temporalité de l`écriture et rôle du texte produit dans l`activité
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TEMPORALITÉ DE L'ÉCRITURE ET RÔLE DU TEXTE PRODUIT DANS L'ACTIVITÉ RÉDACTIONNELLE Sylvie Plane et al. Armand Colin | Langages 2010/1 - n° 177 pages 7 à 28 ISSN 0458-726X -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-langages-2010-1-page-7.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Plane Sylvie et al., « Temporalité de l'écriture et rôle du texte produit dans l'activité rédactionnelle » , Langages, 2010/1 n° 177, p. 7-28. DOI : 10.3917/lang.177.0007 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. 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Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Article disponible en ligne à l'adresse: Sylvie Plane Université Paris IV-Sorbonne / IUFM de Paris, MoDyCo (UMR 7114 CNRS) – GDR 2657 Denis Alamargot Centre de Recherches sur la Cognition et l’Apprentissage (UMR 6234 CNRS & Université de Poitiers) – GDR 2657 Jean-Louis Lebrave Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle Parmi les contraintes que le rédacteur doit gérer au cours de la production de texte, il en est une qui peut paraître paradoxale, puisqu’il s’agit de celle exercée par le texte déjà produit sur le texte à venir. Il s’agit d’un phénomène biface qui peut s’analyser à la fois du point de vue des processus cognitifs mis en œuvre et du point de vue des mécanismes linguistiques impliqués dans la génération du texte. C’est pourquoi nous expliciterons les raisons pour lesquelles des approches croisées nous paraissent nécessaires pour étudier ce phénomène et présenterons à cette occasion les perspectives théoriques et méthodologiques offertes. C’est également un phénomène qui ne peut s’interpréter que si l’on prend en compte la temporalité complexe de l’activité rédactionnelle. Il s’agira donc également de circonscrire les différentes « strates » temporelles de l’activité rédactionnelle, en montrant en quoi les différents processus se déroulent dans des temporalités différentes. Cela permettra de comprendre comment le texte déjà produit et le texte à venir peuvent interagir, voire parfois interférer l’un avec l’autre. Ce cadre nous conduira à (i) examiner les modes d’interactions entre le texte produit et le texte à venir et (ii) analyser comment le dispositif d’analyse en temps réel de l’écriture « Eye and Pen » (Alamargot, Chesnet, Dansac & Ros 2006 ; Chesnet & Alamargot 2005) peut permettre d’avancer dans la compréhension de cette interaction. 1. QUESTIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES : LA PRODUCTION DE TEXTE AU CONFLUENT D’APPROCHES PLURIDISCIPLINAIRES La production de texte est une activité langagière dont la description se heurte à de nombreux obstacles qui tiennent non seulement à la complexité de l’objet, mais aussi à la difficulté de concilier les approches complémentaires qui Langages 177 rticle on line 7 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Institut des Textes et Manuscrits Modernes (CNRS & École Normale Supérieure) – GDR 2657 Traitement des contraintes de la production d’écrits Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin La psychologie cognitive conçoit l’activité du rédacteur à travers trois notionsclés. (i) La notion d’activité proprement dite, la plus englobante, renvoie à un système complexe incluant les dimensions graphomotrices, orthographiques, rédactionnelles et conceptuelles de l’acte rédactionnel. (ii) La notion de processus rédactionnels renvoie aux opérations mentales mises en œuvre par le rédacteur pour transformer les représentations conceptuelles en une trace linguistique inscrite. Enfin, (iii) la notion de capacité limitée de traitement suppose du rédacteur une gestion opportuniste des ressources cognitives allouées aux différents processus durant la tâche. Cette dernière notion fournit un principe explicatif général qui rend intelligible les différences de performances constatées selon le niveau de développement des rédacteurs, leur familiarité avec le thème ou avec le genre du texte, ou encore des états psychologiques ou physiologiques particuliers (pathologies du langage, attrition, dégénérescence sénile, etc.). Étant ainsi centrée sur l’activité, la psychologie cognitive de la rédaction met les outils conceptuels issus de la linguistique (et en particulier les catégories empruntées aux théories de l’énonciation et à la pragmatique) au service de l’analyse de comportements langagiers observables. Elle relève donc d’un paradigme relativement unifié autour de quelques noyaux théoriques stabilisés. Il lui est donc possible d’envisager à moyen terme une modélisation de l’activité rédactionnelle et de procéder à des expérimentations contrôlées, reposant sur des méthodes objectives de recueil et d’analyse du comportement. La linguistique de l’écrit (mais on pourrait dire cela de la linguistique dans son ensemble) constitue de son côté un ensemble plus foisonnant, moins unifié sur le plan théorique et qui ne cesse de s’interroger sur sa propre structure conceptuelle. Deux points de divergence entre les travaux linguistiques s’intéressant à l’écriture méritent une attention particulière : – l’orientation du regard porté sur l’écrit. Si l’accord se fait aisément entre les différentes approches autour d’une centration sur les données langagières (c’està-dire le texte ou l’avant-texte qui le précède), le point de vue adopté diffère d’un domaine spécifique de recherche à l’autre. Seuls les travaux relevant du domaine de l’acquisition, de la didactique et de la critique génétique cherchent prioritairement à reconstituer le décours de la production (Plane 2003). Ceux qui s’intéressent aux fonctionnements textuels proprement dits se situent davantage dans une problématique de la réception, comme le montrent les 8 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin en traitent. La psychologie cognitive s’intéresse à l’activité mentale du scripteur alors que la linguistique de l’écrit, avec deux de ses secteurs celui de la linguistique textuelle et celui de la critique génétique, traite du produit langagier lui-même. Des liens organiques existent entre les deux disciplines car elles convergent vers un même objectif : rendre compte à la fois d’un ensemble d’opérations langagières et de l’objet linguistique résultant de ces opérations. Cette convergence ne peut toutefois empêcher que les modes d’approche et, pour une part, les référents théoriques mobilisés soient sinon différents du moins organisés de manière dissemblable. Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin débats récurrents sur la distinction texte/discours ou sur la notion de contexte (Achard-Bayle 2006). – l’orientation de l’axe généralisation/particularisation. À côté de travaux linguistiques visant une modélisation, ceux qui relèvent de la critique génétique rencontrent de grandes difficultés à dépasser la singularité de telle ou telle écriture pour élaborer des types plus généraux. Ainsi par exemple, la proposition d’ordonner la description de la production en fonction de deux grands modes – l’écriture à processus et l’écriture à programme (Hay 1979) – a été relativisée, non parce qu’elle serait fausse, mais parce que ces deux modes apparaissent rarement sous forme pure (Boie & Ferrer 1993 ; de Biasi 2000). En outre, les corpus sur lesquels la critique génétique travaille sont des corpus clos « figés » (le plus souvent par la mort de l’auteur, mais aussi bien par la publication de l’œuvre correspondante) dans lesquels la trace est définitivement arrêtée. Il en résulte des conséquences d’ordre épistémologique : on voit aisément comment l’entreprise de modélisation de la psychologie cognitive se prête à l’élaboration de protocoles expérimentaux destinés à la mettre à l’épreuve ; mais c’est beaucoup plus difficilement envisageable dans le cas des avant-textes d’écrivains, soit tout simplement parce que ceux-ci sont morts, soit parce que – vivants et célèbres – il n’est pas certain qu’ils se prêteraient aisément à une expérimentation : imagine-t-on de demander à Claude Simon, à Julien Gracq, à Marguerite Duras... d’écrire à la demande en se pliant aux desiderata d’un expérimentateur ? C’est un point sur lequel nous reviendrons plus loin (cf. pour une discussion, Alamargot & Lebrave 2009). Cependant, les divergences au sein des approches linguistiques sont compensées par l’unité que leur confère le ralliement à des préoccupations largement partagées : – la plupart des études s’intéressent à repérer les traces des métissages dont le texte produit est le résultat : métissage issu d’une intertextualité volontaire ou irrépressible (Genette 1982), métissage analysé en termes de rapport dialogique avec du texte préalable appartenant à la culture (Bakthine 1979), ou encore métissage né du dialogue interne des voix qui tressent le texte, révélé par les variations énonciatives du texte ou décelé dans les manuscrits grâce à l’examen des couches diachroniques d’écriture (Grésillon & Lebrave 1982 ; Lebrave 1987 ; Authier-Revuz 1998 ; Fenoglio & Boucheron-Pétillon 2002 ; Fenoglio 2005 ; Grésillon & Lebrave 2008) ; – l’accès aux intentions du scripteur est problématisé. Du point de vue de la sémiotique, les trois intentiones que décrit U. Eco (1990) constituent l’enjeu de l’interprétation et relèvent d’un modèle qui questionne le texte en adoptant l’angle d’attaque de la réception. Du point de vue de la génétique, il s’agit, comme le souligne A. Grésillon (2002), de renoncer à la tentation de chercher à reconstituer l’activité mentale pré-linguistique à l’origine de la mise en texte, mais d’interroger les marques scripturales qui permettent de repérer les interrogations et les évaluations du rédacteur sur sa propre production au fur et à mesure qu’elle se déploie. Langages 177 9 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Au-delà des divergences liées à leurs caractéristiques propres, les approches psychologiques et linguistiques de la production de texte partagent un certain nombre de points de ralliement : – l’attraction : s’il est vrai que, dans son ensemble, la linguistique de l’écrit choisit résolument de prendre comme observables les traces graphiques, il n’en demeure pas moins que, pour les généticiens, celles-ci ne valent qu’en tant qu’elles sont traces d’une activité langagière sous-jacente (Grésillon, 1994 : 15), ce qui les conduit vers le terrain des psychologues (Alamargot & Lebrave 2009) ; – la complémentarité : dans les approches linguistiques, l’accent est mis sur les processus de formulation et de textualisation, lesquels constituent une zone relativement encore peu explorée par les travaux de psychologie cognitive s’inspirant du modèle de J. R. Hayes et L. S. Flower (1980) (cf. néanmoins Fayol 1997, 1999, 2002 ; Berninger & Swanson 1994 ; Berninger, Whitaker, Feng, Swanson & Abbott 1996 ; Whitaker, Berninger, Johnston & Swanson 1994). Nous allons donc mettre à profit cette possible convergence, considérant que seule une étude conjointe du matériau verbal et de l’activité rédactionnelle permet de rendre compte de la dynamique complexe de la production de texte. 2. LA DYNAMIQUE DE LA PRODUCTION DE TEXTE : STRATES TEMPORELLES ET PROCESSUS MIS EN ŒUVRE DANS L’ÉCRITURE La production de texte relève d’une dynamique complexe issue de la confrontation entre deux mouvements qui s’opèrent conjointement : la mutation du texte qui s’incrémente au fur et à mesure de sa scription et l’activité rédactionnelle du scripteur. Les deux phénomènes sont interdépendants, mais ils s’inscrivent dans des temporalités complexes qui ne sont pas exactement superposables (Plane 2006). Nous proposons de distinguer différentes strates temporelles impliquées dans le processus de production de texte et de les répertorier comme suit. 2.1. La temporalité de l’acte graphique : les effets de la matérialité de l’écriture Comme tout acte physique, le geste graphique connaît un déroulement forcément linéaire inscrit dans le temps. Outre la temporalité propre au geste graphique (cf. plus loin la temporalité de l’activité cognitive du rédacteur), le point à prendre en compte est la superposition ou le décalage entre le geste graphique et l’inscription de la trace. Ainsi, si le geste physique lui-même s’inscrit dans une séquentialité ordonnée et irréversible, en revanche la trace matérielle de ce geste peut se donner à lire dans un ordre différent de celui de sa production. Cette 10 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Traitement des contraintes de la production d’écrits Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin 2.2. L’ordre de l’énoncé et la temporalité du contenu sémantico-référentiel : la construction symbolique du temps Le produit de l’écriture est un énoncé (appelé à devenir, sous sa forme aboutie, un texte) donnant accès à un contenu sémantico-référentiel. Ce contenu se trouve organisé en fonction à la fois de sa propre temporalité et d’une temporalité que l’énoncé lui-même contribue à établir. Trois objets distincts, de nature différente, entretiennent ainsi des rapports contrastés avec le temps : – l’objet représenté, réel ou fictif – même s’il est achronique et inerte (s’il s’agit par exemple d’un objet ou d’un paysage que le texte se propose de décrire) – devient objet dynamique au sens de C. Peirce (1978) dès lors qu’il fait l’objet d’un processus de sémiotisation puisque ce processus sélectionne et ordonne ses propriétés. A fortiori, si l’objet représenté est un phénomène dynamique (un événement, une procédure), il se trouve doublement soumis à la temporalité, car son déroulement propre est, par essence, ordonné dans le temps, puis soumis au processus de sémiotisation ; – l’énoncé écrit se présente sous la forme d’une succession de segments linguistiques dont la trace matérielle s’offre linéairement à la lecture ; – la représentation de l’objet élaborée par celui qui produit le texte tout en relisant ce qu’il a produit. Cette représentation est évolutive puisqu’elle se complexifie au fur et à mesure de la (re-)lecture, alors même que la substance linguistique du texte lu n’est plus intégralement et fidèlement disponible dans la mémoire du rédacteur-lecteur qui en a extrait et organisé les informations collectées lors de son appropriation du texte. En règle générale, la succession des informations données est donc contrainte par des nécessités d’intelligibilité. Ainsi, dans un texte narratif ou dans un texte injonctif, l’ordre des séquences correspond généralement à l’ordre des événements narrés ou préconisés. Mais l’homologie entre l’ordre du texte et l’ordre de son contenu référentiel est flexible car elle dépend du genre du texte et des propriétés intrinsèques du contenu. Ainsi, les textes descriptifs autorisent une permutabilité des segments d’énoncé, ce que ne permettent guère les textes à caractère injonctif qui énumèrent les actions dans l’ordre dans Langages 177 11 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin dissociation entre l’ordre de la production et l’ordre du produit est d’amplitude variable et porte sur des éléments de taille différente comme des segments linguistiques pleinement constitués (cas des opérations génétiques ou encore des révisions, par lesquelles un scripteur revient au cours de l’activité d’écriture sur du texte déjà produit), mais également des unités inférieures au caractère graphique. Par exemple, dans l’écriture manuscrite, il peut s’agir des diacritiques graphiés a posteriori (mettre l’accent sur le « e » seulement à la fin de l’écriture du mot). Dans l’écriture dactylographique, il peut s’agir de la décomposition de la graphie imposée par l’existence de caractères bi-claves : la frappe de la touche majuscule ou de la touche circonflexe doit être réalisée avant la frappe de la touche du caractère (Anis 1995). Traitement des contraintes de la production d’écrits lequel elles doivent être effectuées. En outre, les textes narratifs eux-mêmes procèdent à des prolepses ou des analepses et, de façon plus générale, rusent en recourant à l’ensemble des procédés de dilatation, contraction ou de scansion de la temporalité du narré bien décrits depuis G. Genette (1982). À un niveau plus fin, l’organisation de la phrase française tolère parfaitement des discordances entre l’ordre du narré et l’ordre du texte, comme le montre l’acceptabilité des séquences suivantes : Pierre est resté longtemps sur la plage et il a attrapé un coup de soleil. Pierre a attrapé un coup de soleil à la suite d’une exposition prolongée sur la plage. Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin La possible coexistence de (1) et de (2) repose sur le fait que la nécessité de restituer la succession des événements (ou plutôt de faire comme si on restituait une succession d’événements) entre en concurrence avec les impératifs de thématisation/topicalisation que peut se donner le scripteur. En revanche, lorsque l’ordre du texte sert non pas seulement à guider le processus interprétatif, mais également à piloter le comportement du lecteur, il est attendu que l’ordre des opérations prescrites par le texte inhibe toute autre possibilité d’organisation. La phrase (3) est un parfait exemple de violation de ces principes : (3) Ajoutez les blancs de poulets que vous aurez au préalable fait mariner pendant deux heures. Ainsi, alors qu’il vaut mieux commencer par faire mariner le poulet pendant deux heures avant de se lancer dans la préparation de la recette, le texte présente d’abord l’action consistant à ajouter les blancs de poulet, puis révèle qu’il aurait fallu opérer une action à l’avance. Il y a ici un décalage temporel entre les deux actions évoquées, et l’ordre dans lequel elles sont évoquées est contraire à l’ordre de leur effectuation. Suivre la recette pas à pas conduit à un problème, sauf à remonter dans le temps. Du point de vue du scripteur, la succession des segments linguistiques destinés à former le texte est donc pilotée à la fois par les contraintes linguistiques qui régulent l’ordre des constituants dans la langue employée et par le souci de programmer l’ordre dans lequel le lecteur effectuera la représentation mentale du contenu du texte. 2.3. La question des limites temporelles de la production de texte À quel moment commence l’activité rédactionnelle ? À quel moment s’achève-telle ? Pour le psychologue expérimentaliste, la part de l’activité rédactionnelle accessible au chercheur a pour bornes les limites temporelles fixées par l’expérimentation : la production commence au moment où la tâche d’écriture est prescrite et s’achève avec la remise du texte produit. Le spécialiste de génétique textuelle, quant à lui, prend en considération d’autres bornes qui déterminent 12 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin (1) (2) Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Cependant, malgré les divergences apparentes, le découpage temporel proposé par les psychologues et celui utilisé par les généticiens ont en commun de se fonder sur des indices matériels, ce qui présente des avantages méthodologiques certains. Ils prennent en compte les uns et les autres le fait que la production textuelle est une activité mentale dont les frontières ne coïncident pas avec celles des actes physiques observables. Dans le cadre de la psychologie cognitive, cette discordance est interrogée à l’occasion de l’analyse des pauses en cours de scription (Foulin 1995 – cf. infra). Dans ce cadre, la borne marquant le début de l’activité rédactionnelle mérite d’être remise en question car le rôle capital accordé à la mémoire à long terme du scripteur amène à prendre en considération les acquis antérieurs à l’écriture. Dans le cadre de la génétique textuelle, la question du début de l’écriture est thématisée, mais les frontières entre les périodes concentriques sont labiles, tant il est difficile de formuler des règles stables pour leur établissement. Outre le fait qu’elles dépendent de l’interprétation que fait le chercheur de la notion de texte et du processus de textualisation, on doit tenir compte de ce qu’on peut toujours trouver un document inconnu jusque-là qui oblige à reculer la date du début de l’écriture. On doit – et c’est sans doute le point le plus important – garder à l’esprit que la gestation d’une œuvre peut rester souterraine pendant des périodes plus ou moins longues au cours desquelles elle ne laisse aucune trace. C’est par exemple l’hypothèse qu’on est amené à formuler pour expliquer que nombre de brouillons de poèmes de Heine commencent par plusieurs vers écrits d’un seul jet, sans aucune rature – et continuent par un véritable chaos génétique de tentatives avortées et de réécritures. Il est plus que probable que Heine a d’abord composé mentalement les premiers vers du poème avant de les noter sur le papier. En outre, il est fréquent que les objets composites soumis à l’étude génétique – unités isolées, mais aussi lambeaux de textes dont la forme développée est achevée – autorisent des interprétations divergentes, l’exemple extrême étant donné par les poèmes de Paul Celan que des réécritures successives font paradoxalement progresser vers une déconstruction du tissu textuel et la suppression délibérée de tout ce qui facilite la lecture (Lefèbvre 1998). Langages 177 13 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin des zones temporelles concentriques plus étendues. A. Grésillon (1994) reconnaît ainsi plusieurs types d’empans : – les phases rédactionnelles, encore appelées phases de textualisation, au cours desquelles s’opère la mise en place matérielle du texte sur son support ; – les phases pré-rédactionnelles et les phases de mise au point qui entourent les phases rédactionnelles et qui sont consacrées respectivement à l’inscription de notes ou de listes et à des remaniements du manuscrit ou du tapuscrit une fois le texte considéré comme achevé ; – les campagnes d’écriture, qui sont des unités de temps séparées les unes des autres par des interruptions. Traitement des contraintes de la production d’écrits Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Étudiée depuis environ 25 ans par la psychologie cognitive, l’activité de production de texte est conçue comme une activité de résolution de problème supposant la gestion simultanée d’un ensemble de contraintes liées à la situation de communication (visée pragmatique), au contenu à transmettre (organisation du domaine), au code linguistique (maîtrise de la langue au niveau lexical, grammatical et textuel) et à l’exécution physique du message (maîtrise de la graphie, de l’outil de production) – (Alamargot & Chanquoy 2001). En raison de cette multiplicité des contraintes, la rédaction est définie comme une activité complexe et coûteuse sur le plan attentionnel. Parce que les ressources cognitives de l’être humain sont limitées, les processus rédactionnels fortement contrôlés (comme la planification, la révision et certains traitements relatifs à la formulation) sont contraints de se dérouler de façon séquentielle (les uns après les autres), dans la mesure où chacun peut requérir une large part de (voire toute) l’attention. Seuls les processus ou traitements suffisamment automatisés (comme les traitements graphomoteurs chez l’adulte) peuvent se dérouler parallèlement aux traitements contrôlés dès lors qu’ils sont peu consommateurs en ressources (Chanquoy & Alamargot 2002). Pour la psychologie cognitive, plus particulièrement dans le cadre de la théorie capacitaire (McCutchen 1996), ce sont ces deux paramètres – capacité limitée et niveau d’automatisation des traitements – qui déterminent la temporalité de la production. Dans l’absolu, si la capacité le permettait, tous les traitements rédactionnels pourraient être effectués en parallèle. La conséquence en serait une écriture fluide, sans pause majeure (hormis les pauses liées aux contraintes physique de l’écriture – retour à la ligne, espacement entre les mots), conduisant à un texte fortement cohérent. Ce texte serait également établi sans révision a posteriori dans la mesure où tous les traitements auraient pu être effectués en interactivité au sein de la mémoire de travail. À l’extrême inverse, si chaque processus mobilisait à tour de rôle toute l’attention disponible, le rythme de production du rédacteur serait particulièrement segmenté, ponctué de pauses d’écriture importantes et fréquentes, nécessaires au déroulement successif de chacun des processus. Parce que l’ensemble des traitements ne pourrait être articulé en mémoire de travail, la cohérence d’ensemble du texte serait limitée et de nombreuses corrections après-coup caractériseraient le texte. Considérer ces deux extrêmes permet de comprendre la dynamique de la rédaction. Métaphoriquement, la temporalité « cognitive » de la rédaction peut être conçue comme la résultante d’une dialectique permanente entre le nombre de traitements parallèles (dont l’engagement est nécessaire à un moment donné de la rédaction) et la capacité attentionnelle disponible à ce moment – cette capacité étant dépendante de la consommation respective de ces mêmes processus (contrôlés vs automatisés). Le dépassement de la capacité conduit alors à ralentir certains traitements – voire interrompre ces traitements – le temps que d’autres traitements prioritaires s’effectuent. Parce que la rédaction est un 14 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin 2.4. La temporalité de l’activité cognitive du rédacteur Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle problème ouvert et évolutif (avec l’avancée du texte, la nécessité de certains processus varie (van den Bergh & Rijlaarsdam 1996)), les contraintes capacitaires sont fluctuantes. Elles conduisent à moduler le décours de la rédaction en provoquant une variation observable de la vitesse d’écriture d’une part et la durée des pauses d’écriture d’autre part (Chanquoy, Foulin & Fayol 1990). Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Le recours aux seuls indicateurs chronométriques ne suffit généralement pas pour interpréter la dynamique rédactionnelle. Il est nécessaire d’associer aux différents temps, les processus correspondants. Les protocoles verbaux (Hayes & Flower 1983) peuvent être utilisés, de façon concomitante (Levy & Ransdell 1994) ou différée (Kellogg 1987a) aux tâches secondaires, pour identifier les processus sondés. Les différentes unités linguistiques du texte (paragraphes, phrases, propositions grammaticales, mots) peuvent être considérées pour classifier les pauses recueillies. Dans ce dernier cas, il est postulé qu’une pause avant un paragraphe sera relativement longue du fait que le rédacteur doit planifier à ce moment : le contenu du paragraphe, la première phrase de ce paragraphe, l’orthographe des premiers mots de cette phrase, le programme moteur du premier mot. À l’inverse, il est attendu qu’une pause au sein d’un mot soit relativement courte car elle ne serait liée qu’à la réalisation graphomotrice (Dansac & Alamargot 1999 ; Foulin 1995 ; Foulin & Fayol 1988). Ce modèle hiérarchique d’interprétation des pauses est intéressant dans le sens où il établit une relation entre le décours du traitement et le produit qui est traité. Par le jeu des comparaisons entre les différentes localisations des pauses (avant les différentes unités) en fonction de l’expertise des rédacteurs et/ou du genre du texte, il est possible d’inférer le coût et la complexité des différents processus. Comme le précisent toutefois D. Chesnet et D. Alamargot (2005), ce modèle hiérarchique trouve ses limites dans le postulat de proximité qui le sous-tend. En effet, le modèle suppose que la pause précédant une unité soit le moment de traitement de cette unité. Or, il est tout à fait concevable que ce moment puisse concerner une autre unité située en amont (relecture, évaluation, révision du texte) ou en aval (anticipation de la fin du texte). De même, cette pause peut concerner des unités différentes de celles attendues à cette localisation. Ainsi, comme le rapportent D. Chesnet et D. Alamargot (op. cit.), une pause au sein d’un mot peut être particulièrement longue (plus de 80 secondes dans un protocole recueilli). Plus encore, l’analyse de l’exploration visuelle du rédacteur au cours de cette pause montre qu’il ne s’agit pas d’une simple contrainte de transcription, mais de l’engagement du rédacteur dans une réflexion plus large et dans des traitements Langages 177 15 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Sur le plan expérimental, des travaux recourant à des indicateurs chronométriques ont été entrepris pour évaluer (i) l’allocation des ressources (techniques de la double et triple tâche (Piolat, Olive, Roussey, Thunin & Ziegler 1999 ; Olive 2004)) et (ii) la durée des pauses et débits (techniques d’analyse vidéo (Chanquoy et al. 1990 ; Foulin & Fayol 1988)) et d’enregistrement par tablette à digitaliser (Chesnet, Guillabert & Espéret 1994)). Traitement des contraintes de la production d’écrits contrôlés de plus hauts niveaux comme la (re-)lecture du texte en cours et la consultation des éléments de la source documentaire à partir de laquelle le texte est produit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin On peut penser que le décalage reste faible pour les traitements de bas niveaux comme ceux de la graphomotricité ou de certaines opérations orthographiques. Le rédacteur a intérêt à opérer rapidement et de façon concomitante à la production certains traitements sous couvert de devoir maintenir longtemps en mémoire de travail le produit. L’exécution des programmes moteurs, le calcul ou la récupération des formes orthographiques lexicales, gagnent à être opérés sur le champ. Des décalages ont été rapportés dans le cas de l’orthographe grammaticale qui implique parfois une distance et donc une temporalité plus longue entre les unités concernées. D. Alamargot et al. (2006), en enregistrant les mouvements oculaires du rédacteur au cours de la production d’un texte procédural, montrent que la correction d’un accord du participe passé peut être effectuée en deux temps séparés : (i) la détection de l’erreur sur le mot « n » est effectuée parallèlement à l’écriture d’un mot « n+5 » (saccades régressive sur le mot « n » depuis le mot « n+5 ») alors que (ii) l’édition proprement dite de l’erreur repérée (et probablement corrigée mentalement) est reportée dans le temps, jusqu’à la fin de l’exécution du mot « n+5 ». Ce principe de traitement différé, ici mis en évidence au niveau grammatical, semble pouvoir être étendu aux traitements de plus haut niveau, notamment lorsqu’il s’agit de gérer les unités textuelles (anaphores, cohésion) et d’élaborer le contenu du texte. Il est concevable que la potentialité et l’empan de dissociation temporelle entre localisation physique et traitement opéré s’accentue avec l’abstraction des unités traitées. C’est à ce niveau que la conception des différentes strates temporelles de l’activité – évoquée plus haut dans le cas d’une conception linguistique – peut être intéressante, dans le cas de la psychologie cognitive, pour comprendre le décours temporel des traitements de plus haut niveau, notamment les traitements sémantiques et l’établissement de la cohérence du texte. Cette dissociation entre la localisation de la pause dans le texte et la nature des unités textuelles qui font l’objet de ce traitement rend l’interprétation des pauses délicate. Cela suppose d’aborder avec prudence l’interprétation des durées de pause, en veillant à compléter cet indice par d’autres indicateurs complémentaires comme la qualité des textes, les protocoles verbaux ou encore d’autres indicateurs en temps réel comme les temps de réactions ou les mouvements oculaires (Chesnet & Alamargot 2005). Sur ce dernier point, recourir à l’analyse 16 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Ainsi, si le modèle hiérarchique a une certaine validité statistique (il est vrai qu’en moyenne, la durée des pauses suit la hiérarchie des unités), les exceptions dans la distribution des pauses soulèvent la question de la temporalité de la production et des décalages, dissociations entre localisation physique des pauses (relativement au message écrit) et localisation mentale des traitements réalisés durant ces pauses. Cette dissociation n’est probablement pas de même ampleur selon les processus engagés et les unités traitées. Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Finalement, les différences de temporalité entre les phénomènes mentionnés – l’acte graphique, le déroulement linéaire du texte, la chronologie du signifié, l’activité cognitive du rédacteur – interdisent que l’on considère la production verbale écrite comme un simple flux unidirectionnel. Métaphoriquement, on pourrait représenter la production du texte comme un ensemble de plaques correspondant à chacun des phénomènes en jeu et glissant l’une sur l’autre à des vitesses différentes. Sur le plan cognitif, cette métaphore a été décrite et formalisée à travers le modèle de traitement dit « parallèle distribué », « en cascade » ou encore « incrémentiel » (Clark & Clark 1977 ; Daneman & Green 1986 ; Kempen & Hoekamp 1987 ; Kempen & Huijbers 1983 ; Levelt 1989 ; Power 1986). Selon une conception modulaire des traitements, les processus s’engagent forcément dans le temps de façon successive (l’un attend le produit de l’autre pour s’enclencher : l’exécution attend le produit de la formulation qui attend le produit de la planification, etc.) et récursive (cette séquence de traitement est réitérée autant de fois que le nécessite la production). Pour maximiser la vitesse de production, et si, comme nous l’avons envisagé plus haut, la capacité le permet, les processus peuvent s’engager parallèlement. Dans ce cas, l’attente par un processus du produit de l’autre suppose que ces processus traitent parallèlement des unités différentes. Ainsi, le processus de planification élabore une portion du contenu sémantique qui est transmise au processus de formulation. Pendant que celui-ci encode ce contenu, le processus de planification peut d’ores et déjà traiter en parallèle la portion suivante du contenu sémantique. Selon ce principe, une unité donnée est traitée séquentiellement, mais les trois processus traitent simultanément trois unités différentes. Ce mode de traitement permet de concevoir plusieurs temporalités simultanées au cours de l’activité, associées à des unités et traitements différents. Ce fonctionnement en strates temporelles – caractérisées par des différences de rythme, d’empan et d’unités – explique que la production d’écrit est soumise à des rétroactions et des anticipations, lesquelles s’exercent sur des objets d’échelles différentes, allant du fragment de texte à la simple unité linguistique, et avec des « grains de traitements ou de représentations » différents. 3. UN AGENT DE LA DYNAMIQUE DE LA PRODUCTION TEXTUELLE : L’INFLUENCE DU TEXTE DÉJÀ PRODUIT SUR LA GENÈSE DU TEXTE À VENIR Si l’on considère les différentes temporalités de l’activité rédactionnelle, et notamment les plus larges, le texte tel qu’il peut être saisi à un moment donné s’ancre Langages 177 17 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin des mouvements oculaires du rédacteur au cours de son activité, notamment des fixations oculaires sur le texte préalable, peut être un moyen de comprendre comment l’information alors prise sera maintenue et utilisée plus tard, avec une temporalité large. Nous revenons sur cette question en conclusion. Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin toujours dans un texte préalable. Celui-ci est plus ou moins distant du moment observé : – d’une part, conformément aux mécanismes d’intertextualité et d’interdiscursivité bien étudiés par ailleurs (Bakhtine 1979 ; Genette 1982), chaque texte se nourrit des discours et des textes reçus antérieurement par le scripteur, et plus encore, des textes que lui-même a produits. Nul doute que le travail d’élaboration d’un texte renforce en retour les connaissances du domaine relatif à ce texte et ancre en mémoire les formes discursives utilisées ; – d’autre part, au cours-même de la production d’un texte, il se produit un phénomène du même ordre que celui qui relie un texte à ses prédécesseurs. Le texte en cours exerce une sorte d’intertextualité interne qui fait que la partie de texte déjà produite influe sur le texte à venir et restreint l’espace de liberté offert, au fur et à mesure de sa propre génération (Alamargot, Chanquoy & Chuy 2005). Ce phénomène peut non seulement être décrit du point de vue des mécanismes de textualisation, mais peut aussi être mis en évidence expérimentalement par l’observation des scripteurs et l’analyse des textes. 3.1. Le préalable dans la textualisation La textualisation peut être analysée sous trois angles : celui des opérations langagières telles que définies par J.-P. Bronckart (1996), celui des mécanismes de cohésion et de structuration au moyen desquels s’organise le tissu textuel et, enfin, celui des matériaux linguistiques mis en œuvre. Chacun de ces éléments prend racine dans les expériences langagières que le scripteur partage avec la communauté culturelle ou qu’il a vécues en propre. En particulier, la substance linguistique qu’il s’agira d’agencer et de tisser s’offre non pas comme un matériau inerte, mais plutôt comme un substrat déjà marqué par des propriétés intrinsèques ou acquises qui exercent une influence sur ses usages possibles. On peut regrouper en deux grands ensembles les phénomènes qui affectent les matériaux mis à disposition du scripteur, et qui, par voie de conséquence, déterminent en partie leur survenue et leur enchaînement au cours de la textualisation. – Les phénomènes relevant de représentations collectives, de doxas culturelles, ou d’ordre socio-discursifs comme ceux étudiés par M.-A. Paveau (2006) à propos de ce qu’elle appelle les prédiscours. Il s’agit là d’un ensemble de déterminations procédant des usages sociaux du langage qui font que les unités linguistiques véhiculent des schèmes d’interprétation du monde et convoquent avec elles spontanément des univers sémantiques qui, à leur tour, s’actualisent dans des réseaux lexicaux disponibles. Autrement dit, lors de la production d’écrit, la convocation d’un lexème tire avec elle un ensemble de représentations et de mots associés qui vont pouvoir participer de la genèse du texte à venir. Pour la psychologie cognitive, les associations lexicales constituent le plus souvent des expériences partagées (Ferrand 2001). Du point de vue de la génétique des textes, il a été observé que des auteurs comme Stendhal, Valéry ou Perec recouraient à l’artifice heuristique que constitue l’écriture de listes de mots 18 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Traitement des contraintes de la production d’écrits Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin qui d’une part s’auto-engendrent et d’autre part activent des schèmes associatifs ou des réseaux mémoriels. Outre l’écriture de listes, d’autres procédés ne présentant pas le même caractère de systématicité mettent également en œuvre des mécanismes du même ordre, mais cette fois au fil de l’écriture, et, en particulier, le recours aux isotopies que A.-J. Greimas (1970) définit comme des ensembles redondants de catégories sémantiques qui rendent possible la lecture uniforme d’un récit en assurant sa cohérence. – Les phénomènes d’ordre structurel grâce auxquels la langue met à disposition du scripteur des configurations lexicales et syntaxiques déjà constituées. Ce qui distingue cette catégorie de la précédente, c’est le fait que les éléments qui la composent sont envisagés du point de vue du signifiant et non de celui du signifié ou de leur interprétation. Et, à l’intérieur de cette catégorie, ce qui différencie entre eux les éléments qui s’y trouvent regroupés, ce n’est pas tant leur ampleur que leur plasticité. Ainsi, la langue offre au scripteur non seulement des patterns syntaxiques, mais aussi des expressions déjà constituées dont le degré de figement peut être évalué en fonction du blocage des propriétés transformationnelles (Gross 1996), ainsi que des associations préférentielles, les collocations. Les expressions figées sont perçues comme constituant une entité sémantique unique (G. Gross parle à ce sujet d’opacité sémantique) tandis que les collocations autorisent des interprétations différentielles de chacun des segments qui la composent (Tutin & Grossmann 2002). Ces phénomènes concernant les matériaux linguistiques sont donc à rapprocher de ceux concernant la structuration du texte ; de même que les scripteurs ont à leur disposition des schémas textuels virtuels qui s’organisent en des macropropositions sémantiques, il leur est offert, parmi les matériaux linguistiques disponibles, des structures et des chaînes déjà formées, lesquelles vont se trouver activées au fur et à mesure de la production de texte. D’un scripteur à l’autre, la palette des matériaux disponibles n’est probablement pas similaire. Elle est sans doute issue des expériences lectorales du rédacteur ainsi que de ses diverses expériences de production. Ainsi, les textes déjà produits par chaque scripteur organiseraient les éléments langagiers mis à disposition, en donnant du relief à ceux qu’il a employés et en prédéterminant ainsi en partie ses choix à venir. Le même phénomène peut être conçu à l’échelle temporelle, plus restreinte, de la rédaction. L’on peut penser que ce qui a été activé au début de la textualisation acquiert une prégnance qui le rend immédiatement disponible pour l’écriture de la suite du texte. Il est possible que les patterns syntaxiques, les configurations sémantiques, les modes de représentation, les procédés rhétoriques initiaux soient constamment remobilisés au long de la production du texte, contribuant à le rendre homogène. Force est de constater que cet aspect reste encore peu connu sur le plan linguistique et ne semble pas encore avoir fait l’objet d’observation systématique par la psychologie cognitive. Langages 177 19 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle Traitement des contraintes de la production d’écrits Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin La production du texte s’opère sur deux plans : il s’agit d’une part de la génération d’un tissu linguistique qui s’offrira à la lecture, d’autre part de la construction de l’objet de discours, l’un et l’autre étant en interdépendance. Au fur et à mesure que le texte s’incrémente, il détermine les caractéristiques de l’objet dont il traite et délimite donc, de plus en plus précisément, l’aire ouverte à l’invention. Ainsi, dans la production d’un récit, le développement de l’histoire amène l’auteur à caractériser progressivement les personnages qu’il crée, ce qui détermine graduellement quels sont les actes que la fiction pourra représenter sans mettre en péril la cohérence psychologique des personnages créés. Il y a donc, au cours de la genèse du texte, une programmation du contenu représentationnel qui s’élabore et restreint les marges de liberté offertes pour la suite du texte. La question est de déterminer si ce mécanisme joue un rôle heuristique ou au contraire stérilisant. Il arrive que l’on dispose d’un témoignage éclairant, comme celui de Beaumarchais qui, dans la préface du Mariage de Figaro, écrit à propos de ses personnages : « quand ils sont bien animés, j’écris sous leur dictée rapide, sûr qu’ils ne me tromperont pas [...] ». Chez Zola, cette réduction progressive des degrés de liberté de l’écriture romanesque s’opère dans le cadre des ébauches qui précèdent les romans. À l’aide d’énoncés qui ne sont pas sans rappeler les protocoles verbaux utilisés par les psychologues, Zola y teste la cohérence du caractère et du comportement de ses personnages, non seulement dans le cadre du roman qu’il s’apprête à écrire, mais aussi dans celui, plus global, des autres romans, déjà écrits ou projetés, qui constituent l’ensemble des Rougon-Macquart (Grésillon 2002). Dans d’autres cas, c’est l’observation du manuscrit qui apporte l’information souhaitée. Ainsi, les manuscrits de Sartre font apparaître de longs développements (qui ont été ensuite raturés tout en restant lisibles) au cours desquels les personnages ont acquis une épaisseur psychologique qu’ils conserveront même une fois le texte supprimé. Une autre méthode, propre à la démarche expérimentale ou à l’observation contrôlée, consiste à observer ou interroger le rédacteur. La psychologie cognitive a eu ainsi recours aux protocoles verbaux et à l’observation fine des différents produits de l’activité (différents brouillons, etc.) pour comprendre comment le rédacteur résolvait ce qui est alors conçu comme un problème rédactionnel. L. Flower, K. Schriver, L. Carey, C. Haas et J. R. Hayes (1989) ont montré que le rédacteur expert était capable d’une planification dite « constructive » permettant de s’adapter aux différentes contraintes rédactionnelles en les surmontant, tout au long du texte. Le processus de planification permet de circonscrire le contenu relativement tôt dans l’acte d’écriture (voire même avant l’acte d’écriture). Si, comme le remarque R. T. Kellogg (1990), planifier limite la créativité, le processus n’en a pas moins l’avantage de réduire l’espace-problème et de réduire les contraintes cognitives à défaut de promouvoir l’invention. En divisant la durée de rédaction en trois parties égales, R. T. Kellogg (1987b, 1988) a montré 20 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin 3.2. Le resserrement des possibles Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Le poids du texte préalable et de ses contraintes sémantiques serait ainsi plus fortement marqué dans le cas d’une rédaction peu planifiée, relevant d’un mode de composition « romantique », consistant à créer-stabiliser le texte au fur et à mesure des phases d’écriture et de révisions (Elbow 1981 ; Hay 2002 ; Wason 1980). Comme le soulignent D. Alamargot et J.-L. Lebrave (2009), l’espace de résolution est ici particulièrement ouvert et la progression dans le texte nécessite de s’appuyer pleinement sur le texte préalable (processus bas-haut) à défaut d’être guidée par un plan sur-ordonné (processus haut-bas). La question ici encore est de pouvoir apprécier comment le rédacteur s’appuie sur le texte préalable pour développer le texte à suivre. Il est nécessaire, pour ce faire, de recueillir des informations portant à la fois sur la manière dont le scripteur procède techniquement pour assurer la textualisation, sur l’élaboration progressive et conjointe du tissu textuel et du contenu référentiel du texte et sur les contraintes que le texte déjà produit exerce sur le texte à venir. Recueillir les mouvements oculaires du rédacteur au cours de l’écriture, et notamment lors de la poursuite d’un texte, doit permettre de rendre compte de la façon dont les informations sémantiques et linguistiques du texte préalable sont lues pour être réexploitées (citation, transformation ou création), et selon quelle temporalité (reprise immédiate ou différée). 3.3. Eye and Pen : un dispositif expérimental pour l’observation des mouvements oculo-graphomoteurs des rédacteurs Le dispositif Eye and Pen (Alamargot, Chesnet, Dansac & Ros 2006 ; Caporossi, Alamargot & Chesnet 2004 ; Chesnet & Alamargot 2005) a été mis au point pour enregistrer simultanément et de façon synchrone les activités oculaires et graphomotrices du rédacteur. Le dispositif requiert l’utilisation d’un oculomètre (enregistrement des mouvements oculaires : saccades, fixations) et d’une tablette à digitaliser (pour enregistrer les mouvements graphiques – coordonnées, pression et temporalité du stylo). Connectés à un ordinateur, les deux systèmes de recueils sont pilotés par le logiciel Eye and Pen qui assure l’enregistrement puis l’analyse (codage) des deux signaux numérisés. Adapté à l’écriture manuscrite, ce dispositif permet d’analyser l’activité oculaire du rédacteur (les informations fixées, l’exploration saccadique) pendant les périodes de pauses d’écriture et de tracé. Ce dispositif représente une évolution marquante des outils d’analyse de l’écriture en temps réel. Il permet, d’une part, de compléter l’analyse de Langages 177 21 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin qu’un plan préalable réduisait le coût de la génération du contenu au cours de l’écriture et permettait au rédacteur d’améliorer la formulation, conduisant à des textes jugés de meilleure qualité. On peut rapprocher cette observation de la pauvreté – a priori surprenante – des dossiers génétiques de Zola en brouillons et l’expliquer autrement que par la destruction de ceux-ci : la confection de plans préalables détaillés permet sans doute à un grand professionnel de l’écriture romanesque de formuler directement, et pratiquement sans ratures, le texte du manuscrit qu’il donnera à l’imprimeur. Traitement des contraintes de la production d’écrits Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Relativement aux questions soulevées ici de temporalité de la rédaction et d’impact du texte préalable, le dispositif Eye and Pen représente d’évidence un outil d’investigation précieux. Il permet d’identifier (i) quelle information est prise dans le texte préalable, (ii) à quel moment de la production cette information est prise, (iii) à quel moment de la production elle est restituée dans le texte à venir et (iv) à quel rythme elle est restituée. L’analyse temporelle fine autorisée par le logiciel (de l’ordre d’une information toutes les 10 millisecondes) devrait permettre de préciser les différentes strates temporelles dans lesquelles les différentes unités considérées sont impliquées. Les premières recherches effectuées avec le dispositif Eye and Pen ont confirmé le pouvoir heuristique du dispositif. Il a été possible de préciser des phénomènes temporels encore peu connus (notamment relatifs aux temps de pauses) et de mettre en évidence des phénomènes temporels jusque-là inédits (relatifs notamment aux traitements parallèles – pour une synthèse, cf. Alamargot, Dansac, Ros & Chuy 2005). Ainsi, en demandant à des rédacteurs adultes de rédiger une consigne de montage à partir d’une source documentaire (montage d’une maquette de turbine), D. Alamargot, C. Dansac, C. Ros et D. Chesnet (2004) ont montré que la durée moyenne des pauses les plus longues relevées au cours de la composition (c’est-à-dire les pauses correspondant au 10e décile de la distribution de l’ensemble des pauses) était plus élevée chez les rédacteurs à fort empan de mémoire de travail que chez les rédacteurs à empan faible. Ce résultat d’apparence contre-intuitif (il était attendu que les rédacteurs à empan fort traitent plus vite les informations et effectuent des pauses plus courtes) s’explique en réalité par le fait que les rédacteurs à empan fort mènent une activité d’exploration de la source documentaire plus approfondie et plus variée, encodant plus d’informations pendant les pauses alors plus longues. La conséquence est que les textes produits par ces rédacteurs comportent plus de détails et que le contenu sémantique est plus développé (en termes d’attributs mentionnés). Dans une autre analyse issue de la même expérimentation, D. Alamargot, C. Dansac, C. Chesnet et M. Fayol (2007) ont évalué dans quelle mesure l’empan de mémoire de travail, l’expertise dans le domaine, la fluidité de récupération lexicale et l’automatisation graphomotrice contribuaient respectivement à la mise en œuvre de traitements parallèles à la réalisation du tracé, au cours de la rédaction. Dans le contexte d’une rédaction à partir de sources, un traitement parallèle peut être défini chaque fois que le crayon poursuit son activité (écriture) alors que des prises d’informations oculaires sont réalisées sur le texte en cours ou sur la source documentaire à une distance du crayon dépassant l’empan de vision parafovéal (notamment plus de 6◦ dans le cadre de cette expérience). En d’autres termes, le 22 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin pauses et débits par un indicateur oculaire supplémentaire et, d’autre part, de mettre en relation la sortie de l’activité (le graphisme) avec l’une des entrées de cette activité (ici les informations lues dans l’environnement de la tâche : source documentaire, incipit, texte préalable...). Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin 4. CONCLUSION Interprétées avec les concepts de la psychologie cognitive, les données chronométriques issues de Eye and Pen méritent évidemment d’être soumises au regard complémentaire de la linguistique. La finesse et la richesse des observations temporelles rendent possible la réalisation d’études monographiques (à partir de la production d’un seul rédacteur), mettant l’accent sur les opérations linguistiques qui servent alors de cadre interprétatif aux données temporelles. Sur le plan épistémologique, la méthode expérimentale associée à l’approche cognitive de la production de texte suppose de conduire des études auprès d’échantillons représentatifs de scripteurs, rédigeant des textes différents dans différentes conditions. L’objectif de la psychologie cognitive n’est pas de décrire l’activité rédactionnelle dans sa globalité et sa diversité, mais de comprendre le fonctionnement des processus mentaux impliqués dans cette activité. L’enjeu consiste donc à réunir les conditions (le plus souvent expérimentales) pour que les processus dont l’étude est visée se manifestent et que leurs effets soient mesurés. Ce ne sont donc pas les différentes dimensions du texte et/ou du rédacteur qui guident l’analyse, mais la question posée qui détermine les dimensions du texte et/ou du rédacteur qui sont analysées. Face à la complexité de l’activité rédactionnelle, la psychologie cognitive a le plus souvent choisi d’étudier les différents processus et niveaux de traitements en les isolant pour limiter leurs interactions et pouvoir en comprendre le fonctionnement intrinsèque. C’est ainsi que les recherches sur la production écrite de mots isolés, de phrases et de courts textes peuvent contribuer à la compréhension de la complexité de l’activité rédactionnelle (Fayol 2002). Dans ce contexte, l’étude du comportement des écrivains est pertinente pour la psychologie cognitive car elle offre l’opportunité de préciser les stratégies expertes (Alamargot & Lebrave 2009). La difficulté réside toutefois dans la méthode d’investigation. La singularité de l’écrivain conduit à effectuer des analyses quantitatives et qualitatives des performances d’un seul individu – Langages 177 23 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin scripteur poursuit son écriture « en aveugle » alors qu’il traite des informations nouvelles, non directement liées au point d’inscription. Les résultats montrent que ces séquences parallèles sont relativement nombreuses, représentent 10 % du temps de tracé et durent environ 500 ms. Le point important est que la fréquence d’apparition et la durée de ces séquences dépendent en partie des capacités mémorielles des rédacteurs. De plus fortes capacités (fort empan de mémoire de travail, meilleure automatisation graphomotrice et meilleur accès lexical) conduisent à effectuer des séquences parallèles plus longues. De plus faibles capacités conduisent, en revanche, à effectuer des séquences parallèles plus fréquemment terminées par des pauses d’écriture ; de moindres capacités conduisant ainsi le rédacteur à opérer une mise en œuvre séquentielle des traitements (durant la pause) à défaut de maintenir des traitements parallèles. Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin considéré comme un « super expert ». Cette absence de généralisation possible des résultats à une population parente ne doit cependant pas conduire à rejeter ces observations et le principe de leur recueil. L’observation d’un individu est également une méthode utilisée par la psychologie cognitive, notamment lorsqu’il s’agit de modéliser les processus mentaux complexes. Cette méthode, développée par A. Newell et H. A. Simon (1972) dans le cadre des études sur l’intelligence artificielle, est toujours d’actualité. Elle permet de formaliser puis de simuler informatiquement de nombreux comportements comme le raisonnement, la résolution de problèmes (Salvucci & Anderson 2001) ou encore certaines activités de lecture-compréhension (Anderson, Budiu & Reder 2001). L’approche cognitive de la production de texte est elle-même issue de ce courant. Le modèle de J. R. Hayes et L. S. Flower (1980) a été élaboré à partir des verbalisations d’un seul rédacteur produisant un texte argumentatif. À cette époque des recherches en production de textes, le modèle s’est avéré suffisamment heuristique pour repousser la question de sa généralisation. L’étude des stratégies rédactionnelles d’un écrivain revient à adopter à nouveau la démarche de modélisation des années 1980, mais avec la grille d’analyse théorique des modèles de deuxième génération et la richesse des données issues des nouvelles méthodes d’analyses en temps réels. Nous pensons que cette démarche devrait être entreprise pour mieux comprendre en retour les stratégies des rédacteurs professionnels et, par extension et comparaison, des apprenants rédacteurs. Outre ces questions épistémologiques, se posent des problèmes méthodologiques. Le rapprochement des deux disciplines autour d’un même objet nécessite l’ajustement des deux méthodes d’investigations « off-line » et « on-line ». Un effort méthodologique est à fournir pour allier une analyse détaillée des opérations linguistiques en jeu dans l’établissement du texte à venir en fonction du texte en cours à une description temporelle recourant à des paramètres relativement fins comme les pauses, débits et mouvements oculaires. Il est nécessaire d’apprécier la temporalité du texte aussi bien sur le plan linguistique (sémantique, grammatical, lexical) que sur le plan chronométrique. Par exemple, les variations dans le flux de la production (pause, débits) gagnent probablement à être considérées au regard du relevé des traces linguistiques et/ou graphiques qui permettent (ou non) de repérer des ruptures, des variations dans le mode de textualisation. Ainsi, une interruption chronométrique dans la production peut être observée sans forcément que celle-ci soit associée à une modification de la génération du texte ou de son contenu référentiel. C’est le cas par exemple de Kafka qui s’est trouvé interrompre la rédaction d’un texte et l’a reprise sans qu’on puisse déceler de marques linguistiques ou sémantico-référentielles de cette rupture. En revanche, et à l’inverse, il est possible que la variation du flux puisse se traduire par des phénomènes linguistiques observables. Ainsi, à un niveau local, sur le plan syntaxique, les anacoluthes en tant qu’elles constituent des ruptures de construction involontaires et, sur le plan sémantico-référentiel, les changements d’isotopies seraient par exemple de bons indices pour apprécier les perturbations du rythme de l’inscription de la trace graphique sur le support. 24 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Traitement des contraintes de la production d’écrits Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_aixmarseille2 - - 139.124.178.89 - 19/11/2011 10h06. © Armand Colin Références ACHARD-BAYLE G. (2006), « Textes/discours et Co(n)textes. Entretiens avec Jean-Michel Adam, Bernard Combettes, Dominique Maingueneau, Sophie Moirand », Pratiques 129-130, 20-49. ALAMARGOT D. & CHANQUOY L. 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Pourquoi et dans quelle mesure le rédacteur se doit de maintenir en suspens une information avant de l’utiliser est sans doute l’une des clés de la compréhension des strates temporelles de la rédaction et de l’influence immédiate ou retardée du texte en cours. Traitement des contraintes de la production d’écrits BERNINGER V. W. & SWANSON H. L. (1994), “Modifying Hayes and Flower’s model of skilled writing to explain beginning and developing writing”, in E. C. Butterfield (ed.), Advances in cognition and educational practice, Vol. 2 – Children’s writing: Toward a process theory of development of skilled writing, Greenwich (CT): JAI Press, 57-82. BERNINGER V. W., WHITAKER D., FENG Y., SWANSON H. L. & ABBOTT R. D. (1996), “Assessment of planning, translating and revising in junior high writers”, Journal of School Psychology 34-1, 23-52. BOIE B. & FERRER D. 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