Le fardeau de la preuve dans l`avis des défauts
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Le fardeau de la preuve dans l`avis des défauts
Aktualitäten – Juni 2013 / Bulletin d'actualités – Juin 2013 Rechtsprechung / Jurisprudence LE FARDEAU DE LA PREUVE DANS L’AVIS DES DÉFAUTS / DIE BEWEISLAST BEI DER MÄNGELRÜGE Le Tribunal fédéral réaffirme sa jurisprudence selon laquelle le maître d’ouvrage supporte le fardeau de la preuve de l’avis et du fait qu’il a été fait à temps, ce qui impose au maître de prouver le moment auquel il a eu connaissance du défaut. Cette jurisprudence a pour conséquence toutefois que l’absence de preuve suffisante du moment de la connaissance impose au juge de retenir la tardiveté de l’avis. Das Bundesgericht bestätigt seine Rechtsprechung, wonach der Besteller die Beweislast für die Mängelrüge und ihre Rechtzeitigkeit trägt und damit auch den Beweis für den Zeitpunkt des Erkennens des Mangels. Kann ein solcher Beweis nur ungenügend erbracht werden, zwingt diese Rechtsprechung den Richter, eine verspätete Mängelrüge anzunehmen. Arrêt du Tribunal fédéral du 12 juillet 2012 (4A_202/2012) / Bger vom 12. Juli 2012 (4A_202/2012) Pascal Pichonnaz, professeur à l’Université de Fribourg I. Les faits Un maître attribue des travaux de ventilation et de climatisation à un entrepreneur afin de transformer un garage en pub. Après l’achèvement des travaux, le maître débute l’exploitation de l’établissement fin mars 2007. A une date non précisée, il se plaint auprès de son architecte du mauvais fonctionnement de la hotte de ventilation de la cuisine et de l’extracteur de fumée. L’architecte n’en informe l’entrepreneur par lettre que le 13 juillet 2007. Il l’invite alors à contrôler la conformité de la ventilation aux normes requises et, si tel n'était pas le cas, à faire le nécessaire pour y remédier. Après une expertise requise par le maître et communiquée à l'entrepreneur, celui-ci a contesté le caractère défectueux de l'ouvrage et excipé de la tardiveté de l'avis des défauts. Il a ensuite exigé le paiement du solde de sa créance. II. L’arrêt La seule question litigieuse devant le Tribunal fédéral était la question de savoir à quel moment le maître d’ouvrage a eu connaissance du défaut, en considérant comme admis que l'avis avait été communiqué à l'intimée par lettre du 13 juillet 2007. « La cour cantonale a estimé que, selon le cours ordinaire des choses, le maître qui avait commencé l'exploitation de son établissement dès fin mars 2007 pouvait ne pas s'apercevoir du problème lié à la hotte dans les premiers jours suivant la mise en service de l'installation; selon la cour, il est toutefois certain que le mauvais fonctionnement de la hotte a dû être remarqué bien avant le 13 juillet 2007, puisqu'à cette date, l'installation défectueuse était utilisée depuis plus de trois mois. Certes, la cour cantonale n'indique pas précisément le jour où le maître de l'ouvrage a pris effectivement connaissance du défaut; la motivation ne souffre toutefois d'aucune ambiguïté, la précision apportée par l'autorité précédente ("bien avant le ...") laissant clairement entendre qu'entre la prise de connaissance du défaut et l'envoi de l'avis, il s'est écoulé une période dépassant très largement le très court délai de réflexion (cf. ATF 118 II 142 consid. 3b p. 148) qui permettrait encore de considérer que le maître a envoyé son avis à temps selon l'art. 370 al. 3 CO. » (consid. 3.1). Le Tribunal fédéral constate alors que malgré une opinion isolée sur laquelle se fonde le maître d’ouvrage, selon la jurisprudence constante c’est au maître de démontrer non seulement qu'il a donné l'avis des défauts, mais aussi qu'il l'a fait en temps utile; la charge de la preuve s'étend donc également au moment où il a eu connaissance des défauts. Si l'entrepreneur rétorque que le maître a déjà découvert le défaut auparavant, alors l’entrepreneur doit de son côté établir son objection (consid. 3.1 ; ATF 118 II 142 consid. 3a; ATF 107 II 172/176 consid. 1a; ATF 107 II 50/54 consid. 2a; plus récemment: arrêt du TF, 4A_83/2009 [6.5.2009] consid. 3.2.1; en matière de vente: arrêt 4D_4/2011 [1.4.2011] consid. 3). Le fardeau de la preuve de l’avis ayant été respecté par la Cour cantonale (CC 8), le maître ne pouvait plus qu’essayer de démontrer que le résultat auquel est arrivé la Cour cantonale repose sur une appréciation arbitraire des faits. Le Tribunal fédéral n’a toutefois pas retenu ce motif (consid. 3.2). En effet, selon le principe de la libre appréciation des preuves, une preuve directe n’est pas nécessaire pour fonder la conviction du juge. Il suffit que, sur la base d’un faisceau d’indices, le juge puisse être convaincu que, selon le cours ordinaire des choses, le maître aurait dû prendre connaissance du défaut bien avant le 13 juillet 2007 (c. 3.2). III. Le commentaire Dans cette affaire, le maître d’ouvrage perd l’ensemble de ses droits découlant de la garantie en raison de la tardiveté de l’avis des défauts. L’absence d’évacuation de la fumée dans la cuisine lorsque le passe-plat et les portes étaient fermées a certainement été constatée bien avant le 13 juillet 2011, ce qui probablement justifie la tardiveté de l’avis. C’est la raison pour laquelle les parties ont cherché à se battre avant tout sur la question du fardeau de la preuve, en vain. L’arrêt rappelle ainsi la jurisprudence relative au fardeau de la preuve du moment de la connaissance du défaut, élément essentiel pour déterminer si l’avis a eu lieu à temps au sens de l’art. 370 al. 3 CO. Selon le Tribunal fédéral, c’est donc au maître d’ouvrage de prouver quand il a eu connaissance du défaut et par là même que son avis des défauts a été fait à temps. La justification de cette position repose sur l’idée que l’avis fait à temps est un fait générateur de droit (rechtsbegründend). A ce titre, le maître d’ouvrage doit prouver non seulement l’existence d’un avis, mais qu’il a été fait à temps. Cette jurisprudence n’est toutefois pas exempte de difficultés. Dans le cas d’espèce, le maître 1 d’ouvrage a ainsi tenté – en vain – d’invoquer l’opinion différente de Peter Gauch . Le Tribunal fédéral l’a toutefois rejeté d’un revers de main, considérant en substance – mais à tort – que cette 2 opinion était isolée (consid. 3.1) . Si l’on admet que l’avis des défauts est une incombance (Obliegenheit), c'est-à-dire un devoir dont le 3 non-respect entraîne un désavantage juridique , on doit admettre que la créance ou le droit 4 formateur découlant de l’existence de défauts préexiste l’exercice de l’incombance . Il nous semble dès lors difficile de qualifier l’avis des défauts comme un fait générateur de droit ; son absence ou sa tardiveté constitue plutôt un fait destructeur de droit (rechtsvernichtend). Certes, compte tenu de la difficulté de prouver un fait négatif (l’absence d’avis), il est juste de mettre à charge du maître la preuve de l’avis et du moment auquel il a été fait. Ces éléments suffisent à faire constater que l’incombance a été remplie et maintenir le droit. En revanche, si l’entrepreneur allègue que l’avis est tardif, on ne voit pas pour quelle raison le maître d’ouvrage devrait alors prouver (positivement) le moment de la connaissance du défaut (comme l’exige toutefois le Tribunal fédéral dans cet arrêt et dans la jurisprudence constante). Certes, il s’agit 5 d’un fait interne, difficile à démontrer de manière directe par l’entrepreneur . Cela suffit-il à mettre la charge de la preuve sur l’entrepreneur ? En quelque sorte, pour le Tribunal fédéral, le maître doit prouver positivement qu’il a avisé immédiatement, s’il ne convainc pas le juge, il est présumé avoir avisé tardivement. C’est là une conséquence curieuse. Dès lors que l’entrepreneur invoque la tardiveté de l’avis, il semble plus juste de faire reposer la preuve du caractère tardif sur celui-ci, tout en exigeant un devoir de coopération du maître sur les éléments du moment de sa connaissance. 6 C’est là la position d’une partie importante de la doctrine (encore) minoritaire . Les exigences de 7 preuve de la connaissance antérieure ne pourraient certes pas être trop strictes , un faisceau d’indices ou une présomption de fait devrait suffire ; la charge de la preuve ne serait alors pas 1 2 3 4 5 6 7 P. GAUCH, Le contrat d’entreprise, 1999, adaptation française par Benoît Carron, p. 587 ss ; cette opinion a e e été réaffirmée dans la 5 édition en allemand, P. GAUCH, Der Werkvertrag, 5 éd., Zurich 2011, n. 2165 ss (p. 782 ss). Pour des critiques allant dans le même sens, cf. not. A. BIEGER, Die Mangelrüge im Vertragsrecht, th. Fribourg, Zurich/Bâle/Genève 2009, n. 336 ss; P. REETZ, Der Beweis im Bauprozess, BRT 2009, p. 149 ss; A. RUMO-JUNGO, Beweislast bei der Mängelrüge, in: Tercier/Werro/Pichonnaz (édit.), Gauchs Welt, Mélanges pour P. Gauch, Zurich 2004, p. 575 ss, en part. p. 584 ss; ZK-SCHÖNLE/HIGI, n. 28 ad art. 201 CO; E. BUCHER, Hundert Jahre schweizerisches Obligationenrecht: Wo stehen wir heute im Vertragsrecht?, RDS 1983 II 251 ss, en part. 343 s. Pour tous les autres, GAUCH, Der Werkvertrag, n. 2108. Dans ce sens ég. F. HOHL, L’avis des défauts de l’ouvrage : Fardeau de la preuve et fardeau de l’allégation, RFJ 1994, p. 235 ss, en part. p. 262. HOHL, RFJ 1994, p. 265, 271. Cf. les auteurs cités en note 2. Cf. RUMO-JUNGO, p. 585. excessive pour l’entrepreneur. Cette solution permettrait de corriger quelque peu le fait que 8 l’exigence d’un avis soulève de manière générale déjà des doutes sur sa justification , en particulier lorsque le défaut n’évolue pas. Aus BR/DC 3/13 / Extraits de BR/DC 3/13 Redaktion/Rédaction: Prof. Dr. Jean-Baptiste Zufferey, Dr. iur. Hedwig Dubler http://www.unifr.ch/baurecht 8 Très justement, BIEGER, n. 41 ss ; ég. ZK-BÜHLER, n. 62 ss ad art. 367 CO ; GAUCH, Werkvertrag, n. 2108 ; PICHONNAZ, JDC 2013, p. 75.