portraits littéraires

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portraits littéraires
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Portraits de gens
d'ici
et
d'ailleurs
écrits par Jo ROS
www.agglopole-provence.fr
Alleins•Aurons•La Barben•Berre l’Etang•Charleval•Eyguières
La Fare les Oliviers•Lamanon•Lançon-Provence•Mallemort•Pélissanne
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
Rognac•Saint-Chamas•Salon-de-Provence•Sénas•Velaux•Vernègues
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Portraits de gens d’ici et d’ailleurs
Michel ARMAND
CHARLEVAL........................................................................................................................................................................4
Luisa ARMENICO
MALLEMORT.......................................................................................................................................................................6
Bernard BABEC
VERNEGUES........................................................................................................................................................................8
Christian BOTTEGA
Berre l’Etang............................................................................................................................................................... 10
Rabah BOUGHERARA
Saint-Chamas.............................................................................................................................................................. 12
Paul COLOMBIER
velaux............................................................................................................................................................................. 14
Jean-Claude EUGENE
ROGNAC........................................................................................................................................................................... 16
Aimé ICARD
la fare les oliviers................................................................................................................................................. 18
Max LAURENS
lançon-provence.....................................................................................................................................................20
Bernadette LINSOLA
EYGUIERES.......................................................................................................................................................................22
M
Pelissanne.....................................................................................................................................................................24
J.M
senas................................................................................................................................................................................26
Paul MAGNAN
Salon-de-Provence..................................................................................................................................................28
Charlotte PONS
la barben......................................................................................................................................................................30
Henri TROUILLER
Berre l’Etang...............................................................................................................................................................32
R.Z
BERRE L’ETANG...............................................................................................................................................................34
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Lire Ensemble 2013
PREFACE
LES GENS D’ICI ET D’AILLEURS
J'ai sillonné les belles routes du territoire salonais, entre Alpilles, Etang de Berre et Crau, avec le
plaisir d’être attendu dans chaque ville. À l'inverse du facteur qui porte des lettres, je suis venu
chercher les paroles qui deviendraient écritures sur mon cahier. Un portrait devait être restitué lors
d'une deuxième visite.
J'ai apprécié la beauté des portes ou grilles qui s'ouvraient à moi. Demeures en pierre, maisons de
village, salles de médiathèques, salons odorants, pièces fleuries, bureaux de travail venaient en écho
aux paroles échangées. Avec gentillesse et bonté, toutes et tous m'ont successivement accueilli pour
l'entretien et la lecture. Ils m'ont ouvert leur cœur et leurs histoires avec précision, avec émotion. Ils
m'ont livré leurs trésors de familles, leur mémoire.
Je leur suis reconnaissant de cette confiance mais aussi de m’avoir permis cette rencontre.
À l'instar d'un portrait photo, j’ai écrit à la première personne, celle du participant pour les mots,
celle de l'auteur pour les phrases.
Découvrant ces textes, le lecteur sera transporté au quatre coins d’Agglopole Provence, entre bords de
l'étang, contreforts des collines, canal de Provence, Lubéron et Alpilles. Là, résident des femmes et des
hommes venus d'ailleurs et ayant ancré leurs vies ici, ou simplement nés sur cette terre, habitant toujours
la maison de leurs parents, à proximité des champs, d’un parc zoologique, d’un refuge animalier, au
sommet d’un village, dans la ferme des ancêtres, auprès du lieu de travail. Leur métier, chimistes de
l’usine Shell Berre, famille d’accueil, anciens de la Poudrerie de Saint-Chamas, agriculteur, passionné
de cirque, gestionnaire de parc animalier, employés de mairie, passionné de plongée sous-marine,
défenseur de l’environnement, technicien en électricité, restaurateur, enseignant, passionné de la
langue provençale, d’astronomie … Un kaléidoscope de personnalités qui pourrait ainsi définir les
habitants de ce territoire, liant la tradition et le modernisme en préservant la mémoire, la sauvegarde
des patrimoines, le respect des animaux, la transmission des valeurs aux jeunes générations. Quels
que soient ou aient été leurs métiers ou leurs activités extraprofessionnelles, tous ont en commun
la passion de ce qu’ils font. Pour que rien ne s’oublie de ces vies, de ces tranches d’histoire locale
adossée à celle de la planète.
L’auteur, humblement remercie toutes celles et tous ceux qui ont volontiers ouvert le cahier de la
mémoire, les élus, l’équipe du service culturel d’Agglopole Provence, le personnel des bibliothèques
du territoire, médiateurs efficaces de ce projet.
Jo ROS
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Michel ARMAND
CHARLEVAL
Imaginez un pays de lumière, une odeur de thym, de romarin, royaume des moutons et des abeilles.
Souvenirs de fraîcheur de mon enfance sur ces terres de transhumance et de veillées. Solidarité et
fraternité des hommes, étendues aux animaux proches, chiens, chats, brebis, bouc, poney, lama et
ceux de la basse-cour. Ce monde presque disparu est encore dans un coin de ma mémoire. C’est aussi
l’univers que décrit Marcel Scipion dans ses livres mais aussi Marie Mauron. La transhumance, que j’ai
connu enfant accompagnant les bergers à pied jusqu’à la Roque-d’Anthéron, s’appelle en provençal
« l’escabau ». Cet amour des animaux, je l’ai depuis cette époque, au point de rêver de rejoindre un
cirque pour les voir évoluer. Peut-être que la vie m’obligeait à fréquenter l’école obligatoire. Je dois
dire que j’étais bon élève, à part les maths tout me plaisait. Je connaissais des récitations par cœur,
notamment ce poème de Victor Hugo « Demain dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne, je
partirai… ». Je ne sais pas si c’est la campagne en hiver, la perte de sa fille, l’aube, qui me sont restés
gravés. En effet je possède un petit terrain dont les locataires sont ces animaux qui constituent ma
communauté affective. Je me suis levé toujours très tôt pour m’en occuper, et couché très tard. Je les
soigne comme des humains. Notamment un singe aimé de tout le village et dont j’ai dû me séparer,
la réglementation sanitaire étant plus forte que le cœur ; un bœuf d’écosse, un poney, un âne, un
lama m’ont redonné le sourire.
Sourire permanent qui est accroché au mur sous forme du dernier chapeau de clown de Zavatta, oui
le grand, l’unique. Ce chapeau a une histoire comme tous les objet que vous découvrirez chez moi.
Envoie les clowns
Ceux qui disent que le cœur fait boum
Que du paradis ils retrouvent
Trenet, Zavatta ou Prévert.
Les animaux m’ont naturellement mené au cirque ou réciproquement. Le fait est que je suis passionné
de cirque, je les connais tous par leurs familles, les Gontel, Cornero, Cancy, Muller, Kerwicn, sans
oublier les plus grands Pinder, Zavatta. J’en connais tous les personnels comme les artistes.
Venez voir Le cirque
Les animaux sont magnifiques.
Sur les places publiques,
C’est la fête, et c’est magique.
D’ailleurs on a constitué une bourse d’échange avec leurs animaux. Chez moi, ils vont jusqu’à leur
dernier souffle. Ils sont en pleine campagne, tout mon argent y passe. Je les présente aux enfants en
faisant attention aux règles de sécurité.
Traversant la ville et me rendant au champ où logent mes animaux, je pense au chemin parcouru
depuis ma jeunesse. Au CET de Vauvenargues, j’ai appris le métier de maçon que j’ai exercé jusqu’à
mon accident à la jambe. J’ai la chance, après un stage à la mairie, d’être employé comme polyvalent
et ce jusqu’à la retraite. Là aussi mon emploi du temps est adapté aux besoins de mes animaux, les
soins très tôt avant le début du travail et le soir après la journée à la mairie. Le peu de temps qu’il
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me restait je l’ai passé au sein du club de foot de Charleval, au poste de gardien de but, ensuite
comme membre actif.
Vous comprenez qu’avec cette passion il m’est impossible de vivre en ménage, où trouver celle qui
soit capable de partager cette folie animale ? En plus je connais mes capacités de relation, sous des
apparences de mec sympa, souriant avec tout le monde, mais jaloux de ma liberté, allergique aux
règles, à l’ordre, aux armes. Je me suffis à moi-même, bon cuisinier, conteur intarissable, gai luron,
au courant de toute l’actualité locale, lecteur assidu des journaux. Cette capacité relationnelle je la
mets au service des animaux et du cirque. En effet je suis le passeport idéal auprès de la municipalité
pour tous les cirques qui veulent s’installer à Charleval.
Dans le cadre de la vie communale, je ne rate aucune fête traditionnelle qui marque la culture
provençale, notamment l’aïoli lors de la journée des Cendres. Je regrette l’évolution trop rapide de
la ville qui met en difficulté nos traditions de veillées devant nos portes. Comme je regrette l’image
un peu forcée du méridional donnée par Marcel Pagnol. Je suis de cette Provence chère aux cœurs
de Jean Giono et Marie Mauron. Je reste fidèle à l’idée de cette ville, à son charme, à sa douceur
de vivre, à sa couleur, à ses pierres et arbres, à son nom de char et de val, entre Lubéron et sud des
Bouches-du-Rhône.
Moi j’ai une pensée pour mon singe Cabo qui s’exprime dans la fable de La Fontaine :
Venez, Messieurs. Je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement,
Moi, je l’ai dans l’esprit : votre serviteur.
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Luisa ARMENICO
MALLEMORT
Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l’ai quitté
Et les teintes d’aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d’une nuit d’été.
Être étrangère en ce pays, cela a marqué toute la période de ma jeunesse jusqu’au mariage, où je suis
devenue Française grâce à l’union avec un Mallemortais, lui-même d’origine italienne. Issue d’une
famille de Parme, de celles qui ont quitté leur pays pour fuir la misère. C’était le cas de mon père,
boulanger, dont j’ai le souvenir qu’il aimait l’opéra, s’inscrivant même dans des concours de chant.
Pour des raisons que je n’ai pas pu élucider, mes parents se sont rencontrés à La Seyne sur Mer et
sont repartis en Italie où je suis née à Parme en 1939.
Après la guerre, mon père obtient un contrat de travail à l’usine SCI. Puis c’est le regroupement
familial en 1948. Nous sommes logés à même l’usine dans un local vétuste, sans eau ni commodités
avec d’autres employés de toutes origines. J’ai le souvenir d’une période difficile, ponctuée de corvées
pénibles, lutter contre le froid, aller chercher l’eau en bas, nous descendions et montions soixante et
une marches d’escalier. Nous descendions le repas pour mon père qui passait de nombreuses heures
dans l’entreprise s’agitant autour des autoclaves, grosses cuves pour la conservation du produit sous
forme de boîtes de tomates entières ou de coulis.
Sur les bancs de l’école, j’étais aussi cette enfant d’étrangers, mais je n’ai pas ressenti de racisme à
mon égard, m’adaptant rapidement et faisant des efforts pour me mettre au niveau. J’ai ainsi obtenu
mon CEP. Pendant les vacances je travaillais déjà aux champs.
Nous saisissons la chance d’acheter un petit appartement dans le village que mon père restaure à ses
heures perdues et que nous occupons cinq ans après à la naissance de mon petit frère.
À quinze ans je suis à mon tour employée dans l’usine, mon statut d’étrangère revient à la surface
concernant la difficulté de faire un dossier d’embauche. Mon frère y travaille également. Mais mon
père ne supportant plus le travail sur autoclave, reprend son métier de boulanger, nous en sommes
soulagés. Et quittons nous-même l’usine. Je deviens saisonnière dans les travaux des champs, ramassant
fruits et légumes pour les exploitants agricoles de la région. Entre-temps mon mari devient un petit
exploitant agricole sur des terres qu’il loue mais dont il est difficile de tirer un salaire décent. Il devient
donc chauffeur routier.
Je me marie à mon tour, élève un enfant. La chance se présente sous forme d’un emploi de femme
de service dans les écoles et collège. Là je m’adapte grâce à un bonne ambiance d’équipe et d’année
en année, je suis l’évolution du village devenant une ville agréable offrant tous les services sociaux,
sportifs et culturels à une population venue d’horizons divers.
Je prends ma retraite et organise mon temps avec mon mari. Je n’ai plus une minute à moi, le souci
de mes enfants et petits-enfants. Depuis ces années noires où enfants nous étions très sollicités pour
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les tâches de tous ordres, j’ai forgé un amour des autres, d’abord mes enfants et petits-enfants dont
je suis à la disposition ainsi que tous ceux qui sont dans le besoin à travers le monde associatif qui
est un pilier fort de la ville. Notamment « l’Association du patrimoine » qui organise la thématique
annuelle ajoutée à la soirée des masques et lumières. Nous conjuguons notre temps entre les animations
au foyer, les lotos du mercredi, les repas avec un groupe d’amis fidèles, les sorties dans la région,
le Dôme à Marseille, les mardis couture pour les vêtements du Téléthon, les poupées, les journées
bouillabaisse. Et surtout les soirées rami, très animées où on refait le monde. Le reste entre la télé,
les polars, les actualités, les week-ends vide greniers. Malgré certaines périodes noires que j’essaie
d’oublier, je suis assez heureuse de ce parcours d’une étrangère qui a fait siennes toutes les valeurs
de cette république qui nous a accueillis, aidés et permis de faire partie intégrante de cette ville.
Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l’ai quitté.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Bernard BABEC
VERNEGUES
La vie m’a enrichi de mille moyens exprimés par mes projets passés et présents, voyages, rencontres de tous
ordres. Elle m’a nourri de la culture des gens simples, issus du quotidien, du réel. Cela m’a permis de vivre
et survivre dans les multiples expériences qui ont jalonné mon chemin de pierre et qui le balisent encore.
Dans tous les cas, je peux ressurgir là où l’on m’attend le moins. Depuis quelques mois, je me suis ancré
dans ce coin de Provence, sur les contreforts du rocher de Vernègues, dans une ferme de pierres jaunes et
grises, nommée la Vaccaresse, ce qui en wisigoth veut dire « eaux mortes ». Mystère linguistique équivalent
à l’étymologie de mon nom d’origine celtique. Mes grands-parents de part et d’autre sont issus de la grande
famille des bergers et des paysans des régions d’Auvergne et du Piémont. Ces derniers faisaient le saut du
col de Larche et se retrouvaient en France à Gémenos, Aubagne et Vernègues, la ferme étant le ralliement
familial par excellence. Il y a eu là une concentration de troupeaux de moutons, dépassant le millier et la
centaine de bergers dont le siège symbolique était déjà cette grande bâtisse que je me fais un devoir de
restaurer. C’est vous dire l’ampleur de mon projet actuel, une passion de bâtisseur, formé à aucun des
métiers du bâtiment mais les exerçant tous. C’est le résultat d’une curiosité sans limite envers tout ce qui
est manuel ; ça a commencé à l’école ou plutôt à la non école, absent plus d’une fois, préférant la buissonnière,
les quatre murs ne contenaient pas les lutins que j’avais dans la tête. Je leur courais après dans les champs,
admirant la nature plus que les livres. Paradoxe, par la suite ils ont joué un grand rôle dans ma passion
d’homme curieux de tout, mais à chaque temps suffit ses coups de cœur et j’en ai eu, pour la terre, la mer,
la cuisine, la photo, la philosophie politique, la part de l’ombre et de la lumière qui se fait dans toute pensée
humaine. Les livres, ils couvrent tout un mur chez moi. Vous y trouverez l’essentiel, c’est-à-dire une littérature
active qui m’est nécessaire pour me réaliser en tant qu’individu, me déconstruire des préjugés et comportements
qui me seraient dictés de force par le groupe social ou sa soi-disant éducation ; celle qui compte pour moi
c’est celle apprise sur le tas, de façon pragmatique. C’est ce qui a marqué ma vie sans que je m’en rende
compte sur le moment, à mon insu et qui a élaboré mon échafaudage personnel qui tient l’ensemble avec
force et résistance nécessaire à toute intrusion d’une pensée nocive. Et ce faisant, cela va vous surprendre,
c’est ce qui me place dans le groupe social, c’est ce qui fait « ensemble » si les gens souhaitent faire un
bout de chemin en partageant le positif et le négatif de tout acte. Ma vie en est une preuve. Né à Gémenos,
élevé par ma mère et en partie par mes grands-parents dans la ferme de Vernègues, où était souvent présent
l’oncle Bagnis, personnage important pour moi m’apportant la culture des bergers dont les valeurs
disparaissent aujourd’hui. Les moutons paissaient sur le plateau et les terres en contrebas. Les bergers des
alentours jusqu’à Sainte-Victoire, la Sainte-Baume, échangeaient leur point de vue sur leur métier mais aussi
sur la société rurale et l’évolution de l’élevage ovin. Puis de retour à Gémenos, l’école essaie de faire de
moi un bon élève, échec, comme je vous le disais plus haut, mon école à moi était dehors, la classe, c’était
la colline, les leçons, celles de la nature, mes maîtres, les paysans, les artisans et les gens rencontrés. Je
savais y faire pour qu’on me mette dehors, indiscipline, bagarre, réponse au maître, la panoplie de l’amoureux
de l’école buissonnière. Ça ne veut pas dire que mon esprit était en sommeil, j’étais capable de réciter un
texte ou autre formule par cœur, simplement pour narguer ou parce qu’en CM2, j’étais tombé sur un
instituteur exemplaire. Ça arrive mais il n’y en a eu qu’un seul. Au collège, ça n’a pas été mieux, le piège
scolaire se refermait à nouveau et lorsque j’en eus fini de ce périple adolescent, il fallut bien se mettre au
travail. C’est je crois à partir de ce moment qu’une fée chance s’est présentée à tous les moments de ma
vie ne laissant aucun intervalle à ce qui va devenir ma vie professionnelle. Un photographe de Toulon prend
en apprentissage trois jeunes dont moi pour le seconder dans ses travaux commerciaux. J’essaie de me
perfectionner dans un cours du soir ; tout en intégrant les bases, je retrouve les quatre murs de l’école
diabolique et ne poursuis pas plus loin. Mais le phénomène photo ne m’abandonnera pas, comme vous le
verrez plus tard. De retour à Gémenos, la fée chance m’attend devant l’usine de carrelage. Ce travail me
plaît ajoutant à mon bagage une touche artistique et manuelle. Mais c’est aussi l’époque de la jeunesse
bouillante des années 60, guitare électrique dessinée au dos des blouson noirs, arrogance, cyclos, chahut,
et la fée chance ne peut pas m’éviter quelques difficultés passagères avec la police que chante Brassens
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Lire Ensemble 2013
dans son « Gare au gorille » ou autre aubade sociale. Le temps du service militaire m’apprend une nouvelle
culture du groupe, j’essaie à nouveau de reprendre les cours du soir et réalise l’exploit d’y rester un certain
temps. Heureusement la paix en Algérie m’a épargné la dure épreuve subie par les appelés du contingent
une année auparavant. Je reprends le chemin de Gémenos, non sans de grands moments passés à Vernègues
avec mes grands-parents, où je n’oublie pas le paysage féerique de cet oppidum, son ensoleillement, sa
végétation, les moutons, la couleur des pierres et les recoins du village détruit par le séisme de 1909. La
fée chance se présente sous forme d’un paquebot de la compagnie Paquet qui m’embauche comme aide
toutes catégories, ce qui veut dire en langage commun, moussi ou manœuvre naval. Malgré le mal de mer
des débutants, je m’accroche et participe aux diverses traversées en direction du Maroc, des îles Canaries.
Le boulanger m’encourage à toucher à tout et me prend en estime. Afrique de l’ouest, c’est l’aventure, avec
à chaque port la découverte les rencontres. Ces embarquées sont particulières parce que nous formons un
équipage de relégués de la compagnie. Ça ne m’empêche pas de saisir l’opportunité du départ du boulanger
pour le remplacer, j’arrive même à contourner ce que disent les lois maritimes de la nourriture prévoyant
une pâtisserie les jeudis et dimanches, rapidement je confectionne d’autres desserts notamment des flans
vanille ou chocolat, de la glace qui fait l’unanimité, chose difficile à réaliser sur un navire marchand. Une
réorganisation de la compagnie est opérée, je suis réclamé à chaque traversée. Là j’ai appris toutes les
règles de la vie en marge, les souterrains des trafics de confort ; la culture de la douane, monde obscur et
secret difficile à livrer, mode de vie. Loi du silence et celle de la camaraderie, ne craint aucune dérive
institutionnelle menaçante. Je réembarque sur le bateau croisière « Le Renaissance » où là je découvre la
Grèce, les Caraïbes, les pays du Nord, dont la Norvège et ses fjords, l’Amérique et Miami, où j’ai failli épouser
une Cubaine. Une vraie vie de baroud. Lors de mes congés de trois mois réglementaires, je reprenais racine
à Vernègues retrouvant les quatre saisons, le charme des lilas, des oliviers, des pins, et la vue imprenable
de la ferme sur les côtes du golfe de Fos, l’échappée vers Aix et Marseille. J’ai eu tout à coup cette nostalgie
du méridional attaché à sa terre. Je m’efforce de fonder une famille, elle existe et la fée m’attend cette fois
aux portes d’une entreprise de chaudronnerie. Qu’à cela ne tienne, je m’inscris en FPA pour une formation
de chaudronnier tuyauteur ; pour obtenir le CAP je n’hésite pas à entrer dans le dispositif de remise à
niveau. La soudure au chalumeau et à l’arc n’a plus de secret pour moi, je gravis les échelons, en soustraitance, j’égrène les entreprises de la zone de Fos ; à nouveau à cause d’un mal au dos handicapant et
grâce au concours de connaissances, c’est dans la sécurité que j’assume un nouveau poste sur l’aire du
port autonome de Marseille-Fos. J’ai l’impression que le ruban de vie commence à opérer un virage sous la
forme d’une proposition d’emploi de photographe du port, un clin d’œil à mon apprentissage dans le
laboratoire photo de Toulon pendant mon adolescence. Me revoilà sur les bancs de la formation à l’EPHET
où je décroche un diplôme de photographe enrichissant ma collection de CAP depuis des décennies. Sans
oublier mon statut de syndicaliste aguerri à la connaissance des pouvoirs et des hommes, du travail et de
l’éthique ouvrière. Grand moment de ma vie où on retrouve mes photos dans les expos, les revues du port,
celles du conseil général « Accent ». J’ai tout ce travail en archives dans ma demeure de retraité, à Vernègues,
matériaux qui me servent encore pour une animation dans les écoles, notamment autour d’un travail sur
les graffitis recueillis sur les containers et murs imposants du port. Si votre œil est exercé à l’art de la photo,
vous ne verrez dans mon travail aucun homme ni son ombre mais la révélation en contrepoint de la vie et
du travail des hommes. Mon temps se passe désormais ici à tutoyer mes souvenirs, sans nostalgie, me
trouvant devant un nouveau challenge, celui de restaurer la ferme. Respecter ses assises, ses murs, ses
fenêtres, la couleur des pierres, à peine esquisser un chemin, ranger tous les livres que j’ai dévorés, une
revanche sur l’écolier buissonnier, ranger mes photos, livrer mes pensées, mes idées à qui veut bien les
écouter, reprenant mes chemins de vie, routes maritimes, sentiers de transhumance. Retrouver mes compagnons
de racines, Espagnols de la Confédération Nationale du Travail, lecteurs des Laborit, Carrel, Stirner, Proudhon,
Bakounine et autres empêcheurs de vie conforme. Pour ne pas être de ceux qui vivront par la lucarne d’une
prison dorée que les pouvoirs virtuels cloueront au-dessus de leur tête.
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Christian BOTTEGA
Berre l’Etang
L’une de mes passions actuelles est d’être un membre actif d’un groupe d’ornithologues et aussi de
naturalistes, fréquentant l’Etang de Berre et les collines environnantes pour échanger des informations
locales sur nos domaines de prédilection. Passion que je partage avec mon épouse. Cette association
fait partie de la Ligue de Protection des Oiseaux et mon autre violon d’Ingres, c’est le dessin où j’ai un
énorme plaisir à caricaturer les évènements de tous ordres liés à l’activité quotidienne de la société et
lorsque j’étais à l’usine, à la vie de mon groupe au sein de la Shell. Ne vous étonnez pas si la plupart
des personnages sont représentés par des oiseaux. N’est-ce pas La Fontaine qui en faisait usage dans
ses fables ? Un oiseau suivant son genre représente bien la psychologie de l’homme et nombre de
mes dessins sont un raccourci à la plume pour livrer au regard du spectateur les scènes inspirées de
ce que je vois, ce que j’entends, un théâtre vivant aux cent actes divers et dont le dessin est l’univers.
C’est en découvrant au sein de mon équipe le tableau d’affichage du local de mon secteur de travail
que vous comprendrez mieux ma vision sur l’usine. Le responsable de l’unité attendait avec intérêt
le dessin du jour.
Nous abordions le travail avec lucidité parfois avec humour, toujours avec sérieux. Le travail posté a ses
avantages et ses inconvénients. Personnellement je m’y suis adapté préférant le poste du matin, qui
me laissait un temps de loisirs les après-midis pour m’occuper d’ornithologie. Il faut noter que grâce à
mon entourage, mes moments de repos ont été respectés. La météo joue beaucoup sur nos conditions
de travail. La pression de la direction dans le but de produire peut créer des incidents ajoutant à mon
anxiété la tension de tous les instants. Cependant nous avons pour la plupart forgé en nous une
conscience professionnelle nous permettant d’intervenir à tout moment, ce qui renforce les liens au
sein de l’équipe et lui permet d’avoir de bons moments de convivialité. Grâce à l’action du CE et du
syndicat, je suis souvent passé au travers des plans sociaux regrettant le côté paternaliste de l’usine.
Élevé par ma mère dans la belle ville de Cassis, j’ai pas mal bougé de l’école primaire à l’internat à
Orange où je passais mes week-ends chez ma grand-mère, ensuite à Cavaillon où après la troisième
et le BEPC, j’ai quitté l’école. Une période indéfinie de petits boulots dans une menuiserie de Saint
Andiol, ensuite serveur dans les restaurants et bars de la région, notamment à Saint Rémy de Provence
aboutissant au temps obligatoire du service militaire où le choc du champ de tir a certainement
occasionné un mal d’oreille qui persiste encore aujourd’hui. Après mon mariage, un oncle du côté
de mon épouse, ouvrier à la Shell me conseille de faire une lettre d’embauche. Reçu, on me met en
garde, concernant le poste qui m’est offert : ne pas avoir de risques hépatiques et de bien prendre
soin de ma santé en me protégeant et par les douches obligatoires d’une demi-heure avant et après
le poste. Lieu où se croisait la relève. Il faut vous dire que je travaillais à la fabrication du produit
Vapona, cet insecticide puissant. Malgré un poste difficile et à risque, je garde le souvenir d’une
période positive au sein d’une équipe de vingt-cinq personnes. C’était ensuite le secteur du finissage
du SBR (syrène, butadiène, rubber). Le matériau obtenu sous forme de granulés par une composition
chimique à base de pétrole et d’additifs calculés était compressé pour obtenir un cube de trente-cinq
kilos qui ensuite donnait le latex et la gomme. Ce dernier produit était fourni à divers clients dont
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Lire Ensemble 2013
Michelin qui en faisait de la gomme pour les fameux pneus. J’ai donc été muté dans les différents
secteurs de la fabrication de ce matériau. Michelin a ensuite décidé de faire son propre caoutchouc
entraînant une compression du personnel. Mis en demeure par la commission de réaffectation, je
me suis retrouvé à la fabrication du PVC, où j’ai dû m’adapter à une autre façon de travailler, dans
un secteur dominé par le modernisme, le travail en salle devant des écrans d’ordinateur. J’ai dû
faire d’énormes efforts intellectuels pour comprendre la philosophie de ce nouvel emploi. Grâce à
ma capacité d’adaptation, que ce soit pour le Vapona, ou pour le caoutchouc, j’ai appris sur le tas
en écoutant ceux qui savaient, en faisant des efforts ; j’en garde un souvenir de reconnaissance et
de détermination de ma part pour ne pas être exclu du système. Tout cela vous pouvez le voir dans
mes dessins. Dans mon jardin secret mais aussi dans mon potager, dans l’esprit de Voltaire, je me
remémore tout ce chemin. J’y pense à nouveau lors de randonnées dans les collines en observant les
oiseaux. Tiens, si je me mettais à ma planche à dessin pour caricaturer cette vie. Vous le découvrirez
peut-être dès demain sur vos ordinateurs sur mon site « Christian dessins 2004 ».
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Rabah BOUGHERARA
Saint-Chamas
Si je peux résumer ma vie en quelques mots, je dirai que c’est l’histoire d’un long chemin de travailleur.
De l’âge de douze ans à celui de la retraite sans discontinuer. Bien sûr nous n’étions pas des esclaves,
mais il y a eu des périodes où ça ressemblait un peu à ces films sur le travail dans les mines de
charbon, faire des heures, accroître la production. Mes jambes et mon dos me le font bien sentir depuis
quelques temps, m’obligeant à marcher avec une canne. Il faut vous dire que mon autre canne, c’est
Khamsa mon épouse qui tient mon autre main ; c’est grâce à elle que je suis fier de tout ce parcours
d’ouvrier, de père, grand-père et arrière-grand-père d’une famille qui m’a donné beaucoup de joie et
qui est encore aujourd’hui ma raison de vivre.
Né à Sétif, fils d’un père militaire que j’ai peu connu, élevé par ma mère et un oncle, j’étais peu attiré
par l’école que je n’ai pas fréquentée, préférant travailler rapidement. En effet à l’âge de douze ans
je deviens cordonnier, un beau métier qui m’a donné de bonnes bases pour le travail manuel. Mais
j’avais l’esprit ailleurs, un désir d’aventure, je ne tenais pas en place. Mes parents avaient de la famille
en France. Qu’à cela ne tienne, on m’émancipe grâce à une procuration de minorité et me voilà en
Provence en 1952 où je débarque sans argent, sans adresse, une étoile au-dessus de ma tête à qui
j’ai fait confiance puisqu’elle m’a amené chez le frère de ma femme, venu travailler à Saint-Chamas où
il s’est installé. Je trouve vite un emploi comme manœuvre, en particulier à la Poudrerie qui compte
quelques centaines d’ouvriers, j’apprends le français sur le tas, ainsi que la technique de la maintenance
des outils et installations pour la production de la poudre pour les explosifs.
Pour moi, il est temps de faire le service militaire et grâce à une connaissance de mon père, militaire
lui aussi, à l’enregistrement du conseil de révision, je bénéficie d’un statut de soutien matricule FD2 ;
toujours cette étoile au-dessus de la tête qui m’évite de me trouver au centre du conflit franco-algérien.
Un véritable casse-tête pour nous Algériens originaires d’un département français et Français par
choix. L’étoile me dirige à la même époque vers une femme absolument belle qui m’est destinée, qui
me conduit au mariage et que je n’ai jamais quittée. Aujourd’hui à Saint-Chamas, lorsqu’on me voit,
ma femme n’est pas loin et réciproquement. Nous sommes inséparables, que ce soit pour la maison,
pour les commissions, pour aller au marché, pour la famille.
J’aime la vie dans cette ville entre travail, foot où je suis ailier droit pendant un bout de temps au
Football Club de la Poudrerie, la grande et la petite famille qui s’agrandit d’année en année, les amis,
les responsables de la ville et des associations. Avec ma femme, nous sommes très connus, respectés
ainsi que reconnus. Que ce soit avant ou après l’indépendance de l’Algérie, ce pays est dans notre
cœur comme le chante Djamel Allam, poète bien connu en France.
Un pays qui mêle la tendresse et la révolte, c’est ça l’âme de l’Algérie que j’aime.
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Lire Ensemble 2013
La Poudrerie ferme ses portes en 1956 il faut trouver du travail ailleurs ; le plan social prévoit une
formation ; je choisis le métier de chaudronnier tuyauteur qui me permet de trouver du travail à
tout moment dans les entreprises de la région, implantées entre Aix, Marseille et la zone de Fos. Je
suis fier d’appartenir à la corporation des ouvriers du fer, de la métallurgie comme le chante Ferrat,
Je n’en finirai pas d’écrire ta chanson
Ma France !
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France !
Je voyage souvent de l’autre côté de la Méditerranée où je rends visite aux deux familles, celle de ma
femme et la mienne. Mais ma vie, depuis l’âge de dix-sept ans où j’ai débarqué dans ce pays, est ici
et c’est ici que j’ai inculqué les valeurs de la République à mes enfants, qui à leur tour ont fondé leur
famille comme tous citoyens français ayant des droits et des devoirs envers ce pays.
J’aimerais vivre dans une société où nous avançons tous ensemble comme dans une famille, nous
pouvons être heureux, nul besoin de tant de richesses, être simplement modestes comme la plupart
des gens de cette ville de Saint-Chamas. Ville de dimension humaine où la gentillesse de ses habitants
se repère dans les rues, sur la place, sur le port donnant cet air paisible du bien vivre.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Paul COLOMBIER
velaux
Depuis mon plus jeune âge, j’ai l’impression d’avoir fui l’inutile pour arriver à l’essentiel, être amarré
aux terroirs du midi et en particulier à Velaux, après avoir essayé mes semelles de vent entre Paris,
Lyon, Marseille, mon PLM à moi. Pour que jamais ne s’achève la chanson de Velaux « Fau jamai que
s’acaba de Velaurs la cançon », ville à la haute colline verdoyante de son blason. Ici la charrue est liée
à la terre comme, un peu plus bas, en Méditerranée, la barque est attachée à la mer, guidée par les
étoiles. Paysans et pêcheurs en symbiose avec leurs milieux naturels. J’en suis venu à me construire
un carré de vie et de vision du monde sur la base des paysages en étroite relation avec les étoiles, les
saisons et la communauté des travailleurs, un hymne entre les travaux et les jours du temps qu’il fait
et du temps qui passe. Né à Chateaurenard d’une mère paysanne et d’un père ingénieur électricien,
employé auparavant dans les premiers studios cinématographiques de Marcel Pagnol à Marseille, j’ai
traîné mes pas d’évitement entre école primaire, collège et lycée. Moi l’enfant solitaire, les yeux fixés
sur le ciel en attente de fuite. Je savais qu’il fallait du temps pour que la langue trouve son rythme et
sa musique en écho à celles de ma mère aux sonorités affectives et de mon père aux accents masculins.
J’étais déjà Provençal dans le provençal. Je me réalise ensuite dans des études de sciences physiques,
chimiques et naturelles. Après trente mois d’armée équivalant à trois années universitaires, je bifurque
vers une double licence et maîtrise de philosophie et de lettres à la Sorbonne, et un doctorat de lettres
de troisième cycle, option langues romanes, à la Faculté d’Aix-en-Provence. Après quelques emplois
dans le privé, je deviens professeur de lettres, et conjointement professeur de langue provençale à
l’École Normale puis en lycée. Mais ma passion d’enfant, les pieds dans les sols qui vivent et la tête
dans les étoiles, s’exerce dans les sciences, particulièrement dans l’astronomie. Toujours passionné
par les lettres, le symbolisme, les sciences, les milieux de vie, le tout exprimé dans mes deux langues
maternelles : langue d’oil et langue d’oc, j’ai une prédilection pour la seconde, tellement proche de
son incarnation au milieu familial et communal de son origine.
Ma passion conjointe pour la langue d’oc et pour l’astronomie fait que j’utilise l’une pour décrire ou
introduire l’autre. En provençal on appelle cela « VIURE », vivre. On ne dit pas par exemple « prévoir
le temps », mais « vivre le temps ». C’est que le rapport au cosmos est perçu par nous, gens d’oc, sous
l’angle de la vie, sous l’angle de l’humain : c’est toi, vivant ici et maintenant, qui es partie prenante
de ce temps, de ce ciel, de ces étoiles. Faire de l’astronomie en oc – ou plutôt « vivre l’astronomie ».
L’homme, comme tout vivant, est pris en compte par ce regard poétique et scientifique sur l’Univers.
Quand on dit en français, avec un verbe impersonnel : « il va pleuvoir », en provençal on dit plutôt :
« siam a l’aiga », « nous sommes à l’eau », c’est bien nous qui allons la recevoir cette pluie ! De
même pour exprimer l’heure : impersonnellement en français, « il est dix heures » sera pris en charge
par les acteurs humains en provençal : « siam a dètz oras » (siam a dès ouro). Le « il était une fois »
impersonnel des contes devient : « Vous trovaretz qu’un jorn ». L’assistance est interpellée, sollicitée…
Il s’agit donc bien d’une conception du monde qui fait l’une des richesses de notre France dans sa
diversité. Rien d’étonnant à ce que mes mots-clés soient « VIURE » et « TERRAIRE ». Nous vivons dans
un terroir, le mot étant pris dans son sens d’unité naturelle et habitée ; les étoiles font partie de ce
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Lire Ensemble 2013
terroir, puisqu’on les contemple toujours comme partie prenante du paysage où l’on vit. Le mot « ròde »
justement, – ou « ròdo » (ròdou) pour notre région linguistique – désigne une étendue circulaire, une
région donnée et ses habitants, un lieu où l’on s’assemble. Il connote souvent un paysage complet
où rien ni personne n’est oublié, ni les hommes dans leur diversité, ni la nature dans sa variété, ni
le ciel qui y étend sa cape.
Cette double passion, ou plutôt cette passion unique exprimée diversement, sans jamais se départir
de la vie, exige différents modes d’appréhension, tous complémentaires, comme ces deux associations
à première vue presque aux antipodes : « Lo Ròdo de Velaurs » que j’ai fondée avec notre troubaire
velauxien Raoul Féraud ; et « l’Astroclub de Velaux », qui aux origines émane de l’A.C.P. (association
culture et patrimoine), mais qui fut animé par le regretté Michel Espoto et moi-même. Je réunis
d’ailleurs ces deux activités au cours d’un stage annuel d’été, dans le cadre des « Rencontres occitanes
en Provence »… Mes outils de base : un crayon gris, le Trésor du Félibrige de Frédéric Mistral, un
ordinateur et un télescope. Mais de ce côté-ci du télescope, je pense à mes parents, un père que
Marcel Pagnol appelait « mameluk » en référence à « sa gueule cassée » dissimulée derrière une
grande barbe, et une mère aux solides valeurs paysannes. Il y a aussi nos enfants et ce qui nous lie,
toujours cette langue faite pour nommer la vie, celle des choses, celle des hommes, celle des lieux. Je
me plais à illustrer toute cette philosophie, là-haut sur le plateau de la « Palun » où sur les indications
d’un paysan, Daniel Donnier, j’ai découvert les routes d’une autre géographie tracées sous forme
de rosace, respectant rigoureusement les angles et les perspectives. Le soleil, la lune, le calendrier
naturel sont mes professeurs du moment, moi qui ai essayé de l’être pour cette ribambelle de jeunes
collégiens vivants et que j’aimais même râleurs. Leurs sourires et le mien ont tressé les éphémérides
du souvenir. Si vous voulez bien m’accompagner, après avoir gravi l’escalier qui mène à une salle de
la Maison des Associations, je vous ferai pénétrer notre langue, sous la houlette invisible de notre
troubaire disparu, Raoul Féraud* :
Ici point de bâton pour frapper sur les doigts
Et point de gêne
C’est une classe unique
Les jeunes et ceux qui le sont moins :
Les quinze, quarante et soixante-dix ans
Aucun premier, nous sommes tous égaux.
Nous ignorons. Demandons,
Nous sommes fourmis, allons doucement,
Et si vous voulez aller plus loin ou plus haut, nous irons cueillir ensemble quelques réponses au secret
de la vie dans le champs des étoiles.
* Le livre « Poésie d’oc à Velaux » recueille ses principaux poèmes destinés aux Velauxiens de souche
ou de cœur; ils évoquent les petits riens qui font la vie et la joie de vivre ensemble au village.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Jean-Claude EUGENE
ROGNAC
Rien de plus beau que le regard d’un enfant qui vous ramène son petit exploit de l’école. Où se lève
le soleil et où se couche-t-il ? demande la maîtresse. A l’est et à l’ouest et d’autres questions sur la
planète, la lune, la mer. L’enfant a réponse à tout, c’est mon petit-fils. Signe que le message est passé,
celui que je transmets depuis pas mal d’années déjà, en projetant mes films sur le thème de la mer,
et plus exactement de l’univers sous-marin, et en débattant avec toutes les générations. Fierté du
grand-père comblé.
Né à Marseille, je suis naturellement attiré par la mer. La chasse sous-marine me conduit à la plongée,
mon baptême a lieu en 1961 dans le golfe Fos dont à cette époque les amphores tapissaient le
fond. Très vite attiré par la photo sous-marine alors en noir et blanc, je deviens cinéaste amateur.
Cela m’oblige à me distinguer par l’originalité des sujets à traiter. À la fois, scénariste, dialoguiste,
accessoiriste, metteur en scène, caméraman, monteur, réalisateur, acteur, j’ai commencé par des films
en super 8 avec une caméra que j’avais mise dans une cocotte minute et un phare de 2CV. Je filme
ensuite avec une caméra vidéo 8 dans un boîtier étanche Sony. Primé dans différents festivals, Festival
Mondial de l’image sous-marine d’Antibes, Ciclo Submarino le festival international de San Sébastian
en Espagne, aux Journées de la mer de Carry-le-Rouet, au festival PAF Tachov en Tchécoslovaquie, je
poursuis ma quête d’images au sein de la section plongée photos et vidéos sous-marines de Marseille
Sports Loisirs culture.
Mes films sont des fictions, bien souvent humoristiques et pédagogiques sans oublier la touche
écologique, s’adressant à tous les publics. Une pensée particulière pour mon film réalisé avec le Club
des Morses de Callelongue, « Première Mondiale au royaume de Neptune » qui a reçu un prix spécial
au 32ème Ciclo de ciné submarino qui se déroulait à San Sébastian en 2008.
Les sentiments qui m’animent ont toujours été l’amitié, le partage, la générosité, je n’ai fait aucun
commerce de mon travail. Cela est dû certainement à une vie proche de la nature et à une enfance
heureuse dans mon quartier du 5ème arrondissement de Marseille. J’ai été de ces bébés qui naissent
à la maison, de ces enfants de l’école respectueux de leurs maîtres, de ces préados lecteurs de comics,
Tarzan, Bibi Fricotin, les Pieds Nickelés et autres héros d’aventures planétaires.
Après mes années de primaire jusqu’au certificat d’études, je suis admis à l’EEIM (École d’Electricité
Industrielle de Marseille), où je passe mon brevet de technicien.
L’eau était mon élément, je tente un concours à la Compagnie Paquet, sans succès. Cela m’apprend
à surmonter les obstacles et m’endurcit quelque peu. Je suis embauché aux PTT. Un long chemin
professionnel me permet de passer par plusieurs postes souvent après des stages et des formations.
Je me retrouve tour à tour au central téléphonique «Ferréol», au télégraphe «Colbert», à l’IRET (Institut
Régional d’Enseignement des Télécoms), je me perfectionne dans les techniques nouvelles «ITINÉRIS»
transmission numérique, où avant mon départ à la retraite je fais office de formateur, pour les agents
des lignes. Autour de moi, mes collègues de travail suivent ma passion maritime. Dans le même temps
comme tous les jeunes de mon âge, après un service militaire classique je me marie et installe une
caravane sur l’île du Gaou, où je suis dans mon univers, pour plonger et filmer les fonds et mettre en
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Lire Ensemble 2013
images mes rêves de Némo, des légendes sous-marines. D’ailleurs, c’est dans ce cadre que j’ai croisé
le commandant Cousteau, en venant installer un télex au sein de sa base de l’Estaque. Son bonnet
rouge me suit dans mes pensées de scénariste, une couleur que l’on retrouve souvent dans mes films.
Je suis révolté par le comportement des hommes vis-à-vis de la nature, déposant tout et n’importe quoi
sur les rivages, au fond de la mer, sur les routes, dans la campagne. Ce qui explique aisément mon
implication à diverse périodes de ma vie, avec les jeunes du Club Bochier, par exemple, mes collègues
d’enfance et du quartier, en participant à la Commission Locale d’Information et de Sécurité à Rognac
pendant mon mandat de conseiller municipal, dans le cadre du Syndicat Mixte d’électrification, dans
le cadre de la Fédération Française d’études et de Sports sous-marins, dans les articles que j’écris
pour le journal Le Morse, dans l’association syndicale des propriétaires des Frégates, à Rognac, dans
mes articles pour le journal l’Echo de la Forêt de l’amicale du Comité communal des Feux et forêts.
Je suis fortement impliqué avec Marseille Horizon dans la journée mondiale de nettoyage de plage
éco citoyen organisée conjointement par plusieurs pays du pourtour méditerranéen. Nous serons dans
les calanques de Marseille pour la 10ème session de l’opération Calanques propres. Je suis présent en
tout lieu et association, dans l’esprit de la constitution des droits de l’homme et du citoyen, chaque
fois qu’il faut alerter et sensibiliser le monde sur l’ampleur de la pollution des eaux marines et du
littoral par les déchets solides.
À l’image de mes films où je fais jouer des amateurs, voisins ou parents, mes amis plongeurs,
moi-même, je parle au poisson «Jonas» même s’il est rouge et d’eau douce et le mets à l’aise dans
l’élément salé grâce à ma créativité de cinéaste passionné par l’image sous-marine. La preuve, mon
film : Le Voyage de Jonas.
Allez le voir, vous me comprendrez mieux. Je veux porter la parole et l’image partout où elles feront
prendre conscience à l’humanité de l’intérêt de sauvegarder la planète.
Dans un monde qui naît de lui, l’homme peut tout devenir.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Aimé ICARD
la fare les oliviers
Pourriez-vous vous imaginer des joueurs de football se livrant à la comédie pour interpréter « La
Pastorale Maurel » ? Et pourtant c’est le cas, ici dans notre ville de La Fare les Oliviers. Vous aurez
bien fait la différence entre cette pastorale et la « Riboun », la nôtre étant l’adaptation d’un texte écrit
en provençal, la seconde un opéra comique qui varie en fonction des adaptations locales. Pour en
revenir à nos footballeurs, l’Union Sportive Farenque, dont j’étais ancien joueur de l’équipe première
et président, décide de présenter sur les planches de la salle des fêtes, cette pastorale mythique. Dans
la Compagnie du Tallagard, créée par ma filleule Magali, j’ai longtemps rodé le rôle du « papé » de
l’Arlésienne de Frédéric Mistral.
Je n’oublierai jamais la fête que les amis ont préparée pour les cinquante ans du club, le défilé de
mes anciens, le tout suivi d’un repas mémorable. Mon émotion était à son comble. Aussi vive que
celle des camarades du club en tenue, face à un énorme public, sous une salve de sons de cloche
actionnée par le curé, la même qui me bouleversa un certain jour de juillet 1942 où je reçus un livre
des mains du Maréchal pour me récompenser d’avoir été reçu premier du canton du certificat d’études
primaires où j’ai excellé en orthographe et surprise, en dessin. J’ai eu la chance qu’au moment de
dessiner, le soleil porte l’ombre du parapluie sur le tableau ; je croquai le tout, objet et ombre. Cela
a impressionné le jury. J’avais déjà le souci du détail. Je me sentais plus manuel qu’autre chose. Bien
qu’à l’école j’avais une mémoire excellente me rappelant sans peine de certaines récitations et des
dates en histoire. J’ai la mémoire exacte de celles qui ont marqué ma vie.
Le 2 juillet 1945, j’ai été embauché comme apprenti à l’entreprise Dor. Parallèlement, j’ai passé mon
CAP de menuisier par correspondance, je me suis accroché à ma façon aux études. Mon diplôme en
poche l’entreprise a prolongé le contrat. La malchance m’a coûté deux doigts en mai 1950. Amené
d’urgence à la clinique Juge à Marseille, le spécialiste reconnu pour des interventions de ce type était
malheureusement absent, aurait-on pu les recoudre ? Cela n’a pas altéré mon optimisme reconnu.
J’ai appris à vivre avec. Dépassant ce handicap. Je crois en l’homme et à l’action qui le met debout.
Je fais mon service militaire avec mon contingent durant dix-huit mois à cette époque, à la veille du
conflit avec l’Algérie. Exempt d’armes à cause de ma main, j’ai passé le plus fort de mon temps dans
un atelier de travail.
Je reviens dans le civil prêt à reprendre mes activités et ma vie avec les copains du foot. Je rentre chez
Cabot France en 1957, fabrique de caoutchouc et gomme. La chance se présente par une opportunité
d’embauche à la Shell. Je suis intégré à l’unité de fabrication. Le parcours traditionnel d’un ouvrier à
la Shell va jalonner toutes ces années où je m’adapte au travail posté sans difficulté. Je passe d’une
unité à l’autre me perfectionnant dans les différents procédés chimiques. Du topping au cracking,
un stage de perfectionnement à Petit-Couronne dont on parle tant aux actualités en ce moment,
à Strasbourg en 1963, où je participe au démarrage de l’usine de Reichteit ce qui m’amène à un
emploi de tableauteur, l’usine s’adaptant à la modernité. Ensuite de la section « gaz », je me retrouve
au secteur mouvement qui est en relation avec les autres usines de la pétrochimie comme La Mède,
Lavera, Fos. Je participe ensuite au démarrage de la raffinerie de Pauillac. Les derniers temps je suis
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Lire Ensemble 2013
nommé contremaître à la tête d’une équipe de cinquante trois opérateurs de fabrication. Je profite
d’un plan social en 1982 pour prendre ma retraite. Depuis je m’investis à fond dans le bénévolat
dans la droite lignée de mon implication associative durant toutes ces années de travail où il fallait
conjuguer le temps entre l’usine, le foot, le théâtre, la maison, la famille. Je ne m’ennuie pas une
minute entre les assemblées à l’Union Sportive Farenque, la préparation de la pastorale Maurel et le
Comité des fêtes à la Libération. Je me suis complètement investi dans les fêtes de la Sainte Rosalie
et enfin dans la Société de Chasse au sein de laquelle nous avons organisé un conseil de gestion du
territoire pour veiller à l’environnement sur les risques de pollution et d’incendie.
Je suis en permanence, grâce à l’enfant qui est toujours en moi, ému par la bonté de mes parents,
simples ouvriers, un père qui travaillait aux Ponts et Chaussée, qui a passé le rouleau compresseur avec
Monsieur Philibert, l’ancien président du Conseil Général. Une mère issue d’une lignée généalogique
illustre puisque nous retrouvons dans l’une des inflorescences de notre arbre, l’une de nos aïeules
Jeanne de Nostradamus. C’est inscrit là dans un rouleau que je garde précieusement. C’est mon frère
René, instituteur à Berre qui a pris l’initiative de cette recherche. Mon autre frère, Guy travaillait à
l’Aérospatiale.
Puisque l’on est dans le passé, je ne peux pas passer sous silence une période de forte peur durant
l’année de l’Occupation. La présence dans notre ville des Allemands nous a plongé dans l’angoisse,
ils débarquaient dans nos maisons, dans notre école, ils envahissaient nos rues souvent avec brutalité,
arrêtaient les bals. Un fait m’a marqué, ils étaient mélomanes, et j’écoutais attentivement leurs
concerts donnés sur la place publique.
Notre vie d’enfant s’accommodait du village et de ses environnements, on se contentait de peu. Pour
le goûter au sortir de l’école, on se retrouvait au Moulin Roustan pour étaler sur notre pain de chez
Bleynat un couche d’huile d’olive. J’en ai les papilles qui vibrent d’émotion. Je le raconte souvent à
mes six petits-enfants et mon arrière-petite-fille. Je leur récite également ce poème de Charles Sana,
à la gloire des oliviers de notre ville :
Ça fleure bon la lavande
Au pays où il est planté
De l’Estérel jusqu’à Massane
Du Languedoc jusqu’au Nyonsais
Un jour les Grecs nous l’apportèrent
Il y a vingt cinq siècles de cela….
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Max LAURENS
lançon-provence
S’il y a un lieu de notre beau village de Lançon de Provence que j’emporterais dans mon cœur, c’est
bien la place de l’Église. Là sont nés mes rêves d’enfant, mon histoire familiale, un amour fidèle. J’ai
habité cet endroit, dans la plupart des maisons qui font le tour de la place, accrochées comme un
anneau aux portes de l’église, et dont le centre est la statue d’Emmanuel Signoret, notre poète local,
ami de Gide. Ne disait-il pas dans l’un de ses poèmes :
Elle aurait attendu mes pas pour s’éveiller
Et me reconnaîtrait aux colombes offertes
Je l’aimerais de tout l’amour des feuilles vertes
Que vaguement au clair de source on voit briller
Vers de prédilection, la fille qui allait devenir mon épouse était ma voisine ; l’une de mes filles habite
la maison où je suis né. Il faut vous dire qu’à cette époque, nous naissions dans nos maisons, nos
mères aidées par la sage-femme, aimée de tous.
Place de l’Église, l’enfant que j’étais s’amusait ; sont gravés dans ma mémoire tous les recoins et les
transformations, la couleur et le grain des pierres, les fenêtres drapées de rideaux festonnés derrière
lesquels nos grands-parents scrutaient les rythmes de la ville. Pendant l’Occupation, l’histoire de notre
ville était celle de la France. Les Allemands avaient réquisitionné notre maison, nous étions obligés
de les regarder manger, en silence, assis à table sans manger. La Libération a été un soulagement
et une tristesse, l’un de mes frères ayant été fait prisonnier. Un autre de mes frères, Hubert était
poète. Pour nos cinquante ans de mariage, il nous a dédié un poème, inspiré de ses souvenirs et de
son amour fraternel :
Quand pourrai-je revoir la petite église
Les clochers vieillissants les murs de pierres grises
Où ma mère souvent a prié mon retour
Je me vois enfant avec lui et des copains partir en maraude autour du village, ramasser des asperges,
visiter des nids et courir comme des fous, nous croyant poursuivis. Mon autre frère était musicien, vous
en avez entendu parler, il s’appelait Chico Montès et faisait des tournées pour les Baletti dans la région.
Je suis allé à l’école par obligation, ça ne me plaisait pas, pourtant j’aimais le calcul mental, la
grammaire, certains profs sympas, je me souviens bien de Madame Blanc, sa sévérité et sa présence,
on filait droit.
A quinze ans, j’ai quitté l’école, direction le travail, des boulots en série. En particulier celui de moussi
dans les travaux publics sur le chantier de la voie rapide entre La Fare les Oliviers et Salon-de-Provence.
Terrassier, maçon, aide agriculteur avec un mauvais souvenir dans l’emballage du foin, insupportable
à la respiration ; pendant ce temps ma petite voisine grandit, embellit. J’en tombe amoureux et le
hasard fait que je me trouve sous les ordres de son père pour la percée d’un tunnel en Savoie où nous
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Lire Ensemble 2013
restons cinq années. Le mariage ne tarde pas à venir et nous voilà revenus à Lançon où je trouve un
travail stable à la Shell Berre pour une durée de vingt-sept ans jusqu’à la retraite. Je fais partie de
cette génération qui n’a jamais chômé, j’ai donc connu les trois-huit et paradoxalement je n’en ai pas
souffert, ayant et c’est ce que l’on me dit, une facilité d’adaptation, optimiste, vaillant à l’ouvrage ; je
ne me plains jamais, c’est ce que m’ont transmis mes parents, mon père cantonnier à Lançon, tous les
jours sur les routes quel que soit le temps, ma mère à tenir la maison et s’occuper des trois garçons
et de ma sœur... La petite église, le clocher vieillissant, son mur de pierres grises... je suis vraiment
attaché à ce cœur de village et à son histoire, me drapant d’un manteau de trous et de soleil ; il y
a dans le riche tissu de ma vie autour de cette place, des trous de mémoire, bien sûr, mais aussi de
beaux reflets de soleil franc et doré.
Ces reflets, maintenant je les guette sur le perron du château qui est devenu ma demeure ; avec ma
femme, nous l’entretenons. Les gens l’appellent le château de la reine Jeanne, nous on l’appelle le
château tout simplement. J’attends au petit matin les reflets d’argent du soleil levant et les frises
orange rouge les soirs, veille de mistral. Il faut vous dire que ce château appartenait à la famille
depuis, paraît-il Napoléon, où l’un de mes aïeuls était grenadier de la garde. Mon grand-père me
glissait à l’oreille : Petit, ce château prends-le, ne le vends jamais. C’est chose faite, grand-père , on y
habite, on y est bien, les enfants et petits-enfants nous rendent visite souvent, ils ne sont pas loin, ils
travaillent, ils sont musiciens, mère de famille, amoureux de notre histoire. Je leur dis aussi comme
mon aïeul, Habitez-le, ne le vendez jamais !! L’entendent-ils ?
Maintenant dans cette période de vie que l’on appelle l’âge d’or, nous en profitons le mieux possible ;
avec l’association du troisième âge « L’ Escapade », on s’escape souvent, l’Espagne, les régions de
France, la préparation du carnaval, de la fête de Saint Symphorien, les repas du mardi et du vendredi
où figurez-vous, le pilotage est assuré uniquement par les femmes. C’est pas que nous ne voulions pas
nous en mêler, au contraire, mais c’est comme ça, une décision unilatérale féminine, on ne s’en plaint
pas, nous les aimons trop. Je l’ai dit, Amour, le plus beau mot de la langue française. Si on avait à me
définir, ce mot reviendrait souvent, pour les enfants, la famille, les femmes et les hommes de bonne
volonté, le village et tous ceux qui se dévouent pour ne pas le laisser envahir par un urbanisme source
de problèmes. Ce village on y est bien, car tous les jours comme le souhaitait Ulysse dans l’Odyssée,
de mon petit village je vois fumer beaucoup de cheminées et à toutes saisons, je vois de chez moi le
toit de toutes les maisons qui me sont un bonheur et bien plus davantage.
Ces quelques vers pourraient résumer mon état d’esprit en ces moments où je respire toute ma mémoire :
L’amour fait songer, vivre et croire
Il a pour réchauffer le cœur
Un rayon de plus que la gloire
Et ce rayon c’est le bonheur.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Bernadette LINSOLA
EYGUIERES
Je suis passionnée par la Provence, celle des paysages, des lieux mythiques comme les Alpilles, la
Camargue, les traditions bovines, taurines, le folklore, les gens et surtout le patrimoine et la mémoire
de cette région. Depuis toute petite j’ai été attirée par les costumes, les chants, la musique égale
aux chants des cigales et des oiseaux des collines ou de mers qui traversent notre ciel souvent bleu
par temps de mistral.
Il est un homme qui a beaucoup compté pour moi, Laurent Ayme. Avec lui, à sa mort, un pan entier
de l’histoire de la Camargue a disparu. Il se plaisait à souligner lors d’un discours aux Saintes-Mariesde-la-Mer pour la festo vierginenco, qu’il était le seul présent ce jour-là à avoir connu toutes les reines
d’Arles d’Angèle Vernet à Astrid Giraud.
Il a connu bien des choses qu’il a racontées tant et tant. Il a permis un lien, il a tissé toute une toile
sur les ailes de la tradition. Décan de la Nacioun Gardiano, de la Confrérie des Gardians et du Félibrige
dont il était Mestre d’Obro, Chevalier de la Légion d’Honneur, mais surtout Troubadour. C’est peutêtre l’image qui restera de ce grand homme, celle du conteur d’histoires, de légendes. Il incarnait la
tradition, la langue, la pastorale, le costume, les chevaux, les biòu, et les roseaux qui bruissent sous
le mistral au fond des marais. Je suis présidente du Groupe Artistique d’Eyguières, depuis 1985.
Mon temps se partage entre les activités correspondant à mes passions, la confection des costumes,
la Pastorale Riboun (opéra-comique en quatre actes des Frères Perret) à laquelle je suis très attachée.
Je fais également partie de la confrérie des gardians, plus exactement l’Antico Counfrarié di Gardian de
bouvino e roussatino dont l’actuel Président est Hubert Yonnet. C’est une des plus vieilles corporations
de France qui est maintenue encore de nos jours. Chaque 1er mai à Arles, les gardians se regroupent
et tous montent à l’église de la Major pour la traditionnelle messe et bénédiction des cavaliers. Les
statuts de la constitution de 1512 furent publiés en 1925. Ils furent retrouvés dans les archives d’un
notaire à Arles et ils étaient en latin. Ce sont des considérations militaires qui ont poussé à sa création.
Les gardians constituaient des recrues de choix pour les armées royales et les pastor nourriguier (ainsi
les appelle-t-on) alors souhaitaient se fédérer pour résister à un enrôlement arbitraire. L’histoire de la
Confrérie se confond avec celle de l’élevage en Camargue.
Mes parents, mes grands-parents confectionnaient leurs costumes d’Arlésienne. Quant à moi c’est
une amie de Rognonas qui m’apporte son concours. Je porte « notre costume » depuis mon très jeune
âge. Lorsqu’on est jeune, on revêt celui de Mireille. Le gansé se porte pour les mariages. Pour finir mes
implications nombreuses dans les associations que les différents maires de la commune soutiennent
avec détermination, j’appartiens également à celle des « Liens de Saint-Jacques » à Saint-Gilles, avec
l’espoir peut-être de faire un bout du chemin de Compostelle.
Mon père Felix Linsola, « mestre d’obro » était agent électricien à la Région Départementale des Chemins
de Fer des Bouches-du-Rhône. Il avait cette même passion et me l’a transmise. Issue d’une vieille famille
provençale, née à Eyguières, j’ai fait ma scolarité tout d’abord à l’école primaire de mon village, puis
à Salon à la Présentation, et au cours Blanchard. Le maire de l’époque, Monsieur Louis Codaccioni,
notaire également, m’a recrutée, à la mairie d’Eyguières, en qualité de secrétaire, poste que j’ai occupé
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pendant plus de quarante ans. J’ai donc été le fil technique de cet emploi pour les municipalités qui se
sont succédées. J’ai vu se développer cette ville au rythme des travaux qui ont façonné l’architecture,
l’urbanisme, les aspects sociaux, culturels et sportifs, qui en font une attraction pour ceux qui cherchent
un lieu de vie agréable et confortable. J’ai connu l’esprit convivial et associatif qui se perpétue avec le
maire actuel. Il faut vous dire que j’habite l’avenue Saint-Vérédème, en l’hommage à l’évêque, patron
de la ville, d’origine grecque venu finir sa vie dans une grotte du Gard. Avenue prédestinée eu égard à
mon implication dans le monde religieux, notamment comme aide à l’aumônerie militaire de la base
d’Istres dans la chapelle de la Bayanne. Je prépare les messes, et enseigne le catéchisme. Mon temps
de retraite est donc bien occupé. Par ailleurs je suis une aficionado également passionnée, je crois
que dans tout ce que je fais j’ai cette foi qui me transcende. La culture taurine a peu de secrets pour
moi, que ce soit dans la connaissance des cartels, où celui qui m’a marqué, Luis Miguel Dominguin
m’a donné les rudiments du faste de la corrida, le rapport taureau, homme et cheval étant le cœur
de ces évènement à Nîmes, Arles, Istres, Châteaurenard. Vous comprendrez alors mon goût pour ce
qui est chorégraphique, la danse et surtout le folklore, tout ce qui est musical, paso-doble, Mireille
évidemment, la grande musique, et les chanteurs des années 60, l’opérette.
Je vous l’ai dit, ma passion c’est la Provence, celle de Mistral, de Daudet, celle des manuscrits anciens,
religieux et patrimoniaux, sa place incontournable dans les atlas. Atlas où je pointe d’un doigt les
régions, notamment les Pyrénées et les pays visités, Espagne, Portugal, Pologne, Russie, pays de ferveur.
Les touches de mon piano m’entraînent au songe, ai-je rêvé ma vie, où ai-je encore mille rêves à réaliser !!
Ma maison, ici, à Eyguières m’est une Provence et bien plus davantage.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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M
Pelissanne
« La générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent », cette phrase d’Albert Camus
me va bien, comme celle de l’Évangile, citée par Benoît XVI récemment : « Il y a plus de bonheur à
donner qu’à recevoir ».
Elles pourraient être écrites sur le fronton de ma maison où vous serez reçus en passant un portail
de fer bleu toujours ouvert. Je voue des remerciements infinis à mes parents, simples artisans dans
la boulangerie, ici à Pelissanne. Ville et gens avec qui j’ai une histoire en continu, avec des hauts et
des bas, même si à une époque j’ai eu envie de savoir comment c’était ailleurs. Mon mari a été celui
qui m’a fait comprendre l’inutilité d’un passeport car il suffit de passer ma porte pour s’apercevoir
que le monde entier est là, par la présence d’enfants de toutes les couleurs, comme par mes activités
associatives qui me mettent en relation avec l’Afrique, l’Asie et tous les pays nécessiteux. Ils reçoivent
aide de toute sorte pour alléger leur vie : un bœuf pour un village, une aide pour confectionner un puits,
une pompe à eau, des meubles, des vêtements. Pas d’assistanat mais un accompagnement efficace
pour un léger mieux, pas de miracle en vue, mais les effets d’une présence par delà les frontières.
Notre passeport s’appelle générosité. Je ne suis pas seule, j’ai autour de moi une trentaine de bénévoles
qui me soutiennent dans le cadre d’une association dont l’existence s’est révélée naturelle, hors les
sentiers battus. Nous la faisons vivre par des dons, l’argent des vide-greniers, les objets que nous
restaurons. L’aide reçue de la mairie, consiste dans la mise à disposition d’un premier local, puis d’un
second ce qui nous permet de recevoir des objets et meubles en nombre ; point névralgique d’un
réseau international que nous avons réalisé par nos contacts personnels.
Notre passeport s’appelle aussi partage, car nous partageons nos bénéfices avec d’autres associations,
des orphelinats, des particuliers ailleurs et surtout ici. Comme le chante Catherine Le Forestier :
Vous voulez parler de ces pays lointains
Où l’on meurt de misère et de faim
A deux pas de chez toi va donc voir tes voisins.
Notre association « La fontaine aux mille bonheurs » créée depuis vingt ans compte sur les valeurs
de l’homme. Alors à côté d’un mari très compréhensif, même si je suis perçue parfois comme pénible,
épuisante, déterminée, j’ai accepté son désir de vivre ici, j’ai découvert que je suis une voyageuse
de l’immobile, une aventurière du quotidien des gens, une mère de famille nombreuse qui vit ici et
dans le monde, en Australie, comme en Afrique où pour tout voyage, j’ai celui d’une grande famille ;
je me situe à l’écoute du mondial comme du local. On ne se refait pas, le social me colle à la peau,
ça vient de mon enfance, une écolière gentille, disciplinée, aimant ses camarades, plongée dans la
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série des « Alice », collection verte, plus tard dans « Les Raisins de la colère » de Steinbeck, et tous
les jours dans les Évangiles.
Pour moi, l’aspect humain est une valeur essentielle à citer entre autres comme le respect, la solidarité,
l’entraide, et cette colère sociale qu’exprime si bien l’écrivain Steinbeck contre tout ce qui est injuste.
Cela me renvoie à ce temps où je n’ai pas été reçue à l’Ecole d’Assistante Sociale de la rue Sylvabelle
à Marseille ; c’était dû à mes difficultés scolaires. Malgré cela, j’ai écrit une lettre à la directrice pour
lui exprimer ma motivation à devenir cette assistante sociale. Ce qui fut fait pour contredire tous
ceux qui pensent que cela ne sert à rien de faire une requête, simple droit du citoyen. En formation,
débrouillarde, un emploi de baby-sitter m’a permis d’être hébergée. J’ai donc effectué cet emploi
durant deux années. J’ai poursuivi ma passion pour les enfants, les aider, les voir grandir. Je les ai
accueillis, hébergés. Cela m’a conforté dans mon désir d’éduquer et donc leur donner une chance de
les aider à grandir et à prendre leur vie en main. J’aimais leur dire « Un plus un égale un autre, quels
que soient notre origine et notre passé ». On peut toujours s’en sortir. Nous sommes tous singuliers et
uniques. Naturellement je suis devenue famille d’accueil, recevant tous ces enfants perdus, mineurs
en difficulté parfois en marge, faisant de moi quelqu’un d’étrange. J’ai coupé court à des rumeurs
possibles ou des gênes dues à cette jeunesse parfois trop visible. La persévérance paye, j’ai été agréée
officiellement en 1995.
Depuis ma maison est devenue un havre d’accueil, ma famille un partage entre mon époux, mes enfants
de corps et de coeur, ceux qui sont accueillis ; je suis heureuse qu’ils s’entendent et adoptent mes
valeurs, celles que m’ont léguées mes parents, et les Évangiles auxquels je me réfère quotidiennement
mais de façon intime, me prêtant moi-même à l’écriture de quelques prières fondamentales et
personnelles ; retenez simplement que tout mon univers se compose de cette ville aimée et de ses
gens simples et de cette maison, grande au demeurant. Comme mon cœur à l’écoute de toutes les
musiques du monde qui chantent la PAIX et l’ESPOIR.
Je suis tous les jours prête à l’annonce d’une bonne nouvelle.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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J.M
senas
Les chemins de ma vie sont une véritable cartographie, entre la France (Sénas, Strasbourg, Aix-en-Provence,
Apt, Auriol, Jausiers, Carcassonne), la Tunisie, l’Allemagne. Mais mon territoire se trouve ici à Sénas
où je suis née et où je passerai le temps qu’il me reste. Et je vous le dis, je ne bouge plus. Une grande
partie de ma vie, dotée de deux cantines militaires, mes affaires, mes enfants, j’ai sillonné ces lieux.
Grands-parents paysans du côté de mes parents. Née à Sénas, j’y ai fréquenté l’école primaire. Je suis
devenue pensionnaire chez les sœurs où là j’ai beaucoup appris, la couture, la science des aliments,
les soins corporels, ceux à donner au bébé, déjà. Je passe mon brevet élémentaire. Quelques boulots
aux alentours. Mon père a été successivement policier municipal ; puis intégré ensuite parce que cela
était possible dans la police nationale. Une opportunité se présente sous la forme d’une mutation
en Tunisie, alors protectorat français, dans la ville du Bardo. Deux administrations se côtoient, celle
qui dépend de la république française, celle du protectorat. Hasard de l’espace, un ami de Sénas
devenu lui policier tunisien dans cette ville retrouve mon père et curiosité, ils communiquaient en
patois provençal, rareté locale, non ! Bardo, une ville magnifique. Après la guerre, la municipalité
développe son équipement avec un poste de police, une poste, des écoles et une église mais reste
très peu pourvue en commerces à l’exception des cafés pour les touristes visitant le musée. Musée
national du Bardo, dont la création est décidée par le décret beylical du 7 novembre 1882, inauguré
le 7 mai 1888 en présence d’Ali III Bey ; il occupe une partie de l’ancien palais et renferme près de
cent trente mille pièces réparties en cinq départements se distinguant notamment par sa collection de
mosaïques qui est l’une des plus riches au monde. J’y occupe un poste d’aide-comptable ; passionnée
par l’éducation des enfants, après une formation rapide, je deviens jardinière d’enfants, j’ai ensuite
enseigné un temps au « collège de Sion » dans la section des tout-petits. Je me marie avec un militaire.
Zouave intégré d’office, il s’échappe du chantier de jeunesse dans la zone sud de France car nous
sommes en guerre puis adhère aux FFI et se retrouve en Tunisie où je le rencontre. C’est une période
agréable au milieu d’une communauté où se fréquentent Français, Tunisiens, Maltais, et Belges. J’ai
rencontré Saïda, devenue une amie fidèle.
Mon mari est muté en Indochine. Il rejoint les chasseurs alpins à Jausiers avant sa mutation en
Algérie ; je retrouve Auriol et Sénas le temps d’une respiration. Puis objectif la montagne à Jausiers
où nous restons jusqu’aux accords d’Evian. Femme courage déjà trois enfants aux bras, les cantines,
je suis le pas militaire de mon époux. J’ai oublié de vous parler d’un séjour à Carcassonne. J’en suis
à mon quatrième enfant et décide de ne plus bouger dès le cinquième et de reprendre le travail.
De retour en métropole, mon mari est admis après concours à l’Ecole du Génie de Versailles. Il
est ensuite muté à Metz ; mon aîné étant souffrant, déterminée, je prends ma plus belle plume et
demande au Ministre des Armées que dans le cas de notre grande famille mon mari soit muté à
proximité. Cause reçue. Nous voilà à Aix-en-Provence. Cette ville me plaît beaucoup me donnant le
goût de l’architecture et des vieilles pierres. Nouveau concours, de conducteur des travaux et nouvelle
formation à Versailles. Je reste à Aix. Nouvelle mutation en Allemagne où je découvre les villes de
Phorzeim et Baden-Baden. Mes enfants sont scolarisés pour trois d’entre eux dans une pension de
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Strasbourg, où la pédagogie présente de meilleures garanties qu’en Allemagne. La preuve tous ont eu
leur baccalauréat, c’était mon contrat de mère. Nouveau déménagement cette fois vers Apt où mon
mari est affecté au Silo pour la construction des ogives de fusées. Mais je rejoins Sénas, retrouvant
ma maison paternelle. Je dis toujours qu’élever autant d’enfants n’est pas aussi difficile qu’on le
croit, il suffit que tout soit cadré, organisé, anticipé, ne pas parler à tort et à travers, dire les choses
essentielles avec précision, surtout que mai 68 est passé par là. Je retrouve mon territoire, cultive mon
jardin, surtout les fleurs. Tous les jours un bouquet accueille les visiteurs chez moi, glaïeuls, roses,
dahlias, fleurs vivaces, couleurs variées qui chantent dans cette vieille maison et son vaste pré. Sans
oublier la basse-cour. Les enfants adorent les œufs. Je reprends progressivement quelques travaux
de retouches, couture, tricotage que j’ai appris avec ma mère et mes tantes, ramassage des fruits et
légumes aux propiétés alentours, assistante maternelle. Parallèlement mon mari pensionné militaire,
homme courageux n’hésite pas à travailler la terre chez des particuliers.
Femme de militaire, les allers retours avec de longues périodes dans de nombreuses villes en France
et à l’étranger ont fait de moi une étrangère en son propre pays. Grâce à la papeterie Boule, je
suis devenue bénévole à la bibliothèque de Sénas. Les livres sont devenus ma passion actuelle, les
biographies illustres, les thèmes sur l’histoire ancienne, les monuments, l’architecture, l’archéologie.
Un bel espace qui nous fait voyager, bien que je n’aie pas manqué d’aventures pseudo touristiques.
Un clin d’œil cependant au maire actuel que j’ai connu lorsqu’il fréquentait l’école avec mon fils,
attendant comme son père aux différentes heures de sortie. Je garde de ces longs chemins le bonheur
d’avoir inculqué à mes enfants les valeurs simples qui élèvent les hommes et l’adaptation à nos lieux
de résidence. En en retirant chaque fois le meilleur pour vivre la tête haute.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Paul MAGNAN
Salon-de-Provence
Paul Magnan a eu sans s’en rendre compte pendant longtemps la sonorité du mot équitable dans
la tête, avec d’autres valeurs HUMAINES. Tout ce qui touche à la relation à l’homme a balisé sa vie
et porte encore ses projets actuels. Cela a dû commencer dans la tête de ce petit enfant, curieux de
tout à l’école primaire chez les religieuses ; grâce à l’amour qu’elles avaient pour chacun d’eux, elles
leurs ont appris, peut-être l’obéissance, les écarts étant sanctionnés avec fermeté et surtout le respect;
le collège a développé chez lui et ses camarades le goût des maths grâce à un grand professeur qui
n’hésitait pas à sortir de son champ numérique pour leur apprendre la vie. Il a en tête le souvenir de
ce que l’on appelait le coup de pied de la honte qu’un instituteur qui l’a marqué, faisait fonctionner
à merveille sur les fesses et les esprits. C’est ainsi qu’il s’est dirigé vers des études supérieures ; une
fois le bac en poche plusieurs portes ont été ouvertes ou entrouvertes. Il s’est finalement dirigé vers
l’économie et fréquenté la fac de Sciences Eco à Aix-en-Provence. Ses parents, avocats de métier,
comme son frère quasi jumeau avaient plus d’ambition pour lui, mais soulignons leur patience et leur
amour. Lors de son service militaire à Briançon, dans les chasseurs alpins, il redécouvre les charmes
de la montagne à laquelle son père l’avait initié depuis l’enfance, profitant des longues randonnées,
du ski, des nuits en igloo, avec un grand bonheur malgré le poids de l’attirail militaire. Entre-temps,
il découvre le métier d’éducateur en remplaçant les employés d’une maison d’enfants à Digne. Ville
natale et de référence entre les pays de lumières et ceux des collines du sud. Une opportunité se
présente à la mairie de Salon où il est employé au Bureau d’Aide Sociale en adéquation avec son
souci d’aller vers les autres, les aider, les soutenir. Il s’ennuie terriblement, le directeur ne lui déléguant
quasiment aucune tâche, même administrative. Son souhait d’être muté à Gap ne se réalise pas, alors
qu’il voulait retrouver la lumière des Alpes. On lui propose la direction de l’Association des Médecins
du travail de Salon, il se passionne un temps pour la gestion de cette structure, travail intense mais
encore une fois trop administratif pour lui.
Avec son épouse, ils adoptent deux enfants, enfants qui seront sa fierté et son bonheur.
Sa femme lui souffle alors l’idée de passer le concours d’instituteur. Il embraye immédiatement, avec
ce désir d’aller vers les autres et notamment vers les enfants. Après deux années à l’École Normale
d’Aix, il est nommé à l’école primaire de Salon, Saint-Norbert. Son épouse en fac, ses deux enfants,
ceux de sa classe, voilà un univers qui l’oblige à s’organiser. Sa pédagogie est soutenue par une
préparation très poussée, une gestion du temps et des matières qui résiste à toute épreuve. Car il a
le souci du détail et de l’anticipation. Les parents d’élèves découvrent avec surprise que même le pain
était commandé un mois en avance, lors d’un voyage en Corse. Sa pédagogie est différente de celle
de Freinet, qu’il admire par ailleurs mais dont il ne se sent pas capable. Il a de nombreux souvenirs
de ce métier, arriver à s’occuper de chacun des élèves, les accompagner, les sanctionner s’il le faut en
restant à la récréation, vieux réflexes d’instituteurs républicains qui revenaient de la grande guerre,
regrettant de ne pas faire plus pour ces enfants de l’ombre, ceux qui résistent à l’école et la quittent
plus tard. Il a l’amour des textes, leur mise en valeur, les belles phrases écrites par les élèves. Il se
souvient d’une année où les élèves disaient « j’ai écrit une phrase de Diane », élèves qui avaient une
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Lire Ensemble 2013
grande qualité littéraire. Mais toute cette organisation ne pouvait pas se faire sans angoisse. Angoisse
qui prévalait la veille des sorties avec la classe, à la montagne, dans la région, en Corse, avec bagages
et vélos, provisions et plans de vie pour le séjour. Pression du métier qui l’oriente vers autre chose.
Durant les vacances scolaires ils avaient tenu avec son amie Denise un gîte de montagne dans la
vallée de l’Ubaye, sur le site du Laverq, pour vérifier en milieu paysan leur conception de l’accueil.
Lui revenait souvent la lecture de la vie de Gandhi, dont les préceptes ont jalonné sa pensée. Denise
a quitté son poste au collège. Sa générosité, ses qualités d’accueil et de présence, sa passion pour la
cuisine ajoutées aux compétences pratiques et théoriques de gestionnaire de Paul semblaient une
opportunité positive pour aller plus loin. Il s’est mis en disponibilité de l’Éducation Nationale pour
dix ans. Ils ont adopté la démarche de commerce équitable pour ouvrir un lieu répondant à leurs
aspirations à Salon-de-Provence avec le soutien de plus de 200 personnes. C’est ainsi qu’est née
la Case à Palabres, rue Pontis. Jusqu’à présent l’équité en terme de commerce se définissait ainsi :
le commerce équitable crée les conditions requises pour permettre aux producteurs et aux consommateurs
de vivre dans la dignité et mettre en place des partenariats durables, qui ne sont pas basés sur une
approche spéculative..
Leur conception est plus celle d’un cheminement, d’une démarche, vers un commerce plus équitable
en respectant tous les acteurs, du producteur au consommateur. Ce n’est pas un outil marketing au
service du seul profit
Autour d’une restauration simple, faite maison à base de produits locaux de qualité, s’organisent des
animations, conférences, expositions, projections, concerts très divers apportant à ce lieu un souffle
mondialiste. On trouve aussi une épicerie avec des produits issus d’une démarche de commerce
équitable en provenance des pays africains et sud américains, mais aussi des produits locaux. Case
ouverte à toutes les propositions, à tous, poètes, musiciens, photographes, artistes dans toutes les
disciplines et spécialistes en « palabres ».
En Afrique, ils ont l’Arbre à Palabres, à Salon nous avons la Case à Palabres.
Modestement il a posé avec Denise et toutes les personnes accueillies une pierre blanche dans
l’architecture humaine dont veut se doter la ville. Cette vie très prenante lui laisse cependant suffisamment
de temps pour être avec ses petites-filles, à la découverte de la nature ou à leur lire des histoires.
« L’ignorant, c’est la personne qui n’est jamais allée au-delà du seuil de sa maison. C’est la personne
qui ne sait rien des autres, qui n’est jamais allée à leur rencontre. La progression de l’être vers le
meilleur, c’est chaque jour aller vers les diverses personnes que l’on a en soi et que l’on ne peut
trouver que dans les autres, notamment à travers leurs cultures, histoires, mythes et légendes. Cette
voie est celle de l’enrichissement, et je suis un élève apprenti. » Ce que dit ici Sotigui Kouyate, griot
du Mali, résume bien ce qui prévaut au projet qu’il soutient avec Denise, son épouse, Madeleine et
ses proches, dans un esprit d’écoute.
C’est là dans une ruelle pittoresque de Salon. Entrez chez eux, odeurs et sourires vous ouvriront une
fenêtre sur le monde, un monde à découvrir.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Charlotte PONS
la barben
Une caresse, un regard, un remerciement, un gémissement… tout est communication chez le loup.
L’homme qui croit détenir le monopole du langage est loin d’imaginer celui qui existe, certes dans une
horde de loups, mais aussi au sein de plusieurs espèces d’animaux. Il a appris qu’en les côtoyant il
se révèle à lui-même. Une chance pour moi d’avoir à disposition ce grand espace mis à la disposition
d’un public curieux, attentif, intéressé. Lorsque je ne vais pas trop bien, une balade à la rencontre
des locataires venus des pays du monde, me ramène à la réalité, m’aidant à dépasser le mal être du
moment. Leurs silences, leur gestuelle, leur comportement, attitudes et regards, cris reconnaissables,
me transportent dans leurs contrées d’origine. Le vertige de la distance et des images de forêts, de
steppes, de fleuves, de banquises, de montagnes, de déserts, viennent nous rassurer au centre de nos
désarrois. J’ai vérifié à plusieurs reprises les bienfaits de cette thérapie, non seulement me concernant
mais sur certaines personnes venues visiter le zoo. Ma présence au sein de ce domaine bien signalisé
et dont le château est remarquable, est une longue histoire dominée par un sentiment d’amour. Amour
des gens, de ma famille, de mes enfants, du travail de gestion de cette belle propriété où vivent dans
des espaces aérés et adaptés, près de quelques milliers d’animaux sauvages.
Le Zoo, situé entre La Barben et Pelissanne, a été fondé en 1969 par André Pons, ingénieur agricole
passionné d’animaux. En 1988, il cède son activité à la SARL «Parc Zoologique» qui, notamment
avec Monsieur Muguet, en reprend la gestion. Lorsque j’en prends la direction, je décide de faire
évoluer l’ancienne conception des parcs zoologiques en l’orientant vers de nouvelles missions et en
dépassant le stade de simple représentation animale, en développant notamment la conservation des
espèces, en éduquant le public grâce à de nouveaux panneaux informatiques, et en participant à des
programmes de recherche scientifique tout en favorisant la détente et le divertissement des visiteurs.
Je disais longue histoire, en effet, je suis arrivée à cette situation grâce à une rencontre avec le fils
du directeur, engagé dans des études de biologie. Mariés, nous investissons une vieille bâtisse de
Rognes qui devient notre quartier général. Nous en faisons une maison ouverte aux amis, aux enfants
et leurs copains. Mon beau-père, fatigué, nous prie de prendre la relève, homme intègre que j’admire,
à qui en définitive nous faisons plaisir en acceptant. J’épaule mon mari en m’investissant dans tous
les domaines. Nous profitons au mieux de ces belles années.
Les aléas de la vie m’obligent à diriger seule cet établissement. Mettant un terme à une période où
le travail et l’amour allaient de pair. Ma vie était une cathédrale et mes enfants une flèche vers Dieu
et le ciel. Le grand espace animalier me donne la force de reprendre la direction. Le courage et ma
détermination sont un moteur. Je n’avais pas le choix. Je me jette à fond dans la gestion du zoo en
lui donnant une autre dimension. En effet le Zoo de La Barben devient membre de l’EAZA (European
Association of Zoos and Aquaria), du SNDPZ (Syndicat National des Directeurs de Parcs Zoologiques
français) et de l’ANPZ (Association Nationale des Parcs et Jardins Zoologiques Privés). Nous participons
également à plusieurs programmes européens d’élevage (EEP), dont celui du rhinocéros blanc du Sud
(Ceratotherium simum simum). Nous nous impliquons aussi dans la sauvegarde in situ de la girafe du
Niger, en Afrique de l’Ouest, en collaboration avec l’A.S.G.N. (Association pour la Sauvegarde de la
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Lire Ensemble 2013
Girafe du Niger). Grâce à ces réseaux il nous arrive de mettre en place des bourses d’échange d’animaux.
Je regarde dans le rétroviseur, ma vie a été une succession d’histoires d’amour en tout genre, les
études, le travail, la famille, les enfants, les salariés de l’entreprise, et là je n’hésite pas à prendre des
personnes dans le besoin ou au profil singulier que le côtoiement des animaux peut restaurer. Enfin
l’amour des animaux qui s’impose, leur porter attention grâce à mon équipe de techniciens, anticiper
une maladie, ou une régulation au sein des groupes, le respect de la nourriture.
Je pense qu’il est nécessaire d’être ouvert aux autres, ce sont les animaux qui nous l’enseignent. Me
concernant j’ai en tête une phrase de Camus que je paraphrase : « il y a une honte à être heureuse
toute seule mais il n’y en pas à être heureuse avec les autres ».
C’est dans cet esprit que je mène ma vie en ce moment, m’adaptant au village avec lequel le zoo est
lié en harmonie, je pense.
Je vois cette petite fille de parents commerciaux dans le textile originaires de Lyon, élève facile à
vivre dans le cadre d’une éducation religieuse, qui m’a donné le goût du sacré, de la cérémonie. Déjà,
une lecture prémonitoire, « Le Lion » de Kessel et le côté léger de Colette qu’Alice Ferney cite dans
son merveilleux « Grâce et dénuement », parlant de l’immense amour des enfants parmi les gens du
voyage. Je disais donc souvenir d’une petite fille rêvant de danse à l’opéra, avec son chien Uccelo.
Miroirs adolescents qui renvoient l’image d’une fille en recherche d’amitiés et d’ailleurs, parfois dans
les boums comme dans celle du film, sauf que je devais tromper la vigilance de mon père en préparant
mon pyjama dans le garage pour gagner de précieuses minutes avant de rejoindre ma chambre.
Un parcours d’étudiante où je me dirige vers la fac de sciences éco. Puis, rupture consciente ou
inconsciente avec un présent sans problème, je décide à la grande surprise de ma famille de partir
pour les USA. Autre rêve fou, partir à l’aventure sans projet précis mais aussi parce que mes deux
frères avaient quitté le domicile familial. Jeune fille au pair, je sillonne la ville de New-York en me
perfectionnant en anglais en « Test in English » et en réalisant de petits boulots pour un argent de
poche nécessaire à la vie dans cette capitale. Amitié, amour mais surtout une opportunité de trouver
un emploi de secrétaire à la Mission Tunisienne. Puis au bout de quelques mois la furieuse nostalgie
de la France me prend et tel Ulysse, déjà, heureuse qui comme lui a fait un beau voyage, je suis
revenue pleine d’usage mais aurais-je assez de raison ? Oui la vie va l’annoncer avec la rencontre de
celui qui va devenir mon époux. Les enfants vont m’aider à vivre le reste de mon âge, et m’ouvrir un
horizon nouveau et me permettre d’ouvrir la porte de ce magnifique univers, parc, animaux sauvages
qui vont développer l’aventure de proximité du public et surtout des enfants avec le monde des
grands espaces de la nature.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Henri TROUILLER
Berre l’Etang
Marseillais, issu d’une famille de cheminots, je suis né dans un quartier populaire, Saint-Mauront près
de la Belle-de-Mai. Ce quartier fut bombardé en mai 1944 (j’y ai perdu mon frère et ma sœur). Les
ruines nous servaient de terrain de jeu avec mes copains de l’école primaire. Elles étaient envahies de
végétaux, les arbres commençaient à y pousser. C’était un peu la campagne dans la ville.
Après le « certif », je suis admis au collège le Chatelier, près de la porte d’Aix, j’en suis sorti avec un
CAP de chaudronnier. Ce sont la réparation et construction navales qui m’ont offert mon premier
emploi. L’usine, située à la Madrague-ville, construisait des moteurs de bateau qui étaient ensuite
montés au chantier naval de Port-de-Bouc. En 1964-65, les restructurations dans la navale ont mis
bon nombre de jeunes ouvriers au chômage. L’activité s’est reportée sur d’autres sites et de nouveaux
emplois furent proposés. À ce moment, je change d’option et, après une formation de neuf mois à
l’AFPA, je retourne dans la vie active comme dessinateur industriel.
Nous sommes en 1966, à cette époque, il y a beaucoup de travail et comme les entreprises ne peuvent
pas faire face à la demande, se développe une nouvelle activité : l’intérim. Ainsi, j’ai pu exercer ma
nouvelle profession dans de nombreuses entreprises notamment Sud Aviation à Marignane, au bureau
d’études outillage. Habitant Marseille, je pouvais bénéficier du transport en train spécial qui reliait
Saint-Charles à Marignane. Puis, c’est l’embauche aux établissements Coder à Saint-Marcel. C’est
dans cette entreprise que je participe activement au mouvement de mai 1968. De nouveau, l’intérim
me met sur le chemin de Shell Berre, au bureau d’études. C’est le plein emploi, bien s’adapter, bien
travailler, être sérieux et le boulot ne manquera pas. Pour se maintenir sur place, les boîtes d’intérim
offrent de bons salaires aux dessinateurs.
1970, l’usine chimique de Berre recrute des opérateurs en trois huit ; je formule ma demande aussitôt
et je suis embauché dans le secteur de l’extraction butadienne (IDAS). C’est un changement radical,
conditions de travail plus pénibles, salaire amoindri mais emploi stable à la Shell, usine qui est une
référence autour de l’étang de Berre.
Je n’avais qu’une notion imprécise de la chimie. Je partageais le travail avec d’autres salariés qui
possédaient le CAP de conducteur d’appareils chimiques. Pour rattraper ce retard, j’ai appris quelques
bases et tout en travaillant dans une unité de fabrication de caoutchouc industriel, je me suis renseigné
sur l’histoire de cette invention. C’est un procédé très ancien. J’ai en tête un récit de Primo Levi, chimiste
lui aussi, que l’on obligeait à travailler à la Buna dans un camp auxiliaire d’Auschwitz, pour produire
du caoutchouc synthétique. Cette unité fut bombardée, et en réalité, pas un seul kilo ne fut produit.
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui ou pour un non.
Il parle de son affectation au secteur chimie : nous sommes en mai 1944, Primo Lévi est interné au
camp depuis trois mois. Lui et Alberto, son compagnon, sont pressentis pour faire partie du Kommando
de chimie. Pour être recrutés, ils doivent passer un interrogatoire avec le docteur Pannwitz, chargé
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d’analyser leurs compétences. Au cours de cet examen, le narrateur constate que ses souvenirs de
chimiste sont intacts et il se sent redevenir lui-même.
Revenons à Berre, où le travail était fort intéressant : voir se transformer tous ces produits pétroliers pour
donner un amalgame blanc dont un traitement chimique en fera une gomme servant à la fabrication
des pneus pour notre client renommé c’est-à-dire Michelin, avait quelque chose de magique. Nous
connaissions tous les processus de cette transformation et l’ancien dessinateur et le chaudronnier
tuyauteur que j’étais, admiraient les prouesses des techniciens, ingénieurs et surtout ouvriers de la
chimie. Je change de domicile de Marseille à Ventabren, puis Rognac. Grâce au service social, je peux
obtenir un prêt qui me permet d’accéder à la propriété.
1973, naît un deuxième enfant. 1975, mutation à l’Aubette où je participe au démarrage. Création
également d’un nouveau comité d’établissement, mise en place de structures sociales. C’est à
cette époque que je me suis engagé dans l’action syndicale. J’ai été élu au CE, au CCE, ce qui m’a
beaucoup occupé. Il faut vous dire que mon mandat de délégué au comité d’établissement nécessitait
de comprendre tous les documents techniques et de gestion humaine, les procédés mais aussi les
règlementations, les lois, l’évolution de l’usine. J’ai rencontré beaucoup de personnes, période très
riche, interessante, impliquant également des déplacements notamment à Paris.
Etre ouvrier posté en trois huit et représentant du personnel crée par moment des difficultés dans la
vie familiale, mais aussi l’action syndicale retarde la promotion dans l’entreprise.
Après les changements politiques de 1981, le domaine de la culture (comme le cinéma ou le livre)
fut mieux aidé par l’état. Après la mise en place de la bibliothèque de l’Aubette, avec mon épouse
et quelques amis, nous avons créé une bibliothèque enfantine à Rognac. Le local fut prêté par la
commune et les livres par la Bibliothèque centrale de prêt des Bouches-du-Rhône. Nous eûmes
également quelques subventions. Amateur de cinéma et désireux de faire partager cette passion,
je participai également à la création d’un ciné-club. Les thèmes et les auteurs des films présentés
suscitèrent débats et polémiques encore présents à mon esprit. Cependant, la concurrence de la
télévision, l’ouverture d’une salle de cinéma à Berre, l’inconfort de la salle de projection, eurent raison
de notre enthousiasme et mirent fin à cette aventure. Ne pas oublier également notre présence au
sein d’une fédération de parents d’élèves.
Je suis actuellement à la retraite et avec le recul, je constate que mes journées étaient bien remplies.
Cette vie de parent, de travailleur, de militant ne fut pas toujours sereine et tranquille, mais je ne
regrette rien.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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R.Z
BERRE L’ETANG
Je suis intéressé par tout ce qui touche aux problèmes de l’eau et au-delà son utilité pour l’homme
qui la consomme et qui s’en sert quotidiennement pour son travail. Mais aussi pour le rôle qu’elle
joue dans la composition d’une multitude de fonctions vitales liées à la planète et à la vie. C’est à
travers ce que disait le commandant Cousteau dans son œuvre impressionnante, notamment dans son
« Odyssée sous-marine » : « Les gens protègent et respectent ce qu’ils aiment, et pour leur faire aimer
la mer il faut les émerveiller autant que de les informer ». Prémonition ou présage, aujourd’hui dans
l’usine chimique de Shell, l’eau est le thème principal de mon occupation professionnelle. Mes lectures
d’adolescent et tout ce que je découvrais dans la série des émissions télévisées ont marqué mon esprit.
Long cheminement depuis l’enfance qui me conduit à une hygiène de vie et des valeurs longuement
mûries que mes filles ont peut-être faites leurs. Enfance passée dans la belle ville d’Aix-en-Provence
où mes parents travaillant en pharmacie, ont élevé deux enfants, garçon et fille. Ils n’ont eu aucun
problème avec ce garçon grand par la taille, élève tranquille et appliqué, intéressé par les matières
scientifiques, la biologie, et évolution facile vers un BTS fabrication mécanique. Par défaut parce
que je visais un métier dans la marine marchande, ne pouvant me détacher de cette passion pour
l’eau. Contrarié de ne pouvoir poursuivre dans cette voie. C’est l’époque où quelque peu chahuté à
l’adolescence par ma taille, j’ai eu le total respect en tant que rugbyman. Les langues se sont tues et
j’ai progressé dans ce sport profitant des valeurs qui y sont associées. Chacun sait toutes celles que
véhicule ce sport, esprit collectif, convivialité, corps poussé au bout de ses possibilités, endurance,
respect des règles. La mer et le rugby étaient encore présents lors de mon service militaire, devinez,
dans la marine, à Toulon. Le maritime et le ballon ovale en prime.
Mon BTS en poche il a fallu trouver du travail en attendant une opportunité plus stable. Jobs en tout
genre, veilleur de nuit, agent à l’Éducation nationale, garage…
Jeune marié je suis recruté à l’usine de Shell Berre, où grâce à mon BTS je rejoins le secteur fabrication.
Commence alors un long cheminement à l’intérieur de l’usine qui est pour le public un vaste
labyrinthe mais pour celui qui cherche à comprendre un formidable complexe bien organisé, ordonné
et rationnel qui conduit du pétrole à plusieurs produits, solvants de peinture, à l’aide d’additifs à des
matériaux dérivés, au PVC, etc. Long chemin technique qui me fait passer d’un groupe à un autre et
d’un échelon à un autre supérieur. Je m’occupe plus spécifiquement du secteur traitement des eaux.
Ma connaissance de cet élément vital est inscrite depuis longtemps dans ma mémoire d’adolescent,
sachant de quoi je parle ; les règles qui régissent ce service sont d’une rigueur qui me conduisent à dire
que cette eau une fois traitée est équivalente à celle des stations d’épuration. Je contrôle différentes
connaissances à l’appui les rapports entre l’eau, la vapeur, l’électricité, faisant de mon secteur un
élément incontournable de la séparation des eaux dans et hors usine. À ce sujet ce type d’usine est
souvent montré du doigt en terme de pollution des sites environnants, mais sait-on que nous avons
mis au point des systèmes de contrôle rigoureux sous l’œil vigilant de l’agence « La Dreal » où tout
doit être transparent. Il appartient à chacun de nous, salariés de l’usine mais aussi consommateurs,
de disposer d’une conscience individuelle et collective pour veiller sur la planète et surtout celle que
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nous laisserons à nos enfants. D’ailleurs je tente de transmettre à la jeune génération les valeurs qui
sous-tendent ce métier, afin qu’ils gèrent la longue durée d’un investissement dans une telle usine.
Il existe au sein des équipes si elles le veulent bien, une bonne ambiance, des moments conviviaux
autour des repas la nuit, de faire des moments de pression des moments de créativité, toute une série
de petites choses qui entraîne la reconnaissance de nos postes difficiles à tenir. Certes leur rapport aux
conditions de travail ne sont plus les mêmes, notamment l’équilibre à trouver entre le travail posté et
sa vie sociale ou familiale. J’essaie de leur inculquer au-delà des règles de sécurité incontournables
l’amour du travail bien fait sur lequel on ne revient pas et qui facilite celui qui viendra après vous dans
la chaîne de l’industrie. Moi je pense avoir trouvé cet équilibre, même si à une époque je cumulais
plusieurs petits boulots annexes, en plus du sport. Les jeunes aujourd’hui n’ont pas cette chance, devant
d’abord s’accrocher à leur emploi principal mais j’ai bien peur que leur temps libre ne consiste à se
dépenser devant l’attrait du monde des portables et mobiles en tous genres. Je privilégie le plein air.
Ma passion de l’eau m’a ramené sur les bords de la base nautique de l’étang, vice-président durant un
temps assez long pour passer le relais du club nautique de voile. Je m’occupe par ailleurs d’une autre
association « Baobab » qui réunit beaucoup de monde dans l’aide que nous apportons à un village
du Bénin, une aide qui se veut artisanale, basique, efficace pour ces populations, une aide qui ait
un sens, une éthique. D’ailleurs un rêve est éclos pendant ces préparatifs d’expéditions de matériaux
divers vers ce pays, c’est d’avoir mon propre bateau amarré pas bien loin de ma maison de Mauran
qui m’est un havre de paix et bien plus davantage comme dirait Joachim du Bellay dans son ode à
Ulysse. Je vais chercher mon complément d’information sur les océans ou les aventures maritimes
dans les émissions d’ARTE, dans les musiques de jazz, dans les livres sur l’épopée des temps anciens
ou l’histoire romancée de héros aussi bien modestes que connus. Je dirais que je me suis forgé une
vraie culture ouvrière sur le tas, de façon pragmatique, ayant un sens relevant de tout ce qui a fait
la mémoire ouvrière de ces travailleurs de l’industrie chimique.
Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS
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Jo ROS
Cet auteur, ami de Jean-Claude Izzo, travaille sur le territoire
du pourtour de l’Etang de Berre et intervient dans de
nombreuses structures sociales et pénitentiaires. Ses romans,
nouvelles, poèmes et récits prennent comme décor les villes
et paysages, deçà et delà de la Méditerranée. Tel un écrivain
itinérant, il a parcouru le territoire d’Agglopole Provence, à
la rencontre des « personnes ordinaires qui ont une histoire
extraordinaire ». Tel un écrivain public,
il a écrit les portraits littéraires de ces « gens d’ici et
d’ailleurs » réalisant une sorte de mosaïque humaine littéraire
du territoire d’Agglopole Provence.
Sénas
Mallemort
Alleins
Lamanon
Eyguières
Charleval
Salon de
Provence
Aurons
Pélissanne
La Barben
Lançon Provence
La Fare les Oliviers
Saint-Chamas
Velaux
Berre l'Etang
Rognac
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stratis (stratis.fr) • 03/13 • Crédits photos : Stratis, X
Vernègues

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