Événement Le nouveau manifeste des féministes Charlotte Rotman

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Événement Le nouveau manifeste des féministes Charlotte Rotman
Événement
Le nouveau manifeste des féministes
Charlotte Rotman
1,482 mots
2 avril 2011
Libération
LBRT
2
Français
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Quarante ans après l'appel des «343», des femmes publient dans «Libération» un texte contre les
inégalités d'aujourd'hui.
Voici les salopes d'aujourd'hui. 343 femmes. Elles auraient pu être davantage, mais il fallait coller à ce
chiffre qui a façonné la mémoire de la société française. Le 5 avril 1971, 343 femmes signaient dans le
Nouvel Observateur un manifeste pour réclamer «l'avortement libre». Parmi celles que Charlie Hebdo a
rebaptisées «les 343 salopes», Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig, Catherine Deneuve, Françoise
Sagan osaient écrire : «Un million de femmes se font avorter chaque année en France... Je déclare que
je suis l'une d'elles.»
«Flambeau». Quatre décennies plus tard, les femmes ont encore beaucoup à dire et elles ont choisi
Libération pour le faire. Des actrices, des comiques, des chanteuses, des romancières se sont jointes à
des universitaires, à des bénévoles d'associations, des chercheures, plus anonymes (lire ci-contre). Ces
343 signataires de 2011 ont toutes entendu : «Aujourd'hui, tout est réglé», ou «les femmes ont conquis
leurs droits». Elles pensent qu'il n'y a qu'à regarder autour de soi pour se rendre compte qu'il n'en est
rien : à l'Assemblée nationale, dans les chefferies des entreprises, aux caisses des supermarchés.
«Certains pensent qu'il n'y a pas trop à se plaindre. Mais pour nous, cette illusion d'égalité est un verrou
à faire sauter», explique Caroline de Haas, porte-parole d'Osez le féminisme !.
Cette association fondée il y a tout juste deux ans, rassemble des féministes dont la plupart ne sont pas
encore trentenaires. Décomplexée, punchy, cette nouvelle génération de militantes sait ce qu'elle doit
aux plus anciennes. Ce manifeste est d'ailleurs une idée des «historiques», celles qui se sont battues
dans le sillage de Mai 68. Certaines d'entre elles ont signé les deux textes, à quarante ans de distance.
Mais ce sont les plus jeunes qui l'ont rédigé et fait circuler. «On s'inscrit dans une histoire. On reprend le
flambeau», assume Caroline de Haas.
Enjeu. Pour ces femmes militantes, l'égalité homme-femme est un enjeu politique, pas un truc
périphérique pour emmerder les mecs. C'est pourquoi le manifeste d'aujourd'hui, intitulé «L'égalité
maintenant!», porte sur l'avortement mais aussi sur les violences sexistes, les retraites et les salaires
«inférieurs à ceux des hommes», sur les tâches ménagères, la maternité obligatoire ou les portes du
pouvoir trop souvent fermées... Faut-il parler de «patriarcat?» De «domination masculine»? C'est tout un
système à repenser. De toute urgence. Elles sont 343 à le dire.
A lire:
- «Notre ventre nous appartient», le Manifeste de 1971 en intégralité, en pdf.
- «L'égalité maintenant ! 343 femmes s'engagent» : le manifeste de de 2011, ici en pdf
Pouvoir «Nous voulons l'égalité citoyenne»
Alix Béranger. Consultante santé et action sociale, militante à La BArbe, 32 ans.
«Le pouvoir n'est pas partagé. Aucun secteur n'échappe à cette inégalité : ni les milieux économiques,
ni la recherche, la politique, la culture, les médias. La présence des femmes dans les lieux de pouvoir
n'est pas notre but ultime. Nous voulons l'égalité citoyenne. La parité est un concept qui a été critiqué,
on a parlé de la promotion de femmes incompétentes... Mais à l'Assemblée, on est passé de 12 à 18%
de femmes députés grâce à la parité. Aux cantonales, les élues sont seulement 13%. Certains conseils
généraux sont à 100% masculins : celui des Deux-Sèvres ou du Tarn, par exemple. Quand la loi n'est
pas contraignante, la présence des femmes ne progresse pas. La Barbe, une association dont je fais
partie, a fait des actions dans ces conseils généraux. On s'intéresse aux lieux où les hommes sont entre
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eux, décident entre eux...
«Il y a quarante ans, les 343 salopes ne voulaient pas que les médecins, les démographes, les hommes
politiques choisissent pour elles. Quand il n'y a que des hommes à des postes de responsabilité, ils
décident pour nous. Dans certains lieux de pouvoir, c'est très emblématique. Parfois, c'est plus
insidieux, comme dans les journaux. Mais tout le monde peut le voir : il n'y a toujours pas de présidente
de la République. On compte seulement 21% de sénatrices. Plus de 80% de maires des grandes villes
sont des hommes. Les entreprises du CAC40 sont dirigées par un homme sauf une... La liste est
longue. Le féminisme a encore des raisons d'exister.»
Sexisme «Les femmes sont définies par leur beauté»
Rokhaya Diallo. Productrice, fondatrice des «Indivisibles», 32 ans.
«Je trouve la société française foncièrement sexiste. La norme invisible est masculine et blanche.
Quand on parle de quelqu'un sans donner de précision ou de détail, il s'agit toujours implicitement d'un
homme blanc. Jamais d'une femme. Dans les médias, notamment télévisuels, les femmes sont toujours
définies par leur beauté, et leur jeunesse. Cela crée des problèmes dans nos représentations. Peu de
femmes de plus de 45 ans présentent des émissions ou alors elles sont souvent attaquées sur leur
physique. Il y a toujours cette injonction d'être belle, mince. Sinon, c'est difficile d'exister. On a reproché
à Martine Aubry de ne pas correspondre à l'image d'une féminité ouverte, englobante, quand on a
encensé Royal qui était, elle, «bien lookée». Il n'y a pas d'équivalent pour les hommes. A la télé il vaut
mieux être blanche et blonde... ou en tout cas avoir les cheveux raides ! Pour les femmes non blanches,
il y a une double discrimination. Quand Rama Yade a été nommée secrétaire d'Etat, on a parlé de la
«Naomi Campell du gouvernement», pourquoi ?
«Dans le travail, je trouve les rapports plus sexués qu'ailleurs, par exemple dans les pays anglo-saxons
où l'indifférenciation est plus marquée. Pour moi, le sexisme n'est pas un truc d'Arabes de banlieues,
comme certains ou certaines ont voulu le faire croire. Il ne faut pas se servir du féminisme pour justifier
cela. Le reste de la société n'est pas composée de gens très civilisés qui seraient eux exempts de tout
sexisme.»
Travail «L'ordre sexué structure toujours le système»
Hélène Périvier. Economiste, 38 ans.
«Il y a eu, c'est vrai, un grand mouvement d'émancipation des femmes à partir des 1960, mais depuis
quinze ans, on ne constate aucune avancée majeure. Notre organisation sociétale n'a pas été
suffisamment repensée pour faire face à ce bouleversement social et économique qu'a été l'entrée des
femmes dans le salariat. Le faible investissement des hommes dans les tâches domestiques ne permet
pas un partage égal des responsabilités familiales. Les services publics (crèches) et marchands ont
permis aux femmes d'externaliser une partie du travail qu'elles faisaient gratuitement dans la famille. Ce
travail est d'ailleurs toujours effectué par des femmes. Hommes et femmes n'occupent pas les mêmes
métiers et ceux occupés par les femmes sont moins bien rémunérés, et peu valorisés.
«Les inégalités de salaire sont encore importantes et l'écart ne se résorbe plus. On ne peut pas se
contenter de ce statu quo inégalitaire. L'ordre sexué structure toujours le système économique et
politique. Il n'y a pas de "quasi-égalité", nous sommes donc encore loin du compte.»
Avortement «J'ai vu que rien n'était acquis»
Alice Loffredo. Militante à «Osez le féminisme !», 24 ans
«Sur le droit à disposer de son corps, en quarante ans, les choses ont évolué. Mais l'application de ce
droit est difficile. Aujourd'hui, pour avorter, il y a d'énormes disparités territoriales : en Ile-de-France,
dans les DOM, c'est le parcours du combattant. La loi de 2001 qui prolonge les délais légaux de l'IVG
reste parfois sans effet à cause de l'engorgement de certains centres. Les femmes dépassent les délais
et sont obligées d'aller à l'étranger, c'est le cas de 5 000 femmes par an.
«L'avortement reste tabou, alors que 40% des femmes y auront recours dans leur vie. Je l'ai vu autour
de moi. Des copines m'en ont parlé, mais plusieurs années après, pour me dire que ça avait été difficile,
qu'on leur avait dit qu'elles n'avaient pas bien pris la pilule, qu'on les avait culpabilisées. En 2009, quand
le planning familial a eu des difficultés, ça a fait tilt dans ma tête : ce lien entre casse d'un service public
et remise en cause d'un droit. J'ai été élevée avec l'idée qu'homme et femme sont à égalité, qu'on a le
droit à la contraception, l'avortement, et puis sur le marché du travail et dans ma vie contraceptive, face
à ces difficultés pour avoir une IVG, j'ai vu que rien n'était acquis.»
Photos Frédéric stucin
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