À propos d`un cas de syndrome de Usher suivi en psychiatrie

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À propos d`un cas de syndrome de Usher suivi en psychiatrie
L’Encéphale (2009) 35, 286—291
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
CAS CLINIQUE
À propos d’un cas de syndrome de Usher suivi en
psychiatrie : intérêt du diagnostic somatique pour
la prise en charge psychiatrique
A case of Usher’s syndrome associated with
psychotic symptoms: Diagnosis and follow-up in
a psychiatric unit
A.Viala a,∗, T. Nicot b, F. Levy a, M-N. Vacheron a
a
b
Secteur 13, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France
Unité de soins somatiques, centre hospitalier Sainte-Anne, Paris, France
Reçu le 19 novembre 2007 ; accepté le 11 avril 2008
Disponible sur Internet le 21 août 2008
MOTS CLÉS
Syndrome de Usher ;
Surdicécité ;
Rétinopathie
pigmentaire ;
Troubles psychotiques
∗
Résumé
Introduction. — Le syndrome de Usher est une maladie génétique comportant une double
déficience sensorielle (auditive et visuelle) appelée surdicécité. Des troubles psychiatriques
peuvent être associés, compliquant le diagnostic mais aussi la prise en charge du fait de la
réduction d’autonomie et des difficultés de communication.
Cas clinique. — À l’occasion du suivi, dans son service de secteur psychiatrique, d’un patient
actuellement âgé de 57 ans, considéré comme psychotique chronique sévère, résistant, hospitalisé à plusieurs reprises pour des états aigus, avec déni des troubles et opposition aux soins,
l’exploration d’une surdité ancienne appareillée, associée à une cécité qui a progressé entre
40 et 50 ans, a fait procéder à un bilan à visée diagnostique mais aussi pronostique et thérapeutique : ORL, ophtalmologique et neuroradiologique qui a permis d’établir le diagnostic
de syndrome de Usher type 2. Alors qu’il s’était toujours montré opposant aux soins psychiatriques, le patient a accepté le bilan et les consultations du médecin généraliste de l’hôpital
et des différents spécialistes, et par le biais des soins somatiques, la nécessité d’un suivi à
intervalle régulier avec mise en place d’un traitement antipsychotique au long cours.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] ( A.Viala).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2008.04.002
Syndrome de Usher suivi en psychiatrie : intérêt du diagnostic somatique
287
Conclusion. — L’établissement du diagnostic d’une maladie génétique rare a permis une
meilleure prise en charge du patient du fait d’une meilleure adhésion du patient aux traitements antipsychotiques, d’une meilleure compréhension et acceptation des difficultés liées
au polyhandicap par l’équipe soignante psychiatrique, et de l’ouverture à un réseau de soins
spécialisés permettant la mise en place de moyens de réassurance et de communication.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
KEYWORDS
Usher syndrome;
Deaf—blindness;
Retinitis pigmentosa;
Psychotic disorders
Summary
Introduction. — Usher’s syndrome is a heterogeneous autosomal recessive disorder characterised
by dual sensory impairment: profound congenital hearing impairment and progressive visual loss
due to retinitis pigmentosa, sometimes associated with vestibular dysfunction. Some patients
develop a psychotic illness, the etiology of which is still debated. Diagnosis may be difficult,
and there are only a few reports in the psychiatric literature.
Case report. — The present case reports a 57-year-old man, double diagnosed with sensory
impairment and psychosis. The severity of his psychosis required several hospitalisations in
a psychiatric in-unit, even under third party decision or compulsory hospitalisation, for acute
states with disruptive behaviour, aggressiveness against his mother, persecutory delusion and
auditory hallucinations, self-talking, major anxiety, and depressive affects, without dissociation. Deafness had been diagnosed when he was six years old; he was able to attend school
and learn to read and speak, using hearing aids, and was able to hold a job for three months.
Severe psychotic symptoms appeared when he was18 years old and contributed in confirming
the diagnosis. Progressive loss of vision until blindness began later, between the age of 40 to 50.
No specific abnormal results were revealed during the neuroradiological check-up. Treatment
consisted in antipsychotics, notably depot, first in a mental health care in-unit and subsequently in an out-patient unit: although he denied psychotic symptoms, he became compliant
with medication and could go on with treatment, associated with multidisciplinary interventions
at home, in order to improve his quality of life.
Discussion. — Usher’s syndrome is the most frequent cause of combined deafness and blindness in adults (three and five individuals per 100,000), but difficulties in communication need
to increase clinical awareness of this disorder, especially for psychiatrists. Three subtypes
are recognized by the International Usher Syndrome Consortium: Type 1 is characterised by
profound congenital deafness, retinal degeneration beginning in childhood, and progressive
vestibular dysfunction; Type 2 is characterised by moderate to severe hearing impairment,
later onset of retinal degeneration, and normal vestibular function; Type 3 is characterised
by progressive hearing loss and variable age of onset of retinal degeneration. Although nearly
23% may have psychotic symptoms, the aetiology remains unclear: sensory deprivation associated with environmental stress, organic changes such as cerebral abnormalities, genetic
link (two genetic loci for both Usher’s syndrome and psychotic illness are very close). Treatment of psychiatric symptoms is based on antipsychotics, well tolerated by the patients, who
improve change of behaviour and communication abilities. Genetic counselling may be useful for
parents.
Conclusion. — Access to mental health services is particularly difficult for deaf and deaf-blind
people, and difficulties in communication are a challenge for patients and for caregivers too.
Antipsychotic medications are helpful for associated psychotic symptoms. Potential link between Usher syndrome and psychosis is still unclear and needs further studies.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Introduction
Le syndrome de Usher est caractérisé par une double déficience sensorielle (auditive et visuelle) appelée surdicécité
pouvant être associée à des troubles psychiatriques qui
compliquent le diagnostic et la prise en charge. C’est une
maladie génétique dont la transmission est autosomique,
récessive, touchant donc également les hommes et les
femmes.
Décrite pour la première fois par Von Graefe en 1858,
à propos de trois patients atteints de surdité congénitale
associée à une rétinite pigmentaire progressive [24], complétée par Usher, ophtalmologiste anglais, qui en a décrit
le caractère héréditaire et en a fait un syndrome spécifique
[23].
Maladie rare qui touche un individu sur 25 000, elle est à
l’origine de 3 à 6 % des surdités congénitales et de 18 % des
cas de rétinopathie pigmentaire ; elle est la cause la plus
fréquente de surdicécité chez l’enfant. Elle est reconnue
en France par le décret du 2 août 2000 et classée parmi les
handicaps rares. La fréquence des troubles psychiatriques
associés varie selon les études, pouvant aller jusqu’à 23 %
[6,13], ce qui est nettement supérieur aux taux habituellement reconnus dans la population générale (1 % pour la
schizophrénie, 10 % environ pour la dépression, 1 % pour le
retard mental).
288
C’est à l’occasion du suivi en milieu psychiatrique d’un
patient actuellement âgé de 57 ans, souffrant de surdité
congénitale et de cécité progressive, que le diagnostic a
été porté d’abord cliniquement, puis complété par un bilan
ORL, ophtalmologique et neuroradiologique.
L’établissement du diagnostic a permis une meilleure
appréhension des soins, tant pour le patient que pour
l’équipe soignante, facilitant notamment l’acceptation d’un
traitement antipsychotique au long cours et la mise en place
de mesures essentielles pour l’amélioration de sa qualité de
vie, via une association spécialisée.
L’association de troubles psychiatriques, si elle a été
décrite à l’occasion de quelques publications dans la littérature psychiatrique [8,9,13,26], reste encore mal expliquée
et différentes possibilités étiologiques sont discutées.
Cas clinique
Monsieur P. naît en avril 1950. Il est enfant unique.
L’apprentissage du langage est difficile : il parle de
manière incompréhensible, seuls ses parents le comprennent et on le prend pour un débile mental.
Ce n’est qu’à cinq ans qu’est fait le diagnostic de surdité
bilatérale responsable de ses difficultés.
À six ans, il entre à l’école communale, puis au lycée
et finalement dans une école spécialisée pour sourds-muets
jusqu’au BEPC qu’il obtient. On note ensuite un fléchissement, puis une interruption de sa scolarité.
Il travaille pendant trois mois en usine en 1970.
À 17 ans, apparaissent progressivement des crises
d’angoisse, des conduites impulsives avec violence vis-à-vis
de sa mère, l’amenant à consulter une psychologue.
En 1972, à l’âge de 22 ans, il débute une psychothérapie.
En 1975, il est hospitalisé en hospitalisation d’office (HO)
dans son service de secteur : le diagnostic posé alors est
celui d’une schizophrénie hébéphrénique et il sera qualifié
de psychotique sourd et aveugle jusqu’en 2001.
La symptomatologie psychiatrique comporte des troubles
du comportement (violence vis-à-vis de sa mère, grande
impulsivité, sthénicité), une angoisse majeure, une incurie,
une agitation avec logorrhée et vociférations, un « probable
dialogue hallucinatoire », des éléments délirants à thèmes
sexuel et de persécution, mégalomaniaques, un déni des
troubles avec opposition aux soins, entraînant des ruptures
de traitement. Il n’y a pas de dissociation retrouvée.
On ne retrouve pas de notion d’antécédent familial hormis une dépression chez la mère, qui a motivé des soins en
milieu spécialisé.
Un bilan psychologique effectué lors de la première hospitalisation en 1975 constate : « Niveau d’intelligence moyen
(résultats non homogènes). Personnalité très probablement
psychotique sans éléments dissociatifs. Faible possibilité
d’adaptation sociale ».
Les troubles sensoriels constatés sont les suivants :
• auditifs :
◦ hypoacousie congénitale découverte vers l’âge de cinq
à six ans à l’école (psychologue),
◦ en 1977, une oreille est appareillée,
◦ « angoissé par les gens dans le métro, qui le fixaient, et
qu’il n’entendait pas »,
A.Viala et al.
◦ le bilan effectué en 2004, confirme une surdité de perception bilatérale (75—80 dB) stable, appareillée avec
un bon gain prothétique :
• visuels ;
◦ il a beaucoup lu dans sa jeunesse,
◦ en 1978, on évoque « qu’il a quelque chose aux yeux » :
il est considéré comme amblyope et opéré de la cataracte,
◦ la rétinopathie pigmentaire est déjà connue depuis plusieurs années en 1996, mais le lien n’a pas été fait par
rapport à la surdité et la psychose,
◦ les troubles visuels s’aggravent à partir de 2001 majorant l’angoisse et la peur de sortir,
◦ en 2003, il signale une souffrance liée au manque
d’images, « ses souvenirs visuels sont seulement intellectuels », il décrit la lumière du jour comme « un mur
de lumière »,
◦ en 2004, au fond d’œil droit et gauche, on note une
rétinopathie pigmentaire avec papilles pâles.
Le bilan neuroradiologique réalisé en 2003 (notamment,
IRM) n’a pas montré d’anomalie significative.
Le suivi a comporté une prise en charge complexe du
fait des déficits sensoriels associés, avec plusieurs hospitalisations souvent en hospitalisation à la demande d’un tiers
(HDT), des consultations très régulières au centre médicopsychologique (CMP) et en intra-hospitalier, une mesure de
protection des biens.
Compte tenu du déni des troubles et de l’absence de
compliance, c’est un traitement neuroleptique à action prolongée (halopéridol décanoate, pipotiazine palmitate puis
fluphénazine) qui a été mis en place, bien supporté et efficace par rapport aux troubles, qui l’apaise sans qu’on puisse
vraiment parler de rémission, le patient restant très fragile
psychologiquement. Si les éléments délirants, notamment
à thèmes de persécution, sont relativement enkystés bien
que non critiqués, l’angoisse reste très importante, la réactivité émotionnelle aussi, avec des changements d’humeur
et de comportement très rapides et souvent imprévisibles. Le traitement a toujours été efficace en quelques
semaines, avec réapparition des troubles lors des arrêts
intempestifs, comme cela a été signalé dans la littérature
[8].
Le diagnostic de syndrome de Usher de type 2 a été établi dans le service psychiatrique de secteur, en 2003, à l’âge
de 53 ans, sur les arguments cliniques : surdité congénitale
diagnostiquée vers l’âge de cinq à six ans, rétinopathie progressive et plutôt tardive, absence de troubles vestibulaires.
Ce diagnostic n’a été porté que tardivement car le handicap sensoriel pourtant important est passé au second plan
derrière les troubles psychiatriques, mais aussi du fait de la
méconnaissance de cette entité clinique en psychiatrie. Il a
permis :
• une prise de contact avec le Centre de ressources pour
enfants et adultes sourds-aveugles et sourds malvoyants
(CRESAM) [4], qui a permis un travail en partenariat avec
une équipe spécialisée : rencontre en groupe soignantspatient dans l’institution, mais aussi individuelle au
domicile du patient, avec un membre de l’association :
possibilité d’aide au téléphone ;
Syndrome de Usher suivi en psychiatrie : intérêt du diagnostic somatique
• un accompagnement personnalisé pour se rendre à
l’extérieur de son domicile, permettant de sortir de son
isolement, mais aussi de le rassurer et de le soutenir pour
se rendre à ses consultations, avec participation d’une
accompagnatrice, mais aussi des infirmières du service de
secteur ;
• après des travaux effectués à son domicile par l’équipe
des chantiers thérapeutiques du service, une aide
ménagère vient régulièrement chaque semaine assurer
l’entretien, mais aussi établir un lien avec ce patient qui
vit totalement seul et qui se retrouve sans famille et sans
amis ;
• au total, les explications et informations acquises du fait
du diagnostic de syndrome de Usher, ont permis la diminution de la peur et de l’incompréhension, une meilleure
acceptation des soins par le patient et par l’équipe soignante, et donc de meilleures conditions pour favoriser
l’adaptation et tenter de réduire l’isolement.
Discussion
Les principales publications concernant le syndrome de
Usher se trouvent dans des revues d’ophtalmologie, ORL,
neurologie et génétique. On a retrouvé peu de publications
des troubles psychiatriques associés. Nous proposons dans
cet article une synthèse des arguments diagnostiques et de
la discussion étiologique.
Les éléments diagnostiques
Le double déficit sensoriel comporte :
• une surdité bilatérale congénitale de perception, par anomalie cochléo-vestibulaire ;
• une cécité progressive par rétinopathie pigmentaire : la
rétine dégénère et perd sa capacité à transmettre les
images au cerveau. Dans les cas avancés, des taches de
pigment apparaissent sur la rétine.
La symptomatologie associe :
• une héméralopie (gêne dans l’obscurité ou la
pénombre) avec, paradoxalement, une hypersensibilité à
l’éblouissement ;
• une réduction du champ visuel ;
• une baisse de l’acuité visuelle progressive, qui devient
maximale vers 30—40 ans. La rétinopathie pigmentaire
est le symptôme qui permet d’affirmer le diagnostic,
l’héméralopie en est souvent la première manifestation.
Cette double déficience sensorielle pose un problème
spécifique et complexe, car les deux déficiences multiplient
et intensifient leurs effets, et les patients ne peuvent utiliser
l’une pour compenser l’autre.
Trois types, décrits en fonction de l’évolution, sont
reconnus par l’International Usher Syndrome Consortium
[10,17,20] :
• le type 1 : surdité profonde à la naissance et troubles
vestibulaires à type de troubles de l’équilibre pouvant
retarder l’apprentissage de la marche. À l’examen on
289
retient l’absence de nystagmus à la stimulation calorique
froide. Les premières manifestations visuelles apparaissent précocement, diagnostiquées en général avant
l’âge de dix ans ;
• le type 2 : surdité congénitale modérée à sévère,
appareillable, sans trouble vestibulaire. La rétinopathie débute plus tardivement, progressive et invalidante,
devenant gênante autour de 25—30 ans ;
Les types 1 et surtout 2 sont les plus fréquemment rencontrés.
• le type 3 : ouïe et vision normales ou quasi-normales à
la naissance, surdité progressive pouvant se détériorer
sur dix ou 15 ans, sans troubles de l’équilibre, rétinopathie progressive, à partir de l’adolescence ; il s’agit d’une
entité initialement spécifiquement reconnue en Finlande,
mais elle est également décrite dans d’autres pays.
Hallgren en 1959 [6], et d’autres auteurs depuis, ont
décrit des syndromes de Usher s’accompagnant de troubles
psychiatriques ou d’ataxie, mais aussi des syndromes
de Usher avec surdité progressive, qui présentaient des
troubles schizophréniformes, des altérations corticales et
sous-corticales en neuro-imagerie, qui ont fait porter le
diagnostic de Syndrome d’Hallgren [22] ou de type 4, qui
n’ont pas été retenus.
Les recherches génétiques développées au cours des 20
dernières années ont mis en évidence que le syndrome
de Usher est une maladie hétérogène, les trois types cliniques pouvant se diviser en plusieurs sous-types génétiques
[1,11,12]. Un certain nombre de mutations dans différents
gènes sont connues pour provoquer les différentes formes ;
à ce jour, toutes les mutations ne sont pas connues. Les
recherches récentes portent sur l’identification de nouveaux
gènes, sur la fonction des protéines correspondantes et sur
les interactions entre les protéines.
Huit gènes et deux loci sont actuellement répertoriés,
correspondant à la totalité des cas connus [7]. Les deux
gènes majeurs sont MYO7A et USH2A [15]. Les études ont
montré que toutes les protéines actuellement connues du
syndrome de Usher type 1 agissent sur la cohésion des stéréocils qui se trouvent dans les cellules auditives de l’oreille
interne et de différentes structures des photorécepteurs
(Tableau 1).
Toutes les formes du syndrome de Usher sont transmises
de la même manière, appelée transmission autosomique
récessive [14]. Dans ce type de maladie, les deux parents
sont porteurs sains ; le risque est alors de 25 % à chaque
grossesse. Les couples ayant déjà un enfant atteint peuvent
bénéficier d’un diagnostic prénatal, au sein de la même
famille les symptômes peuvent être de gravité variable.
La possibilité d’une consanguinité a été décrite.
Le diagnostic moléculaire est aujourd’hui possible, guidé
par la clinique, mais coûteux à réaliser (du fait de la très
grande longueur des gènes) [7].
Les données neuroradiologiques récentes, développées
elles aussi ces dernières années, ont permis de décrire des
anomalies inconstantes telles qu’une atrophie cérébelleuse
ou plus rarement du tronc cérébral ou du cortex occipital
[5].
290
A.Viala et al.
Tableau 1
Locus
USH1B
a
USH1C
USH1D
USH1E
USH1F
USH1G
USH2A
USH2B
USH2C
USH3A
Gènes responsables du syndrome de Usher (d’après Hamel).
Localisation
Pathologie
Gène
Protéine
11q13,5
Usher de type 1 et type 3-like, surdité non syndromique
(DFNA11, DFNB12)
Usher de type 1, surdité non syndromique (DFNB18)
Usher de type 1, surdité non syndromique (DFNB12)
Usher de type 1
Usher de type 1, surdité non syndromique (DFNB23)
Usher de type 1
Usher de type 2, rétinite pigmentaire non syndromique
Usher de type 2
Usher de type 2, convulsions fébriles
Usher de type 3
MYO7A
Myosine 7A
USH1C
CDH23
?
PCDH15
USH1G
USH2A
?
VLGR1
USH3A
Harmonine
Cadhérine 23
?
Protocadhérine 15
Sans
Usherine
?
Protéine VLGR1
Clarine 1
11q15,1
10q22,1
21q21
10q21,1
17q24-q25
1q41
3p23-p24,2
5q14,3-q21.3
3q25,1
DFNA : surdité dominante autosomique ; DFNB : surdité récessive autosomique.
a Le locus USH1A n’existe pas, les familles USH1A ayant des mutations dans MYO7A.
De façon plus exceptionnelle, l’IRM a pu mettre en évidence des lésions nodulaires ou en plages hyperintenses en
séquence pondérée T2 siégeant dans le tronc cérébral, le
cervelet ou la substance blanche hémisphérique, notamment périventriculaire [16].
Les troubles psychiatriques associés aux déficits sensoriels ont été décrits jusqu’à environ 23 % des cas. Les
symptômes les plus fréquemment retrouvés sont :
• des troubles dépressifs souvent rapportés au stress de la
déprivation sensorielle, mais aussi à la reconnaissance
du polyhandicap, à l’isolement et à la désinsertion sociale, voire socioprofessionnelle pour certains
patients ;
• un retard mental modéré à sévère, lié aux difficultés
d’acquisition compte tenu des handicaps associés (difficultés d’apprentissage de la parole, de la lecture et
de l’écriture, instabilité liée aux troubles vestibulaires),
variable selon le phénotype [19] ;
• des troubles d’allure psychotique plus souvent constatés que dans la population générale ; ils peuvent donner
lieu à des états psychotiques aigus avec une agressivité et une irritabilité fréquemment retrouvées ; des
perceptions évoquant des hallucinations, notamment
auditives et visuelles, sont décrites par les patients ;
des troubles du comportement avec agitation, violence,
sous-tendus par des idées délirantes, notamment à
thèmes de persécution, ont fait discuter les diagnostics
de Syndrome de Capgras [25], de paranoïa, de schizophrénie paranoïde ou de trouble schizophréniforme
[8,19]. Il existe souvent un déni des troubles psychiatriques, une anxiété pouvant aller jusqu’à l’angoisse
majeure, sans dissociation retrouvée dans les cas
rapportés dans la littérature, réagissant bien aux traitements antipsychotiques de première et de deuxième
génération.
Discussion étiologique
Selon les données de la littérature, plusieurs hypothèses
sont proposées concernant l’association des troubles psychiatriques aux troubles sensoriels du syndrome de Usher.
Elle pourrait être liée :
• à la proximité de localisations génétiques : certains
auteurs ont fait remarquer une proximité de localisation
entre certains gènes mutés du syndrome de Usher et ceux
suspectés dans la schizophrénie au niveau de deux chromosomes (11q et 5q), posant la question du lien entre les
deux affections, du fait de la prédominance de la symptomatologie psychotique [8,12] ; la myosine 7A, responsable
de la majorité des syndromes de Usher type 1 est largement exprimée dans le cerveau [7]. Mais, il faut rester
très prudent car aucune mutation de gènes du syndrome
de Usher n’a été rapportée dans une forme à symptomatologie psychiatrique associée ;
• au rôle du déficit sensoriel majeur : la perte progressive
de la vue et de l’ouïe s’accompagne de troubles psychiatriques dans 9 à 15 % des cas de déficits sensoriels
non syndromiques et le pourcentage augmente lorsque les
troubles débutent à l’âge adulte (rôle majeur du stress
lié à la déprivation sensorielle et à l’isolement qui en
découle, mais aussi aux grandes difficultés rencontrées
dans les gestes de la vie quotidienne) [3] ;
• à une origine organique, du fait de la découverte en
neuro-imagerie de quelques cas d’atrophie cérébelleuse
et corticale, notamment occipitale [2], mais aussi de
désordres métaboliques et dégénératifs pouvant intéresser le cerveau et spécialement les aires sous-corticales,
et la substance blanche du cerveau et du cervelet. Mais il
s’agit là encore d’hypothèses concernant un petit nombre
de cas [12,18,21].
Traitements et moyens à proposer
Traitements et moyens à proposer :
• la surdité peut être appareillée par amplificateur. Les surdités profondes doivent être implantées le plutôt possible
(dès six mois à un an) ;
• le trouble visuel : le port de lunettes grossissantes et de
verres solaires pour éviter l’éblouissement peut aider,
mais il n’existe pas de traitement pour empêcher que la
vue ne se détériore ;
• les troubles psychiatriques sont souvent d’allure psychotique et il a été constaté dans tous les cas rapportés qu’ils
réagissent bien aux neuroleptiques et antipsychotiques ;
Syndrome de Usher suivi en psychiatrie : intérêt du diagnostic somatique
• il faut surtout penser au diagnostic pour mettre en place
le plus tôt possible des mesures d’accompagnement,
la mise en relation avec une association spécialisée,
l’apprentissage du Braille, de la langue des signes, le port
d’une canne ;
• un conseil génétique peut être dispensé aux membres de
la famille et aux parents d’un enfant déjà atteint.
Conclusion
L’établissement du diagnostic de syndrome de Usher de type
2 chez un patient connu et traité en psychiatrie depuis de
nombreuses années pour des troubles sévères, a permis une
meilleure compréhension et donc une meilleure prise en
charge par l’ensemble de l’équipe soignante, et la mise
en place d’une aide spécialisée. Une meilleure adhésion
du patient aux soins proposés, à partir de ce moment-là,
peut sans doute y être rapportée ; mais elle peut aussi être
liée au fait que la reconnaissance d’un syndrome où les
troubles psychiatriques sont associés à une pathologie organique connue, lui ont permis une meilleure compréhension
et acceptation de sa symptomatologie, et à partir de là,
une meilleure adhésion au traitement antipsychotique aussi
bien que psychothérapeutique associé à la prise en charge
médicosociale.
Il s’agit d’une maladie génétique rare ; les troubles psychiatriques associés restent mal connus des psychiatres, et
leur étiologie incertaine malgré plusieurs hypothèses. De
nombreuses recherches sont en cours (notamment en génétique et en neuroradiologie) qui pourraient faire évoluer
le pronostic de cette affection pour laquelle il n’y a pour
l’instant aucune perspective de traitement par thérapie
génique ou pharmacologique. De nombreuses associations
spécialisées existent à travers le monde et certains pays
(comme le Québec) ont développé des programmes de prise
en charge multidisciplinaire, au sein d’unités spécialisées ;
leur aide est très importante, tant pour les patients concernés et leurs familles que pour les équipes soignantes qui les
prennent en charge.
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