giorgio de chirico (publié dans «la vraie italie

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giorgio de chirico (publié dans «la vraie italie
520 GIORGIO DE CHIRICO (PUBLIÈ DANS «LA VRAI ITALIE»)
GIORGIO DE CHIRICO
(PUBLIÉ DANS «LA VRAIE ITALIE»)
Giorgio de Chirico1
Parmi les peintres les plus remarquables dans le mouvement de la renaissance artistique européenne se trouve le peintre Giorgio De Chirico.
Cet artiste est plus connu en France que dans son pays, car il a longtemps vécu ò Paris où il travailla
jusqu’au jour de la mobilisation italienne.
L’élite de la capitale française avait remarqué ses oeuvres curieuses et mystérieuses aux expositions
du Salon d’Automne et des Indépendants. Quelques mois avant la guerre il fut monopolisé par la
Galerie Paul Guillaume où se trouve toute sa production picturale de la période 1910-1915. Le poète
Apollinaire le considérait le peintre le plus étonnant de la jeune génération. Constructeur solide,
ennemi de toute gaucherie voulue, de tout truc servant à masquer une faiblesse, il a peu subi l’influence des écoles d’avant-garde. Par là son oeuvre peut s’appeler classique, surtout si l’on pense à
donner à cet adjectif son sens originaire latin de classicus – appartenant au premier ordre.
La guerre n’empêcha pas Giorgio De Chirico de continuer son oeuvre; et dans les casernes, les
hôpitaux militaires, les baraques improvisées, partout, il continua sans relâche à dessiner et à
peindre, et c’est la production de ces années de guerre qu’il a exposée le mois dernier à Rome
à la Galerie Bragaglia.
Depuis l’élan des futuristes la peinture italienne n’avait pas trouvé une expression assez puissante
qui égalât les efforts de la nouvelle peinture française. Dans l’oeuvre de Giorgio De Chirico cette
expression s’affirme aujourd’hui dans l’épanouissement d’un lyrisme nouveau, dans l’encadrement
solide d’un sérieux dantesque, dans le poids d’une matière coloriée dont la solitude, la fatalité et
l’équilibre relient la peinture de Giorgio de Chirico à la grande tradition italienne.
Pendant les premières années qu’il vécut à Paris Giorgio de Chirico travailla en solitaire, exposant
peu et évitant de fréquenter les milieux intellectuels d’avant-garde.
A cette période appartiennent tous les tableaux où le motif revenant sans cesse dans l’inspiration
géniale de l’artiste est un certain aspect surprenant et fatal, solitaire et lyrique des villes d’Italie: aspect
que l’on peut observer dans les compositions de certains primitifs où les scènes bibliques ou païennes
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Pubblicato senza firma in «La Vraie Italie», anno 1, n. 2, Firenze, marzo 1919, pp. 56-57.
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surgissent solidement encadrées entre des masses architecturales. Mais tandis que l’aspect étrange et
lyrique qu’un homme d’une intelligence raffinée peut trouver dans l’oeuvre des primitifs est dû au
hasard et presque toujours ne correspond pas au but de leurs créateurs, dans l’oeuvre de ce nouveau peintre la conscience de l’artiste arrive au plus haut degré de clairvoyance, ce qui confère à ses
tableaux une profonde valeur d’esprit, une valeur que, d’après le mot adopté par l’artiste lui-même,
on pourrait sans aucun malentendu appeler: métaphysique.
Depuis 1914 De Chirico a découvert de nouveaux et plus vastes horizons à son art. Le terrible mystère qu’il aperçut dans les villes de la péninsule s’arrêtait à des angles qu’il fallait tourner pour
voir ce qu’il y a derrière.
Vrai Thésée s’aventurant dans le labyrinthe inquiétant des valeurs nouvelles, de Chirico suivit le fil
que lui tendait sa muse étrange. Il arriva ainsi dans des lieux inconnus épars dans les lieux mêmes
où notre vie insensée s’écoule.
Les maisons, les chambres, les salles, les couloirs, les portes ouvertes ou fermées, les fenêtres, lui
apparaissent sous une lumière nouvelle.
Il découvre sans cesse des aspects nouveaux et de nouvelles solitudes un sens de recueillement
jusque dans les objets que l’habitude quotidienne nous a rendus tellement familiers au point d’occulter, comme dans une boite-à-surprises, le fameux démon que Héraclite d’Ephèse voyait en toute
chose. C’est ainsi que des biscuits, des boutons, des boites d’allumettes, des cartes géographiques,
des fragments de métaux ou de bois peints, encadrés d’une certaine façon et vus d’un certain coté,
s’élèvent jusqu’au sublime d’une nouvelle religion. Dans la latitude et la longitude d’un plancher ou
d’un plafond le peintre révèle un étrange infini, peuplé de fantômes mécaniques et géométriques.
Il y a de la fatalité dans l’oeuvre de cet artiste, et le fantastique le plus inquiétant se fond en lui avec
le sens humain le plus profond.
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