mai 2006 : De mon temps, on n`aurait jamais vu ça
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mai 2006 : De mon temps, on n`aurait jamais vu ça
La chronique @ mensuelle mai 2006 DE MON TEMPS ON N’AURAIT JAMAIS VU ÇA… De quelques considérations sur nos ancêtres, le temps présent et la nature humaine J’ai lu récemment le triste constat d’un philosophe sur la décadence morale de la société, que je soumets à votre réflexion : « De nos jours, la vie en est venue à un tel degré de licence et de complaisance dans l’iniquité, que toutes les formes de débauche inondent les villes où elles sont devenues la loi ; dans les mauvais lieux les femmes se tiennent près des hommes, vendant leur propre corps pour d’infâmes plaisirs ; des enfants dressés à renier la nature se font passer pour des femmes. La luxure a tout bouleversé, la vie efféminée et ses excès ont déshonoré les hommes ; on cherche tout, on essaie tout, on violente tout, on confond la nature, les hommes se comportent comme des femmes et les femmes comme des hommes, elles s’unissent contre nature et leurs partenaires sont des femmes. Il n’est point de chemin que ne foule l’inconduite. Les plaisirs d’amour sont communs, c’est l’opinion générale et la volupté est conviviale ! Spectacle lamentable ! Conduite innommable ! Ce sont là les trophées visibles de votre inconduite dans vos villes ; ce qui juge vos actes, ce sont les courtisanes. Hélas, quel désordre ! Mais ces malheureux ne comprennent même pas que l’anonymat de ces relations crée de nombreuses tragédies : à un enfant prostitué, ou à des filles perverties souvent sans le savoir s’unissent leurs pères, qui ont oublié leurs enfants exposés, et cette licence monstrueuse fait de leurs pères leurs maris. Voilà ce qu’autorisent les lois sages ! Il est permis de pécher légalement et on appelle “une heureuse nature” celui qui aime ces plaisirs innommables. » Notre philosophe à la plume pessimiste n’est autre que… Clément d’Alexandrie, mort vers 215 après JésusChrist ! (auteur de Le Pédagogue, Éd. migne, Les Pères dans la foi, Livre III, chap. III, « pour les hommes qui s’embellissent », n° 24-25, p 240) Eh oui ! Nihil novi sub sole (rien de neuf sous le soleil). NOSTALGIE du passé supposé meilleur que le présent Ces considérations nous amènent logiquement à dire que le passé n’est pas forcément la plus belle des périodes de la vie malgré toute la nostalgie qu’il peut susciter. Ce texte de Clément prouve même à quel point l’homme reste le même en son être intérieur, quelques que soient les époques, les civilisations, les structures sociales et les régimes politiques. La société qu’il a fréquentée à une époque donnée comportait, comporte et comportera toujours les mêmes tentations par rapport au pouvoir, à l’argent et à la chair, car, dit le Christ, c’est « du cœur de l’homme que procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations. Voilà les choses qui souillent l’homme ». (Mt 15, 19-20). Cette nostalgie du passé pourrait même être considérée comme une sorte de peur d’affronter les difficultés propres à l’époque où l’on vit. Déjà, Jean-Paul II nous donnait des paroles de réconfort et d’espérance : « N’ayez pas peur, ouvrez toutes grandes vos portes au Christ », message que confirme notre pape Benoît XVI notamment dans son encyclique, Dieu est amour. SAINT AUGUSTIN : « Ne récriminons pas contre notre époque » Je ne sais si saint Augustin, docteur de l’Église, évêque d’Hippone en Afrique du Nord, avait lu Clément, mais voici son opinion sur le passé, lui qui vivait il y a… 1600 ans ! « […] l’Évangile nous annonce des épreuves, des angoisses, des occasions de chute. “Mais celui qui persévérera jusqu’au bout, celui-là sera sauvé” (Mc 13, 13). Cette vie a-t-elle jamais quelque chose de bon, depuis le premier homme, qui lui a valu la mort, de qui elle a reçu la malédiction, cette malédiction dont le Christ nous a délivré ? Il ne faut donc pas récriminer, mes frères, comme certains ont récriminé, au dire de l’Apôtre (Paul), et ils ont été tués par les serpents. À ce compte-là, mes frères, qu’est-ce que le genre humain peut souffrir d’inédit, que nos ancêtres n’aient pas déjà souffert ? Ou bien, quand nous souffrons tels malheurs, savonsnous s’ils n’ont pas souffert les mêmes ? On rencontre partout des gens qui récriminent sur leur époque et pour qui celle de nos parents était le bon temps ! Si l’on pouvait les ramener à l’époque de leurs parents, est-ce qu’ils ne récrimineraient pas aussi ? Le passé, dont tu crois que c’était le bon temps, n’est bon que parce que ce n’est pas le tien. Maintenant tu es délivré de la malédiction, maintenant que tu as cru au Fils de Dieu, maintenant que tu as abordé ou étudié la Sainte Écriture, je m’étonne de ce que tu t’imagines qu’Adam a connu le bon temps. Et tes parents ont hérité de la peine d’Adam. Car c’est bien à lui qu’il a été dit : “Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, et tu travailleras la terre d’où tu as été tiré ; elle produira pour toi des épines et des chardons” (Gn 3, 18-19). C’est cela qu’il a mérité, c’est cela qu’il a reçu, cela qu’il a obtenu par le juste jugement de Dieu. Penses-tu donc que le temps de jadis était meilleur que le tien ? De cet Adam jusqu’à l’Adam d’aujourd’hui, travail et sueur, épines et chardons. Avons-nous oublié le déluge ? Avons-nous oublié les temps pénibles de la famine et de la guerre, que l’Écriture a précisément consignés, pour que les temps actuels ne nous fassent pas récriminer contre Dieu ? Quelles époques terribles ! Est-ce que nous n’avons pas tous été remplis d’horreur par les récits que nous en avons entendus ou lus ? C’était pour que nous ayons de quoi nous féliciter, plutôt que de récriminer contre notre époque ». (Liturgie des heures, 20e semaine du temps ordinaire, mercredi, sermon de saint Augustin sur les épreuves de ce temps). IL N’EXISTE PAS d’époque où l’homme aurait pu vivre sans tentations, épreuves ou difficultés À la suite de saint Augustin, je me permets d’ajouter que de considérer le passé comme forcément meilleur que le temps présent revient à dénier toute valeur objective, intemporelle et immuable à la Parole de Dieu, elle qui nous enseigne que la terre et les cieux passeront, mais que les paroles du Christ ne passeront pas (cf. Mc 13, 31). Ce qui nous oppose au passé, ce sont les changements de conditions techniques, technologiques, matérielles et sociales dans lesquelles nous vivons. Et c’est parce que ces conditions facilitent ou non les attitudes chrétiennes qu’une période de civilisation ou d’une société est plus dure à vivre qu’une autre. Mais au fond de lui, l’homme reste le même depuis le péché originel. Si l’homme occidental est si décadent, c’est parce qu’il se vautre dans une surabondance de biens. Ses sens sont tellement enflammés par toutes ces jouissances matérielles et intellectuelles que sa conscience en est étouffée. Il ne sait plus discerner le bien du mal et se donne de faux dieux en quantité (cf. 2 Tm 4, 2-4). Il en est grisé au point d’oublier que les biens sont faits pour l’homme et non l’inverse, et que, par la même, il ne sera jamais pleinement satisfait par cette sorte de recherche inassouvie du bonheur. Si « Dieu ne cesse de créer tous ces biens, de les bénir, de les sanctifier et de nous en faire le don », comme l’exprime la prière eucharistique numéro 1 de la messe, c’est pour nous montrer son amour et sa bonté. L’homme peut en user mais non en abuser, et il n’a pas le droit de s’en servir pour se retourner contre Dieu et le rayer de sa vie comme s’il était lui-même le maître du monde. L’accélération fulgurante des progrès techniques et scientifiques depuis près de 150 ans accentue davantage ce phénomène et permet ainsi une corruption beaucoup plus facile et dans un total anonymat, encouragée par des gens influents peu scrupuleux. Cette maîtrise de la science et des techniques, qui repousse perpétuellement les limites de leur savoir, peut même créer chez l’homme une sorte d’envoûtement s’il vient à exclure Dieu de la démarche intellectuelle et philosophique qui la soutend. En effet, grisé par ce pouvoir – qui pour nous, chrétiens, lui vient de Dieu : « […] emplissez la terre et soumettez-la […] » (Gn 1, 28) – il se croit autorisé à s’aventurer dans des domaines qu’il ne contrôle pas pleinement, tenté qu’il est d’égaler la puissance créatrice de Dieu. Mais nos ancêtres, Adam et Ève, n’ont-ils pas connu la même tentation : « […] vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal » (Gn 3, 5) leur a subtilement suggéré le Diable. La tentation actuelle de cloner un homme fait partie de ce vent de folie. Aujourd’hui, un autre agent contribue puissamment à cette impression de décadence de notre société : les media. Générant une surabondance d’informations, la plupart du temps négatives, par lesquelles nous sommes abreuvés de faits de corruption, de calamités et de guerres, ils permettent, outre, de pratiquer du voyeurisme (les enfants regardent de plus en plus jeunes des films pornographiques), et surtout nous incitent à copier des modèles de société qui nous sont sinon imposés, du moins fortement présentés comme la norme alors qu’il n’en est rien. INEXORABLEMENT, l’humanité est en marche vers un temps meilleur Certes, on ne peut nier que des époques de l’histoire aient été meilleures que d’autres. L’Ancien Testament ne cesse pas d’insister sur les alliances et les ruptures d’alliances du peuple hébreu avec Dieu, celui-ci laissant l’homme subir les conséquences logiques de sa conduite quand vraiment il s’éloigne des lois divines1. Cependant, il faut prendre conscience qu’inexorablement nous nous approchons d’un temps meilleur, où l’homme et la création tout entière seront régénérés et purifiés dans le Christ qui les remettra à son Père quand les temps seront accomplis2 ; temps dont nul cependant ne connaît ni le jour ni l’heure (cf. Mc 13, 32). Cette idée de l’eschatologie (science des fins dernières) était chère au père Fillère et à l’abbé Richard, nos fondateurs. Elle est également bien mise en lumière dans le concile Vatican II. Je pense donc que le chrétien ne doit pas écarter ce concept de sa vision du monde sous peine de réduite le christianisme à des principes de vie humanistes à portée uniquement terrestre ; sous peine également de perdre l’espérance, cette vertu théologale, qui lui fait dire avec assurance que Dieu est le maître de l’Histoire, et que tout a été prévu dans sa divine providence et sa sagesse infinie pour le bien et le bonheur de l’homme, même si les chemins qu’il lui fait emprunter sont parfois vraiment déroutants. Cette époque de décadence et de permissivité, comme celle qu’on pu vivre les grecs et les romains en leur temps, est pour nous, chrétiens, difficile à supporter car tout est fait pour inciter l’homme à vivre comme s’il n’y avait plus rien après la mort : « Car il en est beaucoup, je vous l’ai dit souvent, et je vous le redis aujourd’hui avec les larmes, qui se conduisent en ennemis de la croix du Christ : leur fin sera la perdition ; ils ont pour dieu leur ventre et mettent leur gloire dans leur honte ; ils n’apprécient que les choses de la terre. » (Ph 3, 18-21). Alors ne nous étonnons pas si nous vivons parfois un martyre non sanglant face à cette culture de mort, car le Christ nous l’a annoncé : « Dans le monde, vous aurez à souffrir. Mais gardez courage ! J’ai vaincu le monde. » (Jn 16, 33). Cela est tout à fait normal dans la mesure où l’esprit du monde (faux semblants, vanité, prétentions, jalousies…) ne sera jamais conciliable avec l’esprit de l’Évangile : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tirés du monde, pour cette raison, le monde vous hait. » (Jn 15, 18-19. Voir aussi 1 Jn 2, 15-17). COMME chrétiens nous devons participer activement selon nos moyens à rendre notre monde meilleur que celui de nos ancêtres Réagissons donc de deux façons : offrons en premier lieu nos souffrances au Seigneur et, comme lui, pardonnons à ceux qui génèrent cette décadence et ce mal, car ils ne savent pas toujours ce qu’ils font. En second lieu, ne démissionnons pas et luttons avec l’aide de Dieu et avec nos moyens, si modestes soient-ils, en particulier la prière, pour améliorer notre époque. Nous le savons, nous le croyons, le Christ nous obtiendra la victoire après les heures d’angoisse et d’épreuve. Ne nous laissons donc pas vaincre par la tentation de penser que le mal est plus fort que le bien et que le passé est forcément meilleur que le temps présent. À nous de nous impliquer dans les affaires de ce monde pour qu’il en soit autrement. Benoît XVI et toute l’Église nous disent comment faire. Écoutons-les. Vincent TERRENOIR 1 « Écoute, je t’adjure, ô mon peuple ; vas-tu m’écouter, Israël ? […] Mais mon peuple n’a pas écouté ma voix, Israël n’a pas voulu de moi. Je l’ai livré à son cœur endurci : qu’il aille et suive ses vues ! Ah ! Si mon peuple m’écoutait, Israël, s’il allait sur mes chemins ! » (Ps 80, 9 ; 12 -14) 2 « Puis ce sera la fin quand il remettra la royauté à Dieu le Père après avoir détruit toute Principauté, Domination et Puissance. Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi détruit, c’est la mort : car il a tout mis sous ses pieds. Mais quand il dira : “Tout est soumis désormais”, c’est évidemment à l’exclusion de Celui qui lui a soumis toute choses. » (1 Co 15, 24-28)