Les risques des stratifiés verre
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Les risques des stratifiés verre
Copie interdite revue Experts n° 32 - 09/1996 © Revue Experts Les risques des stratifiés verre-résine en milieu marin Par Jean-Jacques Mascart Expert maritime et fluvial près la Cour d'Appel de Paris Assesseur près la C.C.E.D. Croire que le matériau dont sont faites la plupart des coques de nos bateaux de plaisance est inusable, que ses propriétés sont inaltérables, et qu'il est à l'abri de toute pathologie de vieillissement relève de la simple ineptie. Il est vrai que ces convictions ou ces croyances ont été quelque peu partagées à l'époque, et aujourd'hui encore certains plaisanciers découvrent avec stupéfaction l'apparition de défauts d'origine osmotique sur leur carène. Si actuellement le vieillissement du matériau peut être considéré comme à la fois cerné et bien maîtrisé, encore convient-il maintenant de mieux en informer les utilisateurs. 1 - LE PHENOMENE CONSEQUENCES DE RETENTION D'EAU ET SES 1.1. - GÉNÉRALITÉS D'une manière succincte on peut définir l'osmose comme étant l'histoire de la migration de particules d'eau provenant d'un liquide dans lequel est plongée la carène d'un navire, à travers le voile de protection de sa coque (gelcoat), pour altérer dans le temps les caractéristiques physicochimiques des matériaux composites à renforts fibreux des bateaux fabriqués en stratifié de polyester. Ce principe physique peut ainsi être résumé : un liquide peu concentré traverse une membrane semi-perméable puis décompose par hydrolyse un corps plus concentré qu'il rencontre ; la différence de concentration des liquides va alors faire naître une pression dite "osmotique" qui va apparaître sous forme de cloques à la surface de la membrane. Il s'agit là d'un principe physique naturel. Pour éviter la dégradation du stratifié verre-résine par migration d'eau, il suffirait que le gelcoat soit parfaitement étanche ou qu'il n'existe pas de réaction chimique de la résine en présence de l'eau. Or, ni les résines polyester, ni les stratifiés verre/résine, ne sont parfaitement étanches ou imperméables. La réaction que nous connaissons est donc normale. En résumé, s'agissant de la carène d'un navire, le matériau est protégé de l'eau dans laquelle il évolue par un revêtement de surface appelé gelcoat (résine polyester avec adjuvants), qui constitue une bonne barrière à l'humidité, sans être toutefois parfaitement imperméable. Copie interdite Ainsi, lentement mais sûrement, l'eau parvient à migrer à travers le gelcoat dès l'immersion du matériau. Et le processus se poursuit : une fois cette barrière franchie, l'eau se propage par capillarité le long des fibres de verre, notamment si le stratifié verre/résine polyester contient une quantité significative de microcavités (bulles situées aux intersections ou le long des fibres de verre). Au terme d'un certain laps de temps, l'eau parvient dans les cavités et les différentes imperfections du matériau, et réagit au contact des matières solubles de la résine et des fibres de verre avoisinantes. L'eau se concentre alors et augmente de volume par la dissolution des produits hydrolysés et, à partir de là, l'effet d'osmose apparaît : le volume de liquide dilué contenu dans les cavités augmente jusqu'au point de générer une pression capable de déformer la surface et d'engendrer une cloque capable de provoquer, dans certains cas, un délaminage des couches alternées des tissus de verre et de résine des bordés de coque. L'osmose apparaît donc bien comme un phénomène naturel dont le processus d'évolution peut être résumé comme suit : - absorption d'eau, - condensation de l'eau dans les cavités, - dissolution des matériaux solubles, - hydrolyse des matériaux hydrolysables, - dilution du liquide contenu dans les cavités par le phénomène d'osmose. Pour clore ces généralités, on peut ajouter que les cas typiques d'osmose sont pour la plupart peu graves et, rarement, les stratifiés sont délaminés. On peut encore indiquer que les différentes étapes de l'endommagement des stratifiés se matérialise par l'apparition de microbulles puis par des cloques à la surface du gelcoat, dont la taille permet d'identifier l'évolution du phénomène. Il convient bien sûr de s'assurer que les cloques observées proviennent bien des conséquences d'une rétention d'eau dans les stratifiés, et qu'elles ne résultent pas d'un problème d'interface ou encore d'incompatibilité des produits en présence. Retenons enfin que, dans plus de 85 % des cas, l'endommagement des matériaux composites verre/polyester est bien d'origine osmotique : il est lié au vieillissement du matériau et ne se manifeste généralement qu'au bout de 7 à 10 ans, ce temps pouvant être variable en raison de la nature de la résine utilisée, de la qualité de sa mise en oeuvre, de la nature et de la température du milieu liquide dans lequel il est immergé. Ce matériau a donc bien une durabilité limitée. Copie interdite 1.2. - REMÈDE ET TRAITEMENT Préalablement à tout traitement, on doit être parfaitement sûr du diagnostic et s'assurer que les cloques observées à la surface de la carène sont bien de caractère osmotique. Il faut ensuite cerner la gravité du problème et son étendue afin de déterminer s'il n'y a que le gelcoat qui est atteint ou si le stratifié est lui aussi endommagé. Si, en effet, il n'est pas indispensable de définir à quel moment le processus s'est engagé, il est par contre essentiel de déterminer si les cloques atteignent l'intérieur du stratifié et, aussi loin qu'il sera possible de le faire, jusqu'où s'étend la pénétration de l'eau dans le matériau. C'est la raison pour laquelle il peut être nécessaire de retirer le gelcoat sur des petites surfaces de 1/2 mètre carré de chaque côté de la carène pour déterminer l'état du stratifié. Grâce à l'expérience acquise dans ce domaine, le traitement à apporter au phénomène pourra être : - le retrait du gelcoat de la carène par sablage ou ponçage de manière à atteindre le stratifié dans toutes les parties malades (cette opération doit être menée jusqu'à 8 cm environ au-dessus de la ligne de flottaison), - le lavage à l'eau douce sous pression, pour dissoudre les sels et les impuretés situés entre les fibres de verre, - le séchage de la coque placée dans un local où un contrôle de la température et de l'hygrométrie pourra être assuré et où une ventilation naturelle permettra d'obtenir un séchage complet, à défaut il devra être assuré par d'autres moyens, - en présence d'un état de siccité du matériau satisfaisant, application d'un produit époxy à 2 composants (sans solvant de préférence) sur toute la surface dénudée, - ragréage de la surface par application d'un enduit époxy sans solvant puis, après ponçage, une deuxième couche si nécessaire, - les surfaces ainsi traitées seront, après ponçage, enduites de plusieurs couches de peinture époxy 2 composants, - on terminera le traitement par l'application d'une peinture anti-végétative compatible avec les produits utilisés. En suivant ce procédé phase par phase, on atteint des résultats positifs dans plus de 90 % des cas. 2 - DISCUSSION SUR LES CONSEQUENCES INELUCTABLES DU PHENOMENE D'ORIGINE OSMOTIQUE Si on finissait maintenant par admettre que la plupart des résines de structures et les revêtements gelcoat avec lesquels sont fabriqués les bateaux de plaisance sont sensibles au milieu aqueux, et que par là, ils sont susceptibles d'endommagement osmotique à plus ou moins brève échéance selon qu'ils sont ou pas, exposés en eau de mer. Copie interdite On pourrait dès lors systématiquement entourer les carènes les plus récentes de soins préventifs appropriés au retardement du phénomène dans sa première phase, voire de le juguler par un traitement cyclique. Pour les carènes, les plus anciennes, il suffirait d'y associer un traitement curatif. On pourrait également suggérer pour la fabrication des coques d'utiliser des résines iso phtaliques à double effet : ralentissement de la migration de l'eau et présence minimale de matières solubles ou hydrolysables, pour ralentir voire arrêter les effets de l'osmose sur le stratifié verre-résine. En effet, il existe d'excellentes résines à doubles barrières de protection réduisant le risque de perméabilité du gelcoat et celui de rétention d'eau du stratifié. Pourquoi ne pas les utiliser dès lors dans la construction nautique ? En relation avec les traitements précités, il faut souligner que les deux problèmes majeurs à même de contrarier leur efficacité résident dans l'humidité et/ou les impuretés encore contenues dans le stratifié endommagé, et dans une appréciation erronée de l'état de siccité requis à l'application des produits recommandés. Il va de soi que les dégradations du stratifié verre-résine d'origine osmotique ne constituent pas un vice caché, s'agissant d'un phénomène naturel connu rencontré sur maints bateaux âgés, mais relèvent d'un vice propre du matériau utilisé dans la construction de la coque. Ce n'est pas pour autant que l'on peut écarter d'office le vice caché, qui sera retenu dans le cas d'une construction non conforme aux règles de l'art (dureté barcol, réticulation incomplète de la résine,...), ou dans le cas d'une mauvaise mise en oeuvre du traitement préventif ou curatif. Il est enfin établi que s'il est constant qu'aucune disposition légale ne prohibe l'insertion de clauses limitatives ou exonérations de responsabilité dans un contrat de vente, encore faut-il que la clause soit suffisamment explicite et révélatrice de la volonté des parties quant à sa portée. Ainsi les mentions qui figurent généralement dans les actes de vente de bateau : "dans l'état où il se trouve" ou encore "aux risques et périls de l'acheteur" , etc., ne sauraient s'interpréter, par leur caractère général et imprécis, comme valant non seulement pour la non garantie des vices apparents, mais aussi pour celles des vices cachés susceptibles d'affecter la chose vendue (Jugement du 24/11/94 - 4e Ch. 2e section T.G.I. de Paris). © Revue Experts Cliquer ici pour imprimer cet article