MIDNIGHT SPECIAL - Cinéma La Grenette

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MIDNIGHT SPECIAL - Cinéma La Grenette
Fiche n° 1380
MIDNIGHT SPECIAL
de Jeff Nichols
Du 4 au 10 Mai 2016
MIDNIGHT SPECIAL
de Jeff Nichols
Sortie nationale : 16 Mars 2016
Avec Michael Shannon, Jaeden Lieberher, Joel
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Edgerton
Durée : 1H51
Festival de Berlin 2016
Plongée dans l’Amérique des sectes et
de l’occultisme. Un thriller ramassé et
haletant d’où émerge une figure
bouleversante d’enfant messianique
terrorisé par ses pouvoirs.
Certains ont pu croire, dès les premières annonces par Jeff Nichols d’un projet de science-fiction, que le
réalisateur de Mud allait changer de planète : changer d’audience, changer de système de production mais
aussi changer d’ambition en se frottant pour de bon à une mécanique de grand spectacle qui le trouverait
forcément quelque peu transformé. C’était compter sans la façon majestueuse qu’a le très longtemps attendu
Midnight Special de perpétuer l’ancrage populaire de Jeff Nichols.
Entre les coutures de l’intrigue fantastique, à l’ombre des déflagrations lumineuses qui explosent dans les
yeux du jeune héros, le film reste tapissé de ces communautés sudistes désolées, soudées par la foi, pétries
d’instinct clanique et burinées par la poussière, dont le cinéaste ne se séparera vraisemblablement jamais tant
elles constituent toujours l’alpha et l’oméga de ses intrigues et la clé de ses obsessions. Aussi loin qu’il pousse
ses évasions cosmiques, le cinéma de Nichols demeurera irrigué par la tourbe du Mississippi.
Les pleins pouvoirs à la fiction
La foi : il n’a jamais été question que de ça. Autant que les fratries de Shotgun Stories croyaient jusqu’au sang
à leur rivalité comme les héros d’une tragédie grecque, autant que le Curtis de Take Shelter croyait envers et
contre tout à l’imminence de l’apocalypse, ici les membres d’un culte vénèrent un enfant dont les pouvo irs ont
fait de lui un prophète à l’existence tenue secrète.
Alton crache par les yeux une lumière bleue qui révèle à qui la regarde une vérité incommensurable – il est
aussi doué d’une quasi-omniscience. Son père (Michael Shannon), sa mère (Kirsten Dunst) et un ami (Joel
Edgerton) prennent la fuite avec lui pour une mystérieuse destination, pourchassés par l’armée et par une NSA
dont l’agent Sevier (Adam Driver, toujours excellent) fait office de Ponce Pilate.
Or pour la première fois chez Jeff Nichols, les personnages n’ont plus la liberté de ne pas croire. En
plongeant pour de bon dans la SF, le cinéaste a offert à la fiction les pleins pouvoirs. Donnée pour argent
comptant, la déité de ce garçon connecté à la vérité d’un autre monde n’est plus déséquilibrée par un
contrepoint de scepticisme, une indécision de la foi.
C’est ce qui fait de Midnight Special un film vraiment déstabilisant : comme si le réalisateur de Take
Shelter décidait de noyer son écriture dans le fanatisme au point de ne plus permettre au film d’effleurer
l’éveil, la lucidité. Nous sommes avec ceux qui croient, et il faut croire avec eux, ou ne plus croire à la
science-fiction, mais qui a envie de ça ? Nichols est joueur car, malgré ce franchissement symbolique il
continue de semer ici et là des signes qui viennent compliquer l’équation.
Une expérience de la foi
Le film s’enracine dans l’Amérique des sectes, des cultes millénaristes aux adeptes prêts à mourir et à tuer
pour ce qu’ils croient. Pas le temps, pourtant, d’agiter à leur égard la sonnette du charlatanisme :
immédiatement en mouvement, Midnight Special est pris dans la cinétique d’un pur chase movie aux relents
80’s (sublime scène où la Chevrolet fuse phares éteints dans la nuit texane, sous la main experte d’un pilote
coiffé de lunettes infrarouges), où la vacillation du vrai et du faux reste en hibernation jusqu’à un épilogue
qui la voit soudain éclater façon Rencontres du troisième type.
C’est au fond à ça que sert l’odeur insidieusement fanatisée et mystique de Midnight Special : remettre au
cœur de la fiction la question de la croyance, en nous transmettant l’expérience d’une foi vis-à-vis de
laquelle Take Shelter avait conservé une distance prudente, un nuage d’ambiguïté. Ainsi nous est-il offert de
partager la ferveur ingénue de ces personnages auxquels le film révèle les visions naïves d’un monde “audelà du réel”.
Exemple simple et ravageur : Kirsten Dunst, interdite, contemple un contrechamp dont on taira ici la nature.
Et, tandis qu’il se dissipe, son évanouissement portant encore sa trace invisible, Jeff Nichols retourne
la caméra et fait d’un champ de blé vide le plus beau plan de ce début d’année. Les Inrocks Theo Ribeton
“Michael Shannon m'inspire, il me rend meilleur.”
Extrait de l’interview de Jeff Nichols par Télérama
En tant que cinéaste, vous occupez une place à part, entre la sphère du cinéma indépendant et
l'industrie hollywoodienne. Comment avez-vous trouvé cet équilibre plutôt rare ?
J’ai eu de la chance. Mes films ont eu un beau succès d'estime, mais pas vraiment assez… pour
m'attirer des ennuis. Par exemple, si Shotgun Stories, mon premier long métrage, avait fait plus
d'entrées et plus d'argent aux Etats-Unis, on m'aurait sans doute proposé de piloter des projets plus
importants, plus commerciaux, dont je n'aurais pas été l'auteur, sur lesquels je n'aurais eu aucun
contrôle. J'aurais sûrement accepté à l'époque, et j'aurais perdu mon indépendance. Mon travail a
toujours été juste assez étrange et déroutant, et juste assez reconnu pour me permettre de monter le
film suivant. Après Take Shelter, un grand studio m’a proposé de faire un film à gros budget, un
remake. Ils m’ont offert un million de dollars alors que j'étais complètement fauché ! J'ai été tenté, mais
je voulais vraiment réaliser Mud, je savais que Matthew McConaughey était intéressé par le rôle du
héros, donc j'ai refusé le pont d'or. Ça a vraiment été un tournant décisif dans ma vie. Maintenant, je
suis plus sûr de moi, de ma liberté artistique. Pour Midnight Special, j'ai pu collaborer avec la Warner
Bros selon mes propres termes : pas d'ingérence du studio dans l'écriture de mon scénario, et la
possibilité de m'entourer de mon équipe habituelle, ma famille de cinéma : pas seulement Michael
Shannon mais aussi le même chef opérateur, le même monteur que sur mes autres films. J'espère
que Midnight Special et le film suivant, Loving, que je suis en train de terminer – le combat d'un couple
mixte, elle noire et lui blanc, pour être reconnu dans l'Amérique ségrégationniste des années cinquante
– trouveront leur public. Pas pour gagner des millions de dollars, mais juste assez pour continuer à
travailler comme je veux.
Filmographie : scénariste et réalisateur pour
Shotgun Stories 2007,
Take Shelter 2011, prix de la semaine de la critique Cannes, grand Prix à Deauville
Mud 2012,
Midnight Special 2016 et à venir Loving 2016.
Aparté : les films venus du festival de Berlin 2016 et vus à la Grenette dans le désordre :
Les premiers, les derniers de Bouli Lanners, Quand on a 17 ans de André Téchiné, L’avenir de Mia
Hansen-Love et Midnight Special de Jeff Nichols. Merci au Cinémateur pour avoir été à l’origine de ces
propositions.
La semaine prochaine, au Cinémateur : Bas les masques avec
Les Ogres de Léa Fehner(France), Dégradé de Arab et Tarsan Nasser(France/Palestine)
Une jeunesse allemande de Jean Gabriel Periot (France)

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