JimmyP - Marie B -

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JimmyP - Marie B -
Jimmy P. Psychanalyse d’un indien des plaines de Arnaud Desplechin (France, Etats-­‐Unis, 1h56min) par Marie B. " Les mots complexes me font peur, avec les mots simples on rapproche les choses de nous »
dit Georges Devereux à son patient. C’est sans doute cette formule que Desplechin applique à son
film : Filmer simplement mais justement cet entretien psychanalytique entre un anthropologue
spécialiste de la culture amérindienne (Mathieu Amalric) et son patient indien Blackfoot (Benicio
Del Toro), un ex-soldat de la Seconde Guerre mondiale sujet à des traumatismes psychiques."
Que penser de ce couple étonnant formé par Mathieu Amalric et Benicio Del Toro ? Pour
son dernier film, en quittant la France, Arnaud Desplechin change de ligne : finis les repas de
famille, les conversations qui s’enchaînent, les personnages qui se rencontrent et se bousculent.
Mais si Jimmy P. est un film plus épuré, qui retrace les séances entre un patient indien et son
médecin, ce n’est pas qu’un film sur la psychanalyse, ou sur la condition de l'Indien des EtatsUnis, mais un film sur l’homme ; G. Devereux dit d’ailleurs que Jimmy ne souffre d’aucun mal à
part celui de tout homme : la vie.
Adapté des mémoires de Georges Devereux, le film, par le biais des entretiens, retrace petit
à petit la vie de Jimmy, se révélant quelque peu « handicapé » de la vie ; traumatisé par une mère
puis une sœur, toutes deux des « femmes au cœur viril » (terme indien), à la poigne de fer. Le film
est rythmé par ces séances, mais aussi par la vie du patient et de l’anthropologue en-dehors : à la
fois l’opposition entre l’enfermement de Jimmy dans cet hôpital, où il ne semble pas vraiment
avoir sa place et les séances qui semblent petit à petit le libérer d’un lourd passé ; et en même
temps cet anthropologue, dévoué à son patient, mais lui-même aussi perdu dans sa vie. Finalement
les problèmes essentiels de Jimmy viennent des femmes : sa mère, sa sœur, puis la grossesse
précoce de son amie lorsqu’il avait 17 ans et son mariage avec une femme volage. L’arrivée de
Charlotte, une amie de Devereux avec qui il entretient une relation ambiguë, à la fois passionnée
et impossible, contrebalance la perspective.
Jimmy se réapproprie progressivement son passé. Lors d’un des derniers flash-backs,
lorsqu’il raconte comment enfant, il a surpris sa mère au lit avec un homme après la mort de son
père, la figure de Jimmy adulte assiste à la scène, comme s’il assumait enfin cet épisode
traumatisant. Mais le film sort de cet écueil du film psychanalytique du docteur libérant son
patient de ses traumatismes grâce à son savoir. Georges Devereux apprend autant de Jimmy que
Jimmy apprend de lui. Il n’est pas le patient soumis au diagnostic de son analyste. Lors d’une
séance Jimmy se retourne contre Devereux, lui reprochant de le détourner de la religion parce que
lui-même est athée. Jamais dans le film cet amérindien n’apparaît aussi vulnérable ; il n’y aucune
explosion de colère, mais de longs gros-plans fixes soulignant son incompréhension et sa peur de
devenir un simple pantin aux mains des docteurs du centre et de ses séances avec Devereux. Cette
peur est mise en scène avec justesse lors de la narration de son expérience d’un spectacle de
marionnette. Les gros-plans sur son visage ponctuent les images en flash-back et manifestent son
appréhension de ne plus être qu’un « pantin ». Cette scène est un immense appel à la liberté : non
seulement pour l’indien, mais aussi pour l’anthropologue.
Marie B.