Un verre aux deux-tiers vide

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Un verre aux deux-tiers vide
Un verre aux
deux-tiers vide
olIvIer paStré
Professeur d’économie à l’université Paris-VIII
Repenser le système financier international était une des intentions affichées du G20.
Si le FMI, en faillite il y a dix-huit mois, est devenu la référence du moment, beaucoup
reste à faire, notamment dans la réflexion à plus long terme sur les banques et en
particulier sur les normes comptables qui décrivent leur action.
l
ors de la clôture du G20 de Londres, le 2 avril 2009, ce qui a frappé le
plus les esprits c’est le feu d’artifice de superlatifs auquel il a donné lieu.
« Aujourd’hui est le jour où le monde s’est rassemblé pour combattre la
récession » et « un nouvel ordre mondial émerge » (Gordon Brown) ; un
sommet qui « va au-delà de ce que nous pouvions imaginer » (Nicolas Sarkozy) ;
« c’est un compromis historique pour une crise exceptionnelle » (Angela Merkel).
C’est à qui a voulu afficher l’optimisme le plus triomphaliste. Avec un minimum de
recul, on ne peut qu’être touché par cet unanimisme dans l’application de la méthode
Coué !
Compte tenu de la gravité de la crise et de la succession de mauvaises nouvelles qui
ont marqué les six mois précédents ce sommet, on ne peut, de prime d’abord, que se
réjouir. Et, en premier lieu, se réjouir que ce sommet ait pu se tenir et déboucher sur
un communiqué qui soit raisonnablement cohérent. Ce n’était, en effet, pas gagné
d’avance. Élargir le G7 aux pays émergents et parvenir, entre ces deux mondes aux
intérêts objectivement divergents, à un compromis démontre la possibilité de négocier avec « ces gens-là » et marque une étape symbolique dans l’histoire des relations
internationales.
Ne nous formalisons pas de la banalité des bonnes intentions affichées en préambule
au communiqué final. Les Vingt promettent ainsi de « restaurer la confiance, réparer
le système financier pour faire redémarrer le crédit, reformer les institutions financières internationales pour surmonter la crise et prévenir les suivantes, promouvoir le
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commerce mondial et l’investissement, rejeter le protectionnisme et construire une
relance verte et soutenable ». Rien que ça !
L’architecte plutôt que le pompier
Au-delà de ces rêveries liminaires, force est de constater – donc de se réjouir – que,
sur un certain nombre de dossiers, les avancées sont incontestables. C’est le cas,
en premier lieu, pour le FMI, le grand gagnant de ce sommet, qui voit tripler, à
750 milliards de dollars, sa force de frappe (encore que, sur les 500 milliards promis,
seuls 250 sont effectivement dans le tuyau). Par ailleurs, le FMI, qui était en quasifaillite il y a de cela dix-huit mois, se voit reconnaître un rôle d’alerte (pour détecter
les périls à venir) et de supervision des nouvelles régulations financières. Au passage,
il obtient enfin, après plus d’un an d’atermoiements, le droit de vendre quatre cent
trois tonnes d’or pour venir en aide aux pays les plus pauvres.
Deuxième front sur lequel les avancées sont incontestables, celui des réformes que
l’on peut qualifier de « techniques ». Ainsi en est-il par exemple des hedge funds, qui
seront enfin « régulés », ou des normes comptables, qui seront enfin « améliorées ».
Alors que les choses avancent enfin, ne boudons pas ici notre plaisir.
Est également à classer au rang des acquis incontestables de ce sommet l’affirmation
d’un effort à consentir sur deux ans (d’un montant de 250 milliards) en matière de
financement du commerce. On ne sait pas très bien comment ces sommes seront
effectivement mobilisées, mais l’engagement, nouveau, est pris.
Voilà de quoi se réjouir, mais cela peut-il suffire à justifier les chants de victoire
entonnés à grand renfort de communiqués solennels lors de la clôture du sommet ? Car bon nombre de déclarations faites à cette occasion furent des déclarations
d’intention. Le Wall Street Journal, une fois de plus, résume très bien la situation :
« Measured gains for G20, short on specifics » (« Gains mesurés pour le G20, un peu
court sur le plan opérationnel »).
Que penser de cette annonce grandiloquente de moyens nouveaux pour la relance.
5 000 milliards de dollars ? Est-ce du jamais vu ? Pas véritablement : ce chiffre,
apparemment pharaonique, ne fait que reprendre les engagements déjà pris par les
pays du G20, en additionnant les « choux » des plans de relance et les « carottes »
des fonds octroyés au FMI. Et en ajoutant, à cette première confusion, des som-
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mes qui, pour nombre d’entre elles, sont des promesses faites sur plusieurs années…
Rabattons-nous donc sur ce qui devrait être considéré comme des moyens nouveaux.
On tombe alors à 1 100 milliards de dollars. Ce qui ne serait déjà pas si mal. Sauf
que, sur ces 1 100 milliards de dollars, seuls 354 ont été véritablement promis lors
du sommet de Londres. Tout le reste n’est que vœux pieux ou, pire, double comptabilisation.
Pour juger, revenons quelques mois en arrière. Les préparatifs du G20 ont fait l’objet
de nombreuses joutes oratoires entre les « architectes » (en gros, les Européens), qui
donnaient la priorité à la réglementation et à la définition d’un nouveau cadre de
gouvernance mondiale, et les « pompiers » (en gros, les Américains), qui mettaient
en avant l’urgence d’une relance budgétaire coordonnée. Malgré ses déclarations sur
le caractère « très productif » du sommet, Obama n’a rien obtenu, ou presque, en
matière de relance. L’ « architecte » allemand a triomphé du « pompier » américain.
Sur d’autres dossiers, la victoire a été proclamée, mais c’est une victoire… à la Pyrrhus.
Le meilleur exemple en est fourni par le dossier des paradis fiscaux. « Le temps du
secret bancaire est révolu » a solennellement déclaré Nicolas Sarkozy. Mais, lors de
ce sommet, rien n’a été dit sur le fait que les deux plus importants paradis fiscaux de
la planète sont les États-Unis (via les États du Delaware
et du Nevada) et l’Angleterre (via les îles anglo-norQue l’on se
mandes). Rien n’a été esquissé pour rendre les « trusts »,
réjouisse
de la
piliers inamovibles de l’opacité financière, plus transpanormalisation
rents. Rien n’a été fait pour exiger des paradis fiscaux
de certaines
pratiques
qu’ils déclarent de manière automatique (et non sur la
moyenâgeuses
est
base de sollicitations émanant d’autres administrations
une chose, que
fiscales) les irrégularités qu’ils constatent. Que l’on se
l’on déclare que
réjouisse de la normalisation a minima des pratiques
le dossier des
paradis
fiscaux est
moyenâgeuses du Costa Rica ou de l’Uruguay est une
réglé
en
est une
chose, que l’on déclare que le dossier des paradis fiscaux
autre !
est réglé en est une autre !
Le doute reste permis
Autre exemple : celui de la régulation bancaire. On sait parfaitement que les banques
sont au cœur de la crise et que, tant que le doute subsistera sur la solidité de leurs
bilans, la confiance ne pourra pas revenir. Sur ce plan, le bilan du G20 de Londres
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est parfaitement décevant. On a, certes, incité celles-ci à moins « désintermédier »
à l’avenir – i.e. à moins vendre leurs créances –, mais sur l’apurement des bilans
bancaires d’aujourd’hui, truffés d’actifs « toxiques », rien n’a été dit ou presque. De
même en est-il des rémunérations des « traders ». On a bien proposé de désensibiliser celles-ci à l’imperium du court terme, mais on a laissé les superviseurs nationaux
libres d’appliquer cette mesure selon leur bon vouloir, oubliant à l’occasion que New
York et Londres dépendaient trop de leur place financière pour être très exigeants
sur ce terrain.
Dans tous ces domaines, le sommet de Londres a déçu ceux qui croyaient que, à
cette occasion, la planète Finance allait pouvoir être définitivement remise sur les
rails. Le fait même que la plupart des syndicats professionnels de la finance aient
salué ce sommet à coup de satisfecit témoigne de ce que celui-ci n’est pas allé trop
loin en matière de réformes. C’est le moins que l’on puisse dire. Même l’Alternative
Investment Management Association (AIMA), le Medef des hedge funds, y est allée
de son soupir de soulagement en « accueillant avec joie l’engagement du G20 en
faveur de la stabilité financière ». Pour une profession qui se nourrit, par construction, de l’instabilité, on ne peut mieux dire !
Il y a encore pire. Car le G20, par souci – légitime – de
trouver un compromis entre vingt puissances aux intérien n’a été dit
ou presque sur la
rêts parfois antagonistes, s’est bien gardé d’aborder les
monnaie.
sujets qui fâchent vraiment. Ainsi a-t-on évité soigneusement de désigner dans les plans de relance la part qui
devait revenir aux aides à l’emploi. « Moins de 10 % »
selon Juan Somavia, secrétaire général du BIT (Bureau international du travail),
alors même que l’on attend cinquante millions de chômeurs de plus dans le monde
entre 2008 et 2009. Plus grave, rien n’a été dit ou presque sur la monnaie. La Chine
avait fait une timide tentative avant le sommet, en suggérant que soit examinée
la possibilité de création d’une monnaie mondiale anationale. Mais de la manière
dont elle a accepté que le sujet soit retiré de l’ordre du jour, on peut supposer que
cette proposition n’avait pour unique objet que de lui permettre d’éviter que soient
abordés d’autres sujets plus sensibles pour elle (comme la réévaluation du yuan par
exemple).
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On reste donc, au lendemain de ce sommet historique, avec les États-Unis et la
Chine qui se « regardent en chiens de faïence » alors même que l’équilibre entre le
yuan et le dollar reste d’une fragilité inquiétante. De même n’a-t-il pas été question
de l’excès de liquidité mondiale, fils adultérin du laxisme des banques centrales et
père indigne de toutes les bulles à venir. Ou encore de l’absurde spécialisation de
l’appareil productif des pays du Nord, qui a conduit à la désindustrialisation, et donc
à l’endettement des ménages, et donc à la crise.
Vous avez dit protectionnisme ?
Plus grave encore est le traitement qui a été fait, dans le cadre de ce sommet, du
protectionnisme. Certes, nous l’avons vu, l’hydre de Lerne a été conjurée dans la
déclaration liminaire. Certes, la conclusion du cycle de Doha est affirmée comme
une « urgente nécessité ». Certes, les pays qui prendront des mesures protectionnistes seront « désignés et blâmés » (« named and shamed »). Mais il convient de rappeler
que dix-sept des vingt participants au G20 de Londres ont, selon l’OMC, déjà pris
des mesures protectionnistes, depuis le précédent sommet du G20, en octobre 2008,
à New York ! Et, dans ce contexte, le communiqué final se contente de souligner
que toute mesure protectionniste sera… « notifiée à l’OMC ». C’est-à-dire à un
organisme dont la gouvernance est, elle-même, en péril. On ne peut mieux « botter
en touche ».
Laissons là nos interrogations et nos sarcasmes. Le G20 de Londres a eu le mérite de
se tenir et de donner lieu à un communiqué final dont on peut se réjouir qu’il constitue
un verre au tiers plein. Au moins. Ce n’est déjà pas si mal. Preuve, s’il en était besoin,
que le G20 est une instance utile et que le fait de dialoguer est le plus sûr chemin vers
une démarche coopérative. Le premier G20 d’octobre 2008, à New York, a marqué
la renaissance de cette instance indispensable à une meilleure gouvernance mondiale.
Celui de Londres a permis de s’entendre sur une plate-forme, a minima, mais effective.
Celui de New York, en septembre 2009, sera le véritable « juge de paix » de la sortie de
crise. Y seront actées les réformes indispensables à une meilleure gouvernance mondiale 1 et il y a bon espoir, alors, que la sortie de crise se profile à l’horizon – ni pour
2009 et 2010 mais peut-être pour 2011 ou 2012. Ou bien…
. Patrick Artus et Olivier Pastré, 20 réformes pour sortir de la crise, Perrin (à paraître).
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