portraits littéraires
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portraits littéraires
Li e r bralneée m e s n e Méditer en Portraits de gens d'ici et d'ailleurs écrits par Jo ROS www.agglopole-provence.fr Alleins•Aurons•La Barben•Berre l’Etang•Charleval•Eyguières La Fare les Oliviers•Lamanon•Lançon-Provence•Mallemort•Pélissanne Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS Rognac•Saint-Chamas•Salon-de-Provence•Sénas•Velaux•Vernègues 1 Portraits de gens d’ici et d’ailleurs Michel ARMAND CHARLEVAL........................................................................................................................................................................4 Luisa ARMENICO MALLEMORT.......................................................................................................................................................................6 Bernard BABEC VERNEGUES........................................................................................................................................................................8 Christian BOTTEGA Berre l’Etang............................................................................................................................................................... 10 Rabah BOUGHERARA Saint-Chamas.............................................................................................................................................................. 12 Paul COLOMBIER velaux............................................................................................................................................................................. 14 Jean-Claude EUGENE ROGNAC........................................................................................................................................................................... 16 Aimé ICARD la fare les oliviers................................................................................................................................................. 18 Max LAURENS lançon-provence.....................................................................................................................................................20 Bernadette LINSOLA EYGUIERES.......................................................................................................................................................................22 M Pelissanne.....................................................................................................................................................................24 J.M senas................................................................................................................................................................................26 Paul MAGNAN Salon-de-Provence..................................................................................................................................................28 Charlotte PONS la barben......................................................................................................................................................................30 Henri TROUILLER Berre l’Etang...............................................................................................................................................................32 R.Z BERRE L’ETANG...............................................................................................................................................................34 2 Lire Ensemble 2013 PREFACE LES GENS D’ICI ET D’AILLEURS J'ai sillonné les belles routes du territoire salonais, entre Alpilles, Etang de Berre et Crau, avec le plaisir d’être attendu dans chaque ville. À l'inverse du facteur qui porte des lettres, je suis venu chercher les paroles qui deviendraient écritures sur mon cahier. Un portrait devait être restitué lors d'une deuxième visite. J'ai apprécié la beauté des portes ou grilles qui s'ouvraient à moi. Demeures en pierre, maisons de village, salles de médiathèques, salons odorants, pièces fleuries, bureaux de travail venaient en écho aux paroles échangées. Avec gentillesse et bonté, toutes et tous m'ont successivement accueilli pour l'entretien et la lecture. Ils m'ont ouvert leur cœur et leurs histoires avec précision, avec émotion. Ils m'ont livré leurs trésors de familles, leur mémoire. Je leur suis reconnaissant de cette confiance mais aussi de m’avoir permis cette rencontre. À l'instar d'un portrait photo, j’ai écrit à la première personne, celle du participant pour les mots, celle de l'auteur pour les phrases. Découvrant ces textes, le lecteur sera transporté au quatre coins d’Agglopole Provence, entre bords de l'étang, contreforts des collines, canal de Provence, Lubéron et Alpilles. Là, résident des femmes et des hommes venus d'ailleurs et ayant ancré leurs vies ici, ou simplement nés sur cette terre, habitant toujours la maison de leurs parents, à proximité des champs, d’un parc zoologique, d’un refuge animalier, au sommet d’un village, dans la ferme des ancêtres, auprès du lieu de travail. Leur métier, chimistes de l’usine Shell Berre, famille d’accueil, anciens de la Poudrerie de Saint-Chamas, agriculteur, passionné de cirque, gestionnaire de parc animalier, employés de mairie, passionné de plongée sous-marine, défenseur de l’environnement, technicien en électricité, restaurateur, enseignant, passionné de la langue provençale, d’astronomie … Un kaléidoscope de personnalités qui pourrait ainsi définir les habitants de ce territoire, liant la tradition et le modernisme en préservant la mémoire, la sauvegarde des patrimoines, le respect des animaux, la transmission des valeurs aux jeunes générations. Quels que soient ou aient été leurs métiers ou leurs activités extraprofessionnelles, tous ont en commun la passion de ce qu’ils font. Pour que rien ne s’oublie de ces vies, de ces tranches d’histoire locale adossée à celle de la planète. L’auteur, humblement remercie toutes celles et tous ceux qui ont volontiers ouvert le cahier de la mémoire, les élus, l’équipe du service culturel d’Agglopole Provence, le personnel des bibliothèques du territoire, médiateurs efficaces de ce projet. Jo ROS Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 3 Michel ARMAND CHARLEVAL Imaginez un pays de lumière, une odeur de thym, de romarin, royaume des moutons et des abeilles. Souvenirs de fraîcheur de mon enfance sur ces terres de transhumance et de veillées. Solidarité et fraternité des hommes, étendues aux animaux proches, chiens, chats, brebis, bouc, poney, lama et ceux de la basse-cour. Ce monde presque disparu est encore dans un coin de ma mémoire. C’est aussi l’univers que décrit Marcel Scipion dans ses livres mais aussi Marie Mauron. La transhumance, que j’ai connu enfant accompagnant les bergers à pied jusqu’à la Roque-d’Anthéron, s’appelle en provençal « l’escabau ». Cet amour des animaux, je l’ai depuis cette époque, au point de rêver de rejoindre un cirque pour les voir évoluer. Peut-être que la vie m’obligeait à fréquenter l’école obligatoire. Je dois dire que j’étais bon élève, à part les maths tout me plaisait. Je connaissais des récitations par cœur, notamment ce poème de Victor Hugo « Demain dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne, je partirai… ». Je ne sais pas si c’est la campagne en hiver, la perte de sa fille, l’aube, qui me sont restés gravés. En effet je possède un petit terrain dont les locataires sont ces animaux qui constituent ma communauté affective. Je me suis levé toujours très tôt pour m’en occuper, et couché très tard. Je les soigne comme des humains. Notamment un singe aimé de tout le village et dont j’ai dû me séparer, la réglementation sanitaire étant plus forte que le cœur ; un bœuf d’écosse, un poney, un âne, un lama m’ont redonné le sourire. Sourire permanent qui est accroché au mur sous forme du dernier chapeau de clown de Zavatta, oui le grand, l’unique. Ce chapeau a une histoire comme tous les objet que vous découvrirez chez moi. Envoie les clowns Ceux qui disent que le cœur fait boum Que du paradis ils retrouvent Trenet, Zavatta ou Prévert. Les animaux m’ont naturellement mené au cirque ou réciproquement. Le fait est que je suis passionné de cirque, je les connais tous par leurs familles, les Gontel, Cornero, Cancy, Muller, Kerwicn, sans oublier les plus grands Pinder, Zavatta. J’en connais tous les personnels comme les artistes. Venez voir Le cirque Les animaux sont magnifiques. Sur les places publiques, C’est la fête, et c’est magique. D’ailleurs on a constitué une bourse d’échange avec leurs animaux. Chez moi, ils vont jusqu’à leur dernier souffle. Ils sont en pleine campagne, tout mon argent y passe. Je les présente aux enfants en faisant attention aux règles de sécurité. Traversant la ville et me rendant au champ où logent mes animaux, je pense au chemin parcouru depuis ma jeunesse. Au CET de Vauvenargues, j’ai appris le métier de maçon que j’ai exercé jusqu’à mon accident à la jambe. J’ai la chance, après un stage à la mairie, d’être employé comme polyvalent et ce jusqu’à la retraite. Là aussi mon emploi du temps est adapté aux besoins de mes animaux, les soins très tôt avant le début du travail et le soir après la journée à la mairie. Le peu de temps qu’il 4 Lire Ensemble 2013 me restait je l’ai passé au sein du club de foot de Charleval, au poste de gardien de but, ensuite comme membre actif. Vous comprenez qu’avec cette passion il m’est impossible de vivre en ménage, où trouver celle qui soit capable de partager cette folie animale ? En plus je connais mes capacités de relation, sous des apparences de mec sympa, souriant avec tout le monde, mais jaloux de ma liberté, allergique aux règles, à l’ordre, aux armes. Je me suffis à moi-même, bon cuisinier, conteur intarissable, gai luron, au courant de toute l’actualité locale, lecteur assidu des journaux. Cette capacité relationnelle je la mets au service des animaux et du cirque. En effet je suis le passeport idéal auprès de la municipalité pour tous les cirques qui veulent s’installer à Charleval. Dans le cadre de la vie communale, je ne rate aucune fête traditionnelle qui marque la culture provençale, notamment l’aïoli lors de la journée des Cendres. Je regrette l’évolution trop rapide de la ville qui met en difficulté nos traditions de veillées devant nos portes. Comme je regrette l’image un peu forcée du méridional donnée par Marcel Pagnol. Je suis de cette Provence chère aux cœurs de Jean Giono et Marie Mauron. Je reste fidèle à l’idée de cette ville, à son charme, à sa douceur de vivre, à sa couleur, à ses pierres et arbres, à son nom de char et de val, entre Lubéron et sud des Bouches-du-Rhône. Moi j’ai une pensée pour mon singe Cabo qui s’exprime dans la fable de La Fontaine : Venez, Messieurs. Je fais cent tours de passe-passe. Cette diversité dont on vous parle tant, Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement, Moi, je l’ai dans l’esprit : votre serviteur. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 5 Luisa ARMENICO MALLEMORT Ma vie au loin mon étrangère Ce que je fus je l’ai quitté Et les teintes d’aimer changèrent Comme roussit dans les fougères Le songe d’une nuit d’été. Être étrangère en ce pays, cela a marqué toute la période de ma jeunesse jusqu’au mariage, où je suis devenue Française grâce à l’union avec un Mallemortais, lui-même d’origine italienne. Issue d’une famille de Parme, de celles qui ont quitté leur pays pour fuir la misère. C’était le cas de mon père, boulanger, dont j’ai le souvenir qu’il aimait l’opéra, s’inscrivant même dans des concours de chant. Pour des raisons que je n’ai pas pu élucider, mes parents se sont rencontrés à La Seyne sur Mer et sont repartis en Italie où je suis née à Parme en 1939. Après la guerre, mon père obtient un contrat de travail à l’usine SCI. Puis c’est le regroupement familial en 1948. Nous sommes logés à même l’usine dans un local vétuste, sans eau ni commodités avec d’autres employés de toutes origines. J’ai le souvenir d’une période difficile, ponctuée de corvées pénibles, lutter contre le froid, aller chercher l’eau en bas, nous descendions et montions soixante et une marches d’escalier. Nous descendions le repas pour mon père qui passait de nombreuses heures dans l’entreprise s’agitant autour des autoclaves, grosses cuves pour la conservation du produit sous forme de boîtes de tomates entières ou de coulis. Sur les bancs de l’école, j’étais aussi cette enfant d’étrangers, mais je n’ai pas ressenti de racisme à mon égard, m’adaptant rapidement et faisant des efforts pour me mettre au niveau. J’ai ainsi obtenu mon CEP. Pendant les vacances je travaillais déjà aux champs. Nous saisissons la chance d’acheter un petit appartement dans le village que mon père restaure à ses heures perdues et que nous occupons cinq ans après à la naissance de mon petit frère. À quinze ans je suis à mon tour employée dans l’usine, mon statut d’étrangère revient à la surface concernant la difficulté de faire un dossier d’embauche. Mon frère y travaille également. Mais mon père ne supportant plus le travail sur autoclave, reprend son métier de boulanger, nous en sommes soulagés. Et quittons nous-même l’usine. Je deviens saisonnière dans les travaux des champs, ramassant fruits et légumes pour les exploitants agricoles de la région. Entre-temps mon mari devient un petit exploitant agricole sur des terres qu’il loue mais dont il est difficile de tirer un salaire décent. Il devient donc chauffeur routier. Je me marie à mon tour, élève un enfant. La chance se présente sous forme d’un emploi de femme de service dans les écoles et collège. Là je m’adapte grâce à un bonne ambiance d’équipe et d’année en année, je suis l’évolution du village devenant une ville agréable offrant tous les services sociaux, sportifs et culturels à une population venue d’horizons divers. Je prends ma retraite et organise mon temps avec mon mari. Je n’ai plus une minute à moi, le souci de mes enfants et petits-enfants. Depuis ces années noires où enfants nous étions très sollicités pour 6 Lire Ensemble 2013 les tâches de tous ordres, j’ai forgé un amour des autres, d’abord mes enfants et petits-enfants dont je suis à la disposition ainsi que tous ceux qui sont dans le besoin à travers le monde associatif qui est un pilier fort de la ville. Notamment « l’Association du patrimoine » qui organise la thématique annuelle ajoutée à la soirée des masques et lumières. Nous conjuguons notre temps entre les animations au foyer, les lotos du mercredi, les repas avec un groupe d’amis fidèles, les sorties dans la région, le Dôme à Marseille, les mardis couture pour les vêtements du Téléthon, les poupées, les journées bouillabaisse. Et surtout les soirées rami, très animées où on refait le monde. Le reste entre la télé, les polars, les actualités, les week-ends vide greniers. Malgré certaines périodes noires que j’essaie d’oublier, je suis assez heureuse de ce parcours d’une étrangère qui a fait siennes toutes les valeurs de cette république qui nous a accueillis, aidés et permis de faire partie intégrante de cette ville. Ma vie au loin mon étrangère Ce que je fus je l’ai quitté. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 7 Bernard BABEC VERNEGUES La vie m’a enrichi de mille moyens exprimés par mes projets passés et présents, voyages, rencontres de tous ordres. Elle m’a nourri de la culture des gens simples, issus du quotidien, du réel. Cela m’a permis de vivre et survivre dans les multiples expériences qui ont jalonné mon chemin de pierre et qui le balisent encore. Dans tous les cas, je peux ressurgir là où l’on m’attend le moins. Depuis quelques mois, je me suis ancré dans ce coin de Provence, sur les contreforts du rocher de Vernègues, dans une ferme de pierres jaunes et grises, nommée la Vaccaresse, ce qui en wisigoth veut dire « eaux mortes ». Mystère linguistique équivalent à l’étymologie de mon nom d’origine celtique. Mes grands-parents de part et d’autre sont issus de la grande famille des bergers et des paysans des régions d’Auvergne et du Piémont. Ces derniers faisaient le saut du col de Larche et se retrouvaient en France à Gémenos, Aubagne et Vernègues, la ferme étant le ralliement familial par excellence. Il y a eu là une concentration de troupeaux de moutons, dépassant le millier et la centaine de bergers dont le siège symbolique était déjà cette grande bâtisse que je me fais un devoir de restaurer. C’est vous dire l’ampleur de mon projet actuel, une passion de bâtisseur, formé à aucun des métiers du bâtiment mais les exerçant tous. C’est le résultat d’une curiosité sans limite envers tout ce qui est manuel ; ça a commencé à l’école ou plutôt à la non école, absent plus d’une fois, préférant la buissonnière, les quatre murs ne contenaient pas les lutins que j’avais dans la tête. Je leur courais après dans les champs, admirant la nature plus que les livres. Paradoxe, par la suite ils ont joué un grand rôle dans ma passion d’homme curieux de tout, mais à chaque temps suffit ses coups de cœur et j’en ai eu, pour la terre, la mer, la cuisine, la photo, la philosophie politique, la part de l’ombre et de la lumière qui se fait dans toute pensée humaine. Les livres, ils couvrent tout un mur chez moi. Vous y trouverez l’essentiel, c’est-à-dire une littérature active qui m’est nécessaire pour me réaliser en tant qu’individu, me déconstruire des préjugés et comportements qui me seraient dictés de force par le groupe social ou sa soi-disant éducation ; celle qui compte pour moi c’est celle apprise sur le tas, de façon pragmatique. C’est ce qui a marqué ma vie sans que je m’en rende compte sur le moment, à mon insu et qui a élaboré mon échafaudage personnel qui tient l’ensemble avec force et résistance nécessaire à toute intrusion d’une pensée nocive. Et ce faisant, cela va vous surprendre, c’est ce qui me place dans le groupe social, c’est ce qui fait « ensemble » si les gens souhaitent faire un bout de chemin en partageant le positif et le négatif de tout acte. Ma vie en est une preuve. Né à Gémenos, élevé par ma mère et en partie par mes grands-parents dans la ferme de Vernègues, où était souvent présent l’oncle Bagnis, personnage important pour moi m’apportant la culture des bergers dont les valeurs disparaissent aujourd’hui. Les moutons paissaient sur le plateau et les terres en contrebas. Les bergers des alentours jusqu’à Sainte-Victoire, la Sainte-Baume, échangeaient leur point de vue sur leur métier mais aussi sur la société rurale et l’évolution de l’élevage ovin. Puis de retour à Gémenos, l’école essaie de faire de moi un bon élève, échec, comme je vous le disais plus haut, mon école à moi était dehors, la classe, c’était la colline, les leçons, celles de la nature, mes maîtres, les paysans, les artisans et les gens rencontrés. Je savais y faire pour qu’on me mette dehors, indiscipline, bagarre, réponse au maître, la panoplie de l’amoureux de l’école buissonnière. Ça ne veut pas dire que mon esprit était en sommeil, j’étais capable de réciter un texte ou autre formule par cœur, simplement pour narguer ou parce qu’en CM2, j’étais tombé sur un instituteur exemplaire. Ça arrive mais il n’y en a eu qu’un seul. Au collège, ça n’a pas été mieux, le piège scolaire se refermait à nouveau et lorsque j’en eus fini de ce périple adolescent, il fallut bien se mettre au travail. C’est je crois à partir de ce moment qu’une fée chance s’est présentée à tous les moments de ma vie ne laissant aucun intervalle à ce qui va devenir ma vie professionnelle. Un photographe de Toulon prend en apprentissage trois jeunes dont moi pour le seconder dans ses travaux commerciaux. J’essaie de me perfectionner dans un cours du soir ; tout en intégrant les bases, je retrouve les quatre murs de l’école diabolique et ne poursuis pas plus loin. Mais le phénomène photo ne m’abandonnera pas, comme vous le verrez plus tard. De retour à Gémenos, la fée chance m’attend devant l’usine de carrelage. Ce travail me plaît ajoutant à mon bagage une touche artistique et manuelle. Mais c’est aussi l’époque de la jeunesse bouillante des années 60, guitare électrique dessinée au dos des blouson noirs, arrogance, cyclos, chahut, et la fée chance ne peut pas m’éviter quelques difficultés passagères avec la police que chante Brassens 8 Lire Ensemble 2013 dans son « Gare au gorille » ou autre aubade sociale. Le temps du service militaire m’apprend une nouvelle culture du groupe, j’essaie à nouveau de reprendre les cours du soir et réalise l’exploit d’y rester un certain temps. Heureusement la paix en Algérie m’a épargné la dure épreuve subie par les appelés du contingent une année auparavant. Je reprends le chemin de Gémenos, non sans de grands moments passés à Vernègues avec mes grands-parents, où je n’oublie pas le paysage féerique de cet oppidum, son ensoleillement, sa végétation, les moutons, la couleur des pierres et les recoins du village détruit par le séisme de 1909. La fée chance se présente sous forme d’un paquebot de la compagnie Paquet qui m’embauche comme aide toutes catégories, ce qui veut dire en langage commun, moussi ou manœuvre naval. Malgré le mal de mer des débutants, je m’accroche et participe aux diverses traversées en direction du Maroc, des îles Canaries. Le boulanger m’encourage à toucher à tout et me prend en estime. Afrique de l’ouest, c’est l’aventure, avec à chaque port la découverte les rencontres. Ces embarquées sont particulières parce que nous formons un équipage de relégués de la compagnie. Ça ne m’empêche pas de saisir l’opportunité du départ du boulanger pour le remplacer, j’arrive même à contourner ce que disent les lois maritimes de la nourriture prévoyant une pâtisserie les jeudis et dimanches, rapidement je confectionne d’autres desserts notamment des flans vanille ou chocolat, de la glace qui fait l’unanimité, chose difficile à réaliser sur un navire marchand. Une réorganisation de la compagnie est opérée, je suis réclamé à chaque traversée. Là j’ai appris toutes les règles de la vie en marge, les souterrains des trafics de confort ; la culture de la douane, monde obscur et secret difficile à livrer, mode de vie. Loi du silence et celle de la camaraderie, ne craint aucune dérive institutionnelle menaçante. Je réembarque sur le bateau croisière « Le Renaissance » où là je découvre la Grèce, les Caraïbes, les pays du Nord, dont la Norvège et ses fjords, l’Amérique et Miami, où j’ai failli épouser une Cubaine. Une vraie vie de baroud. Lors de mes congés de trois mois réglementaires, je reprenais racine à Vernègues retrouvant les quatre saisons, le charme des lilas, des oliviers, des pins, et la vue imprenable de la ferme sur les côtes du golfe de Fos, l’échappée vers Aix et Marseille. J’ai eu tout à coup cette nostalgie du méridional attaché à sa terre. Je m’efforce de fonder une famille, elle existe et la fée m’attend cette fois aux portes d’une entreprise de chaudronnerie. Qu’à cela ne tienne, je m’inscris en FPA pour une formation de chaudronnier tuyauteur ; pour obtenir le CAP je n’hésite pas à entrer dans le dispositif de remise à niveau. La soudure au chalumeau et à l’arc n’a plus de secret pour moi, je gravis les échelons, en soustraitance, j’égrène les entreprises de la zone de Fos ; à nouveau à cause d’un mal au dos handicapant et grâce au concours de connaissances, c’est dans la sécurité que j’assume un nouveau poste sur l’aire du port autonome de Marseille-Fos. J’ai l’impression que le ruban de vie commence à opérer un virage sous la forme d’une proposition d’emploi de photographe du port, un clin d’œil à mon apprentissage dans le laboratoire photo de Toulon pendant mon adolescence. Me revoilà sur les bancs de la formation à l’EPHET où je décroche un diplôme de photographe enrichissant ma collection de CAP depuis des décennies. Sans oublier mon statut de syndicaliste aguerri à la connaissance des pouvoirs et des hommes, du travail et de l’éthique ouvrière. Grand moment de ma vie où on retrouve mes photos dans les expos, les revues du port, celles du conseil général « Accent ». J’ai tout ce travail en archives dans ma demeure de retraité, à Vernègues, matériaux qui me servent encore pour une animation dans les écoles, notamment autour d’un travail sur les graffitis recueillis sur les containers et murs imposants du port. Si votre œil est exercé à l’art de la photo, vous ne verrez dans mon travail aucun homme ni son ombre mais la révélation en contrepoint de la vie et du travail des hommes. Mon temps se passe désormais ici à tutoyer mes souvenirs, sans nostalgie, me trouvant devant un nouveau challenge, celui de restaurer la ferme. Respecter ses assises, ses murs, ses fenêtres, la couleur des pierres, à peine esquisser un chemin, ranger tous les livres que j’ai dévorés, une revanche sur l’écolier buissonnier, ranger mes photos, livrer mes pensées, mes idées à qui veut bien les écouter, reprenant mes chemins de vie, routes maritimes, sentiers de transhumance. Retrouver mes compagnons de racines, Espagnols de la Confédération Nationale du Travail, lecteurs des Laborit, Carrel, Stirner, Proudhon, Bakounine et autres empêcheurs de vie conforme. Pour ne pas être de ceux qui vivront par la lucarne d’une prison dorée que les pouvoirs virtuels cloueront au-dessus de leur tête. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 9 Christian BOTTEGA Berre l’Etang L’une de mes passions actuelles est d’être un membre actif d’un groupe d’ornithologues et aussi de naturalistes, fréquentant l’Etang de Berre et les collines environnantes pour échanger des informations locales sur nos domaines de prédilection. Passion que je partage avec mon épouse. Cette association fait partie de la Ligue de Protection des Oiseaux et mon autre violon d’Ingres, c’est le dessin où j’ai un énorme plaisir à caricaturer les évènements de tous ordres liés à l’activité quotidienne de la société et lorsque j’étais à l’usine, à la vie de mon groupe au sein de la Shell. Ne vous étonnez pas si la plupart des personnages sont représentés par des oiseaux. N’est-ce pas La Fontaine qui en faisait usage dans ses fables ? Un oiseau suivant son genre représente bien la psychologie de l’homme et nombre de mes dessins sont un raccourci à la plume pour livrer au regard du spectateur les scènes inspirées de ce que je vois, ce que j’entends, un théâtre vivant aux cent actes divers et dont le dessin est l’univers. C’est en découvrant au sein de mon équipe le tableau d’affichage du local de mon secteur de travail que vous comprendrez mieux ma vision sur l’usine. Le responsable de l’unité attendait avec intérêt le dessin du jour. Nous abordions le travail avec lucidité parfois avec humour, toujours avec sérieux. Le travail posté a ses avantages et ses inconvénients. Personnellement je m’y suis adapté préférant le poste du matin, qui me laissait un temps de loisirs les après-midis pour m’occuper d’ornithologie. Il faut noter que grâce à mon entourage, mes moments de repos ont été respectés. La météo joue beaucoup sur nos conditions de travail. La pression de la direction dans le but de produire peut créer des incidents ajoutant à mon anxiété la tension de tous les instants. Cependant nous avons pour la plupart forgé en nous une conscience professionnelle nous permettant d’intervenir à tout moment, ce qui renforce les liens au sein de l’équipe et lui permet d’avoir de bons moments de convivialité. Grâce à l’action du CE et du syndicat, je suis souvent passé au travers des plans sociaux regrettant le côté paternaliste de l’usine. Élevé par ma mère dans la belle ville de Cassis, j’ai pas mal bougé de l’école primaire à l’internat à Orange où je passais mes week-ends chez ma grand-mère, ensuite à Cavaillon où après la troisième et le BEPC, j’ai quitté l’école. Une période indéfinie de petits boulots dans une menuiserie de Saint Andiol, ensuite serveur dans les restaurants et bars de la région, notamment à Saint Rémy de Provence aboutissant au temps obligatoire du service militaire où le choc du champ de tir a certainement occasionné un mal d’oreille qui persiste encore aujourd’hui. Après mon mariage, un oncle du côté de mon épouse, ouvrier à la Shell me conseille de faire une lettre d’embauche. Reçu, on me met en garde, concernant le poste qui m’est offert : ne pas avoir de risques hépatiques et de bien prendre soin de ma santé en me protégeant et par les douches obligatoires d’une demi-heure avant et après le poste. Lieu où se croisait la relève. Il faut vous dire que je travaillais à la fabrication du produit Vapona, cet insecticide puissant. Malgré un poste difficile et à risque, je garde le souvenir d’une période positive au sein d’une équipe de vingt-cinq personnes. C’était ensuite le secteur du finissage du SBR (syrène, butadiène, rubber). Le matériau obtenu sous forme de granulés par une composition chimique à base de pétrole et d’additifs calculés était compressé pour obtenir un cube de trente-cinq kilos qui ensuite donnait le latex et la gomme. Ce dernier produit était fourni à divers clients dont 10 Lire Ensemble 2013 Michelin qui en faisait de la gomme pour les fameux pneus. J’ai donc été muté dans les différents secteurs de la fabrication de ce matériau. Michelin a ensuite décidé de faire son propre caoutchouc entraînant une compression du personnel. Mis en demeure par la commission de réaffectation, je me suis retrouvé à la fabrication du PVC, où j’ai dû m’adapter à une autre façon de travailler, dans un secteur dominé par le modernisme, le travail en salle devant des écrans d’ordinateur. J’ai dû faire d’énormes efforts intellectuels pour comprendre la philosophie de ce nouvel emploi. Grâce à ma capacité d’adaptation, que ce soit pour le Vapona, ou pour le caoutchouc, j’ai appris sur le tas en écoutant ceux qui savaient, en faisant des efforts ; j’en garde un souvenir de reconnaissance et de détermination de ma part pour ne pas être exclu du système. Tout cela vous pouvez le voir dans mes dessins. Dans mon jardin secret mais aussi dans mon potager, dans l’esprit de Voltaire, je me remémore tout ce chemin. J’y pense à nouveau lors de randonnées dans les collines en observant les oiseaux. Tiens, si je me mettais à ma planche à dessin pour caricaturer cette vie. Vous le découvrirez peut-être dès demain sur vos ordinateurs sur mon site « Christian dessins 2004 ». Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 11 Rabah BOUGHERARA Saint-Chamas Si je peux résumer ma vie en quelques mots, je dirai que c’est l’histoire d’un long chemin de travailleur. De l’âge de douze ans à celui de la retraite sans discontinuer. Bien sûr nous n’étions pas des esclaves, mais il y a eu des périodes où ça ressemblait un peu à ces films sur le travail dans les mines de charbon, faire des heures, accroître la production. Mes jambes et mon dos me le font bien sentir depuis quelques temps, m’obligeant à marcher avec une canne. Il faut vous dire que mon autre canne, c’est Khamsa mon épouse qui tient mon autre main ; c’est grâce à elle que je suis fier de tout ce parcours d’ouvrier, de père, grand-père et arrière-grand-père d’une famille qui m’a donné beaucoup de joie et qui est encore aujourd’hui ma raison de vivre. Né à Sétif, fils d’un père militaire que j’ai peu connu, élevé par ma mère et un oncle, j’étais peu attiré par l’école que je n’ai pas fréquentée, préférant travailler rapidement. En effet à l’âge de douze ans je deviens cordonnier, un beau métier qui m’a donné de bonnes bases pour le travail manuel. Mais j’avais l’esprit ailleurs, un désir d’aventure, je ne tenais pas en place. Mes parents avaient de la famille en France. Qu’à cela ne tienne, on m’émancipe grâce à une procuration de minorité et me voilà en Provence en 1952 où je débarque sans argent, sans adresse, une étoile au-dessus de ma tête à qui j’ai fait confiance puisqu’elle m’a amené chez le frère de ma femme, venu travailler à Saint-Chamas où il s’est installé. Je trouve vite un emploi comme manœuvre, en particulier à la Poudrerie qui compte quelques centaines d’ouvriers, j’apprends le français sur le tas, ainsi que la technique de la maintenance des outils et installations pour la production de la poudre pour les explosifs. Pour moi, il est temps de faire le service militaire et grâce à une connaissance de mon père, militaire lui aussi, à l’enregistrement du conseil de révision, je bénéficie d’un statut de soutien matricule FD2 ; toujours cette étoile au-dessus de la tête qui m’évite de me trouver au centre du conflit franco-algérien. Un véritable casse-tête pour nous Algériens originaires d’un département français et Français par choix. L’étoile me dirige à la même époque vers une femme absolument belle qui m’est destinée, qui me conduit au mariage et que je n’ai jamais quittée. Aujourd’hui à Saint-Chamas, lorsqu’on me voit, ma femme n’est pas loin et réciproquement. Nous sommes inséparables, que ce soit pour la maison, pour les commissions, pour aller au marché, pour la famille. J’aime la vie dans cette ville entre travail, foot où je suis ailier droit pendant un bout de temps au Football Club de la Poudrerie, la grande et la petite famille qui s’agrandit d’année en année, les amis, les responsables de la ville et des associations. Avec ma femme, nous sommes très connus, respectés ainsi que reconnus. Que ce soit avant ou après l’indépendance de l’Algérie, ce pays est dans notre cœur comme le chante Djamel Allam, poète bien connu en France. Un pays qui mêle la tendresse et la révolte, c’est ça l’âme de l’Algérie que j’aime. 12 Lire Ensemble 2013 La Poudrerie ferme ses portes en 1956 il faut trouver du travail ailleurs ; le plan social prévoit une formation ; je choisis le métier de chaudronnier tuyauteur qui me permet de trouver du travail à tout moment dans les entreprises de la région, implantées entre Aix, Marseille et la zone de Fos. Je suis fier d’appartenir à la corporation des ouvriers du fer, de la métallurgie comme le chante Ferrat, Je n’en finirai pas d’écrire ta chanson Ma France ! Que je chante à jamais celle des travailleurs Ma France ! Je voyage souvent de l’autre côté de la Méditerranée où je rends visite aux deux familles, celle de ma femme et la mienne. Mais ma vie, depuis l’âge de dix-sept ans où j’ai débarqué dans ce pays, est ici et c’est ici que j’ai inculqué les valeurs de la République à mes enfants, qui à leur tour ont fondé leur famille comme tous citoyens français ayant des droits et des devoirs envers ce pays. J’aimerais vivre dans une société où nous avançons tous ensemble comme dans une famille, nous pouvons être heureux, nul besoin de tant de richesses, être simplement modestes comme la plupart des gens de cette ville de Saint-Chamas. Ville de dimension humaine où la gentillesse de ses habitants se repère dans les rues, sur la place, sur le port donnant cet air paisible du bien vivre. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 13 Paul COLOMBIER velaux Depuis mon plus jeune âge, j’ai l’impression d’avoir fui l’inutile pour arriver à l’essentiel, être amarré aux terroirs du midi et en particulier à Velaux, après avoir essayé mes semelles de vent entre Paris, Lyon, Marseille, mon PLM à moi. Pour que jamais ne s’achève la chanson de Velaux « Fau jamai que s’acaba de Velaurs la cançon », ville à la haute colline verdoyante de son blason. Ici la charrue est liée à la terre comme, un peu plus bas, en Méditerranée, la barque est attachée à la mer, guidée par les étoiles. Paysans et pêcheurs en symbiose avec leurs milieux naturels. J’en suis venu à me construire un carré de vie et de vision du monde sur la base des paysages en étroite relation avec les étoiles, les saisons et la communauté des travailleurs, un hymne entre les travaux et les jours du temps qu’il fait et du temps qui passe. Né à Chateaurenard d’une mère paysanne et d’un père ingénieur électricien, employé auparavant dans les premiers studios cinématographiques de Marcel Pagnol à Marseille, j’ai traîné mes pas d’évitement entre école primaire, collège et lycée. Moi l’enfant solitaire, les yeux fixés sur le ciel en attente de fuite. Je savais qu’il fallait du temps pour que la langue trouve son rythme et sa musique en écho à celles de ma mère aux sonorités affectives et de mon père aux accents masculins. J’étais déjà Provençal dans le provençal. Je me réalise ensuite dans des études de sciences physiques, chimiques et naturelles. Après trente mois d’armée équivalant à trois années universitaires, je bifurque vers une double licence et maîtrise de philosophie et de lettres à la Sorbonne, et un doctorat de lettres de troisième cycle, option langues romanes, à la Faculté d’Aix-en-Provence. Après quelques emplois dans le privé, je deviens professeur de lettres, et conjointement professeur de langue provençale à l’École Normale puis en lycée. Mais ma passion d’enfant, les pieds dans les sols qui vivent et la tête dans les étoiles, s’exerce dans les sciences, particulièrement dans l’astronomie. Toujours passionné par les lettres, le symbolisme, les sciences, les milieux de vie, le tout exprimé dans mes deux langues maternelles : langue d’oil et langue d’oc, j’ai une prédilection pour la seconde, tellement proche de son incarnation au milieu familial et communal de son origine. Ma passion conjointe pour la langue d’oc et pour l’astronomie fait que j’utilise l’une pour décrire ou introduire l’autre. En provençal on appelle cela « VIURE », vivre. On ne dit pas par exemple « prévoir le temps », mais « vivre le temps ». C’est que le rapport au cosmos est perçu par nous, gens d’oc, sous l’angle de la vie, sous l’angle de l’humain : c’est toi, vivant ici et maintenant, qui es partie prenante de ce temps, de ce ciel, de ces étoiles. Faire de l’astronomie en oc – ou plutôt « vivre l’astronomie ». L’homme, comme tout vivant, est pris en compte par ce regard poétique et scientifique sur l’Univers. Quand on dit en français, avec un verbe impersonnel : « il va pleuvoir », en provençal on dit plutôt : « siam a l’aiga », « nous sommes à l’eau », c’est bien nous qui allons la recevoir cette pluie ! De même pour exprimer l’heure : impersonnellement en français, « il est dix heures » sera pris en charge par les acteurs humains en provençal : « siam a dètz oras » (siam a dès ouro). Le « il était une fois » impersonnel des contes devient : « Vous trovaretz qu’un jorn ». L’assistance est interpellée, sollicitée… Il s’agit donc bien d’une conception du monde qui fait l’une des richesses de notre France dans sa diversité. Rien d’étonnant à ce que mes mots-clés soient « VIURE » et « TERRAIRE ». Nous vivons dans un terroir, le mot étant pris dans son sens d’unité naturelle et habitée ; les étoiles font partie de ce 14 Lire Ensemble 2013 terroir, puisqu’on les contemple toujours comme partie prenante du paysage où l’on vit. Le mot « ròde » justement, – ou « ròdo » (ròdou) pour notre région linguistique – désigne une étendue circulaire, une région donnée et ses habitants, un lieu où l’on s’assemble. Il connote souvent un paysage complet où rien ni personne n’est oublié, ni les hommes dans leur diversité, ni la nature dans sa variété, ni le ciel qui y étend sa cape. Cette double passion, ou plutôt cette passion unique exprimée diversement, sans jamais se départir de la vie, exige différents modes d’appréhension, tous complémentaires, comme ces deux associations à première vue presque aux antipodes : « Lo Ròdo de Velaurs » que j’ai fondée avec notre troubaire velauxien Raoul Féraud ; et « l’Astroclub de Velaux », qui aux origines émane de l’A.C.P. (association culture et patrimoine), mais qui fut animé par le regretté Michel Espoto et moi-même. Je réunis d’ailleurs ces deux activités au cours d’un stage annuel d’été, dans le cadre des « Rencontres occitanes en Provence »… Mes outils de base : un crayon gris, le Trésor du Félibrige de Frédéric Mistral, un ordinateur et un télescope. Mais de ce côté-ci du télescope, je pense à mes parents, un père que Marcel Pagnol appelait « mameluk » en référence à « sa gueule cassée » dissimulée derrière une grande barbe, et une mère aux solides valeurs paysannes. Il y a aussi nos enfants et ce qui nous lie, toujours cette langue faite pour nommer la vie, celle des choses, celle des hommes, celle des lieux. Je me plais à illustrer toute cette philosophie, là-haut sur le plateau de la « Palun » où sur les indications d’un paysan, Daniel Donnier, j’ai découvert les routes d’une autre géographie tracées sous forme de rosace, respectant rigoureusement les angles et les perspectives. Le soleil, la lune, le calendrier naturel sont mes professeurs du moment, moi qui ai essayé de l’être pour cette ribambelle de jeunes collégiens vivants et que j’aimais même râleurs. Leurs sourires et le mien ont tressé les éphémérides du souvenir. Si vous voulez bien m’accompagner, après avoir gravi l’escalier qui mène à une salle de la Maison des Associations, je vous ferai pénétrer notre langue, sous la houlette invisible de notre troubaire disparu, Raoul Féraud* : Ici point de bâton pour frapper sur les doigts Et point de gêne C’est une classe unique Les jeunes et ceux qui le sont moins : Les quinze, quarante et soixante-dix ans Aucun premier, nous sommes tous égaux. Nous ignorons. Demandons, Nous sommes fourmis, allons doucement, Et si vous voulez aller plus loin ou plus haut, nous irons cueillir ensemble quelques réponses au secret de la vie dans le champs des étoiles. * Le livre « Poésie d’oc à Velaux » recueille ses principaux poèmes destinés aux Velauxiens de souche ou de cœur; ils évoquent les petits riens qui font la vie et la joie de vivre ensemble au village. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 15 Jean-Claude EUGENE ROGNAC Rien de plus beau que le regard d’un enfant qui vous ramène son petit exploit de l’école. Où se lève le soleil et où se couche-t-il ? demande la maîtresse. A l’est et à l’ouest et d’autres questions sur la planète, la lune, la mer. L’enfant a réponse à tout, c’est mon petit-fils. Signe que le message est passé, celui que je transmets depuis pas mal d’années déjà, en projetant mes films sur le thème de la mer, et plus exactement de l’univers sous-marin, et en débattant avec toutes les générations. Fierté du grand-père comblé. Né à Marseille, je suis naturellement attiré par la mer. La chasse sous-marine me conduit à la plongée, mon baptême a lieu en 1961 dans le golfe Fos dont à cette époque les amphores tapissaient le fond. Très vite attiré par la photo sous-marine alors en noir et blanc, je deviens cinéaste amateur. Cela m’oblige à me distinguer par l’originalité des sujets à traiter. À la fois, scénariste, dialoguiste, accessoiriste, metteur en scène, caméraman, monteur, réalisateur, acteur, j’ai commencé par des films en super 8 avec une caméra que j’avais mise dans une cocotte minute et un phare de 2CV. Je filme ensuite avec une caméra vidéo 8 dans un boîtier étanche Sony. Primé dans différents festivals, Festival Mondial de l’image sous-marine d’Antibes, Ciclo Submarino le festival international de San Sébastian en Espagne, aux Journées de la mer de Carry-le-Rouet, au festival PAF Tachov en Tchécoslovaquie, je poursuis ma quête d’images au sein de la section plongée photos et vidéos sous-marines de Marseille Sports Loisirs culture. Mes films sont des fictions, bien souvent humoristiques et pédagogiques sans oublier la touche écologique, s’adressant à tous les publics. Une pensée particulière pour mon film réalisé avec le Club des Morses de Callelongue, « Première Mondiale au royaume de Neptune » qui a reçu un prix spécial au 32ème Ciclo de ciné submarino qui se déroulait à San Sébastian en 2008. Les sentiments qui m’animent ont toujours été l’amitié, le partage, la générosité, je n’ai fait aucun commerce de mon travail. Cela est dû certainement à une vie proche de la nature et à une enfance heureuse dans mon quartier du 5ème arrondissement de Marseille. J’ai été de ces bébés qui naissent à la maison, de ces enfants de l’école respectueux de leurs maîtres, de ces préados lecteurs de comics, Tarzan, Bibi Fricotin, les Pieds Nickelés et autres héros d’aventures planétaires. Après mes années de primaire jusqu’au certificat d’études, je suis admis à l’EEIM (École d’Electricité Industrielle de Marseille), où je passe mon brevet de technicien. L’eau était mon élément, je tente un concours à la Compagnie Paquet, sans succès. Cela m’apprend à surmonter les obstacles et m’endurcit quelque peu. Je suis embauché aux PTT. Un long chemin professionnel me permet de passer par plusieurs postes souvent après des stages et des formations. Je me retrouve tour à tour au central téléphonique «Ferréol», au télégraphe «Colbert», à l’IRET (Institut Régional d’Enseignement des Télécoms), je me perfectionne dans les techniques nouvelles «ITINÉRIS» transmission numérique, où avant mon départ à la retraite je fais office de formateur, pour les agents des lignes. Autour de moi, mes collègues de travail suivent ma passion maritime. Dans le même temps comme tous les jeunes de mon âge, après un service militaire classique je me marie et installe une caravane sur l’île du Gaou, où je suis dans mon univers, pour plonger et filmer les fonds et mettre en 16 Lire Ensemble 2013 images mes rêves de Némo, des légendes sous-marines. D’ailleurs, c’est dans ce cadre que j’ai croisé le commandant Cousteau, en venant installer un télex au sein de sa base de l’Estaque. Son bonnet rouge me suit dans mes pensées de scénariste, une couleur que l’on retrouve souvent dans mes films. Je suis révolté par le comportement des hommes vis-à-vis de la nature, déposant tout et n’importe quoi sur les rivages, au fond de la mer, sur les routes, dans la campagne. Ce qui explique aisément mon implication à diverse périodes de ma vie, avec les jeunes du Club Bochier, par exemple, mes collègues d’enfance et du quartier, en participant à la Commission Locale d’Information et de Sécurité à Rognac pendant mon mandat de conseiller municipal, dans le cadre du Syndicat Mixte d’électrification, dans le cadre de la Fédération Française d’études et de Sports sous-marins, dans les articles que j’écris pour le journal Le Morse, dans l’association syndicale des propriétaires des Frégates, à Rognac, dans mes articles pour le journal l’Echo de la Forêt de l’amicale du Comité communal des Feux et forêts. Je suis fortement impliqué avec Marseille Horizon dans la journée mondiale de nettoyage de plage éco citoyen organisée conjointement par plusieurs pays du pourtour méditerranéen. Nous serons dans les calanques de Marseille pour la 10ème session de l’opération Calanques propres. Je suis présent en tout lieu et association, dans l’esprit de la constitution des droits de l’homme et du citoyen, chaque fois qu’il faut alerter et sensibiliser le monde sur l’ampleur de la pollution des eaux marines et du littoral par les déchets solides. À l’image de mes films où je fais jouer des amateurs, voisins ou parents, mes amis plongeurs, moi-même, je parle au poisson «Jonas» même s’il est rouge et d’eau douce et le mets à l’aise dans l’élément salé grâce à ma créativité de cinéaste passionné par l’image sous-marine. La preuve, mon film : Le Voyage de Jonas. Allez le voir, vous me comprendrez mieux. Je veux porter la parole et l’image partout où elles feront prendre conscience à l’humanité de l’intérêt de sauvegarder la planète. Dans un monde qui naît de lui, l’homme peut tout devenir. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 17 Aimé ICARD la fare les oliviers Pourriez-vous vous imaginer des joueurs de football se livrant à la comédie pour interpréter « La Pastorale Maurel » ? Et pourtant c’est le cas, ici dans notre ville de La Fare les Oliviers. Vous aurez bien fait la différence entre cette pastorale et la « Riboun », la nôtre étant l’adaptation d’un texte écrit en provençal, la seconde un opéra comique qui varie en fonction des adaptations locales. Pour en revenir à nos footballeurs, l’Union Sportive Farenque, dont j’étais ancien joueur de l’équipe première et président, décide de présenter sur les planches de la salle des fêtes, cette pastorale mythique. Dans la Compagnie du Tallagard, créée par ma filleule Magali, j’ai longtemps rodé le rôle du « papé » de l’Arlésienne de Frédéric Mistral. Je n’oublierai jamais la fête que les amis ont préparée pour les cinquante ans du club, le défilé de mes anciens, le tout suivi d’un repas mémorable. Mon émotion était à son comble. Aussi vive que celle des camarades du club en tenue, face à un énorme public, sous une salve de sons de cloche actionnée par le curé, la même qui me bouleversa un certain jour de juillet 1942 où je reçus un livre des mains du Maréchal pour me récompenser d’avoir été reçu premier du canton du certificat d’études primaires où j’ai excellé en orthographe et surprise, en dessin. J’ai eu la chance qu’au moment de dessiner, le soleil porte l’ombre du parapluie sur le tableau ; je croquai le tout, objet et ombre. Cela a impressionné le jury. J’avais déjà le souci du détail. Je me sentais plus manuel qu’autre chose. Bien qu’à l’école j’avais une mémoire excellente me rappelant sans peine de certaines récitations et des dates en histoire. J’ai la mémoire exacte de celles qui ont marqué ma vie. Le 2 juillet 1945, j’ai été embauché comme apprenti à l’entreprise Dor. Parallèlement, j’ai passé mon CAP de menuisier par correspondance, je me suis accroché à ma façon aux études. Mon diplôme en poche l’entreprise a prolongé le contrat. La malchance m’a coûté deux doigts en mai 1950. Amené d’urgence à la clinique Juge à Marseille, le spécialiste reconnu pour des interventions de ce type était malheureusement absent, aurait-on pu les recoudre ? Cela n’a pas altéré mon optimisme reconnu. J’ai appris à vivre avec. Dépassant ce handicap. Je crois en l’homme et à l’action qui le met debout. Je fais mon service militaire avec mon contingent durant dix-huit mois à cette époque, à la veille du conflit avec l’Algérie. Exempt d’armes à cause de ma main, j’ai passé le plus fort de mon temps dans un atelier de travail. Je reviens dans le civil prêt à reprendre mes activités et ma vie avec les copains du foot. Je rentre chez Cabot France en 1957, fabrique de caoutchouc et gomme. La chance se présente par une opportunité d’embauche à la Shell. Je suis intégré à l’unité de fabrication. Le parcours traditionnel d’un ouvrier à la Shell va jalonner toutes ces années où je m’adapte au travail posté sans difficulté. Je passe d’une unité à l’autre me perfectionnant dans les différents procédés chimiques. Du topping au cracking, un stage de perfectionnement à Petit-Couronne dont on parle tant aux actualités en ce moment, à Strasbourg en 1963, où je participe au démarrage de l’usine de Reichteit ce qui m’amène à un emploi de tableauteur, l’usine s’adaptant à la modernité. Ensuite de la section « gaz », je me retrouve au secteur mouvement qui est en relation avec les autres usines de la pétrochimie comme La Mède, Lavera, Fos. Je participe ensuite au démarrage de la raffinerie de Pauillac. Les derniers temps je suis 18 Lire Ensemble 2013 nommé contremaître à la tête d’une équipe de cinquante trois opérateurs de fabrication. Je profite d’un plan social en 1982 pour prendre ma retraite. Depuis je m’investis à fond dans le bénévolat dans la droite lignée de mon implication associative durant toutes ces années de travail où il fallait conjuguer le temps entre l’usine, le foot, le théâtre, la maison, la famille. Je ne m’ennuie pas une minute entre les assemblées à l’Union Sportive Farenque, la préparation de la pastorale Maurel et le Comité des fêtes à la Libération. Je me suis complètement investi dans les fêtes de la Sainte Rosalie et enfin dans la Société de Chasse au sein de laquelle nous avons organisé un conseil de gestion du territoire pour veiller à l’environnement sur les risques de pollution et d’incendie. Je suis en permanence, grâce à l’enfant qui est toujours en moi, ému par la bonté de mes parents, simples ouvriers, un père qui travaillait aux Ponts et Chaussée, qui a passé le rouleau compresseur avec Monsieur Philibert, l’ancien président du Conseil Général. Une mère issue d’une lignée généalogique illustre puisque nous retrouvons dans l’une des inflorescences de notre arbre, l’une de nos aïeules Jeanne de Nostradamus. C’est inscrit là dans un rouleau que je garde précieusement. C’est mon frère René, instituteur à Berre qui a pris l’initiative de cette recherche. Mon autre frère, Guy travaillait à l’Aérospatiale. Puisque l’on est dans le passé, je ne peux pas passer sous silence une période de forte peur durant l’année de l’Occupation. La présence dans notre ville des Allemands nous a plongé dans l’angoisse, ils débarquaient dans nos maisons, dans notre école, ils envahissaient nos rues souvent avec brutalité, arrêtaient les bals. Un fait m’a marqué, ils étaient mélomanes, et j’écoutais attentivement leurs concerts donnés sur la place publique. Notre vie d’enfant s’accommodait du village et de ses environnements, on se contentait de peu. Pour le goûter au sortir de l’école, on se retrouvait au Moulin Roustan pour étaler sur notre pain de chez Bleynat un couche d’huile d’olive. J’en ai les papilles qui vibrent d’émotion. Je le raconte souvent à mes six petits-enfants et mon arrière-petite-fille. Je leur récite également ce poème de Charles Sana, à la gloire des oliviers de notre ville : Ça fleure bon la lavande Au pays où il est planté De l’Estérel jusqu’à Massane Du Languedoc jusqu’au Nyonsais Un jour les Grecs nous l’apportèrent Il y a vingt cinq siècles de cela…. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 19 Max LAURENS lançon-provence S’il y a un lieu de notre beau village de Lançon de Provence que j’emporterais dans mon cœur, c’est bien la place de l’Église. Là sont nés mes rêves d’enfant, mon histoire familiale, un amour fidèle. J’ai habité cet endroit, dans la plupart des maisons qui font le tour de la place, accrochées comme un anneau aux portes de l’église, et dont le centre est la statue d’Emmanuel Signoret, notre poète local, ami de Gide. Ne disait-il pas dans l’un de ses poèmes : Elle aurait attendu mes pas pour s’éveiller Et me reconnaîtrait aux colombes offertes Je l’aimerais de tout l’amour des feuilles vertes Que vaguement au clair de source on voit briller Vers de prédilection, la fille qui allait devenir mon épouse était ma voisine ; l’une de mes filles habite la maison où je suis né. Il faut vous dire qu’à cette époque, nous naissions dans nos maisons, nos mères aidées par la sage-femme, aimée de tous. Place de l’Église, l’enfant que j’étais s’amusait ; sont gravés dans ma mémoire tous les recoins et les transformations, la couleur et le grain des pierres, les fenêtres drapées de rideaux festonnés derrière lesquels nos grands-parents scrutaient les rythmes de la ville. Pendant l’Occupation, l’histoire de notre ville était celle de la France. Les Allemands avaient réquisitionné notre maison, nous étions obligés de les regarder manger, en silence, assis à table sans manger. La Libération a été un soulagement et une tristesse, l’un de mes frères ayant été fait prisonnier. Un autre de mes frères, Hubert était poète. Pour nos cinquante ans de mariage, il nous a dédié un poème, inspiré de ses souvenirs et de son amour fraternel : Quand pourrai-je revoir la petite église Les clochers vieillissants les murs de pierres grises Où ma mère souvent a prié mon retour Je me vois enfant avec lui et des copains partir en maraude autour du village, ramasser des asperges, visiter des nids et courir comme des fous, nous croyant poursuivis. Mon autre frère était musicien, vous en avez entendu parler, il s’appelait Chico Montès et faisait des tournées pour les Baletti dans la région. Je suis allé à l’école par obligation, ça ne me plaisait pas, pourtant j’aimais le calcul mental, la grammaire, certains profs sympas, je me souviens bien de Madame Blanc, sa sévérité et sa présence, on filait droit. A quinze ans, j’ai quitté l’école, direction le travail, des boulots en série. En particulier celui de moussi dans les travaux publics sur le chantier de la voie rapide entre La Fare les Oliviers et Salon-de-Provence. Terrassier, maçon, aide agriculteur avec un mauvais souvenir dans l’emballage du foin, insupportable à la respiration ; pendant ce temps ma petite voisine grandit, embellit. J’en tombe amoureux et le hasard fait que je me trouve sous les ordres de son père pour la percée d’un tunnel en Savoie où nous 20 Lire Ensemble 2013 restons cinq années. Le mariage ne tarde pas à venir et nous voilà revenus à Lançon où je trouve un travail stable à la Shell Berre pour une durée de vingt-sept ans jusqu’à la retraite. Je fais partie de cette génération qui n’a jamais chômé, j’ai donc connu les trois-huit et paradoxalement je n’en ai pas souffert, ayant et c’est ce que l’on me dit, une facilité d’adaptation, optimiste, vaillant à l’ouvrage ; je ne me plains jamais, c’est ce que m’ont transmis mes parents, mon père cantonnier à Lançon, tous les jours sur les routes quel que soit le temps, ma mère à tenir la maison et s’occuper des trois garçons et de ma sœur... La petite église, le clocher vieillissant, son mur de pierres grises... je suis vraiment attaché à ce cœur de village et à son histoire, me drapant d’un manteau de trous et de soleil ; il y a dans le riche tissu de ma vie autour de cette place, des trous de mémoire, bien sûr, mais aussi de beaux reflets de soleil franc et doré. Ces reflets, maintenant je les guette sur le perron du château qui est devenu ma demeure ; avec ma femme, nous l’entretenons. Les gens l’appellent le château de la reine Jeanne, nous on l’appelle le château tout simplement. J’attends au petit matin les reflets d’argent du soleil levant et les frises orange rouge les soirs, veille de mistral. Il faut vous dire que ce château appartenait à la famille depuis, paraît-il Napoléon, où l’un de mes aïeuls était grenadier de la garde. Mon grand-père me glissait à l’oreille : Petit, ce château prends-le, ne le vends jamais. C’est chose faite, grand-père , on y habite, on y est bien, les enfants et petits-enfants nous rendent visite souvent, ils ne sont pas loin, ils travaillent, ils sont musiciens, mère de famille, amoureux de notre histoire. Je leur dis aussi comme mon aïeul, Habitez-le, ne le vendez jamais !! L’entendent-ils ? Maintenant dans cette période de vie que l’on appelle l’âge d’or, nous en profitons le mieux possible ; avec l’association du troisième âge « L’ Escapade », on s’escape souvent, l’Espagne, les régions de France, la préparation du carnaval, de la fête de Saint Symphorien, les repas du mardi et du vendredi où figurez-vous, le pilotage est assuré uniquement par les femmes. C’est pas que nous ne voulions pas nous en mêler, au contraire, mais c’est comme ça, une décision unilatérale féminine, on ne s’en plaint pas, nous les aimons trop. Je l’ai dit, Amour, le plus beau mot de la langue française. Si on avait à me définir, ce mot reviendrait souvent, pour les enfants, la famille, les femmes et les hommes de bonne volonté, le village et tous ceux qui se dévouent pour ne pas le laisser envahir par un urbanisme source de problèmes. Ce village on y est bien, car tous les jours comme le souhaitait Ulysse dans l’Odyssée, de mon petit village je vois fumer beaucoup de cheminées et à toutes saisons, je vois de chez moi le toit de toutes les maisons qui me sont un bonheur et bien plus davantage. Ces quelques vers pourraient résumer mon état d’esprit en ces moments où je respire toute ma mémoire : L’amour fait songer, vivre et croire Il a pour réchauffer le cœur Un rayon de plus que la gloire Et ce rayon c’est le bonheur. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 21 Bernadette LINSOLA EYGUIERES Je suis passionnée par la Provence, celle des paysages, des lieux mythiques comme les Alpilles, la Camargue, les traditions bovines, taurines, le folklore, les gens et surtout le patrimoine et la mémoire de cette région. Depuis toute petite j’ai été attirée par les costumes, les chants, la musique égale aux chants des cigales et des oiseaux des collines ou de mers qui traversent notre ciel souvent bleu par temps de mistral. Il est un homme qui a beaucoup compté pour moi, Laurent Ayme. Avec lui, à sa mort, un pan entier de l’histoire de la Camargue a disparu. Il se plaisait à souligner lors d’un discours aux Saintes-Mariesde-la-Mer pour la festo vierginenco, qu’il était le seul présent ce jour-là à avoir connu toutes les reines d’Arles d’Angèle Vernet à Astrid Giraud. Il a connu bien des choses qu’il a racontées tant et tant. Il a permis un lien, il a tissé toute une toile sur les ailes de la tradition. Décan de la Nacioun Gardiano, de la Confrérie des Gardians et du Félibrige dont il était Mestre d’Obro, Chevalier de la Légion d’Honneur, mais surtout Troubadour. C’est peutêtre l’image qui restera de ce grand homme, celle du conteur d’histoires, de légendes. Il incarnait la tradition, la langue, la pastorale, le costume, les chevaux, les biòu, et les roseaux qui bruissent sous le mistral au fond des marais. Je suis présidente du Groupe Artistique d’Eyguières, depuis 1985. Mon temps se partage entre les activités correspondant à mes passions, la confection des costumes, la Pastorale Riboun (opéra-comique en quatre actes des Frères Perret) à laquelle je suis très attachée. Je fais également partie de la confrérie des gardians, plus exactement l’Antico Counfrarié di Gardian de bouvino e roussatino dont l’actuel Président est Hubert Yonnet. C’est une des plus vieilles corporations de France qui est maintenue encore de nos jours. Chaque 1er mai à Arles, les gardians se regroupent et tous montent à l’église de la Major pour la traditionnelle messe et bénédiction des cavaliers. Les statuts de la constitution de 1512 furent publiés en 1925. Ils furent retrouvés dans les archives d’un notaire à Arles et ils étaient en latin. Ce sont des considérations militaires qui ont poussé à sa création. Les gardians constituaient des recrues de choix pour les armées royales et les pastor nourriguier (ainsi les appelle-t-on) alors souhaitaient se fédérer pour résister à un enrôlement arbitraire. L’histoire de la Confrérie se confond avec celle de l’élevage en Camargue. Mes parents, mes grands-parents confectionnaient leurs costumes d’Arlésienne. Quant à moi c’est une amie de Rognonas qui m’apporte son concours. Je porte « notre costume » depuis mon très jeune âge. Lorsqu’on est jeune, on revêt celui de Mireille. Le gansé se porte pour les mariages. Pour finir mes implications nombreuses dans les associations que les différents maires de la commune soutiennent avec détermination, j’appartiens également à celle des « Liens de Saint-Jacques » à Saint-Gilles, avec l’espoir peut-être de faire un bout du chemin de Compostelle. Mon père Felix Linsola, « mestre d’obro » était agent électricien à la Région Départementale des Chemins de Fer des Bouches-du-Rhône. Il avait cette même passion et me l’a transmise. Issue d’une vieille famille provençale, née à Eyguières, j’ai fait ma scolarité tout d’abord à l’école primaire de mon village, puis à Salon à la Présentation, et au cours Blanchard. Le maire de l’époque, Monsieur Louis Codaccioni, notaire également, m’a recrutée, à la mairie d’Eyguières, en qualité de secrétaire, poste que j’ai occupé 22 Lire Ensemble 2013 pendant plus de quarante ans. J’ai donc été le fil technique de cet emploi pour les municipalités qui se sont succédées. J’ai vu se développer cette ville au rythme des travaux qui ont façonné l’architecture, l’urbanisme, les aspects sociaux, culturels et sportifs, qui en font une attraction pour ceux qui cherchent un lieu de vie agréable et confortable. J’ai connu l’esprit convivial et associatif qui se perpétue avec le maire actuel. Il faut vous dire que j’habite l’avenue Saint-Vérédème, en l’hommage à l’évêque, patron de la ville, d’origine grecque venu finir sa vie dans une grotte du Gard. Avenue prédestinée eu égard à mon implication dans le monde religieux, notamment comme aide à l’aumônerie militaire de la base d’Istres dans la chapelle de la Bayanne. Je prépare les messes, et enseigne le catéchisme. Mon temps de retraite est donc bien occupé. Par ailleurs je suis une aficionado également passionnée, je crois que dans tout ce que je fais j’ai cette foi qui me transcende. La culture taurine a peu de secrets pour moi, que ce soit dans la connaissance des cartels, où celui qui m’a marqué, Luis Miguel Dominguin m’a donné les rudiments du faste de la corrida, le rapport taureau, homme et cheval étant le cœur de ces évènement à Nîmes, Arles, Istres, Châteaurenard. Vous comprendrez alors mon goût pour ce qui est chorégraphique, la danse et surtout le folklore, tout ce qui est musical, paso-doble, Mireille évidemment, la grande musique, et les chanteurs des années 60, l’opérette. Je vous l’ai dit, ma passion c’est la Provence, celle de Mistral, de Daudet, celle des manuscrits anciens, religieux et patrimoniaux, sa place incontournable dans les atlas. Atlas où je pointe d’un doigt les régions, notamment les Pyrénées et les pays visités, Espagne, Portugal, Pologne, Russie, pays de ferveur. Les touches de mon piano m’entraînent au songe, ai-je rêvé ma vie, où ai-je encore mille rêves à réaliser !! Ma maison, ici, à Eyguières m’est une Provence et bien plus davantage. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 23 M Pelissanne « La générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent », cette phrase d’Albert Camus me va bien, comme celle de l’Évangile, citée par Benoît XVI récemment : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ». Elles pourraient être écrites sur le fronton de ma maison où vous serez reçus en passant un portail de fer bleu toujours ouvert. Je voue des remerciements infinis à mes parents, simples artisans dans la boulangerie, ici à Pelissanne. Ville et gens avec qui j’ai une histoire en continu, avec des hauts et des bas, même si à une époque j’ai eu envie de savoir comment c’était ailleurs. Mon mari a été celui qui m’a fait comprendre l’inutilité d’un passeport car il suffit de passer ma porte pour s’apercevoir que le monde entier est là, par la présence d’enfants de toutes les couleurs, comme par mes activités associatives qui me mettent en relation avec l’Afrique, l’Asie et tous les pays nécessiteux. Ils reçoivent aide de toute sorte pour alléger leur vie : un bœuf pour un village, une aide pour confectionner un puits, une pompe à eau, des meubles, des vêtements. Pas d’assistanat mais un accompagnement efficace pour un léger mieux, pas de miracle en vue, mais les effets d’une présence par delà les frontières. Notre passeport s’appelle générosité. Je ne suis pas seule, j’ai autour de moi une trentaine de bénévoles qui me soutiennent dans le cadre d’une association dont l’existence s’est révélée naturelle, hors les sentiers battus. Nous la faisons vivre par des dons, l’argent des vide-greniers, les objets que nous restaurons. L’aide reçue de la mairie, consiste dans la mise à disposition d’un premier local, puis d’un second ce qui nous permet de recevoir des objets et meubles en nombre ; point névralgique d’un réseau international que nous avons réalisé par nos contacts personnels. Notre passeport s’appelle aussi partage, car nous partageons nos bénéfices avec d’autres associations, des orphelinats, des particuliers ailleurs et surtout ici. Comme le chante Catherine Le Forestier : Vous voulez parler de ces pays lointains Où l’on meurt de misère et de faim A deux pas de chez toi va donc voir tes voisins. Notre association « La fontaine aux mille bonheurs » créée depuis vingt ans compte sur les valeurs de l’homme. Alors à côté d’un mari très compréhensif, même si je suis perçue parfois comme pénible, épuisante, déterminée, j’ai accepté son désir de vivre ici, j’ai découvert que je suis une voyageuse de l’immobile, une aventurière du quotidien des gens, une mère de famille nombreuse qui vit ici et dans le monde, en Australie, comme en Afrique où pour tout voyage, j’ai celui d’une grande famille ; je me situe à l’écoute du mondial comme du local. On ne se refait pas, le social me colle à la peau, ça vient de mon enfance, une écolière gentille, disciplinée, aimant ses camarades, plongée dans la 24 Lire Ensemble 2013 série des « Alice », collection verte, plus tard dans « Les Raisins de la colère » de Steinbeck, et tous les jours dans les Évangiles. Pour moi, l’aspect humain est une valeur essentielle à citer entre autres comme le respect, la solidarité, l’entraide, et cette colère sociale qu’exprime si bien l’écrivain Steinbeck contre tout ce qui est injuste. Cela me renvoie à ce temps où je n’ai pas été reçue à l’Ecole d’Assistante Sociale de la rue Sylvabelle à Marseille ; c’était dû à mes difficultés scolaires. Malgré cela, j’ai écrit une lettre à la directrice pour lui exprimer ma motivation à devenir cette assistante sociale. Ce qui fut fait pour contredire tous ceux qui pensent que cela ne sert à rien de faire une requête, simple droit du citoyen. En formation, débrouillarde, un emploi de baby-sitter m’a permis d’être hébergée. J’ai donc effectué cet emploi durant deux années. J’ai poursuivi ma passion pour les enfants, les aider, les voir grandir. Je les ai accueillis, hébergés. Cela m’a conforté dans mon désir d’éduquer et donc leur donner une chance de les aider à grandir et à prendre leur vie en main. J’aimais leur dire « Un plus un égale un autre, quels que soient notre origine et notre passé ». On peut toujours s’en sortir. Nous sommes tous singuliers et uniques. Naturellement je suis devenue famille d’accueil, recevant tous ces enfants perdus, mineurs en difficulté parfois en marge, faisant de moi quelqu’un d’étrange. J’ai coupé court à des rumeurs possibles ou des gênes dues à cette jeunesse parfois trop visible. La persévérance paye, j’ai été agréée officiellement en 1995. Depuis ma maison est devenue un havre d’accueil, ma famille un partage entre mon époux, mes enfants de corps et de coeur, ceux qui sont accueillis ; je suis heureuse qu’ils s’entendent et adoptent mes valeurs, celles que m’ont léguées mes parents, et les Évangiles auxquels je me réfère quotidiennement mais de façon intime, me prêtant moi-même à l’écriture de quelques prières fondamentales et personnelles ; retenez simplement que tout mon univers se compose de cette ville aimée et de ses gens simples et de cette maison, grande au demeurant. Comme mon cœur à l’écoute de toutes les musiques du monde qui chantent la PAIX et l’ESPOIR. Je suis tous les jours prête à l’annonce d’une bonne nouvelle. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 25 J.M senas Les chemins de ma vie sont une véritable cartographie, entre la France (Sénas, Strasbourg, Aix-en-Provence, Apt, Auriol, Jausiers, Carcassonne), la Tunisie, l’Allemagne. Mais mon territoire se trouve ici à Sénas où je suis née et où je passerai le temps qu’il me reste. Et je vous le dis, je ne bouge plus. Une grande partie de ma vie, dotée de deux cantines militaires, mes affaires, mes enfants, j’ai sillonné ces lieux. Grands-parents paysans du côté de mes parents. Née à Sénas, j’y ai fréquenté l’école primaire. Je suis devenue pensionnaire chez les sœurs où là j’ai beaucoup appris, la couture, la science des aliments, les soins corporels, ceux à donner au bébé, déjà. Je passe mon brevet élémentaire. Quelques boulots aux alentours. Mon père a été successivement policier municipal ; puis intégré ensuite parce que cela était possible dans la police nationale. Une opportunité se présente sous la forme d’une mutation en Tunisie, alors protectorat français, dans la ville du Bardo. Deux administrations se côtoient, celle qui dépend de la république française, celle du protectorat. Hasard de l’espace, un ami de Sénas devenu lui policier tunisien dans cette ville retrouve mon père et curiosité, ils communiquaient en patois provençal, rareté locale, non ! Bardo, une ville magnifique. Après la guerre, la municipalité développe son équipement avec un poste de police, une poste, des écoles et une église mais reste très peu pourvue en commerces à l’exception des cafés pour les touristes visitant le musée. Musée national du Bardo, dont la création est décidée par le décret beylical du 7 novembre 1882, inauguré le 7 mai 1888 en présence d’Ali III Bey ; il occupe une partie de l’ancien palais et renferme près de cent trente mille pièces réparties en cinq départements se distinguant notamment par sa collection de mosaïques qui est l’une des plus riches au monde. J’y occupe un poste d’aide-comptable ; passionnée par l’éducation des enfants, après une formation rapide, je deviens jardinière d’enfants, j’ai ensuite enseigné un temps au « collège de Sion » dans la section des tout-petits. Je me marie avec un militaire. Zouave intégré d’office, il s’échappe du chantier de jeunesse dans la zone sud de France car nous sommes en guerre puis adhère aux FFI et se retrouve en Tunisie où je le rencontre. C’est une période agréable au milieu d’une communauté où se fréquentent Français, Tunisiens, Maltais, et Belges. J’ai rencontré Saïda, devenue une amie fidèle. Mon mari est muté en Indochine. Il rejoint les chasseurs alpins à Jausiers avant sa mutation en Algérie ; je retrouve Auriol et Sénas le temps d’une respiration. Puis objectif la montagne à Jausiers où nous restons jusqu’aux accords d’Evian. Femme courage déjà trois enfants aux bras, les cantines, je suis le pas militaire de mon époux. J’ai oublié de vous parler d’un séjour à Carcassonne. J’en suis à mon quatrième enfant et décide de ne plus bouger dès le cinquième et de reprendre le travail. De retour en métropole, mon mari est admis après concours à l’Ecole du Génie de Versailles. Il est ensuite muté à Metz ; mon aîné étant souffrant, déterminée, je prends ma plus belle plume et demande au Ministre des Armées que dans le cas de notre grande famille mon mari soit muté à proximité. Cause reçue. Nous voilà à Aix-en-Provence. Cette ville me plaît beaucoup me donnant le goût de l’architecture et des vieilles pierres. Nouveau concours, de conducteur des travaux et nouvelle formation à Versailles. Je reste à Aix. Nouvelle mutation en Allemagne où je découvre les villes de Phorzeim et Baden-Baden. Mes enfants sont scolarisés pour trois d’entre eux dans une pension de 26 Lire Ensemble 2013 Strasbourg, où la pédagogie présente de meilleures garanties qu’en Allemagne. La preuve tous ont eu leur baccalauréat, c’était mon contrat de mère. Nouveau déménagement cette fois vers Apt où mon mari est affecté au Silo pour la construction des ogives de fusées. Mais je rejoins Sénas, retrouvant ma maison paternelle. Je dis toujours qu’élever autant d’enfants n’est pas aussi difficile qu’on le croit, il suffit que tout soit cadré, organisé, anticipé, ne pas parler à tort et à travers, dire les choses essentielles avec précision, surtout que mai 68 est passé par là. Je retrouve mon territoire, cultive mon jardin, surtout les fleurs. Tous les jours un bouquet accueille les visiteurs chez moi, glaïeuls, roses, dahlias, fleurs vivaces, couleurs variées qui chantent dans cette vieille maison et son vaste pré. Sans oublier la basse-cour. Les enfants adorent les œufs. Je reprends progressivement quelques travaux de retouches, couture, tricotage que j’ai appris avec ma mère et mes tantes, ramassage des fruits et légumes aux propiétés alentours, assistante maternelle. Parallèlement mon mari pensionné militaire, homme courageux n’hésite pas à travailler la terre chez des particuliers. Femme de militaire, les allers retours avec de longues périodes dans de nombreuses villes en France et à l’étranger ont fait de moi une étrangère en son propre pays. Grâce à la papeterie Boule, je suis devenue bénévole à la bibliothèque de Sénas. Les livres sont devenus ma passion actuelle, les biographies illustres, les thèmes sur l’histoire ancienne, les monuments, l’architecture, l’archéologie. Un bel espace qui nous fait voyager, bien que je n’aie pas manqué d’aventures pseudo touristiques. Un clin d’œil cependant au maire actuel que j’ai connu lorsqu’il fréquentait l’école avec mon fils, attendant comme son père aux différentes heures de sortie. Je garde de ces longs chemins le bonheur d’avoir inculqué à mes enfants les valeurs simples qui élèvent les hommes et l’adaptation à nos lieux de résidence. En en retirant chaque fois le meilleur pour vivre la tête haute. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 27 Paul MAGNAN Salon-de-Provence Paul Magnan a eu sans s’en rendre compte pendant longtemps la sonorité du mot équitable dans la tête, avec d’autres valeurs HUMAINES. Tout ce qui touche à la relation à l’homme a balisé sa vie et porte encore ses projets actuels. Cela a dû commencer dans la tête de ce petit enfant, curieux de tout à l’école primaire chez les religieuses ; grâce à l’amour qu’elles avaient pour chacun d’eux, elles leurs ont appris, peut-être l’obéissance, les écarts étant sanctionnés avec fermeté et surtout le respect; le collège a développé chez lui et ses camarades le goût des maths grâce à un grand professeur qui n’hésitait pas à sortir de son champ numérique pour leur apprendre la vie. Il a en tête le souvenir de ce que l’on appelait le coup de pied de la honte qu’un instituteur qui l’a marqué, faisait fonctionner à merveille sur les fesses et les esprits. C’est ainsi qu’il s’est dirigé vers des études supérieures ; une fois le bac en poche plusieurs portes ont été ouvertes ou entrouvertes. Il s’est finalement dirigé vers l’économie et fréquenté la fac de Sciences Eco à Aix-en-Provence. Ses parents, avocats de métier, comme son frère quasi jumeau avaient plus d’ambition pour lui, mais soulignons leur patience et leur amour. Lors de son service militaire à Briançon, dans les chasseurs alpins, il redécouvre les charmes de la montagne à laquelle son père l’avait initié depuis l’enfance, profitant des longues randonnées, du ski, des nuits en igloo, avec un grand bonheur malgré le poids de l’attirail militaire. Entre-temps, il découvre le métier d’éducateur en remplaçant les employés d’une maison d’enfants à Digne. Ville natale et de référence entre les pays de lumières et ceux des collines du sud. Une opportunité se présente à la mairie de Salon où il est employé au Bureau d’Aide Sociale en adéquation avec son souci d’aller vers les autres, les aider, les soutenir. Il s’ennuie terriblement, le directeur ne lui déléguant quasiment aucune tâche, même administrative. Son souhait d’être muté à Gap ne se réalise pas, alors qu’il voulait retrouver la lumière des Alpes. On lui propose la direction de l’Association des Médecins du travail de Salon, il se passionne un temps pour la gestion de cette structure, travail intense mais encore une fois trop administratif pour lui. Avec son épouse, ils adoptent deux enfants, enfants qui seront sa fierté et son bonheur. Sa femme lui souffle alors l’idée de passer le concours d’instituteur. Il embraye immédiatement, avec ce désir d’aller vers les autres et notamment vers les enfants. Après deux années à l’École Normale d’Aix, il est nommé à l’école primaire de Salon, Saint-Norbert. Son épouse en fac, ses deux enfants, ceux de sa classe, voilà un univers qui l’oblige à s’organiser. Sa pédagogie est soutenue par une préparation très poussée, une gestion du temps et des matières qui résiste à toute épreuve. Car il a le souci du détail et de l’anticipation. Les parents d’élèves découvrent avec surprise que même le pain était commandé un mois en avance, lors d’un voyage en Corse. Sa pédagogie est différente de celle de Freinet, qu’il admire par ailleurs mais dont il ne se sent pas capable. Il a de nombreux souvenirs de ce métier, arriver à s’occuper de chacun des élèves, les accompagner, les sanctionner s’il le faut en restant à la récréation, vieux réflexes d’instituteurs républicains qui revenaient de la grande guerre, regrettant de ne pas faire plus pour ces enfants de l’ombre, ceux qui résistent à l’école et la quittent plus tard. Il a l’amour des textes, leur mise en valeur, les belles phrases écrites par les élèves. Il se souvient d’une année où les élèves disaient « j’ai écrit une phrase de Diane », élèves qui avaient une 28 Lire Ensemble 2013 grande qualité littéraire. Mais toute cette organisation ne pouvait pas se faire sans angoisse. Angoisse qui prévalait la veille des sorties avec la classe, à la montagne, dans la région, en Corse, avec bagages et vélos, provisions et plans de vie pour le séjour. Pression du métier qui l’oriente vers autre chose. Durant les vacances scolaires ils avaient tenu avec son amie Denise un gîte de montagne dans la vallée de l’Ubaye, sur le site du Laverq, pour vérifier en milieu paysan leur conception de l’accueil. Lui revenait souvent la lecture de la vie de Gandhi, dont les préceptes ont jalonné sa pensée. Denise a quitté son poste au collège. Sa générosité, ses qualités d’accueil et de présence, sa passion pour la cuisine ajoutées aux compétences pratiques et théoriques de gestionnaire de Paul semblaient une opportunité positive pour aller plus loin. Il s’est mis en disponibilité de l’Éducation Nationale pour dix ans. Ils ont adopté la démarche de commerce équitable pour ouvrir un lieu répondant à leurs aspirations à Salon-de-Provence avec le soutien de plus de 200 personnes. C’est ainsi qu’est née la Case à Palabres, rue Pontis. Jusqu’à présent l’équité en terme de commerce se définissait ainsi : le commerce équitable crée les conditions requises pour permettre aux producteurs et aux consommateurs de vivre dans la dignité et mettre en place des partenariats durables, qui ne sont pas basés sur une approche spéculative.. Leur conception est plus celle d’un cheminement, d’une démarche, vers un commerce plus équitable en respectant tous les acteurs, du producteur au consommateur. Ce n’est pas un outil marketing au service du seul profit Autour d’une restauration simple, faite maison à base de produits locaux de qualité, s’organisent des animations, conférences, expositions, projections, concerts très divers apportant à ce lieu un souffle mondialiste. On trouve aussi une épicerie avec des produits issus d’une démarche de commerce équitable en provenance des pays africains et sud américains, mais aussi des produits locaux. Case ouverte à toutes les propositions, à tous, poètes, musiciens, photographes, artistes dans toutes les disciplines et spécialistes en « palabres ». En Afrique, ils ont l’Arbre à Palabres, à Salon nous avons la Case à Palabres. Modestement il a posé avec Denise et toutes les personnes accueillies une pierre blanche dans l’architecture humaine dont veut se doter la ville. Cette vie très prenante lui laisse cependant suffisamment de temps pour être avec ses petites-filles, à la découverte de la nature ou à leur lire des histoires. « L’ignorant, c’est la personne qui n’est jamais allée au-delà du seuil de sa maison. C’est la personne qui ne sait rien des autres, qui n’est jamais allée à leur rencontre. La progression de l’être vers le meilleur, c’est chaque jour aller vers les diverses personnes que l’on a en soi et que l’on ne peut trouver que dans les autres, notamment à travers leurs cultures, histoires, mythes et légendes. Cette voie est celle de l’enrichissement, et je suis un élève apprenti. » Ce que dit ici Sotigui Kouyate, griot du Mali, résume bien ce qui prévaut au projet qu’il soutient avec Denise, son épouse, Madeleine et ses proches, dans un esprit d’écoute. C’est là dans une ruelle pittoresque de Salon. Entrez chez eux, odeurs et sourires vous ouvriront une fenêtre sur le monde, un monde à découvrir. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 29 Charlotte PONS la barben Une caresse, un regard, un remerciement, un gémissement… tout est communication chez le loup. L’homme qui croit détenir le monopole du langage est loin d’imaginer celui qui existe, certes dans une horde de loups, mais aussi au sein de plusieurs espèces d’animaux. Il a appris qu’en les côtoyant il se révèle à lui-même. Une chance pour moi d’avoir à disposition ce grand espace mis à la disposition d’un public curieux, attentif, intéressé. Lorsque je ne vais pas trop bien, une balade à la rencontre des locataires venus des pays du monde, me ramène à la réalité, m’aidant à dépasser le mal être du moment. Leurs silences, leur gestuelle, leur comportement, attitudes et regards, cris reconnaissables, me transportent dans leurs contrées d’origine. Le vertige de la distance et des images de forêts, de steppes, de fleuves, de banquises, de montagnes, de déserts, viennent nous rassurer au centre de nos désarrois. J’ai vérifié à plusieurs reprises les bienfaits de cette thérapie, non seulement me concernant mais sur certaines personnes venues visiter le zoo. Ma présence au sein de ce domaine bien signalisé et dont le château est remarquable, est une longue histoire dominée par un sentiment d’amour. Amour des gens, de ma famille, de mes enfants, du travail de gestion de cette belle propriété où vivent dans des espaces aérés et adaptés, près de quelques milliers d’animaux sauvages. Le Zoo, situé entre La Barben et Pelissanne, a été fondé en 1969 par André Pons, ingénieur agricole passionné d’animaux. En 1988, il cède son activité à la SARL «Parc Zoologique» qui, notamment avec Monsieur Muguet, en reprend la gestion. Lorsque j’en prends la direction, je décide de faire évoluer l’ancienne conception des parcs zoologiques en l’orientant vers de nouvelles missions et en dépassant le stade de simple représentation animale, en développant notamment la conservation des espèces, en éduquant le public grâce à de nouveaux panneaux informatiques, et en participant à des programmes de recherche scientifique tout en favorisant la détente et le divertissement des visiteurs. Je disais longue histoire, en effet, je suis arrivée à cette situation grâce à une rencontre avec le fils du directeur, engagé dans des études de biologie. Mariés, nous investissons une vieille bâtisse de Rognes qui devient notre quartier général. Nous en faisons une maison ouverte aux amis, aux enfants et leurs copains. Mon beau-père, fatigué, nous prie de prendre la relève, homme intègre que j’admire, à qui en définitive nous faisons plaisir en acceptant. J’épaule mon mari en m’investissant dans tous les domaines. Nous profitons au mieux de ces belles années. Les aléas de la vie m’obligent à diriger seule cet établissement. Mettant un terme à une période où le travail et l’amour allaient de pair. Ma vie était une cathédrale et mes enfants une flèche vers Dieu et le ciel. Le grand espace animalier me donne la force de reprendre la direction. Le courage et ma détermination sont un moteur. Je n’avais pas le choix. Je me jette à fond dans la gestion du zoo en lui donnant une autre dimension. En effet le Zoo de La Barben devient membre de l’EAZA (European Association of Zoos and Aquaria), du SNDPZ (Syndicat National des Directeurs de Parcs Zoologiques français) et de l’ANPZ (Association Nationale des Parcs et Jardins Zoologiques Privés). Nous participons également à plusieurs programmes européens d’élevage (EEP), dont celui du rhinocéros blanc du Sud (Ceratotherium simum simum). Nous nous impliquons aussi dans la sauvegarde in situ de la girafe du Niger, en Afrique de l’Ouest, en collaboration avec l’A.S.G.N. (Association pour la Sauvegarde de la 30 Lire Ensemble 2013 Girafe du Niger). Grâce à ces réseaux il nous arrive de mettre en place des bourses d’échange d’animaux. Je regarde dans le rétroviseur, ma vie a été une succession d’histoires d’amour en tout genre, les études, le travail, la famille, les enfants, les salariés de l’entreprise, et là je n’hésite pas à prendre des personnes dans le besoin ou au profil singulier que le côtoiement des animaux peut restaurer. Enfin l’amour des animaux qui s’impose, leur porter attention grâce à mon équipe de techniciens, anticiper une maladie, ou une régulation au sein des groupes, le respect de la nourriture. Je pense qu’il est nécessaire d’être ouvert aux autres, ce sont les animaux qui nous l’enseignent. Me concernant j’ai en tête une phrase de Camus que je paraphrase : « il y a une honte à être heureuse toute seule mais il n’y en pas à être heureuse avec les autres ». C’est dans cet esprit que je mène ma vie en ce moment, m’adaptant au village avec lequel le zoo est lié en harmonie, je pense. Je vois cette petite fille de parents commerciaux dans le textile originaires de Lyon, élève facile à vivre dans le cadre d’une éducation religieuse, qui m’a donné le goût du sacré, de la cérémonie. Déjà, une lecture prémonitoire, « Le Lion » de Kessel et le côté léger de Colette qu’Alice Ferney cite dans son merveilleux « Grâce et dénuement », parlant de l’immense amour des enfants parmi les gens du voyage. Je disais donc souvenir d’une petite fille rêvant de danse à l’opéra, avec son chien Uccelo. Miroirs adolescents qui renvoient l’image d’une fille en recherche d’amitiés et d’ailleurs, parfois dans les boums comme dans celle du film, sauf que je devais tromper la vigilance de mon père en préparant mon pyjama dans le garage pour gagner de précieuses minutes avant de rejoindre ma chambre. Un parcours d’étudiante où je me dirige vers la fac de sciences éco. Puis, rupture consciente ou inconsciente avec un présent sans problème, je décide à la grande surprise de ma famille de partir pour les USA. Autre rêve fou, partir à l’aventure sans projet précis mais aussi parce que mes deux frères avaient quitté le domicile familial. Jeune fille au pair, je sillonne la ville de New-York en me perfectionnant en anglais en « Test in English » et en réalisant de petits boulots pour un argent de poche nécessaire à la vie dans cette capitale. Amitié, amour mais surtout une opportunité de trouver un emploi de secrétaire à la Mission Tunisienne. Puis au bout de quelques mois la furieuse nostalgie de la France me prend et tel Ulysse, déjà, heureuse qui comme lui a fait un beau voyage, je suis revenue pleine d’usage mais aurais-je assez de raison ? Oui la vie va l’annoncer avec la rencontre de celui qui va devenir mon époux. Les enfants vont m’aider à vivre le reste de mon âge, et m’ouvrir un horizon nouveau et me permettre d’ouvrir la porte de ce magnifique univers, parc, animaux sauvages qui vont développer l’aventure de proximité du public et surtout des enfants avec le monde des grands espaces de la nature. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 31 Henri TROUILLER Berre l’Etang Marseillais, issu d’une famille de cheminots, je suis né dans un quartier populaire, Saint-Mauront près de la Belle-de-Mai. Ce quartier fut bombardé en mai 1944 (j’y ai perdu mon frère et ma sœur). Les ruines nous servaient de terrain de jeu avec mes copains de l’école primaire. Elles étaient envahies de végétaux, les arbres commençaient à y pousser. C’était un peu la campagne dans la ville. Après le « certif », je suis admis au collège le Chatelier, près de la porte d’Aix, j’en suis sorti avec un CAP de chaudronnier. Ce sont la réparation et construction navales qui m’ont offert mon premier emploi. L’usine, située à la Madrague-ville, construisait des moteurs de bateau qui étaient ensuite montés au chantier naval de Port-de-Bouc. En 1964-65, les restructurations dans la navale ont mis bon nombre de jeunes ouvriers au chômage. L’activité s’est reportée sur d’autres sites et de nouveaux emplois furent proposés. À ce moment, je change d’option et, après une formation de neuf mois à l’AFPA, je retourne dans la vie active comme dessinateur industriel. Nous sommes en 1966, à cette époque, il y a beaucoup de travail et comme les entreprises ne peuvent pas faire face à la demande, se développe une nouvelle activité : l’intérim. Ainsi, j’ai pu exercer ma nouvelle profession dans de nombreuses entreprises notamment Sud Aviation à Marignane, au bureau d’études outillage. Habitant Marseille, je pouvais bénéficier du transport en train spécial qui reliait Saint-Charles à Marignane. Puis, c’est l’embauche aux établissements Coder à Saint-Marcel. C’est dans cette entreprise que je participe activement au mouvement de mai 1968. De nouveau, l’intérim me met sur le chemin de Shell Berre, au bureau d’études. C’est le plein emploi, bien s’adapter, bien travailler, être sérieux et le boulot ne manquera pas. Pour se maintenir sur place, les boîtes d’intérim offrent de bons salaires aux dessinateurs. 1970, l’usine chimique de Berre recrute des opérateurs en trois huit ; je formule ma demande aussitôt et je suis embauché dans le secteur de l’extraction butadienne (IDAS). C’est un changement radical, conditions de travail plus pénibles, salaire amoindri mais emploi stable à la Shell, usine qui est une référence autour de l’étang de Berre. Je n’avais qu’une notion imprécise de la chimie. Je partageais le travail avec d’autres salariés qui possédaient le CAP de conducteur d’appareils chimiques. Pour rattraper ce retard, j’ai appris quelques bases et tout en travaillant dans une unité de fabrication de caoutchouc industriel, je me suis renseigné sur l’histoire de cette invention. C’est un procédé très ancien. J’ai en tête un récit de Primo Levi, chimiste lui aussi, que l’on obligeait à travailler à la Buna dans un camp auxiliaire d’Auschwitz, pour produire du caoutchouc synthétique. Cette unité fut bombardée, et en réalité, pas un seul kilo ne fut produit. Que celui qui peine dans la boue, Qui ne connaît pas de repos, Qui se bat pour un quignon de pain, Qui meurt pour un oui ou pour un non. Il parle de son affectation au secteur chimie : nous sommes en mai 1944, Primo Lévi est interné au camp depuis trois mois. Lui et Alberto, son compagnon, sont pressentis pour faire partie du Kommando de chimie. Pour être recrutés, ils doivent passer un interrogatoire avec le docteur Pannwitz, chargé 32 Lire Ensemble 2013 d’analyser leurs compétences. Au cours de cet examen, le narrateur constate que ses souvenirs de chimiste sont intacts et il se sent redevenir lui-même. Revenons à Berre, où le travail était fort intéressant : voir se transformer tous ces produits pétroliers pour donner un amalgame blanc dont un traitement chimique en fera une gomme servant à la fabrication des pneus pour notre client renommé c’est-à-dire Michelin, avait quelque chose de magique. Nous connaissions tous les processus de cette transformation et l’ancien dessinateur et le chaudronnier tuyauteur que j’étais, admiraient les prouesses des techniciens, ingénieurs et surtout ouvriers de la chimie. Je change de domicile de Marseille à Ventabren, puis Rognac. Grâce au service social, je peux obtenir un prêt qui me permet d’accéder à la propriété. 1973, naît un deuxième enfant. 1975, mutation à l’Aubette où je participe au démarrage. Création également d’un nouveau comité d’établissement, mise en place de structures sociales. C’est à cette époque que je me suis engagé dans l’action syndicale. J’ai été élu au CE, au CCE, ce qui m’a beaucoup occupé. Il faut vous dire que mon mandat de délégué au comité d’établissement nécessitait de comprendre tous les documents techniques et de gestion humaine, les procédés mais aussi les règlementations, les lois, l’évolution de l’usine. J’ai rencontré beaucoup de personnes, période très riche, interessante, impliquant également des déplacements notamment à Paris. Etre ouvrier posté en trois huit et représentant du personnel crée par moment des difficultés dans la vie familiale, mais aussi l’action syndicale retarde la promotion dans l’entreprise. Après les changements politiques de 1981, le domaine de la culture (comme le cinéma ou le livre) fut mieux aidé par l’état. Après la mise en place de la bibliothèque de l’Aubette, avec mon épouse et quelques amis, nous avons créé une bibliothèque enfantine à Rognac. Le local fut prêté par la commune et les livres par la Bibliothèque centrale de prêt des Bouches-du-Rhône. Nous eûmes également quelques subventions. Amateur de cinéma et désireux de faire partager cette passion, je participai également à la création d’un ciné-club. Les thèmes et les auteurs des films présentés suscitèrent débats et polémiques encore présents à mon esprit. Cependant, la concurrence de la télévision, l’ouverture d’une salle de cinéma à Berre, l’inconfort de la salle de projection, eurent raison de notre enthousiasme et mirent fin à cette aventure. Ne pas oublier également notre présence au sein d’une fédération de parents d’élèves. Je suis actuellement à la retraite et avec le recul, je constate que mes journées étaient bien remplies. Cette vie de parent, de travailleur, de militant ne fut pas toujours sereine et tranquille, mais je ne regrette rien. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 33 R.Z BERRE L’ETANG Je suis intéressé par tout ce qui touche aux problèmes de l’eau et au-delà son utilité pour l’homme qui la consomme et qui s’en sert quotidiennement pour son travail. Mais aussi pour le rôle qu’elle joue dans la composition d’une multitude de fonctions vitales liées à la planète et à la vie. C’est à travers ce que disait le commandant Cousteau dans son œuvre impressionnante, notamment dans son « Odyssée sous-marine » : « Les gens protègent et respectent ce qu’ils aiment, et pour leur faire aimer la mer il faut les émerveiller autant que de les informer ». Prémonition ou présage, aujourd’hui dans l’usine chimique de Shell, l’eau est le thème principal de mon occupation professionnelle. Mes lectures d’adolescent et tout ce que je découvrais dans la série des émissions télévisées ont marqué mon esprit. Long cheminement depuis l’enfance qui me conduit à une hygiène de vie et des valeurs longuement mûries que mes filles ont peut-être faites leurs. Enfance passée dans la belle ville d’Aix-en-Provence où mes parents travaillant en pharmacie, ont élevé deux enfants, garçon et fille. Ils n’ont eu aucun problème avec ce garçon grand par la taille, élève tranquille et appliqué, intéressé par les matières scientifiques, la biologie, et évolution facile vers un BTS fabrication mécanique. Par défaut parce que je visais un métier dans la marine marchande, ne pouvant me détacher de cette passion pour l’eau. Contrarié de ne pouvoir poursuivre dans cette voie. C’est l’époque où quelque peu chahuté à l’adolescence par ma taille, j’ai eu le total respect en tant que rugbyman. Les langues se sont tues et j’ai progressé dans ce sport profitant des valeurs qui y sont associées. Chacun sait toutes celles que véhicule ce sport, esprit collectif, convivialité, corps poussé au bout de ses possibilités, endurance, respect des règles. La mer et le rugby étaient encore présents lors de mon service militaire, devinez, dans la marine, à Toulon. Le maritime et le ballon ovale en prime. Mon BTS en poche il a fallu trouver du travail en attendant une opportunité plus stable. Jobs en tout genre, veilleur de nuit, agent à l’Éducation nationale, garage… Jeune marié je suis recruté à l’usine de Shell Berre, où grâce à mon BTS je rejoins le secteur fabrication. Commence alors un long cheminement à l’intérieur de l’usine qui est pour le public un vaste labyrinthe mais pour celui qui cherche à comprendre un formidable complexe bien organisé, ordonné et rationnel qui conduit du pétrole à plusieurs produits, solvants de peinture, à l’aide d’additifs à des matériaux dérivés, au PVC, etc. Long chemin technique qui me fait passer d’un groupe à un autre et d’un échelon à un autre supérieur. Je m’occupe plus spécifiquement du secteur traitement des eaux. Ma connaissance de cet élément vital est inscrite depuis longtemps dans ma mémoire d’adolescent, sachant de quoi je parle ; les règles qui régissent ce service sont d’une rigueur qui me conduisent à dire que cette eau une fois traitée est équivalente à celle des stations d’épuration. Je contrôle différentes connaissances à l’appui les rapports entre l’eau, la vapeur, l’électricité, faisant de mon secteur un élément incontournable de la séparation des eaux dans et hors usine. À ce sujet ce type d’usine est souvent montré du doigt en terme de pollution des sites environnants, mais sait-on que nous avons mis au point des systèmes de contrôle rigoureux sous l’œil vigilant de l’agence « La Dreal » où tout doit être transparent. Il appartient à chacun de nous, salariés de l’usine mais aussi consommateurs, de disposer d’une conscience individuelle et collective pour veiller sur la planète et surtout celle que 34 Lire Ensemble 2013 nous laisserons à nos enfants. D’ailleurs je tente de transmettre à la jeune génération les valeurs qui sous-tendent ce métier, afin qu’ils gèrent la longue durée d’un investissement dans une telle usine. Il existe au sein des équipes si elles le veulent bien, une bonne ambiance, des moments conviviaux autour des repas la nuit, de faire des moments de pression des moments de créativité, toute une série de petites choses qui entraîne la reconnaissance de nos postes difficiles à tenir. Certes leur rapport aux conditions de travail ne sont plus les mêmes, notamment l’équilibre à trouver entre le travail posté et sa vie sociale ou familiale. J’essaie de leur inculquer au-delà des règles de sécurité incontournables l’amour du travail bien fait sur lequel on ne revient pas et qui facilite celui qui viendra après vous dans la chaîne de l’industrie. Moi je pense avoir trouvé cet équilibre, même si à une époque je cumulais plusieurs petits boulots annexes, en plus du sport. Les jeunes aujourd’hui n’ont pas cette chance, devant d’abord s’accrocher à leur emploi principal mais j’ai bien peur que leur temps libre ne consiste à se dépenser devant l’attrait du monde des portables et mobiles en tous genres. Je privilégie le plein air. Ma passion de l’eau m’a ramené sur les bords de la base nautique de l’étang, vice-président durant un temps assez long pour passer le relais du club nautique de voile. Je m’occupe par ailleurs d’une autre association « Baobab » qui réunit beaucoup de monde dans l’aide que nous apportons à un village du Bénin, une aide qui se veut artisanale, basique, efficace pour ces populations, une aide qui ait un sens, une éthique. D’ailleurs un rêve est éclos pendant ces préparatifs d’expéditions de matériaux divers vers ce pays, c’est d’avoir mon propre bateau amarré pas bien loin de ma maison de Mauran qui m’est un havre de paix et bien plus davantage comme dirait Joachim du Bellay dans son ode à Ulysse. Je vais chercher mon complément d’information sur les océans ou les aventures maritimes dans les émissions d’ARTE, dans les musiques de jazz, dans les livres sur l’épopée des temps anciens ou l’histoire romancée de héros aussi bien modestes que connus. Je dirais que je me suis forgé une vraie culture ouvrière sur le tas, de façon pragmatique, ayant un sens relevant de tout ce qui a fait la mémoire ouvrière de ces travailleurs de l’industrie chimique. Portraits de Gens d’ici et d’ailleurs par Jo ROS 35 Li e r bralneée m e s n e Méditer en Jo ROS Cet auteur, ami de Jean-Claude Izzo, travaille sur le territoire du pourtour de l’Etang de Berre et intervient dans de nombreuses structures sociales et pénitentiaires. Ses romans, nouvelles, poèmes et récits prennent comme décor les villes et paysages, deçà et delà de la Méditerranée. Tel un écrivain itinérant, il a parcouru le territoire d’Agglopole Provence, à la rencontre des « personnes ordinaires qui ont une histoire extraordinaire ». Tel un écrivain public, il a écrit les portraits littéraires de ces « gens d’ici et d’ailleurs » réalisant une sorte de mosaïque humaine littéraire du territoire d’Agglopole Provence. Sénas Mallemort Alleins Lamanon Eyguières Charleval Salon de Provence Aurons Pélissanne La Barben Lançon Provence La Fare les Oliviers Saint-Chamas Velaux Berre l'Etang Rognac www.agglopole-provence.fr Alleins•Aurons•La Barben•Berre l’Etang•Charleval•Eyguières La Fare les Oliviers•Lamanon•Lançon-Provence•Mallemort•Pélissanne Rognac•Saint-Chamas•Salon-de-Provence•Sénas•Velaux•Vernègues stratis (stratis.fr) • 03/13 • Crédits photos : Stratis, X Vernègues