LES ARMOIRIES DES CHEVALIERS DE LA TOISON D`OR V LA

Transcription

LES ARMOIRIES DES CHEVALIERS DE LA TOISON D`OR V LA
LES ARMOIRIES
DES CHEVALIERS DE LA TOISON D'OR
V LA SAINTE-CI I APELLE DE 1)1.1 OIS
par INI. Pierre GliAs
Les réunions périodiques des chevaliers de la Toison d'Or, les
« Chapitres de l'ordre », comportaient une série d'offices religieux :
Je premier jour, vêpres ; le lendemain, grand'messe et vêpres des
morts ; le surlendemain, messe pour les chevaliers trépassés ; le
quatrième jour enfin, messe de la Vierge. Pour célébrer ces offices,
on choisissait des cathédrales ou des collégiales qui disposaient de
stalles en nombre suffisant ; pendant ces cérémonies, les chevaliers
siégeaient au chœur, à la place des chanoines, et leur rang était
marqué par leurs écus ; « par leurs armes, chascun chevalier scet
où il doit sceoir » dit Jean le Fèvre de Saint-Remy, le chroniqueur
qui l'ut le premier héraut de l'ordre 1, A chaque chapitre on retrouve
dans les préparatifs la confection des armoiries destinées à être
placés au-dessus des sièges des chevaliers. Les places des chevaliers
défunts, tendues de noir, étaient également surmontées d'écussons 2 ;
à la lin du chapitre, ceux-ci étaient enlevés, transportés dans la
nef3 et remplacés par ceux des nouveaux promus. Lorsque les
chanoines reprenaient possession de leurs stalles, on n'enlevait
pas les armoiries qui restaient en souvenir du chapitre et en témoignage de l'honneur l'ait à la ville et à l'église choisies comme lieu
de réunion de l'ordre. On avait soin de ne pas tenir deux chapitres
dans la même église, « ne fut pour quelque grande bonne occasion »,
pour éviter les déplacement des armoiries qui s'y trouvaient déjà ;
celte prescription l'ut renouvelée au chapitre de Bruxelles en 1500 4.
1. .Jean Le Fèvre, seigneur de Saint-Keniy, Chronique, publiée par la Soeiélé
de l'histoire de France, par lOlorand, t. Il, p. 202.
2. Au chapitre de Malines en 1491, les armes des défunts turent représentées
sans heaume. V. Les chefs-d'œuvre d'art ancien à l'exposition de la Toison d'Or
à Bruges en l!)0ï (Bruxelles, Van Oest, 1908, in-fol), Blasons par le baron
A. van Zuylen van Nyevelt, conservateur des Archives d'État à Bruges, p. 224,
pi. 95, n» VIII, et 96, n» IX.
•i. Olivier de LA MAUCHE, Mémoires, édit. Beaune et tl'Arbaumont, t. II, p. 90.
I. Uiïii'KKNiiKKG (baron de), Histoire de l'ardre de la Toison d'Or (Bruxelles,
1830, in-4"), p. 243.
242
P 1ER KG (il! AS
Lorsque les écus étaient endommagés, on les restaurait 1 ou bien
même on les repeignait directement sur le dossier des stalles 3 .
Grâce à ce souci de conserver les souvenirs de l'ordre, ont été ainsi
gardés les 37 blasons du chapitre tenu à (ïand en 1454 (25 des chevaliers vivant alors, 6 des chevaliers décédés depuis le chapitre
précédent et 6 des nouveaux élus) et dans d'autres villes il subsiste
encore 140 écus provenant de six autres chapitres 3.
Un chapitre de l'ordre, le troisième, se tint à Dijon le 29 novembre
1433 et jours suivants, et les cérémonies religieuses eurent lieu à
la Sainte-Chapelle dont les stalles furent alors garnies d'armoiries.
Le compte du receveur général Mallieu Regnault pour l'année 1433
mentionne l'achat de crochets de 1er pour « attacher les tableaux
des chevaliers 4 » et le salaire des menuisiers qui reçurent la somme
très élevée de 84 francs « pour avoir haulcié les sièges des chanoines...
pour y mettre les tableaux des armes des chevaliers... et... avoir
fait la chayre de mondit seigneur esdits sièges » 5. Ce fut 1 lue de
Boulogne, artiste spécialisé dans les travaux héraldiques qui peignit
les écussons, notamment celui du duc et celui de Charles comte de
Charolais, le futur Téméraire, âgé de quelques jours seulement,
mais qui devait être reçu chevalier 6. 11 n'est donc pas surprenant
que la Sainte-Chapelle ait gardé jusqu'à la Révolution une série
d'écus de chevaliers de la Toison d'Or.
Il y a cependant une différence essentielle — on ne semble pas
l'avoir remarquée 7 — entre la Sainte-Chapelle de Dijon et les autres
1. Les panneaux conservés à l'église Saint-Hiivon de (land paraissent bien
avoir été refaits. Théodore VEYBIN-FOKRER, Précis d'héraldique (Coll. A ris.
styles et techniques, 1951), p. IV et p. 1(>7, le soupçonne d'après le style et quelques
erreurs héraldiques.
2. Le baron van Zuylen cite comme peints sur les dossiers les blasons des
chapitres de la Haye (1456) et de Barcelone (151V)) sans indiquer qu'il s'agit de
réfections ultérieures. Or la restauration des armoiries de la Haye par ordre de
Charles-Quint après l'incendie de l'église Saint-.Jacques en 154 I est attestée
par le chapitre de l'ordre (REIFFKNBKHG, p. 397). Je n'ai pu trouver la date à
laquelle on a repeint les écus de Barcelone, mais leur réfection est aussi certaine
car les tableaux primitifs faits pour ce chapitre furent peints aux Pays-Bas
par un artiste de Marines (Les chefs-d'œuvre..., p. 223) ; il s'agissait donc bien
là aussi de panneaux mobiles.
3. Les chefs-d'œuvre..., p. 224-225, et Exposition de la Toison d'Or ù Bruges,
Catalogue (Bruxelles, Van Oest, 1907), n os 1 à 181. Ne sont pas comptés dans
cette liste les écus de Barcelone et de la Haye.
4. Arch. de la Côte-d'Or, B 1651, pi. 109 et suiv. J. (TAHBAUMONT a cité
ce compte dans son Essai historique sur la Sainte-Chapelle de Dijon (Mém.
Comm. Ant. C.-d'Or, t. II, 1861-1864), p. 126 et suiv.
5. Ibid., f° 110 v».
6. Ibid., f°s 105 v», 106, 109.
7. Ainsi J. (I'ARBAUMONT, arl. cité, p. 126, dit seulement « quelques-uns
de ces nobles emblèmes... sont restés... comme autant de lidèlcs témoins de ces
grandes cérémonies » du chapitre de 1433.
LKS AHMOlltlliS
OliS
C.IIIiVAL1KHS
DU LA TOISON 1)'OK
243
églises où se réunirent des chapitres de la Toison d'Or 1 . Dans les
lettres qu'il donna à Lille le 27 novembre 1 131, pour promulguer les
statuts de l'ordre institué un an auparavant, à Bruges, lors de son
mariage avec Isabelle de Portugal, Philippe le Bon annonçait qu'il
instituerait « certaines fondacions du divin service en l'église de notre
ehappclle des Ducs audit lieu de Dijon »2 ; et il ajoutait que « au chœur
de ladite église, contre le mur, dessus le siège du souverain de l'ordre,
sera mis et fiché l'écu de ses armes, lieaulme, timbre et hachement 3,
et pareillement sera l'ait des autres chevaliers dudit ordre, dessus leur
siège au chœur de ladite église... Après le trespas ou privation d'aucun des chevaliers de l'ordre, fera le Trésorier oster les armes, healrne
et timbre d'icellui chevalier de sa place au chœur de l'église de la
fondacion et les transporter où faire se devra selon l'ordre ; et
quant aultre chevalier sera en ce lieu 4 esleu et reçeu, icellui Trésorier
fera mectre ses armes, healme et timbre en la place qui lui sera de.ue
ou chœur de ladite église » 5. Ainsi l'armoriai de l'ordre constitué
par l'ensemble de ces éclis était destiné à être tenu à jour au fur
et à mesure des modifications enregistrées à chaque nouveau chapitre. Ces écus, comme nous le verrons, ont disparu, mais les descriptions des xviie et xvin e siècles montrent que les prescriptions de
Philippe le lion lurent observées pendant la plus grande partie de
son règne.
De ces blasons, nous possédons en effet plusieurs descriptions et
reproductions qui concordent entièrement. En 1653, dans la seconde
édition de son Traité de la Chambre des comptes, un conseiller à cette
cour, Hector Joly, inséra une longue digression sur la Toison d'Or,
où il parle des écussons de la Sainte-Chapelle 6. 11 donne d'abord les
noms des 31 chevaliers inscrits sur les tableaux armoriés, qui, dit-il,
« s'y voyent encore aujourd'hui au-dessus des formes ou sièges des
chanoines des deux côtés du chœur », puis, rappelant d'après Olivier
de la Marche, l'usage dont nous avons déjà parlé de transporter dans
1. 1/habittlde était la niOiiic dans les autres ordres de chevalerie et l'église
abbatiale de Cileaux garda jusqu'à la Révolution les armoiries du chapitre de
l'ordre de Saint-Michel, tenu à l'abbaye en 1521 par François 1°' (M/Url'ÈNIs ET
D U U A N D , Voyage lilléfctiïe de. deux religieux
H. ClIAUiibl-', Voyage d'un délégué au chapitre
e
bénédictins,
1'° partie, p. 2 1 8 ;
général de Cileaux en 1007, d a n s
Mém. de l'Académie de Dijon, 3 série, t. VIII, 1883-1884, p. 300).
2. On ne disait pas encore la Sainte-Chapelle, titre qui lut attribué en 1433
après le dépôt de l'hostie miraculeuse donnée à Philippe le Bon par le pape
Eugène IV.
3. On dirait aujourd'hui « lambrequins ».
4. C'est-à-dire à la place du défunt.
5. L'original des lettres promulgant les statuts est aux Archives de la Toison
d'Or à Vienne ; elles sont insérées dans la Chronique de Jean Le Fèvre, citée
plus haut. V. t. II, p. 222 et 217.
0. Hector .loi.Y, Traité de la Chambre des comptes de Dijon (Dijon, P. Paillot,
1653, in-8»), p. 39.
'MA
IUEIUU3 (SUAS
la nef les cens dos chevaliers décèdes, il ajoute « il y eu a encore
aujourd'hui quatorze en tel endroit en ladite Sainte-Chapelle, au
cœur de laquelle se voit aussi un tableau en bois attaché contre un
pillier à costé du grand autel, dans lequel est écrit le nom de Antoine
de Tholongeon au-dessus et ses armes peintes ornées du colier de
cet ordre, qui luy sert d'épitaph-e *. Le fmrréchal de Bourgogne,
Antoine de Toulongeon, avait été précisément enterré à la SainteChapelle et le tableau à ses armes avait été placé non pas avec les
écus des quatorze autres chevaliers défunts, mais au-dessus de sa
sépulture au fond du chœur 1. Hector Joly n'indique malheureusement pas les noms de ces quatorze chevaliers. Un siècle après .loly,
l'abbé Chénevet donna dans V Alnumac.h de lu province de Bourgogne
pour l'année 1769 2 la liste des 31 écussons des stalles mais il ne
parle plus de ceux que .loly avait vus dans la nef.
11 existe plusieurs relevés en couleurs de ces armoiries du chœur
de la Sainte-Chapelle ; le meilleur, contenu dans le manuscrit 027
de la Bibliothèque municipale est l'œuvre, comme l'a montré M. Oursel, de l'avocat dijonnais Jean Godran 3 ; il a été exécuté vers 1(370 4.
Un autre relevé des armes est joint à l'histoire manuscrite de la
Sainte-Chapelle de l'abbé Clément, appartenant à l'Académie des
Arts, Sciences et Belles-Lettres de Dijon ; il date du xvm e siècle,
semble-t-il et il est très inférieur à celui de Godran tant pour l'adresse
que pour l'exactitude ; il n'a cependant pas été copié sur ce dernier
comme le montrent certains détails 5. Au contraire, le relevé figurant
dans le ms. 2298 de la Bibliothèque municipale, formé parL.-B. Baudot, paraît copié sur le précédent : ses reproductions sont fort grossières. Il existait au moins encore un quatrième relevé, copie de
l'œuvre de Jean Godran exécutée vers 1682-1685 ; le propriétaire
1. L'ensevelissement d'Antoine de Toulougeon à la Sainte-Chapelle, en raison
précisément de sa ({milité de chevalier de la Toison d'Or, donna d'ailleurs lieu
à un conflit entre les chanoines et les héritiers au sujet du paiement du droit
de sépulture prévu par les lettres du duc données à Kethel en 1 I.T2 (Arcll. de
la C.ôte-d'Or, G 1128).
2. Précis historique, de l'ordre (lu lu 'l'oison il'Ov relativement à la Suiittc-Cltaprllc
de Dijon, p. 201-21 I.
'A. Oh. Ouusiii., Uii artiste amateur à Dijon un xvn° .s., t'itOocttt Jean (lotirait
(Mém. Colliln. Anl. C.-d'Or, l. XVI, 1910-1913) notamment p. 121 à 1 12, avec
reproduction de plusieurs blasons. Le manuscrit n'est pas signé, mais au faisceau d'indices réunis par M. Oursel en faveur de l'attribution à Jean Godran
s'ajoute le témoignage d'un contemporain, Pierre Palliot. qui dans sa Vruyc
cl parfaite science des armoiries, cite ce manuscrit et l'attribue formellement
à Godran (Notice sur les étendards de la Ville de Dijon, p. 79).
4. 11 se réfère, f° 71, à l'ouvrage de Palliot cité dans la note précédente et
qui parut en 1600 ; d'autre part, une copie fut exécutée, comme il sera dit plus
loin, vers 1082-1085.
5. Par exemple, l'écu du grand bâtard Antoine porte la barre omise par
Godran.
1,KS
AKMOHUliS
DUS C.llliVAMliliS
D l i LA
TOISON
l)'oi!
245
tic ce manuscrit le proposa à la ville de Dijon en 1835 pour la somme
de 360 francs, mais sans succès ; la municipalité transmit l'offre
au préfet et l'affaire n'eut aucune suite ; on ne sait où il se trouve
aujourd'hui 1. Outre les blasons des stalles, le manuscrit Godran
reproduit l'écu d'Antoine de Toulongeon ; l'allure générale, la
disposition des ornements extérieurs en sont exactement celles des
'M autres et montrent qu'il appartenait bien à la même série.
Or, si l'on reprend la liste des écussons 2 en notant à quelle promotion appartient le possesseur du blason, on voit immédiatement
que ces armes ne sont pas celles des chevaliers qui constituaient
l'ordre au moment du troisième chapitre en 1-433 :i. Ces écus étaient
ceux de Philippe le Bon, de huit chevaliers de la première promotion,
d'un chevalier nommé au 2 e chapitre, de cinq du 3 e , de deux du 6e
(1440) de six du 7e (1 115), de cinq du 8 e (1451), de trois du 9e (14-50).
La série des blasons correspond ainsi à la composition de l'ordre
entre le 9 e chapitre, qui eut lieu à La Haye en 1456 et le 10e tenu à
Saint-Omer en 1401. Il y a cependant une exception : des quatre
chevaliers élus au 9 e chapitre, Adolphe de Clèves, Jean de Portugal,
le grand bâtard Antoine et Jean de Nevers, ce dernier ne figure pas
et il y a par contre Mue de Lannoy, chevalier de la première promotion, mort la veille du jour où commença le 9 e chapitre et qui,
aussitôt son décès connu fut remplacé pal' Jean de Portugal. C'est
que Jean de Nevers, cousin de Charles le Téméraire, puisqu'il était
fils de Philippe, frère cadet de Jean sans Peur, s'allia à Louis XI *
et fut rayé de l'ordre au 11e chapitre tenu à Bruges en 1468. « On
ordonna, dit le registre officiel de l'ordre, que les armoiries de M. de
Nevers, qui étaient dans le chœur de la chapelle du souverain à Dijon,
en seraient ôtees pour être mises dans la nef de cette chapelle, à part
et hors du rang des blasons des chevaliers trépassés, avec une inscription contenant les raisons pour lesquelles elles avaient été déplacées » 5.
11 faut donc conclure que les prescriptions de Philippe le Bon
relatives à la tenue à jour de l'armoriai de l'ordre à la Sainte-Chapelle
1. OUitski., ouvr. filé.
2. Voir le tableau placé à la lin de cet article.
.'i. C'esl ce cju'a vu Ghabeuf qui, dans sa notice sur la Suinte-Chapelle (Revue,
de l'art chrétien, t. LX1, 1911), [). 17S, dit t|u'« ils donnent la composition de
l'ordre 25 ans plus lard ». .Mais il se trompe sur l'emplacement des armes ducales
et il ne paraît pas avoir reconnu le principe de la mise à jour.
4. H. de MANDROT, Jean de Bourgogne, duc de Brabanl, conde de Neucrs
(Revue historique, t. 03, 1907, p. 1-45).
5. REIFFENBERG, p. 58. On peut se représenter la teneur de l'inscription
relative à Jean de Nevers, accusé de sorcellerie pour les besoins de la cause,
d'après les tableaux encore conservés à Malincs qui rappellent l'exclusion au
chapitre de 1401 de deux « traîtres » dont Philippe I'ot (Exposition de la Toison
d'Or, p. 2G3).
2'1()
IMKKUU
(il'.AS
ont été observées jusqu'au 9e chapitre (1456) inclusivement. On
les négligea au 10e chapitre (1461), le dernier que tint Philippe qui
mourut en 1467 ; mais au chapitre suivant, en ll<)8, on savait encore
qu'une, modification survenue dans l'ordre devait être enregistrée à
la Sainte-Chapelle ; s'il n'est question que du comte de Nevers, c'est
que celui-ci étant radié et non décédé, ses armes devaient avoir un
sort spécial.
Statutairement, le soin de l'enlèvement et du remplacement des
écus de la Sainte-Chapelle incombait, nous l'avons vu, au trésorier
de l'ordre, mais cet officier résidait aux Pays-lias ; nous ignorons
quel était l'officiel* local chargé pratiquement de ce travail -— peutêtre le bailli de Dijon, «gardien de l'ordre » — et qui le négligea à
partir de 1461 ; il l'ut informé de la décision prise en 1 I(><S contre
Jean de Nevers mais comme il ne tenait plus à jour l'ensemble des
écussons depuis le !)e chapitre et qu'il ne faisait plus l'aire de nouveaux tableaux, il se contenta de remplacer l'écu du comte de Nevers
par celui du dernier chevalier décédé avant ce (.)e chapitre, Hue de
Lannoy. Charles le Téméraire tint encore un chapitre, à Valenciennes,
en 1473 ; mais cette fois on ne toucha plus aux armoiries de la SainteChapelle.
Le nombre de quinze tableaux de chevaliers défunts placés dans
la nef, nombre, indiqué par Joly en 1(553, ne correspond pas à celui
des décès survenus dans l'ordre de l'origine jusqu'au chapitre de
1456, qui est de 25 ; mais des disparitions avaient déjà sans doute
eu lieu avant le milieu du xvn e siècle et il n'est plus question de ces
écus de la net' au xvm e siècle. On ignore comment ils étaient disposés.
Au contraire, les mentions du compte de 1 133, les descriptions de
Joly et de Chénevet, les relevés, nous renseignent sur le placement des
autres écussons dans le chœur de la Sainte-Chapelle. Remarquons
d'abord qu'il n'y a pas contradiction entre les textes qui montrent
les armoiries fixées au-dessus des sièges des chanoines et le terme de
« mur » du chœur, employé par Philippe le Bon dans ses statuts de
1431 ; cette expression désigne les deux murs qui réunissaient de
chaque côté les piliers de la croisée du transept et auxquels étaient
adossées les stalles 1.
Le compte de 1433 montre qu'il a fallu exhausser le dossier de
ces stalles pour y placer les écus et augmenter le nombre des sièges
LES Al'.MOTMIES DES CHEVALIERS DE LA TOISON D*OH
247
en établissant notamment une « chaire du duc ». Philippe le Bon
avait eu soin de créer quatre nouvelles prébendes pour porter le
nombre des chanoines de la Sainte-Chapelle de 20 à 24, nombre qui
devait être à l'origine celui des chevaliers de l'ordre 1, mais précisément en 1433, le duc fixa l'effectif des chevaliers à 30 ; il dut alors
faire construire de nouveaux sièges. .
En ce qui concerne la situation des blasons, Hector Joly s'exprime
ainsi : «en la place du duc, les armoiries du dit duc... un peu plus
grandes que celles de ses chevaliers, qui sont peintes... en tableaux
de bois bien conservés... qui sont ornemens ausdits sièges... desquels
les trois plus près du duc entre hiy et les chevaliers sont vuides, et
celui au-dessus, sans aucuns tableaux ni armoiries, comme aussi les
cinq qui sont de l'autre côté, vis-à-vis de ceux-ci » 2. Les plans de
la Sainte-Chapelle exécutés par Langrené avant les transformations
de I7(i(i montrent qu'il existait bien 20 sièges de chaque côté 3 .
D'après Joly, il y aurait eu du côté de l'épître, en partant du tond
au chœur, un siège vide, puis celui du duc, trois autres sièges vides
et ensuite If) sièges blasonnés ; suivant le plan de Langrené, les
trois derniers de ces sièges étaient adossés non plus aux murs faisant
la clôture latérale du chœur, mais au jubé, l'ace à l'autel. La disposition était analogue du côté de l'évangile avec cette différence
que la place vis-à-vis de celle du duc n'avait pas d'armoiries, ce qui
faisait cinq sièges vides. Ces places avaient-t-eiles été laissées vides
de part et d'autre, pour des raisons de protocole ou par suite d'exigences matérielles ? D'après les plans, les 1e et 5e sièges étaient au
niveau des piliers de la croisée du transept du côté de l'abside, dont
la base paraît avoir été entaillée pour leur installation ; mais on ne
pouvait peut-être pas y placer commodément les écussons.
Les blasons étaient dans l'ensemble rangés conformément aux
statuts, suivant l'ordre d'admission de leurs propriétaires, une. dérogation étant consentie en faveur des souverains et des princes de
sang de France : le roi d'Aragon, les ducs d'Orléans et d'Alençon
étaient ainsi placés les premiers 4. Il y avait cependant quelques
exceptions qui s'expliquent sans doute par le l'ait que les écussons ne
pouvaient pas être apposés indifféremment aux deux côtés du
chœur, car ceux du côté de l'évangile étaient apparemment repré1. Lettres de lîelhel de 1 l.'!2, précisées sur ce point pur des lettres données
à (iiuui le 2 janvier 1 l.'i.'i nouv. si. (Aivli. Côle-d'Or, (i ll.'ÎS).
2. .loi.Y, oiwr. eilê, p. .'iS.
\\. Des copies faites au siècle dernier par Vionnois sont conservées dans les
collections de la Commission des Antiquités. Il faut y recourir car le plan publié
par d'Arbaumont d'après ces copies est d'une échelle trop réduite.
I. l.e comte de Churolnis, le futur Charles le Téméraire, était cependant placé
;'i son l'iuig d'admission, peut-être parce qu'il n'était pas chef de sa branche.
248
PIERRE OïiAS
sentes à l'envers : non seulement les heaumes regardaient à « senestre », vers la droite du spectateur, mais les armes elles-mêmes
étaient retournées, les «barres» des deux bâtards de Bourgogne
et de Luxembourg étant, par exemple, transformées en « bandes ».
Dans les colliers de ce côté, les agneaux avaient également la tête
vers « senestre » 1. On avait voulu en effet que toutes les armoiries
fussent tournées, si l'on peut dire, vers l'autel et vers le duc : c'est
ce que le langage du blason appelle « contourner par courtoisie » ;
sans que ce soit une règle absolue, on en trouve de nombreux
exemples dans les œuvres exécutées pour les ducs Valois 2. Les érudits
du xvn e et du xvm e siècles, habitués à des lois héraldiques plus
rigides, ne comprenaient plus cette (inesse. Palliot qui cite ces écussons dans sa Vrqyc cl parfaite science, des armoiries, de 1660, dit qu'il
préférerait « suivre la règle ordinaire » :î et Chénevet, en 1769, qualifie
cet usage de « faute contre l'ordre du blason ».
A partir de 17(>(>, les chanoines de la Sainte-Chapelle, comme
presque tous les chapitres de France, bouleversèrent le chœur de
leur église pour lui donner une ordonnance classique4. Le jubé de
pierre fut remplacé par une galerie de bois soutenue par des colonnes
corinthiennes ; les stalles gothiques lurent démontées et on leur
substitua des stalles sculptées par le fécond artiste dijonnais
Marlet, qui furent posées en 1778. Malgré la différence de style et
à cause de l'importance que les chanoines attribuaient aux souvenirs
de la Toison d'Or, les écus fies chevaliers furent conservés et suspendus aux nouvelles stalles ainsi que l'atteste la précieuse description de Dijon en 1789 donnée par Antoine-François Violet5.
Seulement, pour satisfaire à la symétrie, les armes du duc furent
placées à la nouvelle tribune, face à l'autel et, en conséquence, les
deux rangées furent interverties et retournées de façon à ce que les
écussons regardassent désormais le duc et non plus l'autel.
A la Révolution, le caractère d'« emblèmes de la féodalité » de ces
tableaux armoriés entraîna certainement la perte de la plupart
d'entre eux bien avant la démolition de la Sainte-Chapelle de 1802
1. Voir clans l'art, de Gh. Oursel la reproduction du blason d'Adolphe de
Glèves ; la transformation y est très apparente dans les armes de Bourgogne
placées « sur le tout », où les bandes de Bourgogne-ancien sont devenues des
barres.
2. Notamment au fameux frontispice, main tes l'ois reproduit, du manuscrit
de Jean WAUQUIÏLIN, Les chroniques tic llitinattl (liibl. royale de Bruxelles,
vas'. 9242) où tous les écussons de la marge de gauche sont contournés.
3. P. 291. Palliot cite encore au moins une fois à titre d'exemple ces écussons
de la Sainte-Chapelle, p. 49.
4. .1. d'Arbaumont donne peu de renseignements sur ces travaux (p. 8 1,
p. 92, n. 1, notes de la pi. Il) ; mais le ms. cité à la note suivante est plus détaillé.
5. Bibl. de Dijon, ms. 107 1, p. 2(>.
JJ:S ARMOIRIES DES
CHEVALIERS DE I>A TOISON
D'OR
249
à 1807 '. Dans leur étude du Trésor de la Sainte-Chapelle publiée
en 1887, .1. d'Arbaumont et le docteur Marchand indiquent que
« quatre de ces blasons, plus ou moins mutilés, forment une partie
des panneaux intérieurs et le fond de l'un des tiroirs d'un meuble en
bois sculpté, possédé par M. l'abbé Brugnot, aumônier de l'hospice,
des aliénés » 2 ; c'étaient les écus d'Alphonse d'Aragon, de Jean
d'Alençon, d'Antoine de Croy et de Gilbert de Lannoy. L'abbé Brugnot mourut en 1892 3 et, dès 1907, dans le volume consacré à l'exposition de la Toison d'Or à Bruges, le baron van Zuylen van Nyeve.lt
déplorait qu'on eut « perdu les traces de ces reliques » 4. En 1948,
au moment de l'exposition de la Toison d'Or au Musée de. Dijon, de
semblables recherches ont été faites auprès des descendants des
héritiers de l'abbé Brugnot, mais il a été impossible de retrouver le
meuble en question •'.
***
Ces blasons de la Sainte-Chapelle de Dijon ne présentent pas
seulement de l'intérêt pour l'héraldiste et l'archéologue ; ils se rattachent étroitement à l'histoire de la Bourgogne et même à l'histoire
générale. On a nié en effet que Dijon ait été. le siège de l'ordre en
prétendant que les services religieux institués à la Sainte-Chapelle
pour le repos de l'âme des chevaliers trépassés ne. suffisaient pas à
justifier ce titre 8 . Cependant les lettres de fondation de ces services
funèbres, données à Rethel en janvier 1432, fixent bien à la SainteChapelle de Dijon, le « lieu, chapitre et collège de la Toison d'Or 7 ;
il n'est pas sans intérêt de noter que, dans la pensée de Philippe le
1. Los sliiilcs du chœur de la Sainte-Chapelle Curent démoulées en mai 1702
et reposées ;'i Suint-Bénigne (Baudot, ms. 1601 de la Mibl. de Dijon, l'ns 178 v"
et 17!)) puis enlevées et vendues deux ans après, à la fermeture de la cathédrale (Cli. CnoMTo.N, Histoire de l'église de Saint-liéniijne de Dijon, p. 308-309).
Quelques panneaux entrèrent au xi.x° siècle au nouveau monastère de la Visitalion (E. FYOT, Mi'm. Comm. Anl. C.-d'Or, t. XX, p. 07-70).
2. J>. x , n. 2.
U. Antoine Brugnot, né en 1810 à jMoiithclîc, curé de Lusigny, puis de Gilly,
aumônier de l'hospice de la Chartreuse depuis 1881, auteur d'une histoire manuscrite de Lusigny (abbé Iî. DHBHIK, Répertoire biographique du clergé de la
Cntr-d'Or, Séculiers, Bibl. de Dijon, ms. 2205).
•1. Les clicls-d'œtwre, p. 225.
5. Nous ne parlons pas du dossier armorié conservé au Musée de Dijon qui
passa longtemps pour le. dossier du siège ducal à la Sainte-Chapelle. Comme
l'a déterminé M. Quarré, conservateur du Musée, ce dossier provient de l'un
des sièges des officiants de l'église de la Chartreuse de Cliampmol ; il est aux
armes du comte de Nevci's, le futur Jean sans Peur.
(>; Luc IloMMKi,, L'histoire du noble ordre de la Toison d'Or (Bruxelles, 1047),
p. 29.
7. Lettres de janvier 1431 ancien st. ; deux expéditions aux Arch. de la Côtecf'Or, (! 1128 ; une autre aux Arch. de la Toison d'Or, à Vienne ; citées par
.1. d'AmiAUMONT, arl. cité, p. 112 et 123.
'250
PIERRE GISAS
Bon, ces services devaient se. célébrer en présence des écus de tous
les chevaliers de l'ordre, ceux des défunts dans la nef, ceux des vivants dans le chœur, et que la mise à jour de ce véritable « fichier
héraldique » a été effectivement faite pendant près de vingt-cinq ans.
On comprend pourquoi Olivier de la Marche, dans ses Mémoires
n'emploie jamais le terme de. Sainte-Chapelle, mais ceux de « chapelle
de l'Ordre », « chapelle de la Toison d'Or » 1.
On estime aujourd'hui que Philippe le Bon n'a pas cherché à se
créer un état indépendant entre la France, et l'Empire ; d'une
tournure d'esprit toute médiévale, il se serait volontiers contenté de
jouer à la cour de France le même rôle que son père et son grandpère, celui de puissant vassal, conseiller influent et auxiliaire indispensable du roi 2. 11 n'est donc pas surprenant que Philippe ait placé
Dijon au-dessus de ses autres résidences. 11 a séjourné plus souvent
dans les Pays-Bas qu'en Bourgogne 3, mais lorsqu'il a institué l'ordre
de la Toison d'Or, destiné pour une part à servir de lien entre les
nobles de ses différentes possessions, il en a fixé tout naturellement
le siège dans la capitale de son duché de Bourgogne, « principal de
ses seigneuries, et à cause de laquelle il est premier pair et doyen des
pairs de France. », dans cette chapelle qui est, dit-il, sa « droite et
principal paroisse, en laquelle il avait reçu le sacrement de baptême »,
et dans laquelle aurait-il pu ajouter, son corps, comme, ceux de son
père et de son aïeul, serait présenté avant d'aller reposer à la Chartreuse de Champmol 4. Les écussons dont nous venons de. parler
étaient la manifestation tangible de la volonté ducale °.
1. Mémoires, éclit. citée, t. J, p . .'521 ; t. I I , p . 11 et liO.
2. P a u l B O N E N F A N T , Philippe le Bon (Bruxelles, 1 !)!!$).
3. Voir les minutieuses statistiques de dom .Joseph Kniii's, Bruxelles, résidence de Philippe le Bon, dans Bruxelles au xv e siècle, p. lf>7-l(>.'i.
4. Le corps d'un défunt qui avait l'ait élection de sépulture ailleurs que dans
l'église ou le cimetière paroissial, dans un monastère par exemple, et c'était le
cas des ducs, devait néanmoins être présenté à sa paroisse pour le paiement des
droits curiaux. J. CI'AHHAUMONT (a/7. cité', p. 412-113) a noté les présentations
des corps de Philippe, le Hardi, Jean sans Peur, Bonne d'Artois, seconde femme
de Philippe le Bon, et en lin de Philippe le Bon lui-même et d'Isabelle de Portugal.
5. De même que les écus ne furent pas enlevés lors de la réunion de la Bourgogne au domaine royal, les messes et services de l'ordre furent célébrés jusqu'à
la Révolution. On cite souvent le don fait à la Sainte-Chapelle par Charles-Quint
en 1531 des ornements liturgiques que le roi de Portugal, créé chevalier de la
Toison d'Or avait offerts à l'ordre. On ignore généralement qu'un siècle après,
le chapitre de la Sainte-Chapelle sollicita de l'infante Isabelle, gouvernante
des Pays-Bas, une augmentation de la dotation assise sur les salines de Salins ;
l'infante renvoya la requête à la Chambre des Comptes de Dole qui demanda
au chapitre de prouver qu'il assurait bien la fondation de Philippe le Bon ; le
chapitre demanda cette attestation à la Ville de Dijon. Dans sa séance du 30 juin
162(i, «la Chambre du conseil de la ville de Dijon a conclue! et délibéré qu'il
sera expédié ausdils sieurs vénérables, par le secrétaire de ladite chambre, un
acte et attestation en bonne et dehuc forme soubz le nom des vicomtc-maieur
251
LES ARMOIRIES DES CHEVALIERS DE LA TOISON D'OR
ANNEXE
Emplacement des caissons
dans le chœur de. la Sainte-Chapelle
avant 17 7 S
AU
S sièyes vides
1
(i
1
1
I
3
3
7
7
7
7
S
cS
!>
9
Gilbert de Lannoy
.lean d'Alençon
Baudouin de Laniloy
.Jean de Créqui
Simon de Lalain
Thibaut de NeufcliAtel
.lean, bâtard de Luxembourg
Franc de Borsellc
Renaud de Brederode
Henri de Borsellc
.Jean d'Auxy
Jean de Olèvcs
.Jean de J.annoy
Antoine, b A tard de Bourgogne
Adolphe de Olèves
POUTis nu
1 sièr/e vide
Philippe le Bon
3 sièges vides
Alphonse d'Aragon
Charles d'Orléans
Antoine de Croy
Pierre de Baufireinont
Jean de Croy
.Jean de Melun
Jean de Vcrgy
Baudot de Noyelles
Charles de Charolais
Pierre de Cardone
Jean de Neufchâtel
Drieu d'Humières
Sanche de Guerare
Jean de Portugal
Hue de Lannoy
1
7
(i
1
1
1
2
3
3
3
8
8
7
8
9
1
JUBE
Les numéros indiquent les promotions
et eschevins de ladite ville... par la(|iicllc il sera certifié qu'il se dit et célèbre
chacun jour à musique en ladite église sur environ les huit heures du matin une
grande messe à diacre et sou/, diacre, dite et apellée la messe de l'ordre de la
Toison d'Or, par un chanoine de ladite église et non autre, laquelle se tinte
quelque temps auparavant, que chaque mercredy des Quatre temps, se disent
quatre anniversaires et, le jour précédent, les vigilles à l'intantion des chevaliers
itucUt ordre ; et le jour Saint André, apostre et patron de Bourgongne, et le
lendemain, se disent pareillement les vigilles des mortz et un anniversaire solennel à musique : lesdits offices et celuy de la teste dudit sainct se faisant par
lesdils sieurs doyen et chanoines comme celuy du patron de l'église avec une
grande dévotion ;ï l'honneur de Dieu, au contentement et édification d'un chacun : que les ornemens desquels: on se sert à la célébration dudit office, tant
ez jours de feste que fériaux sont fort usez et peu séans à la grandeur et majesté
dudit ordre et néantmoins armoyez des armes et enseignes dudit ordre de la
Toison et de celles des fondateurs et chefs d'icclluv qui les ont donné... ».
Arch. municipales de Dijon, li 2<H, f° -11 vu.
17