Aperçu critique sur les dispositions de la loi Alur

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Aperçu critique sur les dispositions de la loi Alur
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ÉTUDE IMMOBILIER
LOGEMENT
La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 (Alur) modifie, sans bouleversement, certains
aspects du contrôle de l’usage d’habitation issu de l’ordonnance n° 2005-655 du
8 juin 2005 et de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008. Une série de mesures contribue à étendre le champ territorial du contrôle tout en lui apportant quelques
retouches techniques. Les dispositions les plus importantes, et les plus discutées
par les parlementaires, s’attachent à recadrer le développement des meublés de
tourisme. L’ensemble est entré en vigueur le 27 mars 2014.
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Aperçu critique sur
les dispositions de la
loi Alur relatives au
contrôle de l’usage
d’habitation
L
Étude rédigée par Guillaume Daudré
et Patrick Wallut
Guillaume Daudré est notaire assistant.
Patrick Wallut est notaire honoraire.
1 - La loi Alur « vise à mettre en œuvre une stratégie
globale, cohérente et de grande ampleur destinée à réguler les dysfonctionnements du marché, à protéger les
propriétaires et les locataires, et à permettre l’accroissement de l’offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires »1. Il n’est guère
surprenant que ses auteurs se soient intéressés à la réglementation des changements d’usage : celle-ci demeure
un outil de protection des logements existants dans
les centres urbains où s’exerce une forte pression pour
transformer ceux-ci en bureaux, commerces ou cabinets
de professions libérales.
Ce texte fournit l’occasion au pouvoir normatif d’apporter quelques adaptations ou compléments d’ordre
1 V. l’exposé des motifs du projet de loi.
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technique (1), avec en ligne de mire les locations meublées touristiques (2). Toutes ces mesures ont passé avec succès le filtre
du contrôle de constitutionnalité, à l’exception d’une seule
jugée trop contraignante pour les copropriétaires2.
Nombreuses sont les dispositions de la loi Alur qui nécessitent
un décret d’application. Celles ici commentées n’en font pas
partie et ne prévoient pas de dispositif transitoire. Par conséquent elles sont entrées en vigueur le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel, soit le 27 mars 2014.
1. Dispositions communes à l’ensemble des changements d’usage
2 - La loi nouvelle procède à divers ajustements des dispositions
du Code de la construction et de l’habitation (CCH) relatives
aux changements d’usage des locaux d’habitation.
A. - Champ d’application territorial du
contrôle de l’usage
1° Application aux zones franches urbaines
(L. n° 2014-366, 24 mars 2014, art. 17)
3 - L’article L. 631-10 du CCH édictait que « Les dispositions de l’article
L. 631-7 ne sont pas applicables dans les zones franches urbaines… ».
La raison en est aisément compréhensible ; au sein de ces zones
défavorisées, dans lesquelles le rapport emploi/habitat est le
plus souvent défavorable à l’activité professionnelle ou commerciale, il avait été souhaité par le législateur que puissent
s’implanter librement, soit des professions libérales, soit des
activités industrielles ou commerciales génératrices d’emplois
et de services de proximité.
4 - Il est donc étonnant que la loi Alur abroge l’article L. 631-10.
Les raisons en restent obscures, ce d’autant que l’exposé des
motifs du projet de loi et les débats dans chacune des assemblées ne nous éclairent pas sur la cause de cette abrogation3, ni
d’ailleurs sur ses effets sur la pérennité des changements d’usage
opérés sous le bénéfice de l’article L. 631-10.
2° Faculté d’extension aux communes situées
dans les « zones tendues » (L. n° 2014-366, 24
mars 2014, art. 16, 3°)
5 - L’article L. 631-9 du CCH prévoyait déjà une faculté d’extension aux communes non visées par l’article L. 631-7.
2 Cons. const., déc. 20 mars 2014, n° 2014-691
DC.
3 Selon les rapporteurs de la Commission des
affaires économiques au Sénat, cette abrogation serait « pleinement cohérente » avec les
autres dispositions de la loi Alur renforçant la
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Le maire, qui est pourtant l’acteur principal du contrôle de
l’usage, n’est pas compétent pour décider de son application
lorsqu’elle apparaît opportune et peut seulement proposer à
l’autorité administrative de prendre la décision d’extension.
6 - La loi Alur modifie la procédure existante mais uniquement pour les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants définie à l’article
232 du Code général des impôts (CGI).
Pour rendre applicable l’article L. 631-7 sur tout ou partie du
territoire de ces communes, une délibération de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale
(EPCI) compétent en matière de plan local d’urbanisme (PLU)
ou, à défaut, du conseil municipal, suffira désormais.
7 - L’article 232 du CGI concerne la taxe annuelle sur les logements vacants ; elle « est applicable dans les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de cinquante
mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l’offre
et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses
d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant
(…) ».
La liste des communes où la taxe est instituée est fixée par
décret.
8 - Il était inusuel, jusqu’à présent, que le champ territorial du
contrôle de l’usage se base sur un texte fiscal ; cette référence
n’en est pas moins pertinente si l’on considère que cette taxe a
vocation à s’appliquer dans les zones où les tensions immobilières sont les plus fortes.
Et, outre le fait que d’autres mesures de la loi Alur prennent
appui sur l’article 232 du CGI, cet article est devenu par ailleurs,
notamment à la suite de récentes réformes du droit de l’urbanisme, un critère d’application géographique de diverses dispositions totalement extérieures au droit fiscal.
9 - En application du décret n° 2013-392 du 10 mai 2013, 1151
communes sont actuellement visées par l’article 232, ce texte visant non seulement les communes de plus de 50 000 habitants,
mais également l’ensemble des communes, petites ou grandes,
jouxtant celles-ci4.
Il est douteux que, sauf nécessité ponctuelle, la majorité de ces
communes limitrophes des métropoles se sentent concernées
par la police de l’usage. À moins que certaines d’entre elles
soient encouragées dans cette voie par l’attrait nouveau que
régulation de la location meublée temporaire
(Rapport n° 65, 9 oct. 2013, p. 99). Il est néanmoins permis de douter que les locations touristiques soient fréquentes dans les ZFU…
4 Agglomérations concernées : Ajaccio, Annecy,
Arles, Bastia, Bayonne, Beauvais, Bordeaux,
Draguignan, Fréjus, Genève–Annemasse,
Grenoble, La Rochelle, La Teste-de-Buch–
Arcachon, Lille, Lyon, Marseille–Aix-en-Provence, Meaux, Menton–Monaco, Montpellier,
Nantes, Nice, Paris, Saint-Nazaire, Sète, Strasbourg, Thonon-les-Bains, Toulon, Toulouse.
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constitue le contrôle renforcé
des locations meublées saisonnières (V. infra II, B) ?
Un nouveau problème
surgit : le contrôle de
la récurrence des locations, et où met-on la
barre ?
Celles-ci y trouveront une incitation supplémentaire à la poursuite des contrevenants !
B. - Pouvoirs des agents assermentés
(L. n° 2014-366, 24 mars 2014, art. 15)
2. Dispositions particulières aux logements meublés
10 - L’article L. 621-4 du CCH est complété afin de doter les
agents assermentés de la Ville de Paris et des communes de la
petite couronne où le service du logement est départemental
des mêmes prérogatives que les agents des services municipaux
des autres communes5.
14 - Ce sont, à l’évidence, les mesures relatives aux locations
meublées qui retiendront l’attention car c’est là que résident les
nouveautés les plus significatives et les plus attendues6.
11 - Ces agents sont habilités à visiter les locaux à usage d’habitation et, en cas de carence de l’occupant ou du gardien du local,
ils peuvent, au besoin, se faire ouvrir les portes et visiter les lieux
en présence du commissaire de police (CCH, art. L. 651-6).
Ils constatent les conditions dans lesquelles sont effectivement
occupés les locaux et ils peuvent recevoir toute déclaration et se
faire présenter par les propriétaires, locataires ou autres occupants des lieux toute pièce ou document établissant ces conditions (CCH, art. L. 651-7).
C. - Perception des amendes et astreintes
versées par les contrevenants (L. n° 2014366, 24 mars 2014, art. 18)
12 - Le produit des amendes et astreintes prononcées par le juge
judiciaire en cas d’infraction aux dispositions de l’article L. 6317 sera attribué à la commune dans laquelle est situé l’immeuble
(CCH, art. L. 651-2 modifié).
13 - Auparavant le produit des amendes était intégralement
versé à l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).
Ce versement au profit d’un établissement public d’État avait
été mis en place bien avant la décentralisation des compétences
opérée en la matière par la loi n° 2008-776 de modernisation de
l’économie du 4 août 2008 ; aussi n’est-il pas incohérent que le
montant des sanctions financières soit aujourd’hui affecté au
budget des communes ayant la charge du contrôle de l’usage.
5 Cette précision légale procure une meilleure
assise juridique à la jurisprudence sur la force
probante des éléments produits par les contrôleurs assermentés de la ville de Paris, V. CA
Paris, pôle 1, 3e ch., 4 sept. 2012, n° 11/21971.
6 Comme en témoigne une littérature abondante et parfois critique, v. notamment dans
la presse juridique : M. Pialoux, Les locations
meublées de courte durée vs CCH et copropriété : Rev. loyers 2013, p. 378. - L. de Redon et
M. Seraine, La location saisonnière d’un bien
meublé à Paris : qui peut faire quoi, où et com-
A. - Définition des locations meublées
constituant un changement d’usage
(L. n° 2014-366, 24 mars 2014, art. 16, 1° et
2°)
15 - Un alinéa destiné à définir les meublés soumis au contrôle
de l’usage est inséré à la fin de l’article L. 631-7 : « Le fait de louer
un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de
courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile
constitue un changement d’usage au sens du présent article ».
16 - Cette précision laisse le lecteur quelque peu dubitatif.
Était-il nécessaire de rappeler que ce type d’occupation ne
constitue pas de l’habitation au sens de l’article L. 631-7, alors
que cet article édicte déjà que sont « des locaux destinés à l’habitation (…) les locaux meublés donnés en location dans les conditions de l’article L. 632-1 », c’est-à-dire ceux constituant la résidence principale du preneur ?
Sauf à considérer qu’il importait de préciser que, l’article L. 6317 indiquant que « Constituent des locaux destinés à l’habitation
toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris… »,
l’énumération qui suit n’est pas limitative et qu’il convenait
expressément d’en exclure la location meublée pour de courts
séjours.
La jurisprudence parisienne ne s’y était pas trompée et avait déjà
considéré que les locations meublées qui se situaient hors du
champ d’application de l’article L. 632-1 du CCH ne rentraient
pas dans la définition de l’habitation au sens de l’article L. 63177. Cette lecture des textes pouvait se recommander de réponses
ment ? : Loyers et copr. 2013, étude 11. - L. Goutalier, L’affectation de logements d’habitation
en appartements meublés pour des locations de
courte durée (à vocation touristique ou de loisir) : Cahiers Cridon Lyon 2012, n° 64, p. 39. G. Daudré et P. Wallut, Locations meublées de
courte durée. Le permis de louer à Paris : JCP N
2012, n° 15, act. 429 ; Loyers et copr. 2012, alerte
40. - D. Blaise, Locations meublées touristiques
de locaux d’habitation d’habitation à Paris : des
infractions sanctionnées en l’absence d’autorisation préalable de changement d’usage : AJDI
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2012, p. 676. - V. Canu, Les locations meublées
touristiques à Paris : D. 2012, p. 600. - V. Canu
et A. Rebibo, Changement d’usage et location
meublée de courte durée : Gaz. Pal. 18 sept.
2010, p. 22.
7 CA Paris, pôle 1, 3e ch., 24 mai 2011, n° 10/23802 :
AJDI 2011, p. 532, note G. Daudré - CA Paris,
pôle 1, 4e ch., 8 juin 2012, n° 11/13256. - CA Paris,
pôle 1, 3e ch., 4 sept. 2012, n° 11/21971 : Loyers
et copr. 2012, repère 9, par J. Monéger - CA Paris,
pôle 1, 2e ch., 5 déc. 2013, n° 12/05884.
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ministérielles qui annonçaient une évolution législative dont la
loi Alur est l’aboutissement8.
17 - La nouvelle rédaction de l’article L. 631-7 introduit une
relative flexibilité dans la caractérisation du changement
d’usage : ce n’est pas le recours occasionnel à la location meublée de courte durée, mais la répétition de ces locations à une
clientèle de passage qui n’élit pas domicile dans le logement, qui
est assujettie à autorisation.
Échappe donc au régime de l’autorisation préalable de changement d’usage toute location d’un local meublé destiné à l’habitation qui ne répond pas à l’un des critères édictés par les nouvelles
dispositions de l’article L. 631-7. C’est le cas notamment, mais pas
seulement, du logement loué dans les conditions fixées par l’article
L. 632-1, ainsi que le suggère la décision du Conseil constitutionnel.
18 - Un nouveau problème surgit : le contrôle de la récurrence
des locations, et où met-on la barre ?
Le législateur n’encadre pas la période de référence pendant
laquelle la répétition révèle un changement d’usage. Et, dans
le souci d’éviter tout effet de seuil, il ne précise pas davantage
la notion de « courte durée » : s’agit-il uniquement, comme le
laissent entendre les débats parlementaires9, de la location meublée saisonnière à la nuitée ou à la semaine principalement destinée aux touristes, ou s’agit-il également de la location meublée
temporaire, de plusieurs mois, destinée aux personnes en situation de transition de logement ?
REMARQUE
➜
Les bailleurs devront donc rester prudents, tant
les critères liés à la périodicité et à la durée des locations
laissent une marge d’appréciation importante à l’Administration et, le cas échéant, au juge10.
19 - La définition des locations contrôlées est assortie d’une exception figurant au dernier alinéa d’un nouvel article L. 631-7-1 A :
« Lorsque le local à usage d’habitation constitue la résidence principale du loueur, au sens de l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet
1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification
de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, l’autorisation de changement d’usage prévue à l’article L. 631-7 du présent code ou celle
prévue au présent article n’est pas nécessaire pour le louer pour de
courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile ».
8 Rép. min. n° 20649 et 21017 : JOAN Q, 11 juin
2013, p. 6111. - Rép. min. n° 26887 : JOAN Q, 10
sept. 2013, p. 9478 ; JCP N 2013, n° 38, act. 919.
9 JO Sénat CR 23 oct. 2013.
10 V. à titre de comparaison, la jurisprudence sur
l’assujettissement à l’IS des SCI donnant habi-
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20 - Selon l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, luimême modifié par la loi Alur, « La résidence principale est entendue comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf
obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne
à charge au sens du Code de la construction et de l’habitation ».
Cette définition sert notamment à délimiter le domaine d’application du nouveau statut d’ordre public des contrats de location
de logements meublés (art. 25-3 nouveau, L. n° 89-462, 6 juill.
1989) dont la durée légale demeure pourtant fixée à un an minimum et neuf mois pour les étudiants (L. n° 89-462, 6 juill. 1989,
art. 25-7 nouveau)11.
21 - L’exception de la résidence principale est bienvenue pour
les loueurs en meublés. Elle concerne toutes les autorisations
de changement d’usage, y compris les autorisations temporaires
(V. infra 2, B). La ville de Paris, en ce qui la concerne, avait déjà
officiellement admis cette exception.
REMARQUE
➜
Le propriétaire (ou le locataire autorisé par son bailleur12) doit pouvoir librement, si le local demeure sa résidence principale, soit louer certaines des pièces de son logement en chambres d’hôtes, soit le louer en totalité lorsqu’il
s’absente de celui-ci pour des vacances ou un déplacement
professionnel de relative courte durée.
22 - Mais, l’exception une fois admise, restent les limites de son
application : s’il s’agit de la location provisoire de l’entier logement, quelle est la limite de durée acceptable sur l’année ?
La référence à l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 apporte une
réponse précise.
Une occupation effective pendant huit mois par le loueur, son
conjoint ou une personne à charge est suffisante sauf circonstances justifiant une occupation d’une durée moindre ; le reste de
l’année, le logement peut être loué sans qu’il soit exigé d’obtenir
une autorisation de changement d’usage, ni de déposer une déclaration auprès de la mairie (C. tourisme, art. L. 324-1-1 modifié).
B. - Régime d’autorisation temporaire
(L. n° 2014-366, 24 mars 2014, art. 16, 2°)
23 - Un nouvel article L. 631-7-1 A accorde aux communes
la faculté d’instaurer un régime d’autorisation limitée dans le
tuellement en location des locaux meublés, CE,
28 déc. 2012, n° 347607 : Rec. CE 2012, tables
p. 715 et 719 ; AJDI 2013, p. 843, obs. J.-P. Maublanc.
11 La loi Alur introduit dans la loi de 1989 un nouveau Titre Ier bis intitulé « Des rapports entre
bailleurs et locataires dans les logements meublés
résidence principale » auquel renvoie l’article
L. 632-1 du CCH.
12 Ce qui ressort de l’emploi du mot « loueur » par le
dernier alinéa de l’article L. 631-7-1 A du CCH.
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temps et soumise à des critères spécifiques pour les locations
meublées13 constitutives d’un changement d’usage :
« Une délibération du conseil municipal peut définir un régime
d’autorisation temporaire de changement d’usage permettant à une
personne physique de louer pour de courtes durées des locaux destinés à l’habitation à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile.
La délibération fixe les conditions de délivrance de cette autorisation temporaire par le maire de la commune dans laquelle
est situé l’immeuble après avis, à Paris, Marseille et Lyon, du
maire d’arrondissement concerné. Elle détermine également les
critères de cette autorisation temporaire, qui peuvent porter sur
la durée des contrats de location, sur les caractéristiques physiques du local ainsi que sur sa localisation en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et
de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Ces
critères peuvent être modulés en fonction du nombre d’autorisations accordées à un même propriétaire.
Si la commune est membre d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local
d’urbanisme, la délibération est prise par l’organe délibérant de
cet établissement.
Le local à usage d’habitation bénéficiant de cette autorisation
temporaire ne change pas de destination, au sens du 2° du I II de
l’article L. 123-1-5 du Code de l’urbanisme.
Lorsque le local à usage d’habitation constitue la résidence principale du loueur, au sens de l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6
juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant
modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, l’autorisation de changement d’usage prévue à l’article L. 631-7 du
présent code ou celle prévue au présent article n’est pas nécessaire
pour le louer pour de courtes durées à une clientèle de passage qui
n’y élit pas domicile ».
24 - Ce dispositif offre une grande souplesse de mise en œuvre
aux collectivités ; en pratique, il suscite plusieurs difficultés :
s La « délibération du conseil municipal » (ou de l’EPCI) constitue-t-elle une modification du règlement municipal en vigueur,
s’il existe ? Si la ville (ou l’EPCI) n’a pas établi de règlement
communal, peut-elle, indépendamment, prendre une telle délibération ne visant que les autorisations temporaires pour les
locations meublées ?
s Cette délibération « peut définir un régime d’autorisation temporaire » ; cette initiative est laissée au bon vouloir de l’organe
délibérant, qui en fixe les limites et modalités selon les caractéristiques locales et la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de
logements ; ainsi, sur le territoire d’une même commune, les
quartiers touristiques pourront être soumis à des règles différentes des autres secteurs.
13 On s’étonne de l’imprécision du texte qui omet d’indiquer que seules sont
visées les locations « meublées » ainsi qu’en attestent les travaux préparatoires et les discussions parlementaires particulièrement animées sur ce sujet.
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s Le terme « temporaire » doit-il s’entendre sur la durée de validité de l’autorisation ? Ou faut-il comprendre que la possibilité
accordée au bailleur est limitée à certaines périodes de l’année ?
s Le bailleur doit être « une personne physique » ; on en comprend bien la raison : le législateur veut écarter de ce dispositif
dérogatoire les sociétés qui font profession de loueurs en meublés saisonniers ; mais fallait-il, pour autant, en exclure les sociétés civiles immobilières à caractère familial ?
s Qu’est-ce que « louer pour de courtes durées » ? S’agit-il de
toute location d’une durée inférieure au délai de huit mois visé à
l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 définissant la résidence principale du preneur ? Ou de toute location d’une durée inférieure
au délai d’un an visé par l’article 25-7 de la même loi fixant la
durée minimum des contrats de locations meublées à titre de
résidence principale ? Mais peut-être le législateur entend-il voir
fixer par la délibération la durée de chaque location en nombre
de jours, semaines ou mois ?
s La délibération doit déterminer « les critères de cette autorisation » ; l’application en est sans doute délicate et certains critères seront difficiles à définir ; des conditions restrictives, qui
imposeraient par exemple une durée minimum trop longue aux
contrats de location meublée, aboutiraient, dans les faits, à une
interdiction.
25 - D’autres points méritent d’être relevés :
s La question de la péremption de l’autorisation temporaire se
pose du fait du silence de la loi ; selon la lecture que donne le
Conseil constitutionnel de l’article L. 631-7-1 A, il appartient
aux autorités locales « de préciser les conditions dans lesquelles
cette autorisation temporaire cesse de produire effet », étant précisé « qu’une telle autorisation, à la différence de celle prévue à
l’article L. 631-7, ne peut voir sa délivrance subordonnée à une
compensation sous la forme d’une transformation concomitante
en habitation de locaux ayant un autre usage ».
s Aucune procédure de changement de destination n’est à prévoir au titre du droit de l’urbanisme ; cette précision pourrait
s’avérer utile à Paris où, en vertu du PLU actuel, les locations
meublées qui ne relèvent pas de l’article L. 632-1 du CCH appartiennent à la destination Hébergement hôtelier (et non à la
destination Habitation).
s En revanche le régime d’autorisation temporaire ne prétend
pas déroger à l’application des dispositions du Code du tourisme relatives aux meublés de tourisme.
s En l’absence de délibération définissant un régime d’autorisation temporaire, ces locations ne sont pas interdites, cependant
elles restent soumises au régime de droit commun des articles
L. 631-7 et L. 631-7-1 ; par exemple à Paris, en application du
règlement adopté par le Conseil de Paris en décembre 200814 et
14 P. Wallut, L’heure de la décentralisation pour le contrôle du changement
d’usage de logements : JCP N 2009, n° 13, 1126.
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modifié en février 201115, il demeure nécessaire d’obtenir,
selon la procédure actuelle, une autorisation préalable de
changement d’usage avec compensation, sauf si le logement
constitue la résidence principale du loueur.
C. - Accord préalable de l’assemblée
générale des copropriétaires (L. n° 2014366, 24 mars 2014, art. 19 - censuré)
26 - L’article 19 de la loi Alur prévoyait d’insérer un article
L. 631-7-1 B ainsi rédigé :
« Si l’assemblée générale des copropriétaires d’un immeuble
relevant du statut de la copropriété souhaite que soit soumise
à son accord préalable, à la majorité définie à l’article 24 de
la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, toute demande d’autorisation de
changement d’usage d’un local destiné à l’habitation faisant
partie de la copropriété par un copropriétaire aux fins de le
louer pour de courtes durées à une clientèle de passage, elle le
décide à la majorité de l’article 25 de la même loi.
Ces dispositions ne s’appliquent pas à l’autorisation temporaire mentionnée à l’article L. 631-7-1 A.
Le premier alinéa du présent article s’applique sans préjudice
des éventuelles règles relatives aux modalités d’autorisation
du changement d’usage d’un local qui figurent dans le règlement de copropriété de l’immeuble, défini à l’article 8 de la
loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 précitée ».
Ces dispositions ont été déclarées non conformes à la
Constitution au motif que le législateur « a ainsi, dans des
conditions contraires à l’article 2 de la Déclaration de 1789,
permis à l’assemblée générale des copropriétaires de porter une atteinte disproportionnée aux droits de chacun des
copropriétaires ».
27 - En censurant l’article 19 de la loi Alur le juge constitutionnel fait sauter un verrou de taille dont on ne pourra
jamais mesurer les retombées réelles même si, compte tenu
de l’opposition quasi générale des autres copropriétaires
à ce type d’occupation (et le législateur en a certainement
conscience), il est probable qu’il aurait été difficile pour un
copropriétaire de développer, dans son local d’habitation,
une telle activité.
REMARQUE
➜
Les bailleurs continueront donc de bénéficier de
la jurisprudence libérale de la Cour de cassation selon
laquelle si le règlement de copropriété autorise l’occupa-
15 G. Daudré et P. Wallut, Contrôle de l’usage d’habitation : de nouvelles
règles pour Paris : JCP N 2011, n° 13, 1113 ; Loyers et copr. 2011,
étude 4.
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tion des locaux privatifs à usage de professions libérales,
la location meublée saisonnière doit pouvoir être pratiquée, dans la mesure où elle ne crée pas de nuisances
plus importantes16. Cette jurisprudence n’est pas affectée par la loi Alur et conserve toute sa valeur.
D. - Obligation d’information des
intermédiaires rémunérés (L. n° 2014366, 24 mars 2014, art. 11)
28 - Devant le constat que le cadre réglementaire n’est pas
respecté par un nombre important de mises en location, il est
apparu nécessaire aux auteurs de la loi Alur de préciser que
les intermédiaires rémunérés ont l’obligation d’informer les
loueurs de leurs obligations relatives à la déclaration des meublés de tourisme et à l’autorisation de changement d’usage.
29 - Dans ce sens, un article L. 324-2-1 est introduit dans
le Code de tourisme : « Toute personne qui se livre ou prête
son concours contre rémunération, par une activité d’entremise ou de négociation ou par la mise à disposition d’une
plateforme numérique, à la mise en location d’un logement
soumis à l’article L. 324-1-1 du présent code et aux articles
L. 631-7 et suivants du Code de la construction et de l’habitation, informe le loueur des obligations de déclaration ou
d’autorisation préalables prévues par ces articles et obtient de
lui, préalablement à la location du bien, une déclaration sur
l’honneur attestant du respect de ces obligations ».
30 - Sur le fond, la loi n’aggrave pas les obligations des
intermédiaires immobiliers, tradationnellement tenus par
un dévoir général d’information ; par contre, elle clarifie
et responsabilise le rôle des intermédiaires numériques qui
mettent en relation sur internet l’offre et la demande de
location meublée touristique. Sur la forme, la nouveauté
consiste à obtenir du loueur en meublé une déclaration sur
l’honneur attestant qu’il a rempli ses obligations.
Reste à savoir si, et dans quelles conditions, ces intermédiaires pourraient se voir reprocher un manque de diligence
dans la vérification de la sincérité d’une telle déclaration. „
Pour aller plus loin :
G. Daudré et P. Wallut, Changements d’usage des locaux d’habitation. De l’affectation à l’usage, la réforme
de l’article L. 631-7 du CCH - Préface H. Périnet-Marquet : LexisNexis, coll. Litec Professionnels, 2010.
16 Cass. 3e civ., 8 juin 2011, n° 10-15.891 : JurisData n° 2011-011067 ;
Bull. civ. 2011, III, n° 97 ; JCP G 2011, doctr. 1298, H. Périnet-Marquet ; Loyers et copr. 2011, comm. 253, obs. G. Vigneron ; AJDI 2012,
p. 435, obs. D. Tomasin.
LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 15 - 11 AVRIL 2014