Une saison à Lourdes

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Une saison à Lourdes
Une saison à Lourdes Lourdes, petite ville pyrénéenne de 15000 habitants, est aussi réputée pour être un des lieux de pèlerinage catholique parmi les plus importants au monde. La cité Mariale voit en effet passer en moyenne six millions de pèlerins et visiteurs par an. Lors d'un bref passage, de quelques heures ou quelques jours, il est facile de se faire une idée tranchée sur le phénomène, à travers le prisme de nos idées bien ancrées concernant ce qui touche à la religion. Pourtant, le fait de passer une "saison" ici (les pèlerinages s'étendent d'avril à octobre), apporte une vision plus nuancée. l'ambiance oscille entre la détresse humaine la plus profonde, la joie et la fraternité les plus intenses, ou le simple recueillement. Il faut dire qu'ici vous pouvez prier ou errer tranquillement, seul ou presque, puis revenir une demi‐
heure plus tard au même endroit et vous trouver nez a nez avec plusieurs milliers de personnes célébrant une messe ou participant a une procession, au son des Ave Maria. Mais replaçons les choses dans leur contexte. Bernadette Soubirous Un jour de 1858, une bergère de quatorze ans, Bernadette Soubirous, se rend dans une petite grotte en contrebas de la ville, pour y chercher du bois, quand elle prétend voir pour la première fois ce qui sera ensuite établi par l’église comme étant la Vierge Marie. Une « très belle femme, toute vêtue de blanc », s'adresse à elle, et lui demande d’accomplir certaines tâches, comme de mettre a jour une source en creusant au fond de la grotte, ou de faire bâtir une basilique sur ces lieux. Tout cela lors de 18 apparitions successives, sur une période de cinq mois. Bernadette disait ne pas savoir qui était cette femme, jusqu’a qu’a la 16ème apparition, quand la Vierge Marie lui aurait enfin révélé son identité. Mais les habitants de lourdes et d’ailleurs, et les autorités catholiques avaient déjà leur idée sur la question. A tel point que de plus en plus de gens accompagnaient la jeune bergère qui se rendait à la grotte durant ces cinq mois, jusqu'à plus d'un millier certains jours. Les premiers témoignages des vertus miraculeuse de l'eau de la source se répandaient déjà, et les pèlerins affluaient en grand nombre. Mais craignant le scandale et l'atteinte à son image s'il s'avérait que la jeune fille avait menti ou était tout bonnement folle , l'église catholique hésita plusieurs années avant de reconnaître les faits. Ce n'est qu'après de nombreux interrogatoires et investigations auprès de l'adolescente et de sa famille, que les apparitions furent officialisées en 1862. Une basilique a donc été érigée au dessus de la fameuse grotte, puis des aménagements ont été créés pour accueillir les pèlerins toujours plus nombreux, jusqu'a la basilique souterraine construite en 1958 qui accueille des messes de plus de 20000 personnes. Quant à la jeune Bernadette, qui ne pouvait sûrement supporter tout ce poids, elle décida de devenir religieuse, et partit en 1866 chez les soeurs de la charité de Nevers, où elle passa les 13 dernières années de sa vie, le plus souvent malade, car atteinte de pneumonie. Elle ne revit plus jamais Lourdes et sa grotte. Sanctuaires et marchands de piété Aujourd’hui, les sanctuaires notre dame de Lourdes représentent un territoire clairement délimité de 52 hectares, incluant la grotte et les lieux de cultes (églises et basiliques), et de grandes plaines et jardins. Le domaine est entièrement géré et financé par l’église catholique, à la manière d’une enclave, par l'intermédiaire du diocèse de Tarbes et Lourdes. 30 millions d’euros de budget annuel, plus de 400 salariés, 700 tonnes de cierges brûlés chaque année, 52 messes par jour pendant la saison des pèlerinages, tout cela financé en grande partie par les dons des pèlerins et autres visiteurs. Car dans les sanctuaires, contrairement à la croyance établie, rien n’est payant excepté les divers magazines édités par l'intermédiaire de l'église, et quelques médailles. L’eau de la grotte est gratuite (le commerce en est prohibé). Les structures d'accueil des pèlerins malades et handicapés, l'acquisition des cierges ou la participation aux diverses messes et processions sont réglementées par un système d'"offrande conseillée". En clair, bien que cela soit fortement encouragé, vous n'êtes pas obligés de verser le moindre centime lors de votre passage dans les sanctuaires. Par contre, sorti de ce territoire, il n'y a que quelques pas à faire pour entrer dans le bas de la ville de Lourdes , le royaume des magasins d’objets de piété, et le paradis des hôteliers. On compte environ deux cents de ces boutiques, réparties sur à peine plus de deux rues, et un nombre d’hôtels au mètre carré impressionnant, qui fait de Lourdes la deuxième ville hôtelière de France en terme de concentration, après Paris. Dans cette partie de la ville, le commerce est roi, et fait vivre bon nombre de saisonniers. Espoir de guérison ou quête personnelle ? Tous les pèlerins ne viennent bien sûr pas à Lourdes dans l'espoir d'obtenir une guérison pour eux même ou leurs proches (seulement 67 miracles ont été reconnus par l'église depuis 150 ans). Méliane, par exemple, venue de Côte d'ivoire en pèlerinage, est ici car elle a le sentiment d'accomplir une quête personnelle. Même si elle espère que ces prières pourront "apaiser et améliorer le quotidien" d'elle et de ses proches au pays, elle vient avant tout pour "se ressourcer, et communier avec d'autres pèlerins, d'horizons différents " lors de ce qui sera sûrement le seul voyage de sa vie. Pour les bénévoles s'occupant des malades, souvent des jeunes qui viennent passer une semaine ou deux dans les sanctuaires, le recueillement n'empêche pas de faire la fête, dans une ambiance souvent proche de la colonie de vacances. Bien sûr, les participants venus dans le cadre de pèlerinages organisés, ont parfois l'impression d'être, d'une certaine manière, les acteurs d'une mise en scène qui peut se révéler pesante. Mais ils sont conscients que c'est au prix d'une telle organisation qu'on gère un flux de personnes aussi important. De même que rien ne vous empêche d'arriver en touriste, de prier quelques heures, de jour ou de nuit, au pied de la grotte, puis de repartir tranquillement sans avoir à prendre part à quelque rituel que ce soit. C'est ce qui fait l'intérêt et la complexité de ces lieux. Mon regard est celui d'un observateur, neutre, ni bienveillant ni accusateur, un peu moqueur parfois, mais débarrassé des a priori et autres idées reçues sur le sujet.