Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité

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Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
RÉFLEXIONS THÉORIQUES SUR LA
POLITIQUE AMÉRICAINE DE SÉCURITÉ
NATIONALE APRÈS LE 11 SEPTEMBRE 2001 :
Jean-Frédéric Légaré-Tremblay
Juin 2004
Numéro 27
Jean-Frédéric Légaré-Tremblay est inscrit au programme de
maîtrise en science politique de l’Université du Québec à Montréal.
Son domaine de spécialisation porte sur la politique étrangère américaine. Il prépare actuellement son mémoire sur l’influence de
l’idéologie néoconservatrice sur la politique étrangère de l’administration de George W. Bush.
Mise en pages : Zéro Faute, Outremont
Les notes de recherches du CÉPÉS permettent aux chercheurs qui
lui sont affiliés d’exposer les résultats des travaux en cours. Les
opinions exprimées par les auteurs n’engagent qu’eux.
Dépôt légal: 3e trimestre 2004
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
ISBN : 2-922014-24-X
Table des matières
Introduction .................................................... 5
Une lecture postmoderne .................................... 6
Le postmodernisme et la politique
de sécurité nationale ....................................... 7
La représentation des événements
du 11 septembre 2001 ...................................... 9
La construction de la menace à travers
le discours du danger ...................................... 12
La sécurisation de l’identité nationale américaine ...... 16
Une lecture constructiviste ............................... 20
Le constructivisme appliqué
au contexte bureaucratique .............................. 21
Représentations, discours et intérêts
avant et après le 11 septembre 2001 .................... 24
Les « modes de raisonnement » ............................. 29
Who gets to speak ? Le 11 septembre
et la consécration des « faucons » ....................... 32
Conclusion .................................................... 36
Bibliographie .................................................. 37
Introduction
Il s’agit pratiquement d’un lieu commun que de dire que le monde
a changé depuis le 11 septembre 2001. Cependant, on peut sans
contredit se servir de ce lieu commun pour parler de la politique
de sécurité nationale américaine, car celle-ci a effectivement subi
de profondes modifications après cette date. Au cours des huit premiers mois du mandat de l’administration Bush, la politique de
sécurité nationale fut, pour l’essentiel, à l’image de ce que Bush
lui-même avait annoncé lors de sa campagne électorale l’année précédente, soit une politique humble et modeste : « Donnons-nous
une politique étrangère américaine qui reflète le caractère américain. La modestie de la vraie force. L’humilité de la vraie grandeur1. »
Après le 11 septembre 2001, cette politique changea substantiellement pour devenir beaucoup plus ambitieuse, agressive et interventionniste. Elle se distingue notamment par deux éléments constitutifs particuliers, soit un fort unilatéralisme et la doctrine de l’attaque
préventive. Bien que la nouvelle politique de sécurité nationale
n’ait été publiée officiellement qu’en septembre 2002, soit un an
après les attentats, les éléments fondamentaux qu’elle contient ont
été rapidement énoncés par les membres de l’administration Bush
dans les jours suivant les attentats.
Devant ce constat, une question se pose : comment comprendre
l’adoption d’une telle politique de sécurité nationale par l’administration Bush après le 11 septembre 2001 ? Cette question sousentend également ces autres questions : était-ce inéluctable ?
Pourquoi l’administration Bush a-t-elle adopté cette politique et
non une autre, et sous quelles conditions ?
La présente note de recherche se veut un exercice théorique et
réflexif sur cette problématique. Plus précisément, elle propose de
répondre à ces questions à travers deux lectures théoriques : une
postmoderne et une constructiviste. Dans le cas de l’approche postmoderne, bien que nous nous référions au cours de notre analyse
1. George W. Bush, cité dans « Bush outlines foreign policy », BBC News, 20
novembre 1999, news.bbc.co.uk/1/hi/world/americas/529018.stm (traduction
libre). À moins d’avis contraire, toutes les traductions sont de l’auteur.
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Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
à différents auteurs, nous nous appuierons surtout sur les écrits de
David Campbell, puisque celui-ci a travaillé abondamment sur les
questions de sécurité et, plus exactement, sur la politique de sécurité nationale américaine. Quant à l’approche constructiviste, nous
l’appliquerons au contexte bureaucratique de l’administration Bush.
Puisqu’il existe peu de littérature sur le constructivisme appliqué à
la prise de décision, nous nous appuierons essentiellement sur les
écrits de Jutta Weldes et, plus particulièrement, sur son article :
« Bureaucratic politics : a critical constructivist assessment2 ».
Une lecture postmoderne
Afin de comprendre l’adoption de la nouvelle politique de sécurité
nationale américaine après le 11 septembre 2001 d’un point de vue
postmoderne, il convient de saisir d’abord comment ont été interprétés les attentats perpétrés cette journée-là. Comprendre de quelle
façon les dirigeants politiques américains se sont représentés les
attentats est en effet crucial, car cela constitue la condition de possibilité première de la nouvelle politique de sécurité nationale3. La
représentation participe aussi grandement à la définition de trois
autres concepts fondamentaux, soit l’élaboration du discours dominant de la guerre au terrorisme (essentiellement un « discours du
danger »), la construction de la menace terroriste et la sécurisation
de l’identité nationale américaine. En somme, notre proposition s’articule de la façon suivante : c’est sur la base d’une représentation
particulière des événements du 11 septembre 2001 que repose la
nouvelle politique de sécurité nationale américaine en tant que discours, lequel tente de sécuriser l’identité nationale américaine par
la construction de la menace terroriste. Mais avant d’entamer cette
étude empirique, il convient de montrer comment le postmodernisme,
en tant qu’approche théorique, conçoit la politique de sécurité nationale.
2. Jutta Weldes, « Bureaucratic politics : a critical constructivist assessment »,
Mershon International Studies Review, vol. 42, 1998, p. 216-225
3. En ce sens, on peut dire que les attentats du 11 septembre 2001 sont à la
nouvelle politique de sécurité nationale américaine ce que la paix de
Westphalie en 1648 est à l’approche réaliste des relations internationales : « Pour
les relations internationales, cette interprétation [réaliste] du moment westphalien constitue la condition de possibilité de la discipline ». David Campbell,
Writing security : The United State’s Foreign Policy and the Politics of Identity,
Minneapolis, Minnesota University Press, 2e édition, 1998, p. 41.
Le postmodernisme et la politique de sécurité nationale
D’entrée de jeu, il faut mentionner que dans une perspective postmoderne, la réalité « objective » n’existe pas. Elle est plutôt comme
un texte qui n’a de sens qu’à travers l’interprétation : « Le monde
“réel” est constitué comme un texte, et on ne peut faire référence
à cette “réalité” qu’à travers l’expérience interprétative4. » Les situations, les événements et les choses n’ont pas de sens a priori et n’ont
pas non plus de sens fondamentalement « vrai ». Ce n’est qu’à travers l’interprétation que le sens est construit et que l’on peut alors
se représenter ces différents objets. Conséquemment, les notions
de texte, de discours et de langage sont les éléments ontologiques
de base de cette approche, car ils sont structurants de tout5. Rien
n’existe à l’extérieur de ceux-ci et tout devient alors question d’interprétation et de représentation. Compte tenu de la nature profondément subjective d’une interprétation, aucune ne peut se réclamer d’une logique ou d’une nature quelconque pour s’imposer
comme la « vraie » interprétation. Il existe alors toujours plusieurs
interprétations possibles et en compétition pour la représentation
de ces mêmes situations, événements ou choses. C’est cette « compétition narrative » que Der Derian appelle une « interaction textuelle derrière la politique du pouvoir6 ».
Dans cette « lutte pour le sens », la politique étrangère d’un
État, en tant que discours, tend à s’imposer comme le discours dominant. David Campbell la définit de la manière suivante :
Particulièrement dans sa forme moderne récente de « politique de
sécurité nationale », la politique étrangère (Foreign Policy) est un
discours du pouvoir qui est global dans sa portée, mais national dans
sa légitimation. La politique étrangère n’est qu’un des nombreux discours du danger circulant dans l’économie discursive d’un État-nation
à n’importe quel temps donné. […] Or, dans le contexte de l’État-nation
4. Jacques Derrida cité dans Richard Devetak, « Postmodernism », dans Scott
Burchill et al., Theories of International Relations, New York, St Martin’s Press,
2e édition, 2001, p. 186.
5. Alex Macleod, Evelyne Dufault et F. Guillaume Dufour, Relations internationales : théories et concepts, Montréal, Athéna éditions, 2002, p. 137.
6. James Der Derian, « The Boundaries of Knowledge and Power in International
Relations », dans R. Devetak, op. cit, p. 186. Devetak définit ainsi ce concept :
« C’est la relation mutuellement et complémentairement constitutive entre différentes interprétations pour la représentation et la constitution du monde »,
ibid., p. 186.
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Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
moderne, la politique étrangère s’est cependant vue conférer un statut privilégié7.
Ainsi, selon David Campbell, la politique de sécurité nationale
est essentiellement un discours du danger, qui, d’ailleurs, est dédié
à la constitution, à la production et au maintien de l’identité politique nationale. En effet, l’identité n’est pas naturelle ou donnée,
mais bien construite en relation avec la différence et l’altérité.
Cependant, rien ne définit a priori cette altérité comme étant menaçante. C’est l’État qui construira cette menace afin de pouvoir
mieux ordonner, discipliner et sécuriser cette identité. Et comme
l’indique Campbell, cela se fera grâce à un discours du danger :
« Sécuriser l’identité nationale exige que l’on mette l’accent sur la
nature inachevée et dangereuse du monde. Les discours du “danger”
offrent une nouvelle théologie de la vérité à propos de ce que
“nous” sommes en mettant l’accent sur ce que “nous” ne sommes
pas et ce que “nous” devons craindre8. » Qui plus est, ce discours
localise les menaces et les ennemis à l’extérieur de l’État. L’intérieur
sécuritaire est donc mis en opposition avec un extérieur défini par
le discours du danger comme un espace menaçant. En somme, la
politique de sécurité nationale en tant que discours du danger est
un processus de sécurisation de l’identité politique nationale qui
s’effectue par le biais de la construction de la menace extérieure.
En retour, l’État légitimera son existence et ses pratiques par
une promesse de sécurité envers ses citoyens, qui, sans sa présence,
se retrouveraient en situation de vulnérabilité vis-à-vis des menaces
situées à l’extérieur de ses frontières9. Le discours du danger devient
donc, du coup, la condition d’existence de l’État :
Les États ne sont jamais achevés en tant qu’entités ; la tension entre
les demandes d’identité et les pratiques qui la constituent ne peut jamais
se résorber totalement, car la nature performative de l’identité ne peut
jamais, elle non plus, se révéler totalement. Ce paradoxe, inhérent à
l’existence de l’État, fait que celui-ci doit constamment se reproduire.
7. D. Campbell, op. cit., p. 70. Campbell fait une distinction entre « foreign
policy » et « Foreign Policy ». Alors que la première appellation fait référence de
manière large aux pratiques de différenciation ou modes d’exclusion opérant
à tous les niveaux (personnel, social, global, etc.), la seconde est l’apanage
exclusif de l’État. Aussi, la seconde, malgré l’importance qu’elle a gagnée dans
le contexte de l’État-nation moderne, n’est possible et ne peut opérer que dans
les matrices d’interprétation fournies par la première. Dans le présent ouvrage,
c’est de la seconde appellation qu’il sera question.
8. Ibid., p. 48.
9. Ibid., p. 50.
[…] Si le projet de sécurité de l’État venait à réussir dans les termes
dans lesquels il est articulé, l’État cesserait d’exister10.
En ce sens, la politique de sécurité nationale agit comme une
« self-fulfilling prophecy » : elle construit les menaces qu’elle promet par la suite d’éradiquer.
Les frontières de l’État, qui séparent l’intérieur de l’extérieur,
démarquent donc, en termes identitaires, le « soi » de l’« autre », ce
dernier étant défini comme une menace par le discours du danger.
Cependant, cette dichotomie qu’effectue le discours du danger entre
le « nous » et l’« autre » s’applique tant au niveau spatial que moral11.
Au niveau spatial, l’État trace une démarcation territoriale claire
qui délimite physiquement le « nous » du « eux ». Ces frontières
protègent ainsi le « sanctuaire » de l’identité nationale contre les
menaces extérieures. Cela dit, selon le discours du danger, l’ennemi
peut aussi se trouver à l’intérieur des frontières nationales, ce qui
légitime certaines mesures internes : « Constituer une identité politique cohérente et singulière exige souvent que la dissension
interne soit tue. Il peut exister, à l’intérieur, un “autre” susceptible
de mettre en danger une certaine conception du soi. Il doit donc
être nécessairement expulsé, discipliné ou contenu12. » Sur le plan
moral, l’État établit dans son discours une dichotomie entre le
« nous » et l’« autre » en attribuant à ce dernier des valeurs négatives diamétralement opposées et inférieures aux valeurs positives
attribuées au « nous ». Ainsi, pour que cet « autre » cesse d’être une
menace, qu’il cesse d’être « autre », il devra adopter les valeurs positives qui sont attribuées au « nous »13. Il devra, à toutes fins utiles,
répliquer son identité.
La représentation des événements du 11 septembre 2001
Jean Baudrillard a écrit, quelques semaines après les attentats :
« Cette violence terroriste n’est pas un retour de flamme de la
réalité, pas plus que celui de l’histoire. Cette violence terroriste
n’est pas “réelle”14 », c’est-à-dire que ces attentats n’ont pas de sens
Ibid., p. 12.
Ibid., p. 85.
R. Devetak, loc. cit. p. 198.
Michael J. Shapiro, cité dans Jim George, Discourses of global politics : A critical (re)introduction to international relations, Boulder, Lynne Reiner, 1994,
p. 206.
14. Jean Baudrillard, « L’esprit du terrorisme », Le Monde, 3 novembre 2001, p. 10.
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a priori. Ce n’est qu’à travers l’interprétation et les représentations
que se font les gens que ceux-ci acquièrent un sens. Dans le cas des
attentats du 11 septembre 2001, la « lutte pour le sens » entre les
différentes interprétations était d’une intensité particulière, étant
donné la nature elle-même particulière des événements : « Bien
qu’il ne soit pas impensable, l’événement choque, puisqu’il excède
les façons de penser et d’agir de tous les jours et ouvre ainsi un
espace au-delà de lui-même15. » Ces événements sans précédent
échappaient à l’expérience et, conséquemment, aucun « mode de
représentation16 » déjà existant et bien établi n’aurait pu être
emprunté pour les catégoriser et leur donner un sens. En créant un
vide de sens, les attentats ont donc ouvert un espace discursif très
large dans lequel allait pouvoir s’articuler une « lutte pour le sens »
entre diverses interprétations. Sur ce point, David Campbell écrivait, l’année suivante :
Les tentatives visant à donner un sens aux choses ont commencé au
moment où se sont déroulés les événements et n’ont pas cessé depuis.
Il y a eu un véritable déluge de discours organisés autour des notions
d’attaque, d’atrocité, de crime et, plus fortement, de guerre, provenant
des leaders politiques, des bonzes médiatiques et des commentateurs
universitaires. Ceux-ci cherchaient tous à remplir le vide de sens provoqué par les images de la destruction du World Trade Center17.
En effet, certains, tels Noam Chomsky et Edward Said, ont interprété les attentats comme une conséquence de la politique étrangère menée par les États-Unis, spécialement au Moyen-Orient.
Certains y ont vu une manifestation du clash des civilisations professé par Samuel Huntington18. D’autres encore, en vertu des lois
américaines, ont qualifié les attentats d’actes criminels, appelant
ainsi l’implication de l’appareil légal américain et non militaire19.
15. Paul A. Passavant et Jodi Dean, « Representation and the event », Theory and
event, vol. 5, no 4, 2002, muse.jhu.edu/journals/theory_and_event /v005/
5.4passavant.html
16. « Certains modes d’interprétation se cristallisent autour de référents qui sont
marqués comme des dangers ». D. Campbell, op. cit., p. 8.
17. David Campbell, « Time is broken : the return of the past in the response to
September 11 », Theory and Event, vol. 5, no 4, 2002, muse.jhu.edu/journals/
theory_and_event/v005/5.4campbell.html
18. Propos recueillis dans Id.
19. Steven R. Ratner, « Were the attacks of September 11 an “act of war” ? », Crimes
of War Project, 21 septembre 2001, www.crimesofwar.org/expert/ attackratner.html
Pour leur part, les dirigeants politiques de l’administration Bush
ont rapidement rempli le vide de sens en fournissant rapidement et
sans hésitation leur propre interprétation des événements. Dès que
Bush apprit la nouvelle de l’écrasement de deux avions dans les
tours jumelles du World Trade Centre, il l’interpréta comme une
déclaration de guerre. Le lendemain, au terme de sa réunion avec le
Conseil de sécurité nationale, il déclarait : « Les attaques meurtrières
délibérées qui ont été perpétrées hier contre notre pays étaient plus
que des actes de terreur. C’étaient des actes de guerre20. » Bush
annonça aussi, le soir même des attentats, qu’il avait mis toutes les
ressources disponibles de son administration à la recherche de ceux
qui avaient perpétré ces actes. Seulement neuf jours plus tard, lors
de son discours devant le Congrès, alors que, de toute évidence,
l’enquête n’était pas arrivée à son terme21, Bush identifiait déjà le
réseau terroriste Al Qaïda, son leader, Oussama Ben Laden, et le
régime taliban comme responsables des actes terroristes du 11 septembre22. Plus encore, plusieurs personnes dans l’administration,
dont Paul Wolfowitz au premier plan, mais aussi Donald Rumsfeld et
Richard Cheney, incluaient déjà le président irakien Saddam Hussein
dans la liste des coupables quatre jours seulement après les attentats23.
Ainsi, bien que « la nuit soit tombée sur un monde différent24 »
le soir du 11 septembre 2001, les dirigeants politiques américains
en définirent immédiatement les contours et leur représentation
20. George W. Bush, « Remarks by the President In Photo Opportunity with the
National Security Team », The White House, 12 septembre 2001,
www.whitehouse.gov/news/releases/2001/09/20010912-4.html
21. Seymour Hersh du New Yorker écrivait, le 1er octobre 2001, soit 10 jours après
le discours de Bush au Congrès : « Après plus de deux semaines d’enquêtes jour
et nuit sur les attaques du 11 septembre sur le World Trade Center et le
Pentagone, le communauté américaine du renseignement demeure confuse,
divisée et incertaine à propos de la manière dont les terroristes ont opéré, de
leur nombre, et de ce qu’ils pourraient faire par la suite. C’était le manque
d’informations solides, me dit un membre du gouvernement, qui était le facteur principal derrière la décision de l’administration Bush, la semaine dernière, de ne pas diffuser, tel que promis, un livre blanc qui dévoilerait la preuve
liant l’organisation de Oussama Ben Laden aux attaques ». Seymour Hersh, « What
went wrong : The CIA and the failure of American intelligence », The New
Yorker, 1er octobre 2001, www. newyorker.com/fact/content?011008fa_FACT
22. George W. Bush, « Address to a Joint Session of Congress and the American
People », The White House, 20 septembre 2001, www.whitehouse.gov /news/
releases/2001/09/print/20010920-8.html
23. Bob Woodward, Bush at War, New York, Simon & Schuster, 2002, p. 83-88.
24. G. W. Bush, « Address to a Joint… », op. cit.
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des attentats comme un acte de guerre devint la représentation dominante, hégémonique. Malgré un contexte d’ambiguïté, de complexité et d’incertitude profondes, ils ont rapidement « sécurisé » le
sens des événements, et ce, grâce à une interprétation très réductionniste et simpliste de ceux-ci. Les dirigeants politiques américains ont effectué ainsi une fermeture draconienne, marginalisant
du coup toute autre interprétation.
La construction de la menace
à travers le discours du danger
Dès le lendemain des attentats, la « guerre au terrorisme » est devenue la première priorité en matière de sécurité nationale pour le
gouvernement américain. Comme nous l’avons mentionné plus
haut, il ne fallut que quelques jours pour que les dirigeants politiques américains désignent officiellement les nouveaux ennemis des
États-Unis : « Le peuple américain a besoin de savoir que nous faisons face à un ennemi auquel nous n’avons jamais fait face25. »
L’administration Bush a en effet immédiatement identifié Oussama
Ben Laden, Al Qaïda et le régime taliban comme ennemis particuliers, mais aussi toutes les organisations terroristes en général : « Il
y a des milliers de ces terroristes dans plus de 60 pays. […] Notre
guerre contre la terreur commence avec Al Qaïda, mais elle ne s’arrête pas là. Elle ne s’arrêtera que lorsque chaque groupe terroriste
de portée globale aura été trouvé, arrêté et défait26. » Le président
Bush élargissait encore davantage le spectre des ennemis potentiels
en énonçant ce qui allait devenir plus tard la Doctrine Bush :
« Nous ne ferons pas de distinction entre les terroristes qui ont
commis ces actes et ceux qui les abritent27. » Bush incorporait ainsi,
en plus des organisations terroristes, les États affichant des liens
avec celles-ci dans la liste des ennemis.
Dans une telle situation, la définition précise de ce que le discours de la « guerre au terrorisme » entend par « terrorisme » revêt
toute son importance pour les implications qu’elle aura sur la définition des ennemis :
25. G. W. Bush, « Remarks by the President… », op. cit.
26. G. W. Bush, « Address to a Joint… », op. cit.
27. George W. Bush, « Statement by the President in His Address to the Nation »,
The White House, 11 septembre 2001, www.whitehouse.gov/news/releases/
2001/09/20010911-16.html
Définir qui est un terroriste est une tâche plus ardue qu’il n’y paraît.
C’est pourquoi l’administration Bush se retrouve maintenant prise entre
les politiques qu’elle doit adopter et le langage qu’elle utilise pour les
décrire. […] La rhétorique de la « guerre au terrorisme » est plus apparente que réelle. Elle présente une vision unidimensionnelle d’un problème multidimensionnel28.
Cependant, force est de constater que l’ambiguïté et le simplisme dont souffre la définition du terrorisme à l’heure actuelle,
loin de nuire à la politique de la « guerre au terrorisme », constituent au contraire sa force stratégique. L’élasticité de cette définition permet au discours d’embrasser un grand nombre de « dangers »
et de construire un large spectre de menaces. À titre d’exemple, les
États-Unis ne conçoivent plus les rebelles tchétchènes comme une
minorité opprimée, mais bien comme des terroristes29. D’autres
États, comme la Chine et l’Inde, ont profité de cette ambiguïté pour
s’empresser de démontrer aux Américains que les insurrections qui
ont cours dans leur pays doivent être considérées non pas comme
des problèmes liés à la question des droits de l’Homme, mais plutôt
à celle du terrorisme30.
On a vu apparaître aussi l’expression « guerre à la terreur » (war
on terror) à côté de celle de « guerre au terrorisme ». Les deux expressions ont été utilisées de façon interchangeable dans le discours de
l’administration Bush depuis le 11 septembre 2001. Or, la notion
de « terreur » est encore plus vague et plus large que celle de « terrorisme », ce qui permet de définir encore plus largement les ennemis des États-Unis. C’est notamment à travers le discours de la
« guerre à la terreur » que l’administration Bush a pu inclure dans
la liste des ennemis les « États parias » (rogue states) qui sont ou
pourraient devenir une menace pour les États-Unis, qu’ils collaborent avec les terroristes ou non. C’est dans ce contexte que l’on
peut interpréter l’évocation par Bush de l’« Axe du Mal », constituée
par la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak, lors de son discours sur l’état
de l’Union du 29 janvier 2002 :
28. Grenville Byford, « The wrong war », Foreign Affairs, juillet/août 2002, vol. 81,
no 4, p. 34.
29. Pierre Hassner et Justin Vaïsse, Washington et le monde : dilemmes d’une
superpuissance, Paris, Autrement, 2003, p. 138.
30. Amitav Acharya, « Security and security studies after September 11 : Some
preliminary reflection », Working Paper no 23 : The concept of security before
and after September 11, Institute of Defence and Strategic Studies, Singapour,
mai 2002, p. 16.
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Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
Notre second objectif est de prévenir le fait que des régimes parrainant
la terreur ne menacent l’Amérique ou nos alliés avec des armes de
destruction massive. Certains de ces régimes ont été plutôt silencieux
depuis le 11 septembre. Mais nous connaissons leur vraie nature. […]
En cherchant à acquérir des armes de destruction massive, ces régimes
posent un danger grave et grandissant31.
Le lien entre ces pays et le terrorisme n’est donc plus une nécessité pour qu’ils soient considérés comme une menace. Bush résumait notamment les raisons d’inclure la Corée du Nord dans l’« Axe
du Mal » de la manière suivante : « La Corée du Nord est un régime
qui gonfle son arsenal avec des armes de destruction massive en
même temps qu’il affame ses citoyens. » De toute évidence, le terrorisme n’est aucunement évoqué dans ces raisons.
Plus encore, ces paroles du président Bush nous indiquent
qu’il n’est pas non plus nécessaire que ces États aient agi d’une
manière agressive envers les États-Unis ou qu’ils soient même en
possession d’armes de destruction massive pour qu’ils soient définis comme des ennemis. La seule présomption de la part des dirigeants politiques américains que ces États pourraient éventuellement
se procurer des armes de destruction massive pour potentiellement
attaquer les États-Unis est suffisant pour les définir comme des
ennemis. C’est d’ailleurs ce discours allouant une très large marge
de manœuvre au gouvernement américain qui légitimera la nouvelle doctrine de l’attaque préventive présentée dans la National
Security Strategy publiée en mai 2002, mais énoncée auparavant
par Bush au cours de plusieurs discours32. En effet, cette doctrine
stipule qu’il est juste pour les États-Unis d’utiliser la force de manière
préventive avant même que la menace soit imminente : « Nous
devons être préparés afin d’arrêter les États parias et leurs clients
terroristes avant qu’ils soient en mesure de menacer ou d’utiliser
31. George W. Bush, « 2002 State of the Union Address », 29 janvier 2002,
www.state.gov/r/pa/ei/wh/rem/7672pf.htm
32. Le cas irakien illustre bien cette logique. La doctrine de l’attaque préventive fut
invoquée pour renverser un régime qui, manifestement, ne possédait pas
d’armes de destruction massive. Malgré cela, le président Bush persiste
aujourd’hui à dire que cette action était légitime, arguant que, s’il s’avérait que
le régime irakien ne possédait pas d’armes de destruction massive, on peut
toujours justifier cette guerre par le fait que ce régime aurait pu devenir une
menace s’il s’en était procuré. Voir Richard W. Stevenson, « Remember “Weapons
of Mass Destruction” ? For Bush, They Are a Nonissue », The New York Times,
17 décembre 2003, www.nytimes.com/2003/12/18/politics/18PREX.html
des armes de destruction massive contre les États-Unis et nos alliés
et amis33. »
En terminant cette section, il convient de souligner certains
langages et certaines pratiques par lesquels le gouvernement américain a continuellement nourri son discours du danger et entretenu la peur au sein de la population américaine. La National Strategy for Homeland Security décrit ainsi la menace terroriste : « La
menace terroriste : une condition permanente. Les terroristes d’aujourd’hui peuvent frapper n’importe où, n’importe quand, et avec
une grande variété d’armes. […] Nous ne pouvons jamais être certains d’avoir défait tous nos ennemis terroristes34. » Dans les mois,
voire les années qui ont suivi les attentats, les membres de l’administration Bush n’ont eu de cesse de marteler que les États-Unis
étaient perpétuellement en danger. Le président Bush introduisait
d’ailleurs son discours devant le Congrès, quatre mois après les attentats, en disant : « Alors que nous nous réunissons ce soir, notre
nation est en guerre, notre économie est en récession et le monde
civilisé fait face à des dangers sans précédent35. » D’autres membres
de l’administration y sont aussi allés de leurs propos alarmistes. Au
cours du mois d’octobre 2002, Robert Mueller, directeur du FBI,
avertissait les Américains que les terroristes pourraient attaquer
bientôt, mais qu’il ne pouvait offrir l’assurance que le FBI pourrait
contrecarrer leurs plans. Au même moment, George Tenet, alors
directeur de la CIA, affirmait qu’il n’y avait aucune ambiguïté sur
le fait qu’Al Qaïda planifiait une autre attaque sur les États-Unis.
Tom Ridge, Secrétaire à la sécurité intérieure, affirmait quant à lui
qu’une attaque terroriste « n’était pas une question de “si”, mais
bien de “quand”36 ».
Finalement, le gouvernement américain mit sur pied en mars
2002 le Homeland Security Advisory System comme moyen de disséminer de l’information sur le risque d’actes terroristes aux autorités
locales, étatiques et fédérales ainsi qu’à la population américaine37.
33. The National Security Strategy of the United States of America, The White
House, septembre 2002, www.whitehouse.gov/nsc/nss.html
34. George W. Bush, Securing the Homeland, Strengthening the Nation, [s.d.], p. 2,
www.whitehouse.gov/homeland/homeland_security_book.pdf
35. G. W. Bush, « 2002 State of the… », op. cit.
36. Exemples tirés de Charles V. Peña, « Homeland security alert system : Why
bother ? », Cato Institute, 31 octobre 2002, www.cato.org/cgi-bin/scripts/
printtech.cgi/dailys/10-31-02.html
37. « Homeland security presidential directive-3 », The White House, 12 mars
2002, www.whitehouse.gov/news/releases/2002/03/print/20020312-5.html
Jean-Frédéric Légaré-Tremblay
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Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
Depuis son instauration, le système a pratiquement toujours indiqué que le niveau de risque national était « élevé »38. Le seul moment
où le niveau a été haussé fut lors de l’anniversaire des attentats, le
11 septembre 2002, et ce, malgré le fait que, comme l’admit le président Bush, les États-Unis ne faisaient pas face à une menace
particulière cette journée-là39. Ce système ne semble pas avoir
d’autre utilité que de hausser le niveau d’inquiétude et de peur de
la population américaine, puisqu’il ne prescrit, à toutes fins utiles,
aucune mesure concrète40.
La sécurisation de l’identité nationale américaine
Sur le plan spatial, les frontières américaines se sont littéralement
resserrées dans un mouvement qu’il conviendrait de qualifier de
« sanctuarisation du territoire national américain ». Le discours du
danger oppose en effet un espace intérieur sécuritaire à un espace
extérieur où pullulent les menaces. Cependant, l’ennemi peut aussi
être présent à l’intérieur : « Les terroristes peuvent vivre et voyager
parmi nous et attaquer nos maisons et nos lieux commerciaux, politiques et récréatifs41. » C’est dans cette optique que lors de son
adresse à la Nation du 20 septembre 2001, le président Bush annonçait la création de l’Office of Homeland Security, qui allait plus tard
devenir le Department of Homeland Security, annonçant du coup
la plus grande réorganisation bureaucratique depuis la loi créant
l’appareil de sécurité nationale en 1947. Le nouvel organisme fut
notamment chargé de sécuriser davantage les frontières américaines : « Les frontières aériennes, terrestres et maritimes de l’Amérique doivent fournir une défense solide pour le peuple américain
contre les menaces extérieures et, plus particulièrement, les terroristes internationaux42… » C’est pourquoi les budgets dédiés à
cette tâche furent haussés de 2,2 milliards de dollars, de même que
les effectifs alloués à la protection et la surveillance des frontières.
Le 26 octobre 2001, le président signa le USA Patriot Act. Une
de ses principales mesures renforce les pouvoirs de l’Immigration
and Naturalization Service :
38. Le système comporte cinq niveaux de risque : 1-bas, 2-en garde, 3-élevé, 4haut, 5-grave.
39. C. V. Peña, op. cit.
40. Id.
41. Office of Homeland Security, The National Strategy for Homeland Security,
juillet 2002, p. 12, www.whitehouse.gov/homeland/book/nat_strat_hls.pdf
42. G. W. Bush, Securing the Homeland…, op. cit.
pour détenir ou écarter les terroristes présumés aux frontières de la
Nation. Cette mesure a élargi les définitions de l’Immigration and Nationality Act concernant le terrorisme ; étendu le champ d’inadmissibilité pour inclure les étrangers qui endossent publiquement une
activité terroriste ; exige du Procureur général qu’il détienne les
étrangers qu’il certifie être des menaces à la sécurité nationale43.
De toute évidence, l’immigration est ici assimilée à la menace,
potentielle ou non, et doit être contrôlée. L’immigrant, cet « autre »
provenant de l’extérieur, représente un danger pour la sécurité
nationale et, en bout de ligne, pour l’identité nationale. Comme
pour la menace située à l’extérieur, la définition de la « menace
immigrante » s’est élargie et la simple présomption de la part des
autorités qu’un individu situé aux frontières ou à l’intérieur des
frontières américaines présente une menace pour la sécurité nationale est suffisante pour qu’il soit traité comme tel par les autorités.
La politique de sécurité intérieure adapte ainsi la doctrine de l’attaque préventive au niveau intérieur, reflétant du coup la pensée de
John Ashcroft, procureur général : « Le centre d’attention du FBI et
du département de la Justice devrait passer de la poursuite à la
prévention ; un changement radical dans les priorités44. » La notion
de « homeland security » devient dès lors très élastique et offre une
grande marge de manœuvre à l’État pour contrôler et discipliner
« un soi ordonné ».
Sur le plan moral, la nouvelle politique de sécurité nationale
américaine a établi une dichotomie identitaire très marquée avec
cette phrase de George W. Bush prononcée le 20 septembre 2001
devant le Congrès : « Chaque nation, dans chaque région, a maintenant une décision à prendre. Vous êtes soit avec nous ou vous êtes
avec les terroristes45. » Les dirigeants politiques américains et le
président Bush en particulier évoquent aussi continuellement cette
dichotomie à travers un langage manichéen dans lequel les ÉtatsUnis représentent le Bien et les ennemis, c’est-à-dire les terroristes,
les États qui les appuient, de même que les « États parias », représentent le Mal. Le soir même des attentats, Bush déclarait : « Des
milliers de vies furent soudainement éteintes par le Mal46. » Le lendemain, il déclarait que la guerre allait être « une lutte monumentale entre le Bien et le Mal47 ».
43.
44
45.
46.
47.
Id.
B. Woodward, op. cit., p. 42
G. W. Bush, « Address to a Joint Session… », op. cit.
G. W. Bush, « Statement by the President… », op. cit.
G. W. Bush, « Remarks by the President… », op. cit.
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Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
Le discours de la « guerre au terrorisme » établit aussi clairement une dichotomie entre les valeurs qui font partie de l’identité
américaine et celles qui appartiennent à l’« autre » :
Les Américains se demandent : pourquoi les terroristes nous détestentils ? Ils détestent ce qu’ils voient dans cette chambre : un gouvernement
démocratiquement élu. Leurs leaders politiques se nomment eux-mêmes.
Ils détestent nos libertés : nos libertés de religion, notre liberté de
parole, notre liberté de voter, de s’assembler et d’être en désaccord
entre nous. […] Ces terroristes ne tuent pas simplement pour mettre
fin à des vies, mais bien pour perturber et mettre fin à un mode de
vie. […] C’est une lutte de civilisations. C’est une lutte pour tous ceux
qui croient dans le progrès, le pluralisme, la tolérance et la liberté.
[…] La liberté est en guerre avec la peur48.
Un an après les attentats, le 11 septembre 2002, Bush explicitait davantage cette dichotomie :
L’attaque sur notre nation était aussi une attaque sur les idéaux qui
font de nous une nation. Notre plus profonde conviction nationale
est que chaque vie est précieuse, car chaque vie est un don du Créateur, qui souhaitait que nous vivions dans la liberté et l’égalité. Plus
que tout, ceci nous distingue de l’ennemi que nous combattons. Nous
valorisons chaque vie ; nos ennemis n’en valorisent aucune, pas même
celle de l’innocent, pas même la leur49.
Ce discours énonce en effet clairement les valeurs positives de
l’identité nationale américaine en opposition avec les valeurs négatives de ses ennemis : Bien/Mal, démocratie/autocratie, liberté/
peur, respect de la vie/mépris de la vie, civilisation/barbarisme,
tolérance/intolérance, etc. Il met aussi l’accent sur le « nous » en
contradiction avec le « eux ».
Il est aussi possible d’interpréter l’unilatéralisme et le refus des
alliances fermes affirmés dans le discours de la « guerre au terrorisme » comme tentatives de positionner l’identité américaine en
opposition avec, en bout de ligne, le reste du monde dans un langage de « l’Ouest contre le Reste50 » : « À un moment donné, il se
pourrait que nous soyons les seuls à se tenir debout [dans la guerre
au terrorisme]. Ça me va. Nous sommes l’Amérique51. » C’est ainsi
que nous pourrions interpréter les « coalitions à la carte » (coalitions
48. G. W. Bush, « Address to a Joint Session… », op.. cit.
49. George W. Bush, « President’s remarks to the Nation », The White House, 11
septembre 2002, www.whitehouse.gov/news/releases/2002/09/print/
20020911-3.html
50. P. A. Passavant et J. Dean, op. cit.
51. George W. Bush cité dans B. Woodward, op. cit., p. 81.
of the willing), lesquelles sont dirigées par les Américains en
fonction des missions définies exclusivement par ces derniers. Ce
refus de se faire dicter la marche à suivre par autrui démontre implicitement que les valeurs américaines sont considérées comme
supérieures à toutes les autres et que, conséquemment, elles sont
les seules valables pour définir les missions. Le discours sur l’état
de l’Union du 29 janvier 2002 illustre bien cet unilatéralisme, puisqu’il était entièrement formulé à la première personne (« we ») et ne
faisait aucunement mention des pays européens, pourtant des alliés
traditionnels des États-Unis et membres de la même institution de
défense collective, l’OTAN : « Certains gouvernements seront timides
en face de la terreur. Mais ne vous trompez pas : s’ils n’agissent pas,
l’Amérique le fera52. » Il est à ce propos évocateur que les États-Unis
aient invoqué l’article 51 de la Charte des Nations Unies, c’està-dire le droit à la légitime défense, plutôt que l’article 5 de l’OTAN,
soit la clause de défense de collective, et qu’ils aient rejeté l’offre
de l’OTAN de collaborer à la campagne militaire américaine en Afghanistan. Comme le dit Paul Wolfowitz : « Si nous avons besoin d’agir
collectivement, nous le demanderons53. »
Finalement, il est possible d’interpréter la doctrine de l’attaque
préventive comme une tentative, certes, d’anéantir l’ennemi, cet
« autre » menaçant, mais aussi et surtout de le rendre à l’image des
États-Unis, c’est-à-dire de lui conférer une identité similaire à l’identité américaine. La doctrine de l’attaque préventive, qui est une pratique politique légitimée par le discours de la « guerre au terrorisme »,
cherche donc à transformer en des termes positifs et similaires,
l’identité de l’ennemi aujourd’hui définie en termes négatifs et
différents. Discutant de la « guerre au terrorisme », Bush affirmait :
Nous ne laisserons pas la sécurité de l’Amérique et la paix de la planète
à la merci de quelques terroristes et tyrans fous. Nous éradiquerons
cette sombre menace qui plane sur notre pays et sur le monde. […]
L’Amérique s’engage pour plus que l’absence de guerre. Nous avons
l’occasion de répandre une juste paix en remplaçant la pauvreté, la
répression et le ressentiment dans le monde, par l’espoir d’un monde
meilleur. […] Les impératifs de la liberté s’appliquent entièrement à
l’Afrique, à l’Amérique latine et au monde islamique. […] La vérité
52. G. W. Bush, « 2002 State of the… », op. cit.
53. Paul Wolfowitz à la conférence des ministres de la Défense de l’OTAN, le 26
septembre 2001. « Nato ministers meet to hear US plan », The Guardian, 26 septembre 2001, www.guardian.co.uk/waronterror/story/0,1361,558544,00.html
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Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
morale est la même dans chaque culture, pour chaque époque et à
chaque endroit54.
C’est donc en refaisant le monde à l’image des États-Unis, en
permettant d’instaurer des régimes démocratiques partageant les
valeurs américaines que la doctrine de l’attaque préventive permet
de réduire la « menace » pesant sur les États-Unis. Lorsque la National Security Strategy stipule que « la guerre contre les terroristes de
portée globale est une entreprise globale d’une durée indéterminée55 », on peut comprendre que cette guerre ne s’arrêtera que
lorsque le monde et les ennemis qu’il comporte seront à l’image de
l’identité américaine et de ses valeurs. Seulement à ce moment
l’« autre » cessera d’être « autre » et les États-Unis seront en sécurité.
Or, comme nous l’avons mentionné plus haut, cette doctrine de
l’attaque préventive participe beaucoup au fait que la nouvelle politique de sécurité nationale soit une « self-fulfilling prophecy », car
elle encourage davantage la prolifération des dangers et des menaces,
qu’elle promet par la suite d’effacer, que leur éradication. Les ÉtatsUnis ne sont effectivement pas plus en sécurité aujourd’hui qu’ils
ne l’étaient au lendemain des attentats du 11 septembre 200156.
Une lecture constructiviste
Tenter de comprendre l’adoption de la nouvelle politique de sécurité nationale américaine après le 11 septembre 2001 par le biais
d’une approche constructiviste implique que l’on ouvre la « boîte
noire » de l’État pour observer le phénomène de prise de décision.
Or, contrairement à l’approche bureaucratique traditionnelle, l’approche constructiviste que nous adoptons ici s’écarte des postulats
du paradigme rationaliste où « le processus de prise de décision
peut être conçu comme une situation de marchandage dans laquelle
chaque acteur [rationnel] “négocie” afin de promouvoir ses intérêts
organisationnels [donnés]57 ». À l’inverse, l’approche constructiviste
54. George W. Bush, « President Bush Delivers Graduation Speech at West Point »,
The White House, 1er juin 2002, www.whitehouse.gov/news/releases/2002/
06/20020601-3.html
55. The National Security Strategy of the United States of America, The White
House, septembre 2002, www.whitehouse.gov/nsc/nss.html
56. Joshua M. Marshall, « Remaking the world : Bush and the Neoconservatives »,
Foreign Affairs , novembre/décembre 2003, www.foreignaffairs.org/
20031101fareviewessay82614/joshua-micah-marshall/remaking-the-worldbush-and-the-neoconservatives.html
57. J. Weldes, « Bureaucratic politics… », op. cit., p. 218.
proposée par Jutta Weldes considère le processus de prise de décision comme suit :
Une lutte discursive constante au sujet des critères de classification
sociale, des frontières des catégories de problèmes, de l’interprétation
intersubjective des expériences communes, de l’encadrement conceptuel des problèmes et de la définition des idées qui guident la façon
dont les gens créent un sens partagé motivant leurs actions58.
Cette définition problématise l’explication rationaliste de la politique bureaucratique en reformulant la définition ontologique de
certains concepts et en en suggérant de nouveaux. Pour le compte
de notre analyse, nous avons repris les quatre concepts suivants :
les intérêts, les représentations, les discours et les « modes de raisonnement ». De manière plus précise et pour le cas à l’étude, notre
proposition articule ainsi ces quatre concepts : la nouvelle politique
de sécurité nationale est issue d’une lutte entre différentes conceptions de l’intérêt national, lesquelles découlent de représentations
particulières de la menace terroriste. Ces intérêts et représentations
sont contenus dans des discours qui les rendent possibles grâce
aux « modes de raisonnement » que chaque discours contient.
Autrement dit, chaque agent ou organisme bureaucratique conçoit
l’intérêt national américain et se représente la menace terroriste à
travers les « modes de raisonnement » que contiennent les discours.
Mais avant d’effectuer cette étude empirique, il convient, comme
dans la section précédente, de présenter ce que le constructivisme
offre, en tant qu’approche théorique, pour comprendre la politique
bureaucratique.
Le constructivisme appliqué au contexte bureaucratique
Dans le cadre d’une approche constructiviste, les intérêts ne sont
pas « donnés », mais bien socialement construits : « Les intérêts sont
produits, reproduits et transformés à travers les pratiques discursives des acteurs. Plus spécifiquement, les intérêts émergent des
représentations qui définissent, pour les acteurs, les situations et
les événements auxquels ils font face59. » Ainsi, cette reformulation
58. Fisher et Forester cités dans ibid., p. 217.
59. Ibid., p. 218. Cela fait aussi écho à la définition de Wendt : « Les acteurs n’ont
pas un “portfolio” d’intérêts qu’ils transportent indépendamment du contexte
social ; au lieu de cela, ils définissent leurs intérêts à travers le processus par
lequel ils définissent les institutions », Alexander Wendt, « Anarchy is what states
make of it : The social construction of power politics », International Organization, vol. 26, no 2, 1992, p. 398.
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Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
du concept d’intérêt réfute la Loi de Miles voulant que « où l’on se
situe (par rapport à un problème politique) dépend de l’endroit où
l’on se situe (dans la bureaucratie)60 ». Les intérêts des acteurs ne
sont pas prédéterminés par le fait que ces derniers occupent un
poste dans telle ou telle organisation bureaucratique, mais bien
plutôt construits à partir des représentations que les agents bureaucratiques se font du monde, des situations et des événements. Par
conséquent, les décisions politiques qui découlent des intérêts construits à partir de ces représentations ne sont aucunement imposées
par la nécessité ou la fatalité. Ainsi, comme le mentionne Weldes :
Juxtaposer des représentations qui se confrontent dénaturalise ce qui
est sensé être donné : 1) les objets, les sujets et les relations entre
eux ; 2) les situations auxquelles font face les décideurs politiques ; 3)
les problèmes politiques que ces situations posent pour les décideurs
politiques ; et 4) les intérêts avec lesquels les décideurs politiques
abordent de tels problèmes61.
Ce sont en effet les représentations que les agents créent qui
confèrent un sens au monde, aux situations et aux événements. Or,
ces représentations sont quant à elles issues du discours62 : « Le sens
est issu des représentations, elles-mêmes rendues possibles par certains discours, soit des structures intersubjectives de “significations courantes”, qui fournissent les catégories à travers lesquelles
nous nous représentons et comprenons le monde63. » En plus de
rendre possibles certaines représentations, les discours sont aussi
porteurs de pouvoir, c’est-à-dire qu’ils privilégient et légitiment
certains agents au détriment d’autres : « Ils déterminent qui est considéré comme un expert à propos d’un problème politique particulier et, par conséquent, qui, des multiples organisations bureaucratiques et acteurs bureaucratiques, mérite d’être entendu et valorisé64. »
Plus encore, les discours ont aussi des effets matériels, notamment
dans l’allocation et le contrôle des ressources tels que le temps,
60. J. Weldes, op. cit., p. 217.
61. Ibid., p. 220.
62. Comme le mentionne Kubálková, ce ne sont pas tous les constructivistes qui
ont pris le « tournant linguistique » ou, autrement dit, qui admettent le langage
dans leur ontologie. Vendulka Kubálková, « A Constructivist Primer », dans
Vendulka Kubálková (dir.), Foreign Policy in a Constructed World, Armonk
New York, M. E. Sharpe, 2001, p. 63. Le constructivisme que nous utilisons ici,
par contre, reconnaît l’importance du langage : « Le langage ne reflète pas le
monde ; il le constitue tel que nous le connaissons et tel que nous agissons à
l’intérieur de celui-ci », J. Weldes, op. cit., p. 221.
63. Id.
64. Ibid., p. 221.
l’argent, l’information et le prestige à certains agents ou organisations bureaucratiques, affectant du coup la distribution de ces ressources parmi ceux-ci65. Ainsi, les luttes bureaucratiques sont essentiellement des luttes pour le sens, c’est-à-dire des luttes entre diverses
représentations, dont l’issue a des effets matériels réels. Ces luttes
« discursives » sont donc au cœur du processus de prise de décision66.
Il faut aussi ajouter qu’une fois investi d’une légitimité et d’un
pouvoir par le discours, l’agent ou l’organisation bureaucratique
peut, en retour, renforcer ce discours, de même que les représentations et les intérêts qu’il sous-tend. Une fois renforcé, ce discours
pourra raffermir à son tour la légitimité et le pouvoir de cet agent
ou organisation, et ainsi de suite : « Certains discours exercent plus
de pouvoir que d’autres, car ils sont articulés selon les termes du
pouvoir institutionnel et parce qu’ils prennent part à celui-ci, ce
qui, en retour, reproduit ce même pouvoir67. » En ce sens, l’approche
constructiviste ne considère pas, contrairement au postmodernisme,
que le discours soit structurant de tout. Comme l’explique l’extrait
précédent, l’agent, une fois habilité par le discours, peut à son tour
influencer ce discours68.
Quant aux « modes de raisonnement », Jutta Weldes les décrit
ainsi : « Les modes de raisonnement sont les règles par lesquelles
les discours rendent possible la construction de représentations particulières du monde social, des intérêts et des problèmes politiques69. » Ce sont des structures intersubjectives70, donc partagées,
de règles, qui sont comprises dans les discours et en fonction
Ibid., p. 218-220 et V. Kubálková, op. cit., p. 58.
J. Weldes, op. cit., p. 221.
Id.
« Bien que le notion de Foucault selon laquelle le pouvoir discursif définit la
position des individus ou leur identité soit très utile, on ne devrait pas, pour
autant, négliger les autres formes de pouvoir. Le pouvoir n’est pas seulement
une question de constitution discursive (c’est-à-dire textuelle ou linguistique).
Certains discours exercent plus de pouvoir parce qu’ils émanent d’institutions
préexistantes ». Jutta Weldes, Discussion paper on « discourse and identity »,
avril 2003, [s.l], www.mershon.ohio-state.edu/assets/images/Resources/
Identity%20-Papers/Weldes%20Comments.pdf
69. J. Weldes, « Bureaucratic politics… », op. cit., p. 223.
70. « Tout comme les discours ne sont pas “dans la tête des gens”, mais bien des
structures intersubjectives de signification courante, les modes de raisonnement ne sont pas des processus cognitifs individuels, mais des structures intersubjectives de règles qui rendent possibles des formes particulières de raisonnement », ibid., p. 223.
65.
66.
67.
68.
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24
Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
desquelles se construisent les représentations par les agents. Les
« modes de raisonnement » sont donc fondamentaux, puisqu’ils
rendent possibles les représentations et les intérêts tels que conçus
par les agents. Ainsi, au lieu de considérer que l’agent bureaucratique appréhende et définit les situations, les événements et les
intérêts en fonction de sa rationalité individuelle, l’approche constructiviste considère qu’il effectue cette tâche selon certaines règles
ou « façons de raisonner » qui ne lui sont pas propres, mais bien
partagées avec d’autres individus. Ces règles, aussi préexistantes
aux agents, sont aussi largement intériorisées par ceux-ci. Elles forment donc, pour ainsi dire, des patterns de raisonnement et d’action71. Ainsi, bien que l’agent soit doté d’une intention, d’une volonté,
et qu’il puisse ainsi faire des choix, ces choix ne peuvent s’effectuer
qu’à travers ces règles ou patterns disponibles.
Représentations, discours et intérêts
avant et après le 11 septembre 200172
Lors de l’entrée en fonction de George W. Bush, au début de l’année
2001, on a pu constater que son administration était divisée. En
matière de sécurité nationale, on peut en effet distinguer entre
deux camps : d’un côté, les « colombes », essentiellement situées au
département d’État, comme Colin Powell et, anciennement,
Richard Haass (il n’est plus en fonction depuis juillet 2003) ; et de
l’autre, les « faucons », situés surtout au département de la Défense,
comme Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz et, anciennement, Richard
Perle (il a quitté le Defense Policy Board en 2004), et au bureau de
la vice-présidence, avec Richard Cheney et Lewis « Scooter » Libby73.
71. V. Kubálková, op. cit., p. 70.
72. Plusieurs des faits qui seront mentionnés dans la lecture empirique qui suit se
sont produits en huis clos. S’ils nous sont connus, c’est qu’ils ont été généralement rapportés par des journalistes ayant des contacts, souvent anonymes,
au sein de l’administration Bush. Il faut donc les considérer avec circonspection, car leur exactitude et leur justesse n’ont pas toujours été corroborées
jusqu’à ce jour.
73. Bien que Condoleeza Rice soit un agent bureaucratique primordial au sein de
l’administration Bush, nous avons préféré ne pas l’inclure dans notre analyse,
puisque ses positions ont été, depuis le 11 septembre, changeantes ou, du
moins, nébuleuses. Mentionnons également que cette division de l’administration Bush entre « colombes » et « faucons », de même que le partage de ces
quelques agents bureaucratiques entre ces deux camps, représentent une simplification évidente de la réalité qui ne rend pas justice à la complexité des
débats qui ont eu lieu au sein de cette administration. Nous avons cependant
Bien qu’il soit difficile de dire quel camp l’emportait véritablement au cours des huit premiers mois du mandat de l’administration Bush, c’est probablement le camp des « colombes » qui s’est
imposé, même si, somme toute, les « faucons » avaient aussi une
influence considérable sur le processus décisionnel74. Ce fut la
crise sino-américaine d’avril 2001, première et probablement la
seule véritable crise internationale qu’a connue l’administration Bush
avant les attentats du 11 septembre75, qui fit pencher la balance en
faveur des « colombes ». Devant cette situation, les « faucons », partisans de la ligne dure, suggéraient d’engager des représailles
contre la Chine, notamment par le recours à des sanctions économiques ou l’annulation de la visite du président Bush en Chine
prévue pour l’automne76. Or, ce fut le camp des « colombes », avec
Colin Powell et le département d’État, qui a été finalement mandaté
pour régler de façon diplomatique et négociée le contentieux avec
la Chine.
Après le 11 septembre 2001, la ligne de clivage entre « colombes »
et « faucons » s’est maintenue au sein de l’administration, mais s’est,
bien sûr, appliquée à une autre question, soit celle de la guerre au
terrorisme. Des divergences au niveau des discours, des représentations de la menace et, finalement, de l’intérêt national américain
dû recourir à cette représentation simplifiée de la réalité bureaucratique pour
les fins méthodologiques et opérationnelles de cette recherche.
74. Il est difficile de dire quel camp l’emportait véritablement au cours de cette
période, puisque chaque membre de l’administration impliqué dans les affaires
extérieures se vit déçu à un moment ou à un autre par les décisions prises
ultimement. Pensons notamment à Colin Powell, avec le retrait du Protocole de
Kyoto ou avec l’abandon de plusieurs négociations diplomatiques de paix au
Proche-Orient, en Irlande du Nord et avec la Corée du Nord, ou à Donald
Rumsfeld, avec l’adoption par l’administration d’une attitude coopérative
envers la Russie ou avec le refus initial d’honorer la promesse de hausser le
budget de la Défense (une augmentation de 33 milliards de dollars fut
finalement demandée au Congrès par l’administration Bush en août 2001). Le
résultat est que, finalement, « personne ne s’imposa en tant que régent de Bush ».
Ivo H. Daalder et James M. Lindsay, America Unbound : The Bush Revolution
in Foreign Policy, Washington D. C., Brookings, 2003, p. 74.
75. Rappelons-nous que cette crise fut suscitée par l’incursion d’un avion-espion
américain EP-3E dans l’espace aérien chinois, lequel fut repéré par les
autorités chinoises après être entré en collision avec un avion de combat
chinois et forcé d’atterrir d’urgence sur l’île d’Hainan. Les passagers du EP-3E
ont survécu, mais furent détenus par l’Armée chinoise, de même que l’avion
lui-même. Le gouvernement chinois exigea des États-Unis qu’ils prennent la
responsabilité complète de cet incident et s’excusent publiquement.
76. Une solution militaire était considérée comme impensable, même par les
« faucons ». I. H. Daalder et J. M. Lindsay, op. cit., p. 68.
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26
Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
ont rapidement fait surface dans la construction de la nouvelle
politique de sécurité nationale, publiée en septembre 2002, mais
dont les éléments fondamentaux étaient déjà énoncés six jours
après les attentats77. Ainsi, on peut observer, en bout de ligne, deux
discours et deux visions différentes de l’intérêt national américain :
le multilatéralisme et l’endiguement chez les « colombes », et l’unilatéralisme et l’attaque préventive chez les « faucons ».
Du côté des « colombes », la menace est représentée comme
étant essentiellement limitée au terrorisme et aux organisations terroristes. Powell disait, dans les jours suivant les attentats : « Cela ne
concerne qu’Al Qaïda et Ben Laden. Ce sont nos cibles : leurs camps
et leurs infrastructures. Après cela, il y a d’autres réseaux [terroristes]78. » En ce qui a trait aux États susceptibles de soutenir le terrorisme, ils ne représentent pas, à ses yeux, une menace imminente
pour les États-Unis :
En ce qui concerne tous les États qui ont appuyé le terrorisme, vous
pourrez agir au moment de votre choix. […] Si nous ne sommes pas
allés en Irak avant le 11 septembre, pourquoi irions-nous maintenant,
alors que l’indignation actuelle n’est pas dirigée contre l’Irak ? Personne ne peut dire que l’Irak est responsable du 11 septembre. Gardez
les options pour l’Irak ouvertes au cas où vous auriez les preuves de
son implication. Peut-être aussi la Syrie et l’Iran. Mais je doute que
vous obteniez ces preuves79.
Cela valait également pour le régime des Talibans, en Afghanistan, car le secrétaire d’État ne considérait pas que celui-ci était
directement impliqué dans les attentats80. Ainsi, pour Colin Powell,
il était nécessaire que les preuves soient faites pour être en mesure
de définir un État comme étant une menace à la sécurité des ÉtatsUnis et justifier une attaque contre celui-ci. Or, au lendemain des
attentats, rien n’était prouvé en ce sens pour lui.
77.
78.
79.
80.
Ibid., p. 99.
B. Woodward, op. cit., p. 86-87.
Ibid., p. 87.
William Kristol cite et commente les propos de Colin Powell : « Dimanche
dernier, […] le secrétaire d’État effectua une distinction entre Al Qaïda et les
Talibans, et a plus ou moins écarté les préoccupations à propos des Talibans :
“Quant à la nature du régime en Afghanistan, ce n’est pas dans nos priorités
en ce moment… Je ne dirai pas qu’il est devenu un des objectifs du gouvernement des États-Unis de renverser ou de mettre en place un régime différent”.
Powell a exprimé le souhait que les Talibans “recouvrent leurs sens” et expulsent Oussama Ben Laden du pays », William Kristol, « Bush vs. Powell », The
Washington Post, 25 septembre 2001, p. A-23.
Qui plus est, il était impératif pour Colin Powell de former une
alliance ferme avec les autres États. Il concevait effectivement la
situation comme une occasion de reformer les relations entre les
États à travers la construction d’une coalition déterminée selon des
objectifs clairement définis, comme l’exigeaient les alliés81. En ce
sens, une campagne allant au-delà des simples organisations terroristes avec, notamment, une attaque contre l’Irak, semblait contreproductive. Selon Powell, les États-Unis sont plus forts et plus aptes
à juguler les menaces, tel le terrorisme, lorsqu’ils agissent de concert avec les alliés82. Il est donc, selon lui, dans l’intérêt national
des États-Unis d’agir de façon multilatérale83.
Quant aux États susceptibles de représenter une menace pour
les États-Unis, Colin Powell préconisait la stratégie de l’endiguement84. Dans le cas de l’Irak, Powell croyait que, comme pour la
guerre du Golfe de 1991, le renversement militaire pur et simple du
régime de Saddam Hussein par les Américains aliènerait le reste de
la coalition et soulèverait des instabilités régionales. Il préconisait
donc une stratégie de dissuasion à long terme appuyée par la
communauté internationale85.
Notons que cette vision pragmatique et « réaliste » de l’intérêt
national américain était aussi partagée par les militaires du Pentagone. En effet, le général Hugh Shelton de l’Armée américaine, qui
quitta ses fonctions tel que convenu deux semaines après les attentats, s’opposait fortement à une attaque contre l’Irak, prétendant, à
l’instar du secrétaire d’État, que la preuve n’était aucunement faite
que ce régime était lié aux attentats du 11 septembre. De plus, selon
lui, attaquer l’Irak sans de telles preuves risquait de soulever l’ire
des États arabes modérés dont l’appui était nécessaire pour mener
à terme les objectifs politiques et militaires en Afghanistan, mais
81. B. Woodward, op. cit., p. 65.
82. Gerald F. Seib et Carla Anne Robins, « Powell-Rumsfeld feud hard to ignore :
Bush faces decisions on North Korea, Israel, U.N. role in Iraq-All cabinet
battlegrounds », The Wall Street Journal, 25 avril 2003, p. A-4.
83. Richard Haass partage cette conception de l’intérêt national américain :
« Aussi grands soient nos avantages, il demeure des limites. Nous avons besoin
des alliés. Nous ne pouvons imposer nos idées à tout le monde. Nous ne
voulons pas nous battre seuls dans les guerres, alors nous avons besoin que les
autres s’y joignent. Un leadership américain, oui, mais pas d’unilatéralisme
américain », Nicholas Lemann, « The next world order », The New Yorker, 25
mars 2002, www.newyorker.com/printable/?fact/020401fa_FACT1
84. I. H. Daalder et M. Lindsay, op. cit., p. 133.
85. Id.
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28
Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
aussi pour faire cheminer le processus de paix au Moyen-Orient86.
Suivant le secrétaire d’État, le général croyait également que les partisans d’un changement de régime en Irak effectué militairement
surestimaient l’efficacité de l’armée87. Pour ces deux raisons, le
général préférait lui aussi une stratégie d’endiguement appuyée par
la communauté internationale.
Cette représentation de la menace et cette définition de l’intérêt national américain divergent fortement de celles partagées au
sein du camp des « faucons ». En ce qui a trait à la menace, Richard
Cheney l’élargissait sans hésitation aux États soutenant le terrorisme :
« Assener un coup au terrorisme signifie inévitablement cibler les
pays qui le cultivent et l’exportent. D’une certaine façon, les États
sont des cibles plus aisées que les terroristes manœuvrant dans
l’ombre88. » Cette vision recevait également un écho favorable chez
les civils du département de la Défense. En effet, Wolfowitz, de
même que Rumsfeld, abondait aussi en ce sens : « Il ne s’agit pas
uniquement de capturer des gens et de les rendre imputables, mais
bien de retirer les sanctuaires, de retirer les systèmes d’appui et de
mettre fin aux régimes qui appuient le terrorisme89. » Les « faucons »
considèrent que les « États parias » représentent une menace, car ce
sont eux qui, s’ils se procuraient des armes de destruction massive,
pourraient éventuellement les distribuer aux terroristes. Cette vision
des choses est effectivement très différente de celle de Shelton et
Powell. Ce dernier s’est d’ailleurs publiquement défendu de ne pas
soutenir une telle position : « Mettre fin au terrorisme est là où je
voudrais limiter notre mission et laisser M. Wolfowitz parler pour
lui-même90. »
Toujours en porte-à-faux par rapport à Colin Powell, le camp
des « faucons » estime que, pour pouvoir éradiquer ces menaces, les
États-Unis doivent pouvoir déterminer leurs missions et utiliser
leur force en toute liberté. Comme l’a dit Richard Cheney deux jours
B. Woodward, op. cit., p. 61.
I. H. Daalder et M. Lindsay, op. cit., p. 133.
B. Woodward, op. cit., p. 48.
Paul Wolfowitz, « DoD News Briefing – Deputy Secretary Wolfowitz », Department of Defense, 13 septembre 2001, www.defenselink.mil/news/Sep 2001/
t09132001_t0913dsd.html
90. Toby Harnden, « Cracks start to show in approach to conflict », The Telegraph,
27 septembre 2001, www.telegraph.co.uk/news/main.jhtml ?xml=/news/2001/
09/27/wusa127.xml. À ces propos, Powell aurait aussi répliqué, en privé, à
Hugh Shelton : « Seigneur, à quoi ces gens pensent-ils ? Ne pouvez-vous pas les
faire taire ? » ,B. Woodward, op. cit., p. 61.
86.
87.
88.
89.
après les attentats, les coalitions ne sont que des moyens pour
combattre la guerre au terrorisme, pas une fin en soi91. Ce sont les
missions qui déterminent les coalitions et non l’inverse. Celles qui
seront formées seront donc des « coalitions à la carte92 ». Les Américains accepteront ainsi, au sein des coalitions qu’ils dirigeront, tous
les États qui voudront bien épouser leur cause. Cependant, en aucun
cas ces États ne pourront contraindre les Américains dans leurs
missions. Ainsi, devant l’opposition de Powell, qui prétendait qu’une
attaque éventuelle contre l’Irak risquerait de dissoudre la coalition,
Rumsfeld répondit que « l’argument selon lequel la coalition ne
tolèrerait pas [une attaque contre] l’Irak donne en fait une raison
pour changer de coalition93 ». L’intérêt national américain est donc,
selon les « faucons », mieux servi pas l’unilatéralisme que par le multilatéralisme.
Quant à la stratégie militaire à adopter, les « faucons » ont développé une véritable allergie à la notion d’endiguement soutenue
initialement par Powell. Selon eux, la timidité de cette stratégie face
à l’utilisation de la puissance militaire américaine reflète tous les
défauts de l’ancienne politique étrangère94. Pour être en mesure de
se défendre et, donc, d’éradiquer la menace existante et celle qui
germe dans les « États parias », il est nécessaire, selon eux, d’agir de
façon préventive, d’où la stratégie de l’attaque préventive95. Comme
le mentionne Rumsfeld : « L’autodéfense signifie que l’on doit poursuivre [les extrémistes qui cherchent à acquérir des armes de destruction massive]. On n’a pas le choix. Et cela nous amène aux
attaques préventives96. » L’attaque préventive est donc justifiée par
le fait que les États-Unis doivent anéantir la menace avant même
qu’elle se concrétise.
Les « modes de raisonnement »
Les deux discours que nous avons rapidement exposés comportent
chacun un « mode de raisonnement » particulier. La question est
maintenant : quels sont les règles ou « modes de raisonnement » qui
Ibid., p. 48.
N. Lemann, op. cit.
B. Woodward, op. cit., p. 88.
I. H. Daalder, et M. Lindsay, op. cit., p. 134.
Justin Vaïsse, « La nouvelle politique étrangère américaine », Politique internationale, printemps 2003, p. 77.
96. Cité dans Joe Loconte, « Rumsfeld’s just War », The Weekly Standard, vol. 7, no 15,
24 décembre 2001, p. 14.
91.
92.
93.
94.
95.
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30
Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
ont rendu possibles les représentations de la menace et les conceptions de l’intérêt national contenues respectivement dans les
deux discours ? Autrement dit, sur la base de quels « modes de raisonnement » les agents bureaucratiques dont nous avons parlé se
sont-ils représentés la menace et ont-ils construit leur conception
de l’intérêt national américain ?
Le discours des « colombes » comprend un « mode de raisonnement » dont on pourrait dire qu’il est essentiellement inspiré de la
pensée de la realpolitik97. Bien implantée au sein des Forces armées
et du département d’État, cette façon de penser s’écarte de l’idéologie ou de la morale pour voir le monde davantage en terme d’équilibre des puissances. Foncièrement conservatrice et gestionnaire,
elle est essentiellement axée sur la prudence et le pragmatisme et
se préoccupe du maintien des bonnes relations avec le reste du
monde98. Ceci permet notamment de comprendre pourquoi Colin
Powell et Hugh Shelton étaient réticents à attaquer des régimes dont
la culpabilité n’était pas établie et à endosser des actions qui auraient
nui aux relations avec les autres alliés.
En affaires militaires, la Doctrine Powell offre une bonne illustration de cette façon de penser. Celle-ci prescrit, entre autres choses,
que la force ne soit utilisée uniquement qu’en dernier recours,
pour une durée limitée, pour servir des intérêts vitaux et pour
atteindre des objectifs précis99. Cette approche prudente et pragmatique de l’usage de la force, élaborée bien sûr par Colin Powell,
ancien président du comité des chefs d’État-major sous George H.
W. Bush et vétéran de la guerre du Viêt-nam, est fortement dominante au sein des Forces armées et reflète l’engagement de cellesci de ne jamais renouveler l’expérience catastrophique de l’enlisement américain au Viêt-nam100. Cette retenue dans l’usage de la force
découle notamment d’une forte propension chez les militaires à ne
vouloir encourir aucune perte humaine dans les combats, faisant
ainsi de la « force protection » la principale priorité de l’Armée101.
On comprend alors que celle-ci préconise la stratégie de l’endiguement au lieu de l’attaque préventive, car elle est beaucoup plus
97. Notre intention ici n’est pas de faire une description générique de la realpolitik, mais bien simplement de donner un nom à une tendance proche ou
inspirée de ce concept.
98. J. Vaïsse, op. cit., p. 74.
99. I. H. Daalder et M. Lindsay, op. cit., p. 134.
100. Ibid., p. 133.
101. P. Hassner et J. Vaïsse, op. cit., p. 104.
modeste dans ses objectifs et, conséquemment, dans les risques
qu’elle fait courir aux soldats.
Le discours porté par les « faucons » comprend quant à lui un
« mode de raisonnement » principalement issu de l’idéologie néoconservatrice 102. Fortement implantée au bureau de la viceprésidence et chez les civils du Pentagone depuis l’arrivée au pouvoir de George W. Bush, cette façon de penser est fort éloignée de
la pensée realpolitik, dans la mesure où elle est d’abord idéologique. Elle s’écarte en effet des principes cardinaux de cette pensée
que sont la prudence et le pragmatisme.
Mentionnons d’abord que ce « mode de raisonnement » provient
de quelques rares lieux où ont été formés les tenants de l’idéologie
néoconservatrice de l’administration Bush. Ceux-ci forment véritablement une « clique », socialement et intellectuellement, issue des
mêmes écoles, publications et think tanks103. L’idéologie néoconservatrice présente une vision moralisatrice du monde, dans
102. Nous simplifions ici volontairement le « mode de raisonnement » du discours
des « faucons ». Celui-ci ne peut se réduire totalement à l’idéologie néoconservatrice, car des personnages comme Donald Rumsfeld et Richard Cheney sont
davantage des tenants du courant conservateur pur et simple. Cela dit,
d’aucuns s’entendent pour dire que depuis les attentats du 11 septembre 2001,
les conservateurs et les néoconservateurs de l’administration Bush se sont
réunis autour d’un ordre du jour politique largement inspiré de l’idéologie néoconservatrice. Pour cette raison, et puisque nous ne disposons pas d’un espace
assez grand, nous nous limiterons au « mode de raisonnement » néoconservateur.
103. Les liens académiques et professionnels entre les tenants de l’idéologie néoconservatrice, au sein de l’administration Bush, sont probants : Paul Wolfowitz,
disciple d’Allan Bloom, lui-même le disciple le plus connu du philosophe Léo
Strauss, étudia aux côtés de Abram Shulsky, lui aussi expert de la pensée straussienne, et directeur du Office of Special Plans, une institution secrète ad hoc
créée à l’intérieur du Pentagone. Wolfowitz a aussi enseigné à Lewis Libby, chef
de cabinet au bureau de la vice-présidence. Richard Perle, anciennement directeur de Defense Policy Board, travailla, comme Wolfowitz, pour Albert Wohlstetter
et Paul Nitze, figures emblématiques de la stratégie nucléaire pendant la
guerre froide. Perle est aussi membre de l’American Enterprise Institute, dont
sont aussi membres Irving Kristol, un des pères fondateurs du néoconservatisme et père de William Kristol, co-fondateur de la revue néoconservatrice
The Weekly Standard, et Lynne Cheney, femme du Vice-président Richard
Cheney (Richard Cheney a déjà été membre du Board of directors de l’AEI).
Aussi, cinq signataires du document Rebuilding America’s Defenses, issu du
think tank néoconservateur Project for a New American Century, publié en
septembre 2000 et dont les grandes lignes se retrouvent aujourd’hui dans la
nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis, sont aujourd’hui soit à
la vice-présidence, soit au département de la Défense. Il s’agit de Lewis Libby,
Paul Wolfowitz, Abram Shulsky, Stephen Cambone et Dov Zakheim. William
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Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
lequel s’affrontent le Bien et le Mal. Celui-ci est donc polarisé
entre les États démocratiques et les « forces du chaos », que sont les
terroristes et les États déliquescents ou parias104. La démocratie y
est donc vue comme la vertu cardinale à protéger contre les nombreuses menaces qui prolifèrent dans un monde toujours anarchique. Partant aussi du fait que le monde est unipolaire et dominé
par les États-Unis depuis la chute de l’empire soviétique, les néoconservateurs considèrent qu’il est dans l’intérêt des États-Unis
comme de la planète entière d’utiliser la puissante force militaire
américaine pour renverser les « forces du chaos » et refaire le monde
à l’image des États-Unis, c’est-à-dire un monde démocratique : « Les
néoconservateurs sont moins préoccupés [que les réalistes pragmatiques] par les dangers du nation-building et plus désireux d’utiliser les ressources de la nation, non seulement pour renverser les
dictateurs, mais aussi pour instaurer des démocraties105. »
Comme résultat, l’idéologie néoconservatrice préfère la clarté
morale et la confrontation militaire à la finesse diplomatique106.
Elle est en effet sceptique envers les alliances contraignantes et le
multilatéralisme, qui pourraient venir limiter l’usage de la puissance
américaine dans la poursuite de son projet hégémoniste de démocratisation planétaire. L’unilatéralisme et l’attaque préventive apparaissent alors, en revanche, beaucoup plus à même de servir l’intérêt national américain.
Who gets to speak ? Le 11 septembre
et la consécration des « faucons »
Le discours devenu dominant au sein de l’administration Bush après
le 11 septembre 2001 est sans contredit celui porté par les « faucons ». Les nombreux discours prononcés par le président Bush
depuis cette date, de même que la National Security Strategy
publiée en septembre 2002, épousent en effet une représentation
de la menace et une conception de l’intérêt national américain
Kristol est aussi un signataire. Mentionnons finalement que le Weekly
Standard est une « lecture obligée » pour les acolytes du vice-président. I. H.
Daalder et M. Lindsay, op. cit., p. 25-29, « The shadow men », The Economist,
24 avril 2003, vol. 367, no 8321, p. 45, et Joaquin Cabrejas, « Behind Bush’s
drive to war », The Humanist, novembre-décembre 2003, vol. 63, no 6, p. 23.
104. « The shadow men », op. cit., p. 46.
105. I. H. Daalder et M. Lindsay, op. cit., p. 47.
106. « The shadow men », op. cit., p. 46.
fortement similaire à celle des « faucons »107. Conséquemment, ce
discours dominant a couvert de légitimité les porteurs de ce discours, c’est-à-dire les civils du département de la Défense et les
membres du bureau de la vice-présidence. Ce sont eux qui ont été
désignés comme les experts et les décideurs principaux dans le
processus de prise de décision au sein de l’administration Bush108.
En effet, plusieurs observateurs et critiques ont remarqué que
Condoleeza Rice, conseillère à la sécurité nationale, dont le rôle est
d’assurer le lien entre les différentes organisations bureaucratiques
au sein du processus décisionnel, a perdu, depuis le 11 septembre
2001, les rènes du Conseil de sécurité national aux mains de
Rumsfeld, et ce, au détriment de Powell109. Par exemple,
l’ordre de mettre les efforts de reconstruction entre les mains du Pentagone avant même que débute l’invasion était, en fin de compte,
décidé par M. Bush. Mais la décision de donner le commandement au
département de la Défense, subordonnant ainsi le département d’État
et USAid, malgré leur travail de préparation considérable, est
largement vue comme une preuve que M. Rumsfeld avait le dessus sur
Mme Rice110.
Il est intéressant de noter à cet effet que l’émergence d’un nouveau discours dominant au sein de l’administration Bush a permis
aux « faucons », grâce à la légitimité qu’il leur confère, d’ériger au
statut de politique de sécurité nationale un projet de politique
écrit il y a de cela près d’une décennie. En effet, de grands pans de
la nouvelle politique de sécurité nationale se retrouvent dans le
Defense Planning Guidance, document écrit en 1992 par, notamment, Paul Wolfowitz et Lewis Libby pour le compte de Cheney luimême, alors qu’il était secrétaire à la Défense sous Bush père. Cette
107. Faute d’espace, nous ne reviendrons pas ici sur les nombreux discours et la
National Security Strategy, largement abordés dans la première partie de ce
travail. Nous tiendrons donc pour acquis cette forte similarité entre le discours
dominant de l’administration et celui des « faucons ».
108. D’autres agents bureaucratiques, de même que plusieurs agents extérieurs à
l’administration Bush, ont aussi été couverts de légitimité et définis comme
experts par ce discours après le 11 septembre 2001. Cependant, des contraintes évidentes liées à l’espace nous empêchent de faire une énumération
exhaustive de tous ces agents. Nous devons donc nous limiter à ceux que nous
avons jugés les plus importants.
109. « Taming the octopus », The Economist, 27 septembre 2003, vol. 368, no 8343,
p. 54.
110. James Harding, « Weakness in the White House : as costs and casualities mount
in Iraq, the finger-pointing begins in Washington », The Financial Times, 15
septembre 2003, p. 20.
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34
Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
politique n’a pas pu être appliquée, puisque Bush fut défait. Ce
document, qui voulait redéfinir le rôle des États-Unis pour l’ère
post-guerre froide parlait notamment de la nécessité pour les ÉtatsUnis d’éviter qu’un État ou une alliance d’États puisse dépasser la
puissance américaine. Le document parlait aussi de la nécessité
pour les États-Unis de modeler le reste du monde au lieu de réagir
à celui-ci111. Il s’agit d’une vision hégémoniste du rôle des ÉtatsUnis dans le monde qui se rapproche fortement de celle énoncée
officiellement en septembre 2002, mais qui n’avait pas, jusqu’au 11
septembre 2001, la légitimité nécessaire pour s’imposer et ainsi
être en mesure de définir la politique de sécurité nationale des ÉtatsUnis112.
En ce qui a trait au département de la Défense, cette grande
légitimité dont il jouit désormais lui confère sans contredit des
avantages matériels. Alors que l’administration y était allée timidement lors des huit premiers mois de son mandat en ne tenant que
partiellement la promesse faite en campagne électorale de hausser
le budget de la Défense, elle alla résolument de l’avant après le 11
septembre 2001 en haussant celui-ci de 60 milliards de dollars en
moyenne par année113. Cela reflète cette volonté exprimée dans la
National Security Strategy : « Il est temps de réaffirmer le rôle essentiel de la puissance militaire américaine114. » Le budget de la Défense
pour 2004 devrait atteindre ainsi 399,1 milliards de dollars, alors que
celui du département d’État n’a pas connu de hausse substantielle
et devrait se situer autour de 28 milliards pour cette même année115.
Finalement, toujours grâce à cette légitimité, l’information issue
du département de la Défense gagne en crédibilité et acquiert la
préséance sur l’information qui la contredirait, ce qui vient renforcer le discours dominant. C’est en ce sens que l’on peut interpréter
la création de l’Office of Special Plans, une institution ad hoc quasisecrète logée au département de la Défense et chargée de collecter
111. N. Lemann, op. cit.
112. On peut en effet lire dans la National Security Strategy : « Nos forces seront
suffisamment puissantes pour dissuader nos adversaires potentiels de poursuivre un programme militaire dans l’espoir de surpasser ou d’égaler la puissance américaine », The National Security Strategy of the United States of America, op. cit., p. 30.
113. « Fiscal year 2004 budget », Center for Defense Information, www.cdi.org/
budget/2004/
114. The National Security Strategy…, op. cit., p. 29.
115. Department of State, « FY 2004 International Affairs summary », www.state.gov/
documents/organization/17225.pdf
et d’analyser les renseignements concernant la guerre au terrorisme et, plus spécifiquement, l’Irak116. Dirigé par Abram Shulsky,
un néoconservateur proche de Wolfowitz, ce bureau spécial utilise
la méthode du « stovepiping », qui consiste à prendre les renseignements bruts (raw intelligence) à la base et à les propulser directement sur la table des hauts responsables de l’administration117. Cette
méthode contrevient aux procédures normales de traitement de
l’information en matière de renseignements prévalant à la CIA et à
la DIA du Pentagone (Defense Intelligence Agency), car ces informations arrivent normalement à la base de la bureaucratie et sont
examinées et triées avant d’être acheminées, avec des recommandations, aux strates supérieures de l’administration. La conséquence
de cette pratique est que les Rumsfeld, Wolfowitz et autres « faucons » ont toujours l’information qu’ils désirent et qui corrobore
leurs vues, mais celle-ci est souvent basée sur de mauvais renseignements118.
Tout cela révèle une volonté de la part des Rumsfeld et Wolfowitz
d’interpréter l’information à travers leur propre « mode de raisonnement ». Par conséquent, l’information traitée par l’Office of Special Plans est toujours conforme à leur vision des choses. Le discours dominant se voit ainsi renforcé, tandis que les autres discours,
de même que les agents bureaucratiques qui les portent, se retrouvent de plus en plus marginalisés.
Un exemple est l’affaire de l’uranium que l’Irak aurait acheté du
Niger. En décembre 2001, Colin Powell présenta les résultats de
Greg Thilemann, qui avait travaillé au sein du département d’État
pour effectuer une revue des progrès faits par l’Irak dans le développement d’armes de destruction massive. La conclusion était qu’il
n’y avait aucune preuve que le programme nucléaire irakien avait
été repris119. Insatisfaits de ces résultats, les « faucons », déterminés
à trouver des preuves accablantes contre Saddam Hussein, se tournèrent vers d’autres sources de renseignements, notamment des
documents issus des services secrets italiens et présentant des faits
peu convaincants au sujet de l’achat d’uranium nigérien par le
116. Seymour Hersh, « Selective intelligence : Donald Rumsfeld and his own special
sources. Are they reliable ? », The New Yorker, 12 mai 2003, www.new
yorker.com/printable/ ?fact/030512fa_fact
117. Seymour Hersh, « The stovepipe : How conflicts between the Bush Administration
and the Intelligence community marred the reporting on Iraq’s weapons », The New
Yorker, 27 octobre 2003, www.newyorker.com/fact/content ?031027fa_fact
118. Id.
119. Id.
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36
Réflexions théoriques sur la politique américaine de sécurité
régime irakien. Cependant, une fois arrivés à Washington, ces
documents furent directement transmis de la CIA à l’Office of Special Plans sans analyse préalable. Même si tous savaient au sein de
la communauté du renseignement que ces documents contenaient
des renseignements peu valables, le président Bush affirma dans
son discours sur l’état de l’Union en janvier 2003 : « Saddam Hussein a récemment tenté d’obtenir des quantités significatives d’uranium de l’Afrique120. » Ainsi, l’information issue du département de
la Défense venait de renforcer le discours des « faucons », lequel
concevait qu’il était dans l’intérêt national américain d’attaquer
l’Irak de façon préventive.
Conclusion
Les deux approches choisies arrivent toutes deux à des conclusions
partiellement similaires et partiellement différentes. Au cours des
deux lectures empiriques, nous avons constaté qu’après les attentats du 11 septembre 2001, plusieurs représentations et discours
étaient en compétition pour la définition de la nouvelle politique
de sécurité nationale et qu’il n’y avait rien d’inéluctable à l’adoption de celle que nous connaissons aujourd’hui. Les deux approches nous indiquent aussi que cette politique a triomphé grâce à
l’émergence d’un discours dominant ayant marginalisé les discours
alternatifs. Les deux approches reconnaissent ainsi le caractère structurant du langage et que le discours est la condition de possibilité
de cette politique.
Cependant, elles se distinguent légèrement sur ce dernier point,
puisque l’approche constructiviste, contrairement au postmodernisme, ne considère pas que le langage soit structurant de tout.
Bien qu’il soit une contrainte structurelle à l’action de l’agent, celuici conserve une certaine autonomie d’action. En effet, il n’a jamais
été question d’intention ou de volonté au cours de notre lecture postmoderne, puisque tout était structuré par le discours. Cependant,
notre lecture constructiviste reconnaît que l’agent, une fois couvert de légitimité par le discours, peut exercer sa volonté et agir, en
retour et dans une certaine mesure, sur le discours. C’est ce que
nous rappelle la méthode du « stovepiping » : de par leur volonté
120. George W. Bush, « President delivers “State of the Union” », The White House,
28 janvier 2003, www.whitehouse.gov/news/releases/2003/01/2003012819.html
d’interpréter les faits, les civils du Pentagone se sont retrouvés à
renforcer le discours dominant qu’ils considéraient conforme à
l’intérêt national américain.
Il est important de noter que les deux approches divergent au
sujet de ce qu’elles prétendent être en mesure d’analyser. L’approche postmoderne se prête, somme toute, davantage à la compréhension de la politique de sécurité nationale en tant que telle
plutôt qu’à la compréhension de ses conditions d’adoption. Ainsi,
en interprétant cette politique comme un processus de construction identitaire, elle nous permet certes de donner un certain sens
à cette politique, mais ne nous aide aucunement à comprendre comment et pourquoi elle a été adoptée. En ce sens, elle ne répond
qu’en partie à notre problématique. En revanche, comme le déclare
Weldes, l’approche de la politique bureaucratique, revue à travers
le prisme constructiviste, remplirait davantage cette tâche, puisque
l’analyse discursive de l’identité et des intérêts ne peut pas prédire
quelles politiques seront effectivement adoptées par les décideurs121.
En effet, l’approche constructiviste nous a permis de voir
depuis l’intérieur de l’administration comment s’est effectué le processus de la prise de décision ayant mené à l’adoption de la nouvelle politique de sécurité nationale. Nous avons pu, notamment,
connaître les différents intérêts en compétition et ceux qui ont
motivé l’adoption de cette politique. Nous avons également pu connaître les agents et organisations bureaucratiques qui ont soutenu
tel ou tel intérêt. Finalement, cette analyse nous a permis, grâce au
concept de « mode de raisonnement », de comprendre de façon
plus profonde les conditions de possibilité de ces intérêts et, en
bout de ligne, de cette politique.
Pour ces raisons, bien qu’à certains égards les deux approches
soient arrivées à quelques conclusions similaires, nous devons conclure que l’approche constructiviste répond davantage à notre problématique que l’approche postmoderne.
Bibliographie
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Dans la série MÉMOIRE
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