roman - Lettres québécoises

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roman - Lettres québécoises
lettres québécoises
revue fondée en 1976
FONDATEUR : Adrien Thério †
DIRECTEUR : André Vanasse
ADJOINT AU DIRECTEUR :
Jean-François Crépeau
COMITÉ DE RÉDACTION :
Jean-François Crépeau, Michel Lord,
Hélène Rioux,André Vanasse
COLLABORATEURS :
ESSAI ET ÉTUDES LITTÉRAIRES :
Carlos Bergeron, Michel Gaulin,
Francis Langevin, Claudine Potvin
RÉCIT ET NOUVELLE :
Michel Lord,Yvon Paré
POÉSIE : Hugues Corriveau,
Rachel Leclerc, Jacques Paquin
REVUES : Carlos Bergeron
ROMAN : Josée Bonneville,
André Brochu, Hugues Corriveau,
Jean-François Crépeau, Sébastien Lavoie,
Hélène Rioux
LITTÉRATURE ET SPORT :
Renald Bérubé
lettres québécoises
NUMÉRO 136
hiver 2009
entrevue • Lise Tremblay : pour ne pas perdre le Nord
PAGE 6
p a r J E A N - F R A N Ç O I S CA R O N
Quelques bûches dans le poêle pour chasser l’humidité et pour
crépiter dans le silence. Après les salutations d’usage, Lise
Tremblay retourne s’asseoir derrière son clavier pour pianoter
encore quelques mots pendant que je m’installe devant elle.« Il
ne fallait pas que j’oublie»,s’excuse-t-elle.Devant la vitrine qui
offre en pâture à nos regards un minuscule lac et quelques
huards qu’elle ne manquera pas de me faire remarquer,décoiffée et en tenue décontractée, Lise Tremblay montrera tout au
long de cette entrevue que la simplicité et la limpidité n’imprègnent pas que son écriture. C’est l’histoire de sa vie.
L I S E T R E M B L AY
dossier • Libraires : le prix de l’indépendance
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p a r J E A N - F R A N Ç O I S CA R O N
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Les libraires d’aujourd’hui n’ont pas grand-chose de ces hommes taciturnes qu’on imagine retranchés derrière des murailles de livres, à fusiller du regard les intrus entre les meurtrières des rayons. Ils sont énergiques, impliqués, convaincus, et ne démordent pas de leurs principes… ou presque. Petit voyage au village
de ces irréductibles qui voudraient bien continuer de se tenir debout face aux géants.
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publiée en février, mai, août et novembre
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Numéro ISSN : 0382-084X
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Enregistrement PAP no 08959 • novembre 2009
roman • Monique Miville-Deschênes, Chavire
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par ANDRÉ BROCHU
Le village que nous décrit l’auteure se situe quelque part dans le BasSaint-Laurent. On y pêche l’anguille et on y mène la vie propre aux
régions. Un certain primitivisme, accordé au Québec rural d’autrefois (chanté par Félix Leclerc, dont Monique Miville-Deschênes fut la
compagne de tournée),imprègne cette société qui vit un peu en retrait
du monde. De là le côté pittoresque des gens et des rapports qu’ils
entretiennent. Un pittoresque qui n’a rien de superficiel. C’est plutôt
le fondamental, la profondeur humaine qui se dévoile à travers les
caractères,magiquement dessinés,des différents protagonistes.Cette
profondeur se précise au contact des personnages avec la modernité,
qu’ils accueillent de façon complexe.
poésie • Michel van Schendel, Il dit
MONIQUE
MIVILLE-DESCHÊNES
PAGE 40
PA R R AC H E L L EC L E R C
Ce n’est pas un livre simple, d’aucuns diraient même que ce n’est pas un livre.
Or Il dit est bel et bien un livre au sens où l’auteur l’entendait, un ensemble de
textes qui avancent vers un même but: l’unité tient à ce qu’il réclame une forme
et un contenu pour un projet d’autofiction.Tout ce que Van Schendel cherchait
il y a trente,quarante ans,en écrivant ces petits chapitres restés inédits — peutêtre parce que non publiables —,il l’aura trouvé dans un livre prodigieux paru
en 2002, Un temps éventuel, récit d’un parcours non moins prodigieux, où se
déroule une rare qualité d’écriture qui donnait enfin un sens créatif à de vieilles
frustrations ou errances autant qu’à d’anciens bonheurs.Une leçon d’écriture.
M I C H E L VA N S C H E N D E L
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lettres québécoises • hiver 2009 •
1
sommaire
NUMÉRO 136
hiver 2009
ÉDITORIAL
AUTOPORTRAIT
ENTREVUE
PROFIL
DOSSIER
ROMAN
CA R O L I N E
ALLARD
POLAR
TRADUCTION
V I CTO R- L É V Y
B E AU L I E U
RÉCIT
NOUVELLE
JEAN-FRANÇOIS
C H A S S AY
POÉSIE
ISABELLE
DAU N A I S
ÉTUDES LITTÉRAIRES
ESSAI
HANS-JÜRGEN
GREIF
COMPTE RENDU
ANDRÉE A.
M I C H AU D
POUR SALUER
LES REVUES EN REVUE
ÉVÉNEMENT
INFOS EXPRESS
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CA R O L I N E
MONTPETIT
LIVRES REÇUS
DITS ET FAITS
PRIX ET DISTINCTIONS
INDEX
PROCHAIN NUMÉRO
DA N N Y
P LO U R D E
2 • lettres québécoises • hiver 2009
La syndicalisation dans les librairies, une catastrophe ?
André Vanasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 3
Lise Tremblay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 5
Lise Tremblay : pour ne pas perdre le Nord, Jean-François Caron . p. 6
La fatalité héréditaire chez Lise Tremblay, Yvon Paré . . . . . . . . . . . p. 10
Libraires : le prix de l’indépendance, Jean-François Caron . . . . . . p. 13
Caroline Allard, Claude Jasmin, Josée Bonneville . . . . . . . . . . . . . . p. 18
Monique Miville-Deschênes, Alexandre Lazaridès, Louis Jolicœur,
André Brochu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 20
Gérard Bouchard, François Désalliers, Reine-Aimée Côté,
Hugues Corriveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 22
Victor-Lévy Beaulieu, Jean-François Crépeau . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 24
Andrée A. Michaud, Francis Malka, Danielle Forget,
Normand Cazelais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 28
Lori Lansens, Margaret Laurence, Joel Thomas Hynes,
Hélène Rioux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 30
Serge Gauthier, Florence Meney, Bryan Perro et Alexandre Girard,
Yvon Paré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 32
Caroline Montpetit, Len Gasparini, Salah Benlabed,
Sébastien Lavoie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 34
Hans-Jürgen Greif, Claudine Paquet, Claude Boisvert,
Michel Lord . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 36
François Hébert, Michel A. Thérien, Geneviève Blais,
Hugues Corriveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 38
Michel van Schendel, Paul Bélanger, Yves Boisvert,
Rachel Leclerc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 40
Danny Plourde, Jean-Yves Théberge, Marcil Cossette,
Jacques Paquin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 42
Guylaine Massoutre, Nicole V. Champeau, Jean-François Chassay,
Michel Gaulin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 44
Philippe Bernier Arcand, Rosette Pipar, Louis Cornellier,
Carlos Bergeron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 46
Isabelle Daunais, Alexandre Stefanescu, François Chalifour,
Renald Bérubé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 48
Jean Lamarre, Louise Beaudoin et Stéphane Paquin,
Francis Langevin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 50
Katri Sunohen, Benoît Lacroix, Djemila Benhabib,
Claudine Potvin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 52
Les Correspondances d’Eastman. Au fil des cafés littéraires,
Lise Blouin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 54
Réjean Thomas, Pierre Mathieu, Pierre Manseau, . . . . . . . . . . . . . p. 55
Alibis, Moebius, Nuit blanche, Québec français,
Carlos Bergeron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 56
Gérer l’expansion en s’amusant : l’exemple des éditions Alto,
Sébastien Lavoie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 58
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 61
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A N D R É VA N A S S E
éditorial
L A SY N D I CA L I S AT I O N DA N S L E S L I B R A I R I E S ,
une catastrophe ?
La syndicalisation dans le monde de la librairie inquiète.
Plusieurs sont convaincus que sa présence dans un domaine
aussi fragile que celui du livre est un virus tel qu’il tuera le
marché et créera un vide dont la population sera la première
victime. Mais est-ce le cas ?
n juillet dernier,le bureau des relations publiques de la FTQ (Frontenac.com)
annonçait que la librairie Renaud-Bray de Laval allait être bientôt syndiquée. Avec la venue à la syndicalisation de la succursale de Laval, la
chaîne Renaud-Bray a vu le nombre de ses succursales syndiquées passer à 50 %.
En effet, 12 des 24 librairies sont dorénavant syndiquées et, au rythme où vont
les choses, il apparaît à l’évidence que le mouvement est irréversible et que
l’ensemble des succursales sera tôt ou tard dans le giron d’un syndicat.
E
Pourtant, dans le cas de Laval, ce n’est pas, apparemment, l’exemple des autres
succursales qui a motivé les employés à vouloir se syndiquer mais, selon l’initiateur de la demande d’accréditation, l’atmosphère de travail.
C’est du reste souvent ce qui se passe dès qu’une entreprise compte des centaines
d’employés.Impossible d’établir des relations justes et équitables lorsque les liens
avec la direction deviennent de plus en plus ténus. Les risques de favoritisme et
de nominations arbitraires à des postes supérieurs se multiplient à mesure que
le nombre d’employés augmente.Dès lors,la frustration s’installe,les travailleurs
ayant l’impression que le copinage vaut plus que leur valeur intrinsèque.
D E S T R AVA I L L E U R S F I E R S
Bien que le syndicalisme ne soit pas sans faille, il a le mérite de créer des règles
du jeu plus nettes et plus précises. Bien sûr, un syndicat mené par des casseurs
et des brutes cela arrive parfois (particulièrement dans le cas des employés
manuels), n’a rien pour rendre sympathiques les tenants du syndicalisme. Cela
dit,il ne faut pas généraliser: beaucoup de syndicats sont composés de travailleurs
fiers et soucieux de leur travail.
Moi qui ai été lié d’assez près au Syndicat des professeurs de l’Université du
Québec à Montréal (SPUQ),je me fais toujours honneur de dire que mon département d’études littéraires a,tout juste avant mon départ de l’UQÀM,été reconnu
comme le meilleur du Québec aux premier,deuxième et troisième cycles,en plus
d’avoir remporté la palme en recherche et en publication. En somme, premier
dans toutes les catégories pour l’ensemble du Québec. Ce n’est pas rien.
Être syndicaliste ne signifie pas, comme plusieurs l’affirment à tort, s’asseoir
sur les acquis et chercher à en faire toujours moins.Notre département, constitué en bonne part de syndiqués convaincus, avait de la fierté et entretenait le
désir de se dépasser sans cesse. J’ai souvenir d’une rivalité féroce entre nous,
rivalité qui était le meilleur moteur pour exceller. Pas étonnant qu’on y compte
deux prix David (Michel van Schendel et Paul Chamberland), des membres de
l’Académie des lettres du Québec dont un président (Jacques Allard, exprésident ; Louise Dupré,Paul Chamberland),des membres de la Société royale
du Canada (Jacques Allard, Gilles
Thérien,Bernard Andrès,Pierre Ouellet)
et des récipiendaires de bourses prestigieuses dont au moins deux ont dépassé
le million de dollars (la dernière étant
celle de Simon Harel, récipiendaire de
la bourse Pierre-Elliott-Trudeau 2009
d’un montant de 225 000 $).
Tout cela pour dire que la syndicalisation
peut avoir des effets bénéfiques pour une
entreprise et qu’il est trop facile de tomber à bras raccourcis sur un mouvement
dont la réputation est souvent entachée à tort.
R E N A U D - B R AY E N C O N S TA N T E C R O I S S A N C E
Une chose est certaine, Renaud-Bray continue sur sa lancée et on n’entend nulle
rumeur à l’effet que la chaîne serait en difficulté financière comme cela a été le
cas pour Raffin (qui vient d’être rachetée). C’est dire que syndicalisme et réussite financière ne sont pas antinomiques.
Même si j’ai manifesté dans le passé une certaine inquiétude au sujet des monopoles dans le domaine du livre (le cas Chapters-Indigo, au Canada anglais, étant
le pire exemple à suivre),je crois qu’une saine concurrence est le meilleur moyen
d’éviter une mainmise sur le livre qui aboutirait, j’en suis sûr, à une asphyxie du
marché. Au Québec, la rivalité entre Renaud-Bray et Archambault est de bonne
guerre, mais ce qui m’inquiète au plus haut point est la perte de la part du marché du livre par les librairies indépendantes, ce dont j’ai parlé dans mon dernier
éditorial.Si,un jour,l’ensemble du marché québécois est composé de chaînes de
librairies, ce sera une autre vision du livre qui nous sera imposée, comme c’est
le cas aux États-Unis.
D E S L I B R A I R I E S À L’ É C H E L L E H U M A I N E
Il se peut que je sois un vieux dinosaure, mais j’avoue que j’aime être connu de
mon libraire.Quand je vais au Parchemin (Berri-UQÀM),je suis toujours content
d’être reçu par Jésus, le propriétaire, Robert, mon second libraire, et Céline à qui
je confie le suivi de mes commandes. On me dira que je suis éditeur. C’est vrai,
mais j’avais le même genre de relation libraire-client à l’époque où j’achetais mes
livres chez Hermès. Savoir qu’un libraire met de côté des livres parce qu’il sait
que cela nous intéresse nous donne la certitude que nous ne sommes pas anonymes. C’était le cas avec Élisabeth Marchildon. Elle me tendait un livre en me
disant: «Ta carte de crédit, s’il te plaît.» C’était son genre, un peu bourrue, mais
combien attachante.
HUMAIN ET SYNDIQUÉ ?
Ce rapport intime est-il possible dans un monde syndiqué? Je suis naïf, mais je
veux y croire. Pour que cela soit, il faut que patrons et syndiqués veuillent collaborer. Si cela se réalise, alors tout est possible. Est-ce que ce sera le cas pour la
chaîne Renaud-Bray? Je le souhaite ardemment.
lettres québécoises • hiver 2009 •
3
LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE VOUS PASSIONNE ?
A B O N N E Z -V O U S À
lettres québécoises
Entrevues, portraits d’auteurs, critiques
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en 2007
4 • lettres québécoises • hiver 2009
autoportrait
L I S E T R E M B L AY
Lise
Tremblay
Il n’y a que des histoires ; les théories sont des
histoires endimanchées.
Maurice Bellet, Les allées du Luxembourg
exergue de cet autoportrait est tiré du Récit d’une émigration de
Fernand Dumont.Je ne peux concevoir ma trajectoire d’écrivaine que
de cette façon.J’ai émigré.Ce livre de Dumont a été,pour moi,de l’ordre
de la révélation et je peux dire que c’est à partir de cette lecture que j’ai vraiment
amorcé une réflexion sur ma condition d’écrivaine.
L’
Dans la définition de l’autoportrait du Robert,on dit: «portrait que fait un peintre
de lui-même».Il n’est pas question dans cette définition des autres types de pratique artistique.Je crois que l’autoportrait d’un écrivain ne peut se concevoir que
dans l’écriture d’une histoire, dans l’écriture de l’histoire qu’il se raconte à propos de lui-même. On est ici dans le pays de la fiction: c’est mon pays.
Fille d’ouvrier, rien dans mon histoire ne me prédisposait à devenir écrivaine.
Rien,si ce n’est ma confrontation quotidienne pendant mon enfance à la solitude
et à la différence. Solitude que j’ai meublée par la lecture. Au primaire, à l’école
des sœurs, je lisais de tout, des photoromans, des Delly, des hagiographies que
j’adorais et qui devaient nourrir une petite propension au masochisme (on n’est
pas catholique impunément) et des romans de propagande catholique destinés
à faire de moi une bonne épouse obéissante et dépourvue de tout orgueil.À part
un problème de culpabilité tout à fait judéo-chrétien, tous mes proches vous
diront que cette propagande a eu sur moi l’effet contraire. Je pense devoir à mon
grand sens de la désobéissance une partie de mon énergie créatrice.
L I S E T R E M B L AY
Après cette rupture, j’ai fait un certificat en journalisme (je me rapprochais de
l’écriture) au cours duquel, je peux maintenant m’en rendre compte, j’ai fait une
rencontre qui devait changer le cours de mon existence. Pour la première fois,
on m’encourageait à l’expression. J’ai commencé aussi, grâce à certains professeurs,à développer une conscience de classe,sans quoi je n’aurais jamais pu passer au travers des études supérieures en littérature que j’allais entreprendre plus
tard, après une profonde crise personnelle.
Je suis entrée en littérature comme on entre en religion.
Fille d’ouvrier, rien dans mon
À l’école secondaire,poussée par une mère en révolte perJe me souviens de ces années comme d’une période d’euhistoire ne me prédisposait à
manente contre sa condition, j’ai entrepris un parcours
phorie perpétuelle et évidemment, j’y ai rencontré
devenir écrivaine.
scolaire un peu hors norme avec un accès à une biblioquelques personnes qui parlaient la même langue que
thèque qui, je m’en rends compte aujourd’hui, était très
moi. Je n’avais pas le dessein conscient de devenir une
bien garnie. Je suis donc passée sans préparation de la
écrivaine, les choses se sont un peu passées par hasard.
série Brigitte de Berthe Bernage (c’est probablement un nom d’emprunt.Un curé
J’ai rédigé un mémoire de maîtrise en création qui a été publié.Le roman a connu
misogyne devait se cacher sous ce pseudonyme) à Arthur Miller et de là à Kerouac,
une sorte de succès d’estime, surtout auprès de quelques grands noms de notre
en passant par une partie de l’œuvre autobiographique de Simone de Beauvoir
institution littéraire, ce qui m’a encouragée à poursuivre, sans m’écraser sous le
et de là à Sartre,dont Les mots sont toujours dans ma bibliothèque.Je me demande
poids des attentes. J’ai ensuite enchaîné avec des romans, qui sont des histoires
aujourd’hui ce que je pouvais comprendre de ces lectures.
que je me suis d’abord racontées pour donner du sens au chaos qu’est l’existence
humaine. Le reste de mon histoire et surtout ma vision du monde sont dans
Probablement pas grand-chose, si ce n’est d’avoir développé l’intuition que le
mes ouvrages.
monde des livres pouvait me conduire à ce que Gabrielle Roy appelle « une vie
agrandie».
Pour le reste, je crois être devenue une écrivaine d’un certain âge qui est dans
l’autre versant de sa vie.La question du temps qui passe commence à me préocAu Cégep de Chicoutimi, je me suis inscrite en lettres, mais j’ai vite changé de
cuper et j’espère pouvoir achever quelques projets qui me tiennent à cœur.
programme pour me diriger vers l’étude de la psychologie. Je suis entrée à
l’Université de Sherbrooke en psycho-éducation (il régnait à l’époque une menJ’ai écrit ce texte dans ma cabane sur le bord d’un lac au nord de Chicoutimi, au
talité figée de vieux curés), mais je n’ai pas fini ma scolarité. Ce fut, je crois, ma
cœur des paysages de mon enfance. Lorsque j’étais jeune, nous avions un chalet
première grande désobéissance.À quelques mois de l’obtention de mon diplôme,
de famille où nous passions nos étés. Ces quelques semaines représentaient le
je rédigeais une lettre de démission fracassante avec deux de mes collègues qui
bonheur absolu où cessaient les cris de ma mère.Enfin,quant à moi,le bord d’un
sont devenus des personnes admirables et qui,au moment où j’écris ce texte,font
lac, les huards, les arbres, la solitude, le temps d’écrire et parfois d’aimer correstoujours partie de mes amis.
pondent à l’idée que je me fais de la sérénité.
lettres québécoises • hiver 2009 •
5
entrevue
JEAN-FRANÇOIS CARON
L I S E T R E M B L AY :
pour ne pas
perdre le Nord
Quelques bûches dans le poêle pour chasser l’humidité et
pour crépiter dans le silence. Après les salutations d’usage,
Lise Tremblay retourne s’asseoir derrière son clavier pour
pianoter encore quelques mots pendant que je m’installe
devant elle. « Il ne fallait pas que j’oublie », s’excuse-t-elle.
Devant la vitrine qui offre en pâture à nos regards un minuscule lac et quelques huards qu’elle ne manquera pas de me
faire remarquer, décoiffée et en tenue décontractée, Lise
Tremblay montrera tout au long de cette entrevue que la
simplicité et la limpidité n’imprègnent pas que son écriture.
C’est l’histoire de sa vie.
JFC — Je suis un peu surpris. Lorsque vous m’avez invité dans votre cabane,
j’ai cru à un brin d’ironie. Cet endroit n’a rien à voir avec le chalet coquet que
je m’étais imaginé.
LT — C’est un vrai de vrai chalet!
JFC — Je vous retrouve donc aujourd’hui dans votre cabane au Saguenay,
pas seulement en région, mais isolée dans cette même région. Est-ce qu’une
telle retraite vous est nécessaire pour la création ?
LT — Je ne peux pas écrire une ligne à Montréal. Je suis disciplinée, mais je ne
dois avoir aucune distraction. Là-bas, il y a de l’énergie, beaucoup de choses à
faire. J’aime ça, en fait, j’aime trop ça: c’est distrayant.Alors, je passe deux mois
au chalet, l’été, seule. Ici, je me place en situation d’écriture.
JFC — Dans votre recueil de nouvelles,La héronnière,
plus précisément dans « Élizabeth a menti », le personnage principal s’isole pour écrire un dossier de
recherche,mais succombe souvent à la procrastination
et en ressent de la culpabilité.Vous arrive-t-il de ne pas
pouvoir écrire et de vous en sentir coupable ?
LT — Jamais.Parce que si je n’avais pas de plaisir à écrire,
je ne le ferais pas. C’est un job de fou, écrire un roman.
C’est épouvantable.Je le fais par nécessité,parce que je ne
pourrais pas faire autrement. Mais si je cessais d’écrire
demain matin,le monde ne s’en porterait pas plus mal.Il
n’est certainement pas question de me sentir coupable.
Je crois donc que ça naît de ce besoin d’exprimer ma liberté.En fait,j’écris parce
que je n’en ai pas le choix. Je ne peux pas m’imaginer ailleurs. On ne fait que ce
qu’on peut.
JFC — Diriez-vous que vous écrivez d’abord pour écrire ou pour être lue ? En
d’autres mots, auriez-vous continué d’écrire même si vous n’aviez pas été
publiée ?
LT — J’ai sans doute quelque chose à prouver. Mais surtout, il faut qu’il y ait un
moteur pour faire avancer dans la vie. C’est ce que j’appelle la faille: c’est là d’où
vient l’énergie qu’il faut utiliser pour avancer. J’ai dû aller en thérapie, un certain temps. Ça m’a permis d’avancer. Et vous pourrez en
parler dans votre papier. Ça ne me gêne pas le moins du
L’écrivain a besoin d’un termonde. Plusieurs auteurs pensent qu’une thérapie peut
nuire à la créativité, mais c’est faux.
ritoire, et c’est dans l’écriture
qu’il le trouve. Il n’a pas besoin de dire quelque chose,
c’est différent. Il ressent plutôt le besoin d’avoir quelque
chose à dire.
JFC — Vous dites que vous écrivez par nécessité ?
LT — J’écris parce que c’est l’expression de ma liberté. De toute façon, je gagne
ma vie en enseignant au Cégep du Vieux Montréal.Pour moi,la littérature est un
luxe. J’ai besoin de mon travail parce qu’il me permet d’avoir les deux pieds
dans la réalité. Et j’ai besoin de cette réalité… Même si je suis très tolérante à la
solitude et que je n’aurais aucun mal à passer toute l’année ici.
6 • lettres québécoises • hiver 2009
L I S E T R E M B L AY
Il y a une théorie allemande selon laquelle un artiste serait
quelqu’un qui aurait manqué d’interlocuteurs valables
dans son enfance et qui aurait besoin de reconnaissance,
besoin d’expression… L’écrivain a besoin d’un territoire,
et c’est dans l’écriture qu’il le trouve. Il n’a pas besoin de
dire quelque chose, c’est différent. Il ressent plutôt le
besoin d’avoir quelque chose à dire. J’ai eu pour ma part
une très mauvaise relation avec ma mère. Elle ne m’a jamais écoutée.
JFC — C’est cette relation déficiente qui aura été le moteur de votre plus récent
roman, La sœur de Judith ?
LT — À cinquante ans,j’ai basculé dans un autre monde.Quand j’ai écrit La sœur
de Judith, l’enfance est soudainement devenue plus importante pour moi. Bien
sûr, ce que j’ai gardé comme souvenir de quand j’étais petite et ce que je réécris,
c’est complètement différent.
entrevue
JEAN-FRANÇOIS CARON
Il m’a fallu vingt ans avant d’écrire ce livre, avant de trouver sa voix. Plus tôt, je
n’aurais pas pu le faire. Ça m’a pris beaucoup de temps pour comprendre le portrait complet de mon enfance.Mais de toute façon,il s’agit d’une fiction.La vérité
se trouve dans l’émotion, pas dans les faits…
ture étrangère. Il faut être sûr de soi, sûr de son potentiel de création, il faut être
proche de ce qu’on est, ou alors c’est la mort.
JFC — Vous dites que la vérité se trouve dans l’émotion ?
LT — Tout ce qui est arrivé, c’est du hasard. Je viens d’un milieu ouvrier où le
mot « écrivain » n’existait pas. Je n’avais pas le dessein d’être écrivaine. Je n’ai
pas d’ambition.
LT — En fait, la vérité sur les êtres humains se trouve dans les romans. Et mes
romans sont vrais dans l’émotion.Ce n’est pas toujours le cas: il y a des livres qui
sont des constructions et ça paraît. Il faut sentir que l’écrivain est proche de sa
blessure, comme le disait Cocteau, qu’il transmet sa souffrance. C’est ce que ça
veut dire: il faut que l’émotion soit vraie.
JFC — Au moment d’écrire, avez-vous plutôt quelque chose
à dire, ou quelque chose à raconter ?
LT — Pour moi, l’idée n’est pas de dire. Il n’y a pas de message.
Je mets plutôt de l’ordre dans le chaos de mon existence. Mes
livres sont toujours des résolutions de crise, chaque fois c’est
parce que j’ai une réponse à trouver.
JFC — Vous êtes encore bien jeune pour faire un bilan. Cela
dit, en 2010, il y aura vingt ans que vous aurez publié votre
premier roman. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
LT — Vingt ans, c’est vite passé. Bien des choses ont changé. Je
crois qu’aujourd’hui la situation est plus difficile pour les écrivains.Le niveau des auteurs a évolué,les livres sont
plus forts, il y a une plus grande compétition.
JFC — Croyez-vous qu’il y a trop de livres sur le
marché ?
LT — Non! Je ne suis pas de ceux qui le pensent. Si
un éditeur veut qu’un ouvrage soit publié,c’est qu’il
le faut.
JFC — Avez-vous toujours su que vous deviendriez écrivaine ?
JFC — Depuis le début de votre carrière, plusieurs prix vous ont été accordés, dont trois pour La héronnière, et même le Prix du Gouverneur général
pour La danse juive. Votre histoire en est une de succès…
LT — Les gens font trop de cas des prix et des distinctions. Je
n’y pense jamais. Entre un premier prix et un finaliste, il n’y a
pas de différence, que de la chance. Dans la réussite, même, il y
a une grande partie qui est de la chance.
Pour moi,les prix ont été chaque fois de belles surprises,c’était
toujours du hasard. Le premier prix que j’ai remporté, le prix
Stauffer-Canada,je ne savais pas qu’il existait! Même mon éditeur ne le connaissait pas,parce que c’est un prix qui s’adressait
à toutes les disciplines confondues, pas seulement à la littérature. J’ai eu beaucoup de chance. C’est quelqu’un que je ne
connaissais pas à l’époque qui a inscrit L’hiver de pluie pour le
concours.Après, chaque fois que j’ai remporté un prix, l’argent
qui venait avec semblait tomber du ciel, je n’avais pas l’impression d’avoir travaillé pour ça. Alors, tous les prix
m’ont servi à voyager.Parce que ce n’était pas de l’argent gagné. C’était comme un cadeau.
Il faut sentir que l’écrivain est proche de
sa blessure, comme le disait Cocteau,
qu’il transmet sa souffrance. C’est ce
que ça veut dire : il faut que l’émotion
soit vraie.
JFC — Après vingt ans dans le milieu littéraire
québécois, quelles sont vos observations ?
JFC — Y a-t-il un de ces prix qui vous a flattée
plus que les autres ?
LT — Le Prix des libraires m’a vraiment beaucoup
touchée.Parce qu’ils savent lire,ce sont d’excellents
lecteurs. S’ils m’ont choisie, c’est qu’ils sont bons !
(lance-t-elle avec une pointe d’autodérision avant de
reprendre son sérieux.)
LT — Au Québec,l’expression prend une dimension tout autre
qu’ailleurs. La situation est semblable à celle de la Suède, qui a
une langue particulière. Ici, la littérature, et plus largement la
culture, doivent être subventionnées pour survivre.
C’est un prix qui a eu beaucoup d’impact émotif.Ils sont importants,les libraires.Parce que les vrais bons lecteurs s’informent
auprès d’eux.Alors,le prix a aussi un impact direct sur le développement d’un lectorat.
Aussi, comme on a été conquis, on se compare souvent. Mais
ça ne tient pas la route. On est nord-américains. Il faut vivre
avec ce qu’on est et ce qu’on fait. Je fais partie d’une minorité
et,quoi qu’il arrive,ça ne changera jamais.Il y a d’autres minorités,on n’est pas les seuls au monde.Ça conditionne notre création et ça nous rend originaux. Comme je le dis souvent à mes
étudiants,être québécois,c’est l’enfer,mais c’est une chance.Je
suis très contente d’avoir une double culture.
JFC — Un lectorat qui se fait de plus en plus important.Vous
avez vendu plus de 20 000 exemplaires de La sœur de Judith.
JFC — Vous avez dit déjà que la littérature québécoise est une
littérature coloniale et qu’il faut accepter ce fait.Pouvez-vous préciser votre pensée?
LT — On est une petite place, un petit pays. Le rapport que les Français entretiennent avec nous se rapproche encore aujourd’hui de celui qui lie une métropole avec sa colonie.Les Français n’ont aucun intérêt à ce que les colonisés soient
meilleurs qu’eux-mêmes. Je crois qu’il faudrait revendiquer le statut de littéra-
LT — Je ne sais pas,je ne pense pas à ces choses-là.Je ne m’occupe ni des prix ni de la vente de mes livres.
JFC — En dehors de l’écriture, avez-vous le temps pour une
vie littéraire très riche ? Participez-vous, par exemple, à
des ateliers ?
LT — Je ne joue pas de «game».Je ne veux pas m’ennuyer,ça ne vaut pas la peine.
Parfois je donne des conférences et j’oublie de le dire à mon éditeur.C’est comme
pour cette entrevue. Je n’avais simplement pas pensé à lui en parler.
Mais des ateliers,ça non,je n’en donne pas.Je suis contre ça.Qui suis-je pour dire
à quelqu’un comment écrire ? De toute façon, ceux qui donnent des ateliers,
lettres québécoises • hiver 2009 •
7
JEAN-FRANÇOIS CARON
entrevue
comme les éditeurs, il ne faut jamais écouter ce qu’ils disent de
faire. Ils se trompent. Il n’y a pas de secret, il n’y a pas de loi.
le paysage est trop gros et trop beau pour le monde. C’est une
beauté qui écrase. Le paysage est d’une dimension qui écrase.
JFC — Quel est le rôle de l’écrivain aujourd’hui ? A-t-il une
responsabilité sociale ?
Nos regards se sont tournés vers la vitrine, et à parler
de Nord, d’hiver et de distance, l’entrevue s’est lentement débridée pour devenir une véritable conversation.
Puis, au sortir de sa cabane, elle m’a surpris alors que
je prenais un instant pour profiter du paysage. Je ne
l’avais pas entendue passer le seuil derrière moi. « C’est
beau, chez nous, hein ? » J’ai acquiescé. « Dire que la
semaine prochaine, ce sera la rue Saint-Denis… » Son
été au Saguenay était déjà terminé.
LT — Quoi qu’on en dise parfois, il n’y a pas de rapport social
dans l’écriture. Il s’agit plutôt pour l’écrivain de raconter sa
propre vision du monde.Je prendrais la parole si quelque chose
me dérangeait vraiment, mais au Québec, on n’est jamais dans
des situations qui poussent à l’extrême. On ne vit ni guerre ni
famine, et il n’y a pas tant d’injustices. Bien sûr, l’écrivain joue
un rôle quand ça va trop loin. Personnellement, je n’ai pas des
idées sur tout. Mais il faut que la vérité soit dite.
JFC — Vous avez déjà dit qu’on ne peut pas être écrivain si
on ne trahit pas, que l’écrivain est un traître. Combien de
gens avez-vous trahis depuis vos premières lignes ? Est-ce
que l’écrivain a des remords ?
LT — L’écrivain trahit la réalité. Il est un traître tout le temps.
C’est le sentiment que je ressens. Je les montre, ces choses que
je vois.
Heureusement, le langage sauve. Mettre un mot sur un sentiment ou sur une chose permet de le sortir de soi. Je n’ai pas foi
dans grand-chose, mais j’ai foi dans le langage.
JFC — Après la publication de La héronnière, vous avez dû
essuyer des menaces de certains habitants de L’Isle-auxGrues, où vous aviez une maison. Est-ce parce que vous les
aviez trahis ?
BIBLIOGRAPHIE
L’hiver de pluie, XYZ, 1990, 108 p. ; réédition en poche, présentation de
Corinne Larochelle, BQ, 1999, 106 p.; Prix découverte du Salon du livre
du Saguenay – Lac-Saint-Jean; prix Stauffer-Canada.
La pêche blanche, Leméac, 1994, 117 p. ; réédition en poche, BQ, 2001,
106 p.
La danse juive, Leméac, 1999, 143 p. ; traduction anglaise de Gail Scott,
Mile End, Talonbooks, 2002; Prix du Gouverneur général.
La héronnière, Leméac, 2003, 108 p. ; réédition en poche, Leméac/Actes
Sud, coll. «Babel», 2005, 118 p. ; Grand Prix de la Ville de Montréal; prix
des Libraires du Québec; prix France-Québec.
La sœur de Judith, Boréal, 2007, 168 p. ; réédition en poche, Boréal, coll.
«Boréal compact», 2009, 178 p.
LT — Quelqu’un leur avait dit que je parlais d’eux dans mon livre, que je mentais à leur sujet. Il y a bien quelques ressemblances — ils ont par exemple un
symposium d’ornithologie —,mais ce que j’ai écrit est une fiction,une construction.
I N FO CA P S U L E
Quand j’y repense, je me dis qu’il y a un prix à payer pour chaque chose. C’est
moins cher être différent qu’être conforme.La conformité est la plus grande source
de malheur dans le monde.
En septembre dernier, les dirigeants de La Presse lançaient un ultimatum à
ses journalistes : ou ils acceptaient d’importantes concessions, ou la vénérable institution serait forcée de fermer ses portes tout autant que celles de
son site Internet. Pour prouver sa bonne foi, la direction a offert de donner
accès à ses livres comptables.Les prévisions sont sombres: le quotidien perdra deux millions par mois d’ici 2013. Au total donc, plus de 100 millions.
Peu de temps après, c’était au tour du Soleil (lui aussi propriété de Gesca,
filiale de Power Corporation) de connaître les mêmes menaces. En fait, ce
sont les quotidiens de l’Amérique entière qui sont durement touchés par la
venue d’un concurrent de taille : Internet. Le bât blesse non seulement aux
États-Unis, mais au Canada où, par exemple, les difficultés financières de
Canwest (propriétaire, entre autres, du National Post) ont défrayé les manchettes en octobre dernier.Or,la situation n’est pas plus rose pour les magazines, lesquels accusent une baisse marquée des revenus de publicité qui
pourrait mettre en péril leur survie. Le fait est que la récession se fait lourdement sentir. Les chiffres sont accablants et les magazines francophones
ne sont pas laissés pour compte : un recul de 54,4 % pour le magazine Les
Affaires, de 39, 2 % pour Moi et Cie, de 31 % pour L’actualité, de 31,2 %
pour Le Lundi, de 30,5 % pour Commerce. Vivement le retour à la reprise
économique, mais sera-ce suffisant pour contrer l’effet dévastateur
d’Internet ?
De toute façon, je trouvais que c’était important de ne pas céder à de telles
menaces.C’est pour ça que j’ai refusé de me taire.Aujourd’hui, j’en ai pour vingt
ans dans la marmite à fiction. Des folies de village, c’est intéressant ! Les vrais
fous sont des personnages grands comme les paysages qu’on a ici.
JFC — Vos écrits sont le plus souvent tournés vers le Nord. D’où vient cette
préoccupation ? De quel Nord parlez-vous ? Pourquoi la réponse s’y trouvet-elle toujours ?
LT — Un jour,Daniel Chartier,de la chaire d’étude du Québec contemporain,m’a
dit: «Vous êtes un écrivain de la nordicité.» Je n’en avais jamais pris conscience.
C’est tellement naturel pour moi. Il semblerait que ce n’est pas fréquent, surtout
pour parler du Moyen Nord.
JFC — Le Moyen Nord ?
LT — Le Moyen Nord,c’est chez nous,ça fait partie de moi.Ça fait partie de nous.
L’univers ici, je le connais. C’est mon univers. J’assume ce que je suis. C’est là où
8 • lettres québécoises • hiver 2009
AU TOUR DES MAGAZINES
Triptyque
NOUVEAUTÉS AUTOMNE 2009
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tél. : (514) 597-1666
L UC L AR OCHELLE
J EAN-MARC B EAUSOLEIL
PATRICK B OULANGER
FRANÇOIS L EBLANC
Hors du bleu
Le souffle du dragon
Selon Mathieu
Quinze seconde de célébrité
roman, 151 p., 18 $
nouvelles,102 p., 18 $
roman, 154 p., 18 $
235 p., 23 $
lettres québécoises • hiver 2009 •
9
profil
Y V O N PA R É
La fatalité
héréditaire
C H E Z L I S E T R E M B L AY
Lise Tremblay s’est démarquée tout de suite dans le paysage
littéraire québécois avec L’hiver de pluie. Puis ont suivi trois
romans et un recueil de nouvelles qui s’attardent à des problématiques singulièrement ancrées dans la réalité du
Québec et qui confirment son immense talent.
ne belle façon d’entrer dans l’univers de cette écrivaine est de
plonger dans La sœur de Judith,
son plus récent ouvrage. Ce roman illustre
particulièrement bien les hantises de ses
personnages qui tentent d’échapper aux
carcans de la famille et de la société. Une
volonté portée surtout par les femmes.
U
Judith,la plus belle fille de Chicoutimi-Nord,
fréquente un étudiant en médecine, veut
échapper à la rue Mésy où tout le monde se
surveille. Elle rêve d’une grande tournée
québécoise avec Bruce des Sultans.Un accident d’auto met fin à ses rêves.
Pendant cet été de la fin des années soixante,
les illusions et les violences intimes éclatent
au grand jour. La société, jusqu’alors contrôlée par l’Église, secoue les interdits.
Simone, la mère de la narratrice, « explose » pour un oui ou un non, projetant
sur sa fille ses frustrations. Piégée par l’amour et la famille, elle a dû oublier son
rêve de devenir institutrice. La mère de La sœur de Judith se joint aux hommes
lors des rassemblements familiaux,pour marquer son refus de la condition faite
aux femmes.
Le roman se termine sur une note d’espoir, contrairement aux œuvres précédentes.En fréquentant la polyvalente,la narratrice va essayer d’échapper à la fatalité qui marque l’œuvre de l’écrivaine.
L’ E X I L
Les personnages de Lise Tremblay sont des exilés qui ont fui village et région pour
se défaire des carcans de la famille, se glisser dans l’anonymat des villes. Ces
efforts pourtant sont souvent futiles. Les blessures héréditaires collent aux personnages. Malgré ses succès à la télévision, le père dans La danse juive ne parvient pas à oublier ses origines.
Je pense à mon père. Je sais qu’il crée ces histoires pour forcer la porte de la petite
maison entourée de sapins.Je sais qu’il leur téléphonera,qu’il butera sur des réponses
vagues et qu’il s’en voudra. (La danse juive, p. 96)
Simon, dans La pêche blanche, sait très bien que sa fuite a été inutile, même s’il
ne pouvait faire autrement.
10 • lettres québécoises • hiver 2009
L I S E T R E M B L AY
Même enfant, je savais qu’il fallait partir. La mère agissait comme si tous les murs
de la maison étaient transparents et que tout le monde aux alentours pouvait voir
à l’intérieur. (La pêche blanche, p. 36)
Je savais que je m’étais sauvé d’une cuisine trop propre,d’un homme qui n’avait pas
dormi depuis trente ans et d’un mot. Tout cela me suivait un peu en arrière comme
ma jambe gauche. (La pêche blanche, p. 60)
SOLITUDE ET ERRANCE
Depuis L’hiver de pluie, son premier roman, Lise Tremblay explore un monde
marqué par la solitude et l’errance. Les personnages sillonnent un territoire
qui va du nord au sud, de la campagne à la ville, oscillent entre le passé et le
présent, hantent un lieu comme ces trappeurs qui parcouraient sans cesse un
espace précis, respectant un rite qui ne variait jamais. Ils suivent une spirale
qui finit par les avaler comme un trou noir.
Les narrateurs (souvent des femmes) sont marqués par la fatalité génétique.
Leur obésité constitue peu à peu une carapace qui coupe de tout ce qui fait la
vie. Une forme de retrait où le personnage devient observateur de sa propre
existence.
Dès l’adolescence, je suis devenue une grosse comme ma grand-mère et ma tante;
une obèse rose avec un beau visage et,dans les gestes,une sorte de mollesse que mon
père associe à une faiblesse morale. (La danse juive, p. 45)
Elle laisse tomber en disant que, de toute façon, elle n’est jamais arrivée à me faire
dormir et que je n’avais jamais été normale. Je tenais de ma grand-mère paternelle qui, selon mon père, n’avait jamais dormi de sa vie. (La sœur de Judith,p.62)
profil
Y V O N PA R É
Le «Je est un autre» de Rimbaud se vit physiquement chez Lise
Tremblay.
Je m’abandonne, relâche mon ventre, il s’étend sur mes cuisses. Il
n’y a pas longtemps que mon ventre traîne aussi bas. J’ai l’impression que mon corps encombre.Je sais d’où vient cette impression, même si j’arrive presque toujours à éviter le souvenir. (La
danse juive, p. 59)
Comment rompre avec un passé de silence et de violence? Tous
les errants de Lise Tremblay évoquent les chats de Jean-Louis
dans L’hiver de pluie. Abandonnés pendant des jours dans la
maison de campagne, il a fallu les éliminer.
Il dit que les chats étaient devenus fous, qu’ils tournaient sans
arrêt sur eux-mêmes. Il a essayé de leur donner à manger, mais
le lendemain, ils ont continué à tourner sur eux-mêmes. (L’hiver
de pluie, p. 16)
Ces contaminés,dans leur corps et leur esprit,rêvent de tuer le père pour rompre
la malédiction. Ils cherchent un ancrage en vain.
Moi je souffre toujours de rage. Je peux être des mois sans penser à lui puis sentir
ma jambe traîner derrière moi, me souvenir de ses yeux sur cette jambe, et je me
mets à le haïr avec intensité. Je veux le tuer, lui tordre le cou dans son garage. (La
pêche blanche, p. 106)
Si Simon s’en tient au désir de « tordre le cou de son père », la narratrice de La
danse juive et Steeve, dans La héronnière, osent le geste sacrificiel, peut-être
pour être soi, sans passé et sans avenir.
Depuis,j’ai appris à mes dépens que la seule règle du village était
le mensonge. Tout le monde sait tout et tout le monde fait semblant de l’ignorer. (La héronnière, p. 77)
Jean-Louis dit toujours que l’enfer est dans les petites villes. Je
pense que l’enfer est dans l’absence de solitude, dans l’impossibilité de se débarrasser de son identité et de toujours être reconnu,
nommé, identifié. Les petites villes sont des enfers parce qu’elles
obligent à tenir un rôle éternellement,sans sursis. (L’hiver de pluie,
p. 49)
Steeve, dans La héronnière, assassine Roger Lefebvre que sa
mère s’apprêtait à suivre. Dans La danse juive, la fille tue son
père par réflexe, sans aucune émotion. Dans les campagnes,
tous deviennent les complices de ces gestes expiatoires, se taisent par omission ou par lâcheté. Personne ne dénonce Steeve
qui a tué un étranger venu de la ville dans La héronnière.
C’est pas moi qui est malade, c’est vous autres! La femme de Léon est partie et il a
continué comme si de rien n’était.La tienne aussi.Qu’est-ce que t’as fait? Rien.Vous
continuez comme si de rien n’était. Moi, je vous ai défendus. (La héronnière, p.42)
Non pas que la situation soit plus intéressante en ville.Les citadins ont beau chercher à se «débarrasser de [leur] identité», ils n’y arrivent pas. Réduits à l’état de
corps anonymes, ils bougent sans connaître le repos, survivent dans des taudis,
combattent le froid, l’humidité et la saleté, s’effacent peu à peu sous les couches
de graisse.Ils peuvent aussi faire partie du décor comme les Chinois qui dorment
dans leur restaurant dans La danse juive.
F O R M E N A R R AT I V E
Ceux qui marchent sont des plaies vives exposées à l’air libre.Ainsi peuvent-ils satisfaire leurs fantasmes de destruction à même leurs blessures. Comme des vautours
se disputant des carcasses de chèvres de montagne. (L’hiver de pluie, p. 56)
La lettre s’impose comme forme narrative dans plusieurs romans de Lise
Tremblay. Ce faux dialogue maintient le contact, même si les lettres ne sont pas
expédiées dans L’hiver de pluie. Dans La pêche blanche, Simon et Robert échangent des missives banales,des livres qui deviennent des catalyseurs de leurs situations.Les écrivains Jacques Poulin,Réjean Ducharme,Marguerite Yourcenar dans
L’hiver de pluie,Jim Harrison dans La pêche blanche accompagnent les nomades.
L’œuvre littéraire devient l’écho du drame. La littérature permet aussi d’oublier
ses malheurs dans La sœur de Judith.
Ces hommes et ces femmes, pour ne pas devenir des assassins, s’étourdissent
dans un trajet toujours à recommencer. La déambulation devient une forme
d’anesthésie qui rend la blessure moins douloureuse.
Je ne voulais pas, mais je me suis mise à pleurer. Je suis partie dans ma chambre.
J’ai pris un Brigitte et comme toujours,quand je commence à lire,j’oublie et je cesse
de pleurer. (La sœur de Judith, p. 80)
La grosse femme de La danse juive hante un quartier de Montréal où quelques
bistrots l’attendent comme des refuges. Dans La sœur de Judith, la jeune fille
passe quotidiennement entre le haut et le bas de la ville, entre son enfance et
un rêve d’avenir. Simon, dans La pêche blanche, arpente la côte Ouest dans sa
migration saisonnière entre San Diego et Prince-Rupert. Chacun délimite un
territoire pour le marquer de ses odeurs, « trouver un sens à [sa] vie » et oublier
« les plaies vives ».
QUÉBEC CONTEMPORAIN
Ceux qui marchent s’aperçoivent de loin, ils ont le temps de s’éviter. Ils ont honte.
Ils ne parlent pas. Je pense maintenant qu’ils marchent pour trouver un sens à leur
vie. La femme qui marchait n’avait pas de mots. L’errance, c’est un mot qui est
venu après. (L’hiver de pluie, p. 20)
LE SILENCE
Des explosions de paroles peuvent surgir chez certains personnages masculins.
Mel dans La danse juive débarque à l’improviste, s’impose et se répand dans un
véritable tsunami de mots. Jean-Louis dans L’hiver de pluie est lui aussi un volubile qui prend toute la place.Pourtant,les hommes sont le plus souvent des silencieux comme Robert et Simon dans La pêche blanche. Ce mutisme fait fuir les
femmes dans La héronnière. Elles abandonnent un mari qui ne sait plus réagir,
fuient un silence qui étouffe les petites communautés comme une chape de plomb.
L’œuvre de Lise Tremblay témoigne d’un Québec contemporain qui a perdu
ses références avec la Révolution tranquille. Le va-et-vient entre la campagne
et la ville, le passé et le présent, montre une société qui n’arrive pas à trouver
un ancrage. Peut-être, comme le suggère l’écrivaine, que la littérature apporte
un certain repos. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la honte qui suit les
personnages devant un héritage culturel mal assumé. L’accent de la région
qu’ils cherchent à masquer en ville, ce passé impossible à distancer. Une œuvre
foisonnante, forte et dense. Un regard sur le Québec tout à fait singulier et
original.
Même si Lise Tremblay donne toujours l’impression de raconter des banalités
dans ses romans,elle plonge dans les plus grands drames sans avoir l’air d’y toucher. Une fausse naïveté passe par un humour fin, la dérision et un sens du récit
remarquable.C’est cette manière qui explique certainement l’accueil que l’on fait
à ses ouvrages.
lettres québécoises • hiver 2009 •
11
DERNIÈRES
PA RU T I O N S
Yann Martel
Mais que lit Stephen Harper ?
Pierre Gariépy
Blanca en sainte
Hélène Rioux
FRAGMENTS DU MONDE II
Âmes en peine
au paradis perdu
Jean Désy • encres de Pierre Lussier
Toundra, Tundra,
Serge Bruneau
Bienvenue
Welcome
Daniel Castillo Durante
Ce feu si lent
de l’exil
Felicia Mihali
Confession pour un ordinateur
Martyne Rondeau
Game over
J. P. April
La danse de la fille
sans jambes
Scott Symons
Place d’Armes
Traduit de l’anglais par Michel Gaulin
12 • lettres québécoises • hiver 2009
www.editionsxyz.com
dossier
JEAN-FRANÇOIS CARON
LIBRAIRES :
le prix de
l’indépendance
Les libraires d’aujourd’hui n’ont pas grand-chose de ces
hommes taciturnes qu’on imagine retranchés derrière des
murailles de livres, à fusiller du regard les intrus entre les
meurtrières des rayons. Ils sont énergiques, impliqués,
convaincus, et ne démordent pas de leurs principes… ou
presque. Petit voyage au village de ces irréductibles qui voudraient bien continuer de se tenir debout face aux géants.
SOMBRE PORTRAIT
n avril 2009, Le Devoir annonçait que la chaîne de librairies Raffin, un
réseau comprenant cinq librairies (Repentigny,Montréal,Laval et Québec)
et trois maisons d’édition — du Roseau, Impact! et Marée haute —, se
plaçait sous la protection de la loi contre ses créanciers.En pleine crise économique,
un manque de liquidités,conséquence de son développement rapide — Raffin est
devenue une chaîne de librairies en moins de cinq ans — ne pardonnerait pas. Il
faudrait vendre, pas plus tard qu’en juillet.
E
Le flambeau fut repris par Martin Granger et Chantal Michel, propriétaires de
Promotion du livre SDM, une entreprise spécialisée dans la revente de surplus
d’éditeurs qui fournit en livres au rabais les grandes surfaces comme Walmart,
Sears et même certaines chaînes comme Archambault… Raffin,troisième librairie à succursales en importance au Québec, gardera la même enseigne. On verra
pour le reste.
«Présentement, malgré la récession, ça va plutôt bien en librairie. On a réalisé, à
la suite des précédentes récessions, que l’un des marchés qui est le moins touché dans le secteur de la culture, c’est le livre. Bien sûr, le livre a un prix, mais en
période de récession, pour les gens, c’est quand même moins cher que d’aller au
cinéma,ce qui ne dure que deux heures,ou que d’assister à un spectacle ou à une
pièce de théâtre… Le livre est quand même touché,personne n’a de grosses augmentations, mais il n’y a pas de baisse significative du chiffre de vente pour le
moment.»
Interrogée quant à la diminution notable de la part de marché des librairies indépendantes,la directrice de l’ALQ se montre sceptique: il serait nécessaire,semblet-il, de relativiser les chiffres présentés par l’Institut de la statistique. Selon
Mme Vaugeois,la diminution des parts de marché des librairies indépendantes ne
correspond pas nécessairement à une baisse de leur chiffre de vente ou à une
détérioration de leur situation: «Dans les années où ces études ont été faites, il
y a par exemple la librairie Raffin, autrefois une librairie indépendante, qui est
devenue un réseau.Ce simple passage d’une catégorie à l’autre fait augmenter la
part de marché accordée aux librairies à succursales. C’est aussi des années où
les chaînes Renaud-Bray et Archambault se sont beaucoup développées… On
imagine que,si elles ouvrent de nouvelles succursales,elles augmentent leur part
de marché.» Faut-il croire que les librairies indépendantes,malgré les apparences,
soient en bonne posture?
DEUX CLANS, DEUX MESURES
Le milieu des librairies québécoises a certainement su se réserver quelques acquis
avec le temps.La Société des Libraires canadiens,fondée au début de la Révolution
tranquille (le 8 août 1960), est devenue officiellement l’Association des libraires
du Québec le 23 septembre 1969. Déjà, les objectifs étaient clairs. Il s’agissait
«d’établir entre tous les libraires […] admis des rapports habituels et de bonne
confraternité; d’étudier et de défendre les intérêts généraux,économiques et commerciaux de la profession ; d’intervenir auprès des éditeurs, des commissionnaires et des libraires-grossistes pour obtenir qu’ils coopèrent avec elle pour la
défense et les intérêts du commerce du livre ; de constituer, vis-à-vis de l’autorité, une représentation réelle de la profession ; de favoriser la diffusion de la
culture française au Canada2 ».Déjà se faisait sentir le manque de reconnaissance
du milieu et sa représentation auprès des organes décisionnels.
En juin 2009, l’Observatoire de la culture et des
communications du Québec publie des chiffres
alarmants1. Selon l’Institut de la statistique du
Québec, après sept années de croissance ininterrompue, pour une moyenne annuelle du taux de
croissance de 5,2 % entre 2001 et 2007, on aurait
assisté en 2008 à un recul des ventes de livres de
l’ordre de 3 %.Selon le même document,le portrait
s’assombrirait encore plus pour les libraires indépendants, dont la part de marché serait passée de
36,5 % à 28,2 %, glissant sous le seuil critique du
tiers des ventes nationales. On noterait chez ces
indépendants un taux de croissance annuel moyen
de -2,1 %.Assisterions-nous à l’inéluctable disparition des libraires indépendants?
Depuis 2003, la mission de l’ALQ est organisée
autour de cinq axes de développement: l’informatisation, la promotion, la formation, la médiation
et la représentation. Alors que l’ALQ rassemblait
48 membres lors de sa création,au moment de célébrer son 40e anniversaire,ce nombre a presque doublé pour atteindre 91 membres,dont 86 sont situés
au Québec.Elle accueille même dans ses rangs des
libraires francophones d’ailleurs au Canada
(Colombie-Britannique,Alberta,Ontario,NouveauBrunswick) ainsi que des librairies québécoises
anglophones.
En quarante ans,la situation de l’Association a certainement évolué. De grands changements ont eu
lieu dans ses effectifs autant que dans sa philosophie.La plus grosse chaîne de librairies au Québec,
Renaud-Bray,qui compte aujourd’hui 24 magasins,
était même membre de l’association jusqu’en 2000,
ce qui ne plaisait pas à tous les indépendants. «Il
y a eu une période où nous n’avons pas été
membres de l’ALQ parce que les gens qui étaient là
ne représentaient pas nécessairement ce que je
A P PA R E N C E S T R O M P E U S E S ?
Selon les quelques libraires questionnés à ce sujet,
la situation ne serait pas si dramatique qu’on pourrait le croire. Marie-Hélène Vaugeois (Librairie
Vaugeois, Sillery), directrice de l’Association des
libraires québécois depuis deux ans,ne semble pas
inquiétée outre mesure.
M A R I E - H É L È N E VA U G E O I S
lettres québécoises • hiver 2009 •
13
dossier
JEAN-FRANÇOIS CARON
LIBRAIRES
voulais prôner»,avoue Yves Guillet,propriétaire de la librairie Le Fureteur (SaintLambert).«Mais nous sommes à nouveau membres depuis plusieurs années.Le
fait que l’association défende aujourd’hui les librairies indépendantes a changé
bien des choses.Il y a eu une époque où il y avait des responsables de chaînes.On
sentait vraiment qu’il y avait deux clans, et les décisions n’allaient pas toujours
dans le sens de ce que nous pensions être le mieux pour nous.»
pour ces gros joueurs, un investissement visant à séduire une nouvelle clientèle.
«Une grande surface se sert des livres comme produit d’appel. Elle décide de ne
pas faire d’argent avec ceux qu’elle vend. Dans le cas des chaînes de librairies,
Archambault, qui appartient à Quebecor, a la même attitude. Si on veut affaiblir
l’ensemble de l’industrie du livre, la meilleure façon, c’est de faire des ventes
comme celles-là. Même pour ces commerces, à long terme, ce n’est pas intéressant. Pourtant, c’est une pratique qui fait partie de leur philosophie.»
Au cours des dernières années,l’Association des libraires du Québec a traité plusieurs dossiers. On a entre autres travaillé à l’informatisation des librairies: une
première phase était réalisée en 2004-2005,puis une seconde en 2007.Les efforts
consacrés à ce dossier par l’ALQ pour permettre aux librairies de se munir d’un
système de gestion informatisée — elle a assumé toutes les démarches politiques
pour obtenir les fonds nécessaires — auront porté leurs fruits. Selon Katherine
Fafard, directrice adjointe de l’ALQ, 75 % des librairies québécoises se seraient
équipées d’un système de gestion informatisée, alors que seulement 60 % pouvaient s’en vanter en 2001.
LE LIBRAIRE
PORTE CONSEIL
Derrière toutes les actions de l’ALQ
se trouve généralement un objectif:
faire valoir le rôle de conseiller du
libraire auprès du grand public.On a
entre autres mis sur pied, au cours
des dernières années,un Programme
d’apprentissage en milieu de travail
(PAMT) visant une reconnaissance
professionnelle du métier de libraire
— les dix premiers libraires certifiés
le sont d’ailleurs depuis octobre
20083.
La question des prix coupés,parfois en deçà du prix coûtant,est un enjeu important dans la situation actuelle troublée par la crise économique. «Les librairies
indépendantes vont surtout être touchées par le ralentissement économique parce
que, en temps de crise, ceux qui pratiquent les guerres de prix, certaines chaînes
et les grandes surfaces, sont encore plus agressifs. Les librairies indépendantes
n’ayant pas les moyens d’assumer une guerre de prix, ce sont toujours, dans les
crises, les perdantes. Je ne pense pas que les librairies indépendantes vont disparaître demain matin, mais, en temps de crise, c’est sûr qu’on est les premiers
touchés.»
Cette question préoccupe aussi
l’Association des libraires du
Québec, dont la présidente, MarieHélène Vaugeois (Librairie Vaugeois,
Sillery) connaît bien toutes les
répercussions d’une telle pratique.
« C’est notre plus grosse menace
dans l’industrie, surtout chez les
librairies indépendantes. Parce
qu’une grosse part du marché qui,
avant,nous permettait de vivre relativement confortablement,c’étaient
les best-sellers. Aujourd’hui, c’est
presque disparu de nos chiffres d’affaires.Par exemple,la biographie de
Michael Jackson, je ne pensais pas
en vendre beaucoup, mais j’en ai
vendu encore moins que je le pensais ; probablement qu’il était en
super rabais ailleurs.Avant,ça aurait
pu être ma vache à lait du mois de
juillet. On sait que ce ne sera plus
comme ça. Il faut se démarquer
autrement. »
Un autre moyen a jusqu’ici été fort
efficace pour susciter une telle reconnaissance, tant auprès du public
qu’auprès des auteurs et des éditeurs:
le Prix des libraires,qui existe depuis
16 ans.Cette distinction est accordée
chaque année à une œuvre québécoise (assortie d’une bourse de
2000 $,offerte par le Conseil des arts LE FURETEUR, UN EXEMPLE D'UNE LIBRAIRIE INDÉPENDANTE ACCUEILLANTE
et des lettres du Québec) et à une
L E P L AT D E R É S I S TA N C E
œuvre étrangère, toutes deux choisies par des libraires. Selon l’ALQ, le Prix des
libraires aurait des retombées immédiates d’environ 3 000 exemplaires vendus
L’une des initiatives les plus originales — et sans doute la plus efficace jusqu’à
dans le mois suivant la remise du prix pour le lauréat québécois, et des éditeurs
présent — aura été la création du magazine Le Libraire.Le premier numéro,paru
seraient même forcés de prévoir la réimpression de certains ouvrages… Rien à
en novembre 1998, devait simplement souligner le 25e anniversaire de la libraivoir, bien sûr, avec la moyenne de 250000 exemplaires dont la vente est encourie Pantoute. Dans ses vingt-huit pages, on trouvait déjà des rubriques comme
ragée par le Goncourt mais, parmi les distinctions québécoises, il s’agirait d’une
Nos libraires craquent, les Coups de cœur, les nouveautés et les entrevues. Cette
exception: même le Prix du Gouverneur général aurait peu d’effet sur les ventes4.
Selon l’ALQ, cette différence marquée résulterait de la place stratégique qu’ocformule imaginée par le propriétaire de Pantoute, Denis LeBrun, a alors suscité
cupe le libraire dans la chaîne du livre: en plus de connaître toute l’offre littéraire,
de l’intérêt non seulement chez ses premiers lecteurs, mais aussi chez d’autres
il serait le mieux placé pour connaître les goûts des lecteurs…
libraires indépendants. Des pionniers, qui ont aussitôt remarqué le potentiel du
projet, soit les librairies Clément Morin (Trois-Rivières), Le Fureteur (SaintHAMEÇONNER LE CLIENT
Lambert) et Les Bouquinistes (Chicoutimi), se sont joints à Pantoute pour fonder ce qui est d’abord devenu un journal puis, à l’automne 2004, un magazine.
Pour Denis LeBrun, propriétaire de la librairie Pantoute (Québec), toutes ces
initiatives de promotion du métier de libraire — et bien plus — sont devenues
Denis LeBrun explique : « On s’est dit qu’il fallait absolument essayer de s’unir
nécessaires pour contrer la concurrence des grandes surfaces et de certaines
pour montrer ce qu’on est, montrer qu’on privilégie la qualité, le fond, la proxichaînes de librairies.Selon celui à qui l’on doit entre autres la naissance des magamité, le service — toutes des choses qu’on ne trouvera jamais dans une grande
zines Nuit Blanche et Le Libraire, le livre représenterait le plus souvent un appât
surface. Le Libraire fait partie de ça. On veut rappeler que chaque librairie a des
14 • lettres québécoises • hiver 2009
JEAN-FRANÇOIS CARON
fonds différents, ce qui garantit une certaine
forme de diversité culturelle et permet à plusieurs éditeurs québécois de vivre. Dans une
grande surface,il n’y a pas beaucoup de livres,
finalement. Il n’y a que les best-sellers qui
montent en piles… La littérature québécoise,
ce n’est pas que des best-sellers.Les librairies
indépendantes sont les dépositaires,en grande
partie,des livres québécois qui ne seraient pas
capables de survivre sans elles.»
dossier
motionnelle des LIQ, les Libraires indépendants du Québec.
Fruit d’une entente entre la revue Le Libraire
et l’ALQ,les LIQ regroupent 79 librairies indépendantes qui espèrent ainsi pouvoir compter sur la force du nombre et affirmer,dans un
sain esprit de compétition,ce qui les distingue
des chaînes expansionnistes et des grandes
surfaces. On met de l’avant certains outils de
promotion: des campagnes de publicité axées
sur la littérature québécoise, le site www.lelibraire.org, et plus récemment, soit depuis un
an, un nouveau site consacré uniquement à
la littérature québécoise, www.livrequebecois.com.
Aujourd’hui, selon la directrice du Libraire,
Hélène Simard,75 librairies seraient associées
au projet, dont la majorité est située au
Québec, mais avec tout de même quelques
dépositaires se trouvant au NouveauBrunswick et en Ontario. «On essaie de faire
la promotion de la littérature québécoise »,
Certaines librairies indépendantes ont aussi
affirme-t-elle.«Les libraires participants promis de l’avant des projets individuels, par
posent leurs propres livres, mais l’offre étant
exemple pour le commerce en ligne. C’est le
très grande,il s’agit souvent de livres édités en
cas de Pantoute qui a développé cinq sites
France ou de ce qu’on qualifie d’étranger au
spécialisés accessibles à partir de son site
LE LIBRAIRE, LE MAGAZINE DE 75 LIBRAIRIES ASSOCIÉES
sens très large. Notre équipe de rédaction
général. « Internet est là pour rester », statue
porte une attention particulière au choix de
Denis LeBrun.«C’est un instrument qui a ses
livres édités au Québec. On cherche à créer un équilibre pour bien représenter
dangers mais dont il faut savoir se servir. Il faut absolument que les librairies
l’édition québécoise qui, à notre avis, est aussi riche que l’édition française.»
soient capables de s’adapter à cette nouvelle réalité. » Pour l’instant, l’initiative
semble se situer plutôt au niveau de la recherche et du développement, mais
Avec un tirage moyen de 35000 exemplaires et une distribution non seulement
elle est aussi considérée comme un outil de promotion. « Franchement, je ne
dans toutes les librairies participantes, mais aussi dans toutes les bibliothèques
crois pas qu’il y ait beaucoup de librairies présentement,y compris la nôtre,qui
du Québec (plus de 700 en incluant les points de service),Le Libraire est sur une
fassent de l’argent avec les ventes par Internet.Ça n’empêche pas qu’il faut dévepente ascendante. Malgré la crise économique qui touche durement les médias
lopper ce secteur, qu’il faut être capable de se servir de cet outil-là qui va deveécrits, le magazine entretient des projets de développement révélateurs.
nir de plus en plus important avec le temps. » LeBrun note toutefois une évoL’organisation du Libraire prévoit à moyen terme augmenter sa fréquence de
lution imprévue de cette expérience : « Les gens qui vont en librairie vont
publication à huit numéros par année,contre six actuellement,et seulement quatre
continuer de le faire. Internet, bizarrement, nous amène plutôt une clientèle
lors de sa création. On espère aussi offrir bientôt une publication entièrement
internationale… »
en couleur,ce qui serait devenu une demande de plus en plus pressante du milieu
LE DANGER DE SUCCOMBER
(les annonceurs) et des lecteurs. Pour la directrice, cette évolution ne serait rien
de moins que nécessaire: «La production québécoise a beaucoup augmenté.Il y
Malgré toutes ces initiatives, sur toutes les lèvres se trouve la même inquiétude.
a beaucoup plus de livres qui sont publiés qu’il y a dix ans, et on ne parle pas d’il
La politique des prix coupés fait mal, très mal, et elle est à la source de certaines
y a vingt ans! À savoir s’il y a trop de livres ou s’ils sont tous bons, c’est un autre
dissensions au sein même des LIQ. Parce que la tentation est parfois forte pour
débat, mais il reste qu’il y a davantage de maisons d’édition, davantage de livres,
plusieurs libraires de jouer le jeu des grandes surfaces et de certaines chaînes de
et même si on essaie de couvrir exhaustivement tout ça, c’est impossible.»
librairies comme Archambault.Yves Guillet (Le Fureteur, Saint-Lambert) relève
une importante difficulté: «Certaines librairies indépendantes prônent les prix
L’efficacité du magazine, rassemblant des textes écrits à la fois par des libraires
coupés parce qu’elles sont aux prises dans leur région avec de grandes surfaces
(ce qui est la principale particularité de la revue),des journalistes et des auteurs,
comme Walmart, Costco et même Zellers, où les prix sont souvent coupés pour
semble faire l’unanimité auprès des personnes consultées. Sans doute ce succès
les best-sellers.Ça les incite à réduire eux aussi les prix pour contrer cette concurn’est-il pas étranger à la mise sur pied d’autres initiatives fondées sur le rapprorence plutôt que de maintenir une ligne de conduite ferme de prix réguliers. Il y
chement entre les librairies indépendantes.
a un catalogue de Noël qui est fait chaque année par les LIQ… Ce qui soulève des
L A FO R C E D U N O M B R E
débats.J’ai toujours soutenu qu’il faut être conséquent.Si on fait des représentations pour que des chaînes comme Archambault cessent
Au cours des dernières années, on a vu se former une
de réduire les prix de manière aussi agressive, ce qui est
nouvelle force dans le milieu de la vente au détail.Alors
permis grâce à son intégration verticale dans le réseau
que le mandat de l’Association des libraires du Québec
de Quebecor, de notre côté, il faut s’en abstenir.
Les librairies indépendantes
est plutôt de représenter ses membres auprès du gouAutrement, ça devient une position qui est indéfensont les dépositaires, en grande
vernement et des autres associations du milieu de la litdable.»
partie, des livres québécois qui
térature (qu’on pense entre autres à l’Union des écrine seraient pas capables de survaines et des écrivains du Québec, l’UNEQ, ou à
Tous les intervenants consultés s’entendent: la seule soluvivre sans elles.
l’Association nationale des éditeurs de livres du Québec,
tion possible serait une réglementation, que ce soit pour
l’ANEL), il fallait une autre organisation pour travailler
établir un prix unique, ou un prix plancher. « Dans les
à leur promotion. C’est ainsi qu’est née la bannière proannées 90, il y a eu un gros débat avec Lucien Bouchard,
lettres québécoises • hiver 2009 •
15
JEAN-FRANÇOIS CARON
dossier
les écrits
La doyenne des revues littéraires au Québec
Fondée en 1954 par Jean-Louis Gagnon, la revue Les écrits
– connue auparavant sous le titre Écrits du Canada français –
publie des textes inédits de nombreux écrivains
du Québec et de la francophonie.
n 126
o
LA LIBRAIRIE PANTOUTE DIRIGÉE PAR L’INFATIGABLE
ET DYNAMIQUE DENIS LEBRUN
le lucide,pendant un sommet sur la culture… Pour une fois,l’ensemble du milieu
du livre,y compris Archambault,s’était mis d’accord pour une réglementation des
prix.C’est Lucien Bouchard qui a répondu que c’était impossible en Amérique du
Nord. Pourtant, le Mexique, qui est aussi en Amérique du Nord, vient de se doter
d’une telle loi…»,relate Denis LeBrun.«On sait qu’il y a quelque chose qui va mal
dans la chaîne du livre.Quand les temps sont tranquilles,on se dit que tout le monde
s’en sort plus ou moins bien… Comme c’est souvent le cas avec les gouvernements,
il faudra qu’une véritable crise survienne pour qu’on réagisse. Il faudra peut-être
attendre que plusieurs librairies soient menacées de fermeture. Malgré toutes les
pressions qu’on fait, on sent que le gouvernement ne reçoit pas notre message.»
AOÛT 2009
Paul Chamberland
Paul Chanel Malenfant
François Charron
Tristan Malavoy-Racine
Roland Bourneuf
Alain Médam
Esther Croft
La même inquiétude tenaille la directrice de l’ALQ, Marie-Hélène Vaugeois :
«L’avenir des librairies est fragile. Il faut travailler très fort. S’il n’y avait plus de
librairies indépendantes au Québec,c’est toute la diversité littéraire qui n’existerait plus. C’est à l’avantage de tout le monde qu’elles survivent.»
Malgré des acquis de taille et des initiatives originales,voire inédites,malgré tous
les efforts fournis pour leur développement et tout l’espoir entretenu pour l’avenir, les libraires indépendants du Québec sentent la fragilité de leur situation.La
jungle marchande dans laquelle ils évoluent les oblige à faire preuve de beaucoup
d’imagination,mais les solutions élaborées ne semblent pas permettre de réduire
le déséquilibre des forces en présence.
On peut retenir son souffle et garder la tête hors de l’eau un certain temps. Mais
quand vient le remous…
En vente dans toutes les librairies. Le numéro : 10 $.
ABONNEMENT D’UN AN (TROIS NUMÉROS) :
RÉSIDENTS DU CANADA
INSTITUTIONS
RÉSIDENTS DE L’ÉTRANGER
25 $
35 $
35 $
NOM
NOTES
ADRESSE
1. Statistiques en bref, no 49, juin 2009, publié par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec, Institut de la statistique du Québec, Sainte-Foy, 23 p.
VILLE
CODE POSTAL
TÉLÉPHONE
2. Document corporatif intitulé Bref historique de l’Association des libraires du Québec.
3. Les 10 premiers libraires certifiés au Québec sont Daniel Dompierre (Le Fureteur), Mariejoe
Dubé-Roy (Librairie des Sommets), Joëlle Gagnon (Raffin), Natalie Gagnon (Coopsco SainteFoy), Laval Martel (Les Bouquinistes), Rina Olivieri (Olivieri), René Paquin (Clément Morin),
Manon Trépanier (Alire), Marie-Hélène Vaugeois (Vaugeois) et Sylvie Viau (Coopsco des
Laurentides).
4.Normand de Bellefeuille,récipiendaire du Prix du Gouverneur général en 2000 pour La marche
de l’aveugle sans son chien,n’aurait par exemple vendu qu’une centaine de livres après avoir reçu
cette distinction. Source: Les prix canadiens et québécois: un impact discutable, Jade Bérubé, La
Presse, 4 novembre 2007.
16 • lettres québécoises • hiver 2009
Ci-joint un chèque à l’ordre de Les écrits.
À retourner à l’adresse suivante :
les écrits
Case postale 87, Succursale Place du Parc
Montréal (Québec) H2X 4A3
Téléphone : (514) 499-2836
Télécopieur : (514) 499-9954
[email protected]
lettres québécoises • hiver 2009 •
17
roman
JOSÉE BONNEVILLE
1/2
stricte réalité; elle en accentue le plus
souvent le côté fantaisiste. Ainsi,
pour montrer à quel point sa vie de
mère l’a métamorphosée, elle affirme que, sans s’en rendre compte,
elle a déjà fourré une suce dans la
bouche d’un voisin d’avion pour le
faire taire et qu’elle a, par la suite,
envoyé réfléchir dans leur chambre
les agents de sécurité venus l’arrêter.
L’écriture est à l’avenant; vive et dynamique, elle fait appel à des métaphores loufoques et elle utilise abondamment le dialogue.Une chronique
est même écrite en alexandrins.
Caroline Allard, Les chroniques d’une mère indigne 2,
Sillery, Septentrion, coll. « Hamac-Carnets », 288 p., 19,95 $.
Une indignité
assumée
Les chroniques… est un livre délicieusement irrévérencieux
à mettre entre les mains de tous les parents au bord de la
crise de nerfs.
e succès des chroniques
ne s’est pas démenti
depuis que Caroline
[...] Caroline Allard raconte
Allard a commencé à les écrire
les petits riens qui constisur son blogue en mars 2006.
tuent « le quotidien qui tue »
Deux tomes ont été publiés à ce
jour. Le premier, paru en 2007, a
d’une mère de famille.
remporté le Grand Prix littéraire
Archambault 2008 et le second,
paru en 2009,s’était déjà vendu à
plus de 25 000 exemplaires quelques mois seulement après sa parution. Mieux
encore,le 9 mars 2009,Radio-Canada inaugurait une websérie adaptée des chroniques et mettant en vedette Marie-Hélène Thibault1.
L
Les chroniques du deuxième tome ne sont pas classées selon l’ordre chronologique propre à un blogue; elles sont regroupées en fonction d’un personnage (la
narratrice, Mère indigne ; ses deux filles, Bébé, puis Fille aînée ; sa sœur, Sœur
indigne; ses amis) ou d’un thème (le corps et le sexe). Certaines ont été radiodiffusées et d’autres sont inédites.
À l’instar du populaire sitcom américain Seinfeld,réalisé about nothing,Caroline
Allard raconte les petits riens qui constituent «le quotidien qui tue» (p.17) d’une
mère de famille. Ceux qui ont (ou ont eu) des enfants en bas âge revivront le
cauchemar de leur habillage en hiver,l’ennui d’avoir à leur lire 1425 fois la même
histoire qu’ils redemandent, la
frustration de ne pas pouvoir
prendre sa douche en paix,
l’embarras causé par les questions insistantes sur l’existence
du père Noël, sur la signification de termes à connotation
sexuelle ou sur la couleur orangée des dents du monsieur
assis juste à côté dans l’autobus.
COMMENT VIVRE
SES DRAMES
AV E C H U M O U R
CAROLINE ALLARD
18 • lettres québécoises • hiver 2009
Si quelques chroniques tombent à plat,la plupart font sourire et certaines sont même
très drôles,car Caroline Allard
ne s’en tient pas toujours à la
Les chroniques ont le mérite de désamorcer les inévitables drames de la vie familiale.L’épithète du titre met de l’avant
leur caractère iconoclaste et montre que Caroline Allard assume le fait de ne pas
être la mère parfaite que toutes les femmes voudraient être.Elle assume son humanité, donc ses limites. Elle en rajoute même, comme en fait foi, entre autres, la
scène où Mère indigne donne des bonbons à Bébé en crise,pour la faire taire,au
grand dam de son amie célibataire qui s’écrie que « ça n’a aucun sens » et qu’il
faut plutôt «lui apprendre à gérer ses colères» (p.187).Vraiment,Les Chroniques
sont l’antithèse de tous les livres pratiques sur l’éducation des enfants.L’antithèse
et… l’antidote.
1. www.radio-canada.ca/emissions/mere_indigne
1/2
Claude Jasmin, Le rire de Jésus, Saint-Sauveur, Marcel Broquet éditeur,
coll. « La mandragore », 2009, 264 p., 27,95 $.
Jésus en
son temps
Si le rire est le propre de l’homme, Dieu peut-il rire ? Et si
Jésus a ri, pendant sa vie, que faut-il en déduire par rapport
à sa divinité ?
e récit est constitué d’une vingtaine de rouleaux sur papyrus
trouvés à Poitiers et rédigés par
Aran, un riche commerçant qui y parle
de Jésus, son ami d’enfance. Il y relate
des épisodes connus de sa vie publique
(les noces de Cana, la lapidation de la
femme adultère, la résurrection de
Lazare, l’entrée triomphale de Jésus à
Jérusalem lors du dimanche des
Rameaux, son calvaire, sa résurrection,
etc.) ainsi que des épisodes de son
enfance et de son adolescence à
Nazareth. Ces derniers sont forcément
fictifs, puisque l’Histoire est quasi
L
JOSÉE BONNEVILLE
roman
CLAUDE JASMIN
muette là-dessus, mais ils ne sont pas gratuits dans la mesure où ils préfigurent souvent le destin de Jésus.
Aran fait aussi part de ses doutes.Qui est véritablement Jésus? Faut-il voir en lui
un blasphémateur, comme les Pharisiens, un fomenteur de troubles, comme les
Romains,un imposteur et un fumiste,comme les sceptiques,ou encore un simple
fou? La résurrection de Lazare l’ébranle, puis celle de Jésus lui-même dont il ne
sait s’il s’agit d’une rumeur ou de la vérité.Comment expliquer qu’après sa mort
Jésus continue de susciter des passions et de faire des adeptes qu’on appelle chrétiens? Que Paul de Tarse, foudroyé par une révélation sur le chemin de Damas,
soit devenu un fervent prêcheur de la «bonne nouvelle»?
U N R É C I T V I VA N T M A I S R E D O N D A N T
Le récit d’Aran recrée avec bonheur l’époque de Jésus,une époque trouble,dominée par les Romains auxquels s’opposent des groupes de rebelles. Le tableau est
vivant avec ses routes poussiéreuses, ses petites auberges et son marchand d’oiseaux ambulant.Jésus,très incarné,y apparaît avant tout comme un être humain
qui aime la danse et les gâteaux au miel, qui est capable de colères et de rires.
Le récit s’embourbe cependant dans de très nombreuses répétitions qui deviennent vite lassantes. Le prologue nous prévient que les rouleaux sont numérotés,
mais qu’ils ne respectent «aucune chronologie normale» (p.9),ce qui peut expliquer ces répétitions mais aucunement les justifier. Le narrateur, par exemple,
répète ad nauseam qu’il aime Jésus et qu’il souffre de la lâcheté dont il a fait preuve
en refusant de tout abandonner pour le suivre et surtout en ne l’aidant pas lors
de son procès. Mais marteler une émotion ne la fait pas ressentir au lecteur et je
n’ai vibré ni aux joies ni aux tourments du narrateur. L’écriture, par ailleurs, m’a
souvent agacée.Son caractère elliptique et syncopé ne justifie pas le relâchement
de la syntaxe. Une révision linguistique rigoureuse se serait imposée.
Qui est véritablement Jésus ?
Dans la mesure où le
récit ne respecte pas
Faut-il voir en lui un blasphémal’ordre chronologique, il
teur, comme les Pharisiens, un
aurait été, entre autres,
fomenteur de troubles, comme les
particulièrement imporRomains, un imposteur et un futant de soigner la concormiste, comme les sceptiques, ou
dance des temps et d’utiliser les adverbes de
encore un simple fou ?
temps d’une manière
adéquate.
lettres québécoises • hiver 2009 •
19
roman
ANDRÉ BROCHU
1/2
Monique Miville-Deschênes, Chavire,
Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles,
2009, 552 p., 34,95 $.
Le bout
du monde
Impressionnant, à plusieurs égards : un roman du pays, qui
est aussi un roman de la Terre. Mais l’étonnement vient
d’abord qu’il s’agit d’un premier roman, œuvre d’une « aînée ».
AMOUR ET MORT
L’amour entre Marita, femme du village, et Laurent Point du Jour, scientifique
haïtien mal vu des Chavirois, constitue le nœud de l’intrigue. Repli sur les traditions et ouverture à l’autre trouvent dans cette conjonction des cultures une occasion de rencontre explosive.La découverte d’un charnier rempli de nouveau-nés
et le meurtre d’un sympathique itinérant ami du village teindront d’une couleur
sombre les nombreux développements, que l’auteure introduit avec un art
consommé.Par ce côté très articulé du récit,Chavire renoue avec la tradition vive
du roman, hélas devenue bien rare.
Il n’y a pas que la dimension narrative. Une véritable poésie, d’autant plus percutante qu’elle reste mesurée, illumine plusieurs pages, alors que d’autres passages sont empreints d’humour.Voilà bien ce qui séduit dans ce livre: les extrêmes
s’y côtoient sans se nuire. Au contraire, ils se renforcent mutuellement pour
donner une image de la vie, du pays, du monde, à la fois étonnante et parfaitement convaincante.
iuseppe Tomasi di Lampedusa et Philippe Aubert de Gaspé père se sont
aussi illustrés par des coups d’essai tardifs et magistraux.Cela ne va pas
de soi.On a beau posséder la maturité psychologique,celle de l’écriture
peut faire défaut. Il se trouve que, dans Chavire, elle est là, éclatante (du moins,
dans l’ensemble), et s’allie à une rare science du récit.
G
PRIMITIF
ET MODERNE
Le village que nous décrit l’auteure se situe quelque part dans
le Bas-Saint-Laurent.On y pêche
l’anguille et on y mène la vie
propre aux régions. Un certain
primitivisme, accordé au
Québec rural d’autrefois (chanté
par Félix Leclerc,dont Monique
Miville-Deschênes fut la comMONIQUE MIVILLE-DESCHÊNES
pagne de tournée), imprègne
cette société qui vit un peu en retrait du monde.De là le côté pittoresque des gens
et des rapports qu’ils entretiennent.Un pittoresque qui n’a rien de superficiel.C’est
plutôt le fondamental, la profondeur humaine qui se dévoile à travers les caractères, magiquement dessinés, des différents protagonistes. Cette profondeur se
précise au contact des personnages avec la modernité, qu’ils accueillent de façon
complexe.
Au confluent de plusieurs courants idéologiques — nationalisme, écologisme,
modernisme, humanisme… —, le
roman nous présente un village dont la
charge d’humanité est confrontée à une
situation extrême, comme son nom le
suggère. Chavirer : telle est bien la perspective qui se dessine ici, et elle ne vaut
pas que pour une poignée de villageois,
mais pour le Québec lui-même et pour
une Terre qui, tout comme le SaintLaurent, est instillée de multiples poisons. C’est à désespérer de tout, et pourtant, le mince filet de l’espoir et de
l’amour suit son cours jusqu’au bout. Ce
qui pourrait être un livre désespéré et
désespérant maintient la chance de l’avenir, au nom d’un passé issu de la terre
profonde.
20 • lettres québécoises • hiver 2009
1/2
Alexandre Lazaridès, Adieu, vert paradis,
Montréal, VLB éditeur, 2009, 368 p., 27,95 $.
Les poisons
de l’enfance
Le lecteur est prévenu d’emblée : l’enfance qu’on va lui raconter est, comme toute enfance peut-être, une époque particulièrement éprouvante de la vie.
D
e «vert paradis1 », comme disait Baudelaire dont le titre s’inspire, il n’y
a que l’illusion, vite dissipée. Tel est le cas, du moins, pour le personnage-narrateur de ce remarquable roman.
Le nom du personnage est passé sous silence, de même que ceux de son entourage — père, mère, frère aîné — et de son pays natal (Égypte ?), ou encore du
Québec (?) où,adulte,il s’installe.Les désignations sont abstraites: «le père»,«la
mère»… et surtout «l’enfant», mot par lequel se désigne le narrateur qui rapporte ses faits et gestes à la troisième personne. En fait, le Je apparaît dans une série
d’« intermèdes » de plus en plus étoffés qui
nous rapprochent du présent et où le narrateur se confie à un ami, « frère retrouvé »
(p. 357), à qui le récit (parlé) est adressé. La
composition du roman,avec sa double structure qui entrelace les évocations d’enfance et
les réflexions de la vie adulte, renforçant les
unes par les autres, est d’une habileté étonnante, surtout pour un ouvrage qui, tout
comme celui de Monique Miville-Deschênes,
est un tardif premier roman.
L E S S E C R E T S D E FA M I L L E
C’est autour de la mère que s’organise la vie
familiale,alors que l’histoire,dans ses aspects
roman
ANDRÉ BROCHU
terribles,a plutôt pour centre le père.La mère est une femme
intelligente et belle que la vie a rendue passablement hystérique,ce qui complique ses relations avec ses enfants.Quant
à son mari,dont la nature ne se dévoilera que peu à peu au
cours des centaines de pages du livre, il est un monstre
d’égoïsme et,bien plus encore,un violeur en série dont l’une
des victimes aura été la mère,épousée à 16 ans pour cacher
son déshonneur.Ici,je l’avoue,le lecteur tique un peu,car on
s’étonne que l’abominable homme n’ait pas été, au cours
de sa vie, inquiété par la police ou par l’une ou l’autre des
nombreuses familles où il a apporté la flétrissure.
privilégié de ceux qui l’entourent. Il lui faudra toute une
vie,ou presque,pour comprendre ce qui l’aura dévasté et
privé des joies les plus spontanées de l’existence.
Le tour de force de l’auteur est de nous maintenir pendant plusieurs centaines de pages dans un même petit
cercle de personnes et d’actions et d’en approfondir ou
clarifier incessamment la vérité. On croit retrouver le
roman d’analyse d’antan,avec une puissance accrue.Très
articulée,lisse,toujours maîtrisée,l’écriture nous entraîne
impeccablement dans les fosses de l’horreur familiale.Au
terme de cette équipée, qui nous aura fait connaître des
personnages complexes et dignes d’attachement — sauf
le père ! —, une sorte de salut s’indique à travers la
musique et l’écriture.Mais le style,toujours raffiné,nous
aura déjà procuré cette respiration.
U N R O M A N D ’ A N A LY S E
Mais le roman n’a rien d’un polar et constitue avant tout
une fiction intimiste qui nous fait pénétrer dans l’univers
extraordinairement chargé de sensibilité d’un enfant
condamné à vivre en lui-même tout en devenant le témoin
ALEXANDRE LAZARIDÈS
1. Charles Baudelaire, « Moesta et Errabunda », Les fleurs du mal.
grand-père de la jeune femme.
Après quelque temps, Eugène
se demande s’il ne doit pas
remettre l’objet à l’État italien,
mais il hésite à le faire, à cause
des liens personnels qui se tissent entre le masque,lui-même
et son entourage. Curieusement, tous ceux qui jouent un
rôle important dans sa vie présentent tôt ou tard des ressemblances troublantes avec la
figure miraculeusement conservée. La ressemblance apparaît peu à peu comme la loi
même du vivant.
1/2
Louis Jolicœur, Le masque étrusque, Québec,
L’instant même, 2009, 174 p., 22 $.
Ressemblance
et beauté
Après Le jugement de Hans-Jürgen Greif (2008), voici, de
nouveau par un professeur de l’Université Laval et chez le
même éditeur, un autre roman qu’on peut qualifier d’érudit.
D
eux hirondelles font le printemps — du moins, espérons-le ! Car ce
sous-genre, qui réconcilie narration et savoir, manque à nos lettres.
Et le roman érudit, même quand il concède beaucoup au savoir, sait se rattraper
du côté de l’intrigue. Tel est le cas, du moins, du vif récit que nous sert Louis
Jolicœur. Sans doute, je le précise tout de suite, n’y trouvons-nous pas la profondeur d’un grand roman, le côté ludique l’emportant sur l’exploitation des perspectives les plus graves du sujet. Mais on
éprouve beaucoup de plaisir à suivre les personnages dans
leurs démêlés avec le destin, représenté sous les traits d’un
masque étrusque auréolé de mystère et d’ambiguïtés.
À VIE DONNÉE, DON DE BEAUTÉ
Ce masque, Eugène se l’est fait offrir par Marinella, une
Sicilienne à qui il a sauvé la vie.Nous sommes en l943,Eugène
est un médecin de l’armée canadienne en Italie et il est ainsi
mis en rapport avec la jeune campagnarde qui est gravement blessée. Elle le récompense en lui donnant l’unique trésor familial. Installé à Naples après la guerre, Eugène s’interroge sur cet objet apparemment d’une haute antiquité, qui
se serait trouvé on ne sait trop comment en possession du
LOUIS JOLICŒUR
ESTHÉTIQUE
DE LA COPIE
Tout se passe, en effet, comme si les humains, malgré leurs différences, étaient
plus ou moins des copies les uns des autres, et tel est bien le cas de Théo, le fils
d’Eugène, qui remplace son père comme personnage principal vers le milieu du
roman. C’est lui qui doit maintenant affronter l’énigme du masque et approfondir la question du maléfice qui lui serait rattaché ou, encore,
décider de le rendre à l’État italien.
Comme personnage, Théo ressemble beaucoup à son père,
affronte les mêmes problèmes,est un consommateur effréné
de beautés,ce qui lui permet de glisser sur la vie sans être victime des maléfices censément attachés au masque.On s’achemine ainsi vers une conclusion où il s’avère que le fameux
masque est une copie,non pas un faux certes mais un ouvrage
commandé par une instance prestigieuse, et donc, après que
tous les personnages importants se sont révélés des copies du
masque, celui-ci devient lui-même copie. On voit la part du
jeu,essentielle,dans ce récit très bien écrit,bien structuré sur
le plan narratif, au charme quasi stendhalien, mais qui évacue tout de même cette substance sans laquelle l’énigme de
la vie n’est jamais qu’effleurée.
lettres québécoises • hiver 2009 •
21
roman
HUGUES CORRIVEAU
1/2
Gérard Bouchard, Uashat, Montréal,
Boréal, 2009, 328 p., 25,95 $.
Chez les
Montagnais
Journal souvent vide.
e n’ai pas pu vraiment adhérer au dernier roman Uashat du sociologue
Gérard Bouchard, et ce, pour de multiples raisons. La première étant
sans contredit le style que l’auteur prête à son narrateur.Il nous demande
de le suivre lors d’un stage que lui a proposé son professeur de sociologie de
l’Université Laval parmi les Indiens qui vivent tout près de Sept-Îles.Même dans
les années 50, je ne peux imaginer qu’un universitaire ait une manière d’écrire
aussi primaire, se livre à des
réflexions aussi infantiles,s’attarde à des surprises aussi
niaises que celles qu’il nous
impose. De plus, le ton hésite
constamment entre le rapport
sociologique et le journal intime (qui parfois aurait mieux
fait de le rester). Sans compter
que Florent Moisan, un rouquin asthmatique et timide,ne
nous épargne rien,surtout pas
de nous rapporter toutes les
fois où il va se coucher, où il
essaie de lire, où il mange, où
il marche,où il va ajouter quelque élément à son enquête.
Bref,la linéarité chronologique
pèse ici de tout son poids et les
éléments retenus par le narraGÉRARD BOUCHARD
teur se révèlent souvent d’une
rare insignifiance.
rien cette naïveté primaire, cette manière de présenter la vie quotidienne difficile des Montagnais sous la loupe d’un ignorant.
LA RECTITUDE DE LA PENSÉE
Il y a aussi une thèse sous-jacente à ce roman, à savoir faire prendre conscience
aux Blancs de leur culpabilité face au délitement d’une grande nation. Le journal propose aussi un parallèle entre la situation des Canadiens français de l’époque
et celle des autochtones.C’est gros, car toute misère peut, par certains côtés, ressembler à une autre,mais une situation dramatique pour un peuple n’est pas toujours assimilable à celle d’un autre. Bref, lourdement écrit, ce récit s’enlise dans
la démonstration et ne réussit jamais à vraiment créer la vie qu’il prétend
dépeindre.
J
U N É TO N N E M E N T A P P U Y É
Puis-je dire également que beaucoup
d’anecdotes rapportées dans le journal
de Florent ne servent ni l’histoire ni à
éclairer vraiment l’Histoire.Ainsi, je ne
peux m’imaginer qu’en 1954 on ne
savait pas qu’il est très difficile de survivre en forêt en hiver, que les Indiennes devaient accoucher de façon
précaire durant les longues transhumances, que la nourriture se faisait
parfois rare. Or, l’auteur nous présente
cela comme des découvertes absolument stupéfiantes comme si les récits
de la colonisation et ceux des missionnaires n’existaient pas. Le fait que le
jeune Moisan ait vingt ans n’excuse en
22 • lettres québécoises • hiver 2009
François Désalliers, Les géants anonymes, Montréal,
Québec Amérique, coll. « Littérature d’Amérique »,
2009, 264 p., 22,95 $.
Terne vie
de banlieue
Autour de deux crises.
auvais roman aussi que celui
de François Désalliers qui
met en scène deux hommes
fadasses,pathétiques d’insignifiance et
empêtrés dans les tergiversations.L’un,
écrivain en panne d’inspiration et
ancien vendeur d’assurances ; l’autre,
un divorcé rancunier, vindicatif, et
alcoolique,perdant récalcitrant et troublé mentalement. Il suffit d’un seul
week-end à l’auteur pour nous raconFRANÇOIS DÉSALLIERS
ter comment, d’une part, le premier va
tromper sa femme avec une fumeuse
(quelle infamie!) et,d’autre part,comment l’autre va chercher une carabine pour
tuer les corneilles, mais va tuer bien autre chose, on le devine.
M
CAROLE, MON AMOUR
Après une beuverie mémorable, notre écrivain va rencontrer une voisine, mère
célibataire d’une petite fille adorable. Elle est pauvre. Elle ne peut pas vraiment
se laver les cheveux faute de shampoing. Notre Roméo va lui en apporter un flacon en pleine nuit, la doucher, lui faire l’amour, et l’avoir dans la peau, comme
on dit. Remords et grincements de dents, questions à n’en plus finir qui tournent autour de «je quitte ma femme pour l’autre qui travaille dans un resto, ou
je reste avec elle et mes trois adorables ados». Pas neuf, neuf, le propos.
S A N S P R O FO N D E U R
Quant au divorcé atrabilaire, il ne sait pas qu’il faut un permis pour acheter une
carabine.Se souvient qu’il y en a une dans le chalet de son grand-père.Il s’y rend,
achète une ou deux caisses de bières et se sent obligé de les boire pour s’amuser
roman
HUGUES CORRIVEAU
à les faire éclater au tir.Il se dit comme cela
que ce serait amusant d’aller chercher ses
deux petits enfants pour leur apprendre à
tirer. Il va chez son ex, et le pire arrive
comme il se doit. Mais il a connu aussi la
Carole qui manquait de shampoing. Elle a
une petite fille adorable, on s’en souvient.
Il décide, puisqu’il a tué sa progéniture,
d’aller chercher l’enfant qui remplacera
bien un peu ceux qu’il vient de perdre. Il
pourrait lui apprendre à tirer de la carabine.
Il se présente chez Carole en pleine nuit.
Une grosse voisine aimable,Gemma,le voit,
avec sa carabine bien sûr, et lui plante une
paire de ciseaux dans le dos (ciseaux qui
appartiennent en fait à la femme de l’écrivain qui se trouve à être au lit, au même moment, avec notre Carole) et crie,
assénant le coup: «— Suzy! Lève-toi! Sauve-toi! C’est Hadès! Le dieu des Enfers!
Il veut t’enlever sur son chariot d’or!» (p.250) La vraisemblance prend ici un coup
de froid. S’attarder à la propriétaire de la paire de ciseaux n’ayant pas grand
intérêt,nous passerons outre.Or,notre écrivain va défendre Carole,recevoir une
balle en pleine main (symbole, symbole!…) et le meurtrier de se tirer une balle
dans la tête avant de mourir des souffrances que lui cause la paire de ciseaux
(on me suit?) dans le dos. Fin du roman. Le gros alcoolique est mort, l’écrivain
est seul, abandonné par sa femme et sa Carole. C’est bien triste.Ah oui! Le gros
a jeté la Gemma dans l’escalier qui est morte le cou cassé, ce qui a fait beaucoup
de peine à la petite fille adorable!
Reine-Aimée Côté, L’échappée des dieux,
Montréal, VLB éditeur, coll. « Fictions », 2009, 144 p., 19,95 $.
Boursouflure
stylistique
pleine campagne et, bucoliques, ils poétisent leur vie. Quand il faut ramasser du
bois,pourquoi le décrire simplement quand on a en réserve des trésors de beauté:
Louis nettoie le sous-bois pour que chaque petite branche susceptible
d’alimenter un feu se retrouve avec ses sœurs et surtout qu’on ne soit pas
aux prises avec la tristesse de ceux qui cherchent désespérément de quoi
se réchauffer. (p. 17)
On peut pleurer,c’est consternant jusqu’à l’os.Tout sera prétexte pour se gratter le
bobo,déchirée qu’elle sera entre sa vie sur scène et les scènes champêtres qui l’empêtrent dans la dissolution la plus clichée. Or, Morel, son metteur en scène, qui
semble avoir été le seul dans toute sa carrière,revient,lui propose un rôle,un retour.
Deus ex machina, tempête dans l’âme écorchée de l’amoureuse paumée.
E T Ç A R AT I O C I N E À T O U S L E S V E N T S
Question creuse s’il en est une,voici que Lisa s’interroge: «Comment fait le silence
pour oublier et même se départir du malin?» (p. 33) Ah! Mais là! Y a de quoi se
gratter le coco! Comme si cela ne suffisait pas, voilà que notre narratrice, qui a
quarante ans, devient enceinte de jumelles. Le retour à la carrière devient plus
problématique. Mais l’auteure a une si haute idée du rôle de mère qu’elle beurre
un peu épais:
La maternité serait un don en suspension. Accrochée en vol de lumière,
funambule du manque. Je fabrique des souliers de ballerine et des costumes ailés à ce qui n’existe pas encore. Est-ce que cette attente serait une
élégie ? Une longue plainte du silence ? Une rupture avec le vide ? Mon
ventre est un pont entre mon ancienne vie et le grand bouleversement,
une prise de chasseresse qui consent à tous les pièges, à tous les remous.
(p. 43)
Bien sûr,elle va choisir son rôle de maman.Comment s’en surprendre? C’est aussi
parfois mal écrit. Comme je le disais, elle aura des jumelles, et elle se demande:
« Comment nous avons fait pour fabriquer cette multiplicité [?] » (p. 51) ; et
déclare: «Je couve une pluralité»! (p. 52)
L A N A R R AT R I C E É C R I T
Or,la narratrice,pour pallier le manque de sensations scéniques,s’adonne à l’écriture. Elle explique ainsi sobrement son travail:
Ou l’art de tuer un roman dans la poutine.
avais, ici même, louangé le premier roman de Reine-Aimée Côté,
Les bruits, qui avait remporté le
prix Robert-Cliche 2004, et j’avais écrit
qu’elle était sur la voie de l’écriture. Hélas !
J’avais tort, puisque c’est justement l’écriture qui tue implacablement ce mauvais
roman à thèse.Tout le discours,tous les prétextes narratifs veulent ici prouver une seule
chose, à savoir « qu’un métier ne remplace
pas une famille » (p. 100).
J’
ET QUE JE TE FAIS DES BÉBÉS
Lisa fut actrice.Elle a abandonné sa carrière
(ou la carrière l’a abandonnée, ce n’est pas
très clair). Elle rencontre un homme des
bois, Louis. Ils s’exilent près d’un lac, en
Devant la fenêtre de la salle à manger, j’écris une page moirée qui parle
de personnages aux ailes d’embruns. Je les laisse incuber jusqu’à leur
propre finitude.Incrédule et détachée,je recouds des points de croix.Une
sorte de potion filtrée [sic,sans doute faut-il entendre ici plutôt le philtre
magique… mais bon…]. (p. 78)
Des frissons me traversent la nuque. Or, il y a pire. Est-ce possible? Si! Car RoseAimée Côté va nous donner des extraits de la dernière pièce de théâtre du Morel,
chef-d’œuvre absolu,triomphe de première.On y voit un père incestueux sur le point
de mourir qui demande à sa fille victime de venir le rencontrer afin de lui pardonner.Le sujet est déjà mauvais,mais les scènes qu’on doit subir sont effroyables:
Ne m’appelle plus ta fille. Je ne l’ai jamais été. Ta femme, ta putain, tout
ce que tu veux, mais pas ta fille. On ne fait pas ces choses à un enfant
pour assouvir sa soif de sexe! Une soif à tout prix. Une soif de quelque
chose de puant, de tacher de boue, d’alcool, de jeune sang. (p. 104)
Cessons le massacre. Rarement ai-je lu quelque chose de plus amphigourique, de
plus désincarné.Ce roman prétexte à faire passer un message sur la mère heureuse
à la maison, avec les oiseaux qui gazouillent, est parfaitement imbuvable.
lettres québécoises • hiver 2009 •
23
roman
JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU
Victor-Lévy Beaulieu, L’héritage, Notre-Dame-des-Neiges,
Éditions Trois-Pistoles, 2009, 840 p., 65 $.
L’héritage ou la
famille éclatée
Traverser Barcelone, c’est croiser Gaudí, La Pedrera, l’inachevée Sagrada Familia et d’autres de ses œuvres. Sillonner
notre patrimoine littéraire, c’est inéluctablement rencontrer
Victor-Lévy Beaulieu dont L’héritage est un monument, une
« cathédrale » dont l’écrivain vient de terminer l’échafaudage.
ernier grand téléroman d’auteur,L’héritage est passé du petit écran à la
littérature, une transformation sans modèle car, jusque-là, c’est la littérature qui traversait ce miroir de notre société — je pense au
Survenant, à Un homme et son péché et aux Plouffe. Un premier tome,
« L’automne », paraît chez Stanké en 1987 et le second, « L’hiver », sort en 1991.
Suit, en 1993, Les gens du fleuve, cette anthologie que prépare Philippe Couture
tout au long du roman. Mais L’héritage n’était pas encore arrivé dans ses grosseurs de fiction narrative,ce à quoi l’écrivain a travaillé jusqu’à publier cette année
une version définitive de cette saga.
D
LE CLAN GALARNEAU
Telles ces immenses fresques peintes autrefois, L’héritage met en scène, à divers
niveaux de profondeur picturale et en
jouant de trompe-l’œil,des groupes de personnages qui gravitent autour de la famille
Galarneau, Xavier en étant le point d’ancrage.Véritable chef de clan, le pater familias arrive à l’âge de passer la main. Or, la
tradition chez les Galarneau veut que ce soit
au fils aîné que cela revienne, mais Miville
n’est pas de la trempe du père,rappelant en
cela Amable,le fils de Didace Beauchemin,
le patriarche du Survenant.Il y a aussi que,
depuis sa naissance,Miville contrarie sans
arrêt Xavier, lequel lui impose la Loi plus
durement qu’à Julie ou Junior.
Il y a une quatrième enfant chez les Galarneau, Miriam, dont le départ de la
maison du deuxième rang a semé la zizanie chez les siens.Xavier n’a plus jamais
été le même; Virginie, la mère, s’est littéralement claquemurée dans sa chambre
et sa tête est devenue son lieu d’enfermement; et les autres enfants ont imaginé
le scénario qui leur convenait pour expliquer l’exode de leur sœur. Épée de
Damoclès au-dessus des Galarneau, la véritable raison du départ de Miriam a
pourri l’atmosphère familiale, car avoir un enfant de son père n’est jamais sans
conséquence.
Ailleurs sur la fresque imaginée par VLB,on trouve Gabriel Galarneau,l’hommecheval qui vit dans l’univers qu’il s’est créé,version onirique de l’époque où Xavier
était un grand homme de cheval.Il y a aussi Albertine,princesse malécite épouse
de Gabriel, qui rêve sa vie à travers les pages des grands auteurs, ce à quoi elle
24 • lettres québécoises • hiver 2009
V I CTO R- L É V Y B E AU L I E U
parvient presque en rencontrant Philippe Couture, le patron montréalais de sa
fille Stéphanie et de sa nièce Miriam.
L’ E S S E N C E D U D É TA I L
En observant l’ensemble du tableau peint par le romancier, je constate l’importance de chaque détail, chacun teintant un coin de l’œuvre d’une nuance indispensable à l’harmonie générale. Et cela, autant du côté des personnages que de
la trame, jusqu’aux rebondissements souvent imprévus. Ce qui lie entre eux
chacun des niveaux du récit, comme ces petites histoires qui se déroulent ici et
là entre quelques personnages,c’est l’originalité de leur discours respectif.Xavier
appuie ses paroles sur des passages de la Bible et sur le poids de la tradition familiale ; Julie, sur une forme d’altruisme doux et candide ; Junior, sur un registre
libertaire semblable à celui de son père, mais sans le poids des us et coutumes.
Quant à Philippe et Albertine,leur discours repose sur la vague des émotions que
leur inspire celui des poètes québécois.
Jamais œuvre de Beaulieu n’a atteint un tel niveau d’intransigeance émotionnelle
de la part des personnages — une véritable cascade de huis clos —, et de telles
qualités poétiques. Dans les moments les plus intenses de douceur ou de colère,
nous avons l’impression que la vélocité des mots utilisés gonfle la voile des
émotions qu’ils expriment.Ainsi,la répétition de mots ou de locutions,une technique qu’affectionne l’auteur, résonne ici comme la juxtaposition de diverses
incantations, leur conférant un aspect mélodique.
UNE FICTION ACHEVÉE
Qu’apporte l’édition définitive de L’héritage? D’abord, une réorganisation complète de la matière du récit,ce qui lui confère un tout autre rythme.J’oserais dire
que VLB a soufflé sur les feuilles du manuscrit pour leur communiquer la fraîcheur de sa sérénité actuelle. Puis, il y a ces cent cinquante pages inédites qui
racontent une nouvelle saison dans la vie des Galarneau, le printemps. Ce sera
l’occasion pour Xavier, sauvé in extremis du suicide, de faire porter l’odieux de
son geste à toute sa famille en inventant de nouvelles tracasseries et en y exposant sa maisonnée.Machiavélique est le vieux tyran à tel point que la veulerie de
Miville et la fougue de Junior en sont exacerbées, ce dernier évoquant le «grand
dieu des routes» de Germaine Guèvremont.
De tous les romans que Victor-Lévy Beaulieu a écrits à ce jour, L’héritage est de
loin sa fiction la plus achevée autant au plan de la saga qu’il y raconte et de la galerie de personnages qu’il y a installés,que de la richesse et du flamboyant de cette
langue sienne sur laquelle tout repose. Depuis la parution en 2005 de Je m’ennuie de Michèle Viroly,l’écrivain a publié près d’une dizaine de livres,soit au delà
de 5 000 pages : un chef-d’œuvrage titanesque semblable à celui accompli par
Victor Hugo.
roman
JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU
Victor-Lévy Beaulieu, Bibi, Notre-Dame-des-Neiges,
Éditions Trois-Pistoles, 2009, 600 p., 39,95 $.
Bibi : des deux
côtés du miroir
L’intention d’un écrivain de 28 ans, qui a déjà publié une
dizaine d’ouvrages, d’écrire sur Melville ou de s’attaquer à
« La vraie saga des Beauchemin » a fait croire à la mégalomanie. Mais c’était plutôt le projet de construire une œuvre
littéraire hors du commun québécois.
lors que paraît Bibi, je me demande comment
Victor-Lévy Beaulieu va surprendre ses lecteurs.
Réinventer le roman ? C’est là une drôle d’idée
à laquelle l’écrivain et éditeur s’est pourtant adonné.
D’abord, il a créé deux espaces temporels, un présent réel
et un passé imparfait, et les a fait alterner. Puis, il a adapté
les balises de la ponctuation à son intention narrative : il
joue ainsi des parenthèses ouvrantes, du point, de la virgule, des deux points et du tiret demi-cadratin (–) pour
mener le ton du récit dans ses grosseurs, du murmure au
cri, de l’intimité à la vie publique.
A
L A F I L I AT I O N D E B I B I
Bibi porte le label «Mémoires»,suggérant que le récit s’inspire de la vie de l’auteur,ce qui a souvent été le cas dans ses
romans et ses essais. Bibi, c’est Abel Beauchemin de Race
de monde,dit Bibi-la-gomme,qui est aussi au cœur d’autres
œuvres.Il est le premier de la lignée de tous ces personnages
logeant entre la réalité et la fiction beaulieusiennes. Qu’at-il donc de si important à raconter ? Dans les chapitres
impairs, il relate la mouvance de son passé. Dans les chapitres pairs, nous l’accompagnons dans les derniers kilomètres d’un périple à travers le monde qui
sera l’occasion de faire le bilan de sa carrière et de ses engagements, et d’observer sur place l’état actuel du continent africain.
D’HIER…
Pour Bibi, la vie familiale est un calvaire: «je dois m’en aller, j’ai plus rien à faire
avec eux, il est temps que je déguédine, je suis en train de m’enfermer comme
franz kafka dans l’exclusion… » (p. 39) Il s’ennuie aussi du « lointain pays de
saint-jean-de-dieu, tout au bout du rang rallonge, là où il y a cette fondrière près
des écores de la Boisbouscache» (p. 67).
Le jeune homme occupe ses temps libres aux «gros romans en train de s’écrire
[qui] font eau de toutes parts… en cinq ans, j’en ai mis une quinzaine au monde,
aussi inachevés que l’image que j’ai de mes frères et de mes sœurs» (p. 43). Il fréquente aussi l’arrière-boutique de Victor Téoli qui lui fait découvrir Kafka et Artaud
et lui sert une leçon qu’il n’oubliera pas: «Pour écrire, il faut que tu saches voir et
entendre.» (p. 52) Un soir, «pour la première fois, une jeune femme a assisté aux
racontements de victor téoli: elle s’appelle judith… [elle] a surtout de grands et
étranges yeux violets qui,une fois vrillés dans les tiens,ne les lâchent plus» (p.56).
Mais la veine noire du destin s’en prend à lui: atteint du virus de la poliomyélite,
le voilà dans le coma pour treize jours suivis d’un séjour à l’Hôpital Pasteur.Il en
ressort avec une conviction profonde:
je serai cet écrivain qui fera venir les grandes crues, les inondations, les
orages cosmiques et le tonnerre et la foudre qui fendra en deux les grosses
épinettes noires, les maisons et les églises et tous ces hommes et toutes
ces femmes veules qui s’accrochent au passé pour ne pas avoir à se libérer de la fin du monde qui ferait enfin d’un petit peuple une grande
nation goûtant voracement aux plaisirs de toutes les libertés et de tous
les dérèglements, raisonnables ou pas. (p. 306)
Un jour, on lui parle d’un concours littéraire organisé par Larousse et Hachette;
il s’agit de présenter une quinzaine de pages portant « sur le thème de la Terre
des hommes, des droits et des libertés. Le gagnant aura droit à un séjour de six
mois en France, toutes dépenses payées» (p. 349). Il y participe en écrivant sur
Victor Hugo — rappelant Pour saluer Victor Hugo,le premier essai de VLB —,le
remporte et part pour Paris.
Là-bas, il «habite sous les combles une chambre de l’hôtel
du panthéon », à deux pas d’où repose Victor Hugo. Il
«baguenaude» dans la ville où il rencontre Abé Abebé, un
Noir qui a les yeux « si grands qu’on pourrait se noyer
dedans et aussi violets que le sont ceux de judith». Ce dernier lui apprend ce qu’est l’Afrique d’aujourd’hui et pourquoi ses compatriotes ont cru à la supériorité des Blancs
jusqu’à ce que «les Nègres [aient] compris qu’ils n’étaient
pas inférieurs aux Blancs… Les révolutions, c’est là que ça
a commencé» (p. 515). Leur rapprochement est de courte
durée et, comme il est advenu avec Judith lors de leur première relation, Bibi sodomise Abé, celui-ci affirmant: «Tu
meurs d’envie de sodomiser un Nègre.» (p. 528) Le rideau
tombe lorsque Judith surgit au milieu de leurs ébats.
… À AUJOURD’HUI
25 août 2006,Bibi séjourne à Libreville.C’est là qu’il se rappelle son existence depuis son séjour à Paris:
j’ai fait de ma vie celle d’un coureur de marathon, jamais
dormi plus de quatre heures par nuit et travaillé pas moins de quinze
heures tous les jours et bu quotidiennement un gros fiasque de whisky…
j’ai abusé de tout ce qui contribue à vous éloigner de la pensée de la mort
parce que la maladie me l’a fait connaître par le côté inguérissable puissamment lové dans les muscles et les os — soixante-quinze ouvrages en
sont venus pour juguler la mort et conjurer la folie par la folie —… ce
kebek de toutes mes passions, ce kebek de mes seules passions, ce kebek
épuisant, mais ce kebek que je n’ai jamais pu abandonner: si je l’avais
fait c’est moi-même que j’aurais abandonné, c’est ma rage que j’aurais
trahie, c’est même ma mort à venir que j’aurais rendue honteuse —
(p. 29)
Il s’intéresse aussi à ce qui a mené l’Afrique dans l’état pitoyable où elle se trouve
au XXIe siècle:
ces bains de sang d’aujourd’hui entre frères africains, rien d’autre que la
conséquence du trafic des esclaves, du mauvais découpage des frontières
qui lui ont succédé,espagnols,français,britanniques,allemands et belges
forçant des races,des peuples et des nations à s’amalgamer à d’autres races,
peuples et nations de coutumes et de religions différentes voire opposées
— odieux sont tous les colonialismes!)))) — (p. 154)
lettres québécoises • hiver 2009 •
25
JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU
C’est au Gabon qu’il rencontre Calixthe Béyala qui lui fait comprendre l’âme africaine. Il resterait bien auprès d’elle, mais Judith en décide autrement et il prend
l’avion pour Addis-Abeba. Ses jongleries sur le sort du continent noir l’amènent
à s’interroger: «peut-on croire vraiment qu’un jour il y aura là du bonheur,humain
ce bonheur,simplement humain,ce bonheur?» (p.397) Arrivé en Éthiopie,Judith
est déjà passée à l’hôtel,lui laissant un message qui l’enjoint de se rendre dans la
vallée de l’Omo.Là-bas,il est surpris de retrouver Abé Abebé,ce Noir qu’il a connu
à Paris.
roman
déchiffrer les signes semés sur les chemins qu’elle lui a fait traverser, de n’avoir
jamais aimé que ses yeux violets et de n’avoir été qu’égoïste. Après avoir obligé
Bibi à l’embrasser — «ce dégoût de ma langue, cette odeur de ce qui se décompose avant même que ne survienne la mort, le pire de tout, l’au-delà du pire de
tout» (p. 590) —, elle lui remet un «petit coffret de bois de santal» renfermant
«coulés dans le verre,les deux grands yeux violets de judith [qui] me regardent…
fixement, amoureux, haineux, hostiles, horrifiants!» (p. 591-592)
R É T R O S P E C T I V E E T FA N TA S M A G O R I E
PA S S É E T P R É S E N T R É U N I S
Le neuvième et dernier chapitre est sous le signe du passé et du présent.Abé et
Bibi se rappellent leur rencontre parisienne; pour l’Africain,Bibi représentait une
chance de se sortir de sa condition d’homme noir; pour l’écrivain, Abé figurait
la peur qu’il avait des gens de couleur depuis son enfance.
C’est en sa compagnie que Bibi se rend dans la vallée de l’Omo où il traverse ce
qui ressemble à un purgatoire aux allures de rite initiatique. Il reconnaît entre
autres ses erreurs par-devers tous les Noirs de la terre et son ignorance des cultures africaines. Quand il aperçoit ces hommes, ces femmes et ces enfants aux
corps si hautement colorés,il «croirait voir un riopelle,un pellan,un borduas,un
gauvreau passer devant soi, de toute beauté c’est» (p. 561).
Bibi se retrouve devant «l’impératrice du Pokunulélé et reine du Drelchkaffka».
Il ne reconnaît Judith que lorsqu’elle enlève son masque et ses vêtements d’apparat : « Voilà ce que tu as fait de moi, que dit Judith. Une femme vieillissante
que le cancer va emporter tantôt.» (p. 585) Elle lui reproche de ne pas avoir su
26 • lettres québécoises • hiver 2009
Bibi va au delà de la facture romanesque à laquelle Victor-Lévy Beaulieu nous a
habitués. Si le personnage principal est le frère jumeau du romancier, il n’en est
pas moins l’âme d’une fiction qui utilise tous les ressorts de la grande littérature que l’écrivain connaît parfaitement, les utilisant avec art et savoir-faire.
Les références à d’illustres écrivains, à la jument de la nuit ou à ses habitudes de
vie dans la grande maison des Trois-Pistoles appartiennent à son univers, mais
font ici l’objet d’une relecture plus qu’importante. Que dire de la place qu’occupe le continent africain,sinon qu’il lui sert de métaphore lui permettant d’illustrer certaines des plus grandes misères de la planète, imposées aux peuples qui
y vivent par des contrées dites civilisées.
Certes,ce roman est,de tout ce qu’a publié l’écrivain de Notre-Dame-des-Neiges
à ce jour, l’œuvre la plus près de l’autobiographie. Cependant, au lieu d’être uniquement une rétrospective de sa vie, il met en relief, à travers une remarquable
fantasmagorie, les grandeurs et les misères des Noirs d’Afrique et du continent
qu’ils habitent.
lettres québécoises • hiver 2009 •
27
polar
NORMAND CAZELAIS
Andrée A. Michaud, Lazy Bird, Montréal,
Québec Amérique, coll. « Tous Continents »,
2009, 424 p., 26,95 $.
Brillant mais…
Si vous ne connaissez pas John Coltrane, jazzman torturé,
épris de perfection formelle, dont on a dit que « la modernité, c’est lui », la lecture de Lazy Bird comblera cette lacune.
Si vous voulez en savoir davantage, je vous recommande
Chasin’the Trane, l’excellente biographie que lui a consacrée J. C. Thomas chez Doubleday en 1975. Coltrane étaitil névrosé ? En tout cas, les personnages du roman d’Andrée
A. Michaud le sont, eux, à des degrés divers, que ce soit
Lucy-Ann Thomas, Sally et Elsie, Polly Jackson, June et Vera
Fisher, le chef de police Ed Cassidy, Charlie Parker dit « le
Sauvage ». Sans oublier Bob Richard, le narrateur.
n été, cet albinos à la
« tête de pissenlit en
fin de saison » accepte d’animer une émission
de nuit dans une station de
radio à Solitary Mountain,
quelque part au Vermont. Être
« une voix, un homme sans
visage» convient très bien à ce
vagabond solitaire, incapable
de se fixer quelque part depuis
le suicide de ses parents.Sur les
ondes, il fait jouer en abondance Coltrane et autres boppers. Et aussi des icônes du
rock’n’roll, tel Jim Morrison.
Une nuit, une voix de femme lui
ANDRÉE A. MICHAUD
demandera «Play Misty for me»;
comme dans le film d’Eastwood, des crimes s’ensuivront et l’étau se resserra
autour de lui.
U
Lazy Bird est brillamment écrit.Les prix littéraires qu’Andrée A. Michaud a récoltés
jusqu’ici dans sa carrière ne sont pas de la
frime.La narration,faite à la première personne, est décalée, comme si elle se faisait
dans une autre dimension. Propice aux
digressions et dérives qui étoffent l’analyse
psychologique, ce procédé n’est pas sans
rappeler Even Cowgirls Get the Blues de Tom
Robbins. On tourne les pages : qui est
Misty ? Qui sera sa prochaine victime et
pourquoi ? Qu’est devenu Cliff Ryan ? Que
sera la trajectoire de Lazy Bird, ado révoltée et désemparée qui fait du stop sur les
chemins de traverse et qui rêve,sans le dire,
de se faire aimer?
28 • lettres québécoises • hiver 2009
Qu’on ne s’y trompe pas, les vrais personnages de Lazy Bird sont la folie, la solitude, la mort. Ils dansent un ballet inquiétant dans un climat lourd, morose.
Comme chez Tchekhov, les personnages de chair et d’os poursuivent un long
monologue intérieur, les échanges avec autrui n’étant qu’un pis-aller. À ce point
de vue, le roman d’Andrée A. Michaud est une belle réussite. Mais il demeure
encore à des encablures d’Edward Whittemore.
Car tout n’est pas parfait. Le recours pour le moins répété aux références musicales et cinématographiques devient lassant sinon irritant.Quant à la trame policière, elle héberge plusieurs couleuvres difficiles à avaler pour tout amateur du
genre un peu averti.Décidément,écrire du polar est plus complexe qu’il n’y paraît.
Francis Malka, Le violoncelliste sourd, Montréal,
Hurtubise HMH, collection « amÉrica », 2008, 195 p., 19,95 $.
Sourd
ou pas ?
Francis Malka a un indéniable talent pour présenter clairement un sujet difficile. Dans Le violoncelliste sourd, il réussit
à décrire sans fioritures ni sécheresse ce qu’est une interprétation musicale, comment fonctionne l’appareil auditif et
quels sont les principaux enjeux de la géopolitique au MoyenOrient. J’aurais souhaité par contre qu’il donne plus de densité aux quelques personnages mis en scène dans ce qui
aurait pu être un thriller hors normes.
ais il s’est contenté
de brosser à grands
traits.Quel choc psychologique un musicien de
talent appelé à une carrière
internationale subit-il quand il
est frappé,à cause d’un accident
tout bête, de totale surdité ?
Nous n’en saurons rien. Nous
serons même étonnés de la
sérénité avec laquelle il surmonte, durant les premières
semaines, pareille adversité.
Même quand, par la suite, des
menaces de chantage pèsent sur
lui, comment réussit-il à garder la tête froide,lui un artiste si
sensible ? Mystère et boule de
gomme. Il est de téflon, cet
homme!
M
FRANCIS MALKA
Le récit est habilement conçu,bien mené,à traits vifs,à l’aide de chapitres courts.
Il nous entraîne aux États-Unis, dans les grandes capitales d’Europe, en Israël.
Associé de près à l’assassinat d’un pourvoyeur de fonds du Hamas et à une machination pour faire avorter à Bethléem le processus de paix entre Juifs et
polar
NORMAND CAZELAIS
1/2
Palestiniens, ledit violoncelliste réalisera
avec un certain effroi « qu’un meurtrier
sommeille en chacun de nous».
Beaucoup de matière donc, qui aurait pu
être mieux et plus généreusement exploitée.Reste un os de taille: comment un être
humain normalement constitué peut-il
réussir à faire croire à tout le monde et à
son amoureuse qu’il est absolument sourd
alors qu’il a recouvré l’ouïe ? Comment
peut-il continuer à donner des concerts
comme si de rien n’était ? Comment tout
lecteur normalement constitué peut-il
«embarquer» dans une telle histoire?
Notons enfin que Francis Malka,à l’instar
de Ma vie avec Mozart d’Éric-Emmanuel
Schmitt, présente, au fil des pages, diverses œuvres du répertoire classique puisées chez Bach, Hindemith, Brahms et autres. Sans toutefois insérer un CD dans
le revers de la jaquette. Ce qui ne l’empêche pas de nous proposer en note liminaire « d’écouter ces pièces dans le même ordre pendant la lecture, de façon à
bien saisir le rôle qu’elles jouent dans l’histoire».
Quand on a de l’ambition…
I N FO CA P S U L E
CLIC, UN LIVRE !
On connaît la guerre que livre Google pour la maîtrise du livre numérique
sur la planète. Cette suprématie n’est pas acquise puisque plusieurs pays
font obstacle à l’hégémonie de Google. La France, entre autres, mais aussi
le Québec, où l’Anel (Association nationale des éditeurs) s’est prononcée
contre Google en prônant la création d’une banque numérique québécoise
(elle est en voie de se constituer). Quoi qu’il en soit, Google poursuit sur sa
lancée et sur son avance en créant la « Espresso Book Machine », qui n’est
rien de moins qu’une mini-imprimerie. Quiconque veut faire imprimer un
livre qui appartient au domaine public pourra le faire «On Demand» (publication sur requête).Le temps d’impression,impression qui reproduit le livre
tel qu’il a été publié naguère (y inclus la page couverture) : quatre minutes,
c’est-à-dire le temps de la préparation d’un café espresso. Cela signifie des
millions de livres disponibles puisque Google en est le fournisseur officiel…
Cette technologie n’est pas nouvelle. Xerox avait invité quelques éditeurs
pour leur faire la démonstration d’une machine semblable au milieu des
années 1990. C’était plutôt réussi comme produit. Le malheur est que cette
machine n’était pas soutenue par une infrastructure capable de la rendre
fonctionnelle. Imprimer du livre neuf directement en librairie, les éditeurs
n’en étaient pas encore rendus là.
Le génie de Google a été de faire affaire avec le secteur universitaire.
Actuellement, on compte une douzaine d’imprimantes dans cinq pays, y
compris à l’Université McGill à Montréal. Harvard, près de Boston, tout
autant que la prestigieuse bibliothèque d’Alexandrie, en Égypte, sont dans
le coup. Et puis quelques grandes librairies aux États-Unis l’ont mise à l’essai. Il faut dire qu’au coût de 100 000 $ pour chaque machine, il faut être
sûr de sa mise. Tout indique que cela réussira.
Danielle Forget, Intrusion, Saint-Sauveur,
Marcel Broquet éditeur, 2008, 158 p., 19,95 $.
Ardu
Elle-même professeure au Département de français de
l’Université d’Ottawa, Danielle Forget ne nous livre pas dans
Intrusion un portrait très flatteur de monde universitaire :
magouilles, courses effrénées aux subventions, coups bas, falsifications de résultats, recherche à tout prix de gloriole et de
reconnaissance forment le menu de son roman qui nous mène
des couloirs et laboratoires de ces augustes institutions jusqu’aux dangereuses moiteurs de la Colombie où des barons
de la drogue contrôlent la production de la coca.
i cet univers est assez bien
décrit, il en va tout autrement des métiers de journaliste et de policier.Je doute d’ailleurs
que l’auteure ait jamais mis les pieds
dans une salle de rédaction ou
qu’elle sache comment se mène une
enquête touchant un sujet aussi délicat et explosif. Pour tout dire, Intrusion est truffé d’invraisemblances
qui exigent des actes de foi constants
et prenez ma parole qu’il en faut
pour croire à cette journaliste néophyte qui réussit, en quelques tours
de moulinette,à démasquer les malhonnêtes de tout poil et à contrecarrer leurs plans. Tintin n’aurait pas
fait mieux; d’ailleurs,la scène finale
est digne à cet égard de celle du Lotus bleu!
S
DA N I E L L E FO R G E T
Si ce n’était que cela. Ce roman fourmille
de clichés, d’expressions convenues, de
phrases toutes faites, de termes improprement employés, de fautes de grammaire. Le style ? Je vous laisse juger :
«L’atmosphère était lourde de l’événement
qui venait de se passer. » Je me suis repris
à trois fois pour terminer la lecture d’un
ouvrage qui aurait dû écourter mes heures
de sommeil.L’exercice a été ardu.Danielle
Forget est sûrement très compétente en
son domaine… qui n’est assurément pas
celui de l’écriture policière.
Intrusion est publié chez Marcel Broquet —
La nouvelle édition.Tout au long de sa fructueuse carrière dans la publication d’ouvrages de vulgarisation scientifique, ce passionné nous a habitués à une qualité
constante, tant sur le plan de la présentation que du contenu. On peut saluer
qu’il ait voulu,avec cette nouvelle maison,se faire le plaisir de fréquenter le monde
de la littérature. Il devra cependant suivre de plus près ses auteurs.
lettres québécoises • hiver 2009 •
29
traduction
HÉLÈNE RIOUX
Lori Lansens, Les filles, traduit de l’anglais
par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Montréal,
Alto, 2009, 574 p., 28,95 $.
Éloge de
la différence
Ma sœur Ruby et moi, produits d’un seul et même ovule fertilisé, aurions dû nous scinder en deux, mais, par accident ou
par miracle, nous sommes plutôt restées attachées l’une à
l’autre, nos têtes jumelles jointes par une plaque de la taille
d’une assiette à pain. (p. 19)
ose et Ruby Darlen sont
donc des jumelles craniopages,c’est-à-dire qu’elles
sont liées par le crâne. Âgées de
vingt-neuf ans,elles seraient également les plus vieilles de l’histoire
médicale. Et elles voudraient bien
fêter comme il se doit leur trentième anniversaire.Mais voilà qu’on
vient de diagnostiquer chez Rose
un anévrisme au cerveau. Incurable, inopérable. Sachant qu’elle
risque de mourir d’un jour à l’autre
(et que sa sœur succombera elle
aussi quelques heures plus tard),
elle décide alors d’écrire sa (leur)
vie.
R
parents adoptifs, leur travail à la
bibliothèque de la ville. Il y a les
malaises, les souffrances, les nostalgies, les rêves, les déceptions.
Mais l’amour inconditionnel que
les deux sœurs éprouvent l’une
pour l’autre sauve toujours la mise.
Au récit de Rose s’ajoutent quelques pages de Ruby qui donnent un éclairage
différent à certains souvenirs.
Rendu avec beaucoup de sensibilité par Lori Saint-Martin et Paul Gagné,Les filles
est un roman qui nous incite à réfléchir sur des questions comme la tolérance,
la différence,l’acceptation de l’autre.Une lecture qui,comme on dit,fait du bien.
1/2
Margaret Laurence, Ta maison est en feu,
traduit de l’anglais par Florence Levy-Paolini,
Montréal / Québec, Alto / Nota bene, 2009, 440 p., 19,95 $.
Scènes de vie
à Vancouver
J’avais adoré les deux premiers volets du Cycle de Manawaka
de Margaret Laurence. Le troisième, Ta maison est en feu,
m’a hélas laissée sur ma faim.
C
LORI LANSENS
Elles ont vu le jour à l’hôpital
St.Judes de Leaford,une petite ville
du sud de l’Ontario, le 30 juillet 1974 — jour de la mémorable tornade qui ravagea la région. Presque aussitôt abandonnées par leur mère, qui disparaît dans la
nature,elles sont adoptées par Lovey Darlen,l’infirmière qui les a mises au monde,
et son mari Stash, tous deux pourvus d’un cœur plus grand que nature.
Le roman — que Rose intitule Autobiographie d’une jumelle conjointe —
raconte, sans jamais céder à l’autoapitoiement, les menus événements de leur vie
quotidienne — comment elles mangent,
marchent, s’amusent, dorment. Pas toujours facile quand on est,comme elles,liées
par la tête. On ne peut parfois s’empêcher
de sourire devant la bizarrerie de certaines
situations.
Il y a l’enfance dans une maison de ferme
un peu délabrée, l’expérience de la sexualité — une aventure d’une heure à peine, à
l’adolescence, aura une conséquence à la
fois prévisible et inattendue —,la mort des
30 • lettres québécoises • hiver 2009
[...] Les filles est un roman
qui nous incite à réfléchir
sur des questions comme
la tolérance, la différence,
l’acceptation de l’autre.
eux qui ont lu Une divine plaisanterie connaissent déjà l’existence de
Stacey, la sœur de Rachel. C’est cette femme — qu’on aurait pu croire
comblée par la vie — que Ta maison est en feu met en scène.
Elle vit à Vancouver avec son mari Mac, un représentant de commerce un peu
terne,et leurs trois enfants.Comme Hagar (L’ange de pierre) et Rachel (Une divine
plaisanterie),et comme aussi,d’une certaine façon,la malheureuse Emma Bovary,
Stacey est habitée par une rage
intérieure,un feu qui la dévore.
Sa vie ne la satisfait pas, elle
cherche autre chose qu’elle ne
trouve pas. Un sens, une passion.On la comprend.Son existence,en effet,entre les courses
et la cuisine, est bien étriquée.
Malgré un sentiment de culpabilité qui ne la quitte pas, elle
cherchera un apaisement dans
le gin et dans les bras d’un
amant de passage.
VÉRITÉ ET
MODERNITÉ
Dans sa frustration, dans sa
quête, Stacey est, bien sûr,
criante de vérité. Mais quand
on la compare aux personnages
MARGARET LAURENCE
traduction
HÉLÈNE RIOUX
féminins incroyablement forts et émouvants
des deux premiers romans, elle manque singulièrement d’envergure. Quelque chose ne
fonctionne pas. On entre en elle tout en restant à la surface.On la comprend sans la comprendre.
Lise Tremblay met dans sa préface l’accent sur
«la modernité des propos, la modernité de la
narration», et sur la parenté avec l’univers de
Virginia Woolf.C’est vrai.Je n’ai pourtant pas
réussi à «embarquer» dans cette histoire.Sans
doute à cause du personnage même de Stacey,
dont les angoisses et tourments existentiels,
bien qu’ils soient indéniablement crédibles
— et décrits avec,comme toujours,beaucoup
d’acuité —, ne m’ont que peu touchée.
Joel Thomas Hynes, Lundi sans faute,
traduit de l’anglais par Sylvie Nicolas, Montréal,
Québec Amérique, 2009, 456 p. 27,95 $.
Dérive à
Saint-Jean de
Terre-Neuve
J’avais peu apprécié La neuvième personne du singulier, le
premier roman de l’auteur terre-neuvien Joel Thomas Hynes
paru en français en 2006. Également traduit par Sylvie
Nicolas, son deuxième, Lundi sans faute, ne m’a pas impressionnée davantage.
Si l’on perd quelques-uns des personnages en cours de route — un
suicidé, une assassinée —, on
n’en éprouve pas plus d’émotion
que ça.
Tous ces gens s’ennuient mortellement et, pour dire la vérité,
le lecteur aussi. À la longue.
Quelques filles — Donna,
Monica et, pour finir, Isadora,
LA bonne, affirme Clayton qui
entretient avec cette dernière
une relation en dents de scie —
font partie de la bande de paumés. Toutes tombent comme
des fruits mûrs dans les bras
JOEL THOMAS HYNES
du narrateur. On se demande
bien pourquoi. C’est vrai, il est
loin d’être sympathique avec elles.Même pas courtois.On ne trouvera pas amant
moins romantique que lui à des milles à la ronde. Quant à ses performances au
lit, si l’on se fie aux descriptions qu’il en fait, ça n’a pas l’air d’être le Pérou non
plus… Mais bon, l’auteur nous ressert encore une fois le bon vieux poncif. Le
cliché éculé. Les filles préfèrent les mauvais garçons, que voulez-vous, ceux qui
les humilient et qui les font pleurer… Surtout quand le mauvais garçon en question traîne la patte.Car Clayton,le malheureux,a un pied magané,séquelle d’un
quelconque accident jamais (il me semble) relaté.
On pourra,je le sais bien,me faire valoir que Lundi sans faute est une implacable
chronique du désespoir, une description sans complaisance du mal-être dans
lequel se débat — et sombre — toute une génération de laissés-pour-compte
par le méchant système, tous ces no-future qui végètent dans d’anciens (et pittoresques) ports de pêche comme Saint-Jean, sans autre perspective que de
faire un peu de figuration dans les films made in Canada.
Oui, on dira ce qu’on voudra, et peut-être avec raison. N’empêche que c’est long.
Et lourd. J’aurais voulu compatir. Être touchée. Sinon éblouie par l’écriture.
N’importe quoi — on cherche toujours quelque chose dans un livre. Je n’y suis
pas parvenue.
OÙ SOMMES-NOUS DONC ?
intrigue — si toutefois l’on peut
parler d’intrigue — se déroule à
Saint-Jean de Terre-Neuve.
Clayton Reid, un gars qui voudrait écrire
— un roman, un scénario, des chansons,
n’importe quoi —, mais qui ne fout pas
grand-chose de sa vie, est le principal narrateur de cette morne dérive.Parce que,que
se passe-t-il dans Lundi sans faute? En fait,
tout et rien. Quand ils ne sont pas en train
de se bagarrer, de se menacer, de se traiter
de tous les noms, Clayton et ses acolytes,
Brent, Val, Jim, Keith, Clyde et quelques
autres,tous plus ou moins interchangeables,
passent, comme des ombres ou des zombies, d’un bar au suivant, d’une séance de
baise, d’un joint ou d’une ligne de coke à l’autre. Le roman se résume à peu près
à la description de frasques et d’équipées éthyliques, de fêtes déprimantes. Et ça
se prolonge ainsi pendant presque 450 pages.Cuites,invectives,coups dans le dos.
L’
L’intrigue se déroule donc à Saint-Jean de Terre-Neuve. Et pourtant, je n’ai pas
eu un seul instant l’impression d’être là. La traductrice a choisi de rendre (ou
d’adapter) en québécois la langue terre-neuvienne. Voyons un peu ce que ça
donne : « Moi je tombe pas dans ces osties de gamiques à marde-là […] parce
que quand tes chums et ses ostis de chums à elle sont pognés dans tes histoires
de cul,t’es dans marde…» (p.12) C’est Clayton qui s’exprime.Mais tous les autres
parlent exactement sur le même ton. Sans le nom de quelques rues (Water,
Duckworth) et lieux emblématiques (le Duke, par exemple), j’aurais aussi bien
pu me croire dans un bar à Victoriaville, un dépanneur à Terrebonne. Ou dans
une pièce de Michel Tremblay.
Je sais bien qu’il n’est pas facile de rendre une langue vernaculaire,un accent particulier. C’est comme la poésie. Tout cela, l’essence, se perd dans la traduction.
C’est peut-être dommage. Comment savoir?
On dit que le premier roman de Hynes a reçu un accueil enthousiaste. Il a même
valu à son auteur le prix Percy-Janes en plus d’avoir été adapté pour le cinéma en
2008. Il ne me reste plus qu’à essayer de le lire (ou de voir le film) en anglais.
lettres québécoises • hiver 2009 •
31
récit
Y V O N PA R É
contemporaine. Par des anecdotes, des
contes ou des légendes,le lecteur découvre
des façons de voyager, de naviguer sur le
fleuve ou de vivre en forêt. Draveurs, quêteux et ramancheux se succèdent et marquent des lieux et des espaces.
Serge Gauthier, Contes, légendes et récits de la région de Charlevoix,
Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles,
coll. « Contes, légendes et récits du Québec et d’ailleurs »,
2009, 360 p., 49,95 $.
Belle manière
de visiter les
pays du Québec
Les Éditions Trois-Pistoles, depuis 2004, explorent les régions
du Québec par le biais du conte, des récits et des légendes.
Après la Mauricie, le Saguenay – Lac-Saint-Jean et la grande
région de Québec, Serge Gauthier nous ouvre les portes de
Charlevoix.
e pays de mer et de
montagnes, de fleuve
et de forêts, « nommé
en mémoire et honneur de
Françoix-Xavier de Charlevoix,
jésuite et premier historien de
la Nouvelle-France », a tout
pour marquer l’imaginaire.
Alexis le Trotteur, Louis
l’Aveugle et Davi Archange, un
homme fort, ont fasciné les
Québécois et transcendé leur
époque. Pays d’écriture aussi
avec Laure Conan, FélixAntoine Savard, Jean O’Neil et
Hélène Bard. Rappelons que
Gabrielle Roy a longuement
fréquenté Petite-Rivière-SaintFrançois en s’y installant pour
SERGE GAUTHIER
l’été.Impossible non plus d’oublier Pierre Perrault qui a montré l’île aux Coudres d’une façon exceptionnelle
dans ses films ou le peintre René Richard.
C
GÉOGRAPHIE
Ce travail ethnographique et littéraire fait la preuve que la géographie nourrit
l’imaginaire.
On avait porté les mauvais propos contre le gouffre du cap aux Corbeaux
jusqu’au point de dire,et peut-être de faire croire,que ce devait être l’entrée de l’enfer et que,conséquemment,les tourbillons et l’agitation continuelle de ses eaux étaient causés par les combats que livraient aux
démons qui voulaient les entraîner dans l’abîme infernal les âmes que
la jutice de Dieu avait condamnées au feu éternel. (p. 31)
Serge Gauthier nous ramène à l’époque où Jacques Cartier remonte le fleuve, à
certains épisodes de la Conquête par les Anglais et pousse jusqu’à l’époque
32 • lettres québécoises • hiver 2009
On ne peut oublier non plus les récits des
écrivains Philippe Aubert de Gaspé, Laure
Conan ou Félix-Antoine Savard. Cette lecture m’a donné envie de relire certains
ouvrages de Gabrielle Roy et de Laure
Conan en particulier.Par contre,la prose de
Félix-Antoine Savard résiste mal au temps.
Chacun des tomes de cette collection particulièrement soignée est un véritable
délice, une plongée dans la parole et l’imaginaire. C’est ainsi que se nomme un
pays et que se forge une identité.
Florence Meney, Montréal, à l’encre de tes lieux,
Montréal, Québec Amérique, 2009, 320 p., 29,95 $.
Ces lieux
qui portent
la littérature
Vingt et un écrivains du Québec et d’ailleurs, six femmes et
quinze hommes, s’attardent dans un site de Montréal qui provoque cet étrange désir d’écrire ou de raconter une histoire.
ous ont choisi un endroit
aux couleurs particulières.
Ce peut être un quartier qui
nourrit l’écriture d’un romancier,un
restaurant ou un bistrot, une place
publique.Voir Montréal par les yeux
de ces créateurs, c’est se promener
entre la réalité et la fiction.
T
Et c’est dans ce double
mouvement d’ouverture
et de résistance que le
Québec et Montréal se
définit. Un équilibre fragile, mais qui finit par
faire une identité. (Aline
Apostolska, p. 114)
Michel Tremblay et Claude Jasmin explorent un quartier de Montréal depuis des
décennies. D’autres sont des oiseaux de passage comme Élisabeth Vonarburg,
Kathy Reich ou Philippe Besson qui reviennent régulièrement dans cette ville.
récit
Y V O N PA R É
La gare routière du centre-ville de Montréal,
l’un de ses lieux de prédilection, constitue en
quelque sorte le reflet de son œuvre, ainsi
qu’une source d’inspiration. (Élisabeth
Vonarburg, p. 123)
Montréal m’appelle.C’est une ville avec laquelle je n’ai pas
de distance. C’est la première ville que j’ai connue, à part
Port-au-Prince et Petit-Goâve. Elle fait partie de moi.
(p. 144)
Chrystine Brouillet sourit près des balançoires du parc
LaFontaine et Suzanne Jacob se faufile dans le cimetière Mont-Royal, son espace de silence et de méditation.
Yves Beauchemin, carnet en main, s’attarde à la station
de métro Berri-UQÀM pendant que Bryan Perro devient
nostalgique au restaurant Da Giovanni. Plus loin, JeanFrançois Chassay s’étourdit dans le marché Jean-Talon.
Des entrevues permettent de connaître les préoccupations des écrivains et écrivaines,de s’attarder à leur façon
de concevoir et de réaliser un roman.
J’aime beaucoup, plus particulièrement, le
marché Jean-Talon, parce qu’il est grand, et
surtout sociologiquement très représentatif de
Montréal… C’est un marché à la fois francophone, anglophone et italien. Depuis plusieurs
années en plus, il est devenu arabe, asiatique
aussi. (p. 204)
De très belles photographies de Luc Lavigne surprennent les créateurs dans leurs endroits de prédilection.
À souhaiter qu’à la mairie de Montréal et dans plusieurs
grandes entreprises de la métropole on pense à offrir ce
livre magnifique aux visiteurs qui débarquent à Montréal
pour découvrir le Québec par sa plus grande ville.
FLORENCE MENEY
Dany Laferrière ne pouvait que ramener le lecteur au
carré Saint-Louis, le site de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer.
Bryan Perro et Alexandre Girard,
Créatures fantastiques du Québec,
Tomes I et II, Les Intouchables, Montréal,
2009, 160 et 144 p., 24,95 $ chacun.
Bryan Perro
écrit son
anthologie
du fantastique
signifiant ne fut pas une mince tâche.
C’est donc avec la volonté d’offrir un
éventail représentatif de l’imaginaire
québécois que j’ai rédigé cet ouvrage,
et j’espère que vous y plongerez avec
plaisir et curiosité. (p. 11)
Rapidement, on se laisse entraîner dans des histoires étranges qui soulèvent bien des questions.
L’écrivain réussit à semer le doute dans l’esprit du
lecteur et c’est ce qui importe.
Avec son comparse Alexandre Girard, il signe deux livres particulièrement soignés.Ce dernier a la plume alerte,sait prendre ses distances avec l’écrit et invente
un monde autonome. Notes, anecdotes, illustrations des personnages et différentes scènes des histoires racontées cernent le texte de Perro.
Plus de trente sujets sont abordés dans chacun des tomes,en
plus des dossiers sur certains
phénomènes et un spécial sasquatch ou Big Foot. Ces personnages fascinent l’être humain depuis des siècles.Ils ont
été vus un peu partout dans le
monde. Est-ce la survivance
du mythe de l’homme sauvage ? Même les Amérindiens
évoquent ces géants plutôt discrets.
Bryan Perro est associé à la série Amos Daragon qui a connu
un très grand succès au Québec et à l’étranger.
e lecteur familier avec l’univers de Bryan Perro ne sera pas surpris d’apprendre qu’il s’intéresse aux contes et aux histoires fantastiques,aux événements qui échappent à l’entendement. Un monde qui intrigue et ne
cesse de se renouveler dans l’imaginaire des populations.
L
SURPRISES
Si tous ont entendu parler de La Dame blanche ou La Corriveau, qui connaît Le
Nain jaune des Îles-de-la-Madeleine ou la légende du rocher Percé. Bryan Perro
réussit à surprendre avec des sujets moins connus.
Pour Bryan Perro, les histoires de monstres ou les phénomènes étranges, c’est du
sérieux. Joliment bien faite et
documentée, cette anthologie
des créatures fantastiques du
Québec.
Avec ce recueil, je souhaite faire connaître certaines créatures extraordinaires qui peuplent notre coin de Terre. De nombreux monstres foisonnent dans toutes les régions du Québec, et en dresser un inventaire
B R YA N P E R R O
lettres québécoises • hiver 2009 •
33
nouvelle
S É B A S T I E N L AV O I E
1/2
Caroline Montpetit, L’enfant, Montréal,
Boréal, 2009, 136 p., 17,95 $.
Toutes
enfances unies
Un sujet toujours aussi riche, toujours aussi grave, nécessairement ; le tout est assez finement mené (et ça suscite
même quelques réflexions).
accouchement d’une femme privée de la vue à cause d’une maladie
héréditaire,ses angoisses,ses réminiscences,ses espoirs («La prunelle
de ses yeux»). Un amant se perd dans l’amour qui l’envahit lors de la
venue au monde de son fils («La mort dans l’âme»). Au moment des premiers
émois sexuels, une jeune fille insiste auprès de sa mère pour qu’elle lui révèle
l’identité de son géniteur,question de ne pas masturber par erreur quelqu’un avec
qui elle serait génétiquement liée («Don de soi»).Une guide touristique qui entend
chaque jour plus nettement le tic
tac de son horloge biologique
hésite à prendre sous son aile ce
petit garçon d’une dizaine d'années qu'un policier bat sous ses
yeux dans la gare de New Delhi;
le ferait-elle pour elle, par pur
égoïsme,par grandeur d'âme,ou
pour lui? Mesure-t-elle toutes les
conséquences pour elle-même et
l'enfant ? (« L’enfant »). Et on n’a
pas encore parlé de la gardienne,
celle qui remplit l’enfance de
rayons de soleil, qui nous protège, celle qui, parfois, peut aller
jusqu’à border papa, celle qu’on
rejette comme on jette un jour sa
doudou,la cherchant désespérément par la suite (« La garCAROLINE MONTPETIT
dienne»).
L’
L’enfant est un livre simplement et librement écrit. Simplement, en ce sens que le
vocabulaire est commun,oui,mais que ce
choix sacrifie peu à la finesse; l’écrivaine
est en parfaite adéquation avec le lecteur
qui la suit où qu’elle aille et qui comprend
et anticipe même souvent les élans de ses
personnages, sans qu’elle ait besoin de
mettre les points sur les i. Librement,
parce qu’elle a le geste ample, sans fausse
pudeur sinon celle qui convient à la bienséance. La plume n’est pas léchée à l’excès, mais la prose est tout de même
enviable.
J’ai beaucoup aimé la réflexion que suscite la lecture de « L’enfant », même si je
34 • lettres québécoises • hiver 2009
me suis aussi légèrement buté à ce que j’ai appelé plus haut de la «pudeur»,terme
sans doute plus juste que celui «d’intellectualisation», qui aurait été outrancier,
mais qui m’est venu à l’esprit en premier. Tout de même, c’est sans doute la dernière nouvelle,la plus pédagogique du lot,que j’ai le plus appréciée,que j’ai jugée
la plus nécessaire et qui m’a le plus parlé.L’histoire tourne autour du tabou national que sont les pensionnats autochtones et leurs odieuses mesures pour acculturer ceux que l’on appelait alors des sauvages («La mémoire interdite»). Pour
ne rien révéler de l’histoire, disons simplement que c’est la première fois que je
voyais l’expression «fosse commune» accolée à ce problème bien vivant.
Paraît que ça peut servir à ça aussi, la littérature. Apprendre des choses. Et moi
qui ne demandais qu’à lire des histoires…
Len Gasparini, Nouvelle noirceur, Ottawa,
L’Interligne, 2009, 210 p., 18,85 $.
Du côté obscur
Une prose « trash » montée sur un roulement à billes, une
belle mécanique qui ne va cependant nulle part. Mais est-ce
si important ?
n enfant-roi veut lancer son
chat par la fenêtre; de guerre
lasse, sa mère le laisse faire
(«Le petit garçon et le chat»).Dans les
années cinquante, en Ontario, des
jeunes à peine pubères (« Les choses
de la vie»),étudiant dans des établissements d’enseignement catholiques,
se font initier à la sexualité par des
religieux lubriques (« La croix de
chair»),ou regardent la maladie mentale s’inscrire chez certains condisciples («Je te gage que je peux te faire
peur »). Un poète quinquagénaire
tâche de se remettre à sa première
vocation: lanceur au baseball («Balle
passée»). Un homme se demande s’il
n’a pas tué lors d’une virée désastreuse
à New York («Très off-Broadway»).Un
metteur en scène versé dans les arts tâche de faire un film où se fusionnerait l’érotique «avec le soi-disant pornographique» («Musique de fond», p. 138). «Amy
Crissum » couche avec n’importe qui, Amy Crissum n’est que vagin et anus (et
Marc Larose est une moumoune).
U
Quatorze nouvelles d’inégales longueurs attendent le lecteur.Quatorze nouvelles,
dont la plupart correspondent à l’étiquette « trash ». Ici, on consomme souvent
des substances psychotropes, la sexualité est vue comme un expédient très peu
libérateur,les religieux ne valent guère mieux que le démon,la famille est source
de perdition et la violence peut être perçue comme une forme de catharsis.
Len Gasparini a le don d’installer ses histoires, de mettre le lecteur en phase
avec son récit, de le prendre et de le convaincre de le suivre. S’il le suit, le lecteur
découvrira une voix propre, un ton, mais sans doute serait-il exagéré de parler
de regard… c’est que les chutes de ses histoires sont parfois boiteuses.
nouvelle
S É B A S T I E N L AV O I E
Quatorze nouvelles d’inégales longueurs attendent le
lecteur. Quatorze nouvelles, dont la plupart correspondent à l’étiquette « trash ». Ici, on consomme souvent des substances psychotropes, la sexualité est vue
comme un expédient très peu libérateur, les religieux
ne valent guère mieux que le démon, la famille est
source de perdition et la violence peut être perçue
comme une forme de catharsis.
Rien comme dans «Pas d’éléments irritants
majeurs », rien comme dans « Pas de personnages mémorables»,«Pas d’images qui
marquent»,«Pas de phrases qui se démarquent»,«Pas de phrases qui se détraquent»
et « Rien qui se remarque ». Mais rien
d’adorable à la Jacques Poulin non plus; le
territoire réaliste de Salah Benlabed est passablement ombragé et l’auteur s’est résolu
à y explorer les turpitudes de l’être humain.
PERSONNAGES OU
ARCHÉTYPES ?
M. Gasparini n’est pas un nouvelliste-sprinter ; je n’ai pas trouvé d’intérêt aux
quatre nouvelles qui ne s’étalent que sur quelques pages seulement,vers le milieu
du recueil.
T R A N S L AT I O N A U T H E N T I Q U E
Un mot s’impose à propos de la traduction,mais n’est pas Hélène Rioux qui veut.
Pas besoin d’experts en cette matière,de toute façon,pour réaliser une évidence:
le traducteur, Daniel Poliquin, ne s’adresse qu’aux gens d’ici tant son travail foisonne de canadianismes aussi bien dans les dialogues («j’ai envie de te péter la
gueule en sang», p. 25) que dans le texte narratif lui-même («j’avais sauté une
coche»,p.158; «il mettait la marde partout»,p.58; «des gros jos»,p.24).Et c’est
un réel bonheur,surtout pour quelqu’un comme moi qui a été biberonné aux traductions faites en France de On the road, des romans de John Fante et autres
Charles Bukowski.C’est particulièrement apprécié dans le cas de «Balle passée»,
la nouvelle qui parle de baseball et qui gagne beaucoup en crédibilité en appelant une «base» un «but» (vous excuserez ma candeur, mais je n’avais jamais lu
ce genre de traduction).
Un mot, peut-être, sur le titre de l’œuvre qui n’a rien à voir avec le titre original,
A demon in My View. Le titre est emprunté à un dialogue de la nouvelle « Une
chambre pour la nuit», où un couple dort dans un hôtel assez lugubre:
— Scotia.Ça veut dire obscurité en grec.L’étymologie.Nova,nouveau
en latin. Nova Scotia, Nouvelle-Écosse. Nouvelle noirceur. (p. 114)
Salah Benlabed, De quelques défauts qui font les humains,
Montréal, Pleine lune, 2009, 180 p., 20,95 $.
Maudite
indifférence !
Il y a des livres qu’on aime, à différents degrés. D’autres qu’on
se surprend à détester. Et il y en a une poignée pour lesquels
on n’éprouve rien, sinon un vague ennui…
oici un recueil que je n’ai manifestement pas su prendre,puisqu’il m’est
souvent tombé des mains… C’est avec une indifférence totale que j’ai
reçu ces quelques défauts qui font les humains. «Rien» étant le mot qui
me revient sans cesse alors que je me demande comment traduire mes sentiments ici, ma lecture terminée.
V
Les personnages sont souvent laissés à euxmêmes, sans description physique, sans
grande psychologie et c’est normal, ils ne
servent qu’à exposer ou à incarner la bassesse dont ils sont l’objet ou la victime. Ils
donnent souvent l’impression d’être des personnages de légende perdus dans des
nouvelles et ils peuvent affecter, çà et là, des postures qui donnent de petits airs
moralisateurs aux nouvelles (mais moralisateur soft,on s’entend,l’auteur s’acharnant sur la nuance comme la misère sur les mal-lotis). Par exemple, dans « La
traîtrise », un cocu écrit au nouveau couple qui l’a laissé derrière qu’il lui faut
maintenant se séparer et se diviser le monde et qu’il doit, grosso modo, pleurer à
jamais. Vingt ans plus tard, le couple se présente au bar du cocu et celui-ci
demande aux conjoints si,au moins,ils ont été heureux.«Je ne te mens pas: depuis
notre départ nous n’avons jamais dormi ensemble» (p.51),
lui répond l’autre pour lui
expliquer quel a été l’effet de
la lettre sur l’ancien nouveau
couple. Fou de colère, notre
cocu lance son verre sur un
grand miroir qui ne se casse
pourtant presque pas et s’en va
en parlant d’«un caprice idiot».
La trahison fait mal,est irréfléchie et ne rapporte rien, ça va,
on a compris…
En fait, la seule nouvelle qui
m’a fait un peu vibrer,c’est celle
intitulée « L’orgueil », où un
grand-père fait la leçon à son
petit-fils en lui parlant de l’orgueil. Et le voilà à convoquer
l’Histoire et ses personnages,la
France coloniale et un Hitler
suicidaire pour expliquer…
pourquoi sa femme et lui sont
SALAH BENLABED
fâchés et n’habiteront plus
jamais ensemble! Ici,au moins,le propos s’arrime au personnage et le ramage se
rapporte au plumage. Celle-là, au moins, m’a fait sourire.
On se bute parfois à quelques formules ampoulées, des vérités de La Palice que
l’auteur nous assène à coup de formulations étonnamment doctes du genre :
«[…] la plus grande solitude n’est-elle pas celle que l’on ressent au milieu d’une
foule ? » (p. 176) Mais, dans l’ensemble, ces considérations ne viennent pas
alléger le non-plaisir que l’on ressent à la lecture de ce petit livre. On y est simplement indifférent.
lettres québécoises • hiver 2009 •
35
nouvelle
MICHEL LORD
Hans-Jürgen Greif, Le chat proverbial, Québec,
L’instant même, 2009, 293 p., 25 $.
Une belle
écriture féline
Entre 1967 et 1978, Hans-Jürgen Greif publie des essais
en allemand, sa langue maternelle, mais à partir des années
quatre-vingt-dix, le professeur de littérature de l’Université
Laval se tourne vers la fiction, en français cette fois. Cela a
donné un beau recueil de nouvelles, Solistes, en 1997.
reif revient au genre cette
année avec Le chat proverbial,qui s’apparente au précédent en ce sens qu’il offre encore
des récits de vie où, cette fois, la vie
des chats est aussi importante sinon
plus que celle des humains.
G
Les onze nouvelles — plutôt novellas — ont toutes un titre très long
composé de deux proverbes possédant un sens lié assez librement avec
le récit qui suit. L’écriture précise,
classique dessine finement des portraits de gens et d’animaux domestiques dans les méandres de leur
existence,souvent jusqu’à leur mort.
Ainsi,dans la nouvelle d’ouverture,« “Bon chat n’a pas besoin de collier d’or”(Il
est superflu d’afficher sa valeur — Japon) »,une femme abandonne sa Florence
natale pour aller vivre avec son mari à Naples. Après la mort prématurée de
son mari, elle rencontre un chat qu’elle adopte et qui lui fait découvrir un trésor, ce qui leur assure une vie confortable.
Ce résumé rend à peine compte de la nouvelle qui, comme toutes les autres, est
fort développée, et de la plus captivante façon. Ainsi en est-il dans « “Dans un
pays sans chien on ferait aboyer le chat”(La fin justifie les moyens — Géorgie)»,
où un fonctionnaire à la retraite charge un notaire de léguer à ses héritiers les
intérêts de sa fortune insoupçonnée à la condition qu’ils prennent soin de son
chat. Cela donne suite à des événements rocambolesques.
La relation difficile avec l’animal sert de prétexte à la nouvelle «“À chat repu le
derrière de la souris pue” (Nos besoins satisfaits, nous pouvons faire la fine
bouche) — Sénégal»,dans laquelle une femme qui n’aime pas les chats en achète
un tout de même pour plaire à son amant toujours en deuil de son dernier chat.
Mal lui en prend.
L’accent est mis sur la fin de l’existence dans «“Un chat perd ses poils, mais pas
ses manières”(Nul ne peut lutter contre sa nature profonde — Pays-Bas)». Une
fin où le malheur se mue en bonheur grâce à un homme et à un chat, bien évidemment. Le récit prend la forme d’un rapport dans «“À bon chat bon rat” (La
défense vaut l’attaque — France)», un récit prenant autour d’une légende allemande qui n’a rien du rapport bureaucratique.
36 • lettres québécoises • hiver 2009
HANS-JÜRGEN GREIF
«“N’appelle pas le chat pour mettre d’accord les oiseaux”(Il est difficile de demander à plus fort que soi de régler un conflit — Inde)» met merveilleusement en
scène un chat mélomane sur qui compte un juge pour choisir les meilleurs interprètes de La flûte enchantée de Mozart. Le recueil se termine sur une nouvelle
réaliste magique,«“Aucun chat ne prend de souris pour l’amour de Dieu”(Chacun
travaille pour son propre intérêt — Iran)». Le narrateur apparemment autotélique évoque la réaction de son éditeur devant ce texte non réaliste, si différent
des autres: un chat y écrit des courriels à son maître pour le mettre sur la piste
d’une fumisterie dans un laboratoire où des expériences sur la douleur sont
menées au détriment des chats.
La traversée de ce fort recueil de novellas procure des joies et des peines, joies
de lire des récits si bien menés, peines liées par empathie au contenu qui
évoque les tourments infligés aux doux félins. L’amoureux des chats y trouvera son compte, l’amateur de longues nouvelles parfaitement ciselées, tout
autant.
1/2
Claudine Paquet, Entends-tu ce que je tais ?
Laval, Guy Saint-Jean éditeur, 2009, 131 p., 19,95 $.
Une âme
et une écriture
sensibles
Avec ce recueil, Claudine Paquet en est à son cinquième,
le précédent, Une toute petite vague, ayant paru en 2003.
Nouvellière de la discrétion, comme ses titres l’indiquent
bien, elle s’aventure également dans des zones douloureuses.
es vingt-sept nouvelles offertes dans Entends-tu ce que je tais? dix-sept
ont paru en revue (XYZ,Virages,Mœbius…) entre 2002 et 2008.Divisé
en trois parties, l’ouvrage se présente comme une série de très courtes
nouvelles,des esquisses presque,mais toutes assez intenses,chargées d’émotion,
de pathos même, cependant sans trop d’excès.
D
nouvelle
MICHEL LORD
L’auteure, thérapeute, laisse déborder
son métier dans sa pratique scripturaire, les personnages ayant à traverser
diverses épreuves et à faire l’apprentissage de la vie, qu’ils soient jeunes ou
vieux.
Claude Boisvert, Ça fait pas cinq minutes que je suis riche
et je déteste déjà les pauvres ! Montréal, CRAM, 2009, 219 p., 22,95 $.
Du vide
pur et simple
L’amour, avec ses beautés et ses difficultés, est au centre du discours. Dans
la première partie, «Rester ou partir»,
le programme est clair. « Mon phare »
montre un homme qui réfléchit au
temps qui flétrit tout,son corps comme
C L A U D I N E PA Q U E T
J’avais apprécié les premiers recueils de nouvelles de
Claude Boisvert en 1978 (Parendoxe) et 1980 (Tranches de
néant). Depuis, il en a fait paraître sept, dont cinq depuis
2006. C’est trop.
celui de sa femme,mais malgré
tout elle demeure son «phare».
Il restera. « Le fantôme du village » met en scène une forme
de réalisme magique,avec cette
femme qui passe une soirée de
rêve avec un homme qui semble
le gardien-fantôme des lieux,
resté à tout jamais là où sa vie
ancienne s’est déroulée. Il y a
aussi les relations difficiles entre
mère et fils rebelles, plus ou
moins attachés au foyer (« Terminus»).
La partie centrale, « Le passé crépite encore », a des relents de terroir avec « Le
Pont-de-Fer», où une femme se remémore son enfance dans un village où leur
vieille grange a disparu. Le ton se fait tragique dans «Injustice» avec ce narrateur,père d’une fille qui est morte dans l’effondrement des tours du World Trade
Center.Il ne crépite plus beaucoup,le passé,dans la tête de la vieille dame atteinte
de la maladie d’Alzheimer («Quand la mémoire oublie»). C’est le syndrome du
choc post-traumatique que Paquet exploite dans «Là-bas», le titre renvoyant à
l’Afrique et aux massacres dont le narrateur a été témoin et qui le hantent, le
torturent toujours. Il y a même une morte qui, dans «La légèreté d’une morte»,
dit son bonheur d’entendre sa fille faire scandaleusement la leçon à la famille lors
des funérailles,s’en prenant autant à sa mère alcoolique qu’à sa famille de snobs.
C’est assez hallucinant comme nouvelle.
La dernière partie, «Lorsque l’art sort de ses parenthèses», offre des textes plus
euphoriques dans lesquels l’art vient au secours des gens, les rend heureux. Un
homme salue le jour avec sa guitare pour que sa femme se réveille du bon pied,
dans « Saluer le jour ». C’est l’extase amoureuse qui explose dans « Les pas du
désir» avec ce jeune homme obnubilé par une danseuse avec qui il doit préparer un spectacle. Une femme malheureuse depuis un accident qui a fait perdre
la mémoire à son mari se remet à la peinture «avant que la nuit éteigne toutes les
étoiles de [s] on ciel » (p. 118). Enfin, l’apothéose survient dans « La victoire
d’Élie », lorsque le jeune homme du titre, qualifié bizarrement de « jubilé »,
annonce à sa famille guindée qu’il ne sera pas comptable,mais musicien de blues.
«Mieux vaut être un artiste épanoui qu’un comptable angoissé.» (p. 127)
Ce petit recueil,que j’ose croire sans prétention,est le fait d’une nouvellière sensible à la délicatesse des choses et des gens, ce qui transparaît de belle et juste
façon dans son écriture à la fois simple et intense.
e dernier, avec son titre
phrastique qui sert de mot
final à la nouvelle intitulée
« Un chèque », pourrait servir
d’exemple de logorrhée. Presque
toutes les nouvelles sont écrites
sous le signe de la répétition (de
mots,de syntagmes,de phrases…)
et de l’énumération de cas reliés à
un personnage que le style de
Boisvert peine à rendre intéressant.
Même les nouvelles fantastiques ou
de science-fiction irritent par leur
côté répétitif.Ainsi, dans «Au suivant ! » le discours est ponctué de
dizaines et de dizaines de «Au suivant » qui servent de leitmotiv à
CLAUDE BOISVERT
une histoire de SF campée à une
époque où les hommes contrôlés par des robots vivent bien au delà d’un siècle.
Le narrateur y ressasse inlassablement les mêmes propos relatifs à cet univers.
La SF a connu de meilleures heures.
L
Dans « Une logique d’infortune », un homme est irrité par les mauvaises nouvelles que retransmet la télé. Il décide de créer un appareil qui transforme les
nouvelles en quelque chose de positif. Le résultat, absolument sans intérêt, est
assez invraisemblable,merci.«Ni vu ni connu je t’embrouille» illustre le cas d’un
homme qui découvre qu’il a le pouvoir de tuer des gens lorsqu’il est en colère,par
la seule force de cette colère. Suivent la description et l’énumération d’une liste
interminable de cas de meurtres. Insupportable.
Parfois ces procédés de répétitions sont remplacés par des histoires insensées qui se veulent
comiques. Dans «Promotion posthume pour un
cul-de-jatte », un homme très pieux, déjà culde-jatte, est fauché par un automobiliste et perd
les deux bras. On l’empaille et l’expose dans son
église, en faisant ainsi le «premier homme-tronc
d’église» (p. 29). Très subtil, comme le reste.
La nouvelle, genre qui à son meilleur privilégie
la discrétion, trouve ici ses pires exemples de
pompiérisme, preuve s’il en est que la rareté crée
la valeur et son contraire,la prolifération,du vide
pur et simple.
lettres québécoises • hiver 2009 •
37
poésie
HUGUES CORRIVEAU
1/2
François Hébert, Poèmes de cirque et de circonstance, Montréal,
l’Hexagone, coll. « L’appel des mots », 2009, 96 p., 15,95 $.
Et si on riait
Et si on écoutait la musique.
uand on lit François Hébert, Erik
Satie n’est pas loin à l’oreille, Les
Gnosiennes, ses titres curieux ou
baroqueux,car le poète ici n’est jamais trop
sérieux pour que le rire ne vienne pas au
cœur,jamais trop farfelu pour qu’on ne sente
pas un certain désespoir,tout au moins une
manière de prendre le monde très,mais très
au sérieux.C’est toujours décalé par rapport
à ce que les normes du conformisme poétique édictent,mais c’est toujours chantant,
hurlant, matériel, concret, dérisoire ou de
guingois. Pourquoi Satie ? Pour des titres,
tout simplement, pour l’humour implicite
et délinquant. Retenons au passage ces
pièces pour piano seul: Trois Morceaux en
forme de poire (1903), 4 Préludes flasques
(pour un chien) (1912),Embryons desséchés (1913),Vieux Sequins et Vieilles Cuirasses
(1913),Les 3 valses distinguées du précieux dégoûté (1914),Sonatine bureaucratique
(1917).Mais alors,que vient faire notre bon vieux François Hébert parmi ces notes?
Aucune discordance, allons. Des titres de poèmes : « Je lûmes des poètes »,
«Salamalecs l’homme», «Dans la loge de Pavarotti (à la Castafiore)», «Crâne en
voyage organisé», «Joufflu», «Samy Frey en Sam Beckett»! Il y a de cela, non?
Q
DU SENS ET DES AUTRES
Dès le poème «Seuil»,on croit rêver tellement la simplicité de la chose sort de l’ordinaire et convoque,du même souffle,à la réflexion:«on étouffait / on a lu des auteurs
/ fredonné avec Cohen / s’est tapé l’Isidore Isou / On a été préoccupé avec Winnicott
/ on est allé jouer dehors avec Michaux / il a fallu rentrer / on a fait des efforts // on
est toujours dehors » (p. 9). Quand on sait qu’Isidore Isou a écrit, entre autres,
L’Agrégation d’un nom et d’un messie ou encore Traité de bave et d’éternité,on ne sera
pas surpris des références. Or, ce recueil en est un d’accompagnement, comme
souvent chez Hébert qui convie ses lectures,ses auteurs,ses proches,ses mondes.
ET SI ON SE PROMENAIT UN PEU
je prîmes la 51 teuf teuf […] / même moi je savions pas ousque j’allais
/ on trouve ousque teuf teuf teuf dans Montaigne / Verlaine et nos campaignes / pour aller pondre un beau poème / bel œuf tout neuf teuf teuf
il faisiont beau / teuf puis subito plic / et puis plic plac / beaucoup plac
plouc / plus fort il pleuvit alors teuf teuf / à poploc folie («Je lûmes des
poètes», p. 11).
FRANÇOIS HÉBERT
il en rajoute… Alors, tant qu’à écrire, faisons-le drolatique et primesautier. On
remonte dans l’autobus 51 ? D’accord : « la porte fait pchhh / rime avec le Pepsi
que l’on débou pchhh / sauf que le bus est reparteufteufti» («Parti pour la gloire»,
p. 13). Bon, on me dira ! D’accord, d’accord ! C’est pas ce qu’il y a de plus profond, de plus joli, de plus… quoi? Ça sonne et ça résonne, pourtant! Et la poésie? Elle fouisse,sans doute,sous tout ce fatras d’esbroufe sonore,de ce clinquant
de pacotille. Et pourtant, quelle dégaine, quel culot d’envoyer cela à la face des
bien-bardés. Est-ce que j’aime cela ? Je n’en sais trop rien… probablement pas
du tout, en fait… parce que c’est tellement loin de mes préoccupations personnelles,de ce que j’aime lire,de ce qui m’accroche.Mais je ne peux m’empêcher de
voir là une recherche qui fait écho au siècle dernier,qui réclame une liberté effrontée et joyeuse.
TOUT TONNE ET DÉTONNE
Je me suis contenté de citer les quelques tout premiers poèmes,mais c’est presque
toujours de la même eau, même quand le sérieux vient donner du glas sous la
langue: «bientôt pour t’éblouir / n’aurai plus mes bluettes / mon parler vert / ni
jour ni nuit / pour t’éjouir de lunes / pour t’admirer / ni de lunettes / ni mon français dolent / ni roses nirvanas névroses / ni voix ni langue ni / luette » (« Blues
du blanc de mémoire»,p.89).Ce recueil est réservé à ceux et celles qui ont le goût
de danser dans les voyelles,dans les références,dans tous les sens.Un beau recueil
curieux, sous des notes en couac ou en croche.
1/2
Michel A. Thérien, Terre de faïence, Ottawa,
David, coll. « Voix intérieures », 2009, 92 p., 17,95 $.
Urgence
pour la terre
Un tremblement de crainte.
Bon,on me dira! Mais quoi? Je répondrai,avec Hébert: «TEUF!» Il faut bien que
ça dérape, que ça rigole, que ça mouille un brin de déglingue par-ci, par-là.
I L FA U T L’ É C O U T E R L I R E
Car l’oralité implicite de cette poésie,François Hébert en fait un show formidable
devant qui vient l’écouter. Ça rit, ça se bidonne, ça se bidoche! Et il aime cela, et
38 • lettres québécoises • hiver 2009
u vertige et de l’espoir,pénultième recueil de Michel A.Thérien,avait été,
à juste titre, retenu comme finaliste au Prix de poésie du Gouverneur
général du Canada. Cette fois-ci, dans Terre de faïence, Thérien approfondit sa vision de la précarité du monde en creusant les cassures et les fragilités de cette vieille terre qui nous abrite. «L’argile fissurée / dans l’inexorable cri
D
poésie
HUGUES CORRIVEAU
du monde» («Argile», p. 17) s’ouvre sur une souffrance qui prend corps dans le
cœur même du poète, en une osmose que le chant intérieur magnifie.
LE POÈME COMME INSTRUMENT
Michel A. Thérien a en haute estime le
pouvoir de la poésie pour accéder à l’intériorité d’une matière qui se perd,s’empêtre dans le noir mouvement des
guerres ou la dissolution des déperditions : « un battement / dans l’acuité de
l’instant / sur une terre de faïence /
devient bruit / au creux de la main / qui
écrit » (« Filigrane », p. 34). Parole salvatrice, en quelque sorte, qui fait perdurer
l’espoir insensé d’une suite autrement,
d’un avenir différent : « une aimance /
subtile de l’inachevé / perpétue le désir»
(«Ellipse», p. 47).
Geneviève Blais, Le manège a lieu, préambule de Wei-Wei,
Montréal, Poètes de Brousse, 2009, 96 p., 15 $.
Chine,
ma douleur
Fascination impérative.
ei-Wei cerne bien, dans son préambule au Manège a lieu de
Geneviève Blais,les tensions sous-jacentes qui soutiennent les mots
de la poète: «Rythme en cascades qui enfile syllabes et sons / qu’accompagnent odeurs, couleurs et bruits / des lointains, de l’ailleurs, de là-bas, / et
brusques bouffées d’angoisse lors d’un saut, d’une plongée, d’une chute / dans
l’insondable, l’insaisissable de wo shi, de je suis.» (p. 9) Ce recueil fait suite à un
séjour de deux ans de l’auteure en Chine.
W
DIRE « JE SUIS », AUTREMENT
S’il est évident que Geneviève Blais a évité la facilité,proposé une langue à la limite
du classique et de l’éclaté (on a souvent l’impression que les blocs de textes sont
écrits en vers comptés), c’est pour mieux rendre la complexité émotive et viscérale que ce dépaysement lui a causée : « collision les autres cognent les autres /
démantelés à force de particules de chocs / je perds pied sous les secousses la
terre / tremble je dévale et l’attraction a lieu / ce qu’il y a de magnétique dans le
corps / dans ce corps comme dans tout corps / cherche à s’écraser à prendre
forme» («Manège un»,p.17).L’impact dont témoignent ces lignes est incontestable,et la confidence que nous en fait l’auteure rappelle le journal poétique.Huit
« manèges » vont lui permettre de tourner autour de ce décentrement, de cette
vrille qui emporte toute conviction.Entre la cruauté et le désenchantement,entre
la peur d’accoucher mal des mots et de perdre le sens, le nord, la voix, la poète
s’emporte.
B AT T E M E N T S
SOURDS
Tout le recueil se joue là entre
la catastrophe presque agonique et la volonté de dire,de
dénoncer, de souligner l’inachèvement,mais aussi d’insister sur la perpétuation
d’une vie qui vient aux mots,
au secret des paumes, dans
l’élan de l’écriture: «d’où le
poème / s’extirpe plonge et
plane / dans une liberté d’oiseaux / d’ailes et d’envols /
pour échapper / aux mortiers
métalliques / d’une cage»
(«Lettre», p. 64).
MAIS OÙ EST LA NOUVEAUTÉ ?
MICHEL A. THÉRIEN
DANS LA DURÉE
Par chance, un couple veille, s’obstine: «La nuit était en nous / comme des brins
de poussière / des cendres de lumière mauve // et j’enfouis dans mes poings / serrés contre l’oubli / les fossiles de nos deux corps / embrasés » (« Anémones »,
p. 69). Résistance contre la déréliction, résistance pour que des passions surnagent dans le relâchement incessant des heures.Car,semblablement,«l’amour est
une violence qui étreint » (« Amour », p. 72). Il faut que cette violence-là, plus
féconde sans doute, fasse en sorte que la terre soit toujours et encore habitable.
JUSQU’AU DERNIER MOT
Le désir de survivance tient le poète éveillé, aux aguets, dans l’urgence de conférer à la parole un pouvoir radical: «je tue en nous tout ce qui nous tue / et au petit
jour j’irradie toute vie extérieure / pour qu’au soleil levant // le soleil se lève encore»
(«Lieux intérieurs», p. 82). Cette foi sans borne tient la poésie au milieu même
de la vie pour que le sens fasse surgir au-devant des heures les heures encore possibles des rencontres et des passions.
Et c’est sous l’aspect souvent conventionnel des réflexions, des situations prévisibles que le recueil perd un peu de son acuité. Le surpeuplement, le manque
d’isolement, le dépaysement, toute sensation qui sent, hélas ! un peu trop le
convenu.Prenons pour exemple ce poème énumératif qui déploie l’image la plus
évidente qu’on puisse avoir de ce pays:
les gens accoudés sur leurs genoux les files
les longues files les bus bondés
rues bondées marchands de légumes étals
à chair cireurs de chaussures et les enfants
des garçons plein les rues majong et cartes
le son du gong cithares klaxons la foule
les gens leurs yeux et les nôtres on a tous
l’air de bêtes de cirque carrousels dragons
les frontières accourent nous transpercent
prochain arrêt camarades descendez lai lai
(«Manège deux», p. 27)
Par chance, la qualité littéraire du livre, son rythme soutenu et brisé, haletant
même, tous ces éléments font de ce recueil un objet qui mérite peut-être qu’on
s’y attarde.
lettres québécoises • hiver 2009 •
39
poésie
RACHEL LECLERC
Michel van Schendel, Il dit, Montréal,
l’Hexagone, 2008, 128 p., 17,95 $.
À la recherche
de Mme Balbèque
De Proust, il disait que l’œuvre était « parfaite ». Il détestait et craignait le populisme, et la seule expression « écrire
avec ses tripes » le mettait hors de lui. Michel van Schendel
n’avait pas choisi d’être un intellectuel au sens très fort
du terme et un poète amoureux de son bilboquet — le langage —, trouvant de la joie à remplir chaque jour son petit
vaisseau.
e n’est pas un livre simple, d’aucuns diraient même que ce n’est pas un
livre. Or Il dit est bel et bien un livre au sens où l’auteur l’entendait, un
ensemble de textes qui avancent vers un même but: l’unité tient à ce qu’il
réclame une forme et un contenu pour un projet d’autofiction. Tout ce que Van
Schendel cherchait il y a trente, quarante ans, en écrivant ces petits chapitres
C
DE LA SOUPE AU JARDIN
Le pays Campbell. Tout est dit là de la détestation que vouait l’homme à ce qui,
au Canada, au Québec qu’il habita presque à son corps défendant — quoi qu’il
en eût dit —, empestait l’américanisme.Ses raisons intimes, ses motifs — dont
certains hautement politiques —,il les a analysés,puis théorisés jusqu’à en avoir
mal au cœur. De sa nausée, où le vieil échec communiste avait quand même à
voir, il a construit une œuvre qui, contrairement à celle de plusieurs autres
« piliers » de l’Hexagone, s’est enrichie durant les dernières années au lieu de
s’amincir.Le poète n’avait pas de lauriers sur lesquels s’endormir.Il l’a construite,
cette œuvre, avec une générosité qui lui dessilla les yeux et lui fit comprendre les
tenants et les aboutissants de la frilosité de son pays d’adoption.
Pourtant, en 1952, Van Schendel avait quelque chose du Français qui, à peine
débarqué, veut en remontrer aux indigènes sur les bonnes manières. L’auteur,
arrivé au Québec en pleine Noirceur, n’avait d’abord pas choisi d’y vivre, puis il
a commencé par se buter aux portes, presque toutes fermées pour cause de religiosité. Il faut croire que la tradition a perduré dans certains foyers, car ce récit
dense et exigeant qu’est Un temps éventuel est tombé à l’occasion entre mauvaises
mains: un article cuisant de méchanceté et de mauvaise foi fut publié dans Voix
et Images,une critique passablement xénophobe dont la seule lecture avait «sali»
le principal intéressé, selon ses dires mêmes.
TEL QU’EN LUI-MÊME
Quoi qu’il en soit, Il dit, malgré son statut ingrat d’ébauche, intéressera les universitaires attachés à l’homme et à l’œuvre ainsi que tous ceux qui savent, pour
le malheur de Van Schendel mais aussi pour sa propre satisfaction, qu’une telle
exigence est très loin du goût qui fabrique en ce pays les best-sellers et les Prix
des libraires ou des collégiens. Mais ce pays, qui, faute de s’admirer lui-même,
s’admire à travers ses intellectuels — qu’il ne cesse pourtant de repousser dans
la marge —,ce pays qui ne veut pas (se) penser sait-il seulement qu’il est tombé
tout petit dans la soupe aux légumes telle qu’elle a été réinventée par l’un de nos
plus talentueux jardiniers?
Si je ne donne pas d’étoile à Il dit, ce n’est la faute de personne. La liberté de Van
Schendel n’apprécierait pas ce type d’évaluation. J’aurais trop peur que le vieux
professeur m’apparaisse une nuit pour me reprocher ma barbarie: «Mais enfin!!!»
Paul Bélanger, Répit, Montréal,
le Noroît, 2009, 77 p., 16,95 $.
M I C H E L VA N S C H E N D E L
restés inédits — peut-être parce que non publiables —, il l’aura trouvé dans un
livre prodigieux paru en 2002,Un temps éventuel, récit d’un parcours non moins
prodigieux, où se déroule une rare qualité d’écriture qui donnait enfin un sens
créatif à de vieilles frustrations ou errances autant qu’à d’anciens bonheurs.
Une leçon d’écriture.
Van Schendel recherchait la densité, la concentration des choses pleines et parfaites — comme Proust —, des choses lisibles et en même temps suprêmement
intelligentes.Il en appelait à notre discernement et se butait lui-même aux écueils
d’une telle exigence. D’où l’impossibilité pour lui de publier de son vivant Il dit,
chose in-finie.
Et pourtant il en avait accepté-demandé la publication juste avant sa mort,comme
s’il refusait de léguer aux tiroirs ces textes qu’il savait contenir tout de lui-même,
malgré leur fort relent de laboratoire.
40 • lettres québécoises • hiver 2009
Dans l’atelier
On ne sera pas étonné par ce nouveau livre de Paul Bélanger,
tant y sont ressassés les mêmes thèmes et les mêmes obsessions qu’avant : le regard sur soi, la promiscuité des ombres
et le Temps, qui traverse le poète et n’en finit pas de le saisir d’étonnement.
n première de couverture,occupant toute la page,une photographie couleur du bureau de l’Auteur: pâle table d’écriture,bois chaud sans contour,
objets qu’on dirait légèrement étirés. Tout semble apprêté pour un
confortable exercice de création: la pièce est un refuge à la fin du jour,et quelque
substance florale y servira d’adjuvant à l’imaginaire (il est question dans le livre
des «drogues» qui ont permis au poète d’élargir sa quête).
E
poésie
RACHEL LECLERC
Pourtant, Répit n’est pas sans
insister sur l’aspect dérisoire
d’une telle entreprise, vivrepenser-écrire,et sur la minceur
du résultat obtenu. Devant la
coutumière humilité du poète,
on se dit qu’à force d’insistance,
la modestie portera un jour ses
fruits.
SOUS INFLUENCE
C’est peu de dire que Paul
Bélanger fut marqué par son
compagnonnage avec le regretté Michel Beaulieu. Il y a,
PA U L B É L A N G E R
un peu partout dans Répit,
cette manie que le grand poète
avait osé ériger en règle personnelle de versification : le fameux enjambement.
Ici,le sens s’en trouve multiplié,certes,mais la lecture en est hachurée,et le plaisir quasiment refusé:
Qu’on me pardonne si je suis
humain je tends la main
à mon silence cédant
mon tour venu à l’inlassable
recommencement (p. 62)
Le livre insiste donc sur l’attitude du poète
isolé qui s’étudie lui-même,d’un regard en
biais.Chez Bélanger, la poésie est un art de
vivre, une manière d’avancer.
Les phrases ont parfois un caractère platement descriptif,à tel point que la recherche
du poétique, et avec elle tout l’appareil
métaphorique,est reléguée au second plan.
Ce qui donne lieu à des pages où la charge
d’évocation est assez mince et à certaines
expressions qui volent la vedette par excès
de prosaïsme: «face à l’étrangeté de la situation» (p.51) «tel est mon lieu archaïque
si j’ose dire» (p. 76, c’est moi qui souligne).
Ainsi, Bélanger écrit souvent comme il parle. Ce n’est pas un défaut en soi, mais
on n’aime guère retomber aussi vite sur le plancher des vaches.Sans compter que
le livre commence comme un roman: «jour de répit devant le fleuve sans vagues
/ où je suis venu me reposer quelques jours».(p.9) Ça fait pas mal de jours… Et
où est la recherche poétique dans le second vers, même dans le premier? Est-ce
un choix ? Est-ce de la facilité ? Oui et oui. Avec les avantages et les inconvénients.
CHEZ LES OMBRES
Puisqu’on peut très bien ne pas les voir,ces défauts ne font pas un mauvais livre,
et Paul Bélanger, éditeur au Noroît, a acquis de haute patience sa place dans le
corpus québécois. On lui sait gré d’une telle attention portée à sa propre errance
et d’une grande fidélité au chemin élu dans les premières années — même si,
en écriture comme ailleurs, la fidélité à un style n’est pas toujours souhaitable.
Mais il reste qu’on est souvent heurté par l’absence de musique et d’harmonie
dans des phrases dont le rythme et la sonorité, mal étudiés, agacent l’oreille. «Il
avait repris dès après leur départ» (p. 10) Mais j’avoue avoir l’oreille sensible…
Je partage son penchant pour les fantômes,et il a raison de leur rendre hommage,
malgré la forme assez prosaïque de l’énoncé: «Je vis dans la proximité des ombres
/ sans leur amitié je ne serais pas / seulement étouffé par la solitude / je vivrais
la déréliction même». (p. 66)
1 / 2
Yves Boisvert, Classe moyenne, Trois-Rivières / Differdange,
Écrits des Forges / Éditions Phi, 2009, 96 p., 10 $.
Une volée
de Boisvert
Les poètes sont-ils là pour gueuler à notre place ? C’est probablement inclus dans leur description de tâches, mais la plupart rechignent à se sacrifier — on les comprend —, râlent
sur l’ingratitude du rôle et sur l’écriture en coup de poing qu’il
implique. Yves Boisvert, lui, ne s’enfarge pas dans les fleurs
du tapis.
out poètes que nous soyons, nous
sommes susceptibles — et probablement suspectés —, de faire
partie de cette classe moyenne que fustige
Boisvert. L’homme est, je crois, de l’École
Patrice-Desbiens, qu’il a jointe dès l’inauguration avec, déjà, un certain bagage de
publications.Mais on se demande si l’élève
n’a pas dévié, voire décroché en cours de
scolarité et s’il a bien reçu sa patente : ce
livre est loin de la poésie telle que je la
conçois, un précipité de sens, un rythme,
une harmonie, un éclair nécessaire dans le
noir.
T
« Chez Réno Dépôt / prélart d’apparence
faux-bois / et carreaux de tuiles moirées
pour cuisinette / ou chiottes Vétro Daltile» (p. 64) Si le poème est le creuset de
notre lucidité — il s’en fait même ici le bidet — et le messager de notre mécontentement, il ne peut être, en aucun temps, un simple garrochage de n’importe
quoi.
MON REFUGE, Ô MON VOLCAN
J’ai de la sympathie pour les écorchés vifs.J’ai aussi bien de l’estime pour le poète
Boisvert. Mais nous sommes tous des écorchés! Tous, nous vivotons aux portes
d’un asile de fous, là où les moins fous s’exercent patiemment, jetés dans les
bosquets avec leur écritoire, à donner une forme à leur terrible et si oppressante
frustration, à en faire de l’art.
Il y a eu de bons livres signés Yves Boisvert, il y en aura d’autres.Le Noroît a déjà
publié un fort beau recueil (que je n’ai pas sous la main).À l’époque de ses forces
vives, l’homme aurait pu, ou dû, prendre le siège laissé vacant par un Gilbert
Langevin. Mais le prince ne torchait jamais ses poèmes. À quoi semble se résigner l’auteur de ce haro sur la Majorité confortable.
lettres québécoises • hiver 2009 •
41
poésie
J A C Q U E S PA Q U I N
1/2
Danny Plourde, Cellule esperanza (n’existe pas sans nous),
Montréal, l’Hexagone, 2009, 144 p., 19,95 $.
Le poète
en colère
Plus virulent encore que le recueil qui lui a valu le prix ÉmileNelligan 2007, le dernier opus de Danny Plourde tire à boulets rouges sur la société actuelle et le Québec en particulier.
auteur de Vers quelque et
Calme aurore, dont l’écriture
est reconnaissable entre
toutes, affectionne toujours les doubles
titres et conserve l’usage des blocs de
prose troués de blancs, à la manière des
«mots-flots» du Paul-Marie Lapointe du
Vierge incendié. Les textes en vers sont
désormais réduits à un seul poème qui
vient clore chaque section du recueil.
Mais la nouveauté la plus frappante est
l’ajout d’une trame parallèle qui apparaît en alternance, tantôt en haut de
page, tantôt en bas, et qui se distingue
par l’italique. Autre différence marquante: le poète consent à l’usage du je, mais uniquement dans le vers et exceptionnellement dans les passages en prose,mais il ne renvoie jamais au sujet scripteur du poème,sauf par ironie.Quels sont donc les objets visés par cette violence
exacerbée ? Recyclant pour son propre propos les mémorables « cellules de tuseuls» des Belles-sœurs de Michel Tremblay, Plourde en exploite le vocable dans
toutes ses variations, insistant chaque fois sur le sentiment d’enfermement et
d’isolement.L’apathie que le poète constate le désespère d’autant plus qu’il mesure
du même coup et avec amertume l’incapacité de sa poésie, de la poésie à changer le monde:
L’
DANNY PLOURDE
ments,mais convenons qu’il est dommage que le sujet du poème ne se donne pas
le répit de prendre ses distances. L’écriture reste puissante, rebelle, Plourde tire
les bonnes cordes pour donner mauvaise conscience à son lecteur, mais sans lui
ménager de porte de sortie. Derrière cette pléthore d’accusations à tout crin, on
sent bien que le poète veut sonner une alarme, que son combat est un combat
d’amour,comme le clame toute utopie révolutionnaire.Malheureusement,le choix
d’un registre unique, uniforme, même, mine l’intérêt d’un recueil au demeurant
fort percutant. Danny Plourde est l’un des meilleurs poètes de sa génération et
on aurait tort de réduire sa poésie à un discours de contenu, purement contestataire. Il est aussi sensible aux sonorités et nombre de poèmes s’amorcent avec
un jeu d’allitérations qui crée un décalage entre le travail du poème et les sombres
constats. Il est enfin l’un des rares poètes engagés du Québec à l’heure actuelle.
Peu importent les réserves que nous pourrions émettre sur le résultat,nous avons
besoin d’entendre cette voix qui s’élève contre notre confort et notre indifférence,
de quelque nature que ce soit.
Mon cœur Affaibli à force de me fendre le cul en quatre à partager la
poésie avec des semblables qui s’en câlissent parce qu’ils ont d’autres pea
soup à fouetter (p. 37)
Jean-Yves Théberge, Les chemins aveugles, Montréal,
Les Écrits francs s.a., 2009, 56 p., 10 $.
Il n’est pas un bout dans les phrases du recueil, illuminées ici et là par la majuscule — curieux rappel des poètes symbolistes qui la pratiquaient abondamment —, qui ne dresse un constat d’accusation de la société actuelle et dont le
Québec, plus que les autres, fait les frais. Plourde pleure l’échec du référendum
de 1995 qui,à ses yeux,annihile toute prétention de la poésie à avoir droit à l’existence et à la reconnaissance. Le poème liminaire annonçait pourtant un propos
plus nuancé, touchant dans l’expression douloureuse de ce dilemme insoluble:
Quand
tout se perd
me sens nombreux mais insuffisant
il arrive que ne sache pas combien il
faut être […] écrire ma disparition sans affolement comment rester crédible
entre l’inquiétude et l’indifférence le poème est une fêlure (p. 13)
Jean-Yves Théberge, qui publie par intermittence depuis
1969, convie son lecteur à un tête-à-tête.
ARTILLERIE LOURDE
écrivain, qui doit sa naissance à sa rencontre avec Gatien Lapointe, a
choisi une petite maison d’édition à contre-courant,qui refuse la dimension mercantile. En effet, Les Écrits francs s.a., dont le libellé s’inspire
du prénom de son fondateur, Francis Lagacé, refusent de confier la diffusion de
Je soupçonne que ce liminaire a été écrit après coup, car la majorité du recueil
reste uniment acrimonieux, sentiment dont je ne remets pas en cause les fonde-
42 • lettres québécoises • hiver 2009
L’
poésie
J A C Q U E S PA Q U I N
leur catalogue à un distributeur
et ne confient leur mise en marché qu’à une librairie indépendante de Montréal et une coop
universitaire.On peut s’interroger sur les motifs qui poussent
Jean-Yves Théberge à publier
chez un éditeur qui assure à ses
auteurs de passer inaperçus,
sauf quand, par hasard, ils font
l’objet d’une chronique. Beau
paradoxe.
Marcil Cossette, Sur le parvis des nuages,
Ottawa, David, 2009, 72 p., 15,95 $.
Feuilles mortes
Le titre du premier recueil de Marcil Cossette ne laisse pas
de doute sur la teneur de sa poésie, plus disposée à célébrer le passé qu’à inventer le présent.
e registre est solennel et
rappelle les envolées
lyriques des grands romantiques du XIXe siècle. N’est-
L
J E A N -Y V E S T H É B E R G E
Les chemins aveugles portent bien leur titre,car
il y est beaucoup question de se perdre, de
perte de repères,de choses cachées et de routes
qui font plutôt office de déroutes. Le poète
vieillissant marche vers un horizon «[ô]ù tout
s’émeut pour rien / S’embrouille et se perd»
(p. 52). Cette écriture frugale, limpide même,
jette pourtant un regard crépusculaire sur
l’homme et le poète.Ce point de vue n’est pas
uniquement dû à la proximité du trépas,non,car déjà à la naissance,constate froidement le poète,«Le premier mot nous a laissé tomber» (p.36).J’avais peut-être
tort au fond de parler de tête-à-tête plus haut,puisque le lecteur,s’il est interpellé
à l’occasion,se trouve réduit à un rôle de tiers,assistant à une conversation de soi
avec soi.Arrivé à un âge où l’on se questionne sur le sens de la mort,le poète jongle
avec bien peu de certitudes. Ni l’absolu, qu’il raille, ni Dieu ne sont des consolations, en tout cas pas ce dieu qui prépare si mal à franchir l’au-delà:
Si on m’ouvrait le cœur
On verrait Dieu aux yeux
hagards
Tremblant de peur (p. 52)
Le poète grince des dents, cède parfois au ressassement (on compte nombre de
vocables de la perte), mais il laisse une impression tenace. L’homme Théberge
est bel et bien devant un cul-de-sac, mais n’est jamais à court de poésie.
MARCIL COSSETTE
il pas question de « voix / Revenues d’outretombe» (p.22)? Le poète se présente comme le chantre de la nature qu’il célèbre
en oubliant que certains agencements de mots font partie de lieux communs qu’il
est prudent d’éviter: «forêt du silence» (p.25),«raviver le désir»,«les jeux inventaient l’enfance» (p. 26), etc. Le choix de certains thèmes, si ce n’était que nous
sommes au XIXe siècle, l’aurait fait acclamer par le mouvement régionaliste qui a
dominé la première moitié du siècle dernier: l’arbre, les «souvenances» (p. 27),
le forgeron,le laboureur,lequel suscite des images pour le moins cocasses,même
si on accepte que le locuteur soit un arbre : « Pour déjouer la tronçonneuse / Je
déploierais mes charmes» (p. 35). En somme, la poésie de Marcil Cossette, sans
être mal écrite, reste trop bucolique pour être prise au sérieux aux yeux des lecteurs qui sont ses contemporains.
lettres québécoises • hiver 2009 •
43
MICHEL GAULIN
études littéraires
Guylaine Massoutre, Renaissances. Vivre avec Joyce, Aquin, Yourcenar.
Fiction, Montréal, Fides, 2007, 444 p., 34,95 $.
Errances
à travers
la culture
« Heureux qui comme Ulysse… », chantait déjà Du Bellay au
XVIe siècle. L’on pourrait sans doute, peu ou prou, appliquer
le même adage aux trois protagonistes de ce livre qui rassemble, dans une même tentative d’élucidation des enjeux
de la culture, trois figures emblématiques d’une quête obstinée d’identité.
rlandais d’origine, James Joyce devait longuement parcourir l’Europe de
part en part (Trieste, Rome, Zurich, Paris) avec, toujours en tête, l’idée de
son Ulysse,avant de regagner et de redécouvrir,ne serait-ce qu’en esprit,son
Irlande natale et de la mettre,pour ainsi dire,«sur la carte du monde»,face à une
Angleterre qui tentait, depuis des siècles, d’en obnubiler l’existence. Quant à
Hubert Aquin, Montréalais d’origine, héraut de la souveraineté du Québec, idéal
qui lui donnait sans doute, au départ, des affinités avec Joyce, il n’en était pas
moins un «fou d’Europe», continent que, tant personnellement qu’à travers ses
personnages, il devait parcourir en tous sens, à la vitesse de bolides débridés.
Reste Marguerite Yourcenar, née en Belgique, première femme à entrer à
l’Académie française,qui allait terminer sa vie retirée dans une île des États-Unis,
mais qui restait profondément attachée à son Europe natale, dont elle avait su
tirer tout le suc et s’en faire une sagesse.
I
U N E FA C T U R E I N É D I T E
Telles sont les trois figures de proue que Guylaine Massoutre met en scène dans
cette «fiction» d’une belle tenue d’ensemble, et qui respire la culture de part en
part.Chacun des protagonistes y est présenté de façon différente,mais pour être
réuni aux autres dans un entretien (auquel se seront joints quatre autres personnages — Nora Barnacle, l’épouse de Joyce, Zénon, le personnage de L’œuvre
au noir de Marguerite Yourcenar et son cousin Henri-Maximilien,enfin le peintre
Piero de la Francesca,à qui sont consacrées de très belles pages vers la fin de l’ouvrage),pour tirer quelques conclusions sur les prégnantes questions d’ordre culturel évoquées en cours de route.
Joyce est présenté à la troisième personne. La voix narrative évoque ses pérégrinations européennes à partir de son séjour à Trieste, où il s’était installé provisoirement, en octobre 1904, à l’âge de 22 ans, avec Nora, rencontrée en juin de la
même année et qu’il n’épousera que vingt-sept ans plus tard (et leurs deux
enfants), question de prendre un peu de distance par rapport à son pays natal.
C’est dans ce milieu cosmopolite qu’il pourra commencer enfin à se donner le
champ intellectuel et émotif nécessaire pour mener à bien le grand projet qui le
taraude et à jeter sur papier, déjà, les premières pages de l’œuvre à venir. La narratrice,encore pour l’instant anonyme,en profite pour nous raconter,au passage,
la naissance et la jeunesse de son personnage, ses études, mais également pour
dresser le bien sombre tableau de la situation politique et sociale de l’Irlande du
temps: pauvreté,sentiment d’abandon,émigration massive vers l’Amérique.Mais
44 • lettres québécoises • hiver 2009
GUYLAINE MASSOUTRE
vient enfin, pour Joyce, le moment de la
révélation : celle qui consistera à fixer en
une seule journée, celle du 16 juin 1904
(date de la rencontre de Nora), l’action de
son roman et de faire de Léopold Bloom le
principal personnage de cette Odyssée de
vingt-quatre heures autour de Dublin, et qui donnera son nom au célèbre
«Bloomsday»,marqué chaque année à travers le monde par les joyciens fervents.
Mais voici que survient inopinément un autre personnage, Christine, une
Montréalaise,qui chasse Joyce du décor («Ouste Joyce,place à Christine»,p.102)
et qui nous annonce, quelques pages plus loin (114) qu’elle est « le fil d’Ariane
dans le labyrinthe». C’est le point de jonction entre la première partie du livre et
la seconde, consacrée à Hubert Aquin. Le lecteur apprend que cette Christine,
grande admiratrice de Joyce,a été,en même temps,l’une des dernières maîtresses
d’Aquin avant son suicide,et le lien s’établit rapidement avec Christine Forestier,
ce personnage étrange de L’antiphonaire,qu’elle est à la fois et qu’elle n’est pas.À
partir de ce moment, son empire s’étendra de plus en plus solidement sur la
narration, qui passera de la troisième à la première personne principalement, et
qui prendra de plus en plus de place dans l’ouvrage,au point où le lecteur pourra
avoir l’impression que la partie consacrée à Yourcenar est quelque peu escamotée, et que cette dernière en est réduite un peu à l’état de faire-valoir. Heureusement, ce sentiment est racheté en partie par la dernière section de l’ouvrage
qui tente, par l’entremise de l’entretien de synthèse que j’ai évoqué ci-dessus, de
dégager les grandes lignes de la sagesse qu’a livrée la période exceptionnelle
que fut la Renaissance,et de celle de tous ces penseurs et savants qui,tel le Zénon
de Yourcenar, se sont livrés, à cette époque comme par la suite, à l’étude de
l’homme et du monde.
On notera enfin,au crédit de ce livre,la virtuosité de l’écriture,qui donne constamment l’impression de couler librement tel le flot de la conscience, de même que
la connaissance approfondie, chez l’auteur, du monde de l’art, sous toutes ses
formes, qui donne à l’ouvrage un remarquable relief.
MICHEL GAULIN
études littéraires
1/2
Nicole V. Champeau, Pointe Maligne l’infiniment oubliée. Présence française
dans le Haut Saint-Laurent ontarien, tome I,
Ottawa, Vermillon, coll. « Visages », 2009, 376 p., 30 $.
Travail de deuil
Un livre qui, par l’entremise des noms de lieux, aspire à
remettre en valeur le passé français du Haut Saint-Laurent
ontarien, depuis trop longtemps injustement relégué aux
oubliettes de l’histoire.
oici un livre qui vient à son heure, en cette année qui marque le cinquantième anniversaire de la Voie maritime du Saint-Laurent. Peu de
gens se rappellent aujourd’hui l’ampleur de travaux d’Hercule qui
durent, au cours des années cinquante, être réalisés sur la partie ontarienne du
grand fleuve pour ouvrir la voie jusqu’à l’embouchure des Grands Lacs et permettre ainsi aux océaniques de pénétrer jusqu’au cœur du Canada. Mais les
V
LA « MÉMOIRE BLESSÉE »
Nicole V. Champeau cite en exergue de la dernière partie de son livre l’expression
de l’écrivain Roger Levac,«la mémoire blessée»,qui nous fait comprendre qu’il y
a au fond de cet ouvrage une part importante d’investissement extrêmement personnel, non seulement au plan des recherches intensives sur ce sujet auxquelles
se consacre depuis plusieurs années l’auteur, mais au souvenir des déboires qui
ont résulté de l’implantation de la Voie maritime pour des proches,et d’un certain
dédain pressenti chez les Québécois à l’endroit de la partie ontarienne du fleuve
qui est,après tout,le même que celui qui coule devant leurs demeures,un peu plus
loin en aval.Ces pages au ton quelque peu amer auraient peut-être eu intérêt à être
retirées avant publication,car elles ont pour effet de gâter légèrement le plaisir que
le lecteur avait éprouvé aux premières étapes de sa lecture.
On nous annonce, par ailleurs, la publication d’un second tome, de pièces documentaires celui-là, destiné à faire pendant au premier, mais qui ne semble pas
encore avoir paru.
Jean-François Chassay, Si la science m’était contée. Des savants en littérature,
Paris, le Seuil, coll. « Science ouverte », 2009, 306 p., 39,95 $.
De science
en littérature
Une étude intéressante consacrée à l’utilisation qui a été faite
en littérature (comprise au sens large) de certaines grandes
figures de savants, controversées pour la plupart.
familles qui furent directement
affectées par ce «grand dérangement », qui furent chassées
de leurs terres pour faire place
N I C O L E V. C H A M P E A U
aux eaux envahissantes, puis
«relocalisées»,se souviennent.Nicole V.Champeau appartient justement à l’une
de ces familles et travaille depuis plusieurs années déjà non seulement à réhabiliter la mémoire de ces oubliés de l’histoire, mais bien au delà, à faire revivre le
passé français de cette section du Saint-Laurent trop souvent oubliée au profit de
sa section québécoise.
LA POÉSIE DES NOMS
La «Pointe Maligne» du titre de l’ouvrage est le nom que portait jadis l’emplacement de la ville connue aujourd’hui sous le nom de Cornwall. Se fondant, en
partie, sur l’exemple du beau livre du regretté Pierre Perrault, Toutes isles, paru
en 1963, Nicole V. Champeau, elle, aspire à faire revivre dans toute leur splendeur tous ces beaux noms à consonance française dont était orné le littoral, au
moment où vivait encore le beau rêve d’une «Amérique française».Elle les aligne
les uns au côté des autres sous les yeux du lecteur, mais elle fait plus également:
elle en explique l’origine, les localise au moyen de vieilles cartes et de plans dessinés par les découvreurs (certaines pièces sont reproduites) ou par les récits de
voyageurs,évoque,au moyen de reproductions d’œuvres d’art de l’époque (W.H.
Bartlett,par exemple) les grands moments de leur existence,pour certains d’entre
eux, ou des malheurs qui y ont laissé leur marque.
ean-François Chassay est un littéraire et
un romancier à l’esprit original qui n’hésite pas à s’aventurer dans des domaines
où bien d’autres membres de l’espèce hésiteraient à poser le pied.Si la science m’était contée
vient conforter cette réputation. Chassay s’intéresse ici aux œuvres littéraires (romanesques
en grande partie,mais également théâtrales ou
même cinématographiques) inspirées par la
vie ou l’œuvre de savants qui ont laissé leur
marque sur la civilisation occidentale depuis le
XVIe siècle jusqu’à nos jours, en l’occurrence:
Giordano Bruno, Galilée, Newton, Darwin,
Marie Curie, Einstein et Oppenheimer. À un
titre ou à un autre,il s’agit de savants qui durent
faire face, au cours de leur carrière, à l’hostilité de leur temps et qui, pour certains,
y laissèrent leur vie (Bruno) ou eurent à subir l’expérience du cachot pour des opinions ou des trouvailles qui allaient par la suite leur donner raison.
J
À la lumière des connaissances et des valeurs d’aujourd’hui, Chassay s’efforce
de rendre justice à chacune de ces figures,puis passe en revue,avec un plaisir évident, les œuvres littéraires dont ils ont été l’occasion, œuvres qui ne font pas
toujours l’unanimité sur le fond des choses. Mais force m’est bien de constater
que,pour tirer un plaisir maximal de cet ouvrage,il m’aurait également fallu aller
lire les nombreuses œuvres littéraires à l’examen desquelles Chassay s’est livré
dans son parcours.
lettres québécoises • hiver 2009 •
45
essai
CARLOS BERGERON
Philippe Bernier Arcand, Je vote moi non plus. Pourquoi les politiciens
sont les seuls responsables du cynisme et de la désaffection politique,
Verdun, Amérik Média, 2009, 125 p., 14,95 $.
De l’image
en politique
Un livre qui expose intelligemment, et avec humour, les courbettes qu’est prêt à faire un politicien pour travailler son
image, pour devenir le parfait reflet d’une masse électorale
à séduire.
ès son introduction, Arcand
annonce les balises de son
raisonnement: «On a tenté de
rendre la politique plus accessible,
divertissante et populaire. » (p. 3) C’est
à partir de ce constat qu’il tâchera de
montrer, avec des exemples provenant
de partout dans le monde,comment les
politiciens expérimentent des manipulations diverses pour se mouler à la
populace,devenir son miroir.Huit principaux chapitres aux titres accrocheurs
(« Courtiser la jeunesse » [p. 11], « Le
fou porte maintenant la couronne ! »
[p. 19], « Votez Tartuffe ! » [p. 61], etc.)
chapeautent un contenu qui ne peut que
captiver l’intérêt.
D
Je vote moi non plus est tout simplement intéressant, malgré sa tendance à lister
des informations desquelles on attend un peu plus de développement. Quoi
qu’il en soit, le bouquin a tout pour plaire, même le double « B » laissé à « BIBBLIOGRAPHIE» à la toute fin de la table des matières.
1/2
Rosette Pipar, Désir d’écrire, Saint-Sauveur,
Marcel Broquet éditeur, coll. « Inédit », 2008, 156 p., 19,95 $.
La parole
à l’écrit
La passionnante Rosette Pipar semble avoir tout donné d’un
seul coup, comme si la parole intérieure, laissée trop longtemps en gestation, était sortie sous l’impulsion d’une incontrôlable allégresse.
ésir d’écrire, dont la sincérité du propos a le pouvoir de ne laisser personne indifférent, offre un discours métissé dans lequel les genres et
les tons se mélangent, et crée un effet cible diablement efficace : une
impression de vérité ou de « parole » universelle s’empare du lecteur idéal, cet
artiste dont la voix gagnerait aussi à être entendue. Pourtant, je reste ambivalent
face à ce texte qui m’a à la fois profondément interpellé,au plan de sa thématique
et de sa structure, mais tout autant agacé par son style alambiqué, fleuri, frôlant
parfois la dérision.
D
MIROIR, MIROIR !
Que ce soit pour courtiser la jeunesse (Lucien Bouchard qui
assiste au spectacle de Madonna
pendant la campagne électorale
de 1993), atteindre le plus large
auditoire possible en se travestissant en humoriste du dimanche (Jean Charest, acteur
dans Le cœur a ses raisons) ou se
rapprocher du petit peuple en
affichant fièrement ses origines
ouvrières (Brian Mulroney insistant pour dire qu’il vient d’un
milieu modeste), le politicien
sait ce qu’il faut mettre en valeur
pour séduire. Le chapitre 7,
« T’as le look, coco », est partiPHILIPPE BERNIER ARCAND
culièrement bien réussi, car il
arrive à nous convaincre qu’en «politique,tout n’est qu’apparence.Les politiciens
utilisent les mêmes méthodes que les vedettes de la scène et les mêmes trucages
qu’au cinéma» (p. 79). C’est Bush parti en Irak pour fêter l’Action de grâce avec
les militaires et qui se fait photographier « en train d’exhiber une dinde qui
était,selon The Washington Post,en plastique» (p.79).Ce sont les images que les
46 • lettres québécoises • hiver 2009
informations ont divulguées lors de l’arrestation de Saddam Hussein: le dictateur moustachu, prince intransigeant et fier, est subitement devenu cette loque
barbue sortie du trou et se faisant jouer dans la bouche par les Américains.
UN ESSAI POÉTIQUE EN CINQ CHAPITRES
Les trois premiers chapitres, « La
révolte » (p. 19-90), « La réplique »
(p. 91-111) et « Réflexions » (p. 113123),dynamisés par un réel travail sur
la narration,méritent toute notre attention ; les deux derniers, « L’essentiel »
(p. 125-134) et «Écrire pour se créer»
(p.135-149),bien qu’ils constituent une
synthèse de la thèse spirituelle développée par l’auteure, soit que le véritable artiste est un canal servant de
cadre langagier à une essence divine,
m’ont davantage paru comme une
interminable conclusion forgée de
répétitions. Le résultat s’avère déplorable : fracture maladroite de la cohésion, volonté d’orienter la lecture, de
préciser, de redire alors que c’est
inutile. La courte «Préface» écrite par
Nathalie Choquette est carrément de trop (Grand Dieu,qu’est-ce que ça vient faire
là?!) et l’«Avant-propos» signé par Rosette Pipar, résumé maladroit qui vend la
mèche plutôt que de stimuler le désir de lire, a cependant le mérite d’expliquer
l’enjeu en question : « Ce livre à naître retrace des événements majeurs de [sa]
essai
CARLOS BERGERON
vie,pour tenter de comprendre pourquoi
il n’a pu naître avant ce jour.» (p.15) Quoi
qu’il en soit, oser franchir ce paratexte
liminaire, c’est constater que les choses
s’améliorent nettement au premier chapitre.
Si Désir d’écrire est, du côté de la narration, fort intéressant, il n’en reste pas moins que son style, parfois
trop fleuri, m’a souvent agacé. [...] L’œuvre à venir de
Mme Pipar, que je lui souhaite riche pour le grand plaisir de son lectorat, sera sans aucun doute le développement attendu de Désir d’écrire, ce petit diamant brut.
U N E V O I X À L’ É C R I T
En effet, dès «La révolte», Pipar donne une voix à l’écrit. Le point de départ est
fulgurant! L’écrit personnifié,prenant la parole,nous fait automatiquement entrer
dans un espace allégorique, prétexte à narrer des épisodes marquants de la vie
de l’auteure,autant de motifs biographiques nous permettant de connaître l’histoire d’une personnalité effervescente, attachante. L’incipit ouvre alors un parcours discursif inusité et nous fait comprendre que cette voix personnifiée
s’adresse directement à celle, ce tu écrivant, qui a finalement consenti à l’exprimer: «Voilà maintenant plus de dix ans que tu me tiens en otage.Languissant au
creux de ton ventre, mon âme a soif de papier, ma seule raison d’être. » (p. 19)
Dès le second chapitre,«La réplique»,la narratrice répond à l’écrit: «C’en est fini
de tes crises existentialistes.Aujourd’hui,tu as bien fait de me parler.Donne-moi
la chance de t’expliquer.» (p.91) Puis elle dialogue avec elle-même,interrogeant
tantôt le rôle de l’écrivain,tantôt celui de la littérature.Dans le troisième chapitre,
«Réflexions», elle théorise en quelque sorte ce qu’elle a illustré précédemment:
Louis Cornellier, L’art de défendre ses opinions expliqué à tout le monde,
Montréal, VLB éditeur, 2009, 109 p., 14,95 $.
Trop
rapide !
« L’auteur, tout comme n’importe quel
artiste authentique, n’est en fait que le
canal de l’essence divine qui se personnifie.» (p. 117) Elle fait ensuite une touchante apologie de l’écrit : « L’écrit est
tout. Il est pour moi la seule véritable
connexion avec moi.» (p.119) On ne peut
qu’y croire!
STYLE ROMANTIQUE
Si Désir d’écrire est,du côté de la narration,fort intéressant,il n’en reste pas moins
que son style, parfois trop fleuri, m’a souvent agacé. Des expressions comme
«Percluse d’angoisse,figée par la peur,tu déversas l’océan de tes regrets dans une
marée qui n’en finissait pas d’engloutir la moindre parcelle d’énergie» (p. 46);
«il représente l’écume de tes rêves et de tes talents» (p.70); «De son regard bleu
d’azur émanait ce même sourire rieur et doux enrobé de désir» (p.77),etc.détonnent avec ce que semble être le projet scriptural de l’auteure, c’est-à-dire écrire
une œuvre sérieuse, livrer un message. Dommage.
L’œuvre à venir de Mme Pipar, que je lui souhaite riche pour le grand plaisir de
son lectorat, sera sans aucun doute le développement attendu de Désir d’écrire,
ce petit diamant brut.
guides instantanés ayant la prétention
de venir en aide « aux honnêtes citoyens » (p. 11) en leur proposant une
solution miracle!
RAPIDITÉ ET
GÉNÉRALITÉ
À trop vouloir vulgariser, on réduit tout, on papillonne, on ne
fait qu’effleurer l’essentiel. Mais quel visage précis se cache
derrière « l’honnête citoyen » ?
n partant du
principe que les
Québécois ne
sont pas «tombés dans la
marmite de l’éloquence
en bas âge, [et qu’ils]
entretiendraient donc un
rapport plus malaisé
avec les débats d’opinions » (p. 9), Louis
Cornellier a décidé qu’il
était temps de leur montrer comment « construire une argumentation pertinente et de
qualité » (p. 10), de les
initier, donc, au mystérieux « art » de la rhétorique. Mais moi, voilà, je
n’en peux plus de ces
E
Le manuel est divisé en sept chapitres,
dont quatre (II,III,IV,V) me paraissent
essentiels. Les trois autres (I, VI, VII)
sont plutôt superflus dans la perspective initiale d’aider le néophyte.Le premier, donc, « Pour une saine rhétorique» (p.13),que «l’honnête citoyen»
ne lira tout simplement pas, car, pratiquement parlant, cela ne lui servira
absolument à rien,entend lui enseigner
l’origine et le but de la rhétorique. Par contre, les quatre chapitres suivants fournissent effectivement de bons outils à l’étudiant qui souhaite comprendre la nature
et l’utilité du discours argumentatif. Après avoir distingué l’opinion de l’information (chapitre II), Cornellier établit une liste commentée de huit arguments
classiques (chapitre III), dont font partie « L’appel aux sentiments » (p. 32),
« L’analogie » (p. 40) et « L’appel à la tradition » (p. 42). Cette typologie est en
effet très intéressante, car elle capte l’essentiel. Le chapitre IV, quant à lui, présente «trois démarches distinctes visant à encadrer l’argumentation» (p.51); les
plans démonstratif,délibératif et réfutatif y sont,un peu trop rapidement,expliqués. Le tout est, en revanche, abondamment illustré au chapitre suivant, qui a
le grand mérite de donner des exemples concrets et d’encadrer le lecteur.
Alors qu’on se serait plutôt attendu à la finale,Louis Cornellier escamote,au chapitreVI,la «dialectique éristique» de Schopenhauer,à la suite de quoi il s’enfarge
une fois de plus, au chapitre suivant, en nous servant le point de vue de Marc
Angenot. L’impression d’un collage d’articles ou d’assemblage rapide ne peut,
malheureusement,que scier le lecteur que je suis et qui en a marre de cette pédagogie bon marché! Tout ça est, en définitive, trop rapide pour moi.
LOUIS CORNELLIER
lettres québécoises • hiver 2009 •
47
essai
RENALD BÉRUBÉ
Isabelle Daunais (dir.), Le roman vu par les romanciers,
Québec, Nota bene, 2008, 190 p., 23,95 $.
Les romanciers
et leur roman,
genre
Genre « sans règles ni frein », « conquérant », le roman n’hésite pas à se faire « mégalomane », écrivait jadis l’essayiste
Marthe Robert dans Roman des origines et origines du roman
(1972). Que racontent donc les romanciers quand ils causent de leur… genre ?
es huit articles qui composent le très intelligent
ouvrage dirigé par Isabelle Daunais sont fort bien
encadrés par le texte d’ouverture, « Milan
Kundera : penser à l’intérieur du roman » de François
Ricard, et celui qui clôt l’ensemble, « Marcel Proust : le
fameux travail» d’Yvon Rivard.Si Kundera habite «le pays
du roman » (p. 22-25), image-topos magnifique, Ricard
distingue aussi avec à-propos entre «pensée romancière»
(les essais d’un romancier) et « pensée romanesque »
(réflexion sur le roman à l’intérieur d’un roman),Kundera
ayant pratiqué les deux (p. 25 sq.). Proust a lui aussi pratiqué l’une et l’autre; il écrit, dans un passage du Temps
retrouvé placé par Rivard en épigraphe à son article, se
rappeler qu’il se demandait si le «fameux travail», celui
d’écrire «son» roman,correspondait à sa réalité — était
bien son pays en quelque sorte.
L
LE DESSIN CACHÉ
Ce qui permet à Rivard d’évoquer, en toute tendresse et pertinence, l’effet sur
ses parents du «fameux travail» de lecture-écriture de leur fils (p.167).Conclusion
de Rivard après avoir appelé à la barre Gabrielle Roy, Virginia Woolf, Hermann
Broch et Albert Camus,entre autres: comme René Girard,il croit que le «fameux
travail» «est la prière secrète de tous ceux qui n’ont pas d’histoire,qui cherchent
le dessin caché de leur vie» (p. 184), leur pays personnel.
Il est amplement permis de croire, à la lecture de ce recueil d’analyses critiques
qui présentent les « lectures » du roman et de son histoire selon divers romanciers, que le « pays du roman » est une vaste contrée, que « la prière secrète »
menant à la recherche du «dessin caché d’une vie» peut se psalmodier selon bien
des partitions,certaines relevant,croient-elles en toute bonne foi,d’un imparable
credo, de l’évidence; d’autres, au contraire, pratiquant le doute, quasi méthodiquement. Dans tous les cas, réponses assurées ou constamment à réaménager,
c’est peut-être le questionnement qui mérite surtout l’attention.
ISABELLE DAUNAIS
roger sur celui-ci dans le sillage des articles de Jacques Rivière parus dans La
Nouvelle Revue française en 1913 (p. 41-43). Nous retrouvons le même Rivière dans l’article qu’Isabelle Daunais
consacre à Julien Gracq (« Julien Gracq : le roman d’aventures ») ; Mme Daunais a bien raison de souligner, dans sa
«Présentation»,«les liens qui unissent les romanciers,malgré les années et les contextes qui les séparent» (p.6).Entre
les articles sur Gide et Gracq, celui de Mathieu Bélisle,
«Marcel Aymé: la liberté du roman». Pas de lien entre ces
trois-là, croyez-vous ? Faux : ils partagent une admiration
commune pour l’œuvre de Simenon, modèle du roman
d’aventures selon Rivière pourrait-on dire. Même que l’auteur de La jument verte a préfacé une édition du Chien jaune,
préface qu’utilise souvent Bélisle dans son analyse des visées
romanesques d’Aymé. (Sujet de réflexion : Gide admirait
surtout et Simenon et Dostoïevski.)
S’il y eut crise du roman français au début du XXe siècle, il y
eut plus tard l’existentialisme de Sartre dans l’immédiat
après-guerre de 1945. Les discussions (?) Sartre-Mauriac
que souligne l’article de Jonathan Livernois, « François
Mauriac : “Ce n’est point le chrétien qui juge…” », article
dans lequel André Gide aussi est présent, rendent compte à leur façon des questions alors à l’ordre du jour.LA question qui se pose: celle de la liberté du roman,
de la liberté d’action de ses personnages vis-à-vis des «doctrines».
LE(S) NOUVEAU (X) ROMAN(S)
Le Nouveau roman, lui, marquera profondément l’écriture romanesque de la
seconde moitié du XXe siècle; «Le Nouveau roman devant le roman» de Katerine
Gosselin est une pure merveille d’analyse à la fois pointue et parfaitement claire.
Sa lecture de l’histoire (des histoires, en fait) du roman selon Sarraute, Simon et
Robbe-Grillet montre bien que le roman dit traditionnel servait à la fois d’appui
et de repoussoir permettant l’usage de l’adjectif «nouveau».Il montre également
que le Nouveau roman était aussi nombreux qu’il y avait de nouveaux romanciers.Que sa prépondérance quasi totalitaire explique,selon Lakis Proguidis,que
l’essai de Jacques Laurent, Roman du roman (1977), soit injustement passé
inaperçu.
SIMENON, DONC
Ainsi, André Gide (« André Gide : le roman pur » par Michel Biron) n’en finit
pas, d’abord, de rôder dans les parages divers du genre romanesque, de s’inter-
48 • lettres québécoises • hiver 2009
On se prend à souhaiter que le groupe de recherche TSAR (Travaux sur les arts
du roman), sous l’égide duquel ce recueil est né, mène un travail semblable sur
«la pensée romanesque» après celui-ci sur «la pensée romancière».
essai
RENALD BÉRUBÉ
Alexandre Stefanescu (dir.), René Lévesque. Mythes et réalités, Montréal,
VLB éditeur, coll. « Études québécoises », 2008, 256 p., 29,95 $.
La parole active
René Lévesque : à lui seul, ce nom résume un large pan, le
plus dynamique et le plus tonifiant peut-être, de l’histoire du
Québec dans la seconde moitié de XXe siècle.
n 2007, vingt ans après le
décès de René Lévesque, un
colloque tenu à la Grande
Bibliothèque sous la présidence de
Claude Corbo visait à faire le point sur
l’action et la pensée de l’ancien
ministre libéral (1960-1966) de la
Révolution tranquille qui fut aussi le
fondateur du Parti québécois en 1968
et le premier ministre du Québec
entre 1976 et 1985. Voici les actes de
ce colloque accompagnés du CD d’un
discours sur le nationalisme prononcé par Lévesque le 9 mai 1964 au
collège Sainte-Marie.
E
L’ouvrage contient le texte de seize
communications — la journée du
23 novembre 2007 aura été fort bien remplie! Et l’ouvrage se lit avec un intérêt
qui ne se dément quasi jamais,les sujets abordés,vastement diversifiés mais bien
regroupés,l’étant toujours dans un langage qui facilite intelligemment la lecture,
alors même que le sujet ou le point de vue analytique peut être fort pointu.
F.D.Roosevelt des «causeries au coin du feu» qui l’a tant influencé, ce que souligne aussi Balthazar.Le «pur pouvoir du récit» et «l’aptitude à raconter» (p.69)
sont des données essentielles de la parole de Lévesque, en quoi elle se distingue
de la rhétorique sans appartenance de Trudeau.
Si l’« Ouverture » de Claude Corbo propose une lecture attachante du mois de
novembre dans la carrière de Lévesque, ce sont les deux textes qui suivent qu’il
faut opposer. Celui de Lysiane Gagnon, plutôt mesquin sinon hargneux, atrabilaire: au législatif, Lévesque n’est que le projet de loi 101 — et encore, c’est la loi
de Camille Laurin. La nationalisation de l’Hydro a commencé sous Godbout et
s’est continuée sous Lesage, la SAAQ était déjà en cours sous Bourassa, comme
la loi sur le financement des partis et des élections (sait-elle bien l’influence de
Gérard Brady,en cette occurrence?),etc.Lévesque est un mythe à cause de ce qu’il
était,«moins à cause de ce qu’il a fait» (p.17).L’article suivant,de Daniel Jacques,
reproche à Lévesque son célèbre « À la prochaine fois » si tant aimé de prime
abord; mais ce reproche s’accompagne de tant de compréhension et d’attention
qu’on accepte de le suivre, même si on se trouve en désaccord: il y a là de l’idéalisme malheureux, pas de matoiserie intempestive.
François Chalifour, Hélène Lefebvre. De la peinture à la performance,
Ottawa, L’Interligne, coll. « Synapses », 2009, 96 p., 24,95 $.
De l’image
à la parole
Un tout petit livre, mais ô combien intéressant et intrigant
tout à la fois, qui témoigne de l’évolution d’une pratique créatrice qui mène de la peinture à la performance en passant
par les installations.
« L’ O R G U E I L D E S H U M B L E S »
Puisqu’il ne saurait être question de présenter et d’analyser chacune des communications, il importe de fournir au moins le nom des personnes qui les ont
présentées, en suivant l’ordre de la table des matières : Claude Corbo, Lysiane
Gagnon, Daniel Jacques, Jean-Jacques Simard, Xavier Gélinas, Louis Balthazar,
Pierre Nepveu, Michel Lévesque, Serge Denis, Marc Comby, Alain Noël, Éric
Bédard, Pierre Anctil, Philip Resnick, Guy Lachapelle et Martine Tremblay. Les
sujets vont de l’attitude première et fondatrice de Lévesque, « l’orgueil des
humbles» selon J.-J.Simard,à son intérêt particulier pour le langage selon Louis
Balthazar et Pierre Neveu, à son ou ses point(s) de vue sur la gauche et la socialdémocratie (Denis,Comby,Noël),à l’influence sur lui de Georges-Émile Lapalme
et Gérard Brady (M. Lévesque), à ses rapports à Lionel Groulx et au nationalisme québécois (Gélinas, Lachapelle), aux « bleus » du RN (Bédard), aux communautés culturelles et nommément à la communauté juive (Anctil),au Canada
anglais enfin (Resnick). La synthèse de tout cela, par Martine Tremblay, est un
modèle de pertinence et de concision.
PA R O L E , C U LT U R E , O R A L I T É
Bien sûr,il y a des textes qui retiennent du premier coup votre attention.J’en veux
souligner trois,en disant haut et fort que cela ne signifie surtout pas que les autres,
deuxième lecture, ne retiennent pas la même attention. Les trois: celui de Pierre
Nepveu d’abord,nous sommes ici entre littéraires; parce que Nepveu montre bien
comment culture et oralité ont partie liée chez Lévesque ainsi que chez le
rois étapes dans la
carrière en création
d’Hélène Lefebvre :
peinture, installations, performance. Née à Québec,
linguiste et avocate de formation, elle entreprend à
compter de 1996 « une
longue séquence de production qui l’inscrira comme
une des artistes en vue de la
scène culturelle francoontarienne » (p. 11-12).
T
Ce petit livre, en sa fin (p. 69
sq.),présente des images des
diverses phases de la carrière de Mme Lefebvre; dans les pages qui précèdent, il
offre des analyses très détaillées malgré leur brièveté (toujours la même d’un
chapitre à l’autre) des divers moments de la démarche de Mme Lefebvre.
Le mot «peinture» va de soi, sans doute; tel n’est pas le cas des mots «installations» et «performance». L’auteur les explique de façon nette, claire. Il faut souhaiter à tout artiste d’avoir un lecteur aussi généreux,attentif et autorisé que l’est
François Chalifour, sémioticien, pour l’œuvre d’Hélène Lefebvre.
lettres québécoises • hiver 2009 •
49
essai
FRANCIS LANGEVIN
Jean Lamarre, D’Avignon. Médecin, patriote et nordiste, Montréal,
VLB éditeur, coll. « Études québécoises », 2009, 272 p., 22,95 $.
L’exil amer
d’un patriote
de 1837
L’historien Jean Lamarre raconte les années d’exil d’un père
de famille qui, de patriote radical et téméraire, se fera médecin
de village discret avant de devenir un nordiste modéré et dévoué
— mais qui garde en haine la stratège Angleterre ! —, pour
enfin rentrer en sorte de héros local au Sable Forks, meurtri,
usé et déçu par son petit pécule.
oseph-François D’Avignon
(1807-1867) est surtout connu
pour sa participation au soulèvement patriote de 1837-1838, et
compte parmi ceux qui, comme
Papineau,vont s’exiler après la défaite
des révolutionnaires. Celui qu’on
appelle aussi «Davignon», à la différence de Papineau, ne reviendra pratiquement jamais en Bas-Canada.
«Désillusionné par l’échec de la rébellion, écrit Jean Lamarre, D’Avignon
préfère s’expatrier définitivement plutôt que de se soumettre à nouveau au
joug britannique qu’il avait si vivement condamné. » (p. 34) Médecin,
D’Avignon va s’établir pour de bon
aux abords du lac Champlain.
J
Près de vingt ans après son mariage avec une jeune femme américaine,l’homme
estime s’être endetté et,tout au début de la guerre de Sécession,à l’automne 1861,
il choisit de s’enrôler comme officier-chirurgien dans l’armée nordiste.Pour rembourser plus rapidement ses dettes — et peut-être par goût de l’aventure? —, il
quitte femme et enfants pour partir au front en mars 1862. Quelques semaines
plus tard,il apprend le décès de sa jeune épouse.Les enfants seront placés auprès
de la belle-famille sans même qu’il ait pu se rendre aux funérailles de sa femme.
L’aîné de la famille, Eugène, s’installe à Montréal, et c’est grâce à la correspondance entre le père et le fils que Jean Lamarre entreprend de raconter cette partie de la vie de D’Avignon.
Si les recherches historiques sont imparables dans ce livre, le récit n’est pas celui
d’un romancier. En effet, pas d’intrigue ni de suspense à trouver ici; on a plutôt
l’impression de lire une dissertation inégale, ou plutôt une «introduction» soufflée par le milieu par nombre de reformulations (à propos notamment des motivations de D’Avignon à s’engager auprès des nordistes et des conséquences sur
sa vie familiale), sans compter les paraphrases des lettres qu’on trouve — heureusement! — en annexe (les lettres couvrent la période de juin 1862 à avril 1867).
50 • lettres québécoises • hiver 2009
L’artefact est ingrat,convenonsen : D’Avignon écrit dans un
anglais approximatif et ne joue
pas les correspondants de
guerre ni les confidents sensibles. Il est plutôt préoccupé
du sort de ses enfants, des
entrées d’argent et des dépenses à venir, de ses dettes et
d’autres soucis domestiques.
Bref,il transmet des directives,
demande des nouvelles et
raconte un quotidien pas toujours trépidant, bien qu’on
sente dans certaines lettres,où
il raconte l’évolution de sa
propre santé (l’homme a près
de 60 ans), une force de caracJEAN LAMARRE
tère peu commune. Il est regrettable que D’Avignon n’ait
pas consigné dans ses lettres son passage de quatre mois dans les prisons
sudistes, dans des conditions qu’on estime déplorables.
Ses lettres ne sont tragiques que parce qu’elles montrent — dans la retenue et la
maladresse de l’épistolier — l’isolement d’un homme pris entre ses idéaux (révolutionnaire ou partisan de l’ordre ?) et ses devoirs (une nouvelle patrie ou sa
famille?).Mais elles sont surtout des témoignages de première main de la médecine de son époque (le fils étudie la chimie et travaille dans une société pharmaceutique), des conditions d’exercice au front, mais aussi des idées qui circulent, car père et fils s’échangent des journaux et s’intéressent de près à la
géopolitique bouillonnante de leur époque — sans jamais pourtant quitter leur
position d’observateur.
I N FO CA P S U L E
LA FRANCE SE RÉVEILLE-T-ELLE?
Coup de tonnerre dans l’édition française : cette année, les auteurs québécois sont en train de prendre la vedette dans tous les prix littéraires les plus
importants: prix Goncourt,Femina,Medicis,Décembre,Wepler,etc.Certains
esprits chagrins en profiteront pour clamer haut et fort que ces auteurs ne
sont pas véritablement des Québécois puisqu’ils sont nés en Haïti (Dany
Laferrière), à Chicago (Catherine Mavrikakis), à Trinité-et-Tobago (Neil
Bissoondath), au Togo (Edem Awumey), mais c’est oublier que ces derniers ont publié d’abord au Québec avant d’être mis sur le marché français.En somme,se réalise le vœu le plus cher des éditeurs québécois: publier
les auteurs d’ici pour les vendre ensuite sur le marché étranger (la France
est de ce nombre). Que la France nous découvre est d’une certaine façon
ahurissant. Notre littérature est exportée partout dans le monde, mais la
France a,la plupart du temps,fait la sourde oreille.La preuve : elle a attendu
que trente-six pays achètent les droits de L’histoire de Pi avant de prendre
conscience que le gagnant du Booker Prize avait produit un best-seller international! Quand on regarde l’attitude de l’Angleterre face aux pays dits colonisés du Commonwealth, on voit bien qu’elle est tout à fait différente. Par
exemple, le Booker Prize n’a jamais cessé de mettre en vedette des auteurs
du Canada, de l’Afrique du Sud, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, sans
compter les auteurs de l’Irlande et de l’Écosse qui tiennent à leur spécificité.
La France a un sérieux bond en avant à faire avant de rivaliser avec
l’Angleterre…
essai
FRANCIS LANGEVIN
Louise Beaudoin et Stéphane Paquin (dir.),
Pourquoi la Francophonie ?
Montréal, VLB, 2008, 237 p. 17,95 $.
POUR UNE TROISIÈME
FRANCOPHONIE :
plus que
la diversité
en partage ?
Cet ouvrage collectif paru quelques semaines avant le
Sommet de la Francophonie de Québec (18 au 18 octobre
2008) réunit 17 contributions éclectiques qui témoignent du
bain rhétorique dans lequel trempe l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
n portrait historique (Bruno Maltais) de l’institutionnalisation de la Francophonie permet
d’aborder les différentes dimensions des missions successives que l’organisme a accumulées, de la
coopération logistique postcoloniale des origines à l’ambition résolument politique, jusqu’au mot du jour : la
«diversité culturelle». En creux de ce portrait, on lit une
respectueuse critique de l’éparpillement des missions de
l’organisation au gré de l’agenda politique et culturel
mondial. De fait, au gré des statistiques déployées, on
s’aperçoit que le principe qui rassemble les États et les
nations membres glisse de la « langue française en partage » à des « valeurs universelles ». Françoise MassartPiérard montre avec lucidité que la structure de la
Francophonie est d’ailleurs avant tout « relationnelle »,
une façon assez habile de récupérer les critiques adressées à l’OIF. Bref, ce n’est pas un lobby, ce sont des relations,et son hétérogénéité,sa diversité,fait sa force.L’effort rhétorique est admirable.
U
Le texte de Christian Philip exemplifie le potentiel diplomatique de l’OIF,qui offre
une tribune idéologique multilatérale supplémentaire aux États. Avec la verve
magistrale qu’on lui connaît,Jean-François Lisée montre bien comment le Québec
tire profit de la récente adoption d’une charte de respect des différences culturelles à l’UNESCO.L’exemple des lois linguistiques d’affichage et d’étiquetage ne
pouvait être mieux trouvé : le Québec trouve un bouclier auprès des instances
internationales telles l’OIF et l’UNESCO pour parer un potentiel affaiblissement
de ses protections culturelles au sein de la Confédération.
Si certains craignent que l’OIF ait des préoccupations politiques (la sénatrice
Catherine Tasca, par exemple), leur mise en sourdine est précisément ce qui
inquiète Jacques Frémont, pour qui les droits, la démocratie et la paix sont la
raison d’être d’une communauté internationale légitime et utile. Il faudrait évi-
ter, il a raison, de donner l’image d’un club social fondé sur la diversité et qui ne
sait pas énoncer clairement ses valeurs,notamment en matière de droits humains.
Pierre Lampron souligne une certaine crispation culturelle en faisant la chronique d’une révolution annoncée, celle d’Internet, qui bouleverse les formes de
production,de diffusion et d’accès à la culture.TV5,bras technologique et médiatique de l’OIF, doit savoir rapidement investir Internet au lieu de promouvoir
des structures culturelles «classiques» (livres, films, disques, etc.).
Michel Guillou évoque la francophobie qui se développe en Afrique, largement
attribuable non pas à la moins grande attractivité de la sonorité du français (une
langue pourtant si apte à exprimer les idées complexes! se délecte Alain Juppé),
mais aux valeurs qui y ont très longtemps été associées (prenez des notes,
M. Juppé). « L’imaginaire francophone est en panne », écrit Guillou (p. 86). Le
désengagement de la France ne semble pas étranger à cette lassitude; c’est bien
une question de rapport à la langue véhiculaire (anglais ou français, pour les
affaires «mondiales»?),comme le souligne Bernard Cassen,mais c’est aussi une
question de valeurs, car le modèle politique et philosophique « des Lumières »
devrait faire valoir sa légitimité face à des puissances économiques et culturelles comme la Chine,écrit Jean Tabi Manga.Pour exercer sa «magistrature d’influence» (Senghor),l’OIF doit aussi jouer un rôle en matière d’infrastructures de
recherche et de développement.À trop se battre contre la disparition imminente
du français et l’américanisation de la culture, l’OIF en aurait de même oublié de
penser sa mission à long terme — et son occidentalité… Elle aurait délaissé les
questions d’éducation, en laissant se développer un enseignement approximatif
du français «langue étrangère», note Katia Haddad. C’est vrai, la Francophonie
est aussi une question de Langue, on allait l’oublier…
Plusieurs,dont Louise Beaudoin,sont de l’avis de Lisée: il faut que
l’OIF prépare une convention sur la diversité linguistique. À lire
Aurélien Yannic, on a en revanche l’impression qu’à chercher un
paradigme rassembleur (une «romanophonie»?), on en arrive à
un tel degré de généralité englobante qu’il ne reste rien des spécificités qu’on souhaitait préserver.La faute en incombe peut-être
à l’efficacité rhétorique de la «diversité»: nous sommes à ce point
toutes et tous divers que cela nous semble une raison suffisante de
nous réunir… Ainsi donc nous aurions la différence en partage.
Difficile de dire de cet ouvrage qu’il est bigarré,même si on a quelquefois l’impression que Perec a retouché certains textes.Diversité
oblige, on alterne entre le sabir universitaire ou énarque, la
machine à discours d’attaché politique,le coup de gueule souriant
du « terrain », la conférence rodée façon candidature à hautes
responsabilités (et plus si affinités),de sorte qu’on ne sent pas toujours l’utilité de la réunion des chapitres autour de la question
pourtant annoncée par le titre, et qui, comme ce livre, donne toujours à penser:
pourquoi la Francophonie?
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lettres québécoises ?
C o n t a c t e z M I C H È L E VA NA S S E
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lettres québécoises • hiver 2009 •
51
essai
CLAUDINE POTVIN
1/2
Katri Sunohen, Prêter la voix. La condition masculine
et les romancières québécoises, Québec, Nota bene,
coll. « Essais critiques », 2009, 290 p., 26,95 $.
Faire parler
l’homme
Quand les écrivaines choisissent d’explorer les identités
sexuelles à partir de la perspective masculine, elles n’en interrogent pas moins le féminin et le rapport problématique entre
les sexes.
rêter la voix de Katri Sunohen
est une étude soignée de
quatre romans de femmes qui
se penchent sur le regard d’un protagoniste-narrateur masculin.Sunohen examine dans son ouvrage les œuvres
d’Anne Hébert (Les Fous de Bassan),de
Suzanne Jacob (Laura Laur), de
Monique Proulx (Homme invisible à la
fenêtre) et de Monique LaRue (La
démarche du crabe),publiées entre 1980
et 1990. Comme le souligne l’auteure
dans la première note,son livre est issu
d’une thèse doctorale soutenue en 2003,
et grandement nourri par des articles
parus avant cette date. L’abondance de
notes confère à l’ouvrage une dimension scolaire qui rend la lecture plutôt
lourde.
P
CONSTRUCTION/DÉCONSTRUCTION
Suhonen offre donc des relectures de quatre romans québécois et met l’accent
sur la construction de la masculinité et des identités sexuelles. Si Hébert articule une fissure et une rupture dans l’univers patriarcal, Jacob se demande si la
voix de l’homme efface automatiquement celle de la femme et brouille la frontière entre le masculin et le féminin et entre les multiples masculins. Reprenant
Derrida, Suhonen souligne qu’ici le féminin est de l’ordre du symbole, «l’incarnation même de tout ce qui critique un ordre donné,qui conteste une vérité absolue » (p. 122), et symbolise la marge, la remise en question et le doute, opérant
de la sorte une certaine déconstruction de la masculinité. Quant à Proulx et à
LaRue, elles mettent en place un féminisme éclairé qui s’attarde sur l’homme
comme objet d’analyse,à travers des portraits de l’identité «sexuale» chez la première et d’une chute de l’autonomie masculine chez la deuxième et par conséquent de son évolution et de sa transformation. Finalement, «[l]’action subversive des personnages féminins suggère que la masculinité [n’est] pas une entité
autonome et univoque» (p. 272) et que ces personnages «suscitent une mise en
question de la masculinité traditionnelle et un retour vers le passé,afin d’y retrouver les éléments manquants d’une identité et d’en adopter une qui soit compatible avec la société actuelle» (p. 273).
Benoît Lacroix, La mer récompense le fleuve. Parcours de Benoît Lacroix.
Conversations avec Simone Saumur-Lambert et Pierrot Lambert,
Montréal, Fides, 2009, 312 p., 27,95 $.
Penser
le ciel et la terre
Une longue conversation entre soi et l’autre, un heureux
détour par le passé, une constante assise dans le présent :
l’art de la confidence, au nom de la vie, de l’amitié et de la foi.
R E L I R E L E D I S C O U R S PAT R I A R C A L
Or,bien que les thèses demeurent très souvent sur les tablettes des bibliothèques,
la publication d’une recherche du genre s’avère extrêmement pertinente et utile
dans le contexte de la critique littéraire québécoise.En effet,l’originalité de l’étude
consiste à montrer que, dans de nombreux textes récents de femmes, l’homme
n’est plus le seul responsable de l’oppression patriarcale mais qu’il en est luimême jusqu’à un certain point sinon une victime,tout au moins un être aux prises
avec la société qui le définit. En ce sens, la présente étude « a pour hypothèse
que les auteures font s’exprimer le personnage masculin tout en utilisant certaines astuces formelles […] afin de saper son autorité discursive (plutôt que
d’augmenter la leur), de sorte que le discours patriarcal unilatéral fasse place à
un dialogue et s’ouvre à d’autres voix» (p.27).D’où le choix d’un corpus de romancières qui ont choisi de « prêter une voix à l’homme », d’où le point de départ
suivant : « Le profit du travestisme narratif pour les romancières de notre corpus d’analyse se trouve du côté d’une remise en question de l’autorité discursive
masculine.» (p. 54)
Dans le premier chapitre, Suhonen précise quelques bases théoriques (Bordo,
Jardine,Derrida,etc.) qui servent de cadre à son étude.Ces commentaires,majoritairement axés sur des travaux féministes,s’avèrent toutefois assez généraux et
gagneraient à être rapprochés d’une réflexion sur le modèle masculin dans la
société québécoise des dernières décennies.
52 • lettres québécoises • hiver 2009
ue dire de ce livre ? Qu’il appartient au mode de la confession, qu’il
retrace le parcours de Benoît Lacroix, dominicain bien connu, docteur
en études médiévales, historien, théologien, professeur universitaire,
fondateur du Centre d’études des religions populaires, membre de l’Institut
québécois de recherche sur la culture, intervenant dans les médias, bref, acteur
aux multiples ressources (aide aux réfugiés, participation aux funérailles et aux
mariages, travail pastoral, enseignement à l’Université du troisième âge).
Q
A U D É B U T, I L Y A E U L E F L E U V E
E T P U I S L A V O C AT I O N
C’est d’abord par le fleuve, l’enfance, la famille, la petite école, que l’homme de
94ans évoquera le monde rural qui l’a nourri et la jeune femme quittée au nom
de l’Église.Plus tard,l’entrée chez les Dominicains,ce sera le choix d’une vie intellectuelle, l’amour de l’étude, le voyage, les rencontres spirituelles avec les grands
maîtres (saint Thomas d’Aquin, Thérèse de Lisieux, saint Augustin, Teilhard de
Chardin).
Il y a cependant dans la clarté des réponses de Benoît Lacroix une certaine hésitation quant au sacerdoce des femmes,que ce dernier considère souhaitable mais
peu réalisable dans le contexte actuel,au mariage entre personnes du même sexe,
à la sexualité,à l’avortement,à la contraception.Dans un Québec laïque et de plus
essai
CLAUDINE POTVIN
en plus éloigné d’une vision catholique et dans un monde religieusement fragmenté, il semble naïf de déclarer que l’Église « est une institution merveilleuse
sur le plan historique» (p. 150).
L E C U LT U R E L E T L E R E L I G I E U X
Cet échange entre les Lambert et Benoît
Lacroix témoigne d’une vivacité et d’une
énergie incomparables.Ce qui caractérise
l’homme, c’est avant tout l’ouverture, la
nécessité d’aimer tous les gens, « tout
autant les athées,les incroyants,les agnostiques que les plus fidèles des pratiquants»
(p.84),le bouddhisme,l’islam,le judaïsme.
Ainsi,son action sociale et communautaire
le mènera vers ce qu’il nomme la spiritualité de la maladie, un esprit dit naturellement œcuménique. À propos de la pensée de Gilson et de son optimisme
chrétien, Lacroix avoue croire que « le
christianisme est la plus grande religion
qui soit sur le plan de l’espérance».(p.305)
On pourrait se permettre d’en douter,mais là n’est pas la question puisque le culturel et le religieux se rejoignent dans l’«âme» de celui qui pratique une politique
de la foi.
Cette conversation se termine sur la fréquentation de certains grands de ce monde,
de grandes amitiés que Lacroix a frôlées dans son parcours intellectuel: philosophes,professeurs,poètes,artistes,peintres,historiens,politiciens,éditeurs,écrivains, troubadours, autant de collaborateurs qui auront marqué la démarche et
la quête mystiques de la figure du prêtre. Bien souvent, les questions s’avèrent
plus riches que les réponses et, à la fin, il ne manque à cette conversation qu’un
commentaire un peu plus élaboré sur les œuvres de Lacroix sur lesquelles on
passe trop vite,ce qui aurait permis de mieux comprendre le travail et la démarche
de ce dernier.
affirme que l’intégrisme ne coule pas naturellement dans les veines des musulmans
pas plus que l’islamisme est une affaire
politique et non pas culturelle ou religieuse
qui menace la démocratie et le concept de
liberté. Benhabib répond de façon virulente à la commission Bouchard-Taylor et
à ses positions jugées permissives et
sexistes au nom des accommodements
raisonnables. Le témoignage prend alors
une connotation féministe car, selon
Benhabib, « [n]’en déplaise à Gérard
Bouchard et à Charles Taylor,je ne vois pas
comment on pourrait parler d’un “féminisme nouveau genre”, en référence au
féminisme musulman, sans pour autant
s’attaquer à ces énormes inégalités entre hommes et femmes» (p.69).Ainsi,accepter le port du voile (dans ses multiples formes: hidjab, burka, nikab, khimar, jilbab, tchador, tchadri) correspond à une forme d’apartheid sexuel. Accepter le
voile revient à renforcer l’identité collective des intégristes. En ce qui concerne
les femmes,il faudrait envisager de nombreux domaines dont «l’héritage,le témoignage devant un tribunal, la polygamie, la répudiation, les relations sexuelles, la
violence conjugale, les crimes d’honneur, la responsabilité maternelle à l’égard
des enfants,le mariage d’une musulmane avec un non-musulman,l’accessibilité
à la fonction de juge ou d’iman, l’éducation» (p. 68).
L’auteure considère donc la vision du monde islamiste totalement archaïque,soit
raciste, sexiste, xénophobe et homophobe, et si, au Québec, un courant de pensée encourage les compromis avec la pensée islamiste, c’est qu’on refuse de voir
à quel point cela s’oppose aux valeurs de véritable ouverture et de tolérance.
Djemila Benhabib, Ma vie à contre-Coran. Une femme témoigne sur les islamistes,
Montréal, VLB éditeur, coll. « Partis pris actuels », 2009, 269 p., 24,95 $.
Djemila Benhabib utilise nombre d’exemples (l’affaire Rushdie, les assassinats
politiques, les caricatures sataniques, etc.) pour dénoncer les stratégies et le terrorisme islamistes. De plus, sous le couvert d’événements politiques, historiques et culturels symboles de répression et d’écrasement, elle reviendra à son
Algérie et à sa famille qu’elle quittera néanmoins pour survivre. Un faible équilibre s’installe entre les origines et l’espace de migration; de fait,«j’avais été éjectée sur les sentiers tortueux de l’exil. Le pays qui m’avait fait femme ne pouvait
plus contenir mes colères.Alors il me fallait inventer des moyens de survie.Je suis
partie sans rien dire.» (p. 226)
La terreur
islamiste
La langue de Benhabib va à «contre-courant».Elle est furieuse,désespérée,lucide,
intelligente, d’une solidité remarquable et certes convaincante. Cependant, on
aimerait parfois un peu de nuances et de fluidité dans la parole.On aimerait penser qu’il y a peut-être du beau dans l’abject. Bien sûr, on comprend la rage qui
habite celle qui a vu mourir tant de gens et, malgré tout, on se demande encore
ce qui pourrait justifier une forme de tolérance au cœur de l’intolérance.
Écrire pour témoigner et pour rendre hommage à tous ceux
qui ont lutté contre la barbarie islamiste. Écrire pour combattre l’intégrisme musulman. Écrire pour affirmer l’identité
et retracer l’histoire des injustices et des crimes commis au
nom du dogme et d’Allah.
a vie à contre-Coran est un poignant témoignage,à la fois personnel et
public, solidement documenté dans lequel Djemila Benhabib «passe
en revue les attentats des groupes islamistes un peu partout dans le
monde et fait la comptabilité macabre des assassinats sordides commis au nom
d’Allah » (communiqué de l’éditeur, p. 2). Dans un premier temps, l’auteure
M
lettres québécoises • hiver 2009 •
53
LISE BLOUIN
compte rendu
L E S C O R R E S P O N DA N C E S
D’EASTMAN
Au fil des
cafés littéraires
l nous a été donné, en ce merveilleux week-end des Correspondances
d’Eastman (6 au 9 août 2009), d’entendre la rumeur des Amériques. Le
souffle de Marie-Claire Blais,l’ouverture sur le monde de tous les écrivaines
et écrivains présents ont porté vers l’espoir tous ceux venus les entendre.
I
À travers les ateliers offerts, certains plus bavards et parfois teintés d’érudition,
d’autres plus intériorisés,nous avons eu le privilège d’entendre des voix qui disent
haut et fort la présence de notre littérature en cette terre d’Amérique.
Le premier café littéraire,Territoire créateur, paysage et états d’âme,a posé d’emblée la question fondamentale de la littérature d’Amérique. Quelle place occupent nos origines amérindiennes dans le processus de création? Pas de doute que
les auteurs épris de cette question que sont Louis Hamelin, Serge Bouchard et
Jean-François Létourneau ont lancé la présente édition des Correspondances sur
une réalité qu’on ne peut esquiver.
Difficile de trouver un point commun aux auteurs de l’atelier Espace de rêve et
de changement. Annick Charlebois, auteure de la relève, a donné à voir une
Amérique qui se définit grâce au regard étonné de l’autre qui la découvre.Nicolas
Dickner a rêvé depuis tout jeune, tel un découvreur qui sait que l’Histoire n’est
jamais tout écrite, de partir sur les routes et les mers d’un continent plus vaste
que celui imaginé. Quant à Marc Lévy, son rêve a été alimenté par son père qui
l’a conduit en Normandie dans ces cimetières de soldats canadiens. Sa fascination pour l’Amérique venait de s’allumer et n’est à ce jour pas encore assouvie.
Certes, aux dires de ces écrivains, l’Amérique porte le rêve, qui appelle le changement.
Lors du café littéraire Les grands négligés d’Amérique, Serge Bouchard nous a fortement incités à relire les textes fondateurs de notre identité, tous empreints de
racisme, qui ont en quelque sorte stigmatisé notre mémoire. Bernard Andrès a
évoqué de grands oubliés de l’Histoire, ces conquérants francophones de
l’Amérique,et les Amérindiens relégués au plus bas rang.Dany Laferrière a insisté
sur l’importance de la parole pour transmettre l’Histoire. On n’évite pas toujours ici les poncifs et les raccourcis pour affirmer ses perceptions.
Le café littéraire du samedi, Le pauvre monde: écriture et engagement, s’est fait
plus philosophique.Yvon Rivard,Nathalie Watteyne et François Hébert ont tenté
de définir le rôle du poète. Ils ont beaucoup évoqué Gaston Miron, Saint-Denys
Garneau, des poètes qui se sont dits « pauvres », descendants de « roches », ou
d’autres aussi issus d’une génération souvent constituée de bûcherons incultes.
Au poète de trouver un sens à la vie qui inéluctablement conduit à la mort,de traduire la réalité du «pauvre»,de faire «descendre» sur lui la lumière.La réflexion
s’est achevée autour de la mort de Michael Jackson, mort qui trouve des résonances auprès de poètes de la plus jeune génération, un morceau de leur identité qu’ils ne veulent pas renier.Quelle est la réelle pauvreté? Un état à créer pour
le poète.
Deux voix tout en nuances,qui cherchent à rendre les profondeurs de leurs sources
d’inspiration respectives,Marie-Claire Blais et Catherine Mavrikakis,lors du café
littéraire Les États-Unis d’Amérique: terre d’espoir ou de désespoir.Toutes les deux
54 • lettres québécoises • hiver 2009
GAÉTANE DAUDELIN, MICHÈLE PLOMER ET ANDRÉ POULAIN À LA
CHAMBRE SYLVESTRE POUR L’ACTIVITÉ DES « JARDINS RÉCITS »
PRÉSENTÉE EN COLLABORATION AVEC L’AS SOCIATION DES
AUTEURES ET DES AUTEURS DES CANTONS-DE-L’EST.
se veulent remplies d’espoir face à l’avènement de Barack Obama comme président.Le monde américain est porteur d’espoir,Marie-Claire Blais l’affirme à travers les voix multiples qu’elle fait entendre dans ses derniers romans, même à
travers les plus sombres; vivre,n’est-ce pas déjà tout l’émerveillement? Alors que
Catherine Mavrikakis est en quête d’une terre pour s’enraciner, fille d’émigrants qui ont davantage trouvé un ciel où inscrire leurs rêves qu’une terre en
Amérique. Deux voix de l’intérieur, qui chuchotent et clament à la fois. Ellesmêmes lumières phares.
Le dernier café littéraire du dimanche matin nous a donné à entendre Madeleine
Monette, Mélanie Gélinas et Michel Vézina à propos des Routes, déroutes et
dérapages de l’Amérique.Tous les trois ont parlé de «voix».Se tourner vers le présent pour assumer le territoire, de dire une Madeleine Monette tout en nuances;
refuser de croire que tout a été écrit et qu’il ne reste qu’à consommer l’Histoire,
selon Mélanie Gélinas; assumer ses origines,insiste Michel Vézina.L’ailleurs permet de trouver sa voix, de la rendre plus forte, détachée qu’elle est alors du territoire pour mieux le traduire. La littérature américaine est québécoise, affirment
à l’unisson ces auteurs.
Les Correspondances d’Eastman sont à marquer d’une pierre blanche,tant l’événement de cette année a défini les voix de notre littérature comme un phare de
l’Amérique. Une grande cuvée.
I N FO CA P S U L E
UN LIVRE POUR HARPER ?
Alors qu’on ne détient aucune preuve que le premier ministre Stephen
Harper ait lu la moindre ligne des soixante-cinq livres (à l’heure où j’écris)
que Yann Martel lui a envoyés, voici que Silvio Berlusconi, son homologue d’Italie, en remet en lui offrant une livre d’art doté d’une reliure marbrée valant plus de 460 000 $ lors de la rencontre du G8 cette année. N’estce pas un peu ironique qu’un premier ministre qui affirme que son livre
préféré est le livre Guinness des records soit ainsi favorisé ? Qu’on se
console : tout cadeau que reçoit un politicien qui excède 1 000 $ devient
la propriété de l’État !
pour saluer
DÉCÈS DU POÈTE RÉJEAN THOMAS
RÉJEAN THOMAS
Les éditions Poètes de Brousse
annonçaient avec regret,le 24 août
dernier, le décès du poète Réjean
Thomas.Rare héritier de la tradition dadaïste au Québec, Réjean
Thomas est l’auteur de Poèmes
français (2006) et d’Œuvre complète (2008).Il était aussi reconnu
comme animateur haut en couleur des Cabarets Poètes de
Brousse depuis 2005. Professeur
de littérature depuis plus de trente
ans au cégep Édouard-Montpetit
(Longueuil), l’écrivain achevait
un troisième recueil qui devait
paraître à l’automne 2010 aux éditions Poètes de Brousse.
D É C È S D U P O È T E P I E R R E M AT H I E U
Le poète Pierre Mathieu est décédé le lundi 7 septembre, à l’hôpital NotreDame de Montréal.
Né dans la métropole,Pierre Mathieu a fait ses études au Collège Sainte-Marie
et à l’École normale Jacques-Cartier, selon les Éditions des Plaines, où il a
publié plusieurs œuvres, dont le recueil de poèmes Les ruses de l’espoir, en
2005.
Le poète a été fondateur et directeur des éditions Le Préau et a écrit pour les
Grands Ballets canadiens. Également peintre, il a exposé ses œuvres au
Canada, en France et en Tunisie sous le nom de Duguay-Mathieu.
En tout, Pierre Mathieu laisse derrière lui près de 50 recueils de poésie, de
théâtre,de contes poétiques et de comptines pour enfants,ainsi qu’une trentaine de manuscrits prêts pour la publication.
La Presse canadienne, Montréal, 11 septembre 2008
D É C È S D E L’ É C R I V A I N P I E R R E M A N S E A U
Le 14 septembre 2009,nous apprenions le décès de Pierre Manseau,romancier et nouvelliste de grand talent, compagnon de route de la revue Mœbius
et des Éditions Triptyque, chez qui il a publié tous ses livres.
Né en 1953 à Montmagny, dans la région Chaudière-Appalaches, Pierre
Manseau a fait paraître L’île de l’adoration, Quartier des hommes, Marcher la
nuit,Le chant des pigeons,La cour des miracles,Les bruits de la terre,Ragueneau
le sauvage (finaliste au prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec)
et, à l’automne 2008, Les amis d’enfance.
À propos de Ragueneau le sauvage, Éric Paquin écrivait, dans le magazine
Spirale (no 128, janvier-février 2008): «C’est, au contraire, une écriture “sortilège” proche de l’extase que revendique Nicolas Bourgault dont le dernier
livre ne sera rien d’autre qu’un “monument”dédié à sa passion dévorante pour
le beau sauvage.On pourrait en dire de même de l’écriture étonnante de Pierre
Manseau dont l’œuvre méconnue,car trop souvent cataloguée dans le domaine
de la littérature gaie,déploie ses propres “sortilèges”,ne cessant de confondre
douleur et jouissance, laideur et beauté, pulsion de mort et pulsion de vie.»
lettres québécoises • hiver 2009 •
55
CARLOS BERGERON
les revues en revue
Alibis • vol. 8, no 3, été 2009, 10 $.
Nuit blanche
Trois éléments m’ont cette fois-ci intéressé dans
«L’anthologie permanente du polar».Le premier est
le texte «Summit Circle» écrit par David Sionnière,
grand lauréat du concours « Prix Alibis », édition
2009. Si l’auteur surexploite une thématique à
laquelle s’attendent les amateurs du genre, c’està-dire les circonstances entourant un meurtre vraiment sordide,il sait surtout comment attiser le mystère en exploitant plusieurs formes discursives (le
courriel, la retranscription d’appels téléphoniques
et de bandes vidéo,l’article,etc.) et de multiples voix
narratives (lieutenant-détective Bouchard,
Dr R. Lavollé, Sarah Lewis, etc.), de sorte qu’on doit
reconstruire, par bribes, la tragédie en question. La nouvelle qui, par un alliage
entre des images violentes (torture,messe noire,cannibalisme…) et de multiples
ellipses à combler (énigme oblige!),maintient généralement un excellent rythme
tout au long du développement « s’essouffle » dans une finale inappropriée. Le
deuxième élément que je retiens est l’idée géniale d’avoir demandé à trois auteurs
d’écrire une «nouvelle polar» en s’inspirant de la page couverture du numéro. Il
en ressort trois versions,dont la plus intéressante est sans contredit celle d’André
Marois («Le lac aux Adons») qui maîtrise l’art de l’humour noir et sait surprendre
en créant une fusion entre le banal et le tragique.Quant à l’interminable texte de
Benoît Bouthillette,«Le rire de la mouette»,j’ai décroché à mi-chemin,tellement
il m’a ennuyé! Le troisième élément digne de mention est la publication du témoignage d’un thanatologue, Daniel Naud, dans un récit qu’il a intitulé «La ligne de
front». Ce n’est pas tant le style qui est ici remarquable, puisque Naud évolue de
cliché en cliché,mais l’intérêt suscité par le fait que l’énonciateur est un véritable
« croque-mort », profession pour le moins inusitée. D’ailleurs, l’histoire qu’il
raconte est digne d’un film d’horreur!
« La littérature acadienne débarque ! », dossier
piloté par François Ouellet, propose de révéler les
trésors cachés d’une littérature trop souvent
méconnue dans laquelle,bien entendu,la question
de l’identité est intimement liée à celle de la langue.
Dès le premier article intitulé «La paradoxale existence de la littérature acadienne » (p. 22), Benoit
Doyon-Gosselin se questionne sur « le mode
d’existence privilégié » (p. 22) d’un corpus littéraire qui «témoigne d’une vitalité remarquable»
(p. 23). Il est alors question de nous présenter
l’Acadie et le rôle qu’y tiennent ses belles-lettres,
notamment au sein de ses infrastructures sociales.Les éléments effleurés lors de
ce rapide tour d’horizon sont ensuite développés par les spécialistes ayant participé au dossier; la matière qu’ils se partagent,somme toute très limitée,est découpée en genres littéraires, possiblement pour constituer un panorama qui se veut
tout autant complet qu’efficace.Ainsi, «Le roman acadien depuis 1990» (Raoul
Boudreau),«La poésie acadienne contemporaine» (François Paré) et «Un théâtre
à la recherche d’auteurs » (David Lonergan) offrent un tour d’horizon intéressant,bien que parfois redondant,où sont mises à l’honneur les figures marquantes
de la scène littéraire acadienne, prouvant ainsi qu’il n’y a pas que la «Sagouine»
qui peuple cet imaginaire unique et très typé. Parmi l’échantillonnage offert, je
retiens l’extrait de « Amédé », écrit par la puissante Georgette Leblanc, dont on
entend la voix résonner dans notre tête à la simple lecture de sa poésie: «et j’étions
pus dans le logis/j’étions derrière les rideaux/dans les veines de la nuit/j’étions
une tempête qui s’en venait vite ». (p. 41) L’hommage, un peu trop politisé à
mon goût,se poursuit dans la section «Commentaires de lecture» (p.48),où l’actualité littéraire acadienne est passée en revue.
Mœbius • « La peau », no 121, printemps 2009, 10 $.
Il est intéressant de constater à quel point la « peau »,
un organe essentiel, a pu inspirer, et de façon parfois
tout à fait inattendue,les dix-huit auteurs de ce numéro.
Ces derniers savent certainement soutenir le fait que ce
thème, depuis toujours surexploité, peut encore surprendre. Dans «À fleur de peau», Hugues Corriveau le
développe en quatre petits textes habilement structurés, au contenu savoureux. La peau brûlée («Le grand
brûlé », p. 36), celle qui gratte (« La démangeaison »,
p. 38), ou qui vieillit («Les fleurs de cimetière», p. 39),
et la peau morte de l’animal («Le cheval allongé»,p.41)
sont autant de variations autour du même élément. Le
poème de Céline Bonnier,«[Poèmes]»,exprime,entre
autres,la jouissance,ou l’angoisse,qui fait sortir de soi,
provoquant la dispersion du corps en proie à l’extase : « Ma peau est un lac
chaud qui se laisse faire sous la pluie/battante./Je suis projetée contre un mur
bouillant où j’éclate en/gouttelettes salées/(p.43).Le pathos est total,renversant!
Où est l’envers, où est l’endroit? Est-ce la réalité ou son reflet? ou les deux? Par
ailleurs, on ne sait trop où veut en venir Henri Cachau avec sa courte nouvelle
intitulée «Réseau Q». L’entrée en matière, interminable, dans laquelle le narrateur explique la fantasmatique d’un artiste à la recherche d’une baise sur un réseau
spécialisé, aboutit à un dénouement banal, à l’image même de cette réalité bien
précise qui finit par le rattraper… Finalement,le principal atout du texte «Peaux
de chagrins» (Diane Vincent) est qu’il permet d’évoluer en plein mystère,essentiellement par la construction d’un dialogue efficace entre la narratrice et le beau
Sandro.Au fait, qu’est-il donc arrivé à la peau de son dos?
56 • lettres québécoises • hiver 2009
• no 115, été 2009, 8,95 $.
Québec français • no 154, été 2009, 7,95 $.
Avec son dossier littéraire portant sur «La francophonie dans les Amériques», le comité de rédaction de Québec français crée une association explicite entre deux notions connexes: le territoire et la
langue, affiliation se voyant forcément investie de
connotations politiques.Ce numéro spécial,le plus
volumineux à ce jour, a tout pour impressionner.
Les quatre premiers articles expliquent la nature et
les grands enjeux de la francophonie: répartition
des foyers culturels francophones en terre d’Amérique,révélation de statistiques pour le moins surprenantes («10,7 millions d’Américains [...] proclament leurs origines françaises» (p.25) et un «million de francophones canadiens
hors Québec1 »), divulgation de politiques visant à faire rayonner la langue française et exposé sur les particularités du français parlé sont des thèmes abordés.Ce
préambule nous fait ensuite entrer dans le vif du sujet, c’est-à-dire une série de
chroniques, écrites par des spécialistes provenant des quatre coins du continent,
portant essentiellement sur la culture littéraire associée à la langue d’ici.La chanson francophone (Maurice Lamothe) et québécoise (Gilles Perron), la dramaturgie canadienne (Louise Ladouceur), le conte (Jean-Pierre Pichette), puis les littératures québécoise (Aurélien Boivin), acadienne (Jean Morency et Hélène
Destrempes),franco-ontarienne (Lucie Hotte),antillaise (Joubert Satyre),haïtienne
(Rodney Saint-Éloy), mexicaine (Laura Lopez Morales), etc., promettent une vue
d’ensemble axée sur la monstration qu’une diversité culturelle au sein même de la
francophonie est non seulement présente, mais qu’elle est surtout vivante, agissante. Ce numéro, plus que tout autre, s’avère incontournable!
1. Éric Waddell, « Cartographier le continent Québec », p. 25.
lettres québécoises • hiver 2009 •
57
S É B A S T I E N L AV O I E
événement
G É R E R L’ E X PA N S I O N
EN S’AMUSANT
L’exemple des
éditions Alto
Il surfe sur un succès critique. Sur un succès public. C’est
un hyperactif euphorique qui brasse tout sauf de l’air. Eh oui !
tout le monde aime Antoine Tanguay et ses éditions Alto.
out commence en 2003 alors que Serge Lamothe picosse sur Les Baldwin1
sous l’œil critique dudit Antoine Tanguay à qui il mentionne alors qu’il
devrait devenir éditeur. La nuit porte à la réflexion du pigiste littéraire
qui,le lendemain,se rend chez Guy Champagne,le propriétaire des éditions Nota
bene, d’où il ressort avec un mentor et la promesse de mettre sur pied une division consacrée à la publication d’auteurs d’ici et d’ailleurs. Il deviendra indépendant au début de 2006.
T
Naissent successivement Nikolski (de Nicolas Dickner, de qui il a fait la connaissance à l’Université Laval), Point mort (Clint Hutzulak) et Miles et Isabel (Ton
Gilling), les ouvrages d’un Québécois, d’un Canadien anglais et d’un Australien.
C’était un statement pour une maison qui,cinq ans après sa fondation,publie en
moyenne huit à dix livres par année, dont quatre québécois, deux canadiensanglais et deux étrangers (cette proportion pourra évidemment changer).
LES CONFESSIONS D’UN VERBOMOTEUR
C’est à regret, vraiment, qu’on raccroche, même après une centaine de minutes
de conversation avec Antoine Tanguay… L’homme est avant tout un passionné,
et un passionné de « littérature-point ». Je dis « littérature-point » en opposition
à la « littérature nationale, québécoise ou marquée par son origine ». Non pas
qu’il n’apprécie pas la littérature québécoise, « très au contraire », mais il en a
«contre l’amertume de plusieurs intervenants du milieu qui ne manquent jamais
de parler de crise, de déclin, de manque d’intérêt des lecteurs en général pour
ce qu’ils nomment le “roman littéraire”en opposition au “roman populaire”(ou
populiste, c’est selon). [Il] essaie de regarder le problème à l’envers et de voir ce
que les gens veulent lire pour les amener à évoluer et à (re)découvrir le plaisir
de la lecture d’un texte intelligent, bien écrit et faisant (souvent) appel au développement, tant sur la forme que le fond, d’un imaginaire riche de sens, fort
et inusité ».
«Quand on me demande s’il se publie trop de livres au Québec, la réponse diplomatique consiste en un retournement de la question et à déclarer qu’il n’y a en fait
pas assez de lecteurs. Mais une part de la vérité (si elle existe), c’est qu’il se publie
trop de livres sans intérêt au Québec.» À ses yeux,on n’est pas assez conscient de la
facilité relative avec laquelle un auteur se fait publier ici en comparaison de la France
ou des États-Unis.«Ici,on dénombre beaucoup d’auteurs qui souhaitent être publiés
et beaucoup d’éditeurs qui souhaitent dénicher la perle rare. Mais le nombre crée
une confusion et les lecteurs ont de la difficulté à suivre le rythme.»
Pour lui, sommairement, il n’y a pas lieu de se demander ce qu’il faut faire pour
dynamiser la littérature québécoise; il faut seulement œuvrer à l’édification de
la littérature. On se contente trop souvent de placer le livre «tendance» entre les
mains du lecteur sans prendre la peine de se demander s’il correspond à ce qu’il
recherche. Or, la réponse est trop souvent «non».
58 • lettres québécoises • hiver 2009
A N T O I N E TA N G U AY
Sa sévérité ne résulte pas d’un quelconque snobisme, mais de sa passion. Il veut
toujours faire plus, c’est-à-dire publier mieux. Pour lui, dans le monde du livre,
les meilleurs sont ceux qui lisent le plus. Il est d’ailleurs sévère aussi avec luimême, se reprochant notamment un manque de rigueur dans les détails.
Il m’a expliqué son approche avec plein de mots qui disent tout et son contraire.
Il l’a fait en paraphrasant le texte de son site à propos de la politique éditoriale
de sa maison, qui stipule qu’un manuscrit est publiable si «tout en restant dans
un cadre classique, [il] comporte quelques échos à d’autres genres comme l’anticipation,le roman policier,les transfictions,le fantastique ou le réalisme magique
ou s’il s’articule autour d’un moteur novateur dans son style ou dans sa forme2 ».
Ça ne m’a pas convaincu,je lui ai proposé une anti-définition: «Finalement,vous
êtes à contrepied du roman québécois intime — certains diront nombriliste —
des années quatre-vingt?» C’est un bien mauvais procédé,l’anti-définition,mais
il a acquiescé. Le fin mot des éditions Alto est «imaginaire». À moins que ce ne
soit storytelling…
Antoine Tanguay a grandi dans cette littérature souvent raillée que l’on dit «de
genre».Vous savez.Noir.Science-fiction.Policier.Horreur.Etc.Il a beaucoup butiné
du côté des littératures anglo-saxonne et japonaise (Paul Auster, Yoko Ogawa,
Tristan Egolf, Haruki Murakami, Sarah Waters, Jonathan Lethem, David
Mitchell…). Et il ne tarit pas d’éloges pour le storytelling, « un terme bien flou
qui veut tout et rien dire,qui n’a jamais été traduit de façon convaincante en français». C’est un genre moins exploité au Québec.
L’ I M A G I N AT I O N A U P O U V O I R
Ce qui l’allume particulièrement, c’est la liberté qu’offre la littérature lorsqu’on
la laisse emprunter les chemins de l’imaginaire.Et il n’est pas surprenant qu’outre
le roman intimiste, le seul autre genre qu’il proscrit soit le roman historique (et
encore, c’est Alto qui a publié Du bon usage des étoiles, le roman quasi victorien
de Dominique Fortier).«Ce que je recherche,c’est la remise en question des limites
des genres, des façons d’imaginer et de raconter.»
Antoine Tanguay fait partie de cette génération pour qui la littérature ne doit pas
être kidnappée par la politique,par le pays en devenir.«Je m’attarde au texte plus
qu’à son impact sur la construction d’une “littérature nationale” », me dira-t-il
d’ailleurs. L’auteur a le droit de s’amuser, d’expérimenter sans s’embarrasser de
contraintes politiques.Dans le même esprit,il accorde au livre d’un auteur étranger la même attention qu’à celui d’un auteur local.En fait,son discours est totalement déconnecté du discours colonialiste, souvent victimaire et colérique, de la
génération précédente.Malgré les critiques qu’il adresse au milieu,il est convaincu
que plusieurs jeunes éditeurs exercent le bon métier et le font bien ; il affiche
aussi un grand respect pour la génération précédente et il souligne que déjà,depuis
S É B A S T I E N L AV O I E
son arrivée dans le milieu de l’édition (mais pas à cause d’elle),le Québec a gagné
du galon aux yeux des éditeurs étrangers.En bref,il est convaincu que les Québécois
sont outillés pour survivre et se démarquer dans une littérature mondialisée: «Il
n’y a aucune raison de ne pas avoir de succès ici et partout ailleurs.»
On ne s’étonnera pas qu’Alto ait fait sien l’adage «publier
peu,publier mieux».Antoine Tanguay avoue avoir peur
que le succès lui fasse perdre de vue ce qui l’a amené à
lancer Alto. L’éditeur a craint quelque temps de s’éparpiller mais,à l’aube du 5e anniversaire,il se dit «confiant
de construire un catalogue solide et cohérent».Il ajoute
qu’il a été le seul employé depuis les débuts, mais qu’il
a été et est toujours appuyé par des amis et des gens qui
sont très compétents, comme Patricia Lamy, son père,
Dominique Fortier et Louis Gagné, qui est maintenant
son adjoint.
Les années à venir sont pleines de promesses et M.Tanguay regorge d’idées.À la
sortie de Nikolski,il avait fait imprimer des mini-Nikolski,des chap-books du premier chapitre, faits à la main par l’auteur et lui et qu’il avait laissés traîner dans
les bars de Québec… Il ne sait pas si l’objet promotionnel a rempli sa fonction,
mais c’est à ce genre d’initiatives qu’il songeait en parlant plus haut de libération de la créativité. Qui s’applique aussi aux éditeurs s’entend.
Il affiche une loyauté à toute épreuve envers ses auteurs. À publier si peu, craintil de perdre certains poulains? Tout en avouant que les auteurs sont comme des
lapins,qu’ils font des petits,il affiche encore une grande détermination: «S’il faut
événement
que je passe à 10 ou 12 livres par année, je le ferai. S’il faut que je me transforme
en éditeur en circuit fermé,je le ferai aussi…» M.Tanguay,vous herbesrougerezvous vraiment?
C’est rafraîchissant de parler avec Antoine Tanguay. Si
les meilleurs intervenants du milieu du livre sont ceux
qui lisent le plus,on est forcé de penser que les éditeurs
les plus enthousiastes sont les meilleurs… (deux Prix
des libraires, quatre finalistes au cours des trois dernières années,des ventes qui réjouissent tant les libraires
que les auteurs, le prix France-Québec, le Prix des collégiens, le prix Anne-Hébert. Et des ventes de droits à
l’étranger comme Nikolski, Tarmac, Du bon usage des
étoiles (film et droits mondiaux anglais) et Les Carnets
de Douglas en France.)
Le mot de la fin? «Je demeure conscient que le monde de l’édition est en transition. De nouvelles façons de travailler émergent et le travail avec l’auteur redevient primordial.C’est un monde où la compétition devient de plus en plus féroce,
parce qu’on se bat pour un lectorat qui diminue, et la disparition progressive (et
alarmante) des tribunes pour les auteurs et leurs livres n’aide en rien.Je reste fier
du chemin accompli, je suis en bien meilleure position que je croyais l’être après
cinq ans et, même si ça paraître cliché, je crois que le meilleur reste à venir. J’ai
un bureau, un assistant et des projets plein la tête. Ce n’est qu’un début…»
1. L’instant même, 2004, 126 p.
2. http://www.editionsalto.com/a-propos/soumettre-un-manuscrit
lettres québécoises • hiver 2009 •
59
MARQUIS
À P O S I T I O N N E R PA R E U X
AT T E N T I O N
G A R D E R L E FO L I O
60 • lettres québécoises • hiver 2009
informations express
COLLECTIF
R I V I È R E , S Y L VA I N
Rencontrer Trois-Rivières :
375 ans d’histoire et de culture
Contes, légendes et récits d’Acadie
(incluant un CD), Trois-Rivières, Art Le Sabord,
coll. « Essai », 2009, 228 p., 39,95 $.
Dans le cadre du programme Capitale culturelle du Canada 2009, la Corporation de
développement de la culture de Trois-Rivières
ainsi que les Éditions Art Le Sabord ont participé à l’élaboration du livre Rencontrer
Trois-Rivières: 375 ans d’histoire et de culture.
Cet ouvrage de prestige commémore plusieurs époques saillantes de la vie trifluvienne, de la préhistoire à aujourd’hui.
Rappelons d’abord que le programme
Capitale culturelle du Canada a été créé en
2002 par le gouvernement canadien et qu’il
est sous l’égide de Patrimoine Canada. Le but du programme est de reconnaître
et d’appuyer les municipalités canadiennes qui organisent des activités spéciales
mettant à profit les nombreux avantages que procurent les activités artistiques
et culturelles dans la vie des collectivités.
À Trois-Rivières,le projet a débuté il y a plus d’un an.La création de ce livre s’inscrivait dans un besoin reconnu de faire place à différents intervenants spécialisés: historiens,artistes,anthropologues et journalistes,à l’intérieur d’un ouvrage
d’envergure portant sur les 375 années d’existence de la ville de Trois-Rivières.
La nomination de Trois-Rivières en tant que Capitale culturelle du Canada 2009
a ainsi pu soutenir la réalisation de ce volume dont le mandat d’édition a été confié
aux Éditions Art Le Sabord, une maison trifluvienne de réputation enviable.
M. Denis Charland, éditeur d’Art Le Sabord, a confié la direction de la recherche
historique de la publication à M. René Beaudoin. Reposant sur le regard de plusieurs chercheurs ayant à cœur cette deuxième ville française d’Amérique, le
contenu du livre présente Trois-Rivières à travers ses origines, ses aventuriers,
ses développeurs et bâtisseurs, et ses institutions. Une place importante a aussi
été accordée à la vie culturelle, sportive et touristique.
Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, coll. « Contes, légendes et
récits du Québec et d’ailleurs », 2009, 924 p., 75 $.
L’Acadie est le haut lieu par excellence de toutes
les mythologies qui ont fondé l’Amérique septentrionale. L’an premier de la création du
monde français y a poussé là ses premières
racines mais,comme on le sait,l’arbre n’eut pas
le temps de se développer, l’ennemi anglais
l’abattant alors qu’il était en pleine croissance.
Les Acadiens furent déportés aux quatre coins
du monde, leurs maisons, leurs bâtiments et
leurs récoltes, brûlés, leurs bestiaux, abattus,
vendus ou donnés, comme leurs terres, à des
colons anglais.Mais l’Acadie française a survécu
à la décimation, elle s’est recomposée comme
peuple et forme aujourd’hui une nation aussi déterminée,résistante et fière qu’à
son origine.
C’est cette histoire singulière que l’on découvre dans Contes, légendes et récits
d’Acadie, et ce, grâce aux récits de ses fondateurs ou à ceux qui nous présentent
leurs commentaires sur une société qui fut cruellement abandonnée par la mère
patrie, comme en rendent témoignage par leurs contes, leurs récits et leurs
légendes, des écrivains exemplaires, tels Anselme Chiasson, Catherine Jolicœur,
Eugène Achard et Antonine Maillet. Une belle leçon de courage et d’amour, rien
de moins.
Sylvain Rivière a bien raison d’écrire, en préface : « À des siècles de mémoires,
l’Acadie demeure le pays des origines,des ancrages,des arrivées et des partances,
des déportés et des errances. Le pays rêvé dont on s’interroge encore sur la définition même de son appellation, comme si tout en Acadie, avant même sa dénomination, avait trait au conte, à la légende, au récit, au fabliau, comme si le sort
en avait décidé loin avant son enfantement que l’Acadie serait contre vents et
marées, guerres et épopées, un pays de mémoires, de bouche-à-oreille, d’accents loin comme les avant-vies.»
R O Y, B R U N O
C’est là un portrait non conventionnel dressé par de prestigieux collaborateurs:
René Beaudoin,historien; Serge Bouchard,anthropologue; Lise Bourdages,commissaire industrielle; François De Lagrave,historien; Benoît Gauthier,historien;
Martin Gauthier,historien;Yannick Gendron,historien; Guy Godin; Denis Goulet,
historien; Louis Hamel, journaliste; François Houde, journaliste; Michel Jutras,
directeur des arts et de la culture de la Ville de Trois-Rivières; Jacques Lacoursière,
historien ; Guy Marchamps, écrivain ; Nicole O’Bomsawin, historienne ; Jean
Panneton, prêtre et supérieur du Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières ;
François Roy,historien;Alain Tapps,historien; Martine Tousignant,historienne;
Marcel Trudel, historien; Denis Vaugeois, historien.
Le lecteur trouvera dans ce livre plusieurs inédits, entre autres une image cartographique tridimensionnelle du Bourg des Trois-Rivières réalisée à partir d’un
plan de 1685 et deux dessins originaux de l’artiste Frédéric Back.
Rencontrer Trois-Rivières : 375 ans d’histoire et de culture est accompagné d’un
document audio permettant d’entendre quelques-unes des grandes personnalités de la ville de Trois-Rivières qui ont marqué les dernières décennies. On peut
ainsi entendre et revivre des moments historiques en compagnie de Maurice
Duplessis (avril 1948), d’Alphonse Piché (lecture par l’écrivain de son poème
« Ville »), d’Anaïs Allard-Rousseau (vers 1969), de Gérald Godin (1967), de
Raymond Lasnier (1955),d’Alfred Tessier (1976) et de Clément Marchand (2009).
Les cent plus belles chansons du Québec
illustrations de Diane Dufresne, Montréal, Fides, 2009, 232 p., 49,95 $.
Après avoir fait paraître,en 2007,Les cent plus
beaux poèmes québécois,une anthologie préparée par Pierre Graveline accompagnée de
quinze œuvres inédites de René Derouin,les
Éditions Fides renouvellent cette expérience
heureuse en publiant Les cent plus belles
chansons du Québec, une anthologie préparée par Bruno Roy et accompagnée d’œuvres
de Diane Dufresne.
Qui mieux que Bruno Roy pouvait effectuer
ce travail titanesque de répertorier, puis de
choisir dans l’abondant et riche patrimoine
chanté québécois les textes qu’il considère
comme étant les plus remarquables? Personne mieux que lui ne pouvait y parvenir,car il connaît l’univers de notre chanson sur le bout de ses doigts,les nombreux ouvrages qu’il a publiés sur le sujet depuis Panorama de la chanson du
Québec (Leméac,1977) et Cette Amérique chante en québécois (Leméac,1978) en
sont de fidèles témoins.
lettres québécoises • hiver 2009 •
61
informations express
Les cent plus belles chansons du Québec sont organisées selon la place qu’elles
occupent dans la chronologie historique,de l’arrivée des premiers colons emportant de vieilles chansons françaises («À la claire fontaine»,«Le mariage anglais»,
«Le rossignol y chante»,«Souvenirs d’un vieillard») à l’incontournable «Canadien
errant » (Antoine Gérin-Lajoie, 1842) et à la « La Gaspésienne pure laine » (La
Bolduc, 1935), et se termine par «Ce monde sans issue» (Gaston Miron, 2008).
Pas étonnant que la liste des auteurs-compositeurs soit longue et remarquable:
Camille Andréa, Daniel Bélanger, Gilles Bélanger, Jacques Blanchet, La Bolduc,
Denise Boucher, Pierre Calvé, Gilles Carle, Marc Chabot, Robert Charlebois, Jim
Corcoran, Corneille, Michel X. Côté, Les Cowboys fringants, Yvon Deschamps,
Richard Desjardins,Clémence Desrochers,Georges Dor,Claude Dubois,Germaine
Dugas, Raôul Duguay, Danièle Faubert, Stephen Faulkner, Jean-Pierre Ferland,
Serge Fiori, Pierre Flynn, Louise Forestier, André Fortin, Claude Gauthier, Marc
Gélinas, Antoine Gérin-Lajoie, Luc Granger, Francine Hamelin, Marc Hamilton,
Pierre Huet,Pauline Julien,Gilbert Langevin,Éric Lapointe,Pierre Lapointe,Luc
de Larochellière, Plume Latraverse, Robert Laurin, Félix Leclerc, Pierre Légaré,
Robert Léger,Sylvain Lelièvre,Jean Leloup,Jacqueline Lemay,Pierre Létourneau,
Claude Léveillée, Raymond Lévesque, Loco Locass, Nelson Minville, Marjo,
Jacques Michel,Gaston Miron,Christian Mistral,Ariane Moffatt,Mouffe,Claude
Péloquin, Yann Perreau, Paul Piché, Luc Plamondon, Jean Rafa, Francine
Raymond,Gilles Rivard,Michel Rivard,Francine Ruel,André Saint-Denis,Marie
Savard, Richard Séguin, Roger Tabra, Diane Tell, Georges Thurston, Sylvie
Tremblay, Éric Valiquette, Gilles Valiquette, Stéphane Venne et Gilles Vigneault.
THISDEL, JACQUE S
La thisdélie
Montréal, Les Heures bleues/Bonfort,
coll. « Les abécédaires », 2009, 64 p., 35 $.
Un livre très insolite : un voyage autour de
«mon moi-même»,mais qui va bien au delà
d’une démarche égocentrique. Réalisé par
Jacques Thisdel, un artiste-poète qui a plusieurs recueils et expositions à son actif, cet
abécédaire, essentiellement visuel, vise à
recréer le journal d’une vie de manière sensible, originale et fascinante — avec une
forme d’universalité qui nous touche tous.
L’ouvrage est fait à partir de boîtes-sculptures qui sont régulièrement présentées dans
des galeries et des maisons de la culture. Il
pourrait être qualifié de livre-objet pour
«collectionneurs» et bibliophiles: grâce à un
tirage limité, chaque exemplaire de ce «livre d’artiste» est numéroté et signé de
la main de l’artiste et auteur. Il s’agit d’un objet unique à avoir dans sa bibliothèque, sur une table à café ou… entre deux albums de photos de famille.
Je suis certain que Bruno Roy aurait pu multiplier à l’infini le nombre de chansons tant notre patrimoine chanté est d’une richesse incommensurable. Il faut
reconnaître qu’il y a toujours un aspect fastidieux à préparer une anthologie,
tellement de vers ou de rimes devant être laissés derrière malgré leurs qualités
réelles. Il faut juste avoir confiance dans le jugement de celui qui a recueilli et
choisi les chansons.
Ce livre est enrichi de plus d’une soixantaine d’œuvres visuelles de Diane
Dufresne,monochromes aussi bien que polychromes.C’est une occasion unique
pour les admirateurs de l’artiste de découvrir un aspect de plus en plus important de son immense talent, ses œuvres visuelles étant surtout connues à ce jour
grâce aux expositions auxquelles elle a participé.
S TA NT O N, J U L I E E T R É G I S M AT H I E U
Carnets de l’Isle-aux-Grues
Montréal, Les Heures bleues, coll. « Carnets », 2009, 128 p., 39,95 $.
Les Carnets de l’Isle-aux-Grues se
distinguent des autres titres de la
collection par leur approche et leur
contenu résolument ethnologiques.
Les auteurs ont su mettre à profit
leur longue fréquentation de l’île
pour mettre en valeur les richesses
culturelles et historiques de ce territoire presque mythique.
Carnets de l’Isle-aux-Grues est le résultat de près d’une quarantaine d’entrevues
menées auprès des gens de l’île dont l’âge varie entre quinze et quatre-vingts ans.
En les interrogeant sur leur mode de vie, leurs coutumes et leurs traditions et,
pour certains, leurs souvenirs, les auteurs donnent à entendre les voix des gens
de l’île à travers un album impressionniste illustré par les œuvres de ces derniers:
peintures, sculptures, maquettes, bateaux miniatures, bricolages et, bien sûr, les
célèbres costumes de la Mi-Carême. Leurs propos recueillis par Julie Stanton et
Régis Mathieu,ainsi que les œuvres qui sont reproduites,témoignent de leur quotidien d’insulaires enrichi, des coutumes et des traditions reçues en héritage.
62 • lettres québécoises • hiver 2009
L I T T É R AT U R E Q U É B É C O I S E
[email protected]
www.voixetimages.uqam.ca
La revue Voix et Images publie trois numéros par année qui comprennent des analyses
approfondies et variées sur la production ancienne et contemporaine, des textes inédits
et des entrevues avec des écrivains du Québec ainsi que des chroniques sur l’actualité.
Chaque numéro de Voix et Images comprend trois rubriques principales : un dossier,
des études et des chroniques.
DOSSIER « LOUISE DUPRÉ », vol. XXXIV, n o 2 (101), hiver 2008
Le sujet féminin : de l’intime à la mémoire ¶ JANET M. PATERSON et NATHALIE WATTEYNE
Entretien avec Louise Dupré ¶ JANET M. PATERSON
Inédit. La porte fermée ¶ LOUISE DUPRÉ
De la maturité à l’accomplissement. La trajectoire poétique de Louise Dupré ¶
ANDRÉ BROCHU
Fenêtre sur corps. L’esthétique du recueillement dans la poésie de Louise Dupré ¶
DENISE BRASSARD
Narration, temps et espace dans les romans de Louise Dupré ¶ JAAP LINTVELT
Dans les moindres détails. La fiction de Louise Dupré ¶ SANDRINA JOSEPH
Tout comme elle. L’intime et le non-dit ¶ NATHALIE WATTEYNE
Bibliographie de Louise Dupré ¶ MÉLANIE BEAUCHEMIN et NATHALIE WATTEYNE
ABONNEMENT
(INCLUANT LES TAXES ET/OU LES FRAIS DE PORT ET DE MANUTENTION)
Q U É B E C / C A NA DA
1 AN (3 NUMÉROS) : étudiant 29 $
individu 45 $
institution 90 $
ÉTRANGER
1 AN (3 NUMÉROS) : étudiant 35 $
individu 55 $
institution 95 $
livres en format poche
richissime commanditaire,mystérieusement
disparue.
D E R OY- P I N E AU, F R A N Ç O I S E
Jeanne Mance. De Langres à Montréal, la passion de soigner
Montréal, BQ, 2009, 136 p., 8,95 $.
«Infirmière sans frontières» avant la lettre,Jeanne
Mance est née à Langres, en Haute-Marne, en
1606.Sa passion de soigner lui fit traverser l’océan
pour venir fonder l’Hôtel-Dieu de Montréal en
1645. Ses voyages entre les deux mondes l’amènent à naviguer aussi entre les frontières sociales.
C’est ainsi qu’elle rencontre à Paris une richissime
bailleresse de fonds,Angélique de Bullion; puis à
La Rochelle, le promoteur de la Société NotreDame de Montréal, Jérôme Le Royer, et le futur
gouverneur de la ville, Paul de Chomedey. Elle
meurt à 67 ans, à Montréal où, trois siècles plus
tard, les traces de sa vie bien remplie sont encore
visibles.
De Montréal à Paris, de la Haute-Provence à
la Savoie, cette enquête entraîne notre héros
dans une série d’aventures où se mêlent les
milieux de l’art,les sectes ésotériques,les trafiquants d’images pornographiques, les partis politiques d’extrême droite et la mafia
russe. La double mission qui au début s’annonçait comme un séjour touristique en
France prend alors les allures d’une poursuite
déchaînée.
JACQUE S, ANDRÉ
La tendresse du serpent
Montréal, Québec Amérique, coll. « QA compact »,
2009, 504 p., 16,95 $.
Des journalistes agressés, assassinés même,
parce qu’ils enquêtent sur le crime organisé.
Un frère et une sœur qui, illégalement entrés
au Canada,tentent d’écouler des trésors artistiques chinois de provenance douteuse. Et un
entrepreneur qui, pour satisfaire aux caprices
de son épouse,veut acheter un mètre de livres
anciens reliés en rouge pour décorer son salon.
Peu à peu, ces trois intrigues croiseront leurs
fils pour former un nœud qu’Alexandre Jobin
tentera de dénouer, à sa manière…
Françoise Deroy-Pineau, montréalaise et tourangelle, française et canadienne,
s’est spécialisée dans les biographies de pionnières de la Nouvelle-France. Outre
Jeanne Mance, elle s’est également intéressée à Madeleine de La Peltrie, à Jeanne
Leber et à Marie de l’Incarnation. Ses travaux sur les grandes pionnières du
Nouveau Monde l’ont fait connaître dans la francophonie. Sa formation en gestion, journalisme et sociohistoire l’a conduite sur les traces de Jeanne Mance,
depuis sa jeunesse à Langres jusqu’à sa mort, le 18 juin 1673, à Montréal.
JACQUE S, ANDRÉ
Les lions rampants
Montréal, Québec Amérique, coll. « QA compact »,
2009, 376 p., 16,95 $.
Une jeune aide-accessoiriste trouve une statuette ancienne chez un antiquaire du boulevard Saint-Laurent et, soudain, beaucoup de
gens semblent intéressés par ce « lion rampant » : l’ambassade de Slavitzine, les Titans
— une bande de motards criminalisés —,la
police de la CUM, des groupes néo-nazis et
divers services de renseignements. L’antiquaire Alexandre Jobin, retraité des Services
de renseignements de l’armée canadienne,
et la jeune accessoiriste Chrysanthy Orowitzn
tenteront de dénouer les fils de l’énigme…
pour comprendre, mais surtout pour sauver
leur peau.
De Montréal à Ottawa en passant par les côtes de Charlevoix,sur un fond de guerre
dans les Balkans,la poursuite et l’enquête se dérouleront dans le sang et le métal
tordu.
JACQUE S, ANDRÉ
La commanderie
Montréal, Québec Amérique, coll. « QA compact »,
2009, 424 p., 16,95 $.
L’antiquaire Alexandre Jobin,officier retraité de l’armée canadienne,est appelé
à reprendre du service dans une bien curieuse affaire. D’abord engagé par une
vieille et riche héritière pour faire évaluer des huiles et des aquarelles de peintres
postimpressionnistes, il se retrouve bien malgré lui investi d’une seconde et
plus périlleuse mission : retrouver, en Europe, la trace de la petite-fille de sa
De Shanghai à Montréal, de Vale Perkins à
Paris, une quête effrénée entraînera les personnages dans toute une série de poursuites où se mêlent groupes de motards,
mafia russe, triades chinoises, hauts fonctionnaires corrompus et bien d’autres
personnages louches.De la rue de la Commune à la rue Jean-Talon,du Chinatown
à la Petite Italie, La tendresse du serpent se veut aussi une sorte d’ode au boulevard Saint-Laurent, ce grand axe aux mille reflets, pivot de toutes les intrigues.
LALANCETTE, GUY
Un amour empoulaillé
Montréal, Typo, 2009, 272 p., 14,95 $.
Un amour empoulaillé,dont l’intrigue se déroule
au milieu des années soixante au Québec,
raconte l’histoire d’un jeune Roméo moderne
aux prises avec les terribles secrets de famille
qui hantent et poursuivent sa Juliette. L’auteur
dépeint, avec humour, finesse et lucidité, l’hypocrisie d’une époque dominée par la religiosité et le souci outrancier de sauver les apparences. Dans une langue inventive, audacieuse,
proprement jubilatoire, ce roman nous ramène
à l’heure de la jeunesse et des cœurs purs.
Notre collègue Yvon Paré écrivait dans Le
Progrès (Chicoutimi) : « Mais quelle invention
d’écriture! Un pur bonheur! Des trouvailles,des
découvertes langagières, une langue que l’auteur triture et transforme. Une
véritable danse. Oui, il est encore possible d’écrire des histoires de passion, de
violence, de croire en l’idéal et l’absolu. Un amour empoulaillé est un plaisir de
lettres québécoises • hiver 2009 •
63
livres en format poche
tous les instants malgré des pages effroyables. Un roman d’espoir même si les
héros en sortent mutilés et cassés.L’amour triomphe,du moins dans les romans
de Guy Lalancette. […] Guy Lalancette est un écrivain rare.»
charme prenant d’une écriture aisée et pétrie
de culture. La présente édition comprend
aussi un texte inédit, Fin heureuse, où André
Malavoy compare les bonheurs que la vie lui
a apportés aux épreuves que la guerre lui a
fait subir.
L A VA L L É E , G A B R I E L L E
L’alliance de la brebis
(édition revue et augmentée)
Chicoutimi, JCL, coll. « Second souffle », 2009, 362 p., 14,95 $.
C’est bien connu, les victimes des sectes religieuses,même lorsqu’elles en sortent,ne parlent
pas.On ne sait pas toutefois si c’est la peur de la
damnation éternelle,la honte ou quelque chantage des plus inhumains qui les en empêche.
C’est pourquoi aucun livre n’avait encore été
publié au Québec sur ce sujet brûlant avant les
années quatre-vingt-dix.
André Malavoy (1915-2005) est arrivé au
Québec en 1951 comme responsable des
bureaux du tourisme français à Montréal. En
1956, il fondait l’agence Voyages Malavoy, qui
existe toujours et qui a fait connaître la France
et l’Europe à d’innombrables Québécois. En
2004, il a publié ses Mémoires d’outreAtlantique chez VLB éditeur.
V I L L E N E U V E , M A R I E - PA U L E
L’enfant cigarier
Or,voilà que Gabrielle Lavallée,une jeune infirmière licenciée, première de classe, choisit à la
fin des années soixante-dix de se donner corps
et âme à une recherche devant lui permettre
d’atteindre le but de sa quête spirituelle: se préparer à l’entrée dans le royaume de Dieu. Mais
malheureusement, Roch Thériault, un homme charismatique qui se fait alors
appeler Moïse, se retrouve sur son passage. En plus d’exploiter son innocence et
sa pureté, le pire gourou que le pays aura connu lui massacrera son rêve pendant douze longues années de violence physique et verbale.On se souviendra en
effet de cette «famille» recomposée,dont les activités se sont déroulées entre 1977
et 1989, au Québec et en Ontario.
Vendu depuis 1993 à plus de 250000 exemplaires, le livre L’alliance de la brebis
est une histoire vécue dans ses moindres détails,où la folie d’un être aura fait plusieurs victimes. Dans cette nouvelle édition revue et augmentée, Mme Lavallée
nous raconte, dans un style très vivant, ses origines, ses études, ses voyages, ses
multiples expériences de la vie et,enfin sa rencontre avec Thériault,ce soi-disant
guide représentant Dieu sur terre.
Une expérience d’une rare intensité racontée avec beaucoup de franchise et de
sensibilité.Une progression dramatique réservée aux lecteurs aguerris,où déferle
page après page un véritable cyclone d’amour et de haine qu’aucun romancier
n’oserait même imaginer.
Montréal, Typo, 2009, 432 p., 18,95 $.
À onze ans, Jos travaille douze heures par jour
à la Queen Cigar Factory de Sherbrooke.Chaque
fois qu’il rentre chez lui,il fait face au triste spectacle d’une famille brisée par la pauvreté et l’humiliation. Cet enfant cigarier rêve de fuir la
misère et de rejoindre les « unionistes » pour
changer le monde.Jos partira et vivra une aventure qui le mènera à Montréal, à Chicago et à
Tampa. Il fera la connaissance du journaliste
Jean-Baptiste Gagnepetit, de l’humaniste Jane
Addams, de Samuel Gompers, fondateur de
l’American Federation of Labor, et de Maria, la
belle Cubaine.
Grand succès dès sa parution, en 1999, L’enfant
cigarier brosse un tableau captivant de l’ère du
capitalisme sauvage et des débuts du mouvement ouvrier. Il nous entraîne dans
un fascinant voyage sur les routes d’une Amérique du Nord témoin des grands
mouvements migratoires de la fin du XIXe siècle et d’une rencontre extraordinaire des cultures et des religions.
Infographie • Mise en pages
« L’alliance de la brebis est le témoignage le plus horrifiant que j’ai publié dans
toute ma carrière d’éditeur », dira un jour Jean-Claude Larouche, fondateur et
propriétaire des Éditions JCL.
M A L AV O Y, A N D R É
La mort attendra
Montréal, Typo, 2009, 192 p., 15,95 $.
En 1961,André Malavoy, Français établi au Québec où il a fait souche, publiait
La mort attendra. Souvenirs de guerre. Ce récit, écrit pour les Québécois qui
avaient souvent, durant la guerre, manifesté plus de sympathie pour le maréchal Pétain que pour le général de Gaulle, est vite devenu un succès de librairie. L’auteur, ancien membre d’un des tout premiers réseaux de la Résistance,
y raconte comment, après son arrestation par les Allemands, il a réussi, par
les ressources de sa vie spirituelle, à déjouer la mort et à survivre aux années
passées dans la prison de Fresnes, puis dans les camps de concentration. Ce
texte, écrit plus de quinze ans après les faits, alors qu’on commençait à peine
à réaliser toute l’horreur de cette guerre, a conservé sa force d’impact et le
64 • lettres québécoises • hiver 2009
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livres reçus
ROMANS
Alain, Sonia, Le masque du gerfaut, Montréal, VLB éditeur,
coll. «Roman», 2009, 288 p., 29,95 $.
Beaulieu,Victor-Lévy, Bibi, Notre-Dame-des-Neiges, TroisPistoles, 2009, 600 p., 39,95 $.
Bergeron, François-Alexandre, Lilith, Saint-Pie, JKA, 2009,
252 p., 24,95 $.
Bergeron, Mario, Ce sera formidable, Montréal,VLB éditeur,
coll. «Roman», 2009, 496 p., 29,95 $.
Bouchard, Gérard, Uashat, Montréal, Boréal, 2009, 328 p.,
25,95 $.
Bouffière, Françoise, La louée, Sillery, Septentrion, coll.
«Hamac», 2009, 240 p., 21,95 $.
Bourassa, Pascale, Le puits, Montréal, Grenouille bleue, coll.
«Littérature», 2009, 144 p., 22,95 $.
Bourbeau Cholette,Danse à trois temps,Montréal,du Cram,
2009, 398 p., 22,95 $.
Brouillet,Chrystine,Promesses d’éternité,Montréal,La courte
échelle, coll. «Adulte», 2009, 392 p., 29,95 $.
Butala, Sharon, Perfection du matin (traduction de Nicole
Côté et Anton Iorga),Regina,La nouvelle plume,2009,254 p.,
18,95 $.
Chevrier,Yves,Pourquoi je n’ai pas pleuré mon frère,Montréal,
Grenouille bleue, coll. «Littérature», 2009, 256 p., 22,95 $.
De Ropraz,Gaï,La mémoire des vagues,Chicoutimi,JCL,2009,
596 p., 29,95 $.
Dupéré,Yves,Un vent de révolte,Chicoutimi,JCL,2009,388 p.,
24,95 $.
Dutremble, Lucy-France, La rue royale, tome I, Saint-Pie,
JKA, 2009, 356 p., 24,95 $.
Enguehard, Françoise, L’archipel du docteur Thomas,
Sudbury, Prise de parole, 2009, 206 p., 21,95 $.
Étienne, Gérard, Vous n’êtes pas seul, Montréal, du Marais,
2008, 188 p., 25 $.
Fortin, Pierre, Le rôdeur de la Paramount, Montréal, Québec
Amérique, coll. « Littérature d’Amérique », 2009, 296 p.,
24,95 $.
Gagnon,Marie-Noëlle,L’hiver retrouvé,Montréal,Triptyque,
2009, 160 p., 18 $.
Gagnon-Thibaudeau, Marthe, Au fil des jours, Chicoutimi,
JCL, coll. «Second souffle», 2009, 338 p., 14,95 $.
Gagnon-Thibaudeau,Marthe,La boiteuse,Chicoutimi,JCL,
coll. «Second souffle», 2009, 548 p., 16,95 $.
Glorieux, Karine, Mademoiselle Tic Tac. Tome I, Le manège
amoureux, Montréal, Québec Amérique, coll. « Tous continents», 2009, 336 p., 22,95 $.
Lalancette,Guy,La conscience d’Éliah,Montréal,VLB éditeur,
coll. «Fictions», 2009, 208 p., 24,95 $.
Mallet-Parent,Jocelyne,Dans la tourmente afghane,Ottawa,
David, coll. «Voix narratives», 2009, 220 p., 21,95 $.
Matteau,Claire, L’ange de la mort,Saint-Pie,JKA,2009,220 p.,
15,95 $.
Mercier, Chantale, A pour alphabet, Saint-Pie, JKA, 2009,
256 p., 15,95 $.
Noël-Maw,Martine,Un secret enfoui dans la vallée,2e édition,
Regina, La nouvelle plume, 2009, 347 p., 18 $.
Senécal,Patrick,Hell.com,Québec,Alire,2009,564 p.,32,95 $.
Trépanier, Suzanne, L’éveil, Saint-Pie, JKA, 2009, 296 p.,
24,95 $.
Vincent, Diane, Peaux de chagrins, Montréal, Triptyque, coll.
«L’épaulard», 2009, 240 p., 20 $.
NOUVELLES
Beausoleil, Jean-Marc, Le souffle du dragon, Montréal,
Triptyque, 2009, 145 p., 19 $.
D’Amour, Francine, Pour de vrai, pour de faux, Montréal,
Boréal, 2009, 192 p., 22,50 $.
Gallant, Mavis, Voyageurs en souffrance (traduit de l’anglais
par Suzanne V. Mayoux), Montréal, Les Allusifs, 2009, 112 p.,
18,95 $.
Massicotte,Sylvie,Partir de là,Québec,L’instant même,2009,
90 p., 14 $.
Tremblay,Dany,Tous les chemins mènent à l’ombre,Montréal,
Grenouille bleue, coll. «Littérature», 2009, 140 p., 22,95 $.
CONTES/RÉCITS
Kattan, Naïm, Le premier amour de Daniel, Montréal, du
Marais, 2008, 58 p., 24,95 $.
Léger, Diane et Paul Savoie, L’incendiaire, Montréal, du
Marais, 2008, 74 p., 18 $.
Mackenzie, Nadine, La rançon de l’espionnage, Regina, La
nouvelle plume, 2009, 174 p., 18 $.
Nerson, Anette, Une âme dépareillée, tome I : Guerre et vie,
Montréal, du Marais, 2008, 384 p., 32 $.
Perro, Bryan, Éclyps, Montréal, Michel Brûlé, 2009, 64 p.,
14,95 $.
Rivière, Sylvain, Contes, légendes et récits d’Acadie, NotreDame-des-Neiges, Trois-Pistoles, coll. « Contes, légendes et
récits du Québec et d’ailleurs», 2009, 924 p., 75 $.
Samson,Michel,Ombres sereines,Montréal,Grenouille bleue,
coll. «Littérature», 2009, 112 p., 22,95 $.
POÉSIE
Balta, Christine, De l’intérieur la vie se voit, Trois-Rivières,
Écrits des Forges, 2009, 60 p., 10 $.
Beausoleil,Claude,La blessure du silence,Trois-Rivières/Paris,
Écrits des Forges/Caractères, 2009, 51 p., 12 .
Bénayoun-Szmidt,Yvette,Échos de souvenance,Montréal,du
Marais, 2008, 70 p., 15 $.
Bessens,Véronique,Les coriaces,Montréal,Triptyque,2009,
70 p., 15 $.
Boisvert, Yves, Classe moyenne, Trois-Rivières, Écrits des
Forges, 2009, 96 p., 10 $.
Charron, François, La difficulté d’apparaître, Québec, Le
lézard amoureux, 79 p., 14,95 $.
Chicoine, Francine et Robert Melançon, Sur la table vitrée,
Ottawa, David, coll. « Voix intérieures haïku », 2009, 96 p.,
12,95 $.
Courchesne, Luc C., À travers nuits suivi de Hors les rêves,
Montréal, le Noroît, 2009, 84 p., 16,95 $.
Dugas,Pauline,Fragment d’eau,Moncton,Perce-Neige,2009,
66 p., 14,95 $.
Étienne, Gérard, Natania, Montréal, du Marais, 2008, 116 p.,
15 $.
Handfield, Janie, Fausse route, Trois-Rivières, Écrits des
Forges, 2009, 108 p., 12 $.
Labonté,Olivier,Lointain écho de la petite histoire,Montréal,
Triptyque, 2009, 61 p., 15 $.
Lafleur, Annie, Handkerchief, Québec, Le lézard amoureux,
2009, 90 p., 16,95 $.
Mongrain, Serge, Abstractions, Trois-Rivières, Écrits des
Forges, 2009, 66 p., 10 $.
Pître, Jean-Mari, Frère de feu, Moncton, Perce-Neige, 2009,
56 p., 14,95 $.
Redouane, Najib, Ce soleil percera-t-il les nuages? Montréal,
du Marais, 2008, 74 p., 15 $.
Redouane, Najib, Lumière fraternelle, Montréal, du Marais,
2008, 70 p., 15 $.
Robert,Dominique,Leçons d’extérieur,Montréal,Les Herbes
rouges, 2009, 96 p., 14,95 $.
Ross, Diane-Ischa, Noir blanc nabis, Montréal, Triptyque,
2009, 89 p., 15 $.
Sagalane, Charles, 68 Cabinet de curiosités, Saguenay, La
Peuplade, 2009, 138 p., 18,95 $.
Schvartz, Claudia et Gerardo Manfredi, Voix
d’Argentine/Voces agentinas,Anthologie/Antologica (traduit de
l’espagnol par Nicole et Émile Martel), Trois-Rivières, Écrits
des Forges/Le temps des cerises/Leviatán, 2009, 158 p., 15 $.
Vigneault,François,Poèmes du jardin avec quatre dessins de
Marie Laberge, Montréal, Les Heures bleues, coll. « Le dire »,
2009, 64 p., 19,95 $.
Villemaire, Yolande, L’armoure, Trois-Rivières, Écrits des
Forges/Phi, 2009, 90 p., 10 $.
T H É ÂT R E
De Paola, Paolo, Donald, sa muse (traduit de l’anglais par
Janik Tremblay), Montréal, du Marais, 2008, 112 p., 18 $.
ESSAI, ÉTUDES LITTÉRAIRES
Blanchet, Renée et Léo Beaudoin, Jacques Viger : une biographie suivi de Lettres de Jacques et de Marguerite (18031813),Montréal,VLB éditeur,coll.«Études québécoises»,2009,
272 p., 29,95 $.
Graveline,Pierre,Une passion littéraire,Montréal,Fides,2009,
256 p., 24,95 $.
Issenhuth,Jean-Pierre,Le cinquième monde,Montréal,Fides,
2009, 270 p., 22,95 $.
Joseph, Sandrina, Objets de mépris, sujets de langage,
Montréal,XYZ,coll.«Théorie et littérature»,2009,222 p.,25 $.
La Chance,Michaël,Mytism: Terre ne se meurt pas,Montréal,
Triptyque, 2009, 167 p., 22 $.
Lemelin, Jean-Marc, La vie après le capital. Manifeste sans
parti, Montréal, Triptyque, coll. « Controverses », 2009, 88 p.,
17 $.
ENTRETIENS
Boulanger, René et Pierre Falardeau, Le monde selon Elvis
Gratton, Québec, du Québécois, coll. « Grands entretiens »,
2009, 210 p., 24,95 $.
BEAUX LIVRES
Collectif, Rencontrer Trois-Rivières : 375 ans d’histoire et de
culture (incluant un CD), Trois-Rivières, Art Le Sabord, coll.
«Essai», 2009, 228 p., 39,95 $.
Roy, Bruno, Les cent plus belles chansons du Québec, illustrations de Diane Dufresne,Montréal,Fides,2009,232 p.,49,95 $.
Stanton,Julie et Régis Mathieu,Carnets de l’Isle-aux-Grues,
Montréal, Les Heures bleues, coll. « Carnets », 2009, 128 p.,
39,95 $.
Thisdel, Jacques, La thisdélie, Montréal, Les Heures
bleues/Bonfort, coll. «Les abécédaires», 2009, 64 p., 35 $.
LIVRES DE POCHE
Deroy-Pineau, Françoise, Jeanne Mance. De Langres à
Montréal, la passion de soigner, Montréal, BQ, 2009, 136 p.,
8,95 $.
Jacques, André, Les lions rampants, Montréal, Québec
Amérique, coll. «QA compact», 2009, 376 p., 16,95 $.
Jacques, André, La commanderie, Montréal, Québec
Amérique, coll. «QA compact», 2009, 424 p., 16,95 $.
Jacques, André, La tendresse du serpent, Montréal, Québec
Amérique, coll. «QA compact», 2009, 504 p., 16,95 $.
Lalancette,Guy,Un amour empoulaillé,Montréal,Typo,2009,
272 p., 14,95 $.
Lavallée, Gabrielle, L’alliance de la brebis (édition revue et
augmentée), Chicoutimi, JCL, coll. « Second souffle », 2009,
362 p., 14,95 $.
Malavoy, André, La mort attendra, Montréal, Typo, 2009,
192 p., 15,95 $.
Villeneuve, Marie-Paule, L’enfant cigarier, Montréal, Typo,
2009, 432 p., 18,95 $.
REVUES
Alibis, Polar, Noir et Mystère, no 31, vol. 8, no 3, «Prix Alibis
2009», Québec, été 2009, 144 p., 10 $.
Art Le Sabord,no 83,«L’ouïe»,Trois-Rivières,été 2009,64 p.,
9,95 $.
Contre-jour. Cahiers littéraires, no 17, « Empreintes littéraires», Montréal, hiver 2008-2009, 190 p., 10 $.
Contre-jour. Cahiers littéraires, no 18, « Dans les fleurs du
tapis», Montréal, printemps 2009, 188 p., 10 $.
Globe, revue internationale d’études québécoises, vol. 12,
no 1,«Coopération et missionnariat»,Montréal,UQÀM,2009,
220 p., 20 $.
Jets d’encre. Revue de création littéraire,no 14,Sherbrooke,
printemps 2009, 112 p., 11 $.
Lèvres urbaines,no 41,Trois-Rivières,Écrits des Forges,2009,
78 p., 10 $.
Liaison, no 144, «L’enseignement universitaire du théâtre au
Canada», Ottawa, L’Interligne, été 2009, 10 $.
Nuit blanche, no 115, « L’Acadie », Québec, juillet-août-septembre 2009, 80 p., 10 $.
Québec français, no 154, « La francophonie dans les
Amériques», Sainte-Foy, été 2009, 168 p., 7,95 $.
Septentrion, Arts, lettres et culture de Flandre et des PaysBas, 38e année, no 2, Rekkem (Belgique), 2e trimestre,
juin 2009, 96 p., 12 .
Solaris, science-fiction et fantastique, no 31, « Anticipation
2009», Proulxville, été 2009, 160 p., 10 $.
Spirale, no 227, « Rayonnement du cirque québécois »,
Montréal, juillet-août 2009, 58 p., 9,25 $.
Voix et images,no 102,«Trajectoires de l’auteur dans le théâtre
contemporain»,Montréal,UQÀM,printemps-été 2009,176 p.,
19 $.
lettres québécoises • hiver 2009 •
65
66 • lettres québécoises • hiver 2009
dits et faits
L I S E B I S S O N N E T T E P R É S E N T E AU X F R A N ÇA I S
D E S T R É S O R S D U PAT R I M O I N E Q U É B ÉC O I S
MARIE LABERGE DANS LE
Larousse
La romancière et dramaturge Marie Laberge
fait son entrée dans Le
Petit Larousse 2010. Le
dictionnaire accueille
aussi dans ses pages le
cinéaste canadien David
Cronenberg, la Société
Radio-Canada,le Dr Yves
Morin, des illustrations
d’André Philippe Côté et
quelques québécismes
tels «motton»,«gomme»,
«saucette» et «comptoir».
À la veille de son départ de Bibliothèque et Archives nationales du
Québec (BAnQ) en juin dernier,
Lise Bissonnette s’est rendue à
Paris pour présenter des œuvres
importantes du patrimoine documentaire québécois.
Après la Bibliothèque nationale
de France,ce fut au tour de BAnQ
d’être l’invitée d’honneur au prestigieux Salon international du
livre ancien et de l’estampe, au
Grand Palais de Paris.
La présidente-directrice générale
de l’institution n’était pas peu
fière d’avoir apporté une quarantaine d’œuvres comprenant livres,gravures,
estampes,affiches et cartes géographiques d’autres époques,des œuvres choisies parmi les collections de BAnQ.«Des experts québécois dans le domaine
du livre ancien ont fait la sélection des documents patrimoniaux à présenter au Grand Palais», a précisé Mme Bissonnette.
MARIE LABERGE
LISE BISSONNETTE
Parmi les œuvres présentées, on remarquait un catéchisme ultramontain
français,de vieilles éditions de Maria Chapdelaine et des œuvres plus contemporaines, dont un exemplaire du Refus global.
R A F F I N , L I B R A I R I E S E T P U B L I C AT I O N S
Les cinq succursales des librairies Raffin ont été vendues à une compagnie
à numéro appartenant à Chantal Michel et Martin Granger.Ces derniers possèdent notamment la compagnie Promotion du livre SDM, qui écoule des
bouquins en solde dans les Sears, Zellers et autres Walmart du Québec. De
plus,les trois maisons d’édition appartenant au Groupe Raffin — du Roseau,
de La Marée haute et Impact ! — sont officiellement en faillite. Rappelons
enfin que Diffusion Raffin, qui a déjà représenté jusqu’à 200 maisons d’édition,ne fait pas partie de la faillite,car l’entreprise a été vendue en août 2008
à Messageries de presse Benjamin.
L A G R E N O U I L L E B L E U E : M I S S I O N L I T T É R AT U R E
Voilà une petite bête que l’on
retrouvera de plus en plus sur
les tables de nos librairies: La
Grenouille bleue. Sous l’impulsion de ses deux propriétaires — Guillaume et Pierre
Lavigne —, les Éditions du
CRAM ont souhaité créer
d’une division qui posséderait
l’indépendance et les ressources nécessaires pour
s’imposer dans un domaine où elles œuvraient déjà, mais qui exige une
spécialisation des efforts. C’est ainsi qu’au début de 2009 sont nées les Éditions de la Grenouille bleue: sous la direction littéraire du prolifique écrivain
Alain Gagnon,cette nouvelle maison d’édition viendra s’installer dans le paysage littéraire québécois avec ses premiers ouvrages dès cet automne.
« Notre mission est très simple, déclare Alain Gagnon, mais aussi très exigeante: publier dans un format original et attrayant des ouvrages qui viendront enrichir la littérature et la culture d’ici.» Et il ajoute: «Tout comme la
grenouille,nous serons sensibles aux signaux de notre environnement; mais,
comme humains, nous poursuivrons notre projet en mettant de l’avant les
valeurs en lesquelles nous croyons : exigences d’authenticité et de beauté,
sous toutes leurs formes, dans la liberté d’expression. Notre maison se veut
participante des courants esthétiques et éthiques actuels,tout en permettant
aux écrivains et écrivaines d’ici d’exprimer leur créativité propre.»
LES ÉDITIONS ANNE SIGIER
A C H E T É E S PA R M E D I A S PA U L
Depuis juillet dernier, les Éditions Anne Sigier ainsi que la librairie de
Québec du même nom sont devenues la propriété des Éditions Mediaspaul.
L’éditeur publiait depuis 30 ans des livres de spiritualité,principalement reliés
à la religion chrétienne.
Mediaspaul appartient à la Société Saint-Paul et possède trois librairies. La
maison continuera de vendre le fonds Anne-Sigier mais,au moment d’écrire
ces lignes, aucune décision n’est encore prise au sujet du nom de la maison
d’édition qui apparaîtra sur les nouvelles publications.
V E N U E D E S É C R I VA I N S
À L’ É C O L E N O N I N D E X É E
En 1997, le ministère de la Culture mettait en place un programme favorisant la venue des auteurs québécois dans les
écoles.Le gouvernement accordait à ce moment-là 325 $ par jour
aux écoles pour accueillir un écrivain en leurs murs. Depuis, ce
serait le statu quo. Il y aurait 175 écrivains inscrits au fichier
des «Écrivains à l’école»,la plupart dans les régions de Montréal,
de Québec et de la Montérégie.
lettres québécoises • hiver 2009 •
67
dits et faits
G A B R I E L L E R O Y, P E R S O N N A G E
H I S T O R I Q U E N AT I O N A L
Gabrielle Roy et la
Maison Gabrielle-Roy
ont été désignées personnage et lieu nationaux d’importance historique du Canada par
le ministre responsable
de Parcs Canada, Jim
Prentice. Cette reconnaissance survient alors
qu’est célébré le centenaire de la naissance de
Gabrielle Roy. Située à
Saint-Boniface, la Maison Gabrielle-Roy a été
la demeure de l’écrivaine de sa naissance,
en 1909, jusqu’à 1937.
G A B R I E L L E R OY
68 • lettres québécoises • hiver 2009
A R C H A M B A U LT
VIRTUEL
Archambault a lancé, en août dernier, la toute
première plateforme de téléchargement de livres
numériques francophones en Amérique du
Nord, le site Web Jelis.ca. Lors de la conférence
de presse, Sony en a profité pour dévoiler deux
nouveaux lecteurs numériques : le PRS-300,
muni d’un écran de cinq pouces (260 $), et le
PRS-600, doté d’un écran tactile de six pouces
(400 $).Les deux appareils,de la taille d’un livre
de poche,peuvent stocker 350 livres numériques.
Plus de 20 000 livres sont présentement disponibles pour téléchargement sur Jelis.ca,dont une
bonne part d’œuvres québécoises.Archambault
espère offrir plus de 50 000 titres d’ici la fin de
2009.
prix et distinctions
GRAND PRIX QUEBECOR
DU FIPTR
Le poète et romancier Jean-Paul Daoust a reçu le
Grand Prix Quebecor du Festival international de
poésie de Trois-Rivières pour son recueil Le vitrail
brisé paru en septembre dernier aux Écrits des
Forges.
Né à Shawinigan en 1954,Gilles Pellerin est écrivain,
cofondateur et directeur littéraire des Éditions de
L’instant même, professeur de littérature au collège
François-Xavier-Garneau et membre de l’Académie
des lettres du Québec.Fréquemment invité à l’étranger pour prononcer des conférences sur la littérature
québécoise et la langue française, il a été viceprésident de la Coalition canadienne pour la diversité culturelle. En février dernier, à Bruxelles, la
ministre de la Culture et de l’Audiovisuel de
Wallonie-Bruxelles lui a décerné le Prix du rayonnement des lettres à l’étranger.
PRIX DES LECTEURS
DU MARCHÉ DE LA POÉSIE
DE MONTRÉAL
Lors de la cérémonie d’ouverture, le Marché de la
poésie de Montréal a décerné son Prix des lecteurs
à Kim Doré pour son recueil Maniérisme le diable
FRANÇOIS OUELLET
J E A N - PA U L D A O U S T
Rappelons que Jean-Paul Daoust a publié plus d’une
vingtaine de recueils de poésie et deux romans
depuis 1976. Lauréat du Prix du Gouverneur général en 1990 pour Les cendres bleues, il a été directeur de la revue Estuaire, de 1993 à 2003.
ORDRE DES ARTS ET DES
LETTRES DE LA RÉPUBLIQUE
FRANÇAISE
F R A N Ç O I S PA R É
Le consul général de France, M. François Alabrune,
a remis à Gilles Pellerin l’insigne de chevalier de
l’Ordre des arts et des lettres. La cérémonie a eu
lieu à la Résidence de France le 25 mai.
KIM DORÉ
(Poètes de Brousse).Attribué par vote populaire, ce
prix, accompagné d’une bourse de 1 000 $, récompense un poète québécois remarqué pour la qualité
littéraire d’un recueil publié au cours de la dernière
année.Les quatre autres recueils en lice étaient Nous
aurons tout vécu, de François Charron (Écrits des
Forges),Dixhuitjuilletdeuxmillequatre,de Roger Des
Roches (Les Herbes rouges), Thérèse pour joie et
orchestre,d’Hélène Monette (Boréal) et Qui s’installe?
d’Hector Ruiz (le Noroît).
NOTA BENE : TROIS GRANDS
PRIX EN ÉTUDES LITTÉRAIRES
Waterloo, ont remporté le grand prix Gabrielle-Roy
pour leur excellent livre Louis Hamelin et ses doubles.
Margot Irvine,professeure à l’Université de Guelph
(Ontario), s’est distinguée par son ouvrage Pour
suivre un époux. Les récits de voyage des couples au
XIXe siècle, publié en octobre 2008. Enfin, Cécile
Vanderpellen-Diagre a remporté le prestigieux prix
Pierre-Savard 2009 du Centre international d’études
canadiennes (CIEC) pour son ouvrage Mémoire d’y
croire.Le monde catholique et la littérature au Québec
(1920-1960). Ce prix récompense le meilleur livre
savant portant sur un sujet canadien. Il est à noter
que c’est la première fois que ce prix est remis pour
une œuvre écrite en français.
PRIX RICHARD-ARÈS
Les Éditions Nota bene sont fières que le travail de
quatre de leurs auteurs ait récemment été reconnu
par trois grands jurys en études littéraires au
Canada.
GILLES PELLERIN
François Ouellet, de l’Université du Québec à
Chicoutimi, et François Paré, de l’Université de
La Ligue d’action nationale a décerné à Alain
Deneault le prix Richard-Arès pour son ouvrage
Noir Canada (Écosociété). Le prix Richard-Arès
récompense un auteur dont l’ouvrage témoigne d’un
engagement à éclairer la population sur les grandes
questions d’intérêt national.
lettres québécoises • hiver 2009 •
69
prix et distinctions
ARTHUR ELLIS AWARD
PRIX SOLARIS 2009
Le Prix Solaris 2009 a été attribué à Luc Dagenais
pour sa nouvelle de science-fiction intitulée «La Vie
des douze Jésus».Né en 1973 à Gatineau,l’auteur vit
à Montréal (avec ses trois chats), où il est archiviste
de profession, après avoir fait des études universitaires en cinéma et en histoire de l’art. «La Vie des
douze Jésus » est sa première nouvelle publiée.
L’auteur reçoit une bourse de 1 000 $ et son texte
paraîtra dans le no 172 de Solaris (automne 2009).
Le jury a également choisi deux finalistes: Philippe
Roy, pour sa nouvelle fantastique « L’Horloge
vivante », et Frédéric Vacher, pour son texte de
science-fiction «Le Double d’éternité».
PRIX TRILLIUM
JACQUES CÔTÉ
Jacques Côté, professeur de littérature au cégep de
Sainte-Foy, a remporté pour la deuxième fois le
Arthur Ellis Award (volet francophone) — soit le
Grand Prix canadien de la littérature policière
décerné annuellement par l’association professionnelle des Crime Writers of Canada — pour son
roman Le chemin des brumes, publié aux Éditions
Alire en mai 2008.
PRIX CHARLES-VILDRAC
Le gouvernement de l’Ontario a créé le prix littéraire
Trillium en 1987 pour rendre hommage à l’excellence littéraire et sensibiliser le public à la diversité
du talent des auteurs de cette province.L’originalité
de ce prix réside dans le fait qu’il récompense des
œuvres de tous genres, de langue française et
anglaise.Le figuier sur le toit,l’œuvre de Marguerite
Andersen, ne cesse de remporter des distinctions
qui soulignent la grande qualité de ce roman autobiographique.En effet,cet ouvrage a remporté,outre
le prix Trillium de cette année, le Prix des lecteurs
Radio-Canada de 2009.
Ce prix lui a été remis pour l’ensemble de son œuvre
et sa contribution exceptionnelle au développement
de la francophonie dans le monde. Le CIEF est une
association internationale, à but non lucratif, qui a
pour objectif le développement des études, de la
recherche,des publications et des productions francophones ou portant sur la francophonie dans le
monde.
PRIX AURORA 2009
Michèle Laframboise a remporté le prix Aurora
2009 dans la catégorie du meilleur roman de sciencefiction en français pour son livre Les vents de
Tammerlan,publié chez Médiaspaul.Ce prix lui a été
remis en août dernier lors du congrès mondial
Anticipation.Le prix de la meilleure nouvelle en français a été remporté par Jean-Louis Trudel pour «Le
Dôme de Saint-Macaire », publié dans la revue
Solaris, et celui du meilleur ouvrage en français,
par Joël Champetier, pour Solaris. Les prix Aurora
sont administrés par l’Association canadienne de la
science-fiction et du fantastique.
PRIX D’OUESSANT
PRIX MAURICE-CAGNON
MYLÈNE DURAND
HÉLÈNE DORION
Hélène Dorion a reçu le prix Charles-Vildrac 2009
de la Société des gens de lettres de France pour son
plus récent recueil, Le Hublot des heures (La
Différence, coll. « Clepsydre »). Elle est la première
Québécoise à recevoir un prix décerné par la Société
des gens de lettres de France. Le prix lui a été remis
le 16 juin, lors d’une cérémonie à Paris.
70 • lettres québécoises • hiver 2009
M I C H E L T R E M B L AY
Le lundi 22 juin 2009, lors d’une soirée hommage
tenue à La Nouvelle-Orléans durant son congrès
annuel, le Conseil international d’Études francophones a décerné le prix Maurice-Cagnon au dramaturge et romancier québécois Michel Tremblay.
La jeune romancière Mylène Durand a reçu le Prix
du livre insulaire d’Ouessant 2009,catégorie fiction,
pour son roman L’immense abandon des plages paru
aux Éditions de la Pleine lune.De l’avis du jury: «Ce
court roman développe,avec talent et feu,la thématique de la fratrie, de la famille, confrontée à la disparition d’un des siens. La part de l’île y est omniprésente comme mère de substitution, et/ou mère
vorace, mère d’attirance et de répulsion mêlées.»
PRIX JACQUES-BROSSARD
L’auteur trifluvien Frédérick Durand a remporté le
prix Jacques-Brossard 2009 (anciennement Grand
prix et distinctions
Prix de la science-fiction et du fantastique québécois), la plus prestigieuse récompense au Québec
dans le domaine des littératures de l’imaginaire.
Le magazine Lettres québécoises félicite Claudine
Bertrand pour l’immense travail accompli à faire
entendre la parole des femmes dans notre littérature et aussi pour l’enthousiasme et l’énergie qu’elle
a toujours déployés pour que notre littérature
rayonne ici et ailleurs.
Durand a ainsi été récompensé pour sa production
de l’année 2008, soit le recueil de nouvelles noires
et fantastiques À l’intention des ombres, publié chez
Vents d’Ouest,ainsi que le roman fantastique La nuit
soupire quand elle s’arrête,paru chez La Veuve noire
éditrice.Le prix a été attribué le 7 août dans le cadre
d’Anticipation 2009,le congrès mondial de sciencefiction qui a eu lieu au Palais des Congrès de
Montréal. Rappelons que À l’intention des ombres a
également remporté le Prix de littérature —
Librairie Clément-Morin à l’automne 2008.
PRIX LITTÉRAIRE ROMAN
DU SALON DU LIVRE DU
SAGUENAY–LAC-SAINT-JEAN
2009
Nicole Houde est lauréate du Prix littéraire Roman
du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean 2009
pour son roman Je pense à toi, publié aux Éditions
de la Pleine Lune.
CRÉATION DU PRIX
MICHEL-TREMBLAY
Le Conseil des arts et des lettres du Québec s’associe
au CEAD Diffusion pour la création du prix MichelTremblay.Ce prix,visant à souligner l’excellence artistique de la dramaturgie québécoise et à rendre hommage à la créativité, à l’originalité d’un texte et à la
qualité du travail de son auteur,sera remis pour la première fois à l’automne 2009. Le lauréat recevra
20000 $, dont 10000 $ en provenance du Conseil.
CLAUDINE BERTRAND
Le comité justifie son choix de la façon suivante :
Événement plutôt rare dans notre milieu littéraire,
un prix international porte le nom d’un poète québécois.
« Vous avez œuvré depuis au moins 25 ans à faire
connaître la littérature, à la diffuser et à la rendre
visible, par des publications et une présence assidue dans les médias classiques et électroniques.
Nous tenons à souligner cet apport qui représente
une contribution importante à la culture francophone mondiale. Nous confirmons par la présente
la création du “Prix de poésie Claudine Bertrand”
qui sera décerné annuellement ».
En effet, Claudine Bertrand voit son nom accolé à
un prix décerné par les organisateurs du Salon international des poètes francophones (SIPOEF), salon
qui se tient au Bénin (Afrique).
Ce prix a pour but « de stimuler la relève, d’encourager la création littéraire au Bénin, de favoriser
l’émergence de nouvelles voix et de permettre une
visibilité hors frontières ».
CLAUDINE BERTRAND, PRIX
INTERNATIONAL DE POÉSIE
I N FO CA P S U L E
LIVRE
ÉLECTRONIQUE,
ENCORE ET ENCORE
Cet automne, il n’y en a eu que pour le livre électronique (dommage que le mot « livrel » ne se soit
pas imposé). Ce concept, il existe depuis le début
des années 1990.À l’époque,on croyait dur comme
fer que le livrel allait séduire rapidement les lecteurs et déloger le livre à tout jamais.Aux yeux des
promoteurs,c’était donc dans la poche,sauf qu’on
n’avait pas prévu que le manque de convivialité du
livrel pourrait être un frein à sa diffusion. Et c’est
ce qui est arrivé, avec le résultat que beaucoup de
gens ont investi dans un gadget qui n’a pas
démarré.
Et puis il y avait un autre hic: le livrel n’a de raison
d’être que si on peut l’alimenter. Or, à l’époque, la
banque de livres était vraiment lacunaire.On comptait sur les nouveautés. C’était une erreur et Google
l’a bien compris. Aujourd’hui, Google a numérisé
sept millions de livres dont quatre-vingt-dix pour
cent sont du domaine public, donc libre de droits.
Plusieurs pays, dont la France et le Québec, tentent
de bloquer l’hégémonie de Google,mais on ne peut
pas interdire la saisie numérique de livres quand
ils sont libres de droit,même au nom de la diversité
culturelle… Et puis Amazon.com a fait sa niche sans
trop de bruit.Elle a su séduire son public en mettant
sur le marché son Kindle, dont la dernière version
se vend 299 $US,et elle a surtout prévu donner accès
aux lecteurs à une banque qui, actuellement,
approche les 300000 titres; ce qui fait que,dans trois
ans, on pressent qu’il y aura douze millions d’utilisateurs qui posséderont des Kindle, Sony, Interead,
NICOLE HOUDE
Apple tout autant que le nouveau venu, le Asus, qui
présente deux pages à la fois,comme un livre.Ainsi,
ce qui était virtuel est devenu un fait accompli. La
lutte pour la maîtrise du marché est donc féroce.Pas
étonnant que la France se batte bec et ongles pour
contrer l’hégémonie de l’empire américain, mais la
partie est loin d’être gagnée sur le terrain. La Fnac,
le plus important détaillant de livres en France,
annonçait,à la fin de septembre,avoir vendu 40000
e-books et 10 000 Sony Reader et autorisé 40 000
téléchargements. Pour reprendre une expression
populaire,«C’est parti,mon kiki».La Québec traîne
de la patte,mais les choses changent: d’abord l’Anel
et De Marque ont décidé de numériser eux-mêmes
les livres des éditeurs en se disant qu’ils auront la
pleine maîtrise de toute leur production.Est-ce que
ce sera le cas? On peut se poser la question quand
on sait que Google a déjà stocké des milliers de titres
québécois. À suivre…
lettres québécoises • hiver 2009 •
71
index
INDEX DES AUTEURS
INDEX DES PHOTOGRAPHES
Alibis,p.56 • Allard,Caroline,Les chroniques d’une mère indigne 2,p.18 • Alto,
p.58 • Beaudoin,Louise et Stéphane Paquin,Pourquoi la Francophonie ?,p.51
• Beaulieu, Victor-Lévy, L’héritage, p. 24 • Beaulieu, Victor-Lévy, Bibi, p. 25 •
Bélanger, Paul, Répit, p. 40 • Benhabib, Djemila, Ma vie à contre-Coran. Une
femme témoigne sur les islamistes, p. 53 • Benlabed, Salah, De quelques défauts
qui font les humains,p.35 • Bernier Arcand,Philippe,Je vote moi non plus,p.46
• Blais, Geneviève, Le manège a lieu, p. 39 • Boisvert, Claude, Ça fait pas cinq
minutes que je suis riche et je déteste déjà les pauvres!,p.37 • Boisvert,Yves,Classe
moyenne,p.41 • Bouchard,Gérard,Uashat,p.22 • Chalifour,François,Hélène
Lefebvre. De la peinture à la performance, p. 49 • Champeau, Nicole V., Pointe
Maligne l’infiniment oubliée. Présence française dans le Haut Saint-Laurent ontarien, p. 45 • Chassay, Jean-François, Si la science m’était contée. Des savants en
littérature,p.45 • Collectif,Rencontrer Trois-Rivières: 375 ans d’histoire et de culture, p. 61 • Cornellier, Louis, L’art de défendre ses opinions expliqué à tout le
monde, p. 47 • Cossette, Marcil, Sur le parvis des nuages, p. 43 • Côté, ReineAimée, L’échappée des dieux, p. 23 • Daunais, Isabelle, Le roman vu par les
romanciers, p. 48 • Deroy-Pineau, Françoise, Jeanne Mance. De Langres à
Montréal, la passion du seigneur, p. 63 • Désalliers, François, Les géants anonymes, p. 22 • Forget, Danielle, Intrusion, p. 29 • Gasparini, Len, Nouvelle
noirceur, p. 34 • Gauthier, Serge, Contes, légendes et récits de la région de
Charlevoix, p. 32 • Greif, Hans-Jürgen, Le chat proverbial, p. 36 • Hébert,
François,Poèmes de cirque et de circonstance,p.38 • Hynes,Joel Thomas,Lundi
sans faute, p. 31 • Jacques, André, Les lions rampants, p. 63 • Jacques, André,
La commanderie,p.63 • Jacques,André,La tendresse du serpent,p.63 • Jasmin,
Claude, Le rire de Jésus, p. 18 • Jolicœur, Louis, Le masque étrusque, p. 21 •
Lacroix, Benoît, La mer récompense le fleuve. Parcours de Benoît Lacroix.
Conversations avec Simone Saumur-Lambert et Pierrot Lambert, p. 52 •
Lalancette, Guy, Un amour empoulaillé, p. 63 • Lamarre, Jean, D’Avignon.
Médecin, patriote et nordiste, p. 50 • Lansens, Lori, Les filles, p. 30 • Laurence,
Margaret, Ta maison est en feu, p. 30 • Lavallée, Gabrielle, L’alliance de la brebis, p. 64 • Lazaridès, Alexandre, Adieu, vert paradis, p. 20 • Les
Correspondances d’Eastman, p. 54 • Malavoy,André, La mort attendra, p. 64
• Malka, Francis, Le violoncelliste sourd, p. 28 • Manseau, Pierre, p. 55 •
Massoutre, Guylaine, Renaissances.Vivre avec Joyce, Aquin,Yourcenar. Fiction,
p. 44 • Mathieu, Pierre, p. 55 • Meney, Florence, Montréal, à l’encre de tes lieux,
p. 32 • Michaud, Andrée A., Lazy Bird, p. 28 • Miville-Deschênes, Monique,
Chavire, p. 20 • Mœbius, p. 56 • Montpetit, Caroline, L’enfant, p. 34 • Nuit
blanche,p.56 • Paquet,Claudine,Entends-tu ce que je tais?,p.36 • Perro,Bryan
et Alexandre Girard, Créatures fantastiques du Québec, p. 33 • Pipar, Rosette,
Désir d’écrire,p.46 • Plourde,Danny,Cellule esperanza (n’existe pas sans nous),
p.42 • Québec français,p.56 • Rivière,Sylvain,Contes,légendes et récits d’Acadie,
p. 61 • Roy, Bruno, Les cent plus belles chansons du Québec, p. 61 • Stanton,
Julie et Régis Mathieu, Carnets de l’Isle-aux-Grues, p. 62 • Stefanescu,
Alexandre, René Lévesque. Mythes et réalités, p. 49 • Sunohen, Katri, Prêter la
voix. La condition masculine et les romancières québécoises, p. 52 • Théberge,
Jean-Yves, Les chemins aveugles, p. 42 • Thérien, Michel A., Terre de faïence,
p. 38 • Thisdel, Jacques, La thisdélie, p. 62 • Thomas, Réjean, p. 55 • Tremblay,
Lise,p.5 • Van Schendel,Michel,Il dit,p.40 • Villeneuve,Marie-Paule,L’enfant
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Allard. Caroline, Myriam Gaumond, p. 2, 18 • Beaulieu, Victor-Lévy, Ludovic
Fremaux, p. 2, 24 • Bélanger, Paul, Suzanne Biron, p. 41 • Benlabed, Salah, Josée
Lambert,p.35 • Bergeron Carlos,Lotfi Kaddouri,p.45 • Bernier Arcand,Philippe,
Daniel Bourque,p.46 • Bertrand,Claudine,André Mathieu,p.71 • Bissonnette,
Lise, Josée Lambert, p. 64 • Bouchard Gérard, Paul Cimon, p. 22 • Champeau,
Nicole V., Thomas Champeau, p. 45 • Chassay, Jean-François, Martine Doyon,
p.2 • Cornellier,Louis,Jean Chevrette,p.47 • Cossette,Marcil,Anik Gingras,p.43
• Côté Jacques, Valérie St-Martin, p. 70 • Daoust, Jean-Paul, Robert Houle, p. 69
• Daunais, Isabelle, Pascal Brisset, p. 2, 48 • Désalliers, François, Michel Gagné,
p. 22 • Doré, Kim, Josée Lambert, p. 69 • Dorion, Hélène, Alexis K. Laflamme,
p. 70 • Forget, Danielle, Gabor Szylasi, p. 29 • Greif, Hans-Jürgen, Ida
Labrie/Perspective, p. 2, 36 • Hébert, François, Charles Hébert, p. 38 • Hynes,
Joel Thomas,Shane Kelly,p.31 • Jasmin,Claude,Josée Lambert,p.19 • Jolicœur,
Louis, Luc Villeneuve, p. 21 • Laberge, Marie, Jean-François Bérubé, p. 64 •
Lansens, Lori, Laura Starcks, p. 30 • Laurence, Margaret, Ashley-Crippen. p. 30
• Malka, Francis, Christine Bourgier, p. 28 • Massoutre Guylaine, V. Cagnone,
p. 44 • Meney, Florence, Martine Doyon, p. 33 • Michaud, Andrée A., Martine
Doyon, p. 2, 28 • Mistral, Christian, Dominique Thibodeau, p. 72 • Montpetit,
Caroline,Éléanor Le Gresley,p.2,34 • Ouellet,François,Anne-Marie Guérineau,
p.69 • Pellerin,Gilles,Idra Labrie/Perspective,p.69 • Perro,Bryan,Karine Patry,
p.33 • Plourde, Danny, Audrey Côté, p.2, 42 • Roy, Gabrielle, John Reeves, p.65 •
Tanguay,Antoine,Idra Labrie,p.58 • Thérien,MichelA.,Jean-Marc Carisse,p.39
• Thomas, Réjean, Sirius, p. 55 • Tremblay, Lise, Alexis K. Laflamme, page couverture, 1, 5, 10; Martine Doyon, p. 6 • Tremblay, Michel, Joshua Kessler, p. 70 •
Van Schendel, Michel, Josée Lambert, p. 1, 40
72 • lettres québécoises • hiver 2009
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no
137