Langues, textes et enjeux de traduction dans la

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Langues, textes et enjeux de traduction dans la
Université de Paris X – Nanterre
UFR de Littérature, Langages et Philosophie
MINI-MEMOIRE DE MASTER II
HISTOIRE ET ACTUALITÉ DE LA PHILOSOPHIE
Anna SVENBRO
LANGUES, TEXTES ET ENJEUX DE TRADUCTION
DANS LA CORRESPONDANCE LEIBNIZ-CLARKE
Mini-mémoire préparé dans le cadre du séminaire secondaire du Pr. Jean Seidengart
intitulé « Le système du monde au siècle de Newton (science et philosophie) et ses
reconstructions rationnelles »
Année universitaire 2006-2007
1
Avertissement
Toute reproduction, même partielle, de ce document, doit obligatoirement inclure une
référence précise à son auteur, telle que mentionnée ci-dessous :
Auteur :
Anna Svenbro
Référence :
Mémoire universitaire, Université de Paris X - Nanterre, janvier 2007.
2
Introduction
Parmi les correspondances savantes, la série de cinq écrits envoyés entre 1715 et 1716 par
Leibniz à la Princesse Caroline de Hanovre pour Samuel Clarke, et auxquels font écho cinq
réponses de Clarke, passée à la postérité sous le nom de Correspondance Leibniz-Clarke,
occupe une place de choix, certains commentateurs venant à la considérer comme l'échange
épistolaire le plus célèbre du début du dix-huitième siècle1. Ayant pour cadre l'âpre querelle
opposant Newton et ses épigones d'une part, et le bibliothécaire de Hanovre d'autre part, cette
correspondance dépasse la dimension personnelle de la guerre entre les deux philosophes, elle
n'est « pas un simple choc entre deux vanités blessées »2 par la question de la priorité de
l'invention du calcul infinitésimal, ou la publication d'écrits polémiques de plus ou moins
mauvaise foi par les membres de tel ou tel camp : elle est certes placée sous le signe de la
confrontation, mais on se place cette fois-ci dans le domaine du débat d'idées. La
correspondance entre Leibniz et Clarke traite en effet non seulement de problèmes
métaphysiques fondamentaux (tels que l'immensité et l'éternité divines, la relation de Dieu au
monde, de l'âme au corps, le libre arbitre, le principe de raison suffisante, la nature de
l'espace, du temps et des miracles) mais encore de questions à orientation plus scientifique
(comme celles de la nature de la matière, de l'existence des atomes, du vide, de la taille de
l'univers, de la nature du mouvement).
Quoique le caractère épistolaire de l'échange donne d'emblée à celui-ci une souplesse et une
liberté que l'on ne pourrait pas retrouver dans le cadre d'un essai, d'un discours, ou d'un traité
ordonné, studieux et didactique, il ne faut donc pas se méprendre sur la nature d'un échange
qui, aux yeux d'André Robinet, constitue le dernier volet de la « trilogie philosophique »3
leibnizienne, d'une importance égale aux Principes de la nature et de la grâce et à la
Monadologie, où, peut être, « seules les personnes très érudites (ou très téméraires) osent
entrer »4! Cependant, le monument que constitue la Correspondance Leibniz-Clarke a été
l'occasion d'un certain nombre d'études, les premières mettant l'accent sur l'interrogation de la
1
Cf. VAILATI, Ezio, Leibniz and Clarke, A Study of Their Correspondence, p.4.
KOYRÉ, Alexandre, COHEN, I. Bernard, “The Case of the Missing Tanquam: Leibniz, Newton & Clarke”,
Isis, Vol. 52, No. 4 (décembre 1961), p. 555. (C'est nous qui traduisons.)
3
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, p. 1.
4
“Only the very learned (or the very foolhardy) dare to enter upon this great killing ground of the history of
ideas.” SHAPIN, Steven, “Of Gods and Kings:Natural Philosophy and Politics in the Leibniz-Clarke Disputes”,
Isis, Vol. 72, No. 2 (juin 1981), p. 187. (C'est nous qui traduisons.)
2
3
controverse en elle-même et de la découverte de données inédites, les suivantes, sur
l'interprétation de données déjà connues et sur le contexte historique, social et politique5.
A cet égard, une étude de la Correspondance Leibniz-Clarke sur le plan linguistique et
traductologique nous a paru intéressante, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, le
multilinguisme de cet échange épistolaire a été assez peu étudié. Or, les deux protagonistes de
cette correspondance constituent des exemples parfaits de cette Europe savante des Temps
Modernes, infiniment plus polyglotte que la nôtre, où les langues doctes (latin, grec, hébreu)
cohabitaient avec les langues nationales lettrées (français, italien, espagnol, et enfin anglais)
et une myriade de dialectes, de langues et de parlers régionaux. Dans un tel contexte, pour
l'Allemand Leibniz, qui loue la langue de Luther mais écrit en latin et en français6, et pour
l'Anglais Clarke, traducteur en latin de l'Opticks de Newton, auteur d'une editio princeps
bilingue (anglais et français en regard) de sa correspondance avec Leibniz, l'écriture est, du
moins en partie, placée sous le signe du multilinguisme. Pourtant, il serait erroné de voir dans
le multilinguisme de la Correspondance Leibniz-Clarke un patchwork de langues dont l'usage
varie au gré de la fantaisie des épistoliers : l'usage de telle ou telle langue dans la
correspondance obéit à des règles précises, il est tributaire du statut de la personne à laquelle
on s'adresse et de la communauté linguistique dans laquelle les écrits sont destinés à être lus et
commentés : par exemple, Leibniz s'adresse à la princesse Caroline de Hanovre et donc à
Clarke dans la langue en usage à l'époque dans les cours d'Europe : le français. Quant à
Clarke, il répond à Leibniz, via Caroline (également princesse de Galles), dans la langue
vernaculaire de son pays, et dont l'usage commence à s'étendre sur le Continent : l'anglais.
Cependant, l'omniprésence des langues modernes dans la Correspondance Leibniz-Clarke ne
doit pas abuser : les pommes de discorde, les textes newtoniens, qui fondent les arguments,
les objections des deux épistoliers, sont des textes en latin, soit que le latin ait été leur langue
originale (comme dans le cas des Principia Mathematica Philosophiae Naturalis) soit qu'il ait
été une langue de traduction afin d'en faciliter la diffusion (comme dans le cas de l'Opticks
traduite en Optice par Clarke, cette dernière traduction étant la source de Leibniz). Une partie
de la controverse entre les deux hommes va se nourrir de cette interférence entre véhiculaire
et vernaculaire, mais pas seulement. Le problème de l'emploi du terme sensorium Dei dans la
Correspondance Leibniz-Clarke constitue à cet égard une étude de cas très intéressante. En
5
"The recent intense concern with these controversies means that we can no longer reasonably expect the
discovery of significant new facts. The emphasis has shifted to interpreting what is already known about these
episodes and the setting in which they occurred." SHAPIN, Steven, Ibid.
6
cf. BELAVAL, Yvon, « Leibniz et la langue allemande », in Etudes leibniziennes, de Leibniz à Hegel, pp. 2536.
4
effet, certains passages de l'Optice traitant de la question sont en butte aux objections de
Leibniz. Or, Clarke les traduit en anglais et les explicite de manière curieuse et cette
traduction se fonde sur un texte original pour le moins fluctuant selon les exemplaires. A
travers ces différences de traduction transparaissent donc peut-être une forme d'autocensure.
Aussi sommes-nous amenés à nous intéresser dans un premier temps au caractère d'emblée
multilingue de la correspondance Leibniz-Clarke : à travers tant les écrits de Leibniz et de
Clarke que les lettres échangées avec d'autres épistoliers dans le sillage de cette
correspondance, ce sont les changements du rapport de l'Europe savante à ses langues qui se
font jour (section 1). Si nous sommes ici face à une correspondance en langues modernes
destinée au domaine public en général et à un public non universitaire en particulier, la
prégnance de la langue véhiculaire traditionnelle, le latin, reste visible de manière détournée,
Leibniz et Clarke prenant très souvent appui sur des ouvrages écrits ou traduits en langue
latine, et exploitant leur double compétence linguistique en latin et en langue vernaculaire
pour défendre et illustrer leurs doctrines (section 2). Or, cette double compétence est peut-être
à l'origine d'un double discours, ou du moins de décalages ou de malentendus. Le cas de
l'expression latine sensorium Dei, dont il est fait mention tout au long de la correspondance,
en est la parfaite illustration : non seulement cette expression ne semble pas comprise de la
même manière par Leibniz et Clarke, mais encore le contexte de son usage est à géométrie
variable, selon qu'on se réfère à la Correspondance Leibniz-Clarke ou aux différentes éditions
des textes newtoniens, qu'il s'agisse de l'Opticks en anglais, ou de sa traduction latine par
Clarke (section 3).
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
Sauf indication contraire en note infrapaginale, on suivra le texte de la correspondance entre
Leibniz et Clarke dans l’édition établie par André Robinet. Elle restitue en effet les écrits de
Leibniz et Clarke ainsi que les échanges adjacents dans la variété de leurs langues originales.
5
Section 1 – Une correspondance multilingue
Introduction
Si la série des cinq écrits en français de Leibniz à laquelle s'ajoutent les cinq réponses en
anglais de Samuel Clarke peut siéger de plein droit aux côtés de ses autres traités
philosophiques, si le dernier exposé que fait Leibniz de sa doctrine (l'échange avec Clarke
prend brutalement fin avec la mort de Leibniz le 14 novembre 1716) est remarquable par sa
profondeur et, comme le souligne André Robinet, voué à enrichir « les concepts porteurs de
ce qui deviendra la critique transcendentale »7 à la fin du siècle, et annonçant même la
critique relativiste de la mécanique newtonienne, on ne peut saisir totalement la vigueur
théorique et les enjeux de la Correspondance Leibniz-Clarke en la considérant de la même
manière qu'un écrit philosophique non épistolaire.
En effet, l'échange entre Leibniz et Clarke se fait jour dans le contexte d'une très violente
querelle entre Newton, ses partisans, et Leibniz, querelle où les coups bas pleuvent, et que l'on
veut faire cesser en haut lieu, ou du moins faire passer de la querelle de personnes au débat
d'idées. La princesse de Galles va en effet s'employer à servir d'intermédiaire entre Leibniz et
le newtonien Clarke pour réorienter la querelle vers une controverse philosophique, son rôle
dépassant celui de simple boîte aux lettres où de courroie de transmission des diverses
invectives, pour devenir celui de modératrice et d'arbitre du débat. Or, l'entremise de Caroline
de Hanovre dans la Correspondance Leibniz-Clarke en affecte non seulement la teneur, mais
aussi la présentation. C'est d'abord le cas des langues dans lesquelles sont écrits les divers
billets : il ne s'agit plus d'un échange polémique en latin entre deux savants et eux seuls. La
Correspondance Leibniz-Clarke est d'emblée marquée du sceau de la publicité, les écrits de
Leibniz et les réponses de Clarke sont destinés à être lus et discutés dans un milieu cultivé
mais non uniquement masculin et universitaire, à savoir l'entourage de la princesse, à la cour
d'Angleterre, où, à l'époque, l'usage du français coexiste avec celui de l'anglais.
Cette publicité fait donc prendre au multilinguisme un accent tout à fait particulier. En effet, à
travers l'usage du français par Leibniz et Caroline (tous deux allemands), de l'anglais par
Clarke, et du latin par le même Leibniz et les Bernoulli, on peut entrevoir la manière dont
7
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, quatrième de
couverture.
6
l'Europe savante et /ou cultivée envisageait son rapport aux langues, quelles étaient les
langues utilisées, pour quels usages et pour quelles communautés.
Il est donc intéressant de revenir dans un premier temps sur le contexte qui a initié la
correspondance entre Leibniz et Clarke et à faire une brève présentation des personnages
principaux impliqués dans cet échange épistolaire, avant de présenter les données proprement
linguistiques et de dégager les principales règles de fonctionnement de cette correspondance
polyglotte, qu'il s'agisse du bilinguisme français / anglais de la correspondance principale, ou
du multilinguisme des lettres adjacentes.
1 – Quelques points de repère : l’origine de la correspondance Leibniz-Clarke
Lorsque prend naissance l'échange épistolaire entre Clarke et Leibniz, la querelle entre ce
dernier et les newtoniens s'est sévèrement envenimée. Tendus depuis 1693, les rapports entre
Leibniz et Newton se dégradent sérieusement une première fois autour de la question de
savoir qui le premier a inventé le calcul infinitésimal ou méthode des fluxions. Mais c'est avec
le pamphlet publié en 1708 par un newtonien, Keil, avec l'aide de la Royal Society et surtout
la publication en 1712 d'un florilège d'écrits présentés par les newtoniens de manière à
discréditer Leibniz, le Commercium epistolicum, que la querelle entre Leibniz et les
newtoniens atteint un degré inédit de violence : « dans le but d'anéantir l'oeuvre et la pensée
leibniziennes, les newtoniens ne se contentent plus en 1715 d'attaquer les dates de ses écrits,
ses appartenances politiques, ni sa moralité; ils en viennent à ridiculiser sa philosophie. »8 Mis
aux abois par les attaques des newtoniens, Leibniz débusque « chicane et supercherie »9,
proteste vis-à-vis de ce qu'il considère de la part de la Royal Society comme un procès una
parte audita, comme en témoigne sa lettre du 28 avril 1714 adressée à Chamberlayne.
Leibniz fait alors part de ses plaintes, de ses craintes et de ses griefs à Caroline de Hanovre
(née d'Ansbach), devenue princesse de Galles du fait de l'accession de Georges Ier de
Hanovre au trône d'Angleterre. Personnage féminin le plus haut placé du royaume (l'épouse
divorcée de Georges Ier restant enfermée en Allemagne), elle possède un entregent
considérable, attesté par la réussite de ses intrigues pour l'élection de William Wake, évêque
de Lincoln, comme archevêque de Cantorbéry10. Amie et protectrice de Leibniz, lectrice
assidue de la Théodicée, elle est une femme d'une grande culture, au-delà de l'impression
8
Ibid. p. 13.
Ibid. p. 15.
10
BERTOLONI MELI, Domenico,"Caroline, Leibniz and Clarke", Journal of the History of Ideas, vol. 60, No.
3 (juillet 1999), p. 469.
9
7
laissée par son orthographe hasardeuse, par moments phonétiquement germanisée11, héritée
d'une enfance et d'une instruction chaotiques. Luthérienne fervente, elle tint autrefois tête au
père Orban, jésuite envoyé pour la convertir au catholicisme dans la perspective d'un possible
mariage avec l'archiduc Charles d'Autriche. Selon certains, Leibniz aurait voulu s'appuyer sur
le luthéranisme de Caroline afin de discréditer le newtonianisme comme hétérodoxe
(notamment sur la question de l'eucharistie)12. Mais Caroline n'est pas une nouvelle Catherine
de Lorraine au temps des attaques contre Galilée, et son luthéranisme ne l'empêche pas
d'entrer en relation en 1714 avec Samuel Clarke, pourtant déjà en butte à des accusations
d'arianisme depuis la publication de son Traité de la Trinité en 1712... Caroline va cependant
s'appliquer à neutraliser les cabales ourdies par les newtoniens. Pour elle,
« la querelle doit changer de terrain, remonter des faits historiques aux hypothèses
scientifiques, aux principes dont chaque système convient, le ton doit s'ennoblir, les
échanges se dépouiller de ces propositions revendicatrices et haineuses qui continuent
sournoisement à meubler la coulisse. »13
C'est la perspective d'une traduction de la Théodicée en anglais, évoquée dans une lettre de la
princesse de Galles à Leibniz du 3 novembre 171514, qui sert d'élément déclencheur. Le
traducteur, selon William Wake, pourrait être Clarke, newtonien, auteur des Boyle Lectures de
1704 et 1705, et en 1706 d'une traduction en latin de l'Optique de Newton. La princesse ne
croit pas donc « la chose en fort bonnes mains », Caroline voyant en la traduction un possible
vecteur de trahison de la pensée leibnizienne, et l'occasion pour les newtoniens de commettre
un second Commercium epistolicum. La réponse de Leibniz ne se fait pas attendre : celui-ci
accepte l'idée d'une traduction par Clarke, tout en ne nourrissant pas beaucoup d'illusions à cet
égard.
« Puisque V.A.S. Veut que ma Théodicée soit traduite en Anglois, cela sera fait et
j'écrirai à M. Clarc (s'il vouloit s'en charger) et s'il étoit assez maitre du francois pour cela
et homme assez honnete, tout amy qu'il pourroit etre de mon adversaire, pour s'en
11
« J'ay parlais ancore aujourdehuis avec l'eveque de Lincolme, pour la tratuction de votre theodice; il n'y a
persone capable de sela, a ce qu'il m'assure, que le docteur Clerque, don je vous ayee anvoyié des livre par
onhausen. Ce meme home et amie indime du chevalié Nuthon, et je ne crois pas la chose en fort bone mains. »
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, p. 21. André Robinet
remarque (p.2) qu'il s'agit d'« un français écrit comme un Allemand le parle. »
12
BERTOLONI MELI, Domenico, "Newton and the Leibniz-Clarke Correspondence ", in COHEN, I. Bernard,
SMITH, George E., The Cambridge Companion to Newton, pp. 457-458.
13
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, p. 2.
14
Cf. note 11.
8
acquitter comme il faut. Mais apparemment il n'y pensera pas et M. L'Eveque de Lincolm
(ce me semble) ne l'y fera point penser sans un ordre expres. »15
Or, le premier écrit de Leibniz qui suit cette lettre correspond à quelques variantes près au
paragraphe qui suit l'extrait cité plus haut de la lettre envoyée à Caroline. C'est en
communiquant à Clarke, dans le cadre d'un échange contradictoire avec le théologien anglais,
l'extrait de cette lettre qu'elle vient de recevoir de Leibniz (et qui n'était pas originellement
destinée à Clarke) que Caroline implique Clarke dans l'échange épistolaire16. La réponse de
Clarke fait le chemin exactement inverse, Caroline impliquant Leibniz dans un échange
originellement et prétendument entre Clarke et elle. Caroline fait donc office d'arbitre et de
modératrice du débat, en obligeant, à travers les réponses de Clarke, « une Société Royale, un
haut administrateur, un chapelain du Roi, à prendre un ton plus mesuré, à tenir compte des
répliques de l'adversaire »17.
2 – Les données linguistiques de la Correspondance Leibniz-Clarke et de ses lettres
adjacentes
Lorsque l'on considère les écrits échangés entre Leibniz et Clarke par l'entremise de Caroline
de Hanovre, la correspondance entre Leibniz et Caroline restée à leur destination exclusive
réciproque, ainsi que les lettres échangées par Leibniz avec d'autres membres de la
communauté scientifique de son temps, les uns partisans du newtonianisme, d'autres partisans
de ses propres thèses, d'autres encore ayant, comme l'abbé Conti, le statut de « caméléon »18,
on peut établir une première série de constats quant à la distribution des langues dans cette
correspondance.19
Si Clarke, pourtant latiniste chevronné, et proposé par William Wake à la princesse de Galles
pour traduire du français en anglais les Essais de Théodicée, ne s'exprime qu'en anglais, la
situation des échanges où Leibniz est l'un des correspondants est plus complexe. Il est vrai
que la très grande majorité des échanges qui l'impliquent se font en langue française. Les
seules lettres envoyées ou reçues par Leibniz en latin concernent les échanges avec les
15
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, p. 22.
16
BERTOLONI MELI, Domenico, "Newton and the Leibniz-Clarke Correspondence ", in COHEN, I. Bernard,
SMITH, George E., The Cambridge Companion to Newton, p. 456.
17
Ibid. p. 2.
18
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, p. 3.
19
Voir un tableau récapitulatif des échanges épistolaires dans le cadre de la correspondance entre Leibniz et
Clarke en Annexe, p. 29 sqq.
9
Bernoulli et Christian Wolff, où Leibniz les tient au courant des aspects philosophiques de la
querelle qui l'oppose à Clarke et aux Newtoniens.
Par conséquent, l'échange entre Clarke et Leibniz contraste avec les correspondances
adjacentes par son caractère bilingue. Alors que dans tous les autres cas l'émetteur se verra
répondre dans la même langue que celle qu'il a employée pour s'adresser à son destinataire, un
écrit en français de Leibniz se verra toujours répondre en anglais par Clarke. D'après le
compte-rendu de lecture qu'il fait à la princesse de Galles de la première réponse de Clarke à
la fin de novembre 171520, et du fait des corrections de sa main sur des textes anglais et
français de l'édition de la correspondance qu'il préparait21, on sait que Leibniz est doté d'une
compétence certaine en anglais. Mais l'usage par Clarke (qui était pourtant traducteur en latin
du Traité de physique de Jacques Rohault) de la langue vernaculaire locale qu'est l'anglais fait
question : pourquoi utilise-t-il l'anglais alors qu'il prend d'emblée conscience que Caroline
transmet chacune de ses réponses à un adversaire qui a écrit presque exclusivement en latin et
en français, et qu'il alimente le débat avant tout pour contrer les arguments de Leibniz et
soutenir Newton, tout en chapitrant la princesse de Galles22 ?
3 – Une correspondance destinée au domaine public
Afin d'expliquer le bilinguisme de l'échange épistolaire entre Leibniz et Clarke, il convient de
se pencher sur le statut des deux langues employées ainsi que le contexte, le domaine et la
communauté dans laquelle elles sont employées. En premier lieu, comme on l'a vu plus haut,
les cinq écrit leibniziens et les cinq réponses de Clarke sont d'emblée une correspondance
ouverte, où il n'y a pas deux, mais trois intervenants : les correspondants d'une part, et la
modératrice qu'est la princesse Caroline d'autre part. En outre, cette correspondance est non
seulement ouverte du fait de la présence d'une tierce personne, mais destinée à être rendue
publique, chacun préparant de son côté sa propre édition de la correspondance. La
Correspondance Leibniz-Clarke sera d'ailleurs éditée par ce dernier un an seulement après la
mort de Leibniz et la fin de l'échange, sous le titre A collection of papers which passed
between the late learned Mr. Leibniz and Dr. Clarke, in the years 1715 and 1716 relating to
the principles of natural philosophy and religion, with an appendix...23 en édition bilingue
20
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, p. 32.
21
Ibid. p. 8.
22
Ibid. p. 27.
23
Ibid. p. 8.
10
avec anglais et français en regard, la traduction étant confiée aux bons soins d'un émigré
français, M. de la Roche. Son contenu filtrera assez rapidement dans les journaux de toute
l'Europe des Acta Eruditorum en 1717 au Journal des Savants en 1721. Cependant, même
avant leur édition et leur publication, les écrits de Leibniz et les réponses de Clarke étaient
destinés au domaine publics, à être lus, commentés et discutés d'abord dans l'élite cultivée que
constituait l'entourage de la princesse de Galles.
La publicité de l'échange et la communauté à laquelle il s'adresse explique d'emblée le non
emploi de la langue latine, sauf sous forme de latinismes sporadiques. Tout d'abord, le
modérateur de la correspondance était une femme : du Discours de la Méthode de Descartes
en 1637 au Neutonianismo per le dame d'Algarotti exactement un siècle plus tard, les
ouvrages accessibles aux femmes alphabétisées étaient en langues nationales lettrées, le latin
étant une langue réservée au monde masculin de l'université (et de la scolastique, tant décriée
par certains tenants de la philosophie naturelle...). L'usage du latin, même si les deux
participants principaux à la correspondance étaient des latinistes chevronnés, était donc exclu,
du fait que le modérateur de cette correspondance était une femme, qui allait de surcroît faire
découvrir cette correspondance à un public non exclusivement universitaire, mais constitué
d'éléments cultivés de la cour d'Angleterre.
Le latin est donc mis de côté, et pour Leibniz, c'est l'usage de la langue des cours d'Europe de
l'époque qui prévaut. Le français est en effet la langue nationale reine au sein des élites
cultivées en Europe de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe, elle devient, comme le
souligne Pierre Bayle en 1684 en dans ses Nouvelles de la République des Lettres, « le point
de communication de tous les peuples de l'Europe », la langue diplomatique dans laquelle
sont désormais signés les traités (usage qui perdure du traité de Rastatt de 1714 au traité de
Versailles en 1919 où le bilinguisme avec l'anglais est concédé par Clémenceau). De langue
vernaculaire, le français accède, à l'époque qui nous préoccupe, au statut de langue véhiculaire
destinée à supplanter le latin. C'est donc en français qu'on recevra les écrits de Leibniz à la
cour d'Angleterre.
Face aux écrits français de Leibniz, Clarke répond en anglais. L'usage de la langue locale par
Clarke en lieu et place de la langue de son interlocuteur et de la langue dans laquelle
correspond la princesse Caroline ne va pas sans soulever un certain nombre d'interrogations.
Certes, en ce début de XVIIIe siècle, l'usage de la langue anglaise progresse beaucoup en
Europe, mais dans une mesure qui ne la fait pas entrer en concurrence avec le français. Certes,
Clarke fera éditer la correspondance de manière bilingue en faisant traduire en français ses
propres réponses, présentant les textes originaux en français (textes de Leibniz) en regard de
11
leur traduction en anglais et inversement (textes de Clarke). A cet égard, l'étude du contexte
de la cour d'Angleterre à l'époque de la Correspondance Leibniz-Clarke peut s'avérer
éclairante. Le premier auditoire des échanges épistolaires entre le bibliothécaire de Hanovre et
le chapelain du Roi d'Angleterre est tout d'abord en majorité britannique, de naissance ou
d'adoption. La langue vernaculaire locale a donc toute sa place dans une querelle qui concerne
la philosophie naturelle anglaise. Cependant, on peut faire un pas de plus en soulignant le
caractère nationaliste sous certains aspects de la querelle entre Leibniz et newtoniens.
En effet, si le français est la langue des cours d'Europe, elle ne les ancre pas dans une
appartenance nationale donnée. Or, la question est cruciale dans le cas de l'Angleterre, où la
dynastie des Hanovre n'est établie que depuis 1714 avec l'accession de Georges, Electeur de
Hanovre, au trône d'Angleterre sous le nom de Georges Ier. La nouvelle dynastie repose
cependant sur des bases extrêmement fragiles. Malgré le soutien qu'il apporte aux
newtoniens24 contre son ancien conseiller, Georges Ier reste très attaché à ses origines
allemandes, refusant toujours d'apprendre la langue de son pays d'adoption. Ses séjours longs
et réguliers à Hanovre le rendent impopulaire en Angleterre, impopularité qui favorise le parti
Tory, favorable aux Stuarts, ainsi que les jacobites qui tenteront de renverser la dynastie des
Hanovre au profit de Jacques Edouard Stuart, fils de Jacques II. Ainsi, André Robinet attire
notre attention, dans une lettre du 10 mai 1715 de Leibniz à Caroline, sur le passage suivant :
« Lorsque la Cour d'Hanover n'étoit pas trop bien avec celle d'Angleterre pendant le regne
du dernier ministere, quelques uns crurent que le temps leur étoit favorable pour
m'attaquer, et me disputer l'honneur d'une invention Mathematique qu'on m'attribue
depuis l'an 1684. »25
et en note, de commenter :
« Contre les whighs, partisans de la maison de Hanovre, les tories ont à leur tête Harley,
député d'Oxford, modéré, et Bolingbroke, qui penche vers la dictature et les jacobites.
Bolingbroke vit son oeuvre réactionnaire et anti-hanovrienne interrompue par la mort de
la Reine Anne et par le gouvernement de Shrewsbury.[...] Cette allusion permet de situer
les dessous politiques de la querelle entre Newton (parti national) et Leibniz (parti
hanovrien). »26
C'est ainsi que l'on peut supposer que l'usage que fait Clarke de l'anglais pour échanger ses
vues avec Leibniz par l'entremise de la princesse Caroline prend une connotation politique et
24
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, pp. 1 et 2.
25
Ibid. p. 17.
26
Ibid.
12
idéologique. Il s'agit, pour Clarke, de défendre la science anglaise par la langue anglaise, dans
une cour où la famille régnante, qui manie le français des cours d'Europe, est d'origine
allemande, et s'expose au rejet d'une partie de ses sujets.
Conclusion
A travers le recensement des diverses langues utilisées par Leibniz et Clarke dans leur
échange ainsi que dans les correspondances que Leibniz entretient avec d'autres personnages
au sujet de sa controverse avec les newtoniens, nous pouvons constater que les langues
modernes affirment leur présence s'agissant des échanges intellectuels de l'Europe savante du
début du XVIIIe siècle, grignotant un peu plus la suprématie des langues anciennes : le latin,
de « langue noble » européenne qu'il était à l'époque de Cervantes, se trouve désormais
relégué à l'arrière-plan dès lors qu'il faut s'adresser à la noblesse et aux élites cultivées, surtout
lorsque celles-ci n'ont pas eu affaire à l'Université (dans le cas des femmes, par exemple). Il
est manifeste à travers les écrits de Leibniz que le français dépasse à l'époque son statut de
langue nationale vernaculaire pour prendre celui de nouvelle langue véhiculaire. Mais le
contraste avec l'emploi par Clarke de la langue anglaise l'est tout autant : dans ce dernier cas,
l'emploi de la langue vernaculaire peut prendre la valeur politique d'une affirmation nationale
ou d'une marque de défiance vis-à-vis d'une dynastie hanovrienne, ancienne bienfaitrice de
Leibniz, qui vient tout juste de s'établir en Angleterre.
13
Section 2 – Le latin, substrat linguistique d'une querelle doctrinale
Introduction
D'après ce qui précède, la Correspondance Leibniz-Clarke constitue un très bon témoignage
de la manière dont les langues sont envisagées par rapport à la science et à la politique au
début du XVIIIe siècle. Les langues modernes sont omniprésentes, qu'elles soient le véhicule
d'un message qui doit être rendu le plus accessible possible aux élites cultivées, ou qu'elles
soient le terreau d'une affirmation nationale. Le latin, déjà décrié au cours du siècle précédents
pour son omniprésence dans l'univers de la philosophie, est mis au second plan lorsqu'il s'agit
de s'adresser à un public assez large, de la cour d'Angleterre à l'Europe savante et cultivée.
Toutefois, si le latin n'est pas la langue employée dans l'échange épistolaire principal, doit-on
pour autant affirmer qu'il n'entre plus en ligne de compte dans la manière dont Leibniz et
Clarke envisagent leurs échanges et leurs débats ? Le philosophe et le théologien sont tous
deux bilingues ; de plus Clarke est traducteur de Newton et de Rohault en latin. Or, le
paratexte fourni par Clarke dans son édition de la correspondance est bien souvent écrit dans
la langue de Cicéron : les notes de la main de Clarke mettent en évidence les textes qui sont
l'objet de sa controverse avec Leibniz, et un bon nombre de ces textes (appartenant à l'oeuvre
de Newton) sont en latin. Par conséquent, le latin a beau être relégué à l'arrière-plan dans la
Correspondance Leibniz-Clarke, il est loin d'être introuvable. Par sa présence-absence, le latin
des Principia et de l'Optice devient le substrat d'une partie de l'argumentation des deux
épistoliers.
On peut donc s'attarder un moment sur ce qui peut donner au latin le statut de langue
véhiculaire sous-jacente dans la Correspondance Leibniz-Clarke, et ce qui fait que le
caractère public et multilingue de cette correspondance n'empêche pas les deux épistoliers
principaux d'avoir un réseau commun de références linguistiques et textuelles. Il convient
également de souligner le caractère paradoxal de l'usage du latin que fait Newton, auteur de
textes sur lesquels Leibniz et Clarke débattent longuement dans leur échange, latin qui est
employé à la fois pour faciliter et restreindre l'accès à ses travaux. Enfin, il s'agit également de
voir dans quelle mesure le chapelain du roi d'Angleterre et le bibliothécaire de Hanovre
exploitent leur double compétence en latin et en français/anglais au fil de leur controverse.
14
1 – Une langue véhiculaire sous-jacente dans la correspondance
S'interrogeant sur la persistance du latin comme langue de science à la fin de la Renaissance
et au delà, Ann Blair note que le le français ne remplace le latin à l'Académie de Berlin qu'en
1746, et que ce n'est qu'à partir des années 1740 que le latin perd son statut de langue
exclusive d'enseignement en Allemagne et en Angleterre27. Nous sommes donc loin d'être
dans cette situation de changement radical à l'aube du XVIIIe siècle, et le latin garde à
l'époque de la Correspondance Leibniz-Clarke une vigueur certaine comme langue de
communication scientifique. En 1715-1716 encore, « le latin est langue de 'scientia', de
l'expression philosophique précise et certaine »28.
Même si l'échange d'écrits entre Leibniz et Clarke est d'abord destine à être diffusé au sein des
milieux non latinistes autour de la cour d'Angleterre, la connivence linguistique entre les deux
épistoliers à propos du latin est manifeste dans leur correspondance. Alors qu'ils sont
relativement rares lorsque Leibniz s'adresse à la princesse Caroline, à Arnold, Rémond, ou à
l'abbé Conti, et qu'ils côtoient des anglicismes condescendants à l'égard de Clarke et des
newtoniens (par exemple le a narrow one dans la lettre à l'abbé Conti du 6 décembre 1715),
alors qu'ils sont présents sous forme de termes isolés, tels que sensorium Dei, intellignetia
supramundana, ou par le biais de formules (ainsi le « si tacuisses philosophus mansisses » de
sa lettre à Caroline du 12 mai 1716), les latinismes occupent une part importante et décisive
dans les écrits passés de Leibniz vers Clarke, et réciproquement29. Dans les écrits de Leibniz
et les réponses de Clarke, le latin dépasse son usage simplement formulaire, pour devenir une
sorte de substrat au débat philosophique.
On peut trouver une origine de cette situation particulière si l'on se penche sur le statut et la
biographie des deux correspondants. Leibniz, qui est passé par l'Université de Nuremberg,
échange ses vues avec un ancien élève du Caius College de l'Université de Cambridge.
Leibniz et Clarke ont tous les deux des liens avec les milieux universitaires, où, à l'époque,
l'usage du latin va de soi. De plus, Clarke s'est distingué dans les années qui ont précédé son
échange d'écrits avec Leibniz par ses traductions en latin du Traité de physique de Jacques
Rohault en 1697 et de l'Optique de Newton en 1706. Par conséquent, même si Leibniz et
27
BLAIR, Ann, « La persistance du latin comme langue e science à la fin de la Renaissance » in CHARTIER,
Roger, CORSI, Pietro, (éd.), Sciences et langues en Europe, Luxembourg, European Communities, 200, pp. 6-7.
28
Ibid.
29
Les différents pérégrinismes employés dans la correspondance sont recensés dans le tableau récapitulatif des
échanges épistolaires dans le cadre de la correspondance entre Leibniz et Clarke en Annexe, p. 29 sqq.
15
Clarke utilisent le français et l' anglais par rapport à Caroline de Hanovre et son entourage à
Londres, un métaphysicien parle à un théologien, et les latinistes parlent aux latinistes...
2 – Des Principia à l’Optice : paradoxes des usages du latin chez Newton
Cependant, caractère sous-jacent du latin dans la Correspondance Leibniz-Clarke déborde le
cadre du simple échange épistolaire. En effet, les références convoquées sont très
majoritairement en langue latine. Ainsi, dans l'édition de la correspondance que Clarke établit
en 1717 figurent une série de notes de la main de Clarke, dont douze sont exclusivement en
latin avec traduction anglaise. Une concerne le premier écrit de Leibniz passé à Clarke, les
cinq autres concernant les réponses de Clarke lui-même. Elles apparaissent consécutivement à
des passages dans lesquels Leibniz ou Clarke disputent et argumentent en faisant référence,
implicitement ou explicitement, à un texte donné, le texte en question étant cité dans la note.
Or, toutes ces notes latines sont des citations des Principia Mathematica Philosophiae
Naturalis ou de l'Optice de Newton. La première oeuvre a été originellement publiée en latin,
l'autre a été initialement publiée en anglais en 1704 sous le titre Opticks, mais augmentée et
traduite en latin en 1706 par Samuel Clarke. La version latine du corpus newtonien est donc le
substrat de la controverse entre Leibniz et Clarke. Qu'il s'agisse des écrits originellement
publiés en latin ou des travaux traduits en latin par Clarke, dans tous les cas, c'est en latin
qu'ils ont été lus, et donc reçus, par Leibniz.
On se souviendra de l'attitude ambiguë de Newton par rapport à la langue de Cicéron. Homme
du tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, il choisira de publier ou de faire traduire en latin ses
oeuvres, parce que comme lui, « quelques auteurs choisissent encore le latin comme langue de
science moderne, en partie peut-être
pour le cachet qu'elle garde comme langue de
'scientia' »30. Le latin demeure la langue par laquelle les travaux scientifiques peuvent encore
atteindre le plus facilement une portée européenne, et c'est en ayant cet état de fait à l'esprit
que Samuel Clarke s'attelle à la traduction latine de l'Opticks en Optice presque
immédiatement après la parution de la première version anglaise. C'est à la version latine de
cet ouvrage que Leibniz fait référence lorsqu'il conteste pour Caroline et Clarke les théories
qui y sont développées par Newton.
Pourtant, il faut se rappeler que l'affinité de Newton pour le latin concernant ses écrits
scientifiques est à double tranchant. Une supposition d'Ann Blair est à cet égard éclairante,
30
BLAIR, Ann, « La persistance du latin comme langue e science à la fin de la Renaissance » in CHARTIER,
Roger, CORSI, Pietro, (éd.), Sciences et langues en Europe, Luxembourg, European Communities, 200, p. 7.
16
d'autant plus éclairante que l'on retrouve dans le cas de la Correspondance Leibniz-Clarke une
situation de controverse. En effet, elle souligne, partant de l'analyse que fait Richard Westfall
de la controverse Newton-Hooke31 :
« Quelques auteurs choisissent encore le latin comme langue de science
moderne, [...]
en partie du fait même de son accessibilité limitée. Ainsi s'explique probablement le
choix, pour ses Principia, de Newton, qui a horreur des controverses publiques, comme
celle qu'il venait d'avoir, en anglais, avec Robert Hooke, vulgaire conservateur des
instruments scientifiques à la Royal Society. »32
Ainsi, l'usage du latin par Newton est paradoxal, en ce qu'il est à la fois destiné à restreindre
et ouvrir l'accès de ses ouvrages. C'est que l'usage du latin permet la diffusion des travaux à
l'échelle européenne et les rend vulnérables aux critiques, mais est suffisamment réservé à une
petite communauté pour que les controverses puissent rester, dans la mesure du possible,
assez confidentielles. La controverse entre Newton et Leibniz, à l'origine de la
Correspondance Leibniz-Clarke, change la donne. Malgré l'horreur de Newton pour les
controverses publiques, celui-ci laisse son traducteur, Clarke, s'engager dans une controverse
avec l'auteur de la Théodicée en langues vernaculaires. On peut certes nuancer la répugnance
newtonienne pour les controverses publiques, en tant que Newton joue un rôle non
négligeable dans l'élaboration du Commercium epistolicum contre Leibniz. Cependant, si,
d'après Domenico Bertoloni Meli33, l'influence de Newton sur Clarke est décisive dans
l'élaboration de ses réponses à Leibniz, Newton peut supporter la controverse publique entre
ses doctrines et celles de Leibniz en français et en anglais sous les yeux la cour d'Angleterre
en tant qu'il n'est pas directement impliqué dans l'échange.
31
WESTFALL, Richard, Never at Rest: A Biography of Isaac Newton, pp. 238-280.
32
BLAIR, Ann, « La persistance du latin comme langue e science à la fin de la Renaissance » in CHARTIER,
Roger, CORSI, Pietro, (éd.), Sciences et langues en Europe, Luxembourg, European Communities, 200, p. 7.
33
Domenico Bertoloni Meli cite pour étayer son argumentation une lettre de Caroline à Leibniz du 10 janvier
1716, inédite, avertissant ce dernier que les réponses de Clarke ne sont pas écrites sans le conseil de Newton,
ainsi qu'un extrait du 11 février 1716 du journal de Lady Mary Cowper, dame d'honneur de Caroline, où celle-ci
fait état d'une visite conjointe de Newton et Clarke pour expliquer le newtonianisme à la princesse. cf.
BERTOLONI MELI, Domenico, "Newton and the Leibniz-Clarke Correspondence ", in COHEN, I. Bernard,
SMITH, George E., The Cambridge Companion to Newton, p. 460.
17
3 – L'exploitation doctrinale du bilinguisme par les épistoliers
Nous avons par conséquent affaire avec la Correspondance Leibniz-Clarke à un échange
d'écrits où chaque protagoniste écrit en langue moderne à son interlocuteur en
ayant
conscience de la compétence linguistique en latin de ce dernier, et utilise des textes latins pour
étayer son argumentation et préciser ce qu'il incrimine ou défend. Mais cette présence en
sous-main du latin est d'autant moins anecdotique que le mouvement de va-et-vient du latin
vers le français ou l'anglais est exploité par les épistoliers pour préciser le contenu des
doctrines qu'ils exposent.
L'usage du français et de l'anglais respectivement par Leibniz et Clarke est l'occasion pour
eux de faire une paraphrase, une adaptation en langues modernes du texte latin de Newton, et
ce dans un but de commentaire et d'explication. Il y a donc dans le cours de la correspondance
certains passages qui sont en fait des traductions plus ou moins libres des énoncés latins
newtoniens, la paraphrase n'étant pas là pour dispenser de la lecture de l'original, mais comme
une invitation à y retourner pour poursuivre le débat. D'ailleurs, le choix par Clarke de faire
une édition bilingue, avec texte français et anglais en regard, de son échange avec Leibniz
n'est pas innocent, le but d'une telle édition étant de faire percevoir certaines caractéristiques
du texte original et de la traduction qui en a été faite, qui sont habituellement inaccessibles
dans les traductions usuelles.
Ainsi, un exemple, dont les implications seront examinées sous un autre angle plus bas dans
cette étude, attire d'emblée l'attention. En effet, Leibniz, dans son premier écrit, expose son
premier grief théorique à l'encontre de Newton et des newtoniens en donnant une paraphrase
rapide de ce qu'expose comme suit Newton dans le latin de Clarke au sujet de l'espace dans la
Quaestio XX son Optice :
« Annon Sensorium Animalium, est locus cui Substantia sentiens adest, et in quem
sensibiles rerum species per nervos et cerebrum deferuntur, ut ibi praesentes a praesente
sentiri possint? Atq; [his quidem rite expeditis.] Annon ex phaenomenis constat, esse
Entem Incorporum Viventem, Intelligentem, Omnipraesentem, qui in Spatio infinito,
tanquam Sensorio suo, res Ipsas, intime cernat, penitusq; perspiciat totasq; intra se
praesens praesentes complectatur; quarum quidem rerum Id quod in nobis sentit &
cogitat, Imagines tantum ad se per Organa Sensuum delatas, in Sensoriolo suo percipit &
contuetur? »34
34
KOYRÉ, Alexandre, COHEN, I. Bernard, “The Case of the Missing Tanquam: Leibniz, Newton & Clarke”,
Isis, Vol. 52, No. 4 (décembre 1961), p. 560 et LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET
André (éd.), Correspondance Leibniz;-Clarke, présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de
Hanovre et de Londres, p.30. C'est nous qui soulignons.
18
est résumé en : « M. Newton dit que l'Espace est l'organe, dont Dieu se sert pour sentir les
choses. » Ce à quoi Clarke répond, en donnant son propre commentaire :
''Sr ISAAC NEWTON doth not say, that space is the ORGAN, which God makes use to
perceive Things by ; nor that he has need of ANY MEDIUM at all, whereby to
perceive things : But on the CONTRARY, that he, being OMNIPRESENT, percieves
all things by his IMMEDIATE PRESENCE TO THEM, in All Space whereever they are,
without the intervention or assistance of ANY ORGAN or MEDIUM whatsoever. In
order to make this more intelligible, he illustrates it by a Similitude : That AS the MIND
OF MAN, by its IMMEDIATE PRESENCE to the PICTURES OR IMAGES OF
THINGS, form'd in the BRAIN by the MEANS of the ORGANS OF SENSATION [...] Sr
ISAAC NEWTON considers the Brain and ORGANS of Sensation, as the MEANS by
which those PICTURES are FORMED ; but NOT as the MEANS by which the MIND
SEES or PERCEIVES those Pictures, when they are so formed...''35
Ce commentaire est l'occasion d'une note en bas de page, où Clarke donne en premier lieu le
texte latin de l'extrait incriminé de l'Optice, avec un retranchement (que nous avons signalé
dans la citation latine entre crochets), puis une traduction anglaise, qui n'apparaît pas dans
l'édition d'André Robinet, ni dans celle d'H.G. Alexander :
''Is not the Sensory of Animals, the Place where the Perceptive Substance is present, and
To which the Sensible Images of Things are convey’d by the Nerves and Brain, that they
may there be Perceived, as being Present to the Perceptive Substance? And do not the
Phaenomena of Nature show, that there is an Incorporeal, Living, Intelligent,
Omnipresent Being, who in the Infinite Space, which is as it were His Sensorium (or
Place of Perception), sees and discerns, in the inmost and most Thorough Manner, the
Very Things themselves, and comprehends them as being entirely and immediately
Present within Himself; Of which Things, the Perceptive and Thinking Substance that is
in Us,
perceives and views, in its Little Sensory, nothing but the Images, conveyed
thither by the Organs of the Senses?''36
Les discussions à propos de ce passage de l'Optique de Newton se poursuivront tout au long
de la correspondance entre Leibniz et Clarke. D'autres sujets, tels que la question du
mouvement perpétuel ou de l'harmonie préétablie, seront l'objet d'un même traitement.
La présentation en note par Clarke, accompagnée d'une version anglaise, de chaque passage
en latin que Leibniz incrimine dans sa correspondance et que Clarke doit défendre, expliciter
et commenter, témoigne donc de l'utilisation de la langue latine et de la traduction en langue
35
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, pp. 29-30.
36
KOYRÉ, Alexandre, COHEN, I. Bernard, “The Case of the Missing Tanquam: Leibniz, Newton & Clarke”,
Isis, Vol. 52, No. 4 (décembre 1961), p. 561-562, et LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, A
Collection of Papers, Which Passed between the Late Learned Mr. Leibnitz, and Dr. Clarke, in the Years 1715
and 1716. Relating to the Principles of Natural Philosophy and Religion. With an Appendix. To Which are
Added, Letters to Dr. Clarke Concerning Liberty and Necessity, pp. 13 sqq. du fac simile. C'est nous qui
soulignons.
19
vernaculaire comme outil de critique textuelle et comme moyen d'étayer l'argumentation en
recherchant la plus grande précision possible, par le fait de développer chaque point de
plusieurs manières différentes. Or, une telle manière de s'appuyer sur le texte original n'est
pas sans conséquences : si Clarke établit le texte de ce qui prête à controverse dans les notes
de son édition, est-on sûr que Leibniz en ait lu et reçu la même version ?
Conclusion
Il est ainsi manifeste que le latin joue un rôle décisif dans l'échange entre Leibniz et Clarke
proprement dit. Leibniz et Clarke, ont, par delà leurs divergences théoriques, la langue latine
pour élément de connivence. Par-delà la publicité offerte par une controverse en langues
modernes, devant le public francophone et anglophone de la cour de Georges Ier, la présence
sous-jacente du corpus écrit ou traduit en latin de Newton sert de substrat aux arguments
développés par Leibniz contre les newtoniens et par Clarke en réponse à Leibniz, et contribue
à ce que cette correspondance dépasse le domaine de la querelle mondaine. Car la présence en
arrière-plan des textes newtoniens fait que Leibniz et Clarke échangent toujours leurs
arguments en s'appuyant sur des références et des exemples précis tirés soit des Principia, soit
de l'Optice. La controverse ne sera pas simplement une querelle de mots. Les références au
corpus newtonien, leur adaptation de plus ou moins bonne foi (par Leibniz surtout) ou leur
explicitation, voire leur traduction (notamment dans les notes de l'édition que Clarke fait de
cette correspondance), sont le témoignage d'une volonté de la part des deux protagonistes de
l'échange épistolaire d'expliciter d'une manière toujours renouvelée leurs prises de positions
sur le newtonianisme. La référence, la paraphrase et/ou le commentaire d'une langue à l'autre
du corpus newtonien est sans cesse l'occasion de renouveler le débat théorique et lui donner
du souffle en changeant l'éclairage de l'argumentation.
20
Section 3 – Traduction, édition et autocensure : un éclairage de la controverse autour du
sensorium Dei
Introduction
Dans son avertissement au lecteur de l'édition de 1717 de sa correspondance avec Leibniz,
Clarke note :
“The Reader will be pleased to observe,
1. That the following Letters are all printed exactly as they were written; without adding,
diminishing, or altering a word. The Marginal Notes only, and the Appendix, being
added.
2. That the Translation is made with Great Exactness, to prevent any Misinterpretation
of Mr. Leibnitz's Sense.”37
De prime abord, c'est donc le souci de précision et d'exactitude, et la volonté de ne pas induire
en erreur le lecteur, de lui éviter des erreurs d'interprétation du texte du fait d'une présentation
erronée des sources, qui anime le traducteur latin de Newton. L'exactitude de l'établissement
du texte doit donc éviter le plus de malentendus possibles.
Car la Correspondance Leibniz-Clarke semble, sur certains points précis, se nourrir de
malentendus. Les développements autour de la question du sensorium Dei chez Newton sont à
cet égards extrêmement riches d'enseignements. Tout d'abord, Leibniz et Clarke ne semblent
pas entendre le mot latin sensorium de la même oreille, chacun se référant à une signification
différente, et s'envoyant les auteurs de dictionnaire dos à dos.
Mais Leibniz et Clarke ne font pas que se payer de mots lorsqu'ils disputent du sensorium de
Dieu. En effet, tout au long de la correspondance, à chaque fois que le terme revient dans la
discussion, Leibniz n'en démord pas, et soutient que pour Newton l'espace est un sensorium,
malgré les protestations de Clarke et la présentation en note du sensorium sous forme non
constitutive, avec devant, un tanquam, ou un as it were dans la traduction anglaise. Leibniz
serait-il donc de mauvaise foi ?
Or, les recherches menées par Alexandre Koyré et I. Bernard Cohen nous laissent penser que
si Clarke veut établir l'édition de sa correspondance avec Leibniz avec la plus grande
37
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, A Collection of Papers, Which Passed between the Late
Learned Mr. Leibnitz, and Dr. Clarke, in the Years 1715 and 1716. Relating to the Principles of Natural
Philosophy and Religion. With an Appendix. To Which are Added, Letters to Dr. Clarke Concerning Liberty and
Necessity, p. XV du fac simile.
21
exactitude possible, l'établissement du texte concernant le passage de la question 20 de
l'Optique sans cesse incriminé par Leibniz est fluctuant. Le tanquam comme le as it were ne
sont pas associés au sensorium Dei dans tous les exemplaires de l'édition latine de 1707, et la
traduction anglaise de ce passage que Clarke livre en note de sa première réponse à Leibniz
diffère de la réédition anglaise de 1717. Il est donc intéressant de se demander, devant ces
fluctuations de traduction et d'édition et devant les interrogations répétées de Leibniz, dans
quelle mesure nous sommes en présence d'un mécanisme d'autocensure de la part de Clarke et
Newton.
1 – Goclenius et Scapula, ou du bon usage des dictionnaires
De prime abord, ce qui frappe le lecteur de la Correspondance Leibniz-Clarke c'est
l'insistance dont témoignent les deux protagonistes concernant le débat sur le terme de
sensorium Dei, employé par Newton dans la Question 20 de son Optique. Leibniz en parle
d'emblée dans son premier écrit, après s'être désolé du déclin de la religion naturelle : « M.
Newton dit que l'Espace est l'organe, dont Dieu se sert pour sentir les choses. »38. Clarke y
consacre un long développement dans le troisième paragraphe de sa première réponse.39
Leibniz revient à la charge dans son deuxième écrit :
« Il se trouve expressement dans l'Appendice de l'Optique de M. Newton, que L'ESPACE
ETS LE SENSORIUM DE DIEU. Or, le mot SENSORIUM a tousjours signifié l'organe
de la sensation ; permis à luy et à ses amis de s'expliquer maintenant tout autrement. Je ne
m'y oppose pas. »40
Et Clarke de se répéter dans sa deuxième réponse :
''The Word SENSORY, does not properly signify the ORGAN, but the PLACE OF
SENSATION. The EYE the EAR, &c, are ORGANS, but not SENSORIA. Besides ; Sr
ISAAC NEWTON does not say, that SPACE is the SENSORY ; but that is, by way of
SIMILITUDE only, AS IT WERE THE SENSORY, &c.''41
Cette explication laisse Leibniz de marbre : dans son troisième écrit, celui-ci objecte :
38
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance Leibniz-Clarke,
présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et de Londres, p. 23.
39
Ibid. p. 29 cf. notes 35 et 36.
40
Ibid. p. 37.
41
Ibid. p. 48.
22
« Il sera difficile de nous faire accroire, que dans l'usage ordinaire, SENSORIUM ne
signifie pas l'organe de la sensation. Voicy les paroles de RUDOLPHUS GOCLENIUS
dans son DICTIONARIUM PHILOSOPHICUM v. SENSITERIUM : Barbarum
Scholasticorum (dit-il) qui interdum sunt simiae Graecorum. Hi dicunt ai;sqhvthrion. Ex
quo illi fecerunt Sensiterium, pro SENSORIO, ID EST ORGANO SENSATIONIS. »42
Et Clarke de camper lui aussi sur ses positions, en essayant de montrer que la dispute à propos
du sensorium de Dieu n'est qu'un malentendu, une querelle de mots et de dictionnaires. En
effet, dans sa troisième réponse, il rétorque, non sans humeur :
''The Question is not, what GOCLENIUS, but what Sr ISAAC NEWTON means by the
word SENSORIUM, when the debate is about the sense of Sr ISAAC NEWTON, & not
about the Sense of GOCLENIUS's Book. If GOCLENIUS takes the EYE, or any other
ORGAN OF SENSATION, to be the SENSORIUM; he is certainly mistaken. But when
Any Writer EXPRESSLY EXPLAINS what he means by any TERM OF ART; of what
Use is it, in This case, to enquire in what different senses perhaps some Other Writers
have sometimes used the same word? SCAPULA explains it by DOMICILIUM, the
PLACE WHERE THE MIND RESIDES.''43
Mais Leibniz, dans son quatrième écrit, continue de soutenir mordicus que :
« Sensorium a tousjours été l'Organe de la sensation. La glande pineale seroit selon des
Cartes, le SENSORIUM dans le sens qu'on rapporte de Scapula. 27. Il n'y a gueres
d'expression moins convenable sur ce sujet, que celle qui donne à Dieu un SENSORIUM.
Il semble qu'elle le fait l'ame du Monde.> Et on aura bien de la peine à donner à l'usage
que M. Newton fait de ce mot, un sens qui le puisse justifier.<<28 Quoy qu'il s'agisse du
sens de M. Newton, et non pas de celuy de Goclenius, on ne me doit point blamer d'avoir
allegué le Dictionnaire Philosophique de cet auteur; parce que le but des Dictionnaires est
de marquer l'usage des termes... »44
Le dialogue de sourds continue dans la quatrième réponse de Clarke45, le cinquième écrit de
Leibniz46, et la réponse correspondante de Clarke47... Cependant, on est en droit de se
demander s'il s'agit seulement d'une absurde querelle de dictionnaires et de mauvaise foi.
Même si la situation ne manque pas de sel appliquée à l'auteur de la Monadologie, il n'est pas
sûr que chacun, dans ce cas précis, se retire dans son propre monde de significations, et fonde
seulement son argumentation en terme de cohérence de sa propre terminologie à l'exclusion
de celle de l'autre... Car en opposant sempiternellement Goclenius et Scapula, Leibniz et
42
Ibid. p. 55.
Ibid. p. 70.
44
Ibid. p. 92.
45
Ibid. p. 113.
46
Ibid. p. 168.
47
Ibid. pp. 199-202
43
23
Clarke n'indiquent pas que l'expression sensorium Dei a perdu toute signification commune,
et que ces mots latins sur lesquels ils échangent ne sont plus en commun et ne possèdent plus
un sens fixe. Doit-on alors mettre l'ampleur de la dispute sur le compte de la mauvaise foi de
Leibniz ? Ou bien sur son opiniâtreté à débusquer une contradiction dans l'établissement
même du corpus newtonien?
2 – A propos de la Quaest. XX de l’Optice...
Les recherches menées par Alexandre Koyré et I. Bernard Cohen sur les éditions de l'Optique
de Newton à l'occasion d'un article publié en 1961 dans la revue Isis fournissent des
renseignements de nature capitale et s'avèrent extrêmement éclairants par rapport aux
questions que nous venons de poser48. En effet, partant du constat de la persistance du
malentendu entre Leibniz et Clarke à propos de la question du sensorium Dei tout au long de
leur correspondance, Koyré et Cohen écartent l'hypothèse de la mauvaise foi de Leibniz. Pour
eux, si Leibniz persiste à penser que Newton considère que l'espace est le sensorium de Dieu
malgré les récriminations de Clarke au sujet de la définition non pertinente dans le contexte
que Goclenius donne du terme sensorium, malgré sa note a posteriori citant en latin et en
anglais le paragraphe de l'Optique afin de dissiper toute équivoque, c'est que le le texte auquel
Leibniz fait référence n'est peut-être tout simplement pas le même que celui que Clarke veut
mattre en avant...
Koyré et Cohen fondent leur affirmation sur des recherches qu'ils ont effectuées à la
bibliothèque de l'Institute for Advanced Study à Princeton. Un exemplaire de la version latine
élaborée par Clarke de l'Optice de Newton y a attiré leur attention. L'exemplaire porte 1706
comme date de parution, comme pour l'édition sur laquelle Clarke fonde sa note du troisième
paragraphe de sa première réponse49. Jusqu'ici, rien d'anormal. A ceci près que le texte de la
Quaestio XX diffère sensiblement de celui que cite Clarke dans sa note. En effet, sur cet
exemplaire, à la page 315, on trouve : « Annon Spatium Universum, Sensorium est Entis
Incorporei, Viventis et Intelligentis; quod res Ipsas cernat et complectatur intimas, totasq;
penitus & in se praesentes perspiciat ; quarum id quidem quod in Nobis sentit et cogitat,
Imagines tantum in Cerebro contuetur? »50 Koyré et Cohen prennent soin de présenter en
48
KOYRÉ, Alexandre, COHEN, I. Bernard, “The Case of the Missing Tanquam: Leibniz, Newton & Clarke”,
Isis, Vol. 52, No. 4 (décembre 1961).
49
cf. note 34
50
KOYRÉ, Alexandre, COHEN, I. Bernard, “The Case of the Missing Tanquam: Leibniz, Newton & Clarke”,
Isis, Vol. 52, No. 4 (décembre 1961), p. 563.
24
regard la reproduction en fac simile de cette page 315 de l'exemplaire Evans-Rosenwald de la
bibliothèque de l'I.A.S. avec celle la page 315 que l'on rencontre habituellement dans d'autres
exemplaires. Ici, selon cet exemplaire, l'espace, l'univers n'est-il pas le sensorium d'un être
incorporel, vivant et intelligent ? Organe ou domicilium, le sensorium n'est-il pas l'espace de
perception de Dieu ? Les choses ne sont-elles pas situées dans le sensorium comme les
images et les choses sont situées dans nos sens ? Ceci implique donc que le Monde se
présente comme une série d'images dans l'esprit de Dieu. Leibniz se rengorge peut-être à bon
droit de son point de vue tout au long de sa controverse avec Clarke...
Mais est-il possible, probable, qu'il ait été en possession d'une telle version du texte latin de
l'Optice, qui prêtait évidemment à controverse ? Car on pourrait croire que cette différence
d'édition est isolée. Il n'en est rien selon Alexandre Koyré et I. Bernard Cohen. L'exemplaire
Evans-Rosenwald n'est pas unique. La même variante se retrouve dans des exemplaires du
fonds Grace K. Babson, de la bibliothèque Bodléienne, et de la Cambridge University
Library... Il est donc possible que ce soit un exemplaire de ce type qui ait été entre les mains
de Leibniz.
Selon l'hypothèse de Koyré et Cohen, malgré les récriminations de Clarke dans toutes ses
réponses sur le caractère non problématique du terme de Sensorium et les répétitions sousentendant la mauvaise foi de Leibniz, la mauvaise foi serait peut-être plutôt à chercher au
niveau de Newton et Clarke, dans ce qui apparaît bel et bien comme une tentative ratée
d'autocensure. Car le fait de soutenir que l'espace est le sensorium de Dieu, sans ajouter de
tanquam ni de as it were, et d'en faire un usage constitutif, ne prête pas seulement le flanc aux
critiques de certains métaphysiciens en général et de Leibniz en particulier, mais est encore
une conception hérétique. Gardons en mémoire les tribulations de Clarke lorsque celui-ci sera
accusé d'arianisme six ans après la publication de la version latine de l'Optice, suite à la
publication de son Traité de la Trinité en 1712, et interdit d'enseigner tout ce qui pouvait
concerner la Trinité... Il n'est donc guère étonnant que la première version de la Quaestio XX
de l'Optice ait pu causer quelque crainte à Newton, et qu'il ait refondu avec Clarke la page
315 et ait inséré une nouvelle version dans l'ouvrage en lieu et place de l'ancienne alors que
celui-ci était en train d'être relié. Cependant, il semble, d'après ce qui précède, que cette
tentative d'autocensure ait fait long feu, et que Clarke ne se montre peut-être pas aussi
soucieux d'honnêteté et d'exactitude qu'il le prétend dans l'avertissement au lecteur de son
édition de la Correspondance Leibniz-Clarke, lorsque, pour se donner le beau rôle, il publie
en note une version de la Quaestio XX qui serait, en fait, expurgée de du contenu gênant
auquel Leibniz aurait peut-être eu accès...
25
3 – …et de sa traduction anglaise donnée par Clarke à Lebniz
Un second indice de cette stratégie d'autocensure peut être relevé dans la manière dont Clarke
traduit pour Leibniz en anglais le latin de la Quaestio XX dans la Correspondance LeibnizClarke, si on la compare avec la formulation anglaise de la Query 20 (devenue 28) de la
réédition anglaise de 1717-1718. En effet, si l'on marque les différences, retranchements et
ajouts constatées dans l'édition de 1717-1718 par rapport à la version de la première réponse
de Clarke, en marquant les ajouts entre crochets et en biffant ce qui a été retranché, on a
''Is not the Sensory of Animals, [that]the Place [to which] where the [Sensitive]
Perceptive Substance is present, and [into]To which the Sensible [Species] Images of
Things are [carried through] convey’d by the Nerves and Brain, that [there] they may
there be Perceived, [by their immediate presence to that Substance] as being Present to
the Perceptive Substance? And [these things being rightly dispatched,][does it not appear
from Phaenomena] do not the Phaenomena of Nature show, that there is [a Being] an
Incorporeal, Living, Intelligent, Omnipresent Being, who in the Infinite Space, [as it
were in his Sensory] which is as it were His Sensorium (or Place of Perception), sees
[the things themselves intimately, and thoroughly perceives them] and discerns, in the
inmost and most Thorough Manner, the Very Things themselves, and comprehends them
[wholly by their immediate presence to himself] as being entirely and immediately
Present within Himself; Of which Things, the [Images, only carried through the Organs
of Sense into our little sensoriums, are there seen, and beheld by that which in us
perceives and thinks]Perceptive and Thinking Substance that is in Us, perceives and
views, in its Little Sensory, nothing but the Images, conveyed thither by the Organs of
the Senses?''51
Les divers remplacements (''perceptive'' par ''sensitive'', ''images'' par ''species'', etc. et surtout
''which is as it were His Sensorium (or Place of Perception)'' par ''as it were in his Sensory'')
opérés dans l'édition de 1717-1718 ont toute l'apprence de « caviardages ». La première
traduction anglaise qu'avait fait Clarke de la Quaestio XX se fondait déjà sur une version
expurgée du texte latin (qui est l'original, car la Quaestio XX n'apparaît pas en anglais dans la
première édition de 1704). Pour la Query 20-28, les modifications, ajouts et suppressions sont
là pour insister sur la dimension de domicilium du sensorium de Dieu, pour insister sur le
« comme si », pour qu'il soit impossible de déduire de ce passage que le Monde se présente
comme une série d'images dans l'esprit de Dieu, et pour s'éloigner le plus possible de la
version originale non-autorisée, « piratée » par Leibniz à son corps défendant... A cet égard, I.
Bernard Cohen et Alexandre Koyré notent :
51
KOYRÉ, Alexandre, COHEN, I. Bernard, “The Case of the Missing Tanquam: Leibniz, Newton & Clarke”,
Isis, Vol. 52, No. 4 (décembre 1961), p. 562. C'est nous qui soulignons.
26
« Ainsi nous pouvons expliquer pourquoi la traduction anglaise de la Quaestio XX donnée
par Clarke diffère de la version rédigée par Newton et publiée dans l'édition anglaise de
1717. La version de Clarke était une traduction qu'il avait fait du texte latin, texte que lui
et/ou Newton avaient réécrit après l'impression de l'Optice latine, et n'était pas celle de
Newton. »52
Si l'on peut dire que la traduction de la Quaestio XX donnée en note de sa première réponse
par Clarke devait tout autant à un mélange paradoxal de souci d'exactitude, de mauvaise foi et
de prudence, cette dernière préoccupation à l'air de l'emporter à l'évidence dans la seconde
édition anglaise de l'Opticks. En outre, alors que c'était Clarke qui était l'interlocuteur de
Leibniz dans la correspondance (même si Newton a joué un rôle non négligeable pour le
conseiller et le diriger dans le chemin de la controverse), c'est Newton qui supervise de
manière directe la nouvelle édition anglaise de son Optique (en essayant, peut-être, d'éviter le
plus possible que ne se reproduisent des incidents tels que celui de la page 315 de l'édition
latine de 1706...). A travers l'histoire de l'évolution du texte de cette Quaestio XX devenue
Query 28, de la traduction augmentée en latin qu'était l'Optice de 1706 à la réédition
augmentée en anglais de 1717-1718, on met en lumière quels sont les enjeux d'édition et
d'autocensure dans l'établissement d'une version d'un texte faisant autorité, et combien la
traduction, surtout lorsqu'elle n'est pas strictement surveillée, peut s'avérer un problème
délicat pour un auteur scientifique au début du XVIIIe tant sur le plan métaphysique que
théologico-politique.
Conclusion
A travers l'étude sur le plan linguistique et textuel de la question du sensorium Dei telle
qu'elle est débattue dans la Correspondance Leibniz-Clarke, à partir de la comparaison de
cette correspondance avec les textes en latin, puis de leur traduction et/ou reformulation en
anglais, c'est bien un aperçu de certaines stratégies d'édition et d'autocensure d'un texte
scientifique au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles qui est ici donné. Les versions autorisées
d'un texte scientifique, qu'il s'agisse de versions en langue originale ou de traductions, doivent
passer à travers les fourches caudines de la conformité avec une séries de normes en vigueur,
dont les moindres ne sont pas celles de l'orthodoxie religieuse. En ayant laissé tomber l'une de
ses version hétérodoxes de la Quaestio XX dans le domaine public en général, avec tous les
52
''Hence we can explain why the English translation given of Quaest. XX by Clarke differs from the version
written by Newton and published in the English edition of 1717. The Clarke version was a translation, which he
had made of the Latin text which he and /or Newton had rewritten after the Latin Optice had been printed and
was not Newton's own.'' Ibid. p. 563.
27
risques théologico-politiques que ce la comporte, et entre les mains de Leibniz en particulier,
tout en essayant à tout prix de cacher son existence au travers de la correspondance, fut-ce en
laissant entendre peut-être à tort que son adversaire est de mauvaise foi, Clarke illustre bien
par sa situation à quel point textes et traductions, rééditions sont tributaires de leur
concordance vis-à-vis de normes, qu'elles soient, métaphysique, religieuses, ou politiques.
28
Conclusion
Ce n'est donc pas seulement parce que Leibniz et Clarke, par l'entremise de Caroline de
Hanovre, échangent une correspondance polyglotte qui est un excellent témoignage du
rapport que les savants et les élites cultivées pouvaient avoir en général avec les langues
européennes au tournant des XVIIe et XVIIIe siècle, que la Correspodance Leibniz-Clarke est
intéressante dans le domaine historique, linguistique et traductologique. Ce n'est pas
seulement parce que cet échange épistolaire n'est pas un échange clos entre deux voix
seulement, mais un échange où plusieurs personnes participent indirectement, que nous
pouvons lever le voile sur un pan de la vie scientifique du début du XVIIIe siècle, de sa
sociologie et de ses intrigues, que nous pouvons nous faire une idée du déroulement d'une
controverse concernant des questions de philosophie naturelle, de physique et de
métaphysique.
Par les écrits laissés poste restante chez Caroline de Hanovre par Leibniz et Clarke, nous
pouvons voir comment des systèmes, à savoir dans ce cas précis le newtonianisme et le
leibnizianisme, et comment des oeuvres, comme les Principia ou l'Optique de Newton et les
Essais de Théodicée de Leibniz, sont diffusés et reçus à l'époque, par quels canaux une
doctrine en vient à être connue dans l'Europe savante, et pourquoi elle est interprétée de telle
ou telle manière. A l'époque de la querelle autour de la question du sensorium Dei, on voit
que la diffusion, la traduction et l'édition d'écrits traitant de philosophie naturelle sont encore
tributaires de leur adéquation aux normes théologiques en vigueur, à leur caractère non
menaçant pour la vigueur de la religion naturelle dont le déclin inquiétait Leibniz au début de
son premier écrit. Des éléments hétérodoxes d'une édition non modifiée, non autorisée, non
autocensurée par un auteur d'écrits traitant de philosophie naturelle viennent-ils à sortir par
accident de chez l'imprimeur (comme pour certains exemplaires de l'Optice de Newton
traduite par Clarke en 1706) et à être lus, commentés, contestés (par un Leibniz par exemple),
que leur existence est déniée avec force à longueur de correspondance, et que les indices de
cette existence sont effacés par les rééditions successives. Dans le cas des rapports entre les
textes de la Correspondance Leibniz-Clarke et l'Optice de Newton dans la version latine de
Clarke, l'étude des différences entre les textes, entre les langues, révèle non seulement la
vigueur théorique des deux épistoliers, mais encore quels sont les points de friction et les
zones d'ombre dans la diffusion et la réception de la philosophie naturelle newtonienne.
29
Annexe – Tableau récapitulatif des échanges épistolaires dans le cadre de la
correspondance entre Leibniz et Clarke.
Date
Emetteur
Destinataire
Langue
principale
28/04/1714
Leibniz
Chamberlayne
Français
10/05/1715
Leibniz
Caroline
Français
18/10/1715
Rémond
Leibniz
Français
18/10/1715
Conti via
Leibniz
Français
Commentaires,
Pérégrinismes
éventuels
Rémond
03/11/1715
Caroline
Leibniz
Français
Proposition de
traduction de la
Théodicée par Clarke
début/11/1715
Leibniz
Caroline
Français
Réponse au sujet de
cette éventuelle
traduction.
début/11/1715
Leibniz
Français
Premier écrit.
Note de Clarke citant
le latin des Principia.
16-25/11/1715
Caroline
mi/11/1715
Clarke
fin/11/1715
Leibniz
fin/11/1715
Leibniz
06/12/1715
Leibniz
Leibniz
Français
Anglais
Caroline
Conti
30
Première réponse.
Usage de
l’anglais « supramund
ane intelligence » en
lieu et place de la
locution latine
« intelligentia
supramundana ».
Note de Clarke citant
le latin de l'Optice.
Français
Français
Deuxième écrit.
Mots en latin
(intelligentia
supramundana)
Français
Mots en latin
(intelligentia
supramundana,
sensorium, nova data,
experimenta crucis).
Mots en anglais (a
narrow one)
12/1715
Leibniz
J. Bernoulli
Latin
23/12/1715
Leibniz
Wolff
Latin
20-30/12/1715
Caroline
Leibniz
Français
12/1715
Clarke
25/02/1716
Leibniz
25/02/1716
Leibniz
03/1716
Leibniz
Bourguet
Français
31/03/1716
Bourguet
Leibniz
Français
20/04/1716
Leibniz
Bourguet
Français
Anglais
Caroline
Français
Français
31
Deuxième réponse.
Notes de Clarke en
latin, tirée du scholie
de la définition 8 et du
Scholie général des
Principia de Newton.
Emploi de sensory en
lieu et place de
sensorium.
Troisième écrit.
Citation de Bacon en
latin : idola tribus,
idola specus.
Référence au
Dictionarium
Philosophicum de
Rudolphus Goclenius
sur l'entrée
« sensiterium :
Barbarum
Scholasticuorum qui
interdum sunt simiae
Graecorum. Hi dicunt
ai;sqhvthrion. Ex quo
illi fecerunt
Sensiterium, pro
SENSORIO, ID EST
ORGANO
SENSATIONIS. »
Expression en
anglais : « THIS IS
ALL I CONTENDED
FOR »
15/03/1716
Rémond
Leibniz
Français
27/03/1716
Leibniz
Rémond
Français
fin/03/1716
Conti
Leibniz
Français
26/02/1716
Newton
Conti
Français
09/04/1716
Leibniz
Rémond
Français
09/04/1716
Leibniz
Conti
Français
14/04/1716
Leibniz
Caroline
Français
24/04/1716
Caroline
Leibniz
Français
04-15/05/1716
Caroline
Leibniz
Français
mi/04/1716
Clarke
12/05/1716
Leibniz
15-26/05/1716
Latin : idolum tribus
Référence au
sensorium de Dieu
Anglais
Troisième réponse.
Latin : “sensorium :
not what
GOCLENIUS, but
what Sr ISAAC
NEWTON means...
SCAPULA explains it
by DOMICILIUM, the
PLACE WHERE THE
MIND RESIDES.”
Mention encore une
fois d’intelligentia
supramundana.
Note de Clarke citant
le latin des Principia
et de l'Optice.
Caroline
Français
Latin : si tacuisses
philosophus
mansisses.
Non plus ultra dans le
post-scriptum.
Caroline
Leibniz
Français
02/06/1716
Leibniz
Caroline
Français
29/05/1716
Leibniz
Français
32
Quatrième écrit.
Latinismes : idola
tribus, sensorium
Anglicismes : a mere
will, « ni internal ni
external reason ».
05/06/1716
Leibniz
Arnold
Français
15-26/06/1716
Caroline
Leibniz
Français
mi/06/1716
Clarke
07/06/1716
Leibniz
Bernoulli
Latin
14/07/1716
Leibniz
Bernoulli
Latin
02/07/1716
Leibniz
Bourguet
Français
03/07/1716
Leibniz
Caroline
Français
15/08/1716
Leibniz
Rémond
Français
18/08/1716
Leibniz
Caroline
Français
21/08/1716
Leibniz
Des Maizeaux
Français
mi/08/1716
Leibniz
Anglais
Français
33
Latinismes :
intelligentia
supramundana et
sensorium.
Quatrième réponse.
Clarke parle d'extra
mundane space, de
sensory en lieu et
place des termes
latins.
Gallicisme : hors de
Dieu
Note de Clarke citant
le latin de l'Optice.
Nouvel exposé des
réticences face à la
traduction anglaise de
la Théodicée.
Cinquième écrit.
Latin : “FATUM
MAHOMETANUM,
FATUM STOICUM,
FATUM
CHRISTIANUM”,
solo numero,
spectatum admissi,
sensorium, Deum ex
machina, inventa
fruge glandibus vesci,
ad absurdum.
Anglicismes : “there
may be a very good
raison to act, though
two or more ways of
acting may absolutely
indifferent, perhaps,
this world, conveyed”
Italianisme : senza
forse
17-28/08/1716
Caroline
Leibniz
Français
fin/08/1716
Leibniz
Caroline
Français
20-31/08/1716
Caroline
Leibniz
Français
11/09/1716
Leibniz
Caroline
Français
04-15/09/1715
Caroline
Leibniz
Français
08-19/09/1716
Caroline
Leibniz
Français
15-26/09/1716
Caroline
Leibniz
Français
02/10/1716
Rémond
Leibniz
Français
19/10/1716
Leibniz
Rémond
Français
24/10/1716
Rémond
Leibniz
Français
23/10/1716
Leibniz
J. Bernoulli
Latin
11/11/1716
J. Bernoulli Leibniz
18-29/10/1716
Caroline
mi/10/1716
Clarke
Leibniz
Latin
Français
Anglais
34
Anglicisme : mere
will of God
Cinquième réponse.
Latinismes :
uis centrifuga cite
Descartes sous le nom
de Cartesius : “puto
implicare
contradictionem, ut
mundo sit finites”,
intelligentia
supramundana ( se
mota a nostris rebus
sejunctaq ; longe),
harmonia
praestabilita, petitio
principii
Bibliographie
Sources primaires
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between the Late Learned Mr. Leibnitz, and Dr. Clarke, in the Years 1715 and 1716. Relating
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2001
- LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ROBINET André (éd.), Correspondance
Leibniz-Clarke, présentée d’après les manuscrits originaux des bibliothèques de Hanovre et
de Londres, Paris, Presses Universitaires de France, 1957
- LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, CLARKE Samuel, ALEXANDER, H. G. (éd.), The LeibnizClarke Correspondence: Together With Extracts from Newton's Principia and Opticks,
Manchester, Manchester University Press, 1998 (rééd.)
Sources secondaires
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- CHARTIER, Roger, CORSI, Pietro, (éd.), Sciences et langues en Europe, Luxembourg,
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- COHEN, I. Bernard, “Newton's Copy of Leibniz's Théodicée : With Some Remarks on the
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pp. 410-414, Chicago, University of Chicago Press, 1982
- HALL, Alfred Rupert, Philosophers at War. The Quarrel between Newton and Leibniz,
Cambridge, Cambridge University Press, 1980
35
- KOYRÉ, Alexandre, COHEN, I. Bernard, “The Case of the Missing Tanquam: Leibniz,
Newton & Clarke”, Isis, Vol. 52, No. 4 (décembre 1961), pp. 555-566, Chicago, University of
Chicago Press, 1961
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sciences, Vol. 15, pp. 63-126, Paris, Hermann, 1962
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Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1969
- SHAPIN, Steven, “Of Gods and Kings: Natural Philosophy and Politics in the LeibnizClarke Disputes”, Isis, Vol. 72, No. 2 (juin 1981), pp. 187-215, Chicago, University of
Chicago Press, 1981
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Oxford University Press, 1997
- WESTFALL, Richard, Never at Rest: A Biography of Isaac Newton, Cambridge et New
York, Cambridge University Press, 1980
- WESTFALL, Richard, Newton 1642 -1727, trad. Marie-Anne Lescourret, Paris,
Flammarion, 1998
36
Table des matières
Avertissement (p. 2)
Introduction (p. 3)
Section 1 – Une correspondance multilingue (p. 6)
Introduction (p. 6)
1 – Quelques points de repère : l’origine de la correspondance Leibniz-Clarke (p. 7)
2 – Les données linguistiques de la Correspondance Leibniz-Clarke et de ses lettres
adjacentes (p. 9)
3 – Une correspondance destinée au domaine public (p. 10)
Conclusion (p. 13)
Section 2 – Le latin, substrat linguistique d'une querelle doctrinale (p. 14)
Introduction (p. 14)
1 – Une langue véhiculaire sous-jacente (p. 15)
2 – Des Principia à l’Optice : paradoxes des usages du latin chez Newton (p. 16)
3 – L'exploitation doctrinale du bilinguisme par les épistoliers (p. 18)
Conclusion (p. 20)
Section 3 – Traduction, édition et autocensure : un éclairage de la controverse autour du
sensorium Dei (p. 21)
Introduction (p. 21)
1 – Goclenius et Scapula, ou du bon usage des dictionnaires (p. 22)
2 – A propos de la Quaest. XX de l’Optice... (p. 24)
3 – …et de sa traduction anglaise donnée par Clarke à Lebniz (p. 26)
Conclusion (p. 27)
Conclusion (p.29)
Annexe – Tableau récapitulatif des échanges épistolaires dans le cadre de la
correspondance entre Leibniz et Clarke (p. 30)
Bibliographie (p. 35)
37

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