contexte littéraire et historique. La tâche
principale de l’ exégèse est de mener à bien cette analyse, en utilisant toutes les possibilités
des recherches littéraires et historiques, en vue de définir le sens littéral des textes bibliques
avec la plus grande exactitude possible (cf. Divino Afflante Spiritu, EB 550). A cette fin,
l’étude des genres littéraires anciens est particulièrement nécessaire » (Commission biblique
pontificale, 1993, sur l’interprétation de l’Ecriture sainte) Ce texte précise bien ce qu’est le
sens littéral ; il relève de l’étude scientifique du texte et il tient compte de l’intention de
l’auteur qui est un véritable auteur, responsable de ses actes.
Ceci permet de lire les textes bibliques de la Genèse sans tomber dans les impasses
créationnistes. Il importe de relever que le sens littéral est le sens fondamental et qu’il faut le
déterminer en tenant compte de l’intention de l’auteur4.
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La perspective s’est ouverte sur d’autres méthodes de lecture, comme en témoigne le texte suivant de Jean-Paul
II qui confirme que l’usage de la raison est bienvenu dans l’étude de la Bible. « Aucun des aspects humains du
langage ne peut être négligé. Les progrès récents des recherches linguistiques, littéraires et herméneutiques ont
amené l’exégèse biblique à ajouter à l’étude des genres littéraires beaucoup d’autres points de vue (rhétorique,
narratif, structuraliste) ; d’autres sciences humaines, comme la psychologie et la sociologie, ont également été
mises à contribution. À tout cela on peut appliquer la consigne que Léon XIII donnait aux membres de la
Commission biblique : " Qu’ils n’estiment étranger à leur domaine rien de ce que la recherche industrieuse des
modernes aura trouvé de nouveau ; bien au contraire, qu’ils aient l’esprit en éveil pour adopter sans retard ce que
chaque moment apporte d’utile à l’exégèse biblique".» (Commission biblique pontificale, L’Interprétation de la
Bible dans l’Eglise, Allocution de sa sainteté le pape Jean-Paul II, éditions Pauline, p. 9-10).
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3. Lire la Genèse
Ces remarques étant faites, il est possible de proposer une lecture des textes de la
Genèse remis dans leur contexte conformément aux exigences de la définition du sens littéral
qui vient d’être rappelée.
2.1. Le premier chapitre de la Genèse
Le statut du premier texte de la Genèse (Gn 1,1- 2, 4a) est simple à dire quand on
reconnaît qu’il s’agit d’un texte qui relève du monde sacerdotal. Le fait est facile à constater
puisque son but est d’orienter la geste créatrice vers le sabbat et qu’au milieu de la semaine
les astres sont nommés en fonction de leur dimension liturgique. Le rôle de l’être humain est
d’être la voix de l’univers pour qu’il soit associé à la louange qu’il doit rendre à Dieu.
Le style est celui d’un hymne liturgique avec les assonances et les scansions qui
caractérisent le genre littéraire de l’hymne liturgique – dont nous avons l’expérience dans nos
liturgie. Il apparaît aussi que le but du texte est théologique : affirmer, contre les
cosmogonies et théogonies assyro-babyloniennes que Dieu est l’unique et que tout est créé par
lui.
L’hymne n’est pas une leçon de science naturelle ; il se contente de reprendre
sobrement les éléments de la cosmologie d’alors : un monde vu à l’œil nu dans lequel
l’homme est en place de roi, usant de son droit de culture et de capture sur les autres vivants
pour son service.
L’ordre de l’exposé est un ordre logique : l’espace et le temps, la séparation des
éléments terre et eau, la végétation, les animaux et enfin l’humanité dans sa condition d’être
doué de parole et de raison.
Nous avons là un texte sacerdotal fondant la structure du peuple juif en diaspora et une
liturgie dont le sabbat est le centre.
2.2. Les débuts de l’humanité
Le texte qui suit est un texte de sagesse qui explique quelle est la responsabilité
humaine dans l’alliance. Le découpage du texte est délicat. Il a deux options.
On peut se contenter de lire les chapitres 2 et 3. Dans ce cas le texte privilégie
l’histoire du premier couple humain. L’histoire commence avec la création de l’homme, puis
du jardin, puis de la femme et s’achève par la fermeture de l’accès à l’arbre de vie. Le genre
littéraire du texte est celui de la sagesse : une réflexion sur ce qui est et la recherche d’une
explication sur la question suivante : pourquoi le mal ? l’explication est donnée à partir de
l’exil compris selon la théologie classique chez les prophètes : le péché de Jérusalem a
entraîné la prise de la ville par l’ennemi et la déportation du peuple. Le sage ajoute à cette
théologie basée sur l’idée de responsabilité, une considération dont le but est de dire que ce
qui est arrivé au peuple élu a une valeur universelle. Toute l’humanité est dans la situation
décrite par l’image du jardin : elle a la connaissance du bien et du mal, elle n’a pas la vie
représentée par l’arbre de vie, nourriture d’immortalité.
On peut lire le texte autrement en liant les quatre chapitres dans le même mouvement
jusqu’au chapitre 5 du livre de la Genèse qui rapporte « le livret de la descendance d’Adam ».
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La réflexion ne se limite pas au premier couple ; elle considère sa descendance et introduit
ainsi une dimension plus concrète pour ce qui concerne l’histoire des hommes : la guerre
fratricide et la fondation des cultures dans la rivalité entre les humains. C’est une théologie de
l’histoire : elle se déroule dans un mélange inextricable du bien et du mal.
2.3. Trois mythes sur le péché et le salut
Les premiers chapitres de la Genèse comportent des textes qui relèvent d’un genre
littéraire qu’il faut préciser, car le mot qui les désigne est équivoque : le mythe.
On appelle mythe l’écriture d’un récit fondateur. Pour ce faire, il met en scène des
personnages qui sont des transpositions des forces et des êtres qui font partie de l’expérience
humaine. Cette différence avec ce que l’on observe a fait que le rationalisme, lié à la science
classique, a considéré le mythe comme relevant du stade infantile du savoir et donc incapable
de dire la vérité, voire comme une falsification. La perception de la valeur du mythe a changé
aujourd’hui à cause des apports de l’ethnologie : la prise au sérieux des représentations est
telle que l’on a compris que le mythe était une manière de penser la réalité. Et donc une forme
d’expression d’où la rationalité n’était pas absente même si les acteurs ne restent pas dans les
limites fixés par leur nature. Grâce à cette bienveillance les mythes sont pris au sérieux.
Le premier mythe est la faute des habitants des cieux qui convoitent les femmes (Gn 6,
1-4). Si les créationnistes ne parlent pas de ce texte, les courants néo-gnostiques s’y
retrouvent bien, puisque la notion de chute est au cœur de leur cosmologie.
Le deuxième mythe est le récit du déluge. Ce récit joue un rôle essentiel pour voir
comment tous les êtres humains sont engagés dans une alliance universelle. Les créationnistes
sont très attachés à ce texte, car leur lecture leur permet d’expliquer la présence de fossiles
marins dans les hauteurs insubmersibles actuellement. Ils sont à la recherche de l’arche de
Noé au sommet du mont Ararat.
Le troisième est le mythe de la Tour de Babel (Gn 11). Ce mythe justifie la maîtrise
que Dieu a de l’histoire. Il dit à la fois la responsabilité des hommes dans leur projet impérial
qui tourne à la catastrophe – l’histoire de Babylone est ici évoquée en arrière plan. Il dit aussi
la manière dont Dieu utilise le mal pour réaliser son plan de développement de l’humanité.
A la lumière de ce qui a été dit sur le sens littéral, ces récits ne sont plus compris
comme des documents historiques ou scientifiques, mais comme une manière de dire
l’expérience de l’homme à l’épreuve de sa finitude et aussi comme une confession de foi dans
la certitude que Dieu poursuit son œuvre malgré les difficultés venues de la liberté humaine et
la « nuque raide » ou « dureté de cœur » de ses partenaires.
Le premier texte nous dit que le céleste et le terrestre ne se confondent pas ;
l’humanité doit accomplir son destin dans sa route historique et temporelle.
Le deuxième mythe nous dit que malgré la faute des hommes, Dieu sauve les justes
pour que la création arrive à son terme dans le don de la vie et le respect de la loi naturelle.
Le troisième mythe dit que la société humaine est faite pour se développer et qu’il y a
une bénédiction dans la multiplication et la diversité des cultures dont les diverses langues
attestent la surabondance. Il y a là un défi à surmonter.
Les trois passages ainsi situés montrent qu’il y a là des éléments de vérité qu’il faut
savoir situer et pour cela enraciner dans le contexte où le texte a été écrit. Il est important de
noter que la vérité ne se limite pas à l’exactitude de la mesure scientifique. Elle est plus large.
Aussi, même si le texte repose sur une information scientifique caduque, il ne perd pas sa
vérité anthropologique et théologique. Il demeure un texte de révélation. Le savoir
scientifique évoqué n’est pas l’objet de la révélation. La vérité révélée concerne la théologie
ou la mise en œuvre de la foi.
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3.4. Erreurs du fondamentalisme
Les créationnistes se fondent sur le texte de la Genèse. Ils considèrent que ce texte est
venu de Dieu et donc l’expression d’une vérité absolue. Pour ces croyants, parce que ces
textes viennent de Dieu, en cas de divergence entre ce qu’ils y lisent et ce que disent les
sciences, ils considèrent que ce sont les scientifiques qui se trompent. Cette position est, à mes
yeux, déraisonnable pour plusieurs raisons.
La première erreur est de ne pas voir que la Genèse est d’abord un texte : des mots,
des phrases, des récits… Or il faut lire ce texte rigoureusement : connaître sa langue, le situer
dans l’ensemble de la production littéraire de son temps, l’inscrire dans la culture de son
temps et le comprendre en fonction de son contexte. Ne pas le faire, c’est au sens propre ne
pas savoir le lire. Ainsi le croyant s’aveugle lorsqu’il ne perçoit pas que le premier chapitre de
la Bible a été écrit voici quelque 2.500 ans par des hommes qui n’avaient pas nos moyens
d’observation, nos moyens de calcul et donc participaient d’une toute autre vision du monde.
Leur propos ne saurait trancher un débat scientifique actuel ni pallier nos ignorances en ce
domaine.
La deuxième erreur consiste à oublier qu’un texte est toujours écrit avec une certaine
intention. Les rédacteurs de la Genèse avaient le souci de faire passer un message et ils
s’adressaient à un lecteur qui n’avait pas le souci de la recherche scientifique d’aujourd’hui.
Ils délivraient un message religieux à des fidèles qu’ils voulaient instruire des obligations de
leur religion (la pratique du sabbat) et de la grandeur de monothéisme. Leur message n’était
pas une leçon de sciences naturelles, au sens actuel du terme. Les textes religieux s’adressent
à des croyants pour fonder la foi de leur communauté (Bible, Coran ou autre). Ce n’est pas
respecter l’intention de l’auteur que de lui faire dire ce qu’il n’a pas voulu dire. Telle est
l’erreur des créationnistes : ils ne respectent pas le texte qu’ils citent et donc projettent sur lui
leur vision du monde.
Plus encore, la question est celle de savoir quel est la conception de Dieu qui est au
cœur de la question du rapport entre science et texte biblique de la Genèse.
Conclusion : enjeux théologiques
Pour conclure cette rapide présentation, il importe de voir que le débat est théologique.
Donc derrière cette manière de voir se trouve une certaine conception de Dieu. Le pape JeanPaul II le dit explicitement dans le discours déjà cité : « Le problème de base de cette lecture
fondamentaliste est que, refusant de tenir compte du caractère historique de la révélation
biblique, elle se rend incapable d’accepter pleinement la vérité de l’Incarnation elle-même. Le
fondamentalisme fuit l’étroite relation du divin et de l’humain dans les rapports avec Dieu. Il
refuse d’admettre que la parole de Dieu inspirée a été exprimée en langage humain et qu’elle
a été rédigée, sous l’inspiration divine, par des auteurs humains dont les capacités et les
ressources étaient limitées. […] le fondamentalisme a également tendance à une grande
étroitesse de vues, car il tient pour conforme à la réalité une cosmologie ancienne périmée,
parce qu’on la trouve exprimée dans la Bible : cela empêche le dialogue avec une conception
plus large des rapports entre la culture et la foi. » (Jean-Paul II, « introduction au document de
Commission biblique pontificale », op. cit., 1993).
Il faut donc considérer l’idée de Dieu impliquée dans les débats. Les
créationnistes arguent du fait que parce que le texte est inspiré par Dieu, il a une valeur
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absolue en tout domaine du savoir et donc qu’il a primauté sur les connaissances scientifiques.
Il faut se demander quel est le sens de la notion d’inspiration. Deux conceptions s’affrontent.
Dans la première, l’écrivain humain est un instrument passif entre les mains de Dieu ; dans la
seconde, il est véritablement auteur.. Si on tient la conception autoritaire de l’action de Dieu,
l’auteur (Moïse, David, Isaïe, Jean… tout comme Mahomet) n’est qu’un instrument passif
dans la main de Dieu. Il écrit ce qu’il ne comprend pas. Dans la deuxième conception, au
contraire, Dieu respecte l’auteur humain qu’il associe à son projet. L’écrivain est un véritable
écrivain. Pour cette raison, le texte sacré est circonstancié. Il est lié à une certaine culture et à
un certain état du savoir. Une lecture, même superficielle, des textes bibliques le montre ;
chaque livre a son style et sa manière de dire et de penser. C’est ce que dit la doctrine
catholique dans le texte cité plus haut : « Il faut donc que l’interprète cherche le sens qu’en
des circonstances déterminées, l’hagiographe, étant donné les conditions de son époque et de
sa culture, a voulu exprimer et a de fait exprimé à l’aide des genres littéraires employés de son
temps » (Concile Vatican II, Dei Verbum, n° 21). Dans cette perspective, il est nécessaire
pour comprendre le texte de mettre en œuvre des exigences d’analyse littéraire, de critique
historique, d’inscription dans un contexte, de considération sur l’intention de l’auteur humain
qui est un véritable auteur. Ceci ouvre sur des débats théologiques : comment s’accordent
l’action de Dieu et l’action de l’homme ou plus généralement les processus de la nature
Aussi il importe de conclure que le créationnisme est un contre-sens sur la notion
traditionnelle de création : cette notion dit que Dieu pose dans l’existence tous les êtres et tout
de l’être de chaque être. Il les pose selon leur nature ; il les pose dans leur autonomie. Ceci
vaut pour tout être et tout particulièrement pour l’être humain où l’autonomie est liberté. En
lien avec cette critique, j’ajoute une mise en garde. Les adversaires de la foi – matérialistes ou
rationalistes athées – arguent de la suffisance de la science pour récuser toute référence à
Dieu. Ils participent de la même erreur que les créationnistes en faisant de l’action de Dieu
une intervention qui fausse les lois de la nature ; ils réduisent Dieu à être une force de la
nature parmi d’autres et du même ordre. Ces remarques négatives ne valent que si par ailleurs
une recherche est entreprise pour montrer comment la nouvelle vision de la vie peut être
assumée dans la vision chrétienne de l’homme et de l’histoire du salut. Le chantier est ouvert.
Montpellier, 2 janvier 2010
Jean-Michel Maldamé

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