VENDREDI 10 JUILLET – 20H Jazz At Lincoln Center Orchestra

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VENDREDI 10 JUILLET – 20H Jazz At Lincoln Center Orchestra
VENDREDI 10 JUILLET – 20H
Jazz At Lincoln Center Orchestra With Wynton Marsalis
Wynton Marsalis, trompette
Sean Jones, Marcus Printup, Ryan Kisor, trompettes
Chris Crenshaw, Vincent Gardner, Elliot Mason, trombones
Victor Goines, Walter Blanding, Sherman Irby, Joe Temperley, saxophones, clarinettes
Ted Nash, saxophone, clarinette, flûte
Carlos Henriquez, basse
Ali Jackson, batterie
Dan Nimmer, piano
Fin du concert vers 21h30
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Le messager du jazz
Lundi 15 juin 2009. Michelle Obama invite 150 lycéens à la Maison Blanche
pour assister à une après-midi intitulée « Jazz Studio ». Séance studieuse,
avec des ateliers encadrés par Wynton Marsalis, son frère Branford et leur père
Ellis, des pédagogues avérés, ainsi que par le saxophoniste Paquito D’Rivera,
le pianiste Eli Yamin, directeur pédagogique de Jazz at the Lincoln Center, et
deux brillants solistes des formations de Wynton, le saxophoniste Todd Williams
et le trompettiste Sean Jones. Le premier cercle de Wynton. Au programme :
“American History & Jazz,” “Syntax of Jazz,” “The Blues Experience & Jazz” et
“Duke Ellington & Swing.” Soit une autodéfinition des préoccupations constantes
de Wynton Marsalis depuis ses débuts à l’aube des années quatre-vingt au sein
des Jazz Messengers d’Art Blakey. Au passage, les lycéens ont emmagasiné des
conseils qui ressemblent à des leçons de vie : « n’aie jamais l’air désolé quand tu
as fini un solo » ; « ne maltraite pas ta section rythmique et raccourcis tes solos » ;
« le blues est ce qui t’oblige à intégrer des éléments vocaux dans ton jeu ».
En point d’orgue, cette affirmation de Michelle Obama : « le jazz est peut-être le
plus beau cadeau fait au monde par l’Amérique ; et un orchestre de jazz est le plus
bel exemple qui soit de démocratie réalisée… ».
Au-delà de l’anecdote et de son actualité, on a là l’approche la plus claire du
personnage complexe qu’est Wynton Marsalis. Trompettiste prodige, compositeur
surdoué, leader charismatique, lobbyiste efficace …et homme de convictions
profondes que l’on est libre de partager ou de contester, mais qui s’expriment sans
détour. Car chez Wynton Marsalis, la pensée n’est jamais éloignée de la musique.
Pour autant, le natif de la Nouvelle Orléans est l’un des plus vifs héritiers des
musiques de parade, des arrangements exubérants, des solos à faire trembler les
murs. Bref de la musique qui jaillit par nécessité, sans se soucier d’être pensée.
Pas si simple donc, une fois de plus.
Une fulgurante carrière comme leader de petites et moyennes formations :
depuis son premier album enregistré en 1982, Wynton Marsalis (né en 1961) a
remporté neuf Grammy Awards. En cumulant au passage en 1983 un Grammy jazz
et un Grammy classique : il est le seul à jamais avoir réalisé cet insolite doublé.
Il y a gagné une respectabilité qui séduit les décideurs, ceux des médias, ceux
de la culture et ceux de la politique. Aujourd’hui, il se trouve à le tête de la plus
prestigieuse institution du jazz aux États-Unis. Jazz at the Lincoln Center : une
saison de concerts à programmer, un big band à diriger en lui fournissant un
répertoire, un club à faire fonctionner, des programmes éducatifs… Au total près
de 1000 rendez-vous publics annuels !
Une mission de service public pour un infatigable évangélisateur : ça tombe bien.
Il a de qui tenir. Son père, Ellis Marsalis a vu passer entre ses mains la crème
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des musiciens de la Nouvelle Orléans depuis 1974, de Terence Blanchard à Harry
Connick, Jr., de Donald Harrison à Nicholas Payton : un passeur de mémoire,
de savoir et d’enthousiasme. Tout en étant le premier pianiste « moderne » de
New Orleans. Parmi ses fils, Wynton est celui qui lui ressemble le plus. Un amour
immodéré des grands maîtres du passé, un travail acharné pour que la maîtrise
technique ne soit plus une question qui interfère, un souci de cohérence dans
chaque projet. Chez Wynton, l’avenir ne se conçoit que si l’on a consolidé les
fondations. Pour autant, le garçon est un faux traditionaliste : il a bel et bien
repoussé les limites de la trompette ; son sextet a prolongé l’expressionnisme des
formations d’un Charles Mingus à l’image délibérément contestatrice ; il s’apprête
à mettre en lumière Ornette Coleman ou Richard Galliano en 2010. Et il procède
par « projets », montant un répertoire thématique après l’autre, au fil des années,
exactement à la manière des créateurs européens qui proposent chaque année
un « nouveau film » sonore : ainsi du récent « He and She » sur les premiers
frémissements amoureux, de « Joe Cool’s Blues » sur l’univers des Peanuts de
Charlie Brown, de l’ode à la fièvre urbaine qu’est « Citi Movement », etc. Et pour se
dégourdir les doigts, Wynton Marsalis aborde volontiers la littérature classique de
la trompette : Haydn, Mozart, Hummel, Jolivet, Bernstein, Ravel…
Même constat pour les répertoires abordés depuis 1992 par le Jazz at Lincoln
Center Orchestra. Un oratorio sur l’esclavage et la ségrégation (« Blood on
the Fields »), une relecture des « Portraits » de Duke Ellington, ou du « Love
Supreme » de Coltrane, les musiques inspirées par les trains, le rappel historique
de ce que fut Congo Square, ou tout récemment du programme « Tap &
Flamenco » avec le pianiste andalou Chano Dominguez. Exactement comme les
formations symphoniques établies, le big band de quinze musiciens se produit
aussi dans des concerts destinés au jeune public, accompagne des chorégraphies,
accueille des invités, auditionne de nouveaux membres, tourne à l’étranger et
assure un retransmission radio hebdomadaire… Une institution qui fonctionne
comme telle, avec un chef permanent et des chefs ou solistes invités. Jusqu’ici,
le modèle avait fait ses preuves pour séduire les riches donateurs américains.
L’orchestre est aussi et surtout une sorte d’énorme Rolls Royce lancée comme
une machine à remonter le temps. Un moteur à l’ancienne avec ses pistons
– quatre trompettistes dont Wynton -, ses coulisses – trois trombones -, ses
échappements – cinq saxophones -, sa combustion – le trio rythmique piano,
contrebasse, batterie. Soit le modèle « classique » du big band de jazz organisé
en « sections », version inaltérable à la Basie ou Ellington. En ayant retenu les
deux règles de base des grands ancêtres : une section rythmique aussi solide
qu’un fil tendu pour les funambules et des musiciens qui soient tous des solistes
en puissance. Le répertoire de Jazz at Lincoln Center Orchestra pouvant aussi bien
plonger dans les maîtres du passé que gambader sur des compositions originales,
il faut mériter sa « sélection » dans le XV du « patron » Wynton Marsalis.
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En assumant ce paradoxe des jazzmen modernes consistant à manifester une forte
personnalité tout en étant un parfait lecteur.
Éternelle question des talents individuels qui doivent savoir se fondre dans la
stratégie du collectif. Démonstration parfaite dans la distribution des pupitres
de l’orchestre : qu’ils soient des compagnons de route de longue date de Wynton
Marsalis comme les saxophoniste Victor Goines et Walter Blanding, des nouveaux
talents comme le trompettiste Sean Jones ou le tromboniste Chris Crenshaw,
des spécialistes du big band comme l’Anglais Elliot Mason ou l’Écossais Joe
Temperley, des professionnels aguerris comme le saxophoniste Ted Nash, ils
mènent tous parallèlement une carrière de leader. Pas de frustrations. Ça aide à
donner le maximum et à l’obtenir de ses coéquipiers. À partir de cette qualité de
« ressources humaines », le Jazz at Lincoln Center Orchestra se régale à faire
fructifier l’héritage des grands compositeurs et arrangeurs qui ont fait l’histoire du
jazz et pas forcément les super-stars : Toshiko Akiyoshi comme Count Basie, Benny
Carter comme Gil Evans, Dizzy Gillespie comme Mary Lou Williams… Une mission
de mémoire qui est dans son cahier des charges, au même titre que la nécessité de
faire régulièrement appel à des chefs invités.
Moderne, traditionaliste ? Avec Wynton Marsalis, en dernier analyse, la question
est secondaire. Il a placé la barre assez haut pour que le message d’un siècle de
jazz soit clair : rendez-vous avec le plaisir.
Alex Dutilh
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