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MelissaWalker Violette Tome3 VioletteVersionprivée 1. « Pfff! » J'enfile une robe à imprimé jacquard jaune - et mes longs cheveux tout fins deviennent complètement électriques. En me penchant avec maladresse pour observer ma silhouetted'unmètrequatre-vingtsdanslemiroirenpiedquitrônedansmachambredepuis leCE2,jeconstatequelarobeestindéniablementtoomuch.Quantaumaquillage,ilestaussi excessif. J'abandonne la robe et opte pour mon débardeur blanc extra long sur un jean. J'ajoutepar-dessusunbonvieuxsweatàcapuchenoiretmedirigeverslasalledebainspour ôter le mascara bleu. J'en profite pour attacher mes cheveux bruns en queue-de-cheval. Mieuxvautêtremoinsfashionetplusmoi. J'entendslaGolf,ettroiscoupsdeKlaxon.Depuisqu'elleasonpermis,mameilleureamie JuliepossèdecettevieilleVolkswagenquinousemmèneunpeupartouttouslestrois,avec notre autre meilleur ami pour la vie, David. David et moi avons toujours dit, pour rire, que cettevoiturenousappartenaitaumoinsauxdeuxtiers,vuletempsquenouspassonsdedans, maisJulierefuseencoreaujourd'huidenouslalaisserconduire.Elleestcommeça,ellejoue un peu les chefs. Cela dit, je m'en fiche, je ne suis de toute façon pas très douée avec les leviersdevitesses. Jejetteunderniercoupd'œildanslemiroiravantdemeprécipiterenbas.Çava,c'esttout moi. J'applique juste une touche de gloss Tokyo Plum Blossom trouvé à Paris l'an dernier histoiredemesentirunpeuglamour. Leplusbizarre,danstoutça,c'estencorequejedépensetoutecetteénergieàréfléchiràce quejevaismettrejustepourretrouvermesdeuxmeilleursamisaumonde.Ilssontenfinde retourpourlesvacancesdeNoëletnousallonschezElmopourrattraperletempsperdu.J'ai passélesdeuxderniersmoisdansnotrevillenataledeChapelHill,enCarolineduNord,dans undésœuvrementpresquecompletet,enl'absencedeJulieetdeDavid,j'aicrudevenirfolle. J'ai dû lire une bonne vingtaine de bouquins (dont quatre mangas, que je lis bien plus vite queleslivresnormaux,jelereconnais).J'aihâtederevoirJulieetDavid,maisjesuisaussi unpeunerveuse.Depuisquenousnoussommesquittésl'étédernieretqu'ilssontentrésàla facenseptembre,ils'estpasséunmaxdetrucs. «VexanteViolette!s'exclameDavid,dansuneimitationparfaitedemonagentchezTryst Models, Angela Blythe, une folle. Comme tu es mignonne en street-wear. » Je lui tire la langueetmeglissesurlabanquettearrièredelaGolf.Uneétincellebrilledanssesyeuxbleus derrière les verres de ses lunettes à monture noire. Ses cheveux sont plus longs, ils lui arrivent pratiquement aux épaules, qui me paraissent un peu plus larges encore depuis la dernièrefoisquejel'aivu,quelquesmoisplustôt.Moncœurfaitunepetitepirouette,maisje meforceàagirnormalement-c'estDavid,c'esttout.Ilporteunmanteauenvelourscôtelé bordédelaineblanche.Trèsseventies. « Tu l'as trouvée chez Andy's Chee-Pees, ta veste? demandé-je en nommant un magasin vintage super cher de Manhattan que fréquentent les branchés de l'université de New York commeDavid. —Pasdutout,AlicelaDétective,dit-ilenhaussantlesyeuxauciel.Achetéesurunstand dela10eRue.Trente-cinqdollars. —Hého?!ditJulie,quisepenchepar-dessuslesiègepourmeserrerdanssesbras.J'ai droitàunpeud'amour,moiaussi,oubieniln'yenaquepourDavidetViolette? —Pardon,Julie,dis-jeenmepenchantverselleàmontour.Çamefaittropplaisirdete voir!» Avecunsourire,elleserassiedderrièrelevolantetpasselamarchearrière. «Onsecroiraitenroutepourlelycée.» Ellesoupire.Julieestincroyablementnostalgiquedecettepériode-mêmedenotreclasse determinale.Davidetmoiéchangeonsunregarddanslemiroirdupare-soleilcôtépassager, qu'ilabaissépourserecoiffer. «Tropdegeldanslafrange?lancé-jeensouriant. —Justecequ'ilfaut,MissGreenfield,répliqueDavidenremontantlepare-soleil.Jesuis passémaîtreenlamatièrecestemps-ci. —Alors,V,qu'est-cequifaitsensationàChapelHillencemoment?demandeJulie,alors quenousquittonsmonquartierpourrejoindreSmithLevelRoad. —C'estlavilledugrandsommeil.Gravementmort.Richarddoitêtremonseulamidans le coin, c'est dire. » Richard est le directeur du cinéma Le Palace, où je travaille par intermittencedepuisquej'aiseizeans.Ilaenvirontrente-cinqans,c'estunpersonnagehaut encouleurs-iladoreparlermode. «Ouhlà,attendsunpeu!ditDavid.VioletteGreenfield,topmodelinternational,arepris lebonvieiluniformegiletetnœudpapillon? —Maisnon,jenetravaillepluslà-bas»,dis-je.D'ailleurs,cen'estpasfaux,jen'aipasde poste à proprement parler. (J'avoue, j'ai fait un remplacement pour Benny, mon ancien collègue et étudiant de l'UNC, l'université de Caroline du Nord, pour lui permettre d'aller à Asheville«choperdelabonneherbedemontagne».Maisçanecomptepas.)«J'yvaisjuste pourdirebonjourquandjem'ennuie»,clarifié-je. Davidsetourneversmoiethausselessourcilsavecincrédulité.«J'imaginequec'estcequi arrive quand on repousse son entrée à la fac. » Il affiche un petit sourire narquois. Je lui assèneuncoupdepoingdanslebras. «Aïe!hurle-t-il.Attention,mesmuscles!» Je me rassieds au fond de mon siège. J'ai été vraiment obligée de décaler mon entrée à Vassar parce que j'ai eu la chance de participer à des défilés internationaux cet automne. Même si j'ai voulu tout arrêter après mes premières expériences de mannequin, j'avais toujours rêvé de voyager. Franchement, soyons réalistes : quand, à dix- huit ans, quelqu'un vous offre un billet d'avion pour le Brésil, puis pour l'Espagne et enfin pour la France, il faudraitêtreunpeufollepourrefuser.Monpèreaimedirequelespodiumsinternationaux ont fait office de semestre à l'étranger. Mais à dire vrai, je crois que ma mère et lui sont secrètementravisquejecommenceuncursustraditionnelàVassard'iciquelquessemaines. En arrivant chez Elmo, nous nous installons à notre table habituelle, dans le coin. Nous nous retrouvons toujours ici pour décompresser et rattraper le temps perdu. Je crois que si nous aimons tant cet endroit, c'est parce que nos mères nous y emmenaient lorsque nous étions tout petits - c'est un restaurant familial où on trouve des crayons de couleur et des feuilles à disposition pour les enfants. David s'empare d'un crayon violet dans le pot et commencesonpetitcroquishabituel:unbonhommeavecunparapluie. «Jeconstatequetesgribouillagesn'ontpaschangédestyle,remarqué-jeensouriant. —Certaineschosesnechangentjamais»,répond-ilenlevantlesyeux. JedoismeforcerpournepasoublierqueDavidestdésormaisencouple.Ilsortdepuisdes moisavecChloe.Petite,blonde,gloussante,agaçanteàsouhait,sacopine,quivitàNewYork, est également stagiaire au magazine Teen Fashionista. Ils se sont rencontrés alors qu'elle faisaitunpapiersurmoil'andernier.Pouruneraisonquim'échappeencore,sortiravecun type en première année de fac ne lui pose aucun problème, alors qu'elle a vingt-deux ans. Pitoyable.Moi,jelesappellelesDaChlo,dansleurdos. «Alors,qu'est-cequetuasfaitpourtonanniversaire?demandeJulie,enfacedemoi,qui souffledansl'emballagedesapailleetmel'envoiedessus,interrompantdumêmecoupmes penséesamères. —Etdirequ'onaratélagrandefêtepourtesdix-neufans,remarqueDavid. — Tu parles, un gâteau aux fraises avec les parents et Jake, soupiré-je. Rien de spectaculaire,donc.» Àlasimplementiondunomdemonfrère,Julietressailleunpeu.«CommentvaJake?» demande-t-elle. Julie est sortie avec lui pendant environ six mois l'an dernier, bien qu'il ait deuxansdemoinsquenous.Ilsontrompuàlafindel'étélorsqueJulieestentréeàlafacnonsansavoirperduleurvirginitéensemble.C'estsuperbizarrequejeconnaisselesdétails de la première fois de mon petit frère - beurk -, surtout que la mienne ne s'est pas encore produite. «Çava»,dis-je,pastrèssûredesavoircequeJulieveutentendre.Jesaisqu'ilsortavec unefilledesaclasse,maisjesaisaussiquecetteinformationnedevraitpasêtretransmiseà Julie pour l'instant. C'est elle qui a imposé la règle selon laquelle les relations du lycée se terminent au moment où commence l'université. Je crois que Jake aurait été d'accord pour continuer.Maisenfin,onnepeutpasdirequej'aiediscutédefaçonintimedesesémotions avecmonfrère-j'interprètesimplementdiversgrognements. « Tant mieux, dit Julie en remuant son thé glacé, sans parvenir à prendre un air nonchalant.Tuluidonneraslebonjourdemapart. —Jesuissûrequetuleverrasenpersonnequandtuviendrasàlamaison.Amoinsque tuaiesprévudenepaspasserchezmoidetouteslesvacances.» Ellehausselesépaules. «Julie!m'écrié-je. —Ilparaîtqu'ilsortavecquelqu'und'autre,dit-elleenm'interrogeantduregard.Jen'ai pastropenviedevoirça.» Jerepenseàcettesoirée,ilyaplusieursmois,quandjesuisalléevoirDaviddanssacité universitaire, à New York, prête à lui demander ce qu'il pensait vraiment de moi. Une fois danslecouloir,jemesuisretrouvéeaumilieud'unegrossefêteetj'aivuDavidetChloeen traindes'embrasser.Çam'afaitsupermal. «D'accord,dis-jeàJulie.C'estmoiquiviendraicheztoi.» Après le dîner, dans la voiture qui nous ramène à la maison, mon téléphone sonne. Mon portabledémodécrachoteunevieillechansondeBeck,«Loser».Jelefaistairetrèsvite. « Ouah, qui a droit à cette chanson comme sonnerie? C'est pas un cadeau! s'exclame David. —Devine,dis-je. —Tonagent»,intervientJulie,convaincued'avoirlabonneréponse.Etellearaison. Lorsque le répondeur sonne à son tour, David exige que je mette le haut-parleur pour qu'onpuissetousentendresadiatribe.Acontrecœur,jelancelemessage. «VilaineViolette,toujoursàfiltrermesappels»,roucouleAngela.Jegrimace.L'entendre parler à voix haute dans la voiture fait super peur. « Ton semestre commence bientôt et, quandtuneseraspasoccupéeàpoursuivredejolishomosdetesassiduitésouàécriredes idioties inutiles sur les civilisations antiques, nous aurons besoin de toi en ville, chérie. Tu dois participer à la campagne Mirabella Prince et nous comptons sur toi, Veronica et moi. N'oubliepasquetufaistoujourspartiedel'équipeTryst.»Clic. Jepousseunprofondsoupir. «Lavache,remarqueJulie.Mêmequandelleraccrochesurunrépondeur,elleal'airmal élevée. — Mirabella Prince, c'est vraiment un nom ridicule, dit David. Tu crois qu'en vrai elle s'appelleMyrdePapadopoulos,ouuntrucdanscegoût-là? —Non!répliqué-jeenriant.C'estdusérieux.Enfin,danslegenrecréatricecélèbrequi vientd'unefamilleriche,quoi. —Oui,çafaitvraimenttrèssérieux,ditJulieenlevantlesyeuxauciel. —TuvasrappelerAngela?demandeDavid. —Plustard,soufflé-jeenrangeantmontéléphonedansmonsac. —Jecroyaisquetuarrêtaisdéfinitivementleboulotdemannequin,remarqueJulie.Tu nel'aspasprévenue? —Oui,renchéritDavid.Cen'estpaslesemestredeViolette,lafilledeVassar,labeauté intelloquinemetplusunpiedsurlespodiums? —Absolument.Angeladélire.Jeluirappelleraiunefoispourtoutesquec'estfini.» Davidmejetteunpetitregardsoupçonneuxpar-dessussonépaule,maisjemecontentede lui sourire. Ce que je ne peux pas avouer à mes meilleurs amis, c'est que je suis terrifiée à l'idéed'entreràlafac.Et,bienquej'enaieenvie,j'aipeurdemettreuntermeàmacarrièrede mannequin.J'aipassédix-septansdemavieàmesentirdécaléeparrapportàtoutlemonde sauf à Julie et David. Les filles étaient méchantes avec moi à cause de ma taille et de ma maigreur, les garçons m'ignoraient totalement, et je n'ai ni l'intelligence de David, ni la motivationetl'ambitiondeJulie.J'étaispourainsidiretransparente. Et je sais que je devrais être une fille de dix-neuf ans cultivée, avec un aplomb inébranlable, parce que j'ai participé à des fashion weeks à New York et dans trois villes à l'étranger, mais la vérité est qu'être mannequin n'a pas réussi à relever tant que ça mon estime de moi. Cela m'a peut-être même donné de nouveaux complexes. Pourtant, j'ai l'impressionquesijedémissionne,jeredeviendraicettefilleinvisibledulycée.Lafilledont personneneconnaissaitlenom.Jenesuispassûredepouvoirprendrecerisque. 2. MesparentsinsistentpourmeconduireàVassareux-mêmes,commesic'étaitlapremière fois que je quittais la maison. « C'est un rite de passage », explique ma mère pendant que nouschargeonslebreakfamilialdemesnouvellesétagèrespliables,dedeuxvalisespleines devêtementsetdediversarticlesde«citéU»achetéschezBed,Bath&Beyond. « C'est surtout une excuse pour que Jake puisse organiser une grosse fête », dis-je en jetant un coup d'oeil par-dessus mon épaule en direction de mon petit frère, qui sourit et placeundoigtsurleslèvrespourmefairetaire. Julie est partie pour Brown hier, et David est à New York depuis une semaine déjà, pour passer du temps avec Chloe avant la rentrée. Je n'ai même pas écouté une seule chanson tristedepuissondépart—jevaismeconcentrersurlesgarçonsdelafacuniquement...enfin, dèsquejelesaurairencontrés. Letrajetsurl’I-95avecmesparentsserévèleplutôtmarrant.Monpèremelaisselechoix de la station de radio, et si j'arrive à donner le titre des chansons avant le début du refrain cinqfoisd'affilée,jegagnecinqdollars.Jakeetmoiavonsinventécejeuilyaenvironcinq ans;d'habitude,ilestlàpourjouercontremoietmevolerlavedette,alorspourunefoisc'est plutôtsympadejouerensolo.Letempsd'arriverenVirginie,j'empochedixdollars,puisma mèredemandeàécouterNPR,laradiopublique,alorsjemetslesécouteursdemoniPodsur mesoreillesetm'allongesurlabanquettearrière,d'oùjeregardedéfilerdespinsdifformes. Jecale ma têtesur l'oreiller quema mère a glissédans mes bagages,et en attrapant une pelucheàcajolerdansmonsac,jerepenseàlasoiréeoùnousavonsprisuncaféavecJulie, avant de nous dire au revoir. J'ignorais complètement qu'elle avait craqué à ce point pour monfrère,maiselleavraimentévitélamaisonpendanttouteladuréedesvacances.Unjour, alors que mes parents voulaient lui demander comment elle s'en sortait à la fac, elle s'est arrangéepourlesfairevenirjusquedansl'allée,etellearéponduàleurpetitinterrogatoire sans sortir de sa voiture. J'ai fini par lui poser la question en face la semaine dernière, au CaribouCafé. « Tu es encore amoureuse de Jake, ou quoi? lui ai-je demandé devant un moka fumant. C'estlenouveauSingeRigolo,c'estça?» Elle a soupiré et a fixé sa tasse. Le Singe Rigolo est l'une de mes peluches que Julie a toujours adorée. Depuis la première nuit qu'elle a passée chez moi, en maternelle, nous considérons ce chimpanzé comme l'amour de notre vie, à elle et moi. En sixième, lorsque nous sommes toutes les deux tombées amoureuses de Ben Russell, nous lui avons donné commenomdecode«SingeRigolo».Benavaitdemagnifiquesyeuxmarronetdesuperbes cheveuxbrunsbouclés.Enyrepensantaujourd'hui,ilavaitaussiuneossaturehallucinantementon carré et pommettes à l'élégance masculine étonnante pour un garçon de onze ans. Bref,nousnouspâmionscomplètementdevantlui.Puis,àlafindelasixième,iladéménagé. Cefutlatragédiedenotreété,etdepuiscetteépoque,nousl'avonstoujoursconsidérécomme l'hommedenotrevie(enplaisantantàmoitié). «Cen'estpasvraimentmonnouveauSingeRigolo,aditJulie.C'estjustequej'aihorreur delesavoiravecuneautre.» J'aitournélesyeuxverslafenêtrepourévitersonregard. «Violette,onvitdansunetoutepetiteville.Jesaisqu'ilsortavecunefilledesaclasse,une certaineKatieFink.Peuimporte.Maisjepréfèreéviterqu'onmelerappelle. —Ouais,c'estpascool,ai-jereconnuenmetournantànouveauverselle. — Au fait, tu es toujours en contact avec Paulo de Sao Paulo ?» a demandé Julie, en référence à mon amoureux brésilien de l'été précédent. Le fait que j'aie eu un « amoureux brésilien»mefaitparaîtrebienplusglamourquej'ail'impressiondel'être. «Nan.J'aicarrémenttournélapage. —Donciln'étaitpasnonpluslenouveauSingeRigolo? —Vraimentpas.Jelerencontreraipeut-êtreàVassar. — Ou bien tu l'as déjà rencontré, a dit Julie. Et si ton âme sœur était quelqu'un que tu connaissaisdéjà?C'estbizarred'imagineruntrucpareil,non?» J'aipenchélatêteenluiadressantunregardinterrogateur. « David et Chloe, c'est toujours une affaire qui marche, j'imagine ? a-t-elle poursuivi en haussantlessourcils. —Sûrement,ai-jeréponduenfaisantuneffortpourgarderuntondétaché. —Çatechagrine?»a-t-elledemandé. Elle savait très bien que oui, et voulait simplement que je le reconnaisse, mais je n'en ai pasétécapable.«Pasdutout,ai-jeditenmelevantpourpartir.Franchement,s'ilaenviede setaperunenaineavecunriredecochonsansaucunepersonnalité,çaleregarde.» Julieaprissongobeletetm'asuiviedanslarue.«Effectivement,tuasl'airdet'enficher complètement»,a-t-elleconclu. J'ai bien perçu son ton ironique, mais j'ai préféré l'ignorer. Parfois vos meilleurs amis saventlireenvousbienmieuxquevousnelesouhaiteriez. JeserreleSingeRigolounpeuplusfortsousmonbrasetmelaissebercerparlerythme dubreak,aupointdem'endormir. Alorsquenousapprochons,danslacirculationdense,dePhiladelphie,monportablesonne pour la troisième fois en une heure. Heureusement, ce n'est pas Angela, je peux donc répondre. «Violette,ditunevoixenrouéedansletéléphone. — Veronica! » Je suis tellement heureuse d'avoir des nouvelles de mon ancienne colocataire. Elle m'a vraiment tirée du pétrin à l'automne lorsque j'ai voulu plaquer la campagne Mirabella Prince. Elle a réussi à convaincre Mirabella qu'elle et moi devrions travaillerenéquipepourleshooting,ellem'aainsipermisderentrerplusviteàlamaison-ce dontj'avaisvraimentbesoin. «Oùes-tu?demande-t-elle. — Hum, dans la voiture, avec mes parents. » Ma mère se tourne vers moi et articule silencieusement avec exagération DONNE-LUI LE BONJOUR DE NOTRE PART, ce qui m'indiquequ'elleécoutemaconversation. «Ilstepassentlebonjour,dis-je. —Tuleleurtransmettraségalement.Alors,tonséjourdanslacambrousse?Çat'aplu? —C'estmieuxquelapressiondelaville,répliqué-je. — Pression qui va s'intensifier avec le lancement de la campagne Mirabella le mois prochain»,ditVeronica,l'airtoutexcitée.Pourellecommepourmoi,c'estnotreplusgrosjob demannequin.Etrel'égéried'unecampagnedecréateurprestigieuxpeutsignifierunaccèsà lagloireetàlafortuneabsolues,commeKateMoss.Rienqued'ypenser,j'aidescrampesà l'estomac. «Ouais,j'imagine,lâché-je. —TuvasforcémentveniràNewYork,non?demande-t-elle.C'estvrai,nemedispasque jevaisdevoirresterencorelongtempsséparéedemamoitiédedoubleV? —Ehbien,VassarnesesituepasexactementenpleinManhattan»,dis-je.Poughkeepsie estàdeuxheuresaunorddeNewYork.Celadit,cen'estpasvraimentunevilleuniversitaire comme Chapel Hill - il paraît que les étudiants ne traînent pas trop à Poughkeepsie même, alorsçaserapeut-êtresympadeprendreuntrainpourNewYorkdetempsentemps. «Crois-moi,insiste-t-elle.Tun'aurasqu'uneenvie,tecasserdececampustouslesweekends. — Et j'imagine que tu seras à la gare de Grand Central pour m'accueillir et m'emmener danslesmeilleuresfetesdelaville? —Exactement!»s'exclameVeronica. Mon père jette un coup d'œil vers moi dans le rétroviseur, je me contente de lui tirer la langue pour bien lui montrer que je plaisante. Enfin presque. L'an dernier, Veronica et moi étions connues en ville sous le nom des « double V » - nos escapades en boîte faisaient sensationdanstouslesjournauxnew-yorkais.MaislorsqueVeronicaadûfaireunecurede désintox,cesmêmesjournauxquil'avaientencenséel'ontdescendueenflammes.J'imagine que c'est dans la nature de la presse, mais ça m'a servi d'avertissement. Je n'ai pas particulièrementenviederenoueraveclesfollessoiréesnew-yorkaisescetteannée. «Dis-moi,est-cequetuasvuleNewYorkPostd'aujourd'hui?demandeVeronica. —Jen'aimepasdutoutcettequestion. —Nestressepas.Laisse-moijustetelirequelquechose.» Veronicaselance,suruntonprofessoral: «"VioletteGreenfield,quiafaitsesdébutssurlespodiumsnew-yorkaisetinternationaux l'andernier,commencesapremièreannéeàVassarcettesemaine.Avecl'undesestalentsles plusprometteursoccupéàétudieràPoughkeepsie,l'agenceTrystModelsparviendra-t-elleà faireuntabacàlaFashionWeekdefévrier?Àsuivre." —Génial,dis-je.Çadoitêtrepourçaqu'Angelaaencoreessayédemejoindredeuxfois aujourd'hui. — Ne t'inquiète pas, Violette, dit Veronica, avant d'ajouter aussitôt : Promets-moi juste quetuviendrasàNewYorkpourlapromoMirabella. — D'accord », soupiré-je. Je sais que je serai obligée de faire au moins quelques apparitionsauxcôtésdeVeronicapourcettecampagne. Elleadûsentirmonexaspération,parcequ'ellechangecomplètementdesujet. « Alors raconte, c'était comment, à Chapel Hill? Tu as enfin avoué ton amour au jeune prodige?» LathéoriedeVeronica,c'estquejesuisamoureusedeDaviddepuisdesannéesmaisqueje refusedemel'avouer. «Nan,dis-jeenessayantdeprendreuntonnonchalant.J'aihâtederencontrerde,hum, nouvellespersonnes.» Jejetteuncoupd'oeilàmesparents,maisilsregardentdroitdevanteuxetécoutentNPR. « Tu veux parler de mecs hétéros ? demande Veronica en riant. Les statistiques sont contre toi. » Vassar compte plus de filles que de garçons, et beaucoup de garçons qui préfèrentlesgarçons,aussi,maisjerefusedemelaisserabattreparleschiffres. « Je jouerai de mon charme de top model, plaisanté-je. Ils me mangeront tous dans la main. —Jen'endoutepas,Greenfield»,ditVeronica. Lorsque nous raccrochons, ma mère se tourne vers moi et dit : « Je l'aime bien, cette VeronicaTrask.Commentva-t-elle?» Jeneracontepasgrand-choseàmesparents,maisj'aidûlaisseréchapperquej'avaisaidé Veronicaavecsesproblèmesdedroguel'andernier. « Elle va super bien, maintenant », dis-je, et je le pense. Mon ancienne rivale est véritablementdevenuel'unedemesmeilleuresamies. Nous arrivons à Vassar assez tard. Mon père s'occupe de récupérer ma clé auprès du gardien puis nous installons mes affaires dans ma chambre, ce qui nous prend une petite heure. Enfin, mes parents me serrent tous les deux très fort dans leurs bras et je me surprendsàavoirleslarmesauxyeux. Jesuisétrangementtristedeleurdireaurevoir.Pourtant,jelesaidéjàquittésl'andernier lorsque je suis partie vivre à New York et que je me suis installée dans un appartement en colocation avec d'autres mannequins, perspective nettement plus terrifiante que débarquer dans une résidence universitaire où je serai entourée de gens de mon âge tous prêts à sympathiseravecmoi.Mais,sijesuisauborddeslarmes,c'estpeut-êtreparcequelafacme faitpenseràcescampsdevacancesquejen'aijamaisaimés.Cesonttousdesgensdemon âge,certes,maiscesontdesgensquijugent,décidentsivousêtesassezcool,établissantainsi immédiatementvotrepositionsociale.Çapourraitbienêtreencoreplusperversquelamode. Je regarde mes parents s'éloigner dans le couloir extra-large de ma résidence, une boule danslagorge.Jeleurfaisunderniersignedelamainpuisregagnemachambre.Ils'agiten réalitéd'unesuitedansunerésidencequiportelenomde«Résidenceprincipale»quiest, commesonnoml'indique,lebâtimentleplusgrosetleplusimportantducampus.C'estcelui quiapparaîtsurlescartespostalesdeVassar,etilabritenonseulementdeschambres,mais aussi le service de la vie étudiante au rez-de-chaussée et tout un tas de bureaux administratifs, ainsi que le salon Rose, où l'on sert le thé les jours de semaine à 16 heures. Quandmamèreaapprissonexistence,elleaadoré,maisjenesuisfranchementpassûrede m'yrendresouvent. La suite est vaste ; le salon, équipé d'un canapé futon et d'une table, donne sur trois chambres.Personnenesembleêtreencorederetour,maislapiècecommuneestchichement décorée d'un calendrier du ciné-club de Vassar, d'un de ces vieux posters de la Seconde Guerre mondiale qui représentent « Rosie la Riveteuse » (merci au cours d'histoire américaine) et d'une grande plante vert-marron, quasi morte, dans un coin. Je suis tentée d'allerjeteruncoupd'œildanslesautreschambres,maislesportessontferméesetjecrains d'être surprise en train de fouiner, même si je suis là un jour en avance. Demain, tout le mondeseraderetourdesvacancesdeNoëlpourdebon.J'avaisjusteenvied'unenuittoute seulepourmefaireunepremièreidéeducampus. Enentrantdansmapetitechambre,jemedemandequivivaitlàausemestreprécédent.Il restedespunaisesaumuretquelquescintresenferdansl'armoiredéglinguée.Peut-êtreque cettepersonneaabandonnélafac,incapabledefairefaceàlachargedetravail.Ouilapuse produire un événement tragique dans sa famille, qui l'a obligée à repartir chez elle. Autre possibilité:mescolocatairessontdessupergarcesetellen'apaspulessupporter. LecoachdeJuliedésapprouveraitcarrémentcegenredepenséesnégatives. JedécidedepasseruncoupdefilàmatanteRita,àBrooklyn.Elleestunpeuspéciale-elle aunatelierdepoteriedanssacour-,maisellesaittoujourstrouverlesmots. «SalutRita,lancé-jelorsqu'elledécroche. —Violette!s'écrie-t-elle,l'airvéritablementheureused'avoirdemesnouvelles.Comment çava,mapuce? —Bien,dis-je,ensentantmagorgeseserrer.JesuisarrivéeàVassar,lesparentsviennent departiretjesuisunpeu...» Ellem'interromptavantquemavoixnesebrise. —...effrayée,angoissée?termine-t-elle. —Oui,dis-jeensouriant,malgrémaforteenviedepleurer. —C'estnormal»,dit-elleenprenantuntonpleindebonsens,l'airdedire«c'estlavie». Ellemeracontequelepremiersoiraprèsqu'elleeutquittésesparents,elles'étaitblottieau milieudescartonsetavaitpleuréjusqu'às'endormir. « Pathétique, non? lance-t-elle en riant d'elle-même. Mais finalement, habiter cet appartementaétélameilleuredécision,etaussilapluscourageuse,quej'aiprise.Tuvast'écla-teràlafac,Violette!» Jemesensbeaucoupmieuxaprèscecoupdefil.Etjetienstoutparticulièrementànepas passerlanuitàpleurer,rouléeenbouleentredeuxcartonsnondéballés:tropglauque. Jeposemavalisesurlelitultraétroit.Machambreabienunefenêtre,maiselledonnesur le couloir. Elle est en verre cathédrale, du genre qu'on met dans les salles de bains, pour qu'onnepuissepasvoirautravers,maispourqu'ellelaissepasserlalumière.J'auraispréféré une chambre avec vue sur l'extérieur, mais puisque je débarque un peu tard, je n'ai pas vraimentmonmotàdire.Jesorsdeuxpairesdechaussuresetcommenceàlesrangerdans monplacardlorsquej'entendslaportedelasuites'ouvrird'uncoup. «Jesuisderetour,bandedegarces!brailleunevoixstridentedevantmaporte.Quiveutun verre?! » Un garçon blond, grand et mince, apparaît sur le seuil. Il est vêtu d'un tee-shirt hypermoulantillustréd'uneallumetteau-dessusdelaquelleilestécritAllumeuse. «Oh!fait-ilavecunemoue.Quies-tu? — Je m'appelle, hum, Violette, bafouillé-je, avec l'impression de décevoir d'entrée la premièrepersonnequejecroiseàlafacenn'étantpascellequ'ilattendait,quellequ'ellesoit. —Salut,moic'estKurt.JechercheFanetJess,maisj'imaginequ'ellesnesontpasencore rentrées.Alorscommeça,turemplacesAmy?Tantmieux...entrenous,c'étaitunsacrécas. Ouah!T'essupergrande.Tujouesaubasket? —Ehnon,dis-jeenriant.Amyétaitvraimentfolle?» Nonseulementjeveuxdétournersonattentiondemataillemonstrueuse,maisenplusje seraisravied'êtremiseaucourantdetoutessortesderagots. «Ouais,répondKurtenentrantdansmachambrepours'installersurmonmatelasnu.Et pasdanslebonsensduterme.Fanetmoi,ondisaittoujoursquesamatièreprincipale,c'était la démence. D'ailleurs, si j'étais toi, je passerais toute la pièce au désinfectant, cintres compris. —Fan?demandé-je. —Oui,commeadmirateurouadmiratriced'unecélébrité, pareil, dit-il. C'est une de tes colocataires,unepunkphilippinebranchéeécologie.» Avantquej'aieletempsdeluidemandercequecelasignifie,exactement,Kurtjetteunœil dansmavaliseettendlebraspourattrapermesChristianLouboutindansleurpetitsacde protection. «Ooh,s'émerveille-t-il.Jepeux? — Hum, elles sont un peu... », commencé-je, mais je n'ai pas le temps de terminer que Kurtasortimestalonsdedouzecentimètresrougesàpaillettes.Ils'étrangleostensiblement. « Ouah, la vache, lâche-t-il en se mettant debout et en ôtant ses propres chaussures. Attends,t'esunestartoutdroitsortieduMagiciend’Ozouquoi? — Non », dis-je en piquant un fard. Pourquoi ai-je pris ces escarpins avec moi, de toute façon? Angela avait insisté pour que je les achète l'an dernier, pour une soirée, mais quelle idéej'aieuedelesglisserdansmavalisepourlafac?Jesuisàpeuprèssûredenejamaisles porterici.Etenplus,Kurtvametrouverbizarre. Bon, évidemment, il a tout de même ôté ses propres chaussures pour essayer mes escarpins Louboutin pointure 41, alors ce n'est sûrement pas moi la plus excentrique dans cettepièce.Iltitubeunpeu,serattrapeàmonépaulepourretrouverl'équilibre. « Oh ! mon Dieu, ça y est ! Je sais qui tu es ! » hurle-t-il en me dévisageant, les yeux plissés.Ilsedébarrassedestalonsetquittelachambrecommeuneflèche. Jerestesidérée,maisjen'aimêmepasletempsdemedemanderoùilestpasséqu'ilest déjàderetour.Avec,àlamain,lenumérodumagazineNylondel'étédernier. « Violette Greenfield, je présume. Page 82. Je ne t'ai pas reconnue tout de suite avec tes cheveuxtoutplatsetcestongsdébiles—enplus,tuascarrémentbesoindemaquillagepour faireressortirtesyeuxgris,maisquandtut'arranges,çaenjette!Ça,c'esttoi.» Je hoche la tête en jetant un coup d'oeil rapide vers la double page de Nylon que me montre Kurt, celle pour laquelle j'ai posé au printemps dernier avec fard à paupières violet charbonneux à souhait et petit haut transparent — on voit carrément mes tétons. Pas de chance,ilafalluquecesoitcenuméroqu'ilaitaveclui.EtpourquoipasceluideTeen Girl, totalementinnocent,oùjesuisencombipantalon,unparapluieàlamain,plutôt? «J'adore!couineKurtenlâchantsonmagazinepourseprécipiterànouveausurmavalise. Laisse-moit'aideràdéballertesaffaires,MissTopModel.J'aicommel'impressionqu'onva êtredesMAPTAJ,toietmoi. —DesMAPTAJ?répété-jeenhaussantunsourcil. —Benenfin...Meilleursamispourtoujoursàjamais!» Jesouris.JecroisqueRitan'apastort,pourlafac. 3. Lelendemainmatin,quandj'ouvrelesyeux,ilrègneunsilencesinistredanslarésidence. Monréveilindique9h16.Troptôt!Qu'est-cequiclochedansmonrythmedesommeil?J'ai discutéavecKurtjusqu'à2heuresdumat.Cetypeestgénial.Jesuisconscientequ'ilesten partie intéressé par mon côté mannequin, mais je crois aussi qu'on a le même sens de l'humour, lui et moi. En plus, il sait comment me faire sortir de ma coquille. Il est si incroyablement extraverti qu'en traînant en sa compagnie, je n'aurai peut-être même pas besoindecoquilledutout—ou,aumoins,jeneseraipasforcéedecacherautantmatimidité ici,etjepourraiêtremoi,maisenmieux,avecplusd'assurance.Aprèstout,personneneme connaîtencore. Jedécidedemettreunnouveaupostsurmonblogwww.myspace.com/violettegreenfield. Jemesuisconstituéunebasedefansl'andernier,etmaintenantjemesensenquelquesorte investiedelaresponsabilitédetenirmes«amis»aucourantdemavie-mieuxvautqueje m'adresseàeuxdirectementquedeleslaissers'interrogersurlesspéculationsduNew York Post. Enallumantmonordinateur,jeconstatequelesnouvellesdemandesd'amiss'étirentsur plusieurs pages. Tant que j'étais à la maison, j'arrivais à les approuver toutes, mais elles s'accumulentdenouveau.Jeprendsnotementalementdem'enoccuperbientôt.Puisjeme lance: Voilà,jesuisàlafac!Etquandjedis«àlafac»,c'estduconcret,puisquejemetrouve dansmachambredecitéuniversitaireàVassar.Jesuisvraimenttrès,trèscontented'êtreici, mais je me doute que certains d'entre vous se demandent si je vais continuer à être mannequincetteannée.Ehbien,j'aiparticipéàunegrandecampagnepourMirabellaPrince, quivasortirbientôt,j'espèrequ'ellevousplaira!Merciàtousceuxquisouhaitentêtremes amis-jeprometsdemettretoutçaàjourtrèsvite! Voilà qui devrait réjouir Veronica et Angela - j'ai mentionné la campagne, malgré mes sentiments mitigés à propos de son message pour un « corps sain ». Je me sens un peu hypocrite dans toute cette histoire - vous voyez le genre, la fille naturellement grande et maigrequiconseilleauxautresd'aimerleurcorpstelqu'ilest? Lorsquej'aicommencémonblog,jeparlaisdetrucspersonnels.J'aimêmeévoquéDavid, bien que je n'aie jamais précisé son nom. Je culpabilise un chouia que ce dernier post soit aussi chiant et général - mais j'ai des tas de gens qui demandent à être mes amis et lisent monblogmaintenant,alorsc'esttoutdemêmesuperpublic. Je referme mon ordinateur et me plante au milieu de la chambre pour avoir une vue d'ensemble. Kurt m'a aidée à sortir tous mes vêtements, et même à coller quelques photos surlemiroir-desclichésquiremontentaulycée,avecJulieetDavid,quelquesPolaroidde Veronicaetmoi...Maisilsembletoujoursmanquerquelquechose. Jetire"mavalisedesousmonlitetfouilledanslapetitepocheintérieure,d'oùjesorsun morceaudepapierjaunetoutfroissé-unpoèmequivientd'Espagne.Deuxverstoutsimples, écritsenespagnol:Nomasqueamigos;nomenosqueamorverdadero-«Pasplusquedes amis,pasmoinsqu'unvéritableamour».Davidl'aachetéàunvendeurderuedurantnotre séjour à Barcelone. Il l'avait sur son miroir dans sa chambre à l'université de New York et maintenant,jetiensàl'avoirsurlemien.Jelecoince,l'airderien,dansl'angleenbasàdroite pourmerappelerde...Jenesaispasquoi.Unmomentpasséencompagniedemonmeilleur amidansunpaysétrangeroùilrégnaitunetelleélectricitédansl'airquenousnoussommes mêmeembrassés.Àl'époque,jen'étaispasconscientedecequejeressentaispourlui,alors jemesuisenfuieenleplantantlà.Àl'époque,je.,. «Ouououf!»Alorsquejesuisàdeuxdoigtsdebasculerdanslaniaiserielapluscomplète, mes pensées sont interrompues par un bruit : quelqu'un semble fournir un effort considérable. Jemetsmeslunettesetjetteuncoupd'œilparlaporte.Jedécouvreunefilletoutemenue, avec des taches de rousseur, des cheveux bruns tout fins et un nez pointu, qui essaye de traînerunegigantesquevalisejusqu'àlachambredufond. «Jepeuxt'aider,peut-être?»demandé-je,enespérantquemabonnehumeurmatinaleme vaudra déjà une amie parmi mes colocataires. Bien sûr, je fais semblant. Je ne suis pas de bonnehumeurlematin. «Nonc'estbon,ditlafilleaunezpointuenseplaçantderrièrelevolumineuxbagagepour lepousserjusquedanssachambreens'appuyantdetoutsonpoids.Voilà!»Elleserelèveet s'essuielesmainssursonjean.«Moic'estJess. —Violette»,dis-je. Laportedenotreappartements'ouvred'uncoup,avantqueJessetmoiayonspuéchanger la moindre information supplémentaire. « JJ ! hurle Kurt en fonçant droit sur Jess pour la fairevirevolter.Oh!lala,tuasfaitlaconnaissancedetanouvellecoloctopmodel?Ellen'est passublime?Miam!Allonsnousmontrertouslestroissurlecampus-onprendlepetitdéjà ACDC?» ACDC est la cafétéria de Vassar. J'ai appris ça lors du marathon de « trucs à savoir sur Vassar»auquelm'asoumisKurthiersoir,enajoutantaupassagequ'ACDCapparaissaitdans lefilmLesMuppetsàManhattan.Quil'eûtcru? «Laisse-moijusteletempsdem'habiller»,dis-je,ravied'avoirdesgensavecquimanger dès le premier jour. Énorme victoire. Ce ne sera peut-être pas si terrible d'être la nouvelle, finalement. J'entredanslasalledebainspourmebrosserlesdentsettombesuruntypedeboutdevant lelavabo,uneservietteautourdeshanches.Soyonsplusprécise:jetombesuruntypeultra beauetmusclé,auxcheveuxblondshirsutesetgrandsyeuxbleus,àmoitiénu,deboutdevant lelavabo.Jebaisselesyeuxverslecarrelageblanccasséetmedirigeverslerobinetleplus éloigné,enmesentantrougir. Toutàcoupj'entendsunevoixdefille.«Josh!T'aspristoutel'eauchaude.»Unebrune mignonne avec des sourcils parfaitement dessinés sort de la douche, enveloppée dans une serviette. S'approchant du type sexy et hirsute, elle l'attire à elle pour l'embrasser sur la bouche. Ouah. Je savais que les salles de bains étaient mixtes, mais je n'imaginais pas que c'étaitàcepoint.Jesautel'étape«fildentaire»etquittelapièceàl'instantoùj'aifinideme brosserlesdents. « Qu'est-ce qu'il s'est passé? demande Kurt lorsque je regagne le couloir. Tu as l'air traumatisée. — Disons que les douches mixtes, c'est vraiment une nouveauté pour moi, dis-je, sans vouloirpasserpouruneprude,maistoutdemêmeunpeuscandalisée. — Beurk! » crie Kurt. Puis il tourne la tête en direction de la salle de bains. « Josh et Brianna,ilyadeshôtelspourça,merde!Vousfaitespeurauxpetitsnouveaux!»Ilplaquesa mainsursabouche,commes'iln'arrivaitpasàcroirequ'ilavaitvraimentditça.«Cequeje peuxêtreméchant»,murmure-t-il. Josh passe la tête dans l'entrebâillement de la porte de la salle de bains. « Va te faire foutre,Kurt!» Jesuismortifiée,maisleriredeKurtestcontagieux.«Allezviens,onvamanger!»lancet-il. Jess, Kurt et moi traversons une zone boisée de l'allée qui mène à ACDC. Le campus est aussibeauquedanslesfilms—devieuxbâtimentsauxmursenbriquecouvertsdelierre,des pelouses enneigées parfaitement immaculées, une immense bibliothèque de style gothique avecdesvitrauxpartout.Jecroisquec'estd'abordl'esthétiquequim'aplu.C'estmal?Jesuis sûre que les cours seront bien aussi. Il gèle ici, mais c'est tellement beau que je m'enfiche presque. «Alors,Kurtditquetuesmannequin?demandeJessenlevantlatêteversmoi. —Ouais»,dis-jelentement,enespérantquecen'estpastropbizarre.Mêmesiçal'estun peu.J'ensuisconsciente. « Attends, JJ ! Elle n'est pas juste mannequin, elle est top model chez Tryst et super célèbre ! » Kurt m'adresse un sourire radieux puis passe devant nous pour marcher à reculons dans la neige, comme un guide touristique. « Violette, il faut que tu saches que la plupartdesgensicisontdesintellostellementàl'ouestqu'ilsnetereconnaîtrontmêmepas etnet'accorderontjamaisl'attentionquetumérites.Sinon,ilsferontsemblantdenepaste connaîtreparcequ'ilssontjalouxetqu'ilsn'aimentpaslesuccès.JJfaitpartiedelapremière catégorie,elleestcomplètementlarguée. — Tais-toi ! s'écrie-t-elle en riant. Ce n'est pas parce que je ne réserve pas la télé pour regarderTopModelUSAquejeneconnaisrienàrien.»Ellesetourneversmoienlevantles yeuxauciel.«Quandjepensequejesupportecegenredeconneriesdelapartdutypequi jettetoutleNewYorkTimesdudimancheaprèsavoirlulesupplémentStyle. —FautbienquejemetienneaucourantdesdernièrestrouvaillesdeBillCunninghamet desannoncesdemariage,garce!crieKurt.Maintenant,arrêted'êtreaussiagressive.Tufais peuràViolette.Net'inquiètepas,V,toutlemondevat'adorer!» Je hausse les épaules et souris. « Je serai déjà contente si personne ne se moque de ma taille,dis-je. — Oh,mon Dieu, Violette,dit Kurt en meregardant avec desyeux exorbités. Tu penses trop lycée, là. Tu te rends compte, Jess ? Elle vient de nous déballer ses complexes de lycéenne! —Kurt,ilyaencoresixmoisnousétionstousaulycée,remarqueJess. — Je sais, mais on a tellement changé ! » s'écrie Kurt, en prenant de l'avance et en grimpantlesmarchesquimènentauréfectoire. JemetourneversJess.J'aivraimenteul'aird'unelycéenne?Cequejepeuxêtrenulle,à parler de mes complexes comme ça, direct. Comme si j'avais le syndrome Gilles de la Tourrettedescomplexes—jelesdéversepourlesexhiberauxyeuxdetous.Argh. «Net'enfaispas,ditJess.Kurtadoreexagérer.Maisilaraisonsurunpoint,Violette:le lycée,c'estfini.» 4. Mapremièresemaineàlafacs'estsuperbienpassée.Lecoursquejepréfèrepourl'instant, c'est « Introduction à la sociologie ». Il a pour thème l'impact des médias sur la jeunesse d'aujourd'hui. Du coup, on a l'impression que tous les étudiants discutent de l'effet de la culture populaire sur eux-mêmes. Les gens ici lèvent la main tout le temps, ils se battent presquepourprendrelaparole.Jessavaitraison—rienàvoiraveclelycée. Rienàvoirnonplusavecl'universdelamode.JessetFansontlescolocatairesidéales,au point que c'en est effrayant. Fan est une rockeuse punk de Baltimore au crâne rasé, à l'exception d'une touffe de cheveux décolorés en blond au milieu - elle est originaire des Philippines,maisvitauxEtats-Unisdepuisl'âgedecinqans.Ellesesenttrèsconcernéepar l'environnement — par exemple, elle utilise exclusivement des produits de beauté bio. La premièrefoisquejel'aivue,j'aieupeurqu'ellesoittropbranchéepourmoi,maisaprèsavoir prisquelquesrepasensacompagnie,etàforcedepartagerlemêmeespace,jemesuisrendu compte que c'était une fille adorable et intelligente. Elle n'est ni trop gentille (donc pas niaise),nitroprâleuse(donconn'apasbesoind'êtresanscessesursesgardes).Ilfautcroire quej'aicommencéparlepirel'andernierquandjevivaisàNewYorkavecVeronicaetSam. Entre Sam qui passait son temps à Miami pour des contrats et Veronica qui sniffait de la coke,mamiseàl'épreuveentantquecolocatairefutrude.J'adoreSametVeronica,cen'est paslaquestion,maisjedoisreconnaîtrequec'estagréabledevivreavecdesfillesnormales quinesontpasencompétitionavecmoi,niconstammententraindemejuger. Encejeudiaprès-midi,aprèsmoncoursd'anglais,jecroiseFanetJessquipartentcoller desaffichespourlaprotectiondel'environnementunpeupartoutsurlecampus. « En gros, ma première mission est d'essayer d'empêcher ces connasses qui boivent de l'eaudumatinausoirdejeterdixbouteillesparjour»,expliqueFan. Jelanceuncoupd'œilcoupableendirectiondelacollectiondebouteillesd'eauminérale quicommenceàs'amasserdansnotresalon. «Toi,aumoins,tulesremplisplusieursfois,ditFan.C'estunpremierpas.» Je pose mes affaires et décide de me joindre à elles. Toutes les trois, nous traversons le campus dans l'air vivifiant de l'hiver, en direction de la chapelle. Fan tient à ce que nous collionsuneaffichesurlaporteetquenousenlaissionsquelques-unessurlesbancs.«Toute personne qui a assez mauvaise conscience pour se rendre à l'église alors qu'elle est à la fac éprouveraforcémentunsentimentdeculpabilitéànepasprotégerlaplanète,déclare-t-elle. Oudumoins,elledevrait. —Violette,tuesdequellereligion?»medemandeJess,enlevantlatêteversmoi,tandis que nous suivons le trottoir. J'ai remarqué qu'elle a cette habitude de poser de grandes questionsavecl'airdenepasytoucher,maisçanemedérangepas. «Petite,j'allaisdansuneégliseméthodiste,maisçafaitunmomentquejen'yvaisplus,à part pour Noël et pour Pâques, avoué-je. Mes parents nous ont laissé le choix d'aller à la messe,monfrèreetmoi,àl'âgedetreizeans.Etonachoisideneplusyaller,disons. —Ahd'accord,ditJessd'unairpensif. —Ettoi?demandé-je. —Moijesuisjuive,etFanestagnostique. —Voilàquifaitdenotreappartunlieudediversitéreligieuse,remarqueFanensouriant. UnePhilippinelarguée,uneméthodistenonpratiquanteetuneJuive100%casher!» JemetourneversJess,quiéclatederireettendlebraspourtaperFanàl'aidedesontas deprospectus. Aprèsavoirpasséuneheureàcouvrirlecampusdemessagesenfaveurdelaresponsabilité environnementale,jenepeuxm'empêcherdedemanderàFansiutiliserautantdepapierest réellementenaccordavecsapolitiqueécolo. «C'estdupapierrecyclé,répond-elleenhaussantlesépaules.Allezviens,onvachercher labouffepourcesoir.» Jesouris. Tous lesjeudis soir, mescolocs et moi avonsnotre petit rituel: nous jouons à Quiperdboit,unjeuquinécessitedeuxdés,unpeudebluffetbeaucoupdebièreetdejunk food. C'est à l'opposé des soirées de beuverie entre mannequins à base de comptage de calories,oùtoutlemondecommandedesrhum-Cocalight,maispeut-êtreest-cepourcette raisonquej'aimeautantça. Aumomentoùnousentronschezletraiteur,Jesslance:«Fan,montreàViolettetafausse pièced'identité. —N'importequoi.Onn'enamêmepasbesoin,réplique-t-elle. —Ons'enfout!ditJessentirantavecagilitédelapochearrièredeFansonportefeuille enpatchworkmétallique. — Il est en papiers de bonbons recyclés », précise Fan, qui a remarqué mon regard admirateur. Jess brandit un permis de conduire, qu'elle agite sous mes yeux. J'attrape sa main pour l'immobiliseretyregarderdeplusprès. Jelisàhautevoix: «Jasper Wong, 52 Simsbury Road, West Granby, Connecticut... Mais c'est un mec de quaranteans!» Ravie,Jesssemetàglousser,tandisqueFanrécupèresonpermis. «Iln'enaquevingt-sept,rectifie-t-elleenrangeantlapièced'identitédeJasperdansson portefeuille. —Ilestchauve!ritJess. —Jetefaisremarquerqu'elleamarchédeuxfoispourmoi,répliqueFanensouriant. —Autrementdit,pourpeuquelapersonneàquitut'adressesnefassepasattention,ilest possibledeteconfondreavecunvieuxduConnecticut?demandé-je. —Faisgaffe,Greenfield!»avertitFan.Maiselleditçaenriant. «S'ilteplaît,promets-moiquetumelaisseraslascannerpourmonblog,dis-je. —Seulementsic'esttoiquirégalescesoir!» Jemesenstoutheureuse—c'estsympadesortiravecdenouvellesamiesavecquionne parle ni de poids, ni de shootings à venir. Ça me donne l'impression d'être normale. D'être danslavraievie. Ledimanche,jedorsjusqu'àmidietnem'aventureaurez-de-chausséequepourallerme chercher un bagel au Retreat, un snack-bar du campus qui se trouve carrément dans ma résidence.J'aidéjàbeaucoupdetravail.Jesuisallongéesurmonlit,entraind'essayerdeme concentrer sur un bouquin que je suis obligée de lire pour le cours d'anglais, lorsque j'entendsKurtdébarquerdanslecouloir.Onnepeutpaslerater,oùqu'onsetrouve.Kurtest toujoursentraindecrier,derireoudes'exclamerhyperfort.J'airemarquéqueçaenagace certainssurlecampus,maislaplupartdesgens-moiycompris-letrouventexceptionnel.Il estsûrementmonmeilleuramiici. « Violette Greenfield, la nouvelle égérie de Mirabella ! » Il fait irruption dans notre appartement,quin'estjamaisferméàclé,unexemplairedeVogueàlamain.«Jeviensdele recevoir,jesuisabonné!»hurle-t-il,horsd'haleine.Iladûvenirjusqu'iciencourantdepuis sa boîte aux lettres, située à côté des bureaux de la vie étudiante. « Ça doit faire trois jours déjàqu'ilestenkiosque!Violette!Pourquoitunem'asriendit?!» Et c'est très bizarre, parce que je ne sais pas trop pourquoi je n'ai pas parlé de cette gigantesquecampagneàmesnouveauxamis.Nipourquoijeneleuraipasracontéquej'avais défilé à Sao Paulo, Madrid, Paris, New York... Ni pourquoi je n'ai pas mentionné les appels quotidiensdemonagentquimedemandequandjepourraitravailler.Angelam'adésormais baptisée « Violette la Vilaine », ce qui indique, j'imagine, qu'elle est très en colère que je l'ignore en ce moment. Chaque fois que Kurt essaye de me poser des questions sur mon boulot de mannequin, je trouve le moyen de ramener le sujet à lui. (Comme il est assez égocentrique,cetrucmarcheplutôtbien.)Etenvérité,jerefouletoutecettepartiedemavie. Encemoment,jeneveuxplusêtreViolette,reinedespodiums-jeveuxmapropreexistence en tant que Violette Greenfield, fille normale. Je veux étudier la sociologie, lire de grandes œuvres littéraires, et même travailler un peu l'économie, puisque j'ai besoin de ce genre d'optionspourvalidermonannée.J'aienviedepasserdelonguesheuresenbibliothèque,de profiter des soirées étudiantes sur le campus et de parler à mes professeurs pendant les heuresoùilsreçoiventdansleurbureau.Jeveuxêtreunevéritableétudiante. Maisjedoisreconnaîtrequ'enagitantlenumérodeVogue sous mon nez, Kurt pique ma curiosité.«Laphotoestbien?demandé-je. —Tudélires?!Elleesthal-lu-ci-nante!»répond-il,ens'installantàcôtédemoisurlelit pourouvrirlemagazine. Je baisse les yeux vers la page. D'accord, la campagne est sublime. Mes cheveux sont coiffésàlaVeronicaLake,defaçonàcacherunœil.Jemerevoissurleshooting-cetennui irrépressible que j'éprouvais, cette envie de quitter Paris dans l'instant, le vide dans mon cœur.Maisd'unecertainefaçon-grâceàPhotoshoppeut-être?-,laphotographiefonctionne carrément.JesuisassisesurunechaiseenPlexiglas,jambesserréesauniveaudesgenoux, puisécartéesenunanglebizarreauniveaudestibias.J'ailesorteilsendedans,cequiajoute uncôtéenfantin,maismapostureau-dessusdelatailleestsolide,assurée.Cependant,cequi donnevéritablementdel'allureàl'ensemble,c'estmonexpression.Commentl'ennui,levide, ledésespoiront-ilspufairenaîtresurcettephotounetelleintensitésereine?Jeparaistoutà lafoiscourageuse,puissante,douceetvulnérable.Malgrémoi,jesensunsouriresedessiner surmeslèvres. Kurtpousseungrossoupir.«Oh,Dieumerci,tuaimes.J'aicruquetuallaistelancerdans un monologue de mannequin pathétique sur l'angle de la photo qui te fait de grosses chevilles. —Elleestjolie.Enfin,aveclemaquillage,lacoiffure,lalumièreetunbonphotographe, n'importequidevienthal-lu-ci-nant,commetudis. —Admettons,MissModestie,soupireKurtenlevantlesyeuxauciel.Jet'enprie.Tues magnifique.Jevoisdestasdemecsquitematenttoutelajournéesurlecampus.Mêmeceux qui devraient me mater moi te regardent d'abord. Quelle bande de pétasses, il n'y a que la modequicompte!»Ilpouffeetselève,mereprenantlemagazinedesmains. Ilcommenceàlireletextequiaccompagnelaphoto:«"Jesuisréelle.J'aimemoncorps parcequ'ilestsolide.J'aimemoncorpsparcequ'ilestsain.J'aimemoncorpsparcequ'ilest beau."C'estvraimenttoiquiasditça? —Argh,non!grimacé-jeenm'allongeantsurmonlit,latêtedansunoreillerpourétouffer ma voix. Mirabella tenait à ce que sa campagne véhicule un message en faveur d'un corps sain.C'estcommeçaquemonagentetelleontréussiàmefairesigner. — Oh, moi aussi je suis contre les corps sains, déclare Kurt en mettant la main sur la hanche. —Non,non!dis-jeenenlevantmonvisagedel'oreiller.Maisjenevoulaispasfaireune campagne dont le thème est "Aime ton corps" alors que j'ai été obligée de m'affamer pour pouvoirrentrerdanslataille34dushooting!» Je lui arrache le magazine des mains et examine à nouveau la publicité. Le texte est en caractères assez petits, mais mon nom y est bel et bien associé, et je repère un texte minuscule tout en bas qui dirige les gens vers le site web de Mirabella, où l’on trouvera apparemmentdesinformationssurunecampagneàproposd'uneimagepositiveducorps. «Quelleblague!m'écrié-jeendésignantcespetiteslignesàKurt.Ellem'aforcéeàperdre du poids avant de me sélectionner officiellement pour son défilé l'an dernier ! » Mon cœur batlachamade.JeregardeKurt.Ilestcomplètementcaptivé. « C'est vrai? demande-t-il, fasciné. Que s'est-il passé d'autre? J'ai lu quelque part que VeronicaTraskavaitdécrochécettecampagne. —Ellel'aeue,dis-jeenrefermantlemagazineetenmeforçantàmecalmer.Enfin,c'est moiquil'aieueenpremier.Etpuisonl'aeuetouteslesdeux.Sionveut.» J'explique à Kurt comment j'avais décroché le contrat, avant de décider de tout plaquer. Veronicaestvenueàlarescousseenconcoctantunplanquifaisaitd'elleunedeségériesdela campagne-nouslapartagerions.JesourisenmeremémorantavecquellefourberieVeronica avaitréussiàembobinerMirabella,aupointquecettedernièrecroyaitavoireuseulel'idéede cettecampagneàdoubletêted'affiche. « Oooh, Veronica Trask m'a tout l'air d'être un petit génie maléfique ! dit Kurt en se frottantlesmains,ravi. —C'estàpeuprèsça. —Quandest-cequejepeuxfairesaconnaissance?demande-t-il. —Oh,undecesquatre,peut-être»,dis-je,trèsvague,préférantsoudainmettreunterme àcetteconversation.C'estjustequejeneveuxplusrepenseràl'automnedernieretàtoutes les émotions par lesquelles je suis passée. Je me débattais avec mes propres problèmes de corps-àdix-huitans,mêmelesfilleslesplusmaigresconnaissentunralentissementdeleur métabolisme-toutenessayantdesavoirsij'avaisvraimentenviedecontinuerdanslemonde de la mode. J'avais fini par décider que non. C'est pour cette raison que je ne rappelle pas Angelacettesemaine.NiVeronica,d'ailleurs. « Au fait, Gregory Danner a raté le cours d'anglais la semaine dernière, dis-je à Kurt, consciente qu'en prononçant le nom du type pour lequel il a craqué je détournerai instantanémentsonattention. —Oooh,oùétait-ildonc?roucouleKurt,enoublianttotalementVeronica,lacampagne Mirabella et ma carrière de mannequin. Il est peut-être malade! Tu crois que je devrais lui apporterdubouillondepouleàLathrop?» Kurt harcèle Gregory depuis le premier trimestre. Un véritable feuilleton à rebondissements, à en croire Jess et Fan. Gregory vit dans Lathrop House, une résidence situéenonloindelanôtre. «C'estunebonneidée,dis-jeensouriant. —Tum'accompagnes?proposeKurt.Ceseramoinssuspectsitueslà.Ilfautjustequetu mepromettesdepartirs'ilm'enlèvemonpantalon.» J'éclatederireetmelèvepourglissermonbrassouslesien.«Biensûr.Detoutefaçon, unepausedansTristramShandynemeferapasdemal.Cetypeestobsédéparsonnez.» KurtlanceVoguesurmonlitetnoussortons.Jejetteuncoupd'œilinquietaumagazine, maistoutàcoupjemerendscomptequepersonnenem'areconnueentantquemannequin. J'ai bien eu droit à quelques commentaires sur ma taille, mais ici on se fiche de savoir qui défile où, et quelle fille fait un tabac cette saison. Nous sommes en pantalon de yoga et en sweat à capuche, sur un campus glacial, et nous essayons de terminer des dissertations longues, complexes et analytiques sur des philosophes ou des penseurs morts depuis longtemps.Personnenes'intéresseaumondefrivoledelamode,mepersuadé-je. Etenunclind'œil,jeredeviensuneétudiantenormale.Ouf. Lelendemain,encoursdesociologie,jeprendsconsciencequej'aisous-estimélaportéede la culture pop. Il se trouve que Vassar est en réalité extrêmement branché - et des tas d'étudiantsreçoiventVogue.Aupointquejecroisetroispersonnesaveclenumérodemars sous le bras au moment où j'entre dans la salle de cours. Je commence à avoir les mains moites. CeslectricesdeVogues'installentcôteàcôtedansuncoin,àl'avant.Lorsqueleprofesseur Kirbyarrive,aveccinqminutesderetard,l'uned'entreellesprendimmédiatementlaparole. «ProfesseurKirby,ilyaquelquechosedontj'aimeraisparlerencoursaujourd'hui»,ditelle.Elleselève,magazineàlamain.Jefixesesmocassinsmarronàtalonsépais.Elleporte descollantsenlainenoireetuneminirobeàcarreaux.Alorscommeça,cetteintellopursucre litVogue?Peut-êtredansuneoptiquedecritiqueculturelle. Etlà,elleouvrelenuméroàlapagequ'elleamarquée. «Jesuistombéesurcettepubhier»,commence-t-elle,ens'adressantmaintenantàtoute la classe. Mon pouls s'accélère. « C'est une campagne pour la collection de printemps de Mirabella Prince. Si elle ne paraît pas différente des autres publicités de mode que nous voyonsdenosjoursdanslesmagazines,celle-ciestparticulièrementinsidieuse.» J'ai remarqué que les gens ici adorent utiliser des mots comme « insidieux ». Ou « duplicité ». Sans parler de mon préféré entre tous, « machiavélique ». Oui, je sais ce que signifient tous ces mots, mais ce n'est pas pour autant que je vais les glisser dans mes conversations.Dansunedissertation,peut-être,maislesdireàvoixhaute?JesaisqueDavid grimaceraitavecmoi. Mais Miss Mocassins continue à placer ses mots estampillés « université » tout en expliquant que la publicité montre « un mannequin très maigre qui soutient un message particulièrement néfaste et hypocrite sur un corps en bonne santé ». Et tout à coup je me rendscomptequ'iln'yapersonneicipourgrimaceravecmoi.Jesuisseule—etattaquée. J'ailesyeuxrivéssurlasagefrangedecheveuxnoirsdeMissMocassins.Jeneveuxpasla regarder dans les yeux, mais je ne veux pas non plus détourner le regard. Je n'arrive pas à savoir si elle sait que c'est moi, sur cette publicité. Elle ne s'est pas encore adressée directementàmoi,etlaphotoesttellementglamourqu'ellecontrastepourlemoinsavecles doudounesoupolairesquejeportesurlecampus.Peut-êtrequepersonnenesait.Peut-être quepersonnen'estobligédesavoir. UntypeappeléOliverprofited'unepausedeMissMocassinspourintervenir.Ilestassisau fondetn'apasbeaucoupouvertlabouchedepuisledébutdusemestre,mais,pouruneraison oupouruneautre,ilestàfondsurcethème.«Jesuisd'accordpourdirequelajuxtaposition de ce mannequin très mince et d'une campagne en faveur d'un corps sain peut paraître étrange,toutd'abord,commence-t-il.Maisquisommes-nouspourdirequecemannequinn'a pasuncorpssain?Sataille34estpeut-êtrenaturelle?Certainespersonnesnaissentcomme ça. Comment pouvons-nous présumer qu'elle souffre d'un trouble de l'alimentation ou d'autreshabitudesmalsainessimplementparcequ'elleestmaigre?» Ilcommenceàmeplaire,cetOliver. «Cen'estpaslepropos!s'écrieuneautredeslectricesdeVogueenbrandissantsonpropre exemplairepourbieninsister.Peuimportequecettefillesoitnaturellementmaigreounon. Ce qui compte, c'est que les femmes vont voir cette image - qu'elles considèrent comme la norme de la beauté en ce moment - et ressentir le besoin de s'affamer pour lui ressembler. C'estcommesicettepubpourMirabelladisaitquenonseulementilfautêtreuntasd'ospour porter de la haute couture, mais qu'en plus, cela signifie être en bonne santé et aimer son corps,cequiestabsurde!» JesubisensuiteunediatribedelapartdeRachel,quiestassiseàcôtédemoi,puisunede Jordan,prèsdelafenêtre.Ondiraitquelesvingt-cinqpersonnesprésentesdanscettepièce ont toutes quelque chose à dire à propos de cette pub. La plupart estiment que c'est un messagenégatifqu'onenvoieainsiauxfemmes,maischacuntientàledireàsamanière,avec sespropresmots,tousestampillés«université».C'estunsupplice. Jegardelatêtehaute,lesyeuxfixéssurletableaublancdevantmoi.LeprofesseurKirby, assis sur le bord de son bureau, une étincelle dans le regard, laisse les étudiants mener le débat.Lorsquejem'autoriseenfinàjeteruncoupd'œilàlapendule,jeconstatequ'ilnereste plusquetroisminutesavantlafinducours,etlâcheunsoupirdesoulagement. C'est alors qu'Oliver, au fond, intervient à nouveau. «J'aimerais savoir ce qu'en pense Violette.» Jeretirecequej'aiditàproposdelui.Vingt-cinqpairesd'yeuxsebraquentsurmoi.Mon visage vire au rouge vif- mes joues me cuisent - et je bafouille : « C'est juste une photo de mode.» La pièce est silencieuse, tout le monde attend que j'en dise plus. Je vois les abonnées à Voguemurmurerentreellesetjemerendscomptequejemeleurraiscomplètement.Toutle mondesaitquec'estmoisurcettepub.Jecherchedel'aideauprèsduprofesseurKirby,qui meregarde,dansl'attented'uneexplication. J'aienviedemeroulerenbouleetdemelaissermourir. Finalement,aprèstrentesecondesquisemblentdurerdixans,leprofesseurKirbybrisele silence. « Bien, dit-il en frappant dans ses mains. Nous en avons terminé pour aujourd'hui, mesdemoiselles, messieurs. Très bon débat - ça m'a beaucoup plu que vous apportiez vousmêmelesujet,mademoiselleHarrison.»IladresseunhochementdetêteàMissMocassins. « On retrouve dans ce thème beaucoup d'idées que nous allons évoquer ce semestre. Que toutlemondeseprocureunexemplairedeVoguepourobserverdeplusprèscettepublicité. Nousyreviendronsprochainement.» Ilmesourit.Jeprendsmoncahieretmedirigeverslasortie.Iln'apasl'airdecomprendre que cette heure a été pour moi une souffrance atroce, une humiliation, un cauchemar. Il semble croire que ça doit être marrant, motivant et intéressant d'être au centre d'une discussion théoriquement « universitaire ». Du point de vue émotionnel, c'est un débile profond. Unefoisderetouràlarésidence,jenecherchemêmepasàsavoirsiFanetJesssontdans leur chambre. Je me laisse tomber sur mon lit et enfonce ma tête dans mon oreiller. Ce semestres'annoncenettementpluscompliqué,désormais. 5. Jesuistoujoursentraindem'apitoyersurmonsortlorsquemontéléphonesonne.L'écran affiche«V2»-Veronica.Jel'aizappéetoutelasemaine,parcequej'avaisenviedetrouver monrythmeàlafacavantdeluiparler,maisj'auraisbienbesoindesesconseils. «Salut,dis-jedansunreniflement,aumomentoùjedécroche. — Qu'est-ce qui ne va pas? Tu as déjà attrapé le rhume à cause de l'hiver trop rude de Poughkeepsie? —Durejournée,c'esttout. —Vas-y,balance»,ordonne-t-elle. JeravalemeslarmesetraconteàVeronicatoutcequis'estpasséensociologie. «Desacréscons,cesétudiants,décrète-t-elled'untoncassant.Ilssontjaloux. —Non,jenecroispasquecesoitleproblème. —Maisbiensûrquesi!affirme-t-elle.Ilsignorenttoutdelamode,ilsn'ontaucunpoint deréférencepoursavoircequ'estunebellephotographieetjesuisprêteàparierqu'iln'yena pasunquiaunstylecorrect.» JeglousseenrepensantàlatenuedeMissMocassins.Maiscommejeculpabilisedeporter unjugementsurelle,jemetais. «V,tuasvraimentenviedecontinuerlafac?demandeVeronicaavecsérieux.Jesaisque tune réponds pasaux coups defil d'Angela, ni auxmiens d'ailleurs. Elleme fait chier pour savoir si tu es dispo pour les castings, et avec cette campagne, tu risques d'avoir des tas de propositions.» Je lève les yeux sur une photo de Veronica, Sam et moi prise l'an dernier à Paris. Nous sommesdanslejardindumuséeRodin,devantunimmenserosieretunestatuecélèbre(ne medemandezpaslaquelle,jesuisnulleenart).Maissurtout:lelieuestmagnifique,ilfait beau, nous sommes sublimes. Être mannequin peut être très excitant, parfois, cela m'a permis de voyager, de voir des endroits incroyables et de rencontrer des gens du monde entier. Mais je me souviens aussi que j'ai passé la majeure partie de mon séjour à Paris enferméedansmachambred'hôtel,quejemenourrissaissipeuquej'aimanquém'évanouir danslemétroetqueVeronicaajouéungrandrôledanscecomportement. «Mannequin,c'estterminépourmoi,dis-je. —Ilmesembleavoirdéjàentenduçaquelquepart»,répliqueVeronica. C'est vrai, j'ai essayé de tout plaquer l'été dernier, avant qu'Angela m'appelle pour m'annoncerqueDonaPink,uncréateurquimonte,mevoulaitpoursondéfiléauBrésil. «Je veux étudier. Maintenant, je suis juste une fille comme les autres sur un campus. C'estagréable. —Unefillecommelesautres?railleVeronica.Benvoyons,V.Cache-toitantquetuveux sous ta doudoune, il me semble évident que tout le monde t'a remarquée. Tu es Violette Greenfield, la fille qui a secoué la Fashion Week parisienne. Tu as vraiment envie de redevenircettefillecomplexéedeCarolineduNord? —Non,répliqué-je,unpeuagacéemaintenant.Maisjen'aipasnonplusenvied'êtreune mauvietteincapablederésisterauxpressionsdumilieu,incapablededéfendresonpointde vue, comme cet automne à Paris. Je n'aurais jamais dû accepter de faire la campagne pour Mirabella,tulesaisbien. —Maistul'asfaitequandmême,ditVeronica.Etjesuissûrequetunevaspasrendreton cachet,vuquec'estsûrementcequipayelanotedeVassar.Alorsassume.Enplus,oùestle problème?Cen'estqu'unputaindeshooting! —C'estjustementcequej'airépondupourmadéfense,encours,dis-jeenriant. —Bienjoué!s'exclameVeronicaavecironie.Jesuiscertainequetoustesamislespetits géniesdel'exagérationontimmédiatementacceptécetteexplication. —Pasvraiment. —Laissetomber.Tiensbon,V.EtviensfaireuntouràNewYorkbientôt.Situpréfèresla jouerdiscrète,jeteprometsdenepasdireàAngelaquetueslà. —Peut-être,dis-je,peuconvaincue. —Ceseraitl'occasiondevoirDavid»,ajouteVeronicapourmetaquiner.Mesyeuxfilent immédiatementendirectiondumorceaudepapierjaunecolléàmonmiroir. «Onverra.»Enyréfléchissant,jen'aipascourslevendredi,alorsjepourraisdescendre pourunweek-enddetroisjours,sijevoulais.Çameferaitpeut-êtreunebonnecoupure. Après avoir raccroché, je me sens déjà un peu mieux. Veronica a une opinion tellement tranchéeàproposdumétierdemannequin!Elleprendcequ'elleveutetnes'excusederien. Parfois,j'aimeraisbienêtreaussiimpitoyable. Je me dirige vers la salle de bains pour me passer le visage sous l'eau et essayer de faire dégonflermesyeuxbouffisavantquequelqu'unmevoiedanscetétat.Ilestpresquel'heure dedîner. Cesoir-là,auréfectoire,jesuisàtableencompagniedeJess,FanetKurtquandcelui-cime dévisagesoudaind'unairsoupçonneux. «Tuasfaitlasieste,récemment?demande-t-il. —Oui. — Alors c'est ce qui explique les petites traces d'oreiller sur ton visage ? » Il trempe sa fourchette dans un pot de sauce puis l'enfonce dans un tas de laitue iceberg. C'est sa technique pour limiter la quantité de vinaigrette qu'il avale (et dire que je croyais avoir des complexes). «Oui,dis-je.Jevenaisjustedemeréveillerquandtuesvenunouschercherpourdîner. — Ecoute, Violette, intervient Fan en écartant d'un coup de tête sa mèche décolorée qui étaittombéedevantsesyeux.Ont'aentenduepleurer.» Jessacquiesce. Jesoupire. «Raconte-noustout,princesse,ditKurt.Quelestleproblème?» Jecommenceàleurexpliquerl'histoiredelapubMirabella,maisj'ail'impressionbizarre de me va¬ter. C'est vrai, comment suis-je censée raconter cette anecdote? L'an dernier, quand j'étais à Paris pour les défilés, j'ai été engagée pour cette grosse campagne de pub d'ailleurs,c'estcequipayemesfraisd'inscriptionàlafac,cequiexpliquequejen'aipasfait d'emprunt.Vousn'êtespasunpeujaloux?J'évitedeparlerargent,etdementionnerquoique cesoitd'unpeuglamour-jetrouvevraimentodieuxdemettreenavantcegenredechoses-, maisj'avouelagrossehypocrisiedel'andernier. Je parle non-stop, sans toucher à mes lasagnes. Je fixe mon regard sur le fond du réfectoire, vers les fenêtres, pour éviter de voir les yeux de mes nouveaux amis qui s'écarquillent.Jesuisconscientedeleurraconterunehistoireàlaquelleilsnes'attendaient pas. «Enfait,mêmesijem'étaisexpriméedanslapressepourdireauxfillesd'avoiruneimage positivedeleurcorpsetlesinciterànepassesoumettreauxpressionsdelamode,jemesuis affaméepourentrerdanslesbonnesgrâcesdeMirabella.Aprèsça,jel'aiautoriséeàseservir de moi comme d'un outil promotionnel. Elle a pu ainsi prétendre être dans la tendance du corpssain.Etmaintenant,voilàqu'onmelereproche.» Je leur raconte enfin comment la pub a servi de support visuel pendant le cours de sociologie.Etcommentjemesuisreferméecommeunehuîtresansmêmetrouverunmoyen demedéfendre. «Ouhlà!»s'exclameKurtquandj'aiterminé.Jesspousseunsoupiretbaisselesyeuxvers son croque-monsieur. Fan, elle, prend immédiatement la parole. « Mais maintenant, c'est fini,pourtoi,leboulotdemannequin,non?»dit-elleensepenchantpourboireunegorgée desoncinquièmesodadelajournée.Sonmini-frigoestremplideDrPepper.C'estdément. Je me tourne vers elle sans répondre pendant quelques secondes. Est-ce que c'est fini? Genrefini-fini?Genre«nonjenedéfileraiplusjamaissurunpodiumnineposeraipourun photographe»?«Oui,c'estfini.»Maphrasesonnecommeunmensonge,etj'aibienpeur quec'ensoitun. « Alors, tu es tranquille, conclut Fan. En cours de socio, tu peux dire que tu admets l'hypocrisie de la pub et que tu as mis un terme à ta carrière de mannequin juste après. Ils devraientrespecterça.» Kurtfaitclaquersalangue. «Vousn'êtespasd'accord,monsieurl'asdubruitage?demandeFan. —JenevoispaspourquoiVioletteleurdevraitcegenredechoses,dit-ilenmeregardant.A moins que tu aies envie de t'expliquer, bien sûr. Je crois que tu devrais dire au prof que tu apprécieslethèmedeladiscussionmaisquetuesmalàl’aised'enêtrelecentre.Attends,les gensdetaclasset'ontpriseentraître,là,çanesefaitcarrémentpas. —Ilaraison»,tranchaunevoixgravesurmadroite.Oliver,ducoursdesocio,estdebout àcôtédenotretable.«Salut,medit-il.Violette,çaadûêtresuperbizarrepourtoiencours aujourd'hui.Aufait,jem'appelleOliver. — Salut. » En général, les gens connaissent mon prénom avant que je sache le leur. Je suiscontented'êtresurunpiedd'égalitéavecOliver,pourunefois.Jemesuissouvenuedu sien parce que a) il n'est pas si commun, b) j'ai remarqué son excellente chronique dans MiscellanyNews,lejournalducampusdeVassar,quej'aiprislasemainedernièreaubureau delavieétudiante. «Jepeuxm'asseoir?»demande-t-ilenprenantunechaise,avantmêmequ'onaitletemps de répondre. Kurt émet un bruit réprobateur, mais Oliver l'ignore. Il me fixe droit dans les yeux. « Voilà, je sais que ça peut paraître étrange - et Kurt a raison, tu ne dois aucune explication à qui que ce soit à moins de tenir à en donner -, mais je me demandais si tu accepteraisd'écrireunarticlepourlejournalàproposdetonexpériencedel'andernier.Peutêtre histoire de nous donner un aperçu de l'intérieur de cette campagne à laquelle tu es associée?Jesaisquetaprésencesurlecampusfaitbeaucoupdebruit. —Quoi?dis-jeenregardantautourdelatable,mescolocatairesetKurt.Personnenem'a rienditsur... —Ilsjouentladésinvolture,m'interromptKurt.Jet'avaisprévenuequelesgensferaient ça.» Jejetteuncoupd'oeilàJess. «Nemeregardepas,dit-elle.J'ignoraistotalementquetuétaisunmannequincélèbre. —Moipas,reconnaîtFanavecunsourirepenaud.Mameilleureamie,chezmoi,t'adore, ellelittonblogsurMySpace.Maisjenevaispastedemanderdeparlerdetrucsdonttun'as pasenviedeparler.Etpuisjetrouveaussiquetuessupercommecoloc. —Tumeconnais,ditKurt.Jesuisunfanhystériquedepuislepremierjour,quandtu asdébarquéavectesLouboutinàpaillettes. —Tesquoi?demandeOliver,largué. — Les hétéros ne parlent pas couramment mode », me murmure Kurt, m'arrachant un sourire. JemetourneversOliver.Iln'estpassimal,avecsescheveuxblondscoupéstrèscourtet seschaleureuxyeuxmarron.Uneprofondefossettecreusesajouegauchequandilparleetje pariequ'onsesentbienàl'abrientresesbras.«Jepeuxterecontacterplustard?»demandéje.Jenesuispastoutàfaitsûredevouloirattirerplusd'attentionsurcettepub,maisjesuis flattéequ'Oliverm'aitproposéd'écrirequelquechose.Julie-rédactriceenchefdujournaldu lycée-auraitsautésurl'occasion. «Biensûr,répondOliverenselevantetenrepoussantsachaise.Tumedisçamercredien cours? —D'accord.» LorsqueOliverestparti,Kurthausseunsourcilinterrogateurdansmadirection. «Jenesaispas,dis-je,enréponseàsaquestionimplicite:As-tuvraimentenviedefaireça ?Çapourraitêtresympa.» Lemercredi,j'annonceàOliverquej'écriraiunpapierpourlarubrique«Opinions»,tout en le prévenant que le thème devra être le monde de la mode en général — pas moi, ni la campagneMirabella.J'aibeaucontinueràtenirmonblogsurMySpace,jenevaissûrement pas écrire un truc personnel qui sera non seulement imprimé, mais en plus archivé à la bibliothèquedeVassar.Horsdequestion.Ilaccepteàcontrecœurmaisnemelaissequ'une journéepourleterminercarilveutlepasserdanslenumérodevendredi. Jelaissetombermeslectures-lespartielsnecommencentpasavantunmoment,detoute façon - pour me concentrer sur mon article. J'explique que la pression de la société sur les mannequinsestpresqueaussinéfastequecelledesmannequinssurlasociété,quec'estun cercle vicieux que l'industrie de la mode et le public doivent briser ensemble, qu'on accuse beaucoup les créateurs et les mannequins, mais que c'est un problème culturel bien plus vaste.Jeconclusavecceparagraphe: Ce que je souhaite sincèrement, c'est que les femmes, dans toute leur gloire, avec leurs formesetleurstaillesaussidiversesquevariées,serendentcomptequechacuneestunique. Alorsquevoussoyezfaceàunappareilphotooudevantlemiroiràlamaison,nesoyezpas tropduresdansvoscritiques.Prenezsoindevotrecorps-etsoyezfièresd'aimercequ'ilest. JesigneVioletteGreenfieldetvérifiedeuxfoisl'orthographe.Puisjel'envoiepare-mailà Oliveravantdemedégonfler. Levendredimatin,Kurtdébarquedansnotreappartà10heures.Jedorsencore,maisKurt acoursd'histoiredel'art,lematin,alorsilesttoujoursdebouttôtcejour-là.Ilsurgitdansma chambreetmesecoue. «Violette!Regardecequ'onacematin!» J'entrouvrelesyeux. «Cen'estpasVogue,dit-ilenriant.C'estleMisc. LeMiscellanyNews.Monarticleestsorti. Jem'assiedssurmonlitetm'emparedujournal.Monpapierestannoncéàlaune,publié enpage4.J'ouvreetdécouvreunephotodemoiendéfiléàlaFashionWeekdel'andernierquelle plaie, ce style.com! Enfin, j'imagine que l'illustration est pertinente. Je parcours rapidement le texte et constate qu'Oliver n'a pas changé grand-chose et qu'il n'a rien coupé nonplus. «Tul'aslu?demandé-jeàKurtenrelevantlentementlatête. —G-É-N-I-A-L!épelle-t-il.Tueslanouvellestarducampus.Aubureaudelavieétudiante, tout le monde dit que ton papier est super. Sérieux. Tous ceux que j'ai croisés dans les couloirsavaientlejournalouvertenpage4.J'adore.» Fandébarqueàsontourdansmachambre,unautreexemplaireàlamain. «VioletteGreenfield,tuasl'étoffed'unegrandejournaliste,déclare-t-elle.Quandsortton prochainpapier?Tusais,celuiquivaparlerdeprotégerlaplanètedel'hydroxytoluènebutylé. » Fanm'avraimentouvertlesyeuxàproposdesproduitsécolos.Ellem'aenvoyéconsulter un site créé par et pour les jeunes, afin de promouvoir l'utilisation de cosmétiques écologiques, et m'a convaincue que porter exclusivement des produits verts était une forme deprisedeposition-sitoutefoisjecontinueàécrireouàposeretàdéfiler.Ellem'ad'ailleurs montrélesadorablesballerinesEarnestSewn,dontlafabricationrespectel'environnement, trouvées chez Barneys, apparemment très impliqué dans tout ce qui est développement durable. Je dois reconnaître qu'elles sont plutôt cool. J'ai même écrit un post sur MySpace pourdirequejerespectel'environnement,quejesoutienscemouvementàfond. «L'hydroquoi?demandeKurt.Fan,laisseViolettetranquille,unecausepartopmodel,ça suffitamplement. —Oh,jecroisquejepeuxenassumerquelques-unes»,dis-jeensouriant.C'estagréable d'entendreparlerdesoipourdesraisonspositives,alorspourquoimoncœurs'emballe-t-ilun peu?Jemeretrouveànouveausouslefeudesprojecteursetjenesuispastoutàfaitsûre d'enavoirenvie. 6. Sij'avaisl'impressionquepersonnesurlecampusnesavaitquej'étaistopmodel,aprèsle week-end, cette illusion est bel et bien anéantie. Je ne peux pas descendre au Retreat sans qu'onm'arrêtepourmedirecombienonaappréciélepapierdansMisc.Lorsd'unefêtedans larésidenceCushingHousesamedi,jemesuismêmeretrouvéecoincéeaubarparungroupe adorable de lesbiennes sympathisantes des mannequins. C'est un peu écrasant, mais mieux vaut être connue pour quelque chose de bien plutôt que de mal. Et moi qui n'ai pas oublié mes années d'invisibilité au lycée, je peux dire qu'être totalement ignorée n'a rien de très agréablenonplus. Kurtparaîtd'accordavecmoi,pensé-jeenlevoyantôtersachemiseetlafairetourneraudessusdesatête,façonhélicoptère,pourattirermonattentionàACDC.Jenesuispasencore arrivéeàlatablequ'ils'exclame:«Ehbien,jen'auraisjamaiscruavoirunjourleplaisirde dîneravecunjournalisteduNewYorkHerald!Dumoinspasavantd'avoirréussiàmetaper AndersonCooper*!» *PrésentateurvedettedeCNN Jeris.«Dequoiparles-tu?demandé-jeensecouantmabriquedejusd'orange. —Tun'aspasvu?!»Dansungrandmouvementthéâtral,Kurtsortunjournaldesonsac. Jelèvelesyeuxaucieletm'emparedesonexemplaire,pliéàlapage«Opinions».«Ils ont cité un passage de mon article! » m'étranglé-je. Je ne sais pas trop si je dois être surexcitée, en colère, fière ou gênée. Je scrute le réfectoire et repère Oliver, assis en compagniedesautresmembresdelarédactiondujournal.Jefoncedroitsurlui. Ilselèveavantquej'arriveàlatable.«SalutViolette,dit-il.Toutlemondeahâtedefaire taconnaissance.VoiciNicole,Joe,Nika,Kenn... —Salut!»J'interrompslalistedenomsd'Oliverparungrandgestedelamaindestinéà tous. Il a vraiment l'intention de me présenter aux quatorze personnes installées autour de sonénormetable?Commesijen'avaisqueçaàfaire!«Hum,Oliver,jepeuxteparler? — Bien sûr », me répond-il en souriant à ses amis. Je l'attrape par le bras et l'entraîne dansuncoindelasalleprèsd'unarbreenpot. «C'estquoi,ça?demandé-je,enluitendantleHerald.Etnemerépondspas"unjournal", tusaisbiencequejeveuxdire. — T'es pas super contente qu'un vrai quotidien ait repris ton papier? J'ai pensé que tu serais... —Maisjesuissupercontente!crié-jed'untonpleindecolère.Enfin,jenesuispassûre d'êtreravie,maispeuimporte.Maquestionestlasuivante:comments'est-ilretrouvélà?Je n'aidonnéd'autorisationàpersonne. —Ehbien,unrédacteurduHeraldt'aappeléeplusieursfoisceweek-end,maisiln'apas réussiàtejoindre,expliqueOliver.Alorsjeluiaiditqu'entantqueresponsableéditorialdu Misc,jepouvaisluidonnerlapermissiondelepublier. —Personnenem'aappelée...»,commencé-je.Maistoutàcoupjemesouviensdesappels manquésd'unnuméroen212—j'avaiscruqu'Angelaessayaitdemejoindred'uneautreligne téléphoniquechezTryst.Jebaisselesyeuxverslejournal.«Lepointdevued'untopmodel, parVioletteGreenfield.»Ilestsortiaujourd'hui. «Jesuisdésolé,ditOliver.J'aicruquetuseraisravie,honnêtement. — Non, ce n'est rien », dis-je, en me rendant compte que je devrais effectivement être hyperexcitéedevoirmonarticlepublié.JemedemandesiDavidl’avu,pensé-jeenregagnant matabled'unairdistrait,pourm'asseoiràcôtédeKurt. «C'estbien,non?demandecelui-ci,pleind'espoir,quandjem'assieds. —Jecroisqueoui.» Juliem'appellelesoirmême.Elleesthystérique,meditqu'elleestincroyablementfièrede moi, mais je perçois également des mégavibrations de jalousie. Le fait que j'ai été publiée dans un vrai journal la rend plus envieuse que n'importe laquelle de mes réussites en tant quemannequin.Lejournalisme,c'esttoutesavie.Elleestassistanterédactriceenchefpour lejournaluniversitairedeBrown,maintenant,maisellen'aencorerienécritpourlemonde extérieur.J'aidumalàcroirequejel'aicoifféeaupoteau. Davidnemecontactequelemercredi.Enfin,jen'aipascomptélesjours,maisdisonsqu'il est toujours hyper-réactif, alors je m'attendais à voir son nom sur mon téléphone à tout moment depuis que le mien est apparu dans le Herald. C'est « Time won't let me go » des Braveryquimesignalesonappel. « Salut », dis-je, un peu tremblante. D'ailleurs, ma voix l'est aussi au moment où je réponds.N'importequoi!Oh,çafaitlongtempsquejeneluiaipasparlé,alorsc'estpourça. Cen'estpasparcequejepourraisêtreamoureusedelui.Maisalorspasdutout. «Je m'en veux d'être en retard dans ma lecture du Herald ! crie-t-il. Tu manies les mots commeunedéesse.Tuesabsolumentgéniale,V.Jesuissincère. —Tucrois?»Jeminaude.«Nan... —Cen'estpasuneopinion,déclareDavid.C'estunfait.Alorsquandest-cequ'ontevoit dans l'émission Today ? Tu auras honte de moi si je brandis un poster J'aime Violette Greenfieldàmafenêtre?» Moncœurestenchutelibre.Ilplaisante? «Jeplaisante.»Ilrit. Oh.Jeramassemoncœurqu'ilvientdepiétiner. «Mais,sérieusement,est-cequetuviensbientôtàNewYork?demandeDavid. —Hum,jenesaispas»Bon,Veronicam'ainvitéeàunesoiréevendredi,alorspeut-être... — Ce ne serait pas la soirée "Vingt-cinq de moins de vingt-cinq" de Teen Fashionista ? demande David. Chloe joue l'hôtesse avec les autres journalistes. Je crois que Veronica fait partiedesvingt-cinqcetteannée,jetepariequec'estça.» Chloe?Super.«Maisbon,jenesuispassûredepouvoirmelibérer.J'aipleindeboulot et... —Jecroyaisquetun'avaispascourslevendredi?mecoupe-t-il. —Non,mais...,bafouillé-je. —N'endispasplus,mapuce!plaisanteDavid.Ontevoit,donc.Tusais,ilsm'ontaussi proposé d'être sur la liste des vingt-cinq, mais je me suis dit "Nan, laissons cette heure de gloireauxautresjeunesstarsdumoment". —Ha,ha»,dis-je.Maisjenepensaisqu'àunechose:Non,jenesuispastapuce.C'est Chloe.Etc'estquoice«Ontevoit»?LesDaChlosontun«on»maintenant? Lorsque nous raccrochons, j'ai en quelque sorte accepté d'aller à New York le week-end prochain.Merde. J'aiemportéunetonnedebouquinsdansletrainquim'emmènedePoughkeepsieàlagare de Grand Central, en espérant prendre un peu d'avance dans mes devoirs pendant les deux heuresdevoyage.Lesgensàlafacparlent-ilsencorede«devoirs»?Jenecroispas,mais c'est pourtant bien ce dont il s'agit. Bref, tandis que j'essaie de lire Tous rationnalisés ! La McDonaldisation de la société, mon esprit n'arrête pas de divaguer et de se perdre dans la contemplation de l'Hudson, dont je peux suivre le cours par la fenêtre. C'est vraiment un trajet magnifique. J'ai envoyé à David mes horaires de train, juste pour qu'il sache quand j'arrive.D'accord,j'espèreàmoitiéqu'ilmeretrouveraàGrandCentral,maisjesaisquec'est idiot.Ilestoccupé.Ila,genre,unevraievieàNewYork.Etunevraiepetiteamie. Je m'adosse au siège en vinyle bleu et bordeaux et prends mon iPod en me promettant mentalement que je m'accorde juste une courte pause dans mon travail. Je lance la lecture aléatoire et la première chanson est « I want it that way » des Backstreet Boys. Quand quelqu'un remarque la présence de Nick Carter et de ses copains sur mon iPod, j'explique toujoursquec'estuneblaguemaislavérité,c'estquej'adorecettechanson.C'estaussicelle queDavidetmoiavonschantédansletraindeMadridàBarcelonel'andernier.Justeavant qu'ilm'embrasse,lesoirmême.J'aidumalàcroirequec'étaitilyaquelquesmoisàpeine... Je pousse un profond soupir et m'enfonce un peu plus dans mon siège. C'est un peu le destin, si cette chanson est passée. C'est vrai, je suis dans un train - ce qui ne m'arrive pas tous les jours — et je pars retrouver David. C'est comme si l'iPod pouvait lire dans mes penséescequej'avaisenvied'entendre—ilsait. Finalement,jenelispasdutout.J'écoutedelamusiquependanttoutleresteduvoyage en me demandant pourquoi j'ai ignoré ce baiser l'an dernier. En ce moment précis, je me demandemêmesicen'estpasmonplusgrosregret.Biensûr,j'écoutelasériedechansons d'amour-«Bubbly»deColbieCaillat,«HatethatIloveyou»deRihannaetNe-Yo,etun classique, « London rain » de Heather Nova — que mon iPod m'a intelligemment sélectionnées.Ilmeconnaîttropbien. À Grand Central, j'attrape mon sac et descends du train. J'ai gravement abusé de la nostalgie pendant ce trajet. Mais en marchant sur le quai, je jurerais presque reconnaître cette silhouette qui se dessine de profil, adossée contre une des portes d'entrée de la gare. Sweatàcapuchebleumarine,lunettesàmonturenoire,livredepochetoutcornéàlamain. «David!»m'écrié-jeavecunpeutropd'enthousiasme,enlaissanttombermonsacpourle serrerdansmesbras.Ilouvrelessiens,petitsourireauxlèvres. «MademoiselleGreenfield,dit-ilenm'étreignant.Quoideneuf,lafilledeVassar? —L'expressionteplaît,apparemment,rétorqué-jeenriant. —Unjour,j'ailuunepièced'Hemingwayoùlepersonnageprincipalparlaitsanscessede la fille dont il était amoureux comme d'une "fille de Vassar". Et puis ça en jette, non ? Presqueautantquetopmodel. —Jenesavaismêmepasqu'Hemingwayavaitécritdespièces,idiot. —Oooh,tuneméritespeut-êtrepasencoretoutàfaittontitre,alors.»Ilsourit.«Allez, viens. —Onvaoù? —Chezmoi,ditDavid.Onvadéposertesaffairesàlarésidenceetpuissebaladerunpeu. C'est pour ça que tu m'as envoyé l'heure d'arrivée de ton train, non? Pour que je vienne te chercher? —C'étaitjustepourteteniraucourant,dis-jenonchalamment.Enfin,j'aipenséquesitu n'avaisrienàfaire... —Maisoui,c'estça,ajouteDavidenlevantlesyeuxauciel.Çava,jesaisquetuasbesoin detefairechouchouter.Etpuis,c'estmaville,ici,maintenant.» Commenousprogressonssouslelumineuxplafondbleudelagare,décorédessignesdu zodiaque, il écarte un coude pour que je glisse mon bras sous le sien. « En plus, je n'ai pas courslevendredi,jem'ennuieàmourir.» Jerisetpressesonbras-ouah.Ilafaitdelamuscuouquoi? Ànotrearrivéeàsarésidence,Davidsautillesursajambegauche,petitechorégraphiequi signaledepuisquenoussommespetitssonenviedefairepipi.«Fautquej'aillepisser!lancet-ilenquittantl'ascenseuràtoutevitesse. —Vas-y,fonce!»Ilprendtoutdemêmeletempsdeseretournerpourmelancerlacléde sachambre. «Troisièmeporteàgauche!»crie-t-ilencore. Enfait,jel'auraisretrouvéesansaucunproblème.J'étaislàilyaquelquesmois,lesoiroù jesuisrentréedeParis.Chloeaussi. Maispourl'instant,iln'yaqueDavidetmoi,merappelé-jeenouvrantlaporte.Dumoins pourquelquesheures. Celadit,unefoisàl'intérieur,jedécouvrequeChloeestbienplusenvahissantequejenele pensais.Ilyadesfleursfraîchessurlacommode-cen'estpaslegenredechosesqueDavid auraitposélàdelui-même—etjecompteneufphotos(neuf!)deDaChlo,plusdeuxdeChloe seule. L'une d'elles est visiblement l'œuvre d'un professionnel — sûrement pour la page de présentationdesmembresdelarédactiondeTeenFashionista,maisChloeesteffectivement pasmal.Oh,jecompteleurrerqui,là?Elleadejoliesbouclesblondespleinesderessort,des tachesderousseuradorables.Plusdesyeuxbleusetdepetiteslèvrestoutesrosesetparfaites. Qui est-ce que ça gêne qu'elle ne fasse pas une taille 34? Elle est jolie ! Je refuse juste de l'admettre. Lorsque David entre dans la chambre, j'ai un cadre de Chloe à la main. Je sursaute et le reposemaladroitement,lefaisanttomber.«Oups!»dis-je,enpiquantunfard.Davidsemble nerienremarquer.Ilapprochesimplementpourleremettred'aplomb. «N'est-cepasqu'elleestadorablesurcelle-ci?dit-ild'unairradieux. —Ouais,approuvé-je,enréprimantuneenviedevomir. —Ellesetrouvaitsurleplateaud'unshootingmodeunjour,etlephotographel'atrouvée tropjoliepournepaslaprendre»,dit-il,sansquitterdesyeuxlaphoto. L'apprécie-t-ilvraimentàcepoint-là? « Alors, lancé-je, en tapant dans mes mains pour mettre un terme à cet instant de vénération.Quelestleprogramme,aujourd'hui?» Nous allons d'abord déjeuner dans un restau végétarien que tout le monde adore, à en croireDavid.«Tuesvégétarienmaintenant?demandé-je,sourcillevé. — Chloe l'est, répond-il. Et je sais qu'on a toujours trouvé ça naze, mais elle n'est pas du genrepéniblequiimposesonchoixderestau. — Hum, et c'est donc pour cette raison que nous allons manger dans un établissement sansviandealorsqu'ellen'estmêmepaslà?insisté-jeenprenantmontonleplussarcastique. —Tais-toi!répliqueDavidenriant.Tuverras,c'estbon!» Etilaraison.C'estbon.Pourunrestauvégétarien. Ensuite, nous marchons jusqu'au café préféré de David. Il a prévu de m'emmener dans touslesendroitsqu'ilaimedanslequartierdel'universitédeNewYork.Notresouffleforme depetitsnuagesdansl'airfroid.Aucafé,laclientèleesttrèsbranchée.Jecommandeuncafé frappé,cequimevautunregardbizarredubarman.Davidintervient. « Hiver ou pas, elle commande toujours une boisson fraîche. Les boissons chaudes lui donnent l'impression d'être malade. C'est parce que sa mère lui a fait avaler trop de tisanes quandelleétaitpetite.» Je confirme d'un hochement de tête en souriant. Le type au bar ronchonne à l'idée de devoirmettredelaglacedansuncaféenhiver.Çam'arrivetoutletemps. Nousnousasseyonsàcôtéd'unegrandefenêtreavecnoscafésetregardonsdéfilerlesgens emmitouflésdansleursgrosmanteauxbienépais. «Tunetrouvespasçagénial,lesvraishivers?»demandeDavid. JerevoislapluieunpeuépaissequipassepourdelaneigeenCarolineduNord. « Si, c'est pas mal, dis-je en ôtant avec précaution le papier de ma paille. Mais ce sera encoremieuxsij'ail'occasiondefaireunbonhommedeneigecetteannée.»L'emballagede mapailleformeunparfaitpetitaccordéon.Daviddéposequelquesgouttesdecafédessus,ce qui le fait se tortiller comme un ver. Je ne peux pas m'en empêcher, je glousse comme si j'avaissixans. «JeconstatequeleverenpapierréjouittoujoursautantViolette»,dit-ilenmesouriant.Il alesjouesrosesàcausedufroid,cequidonneencoreunpeuplusd'éclatàsesprofondsyeux bleus.Jemesensrougir,maisjesaisquemesjouesaussisontrosiesparlefroid,alorsilne leremarquerasûrementpas—enfin,j'espère. Nouspassonsdelonguesheuresàdiscuterdanscecafé.Nousnousdemandonscomment estlelycéedeChapelHillsansnous(«Dépourvud'esprit»,déclareDavid),nousdébattons pour savoir si le type de chez Katie's a remarqué que nous ne venons plus lui acheter un bretzelauparmesanetunàlacannelledeuxfoisparsemaine(Davidestpersuadéquenous lui manquons) ; nous nous interrogeons brièvement sur notre serveur, pour décider s'il ne faudrait pas dire baristo au lieu de barista, puisque c'est un garçon ; enfin, nous nous inquiétons un peu pour le bien-être de Julie à Brown (« Tu crois qu'elle a le temps de se nourrirconvenablemententretoutessesactivitésetsonprogrammedecourscomplètement surchargé?»). Nousvenonsdeterminernotretroisièmetassequandarrivedanslecaféuntypevêtud'un tee-shirtàrayuresnoiresetblanches,unbéretsurlatête,quitransportesonpropretabouret debar.Davidledévisageavecméfiance.«Cetypemefaitfurieusementpenseràunmime, remarque-t-il. —Ouàunétudiantenécriturecréativevraimenttéméraire,dis-je. —Dansuncascommedansl'autre...,commenceDavid. —...nousferionsbiendenoustirerd'iciavantqu'ilcommence»,conclué-je,maisc'est déjàtroptard.Lemime-poètetapoteunmicro.J'imaginequeçafaitdeluitoutsaufunmime. «Bonjour.Jem'appelleJeffetj'aiunpoèmeàvouslirecesoir.» Lesautrespersonnesprésentessemblentluiréserverunbonaccueil.Ilsinterrompentleur conversationettournentleurchaiseverslui. Davidetmoiéchangeonsunregardpuisnousnouslevonsetfonçonsverslaportecomme un seul homme. Nous jaillissons dans la rue, en essayant d'attendre que les portes se refermentsurnousetdenousêtreunpeuéloignéspouréclaterderire. «Là,çaauraitétévraimentinsoutenable!s'écrieDavidens'étranglantderire. —Arrête.Al'instantoùlemecestentré,j'aiflairélasoiréemicroouvert.Jecroyaisque c'étaittoncafépréféré? — Je n'y vais jamais après 19 heures, dit David. J'ignorais complètement qu'ils organisaientcegenred'événementslesoir. — Il est plus de 19 heures? demandé-je en attrapant le poignet de David pour jeter un coupd'œilàlamontredélicieusementuséequeluiaoffertesongrand-pèrelorsqu'ilétaiten troisième.Onestenretard!» NousnousélançonstouslesdeuxverslarésidencedeDavid,etatteignonsl'ascenseurhors d'haleine,enriantencore. «Iltefautcombiendetempspourtepréparer?demandeDavid. —Troisminutes,dis-je.Jesuistropforteàcejeu-là. —Jechronomètre.Onétaitcensésyêtreilyaunquartd'heure. —Jetepariequej'iraiplusvitequetoi. —C'estcequ'onvavoir!»crie-t-il. A l'ouverture des portes de l'ascenseur, signalée par une petite sonnerie, nous nous précipitons jusqu'à sa chambre. Elle est ouverte et son colocataire est allongé sur le second lit. J'entre sur la pointe des pieds, mais David déclare à voix haute : « Il dort comme une souche.Jetejure,ajoute-t-ilenvoyantmonregarddubitatif.MêmequandChloeestlà,c'est commes'ilétaitmort.» Beurk.Mabulletemporaire-celleoùDavidetmoisommesseulsaumonde—explose. J'attrapemonsacetmedirigeverslasalledebainspourenfilerlarobenoiretblancDiane von Furstenberg très pratique à trimbaler - elle ne se froisse jamais. Mes talons de douze centimètressontparfaitspourcesoir-ilsajoutentunetouchedecouleuràmatenue.Kurt m'a fait jurer de porter les Louboutin, bien que je lui aie expliqué que je pouvais à peine marcheravec.«Ilfautsouffrirpourêtrebelle!»a-t-ildéclaréd'unairthéâtral.J'airépliqué qu'ilmefaisaitpenseràmonagent. Jeremontemescheveuxenunchignonchicetnégligé,soulignemeslèvresdemonrouge préféré et passe un coup de mascara bleuté sur mes cils. Fini. J'ai fière allure, mais je sens mes épaules s'affaisser lorsque je me contemple dans le miroir en pied de la salle de bains. Chloe,vingt-deuxans,passelanuitdanslarésidence.Immonde. Toutàcoup,laportes'ouvresurdeuxfilles,quientrentcommedestornades,enriant.A mavue,ellessefigent. «VioletteGreenfield?»ditlapremière.L'autreresteplantéelà,bouchebée.«Dansnotre résidence! —Euh,oui,dis-je,supermalàl'aise.Salut.»Jefaisunsigneidiotdelamain.«Jesuis justevenuerendrevisiteàquelqu'un. —Ooh!Rachel,tutesouviens?demandelasecondefilleàlapremière.C'estunecopine deSterno!» Sterno.CesurnomdefacdeDavidestridiculo. « Eh ouais, dis-je en essayant de les contourner car elles sont devant la porte. Sterno et moi,onétaitaulycéeensemble.Etonestenretardpour... —Tuviensàlasoiréebièreaprès?m'interromptcellequines'appellepasRachel.Toutle mondeseraithystériquesitudébarquais. —Hum,jenesaispassi...» Dieumerci,Davidpousselaportedelasalledebains.«Jecroyaisquetuavaisditquetu étaisrapide.Jesuisdéjà...»Ils'arrêteenvoyantRacheletpasRachel. «Mesdemoiselles,êtes-vousentraindeharcelermaplusvieilleetpluschèreamie? —Onl'ainvitéeàlafêtedecesoir!répondRachel.Faisensortequ'ellevienne,d'accord? »Apparemment,jesuisunesortedecloudelasoirée. «Onaprévuautrechose.Maisonverra.»Ilm'attrapeparlebrasetm'entraînehorsdela salledebains. « Coincée par des fans enragées ! dit-il tandis que nous nous dirigeons vers sa chambre. Désolé.Çadoitteparaîtrebizarrequandtucroisesdesgensquitereconnaissent! — Plutôt, oui. Mais ce n'est pas comme si j'étais Gisele Bündchen ou quelqu'un d'ultra célèbre.Çan'arrivepastrèssouvent.» Davidrestesilencieux,ilmeregarde.Puisillâcheunsoupiretsecoueunpeulatête.«Tu esvraimentjolie. —Merci.Toiaussi.» Nousnoussourionspendantunmoment—etcesouriremeparaîtlourddesens. «Exactementl'effetquejerecherchais,répond-ilenfin.Jolie. — Tu sais bien ce que je veux dire », soupiré-je, désolée que sa sincérité fugace se soit déjàenvolée.Maisilavraimentdel'allureavecsonblazernoiretsachemiseblanche. «Jesuismieuxqu'aubaldefind'année?demandeDavid. —Riennepourrajamaissurpasserlebaldefind'année»,dis-jeenmeremémorantnotre rendez-vous.Etc'étaitauprintempsdernier... «C'estChloequiachoisilaveste,expliqueDavidenécartantlereverspourmemontrerla doublure en soie bleue. Elle me l'a même fait retoucher chez un tailleur. D'après elle, les vêtementsparaissentpluscherss'ilssontbienajustés.» Chloe,Chloe,toujoursChloe!Jel'interrompsbrusquement:«Tufaisgayquandtuparles commeça!Allons-y.» 7. En arrivant au Marquee, David se place immédiatement dans la file réservée à la presse. Deuxfillesentièrementvêtuesdenoir,undecesmicrosserre-têtesurlecrâneetbloc-notesà la main, filtrent les entrées. Elles sont coiffées à l'identique, cheveux lissés en arrière et attachésenqueue-de-cheval,commecesfemmesdansleclipd'«Addictedtolove»quidate desannées80.Ellescochentdesnomssurunefeuille. «Chloenousamissurlaliste»,ditDavidensautillantsurlapointedespiedscommes'il étaittropfierdeChloeparcequ'elleestvraimentultraspéciale.Dèsqu'ilaledostourné,je lèvelesyeuxauciel.Danslaqueue,j'aperçoisdestasdefemmesavecaubrasdessacsàmain qu'on ne peut acheter qu'après inscription sur une liste d'attente, et qui portent des bijoux DavidYurman.Lesimplefaitquejereconnaissecesobjetsmefaitpeur.Jenesuispassûre d'avoirvraimentenvied'êtreici. Mais tout à coup, je reconnais autre chose - et je vois un moyen de faire plus fort que Chloe.«Charles?»crié-jeauvideuràlaporte.Ilmesourit.«Violette!Entredonc»,dit-ilen soulevant le cordon en velours pour nous laisser passer, David et moi. Mes exploits de l'an dernieraurontaumoinsserviàquelquechose.Bye-byel'entréedelapresse! « Classe », murmure David alors que nous entrons dans le club. Je souris, mais mon instantdegloireestdecourtedurée.Chloenoussautedessusetsonétreintevoracemanque defairebasculerDavidenarrière.Plusénervante,c'estpaspossible. Je détourne le regard pendant qu'ils se font des mamours et aperçois des flashs qui se déchaînent dans un coin. Un gigantesque logo Teen Fashionista sert de toile de fond, juste devant un petit tapis rouge autour duquel la presse est rassemblée pour photographier les starsdelasoirée. «Cesontles"vingt-cinqdemoinsdevingt-cinq",expliqueChloe.VeronicaTraskestsurle tapisrougeencemoment-toutlemondel'adore.» Je me fraye un chemin à travers la foule pour atteindre mon ancienne colocataire, et je m'étrangleenl'apercevant.Ellesemblecouverted'argentdelatêteauxpieds,sarobeladrape jusqu'ausol,avecunprofonddécolletéenVquidoitnécessiterunmaxdeScotchdoubleface sur les seins. Ses pommettes hyper hautes captent la lumière, ses cheveux brun foncé se balancent au rythme de ses mimiques, ses lèvres rose vif alternant sourire radieux, sexy et mouemutine.Cettefillesaityfaire. J'aisoudainl'impressiondenepasêtreassezbienhabillée. «V!»J'entendsl'exclamationjoyeusedeVeronicaquelquessecondesavantdesentirla chaleur des flashs sur moi. Elle m'attrape par le bras et m'aide à passer sous les cordes qui délimitentl'espaceréservéàlapresse,pourquejepuisselarejoindresurletapisrouge.Eh non,pasassezbienhabilléedutout,même.Nousposonsensemblemaindanslamain-les techniques apprises cette année me reviennent naturellement. J'opte instantanément pour l'angleflatteur:unehancheenretrait,coudesurlecôté,têtelégèrementenarrière. Auboutdequelquesminutes,jepresselamaindeVeronica. «Tuenasassez?mesouffle-t-ellesanssedépartirdesonsourire. —Oui»,murmuré-jeàmontour. Nousquittonsletapisrouge,cequinousvautquelquescrisdeprotestations,maisHayden Panettierrenoussuccède,etlesphotographesoublienttrèsvitenotreexistence. « Comment vas-tu? demande Veronica après que nous avons trouvé un recoin un peu sombre pour discuter. Alors, tu as finalement trouvé le temps de venir rendre visite à ton grandamour?»ElledésigneDavid,toujoursencompagniedeChloe.Ilsrient. «Ilestsongrandamouràelle,maintenant,dis-jed'unairvaincu. —Oh,jet'enprie,soupireVeronica.Elleesttropvieillepourlui,jamaisceflirtnepourra surpassertoutevotrehistoire.Enplus,tuescarrémentmieuxqu'elle. —Merci.Celadit,jemesensunpeucasualcesoir,jenepensaispasmeretrouverdansla presse. —Tuessublime,commetoujours,décrèteVeronica.Enplus,aveccestalons,tupourrais porterunsacàpatates,çaferaitencorefashion.» Jesouris.Kurtavaitraison. «Jesuiscontentedetevoir,Veronica.C'estjustequejenesuispasdansl'ambiance"photo call"encemoment. —V,maintenantquelacampagneestsortie,ondoitfaireleplusdepressepossible.»Elle al'airénervéecontremoi. «Tum'enveux?»demandé-je. Ellesoupire.«Non,jenet'enveuxpas»,répond-elle.Jesensvenirun«mais». «Simplement,onestensembledanscettepubMirabella,etc'estmoiquienportetoutle poids.Ondiraitquetuasdéjàpristaretraiteoujenesaisquoi.Lesgensn'arrêtentpasdeme demanderoùtues,situbosses... —Tun'asqu'àleurrépondrequejesuisàlafac.Lesgensnefontjamaisd'études,dansla mode? —Pastantqu'ilssontenpleineascension,rétorqueVeronica.C'estcommesitulaissais touttomberaumomentoùleschosescommençaientàêtrevraimentgénialespourtoi.» Jeconnaisdéjàcettephrase-jel'aientenduedanslabouched'Angela.«Écoute,cen'est paspourmoiencemoment. — Les double V! » J'entends un joyeux accent australien et pivote sur mes talons pour saluerSam,notreanciennecolocataire. « Venez qu'on s'embrasse, toutes les trois! » m'écrie-je, en espérant que Veronica changeradesujetmaintenantqueSamestlà.AvecSam,toutestplusléger. «TuesvenueàNewYorkspécialementpourlasoirée?medemandeSamensouriant. — Non, elle est venue pour un garçon », répond Veronica avant que j'aie le temps d'en placerune.EllefixeDavid.IlleremarqueetChloeetluisedirigentversnous. «Commentça?demandeSam.Cen'estpastonpoteDavid,dulycée? —Jet'expliqueraiaprès,murmuré-jetrèsvitetandisquelesDaChloapprochent. —SalutDavid»,lanceVeronicaavecunsourirequimerendnerveuse. Pitié,pourvuqu'ellenediseriend'embarrassant. «Veronica»,dit-ilenl'embrassantsurlajoue.Toutàfaitcequisefaitdansunefêtenewyorkaise.DepuisquandDavidmaîtrise-t-ilcegenredechose? « Salut les filles ! » s'exclame Chloe en se penchant pour faire la bise à Veronica puis à Sam. Avantquenousayonsletempsdenouslancerdansuneconversationgênée,j'entendsune voixautoritaireàl'autreboutdelasalle. « Chloe ! » crie une élégante femme aux cheveux gris à notre gauche, tendant le bras comme pour convoquer une servante. Elle porte une courte robe noire ornée de grosses rosettes à l'ourlet, et un gigantesque diamant scintille à son petit doigt. Elle dégage un chic fou. «Quiest-ce?chuchoté-je,nem'adressantàpersonneenparticulier. —MarilynFlynn,répondSamentresesdents.LarédactriceenchefdeTeenFashionista. — Et patronne de Chloe », précise David. Celle-ci s'est précipitée vers Marilyn Flynn et hocherapidementlatête.Jetendsl'oreillepourlesentendre. « Il y a un souci à la cabine du D-J, dit Marilyn Flynn. Je t'avais demandé de surveiller Valentina avec le Champagne. Elle essaye de prendre en main la musique. Les rédactrices beautésontvraimentextravagantes.Valachercher!» MarilynFlynncongédied'ungrandgesteChloequifilecommeuneflèchepourtenterde s'interposerentreleD-Jetlarédactrice. C'est alors que Marilyn Flynn pose les yeux sur nous. Elle s'immisce au sein de notre cercle.«Danny»,dit-elleenadressantàDavidunsalutdelatête.Luisecontentedesourire, sansrectifier.Puisils'éclipsesubtilement,commes'ilétaitconscientqu'iln'estpasdansson univers.Jeleregardegagnerlebar,enregrettantdenepouvoirmejoindreàlui. «Veronica,tueséblouissante,déclareMarilynFlynn. —Merci,Marilyn»,murmureVeronica.Elleestd'unepolitesse,quandelleveut.«Vous connaissezSam,biensûr. — Absolument, mon chou, répond Marilyn Flynn. Les maillots de bain, l'an dernier. » Samsourit.Ellehéritetoujoursdesshootingsmaillots,c'estpourcetteraisonqu'ellepassela moitiédesontempsenFloride.Jesaisqu'elleaimeraitbienfaired'autrestypesdephotos. «EtvoilàVioletteGreenfield,ditVeronicaenfaisantungestedansmadirection. —Bonsoir»,murmuré-je,sanstropsavoirsijedoistendrelamainoumepencherpour une bise ou quoi. On pourrait croire que je serais un peu au courant, à force. Mais Marilyn Flynnnebougepas.Àmonavis,ellen'estpasdugenretactile. «Evidemment,jeconnaisViolette,dit-elle.L'andernier,lorsdesonstage,Chloeafaitson portrait,unarticlecharmant.Jemouraisd'enviedevousrencontrer,machère. —Oh,merci.»Ils'ensuitunlongsilence. La façon dont Marilyn Flynn me regarde me rend nerveuse, je ne sais plus quoi faire de mes mains ni comment me tenir, du coup j'attrape un canapé au crabe sur le plateau d'un serveur qui passe à proximité. Mais maintenant que je me retrouve avec mon canapé surmonté de sauce blanche, j'en fais quoi? Je le mets donc dans ma bouche, en faisant un effort pour mâcher délicatement ce qui - vous le savez, si vous avez un jour essayé — est impossible.Mâchernesefaitpasdansladélicatesse.Pileaumomentoùj'ailabouchepleine decrabe,Marilynouvrelasienne. «Alors,Violette,ilparaîtquevousêtesàVassar?» Jetravailledelamâchoirevoracementpourvidermaboucheauplusvitetoutenopinant duchefetenessayantdesourire. «J'ai toujours adoré ce campus, poursuit-elle. Les arbres sont adorables, et puis cette architecture,magnifique!» Crabepresqueterminé.Continuedesourire.Mâche,mâche,mâche.Avale! «Votreemploidutempsest-iltrèschargé?demandeMarilynFlynn. — Je suis bien occupée, mais pas stressée, dis-je, en priant pour qu'aucun reste de nourriturenesoitcoincéentremesdentspendantquejeluiserslaréponsequemesparents semblentapprécier. —Elleestlibrelevendredi,préciseVeronicaensouriantàMarilynFlynn.Ellepeutfaire descastingscejour-là.» JetourneversVeronicadesyeuxinterrogateurs,ellemerépondparunclind'œil.Pourquoi faut-ilqu'elleselancedanscegenredetrucs? «Jepensaismoinsàuncastingqu'àunstage,enfait,répondMarilynFlynn. —ATeenFashionista?»demandé-je,bêtement.Non,àNewsweek,idiote! « Bien évidemment, répond Marilyn en affichant ses dents blanches. Un stage de journalisme.J'ailuvotrepapierdansleHerald.» Je me tourne vers le bar, où David, qui essaye de commander un verre, n'a pas bougé. J'auraistellementvouluqu'ilentendecetteconversation.Onm'apprécieintellectuellement! J'intéressequelqu'unpourautrechosequemonpoidsetmataille! « Dites oui, Violette, ronronne Marilyn Flynn. J'ai toujours rêvé d'avoir une stagiaire mannequin.» Moncœurseserre.Maisjusteunpeu.Mêmesiellemeveutparcequej'aidéfiléunjour surunpodium,elleaaussiremarquécequej'aiécrit.Jepourrailuiprouverquejeseraisun atout formidable pour Teen Fashionista. Et peut-être parler de l'image du corps - ou de l'importancequeprendencemomentlaprotectiondel'environnementdansl'industriedela modeetdelabeauté(Fanm'adoreraitsijefaisaisça). «Çameparaîtintéressant. — Fabuleux », déclare Marilyn Flynn. Sur ce, elle lève les bras et tape dans ses mains. « Chloe!»crie-t-elle. Chloe arrive en courant de la cabine du D-J, où le calme est revenu. « Oui, Marilyn? » demande-t-elle avec obséquiosité. A entendre David, on a l'impression que Chloe dirige le magazine,maismoi,méchante,jesuisbiencontentedelavoirdanscerôledesous-fifre. « Violette va commencer un stage à Teen Fashionista, annonce Marilyn Flynn. Tu t'occuperasd'elle.» Jemeretienspournepasleverlesyeuxauciel. «Génial!»s'exclameChloeenm'adressantunsourireidiot. Jen'arrivepasàsavoircequepensecettefille.Ellepeutdire«Génial!»parcequ'elleest comme ça, vraiment enthousiaste. Ou peut-être pense-t-elle : « Génial, je vais pouvoir me montrer super garce avec elle en plus de lui piquer son meilleur ami qui est en fait son véritableamour!» Je souris à Chloe, tandis que Marilyn s'excuse pour aller bavarder avec un autre groupe, sûrementplusimportant. «Onvas'amuser!»piailleChloeunefoisMarilynpartie. Jelâcheun«Ouais»plutôtfaiblardpuisattrapeVeronicaetSampourlesentraînervers lebar.«Excuse-nous»,dis-jeàChloe. Lorsquenoussommeshorsdeportéedevoix,jecommenceàgeindre:«Qu'est-cequeje viensdefaire?lâché-je. — Ma chérie, tu viens d'accepter un stage dans un super magazine, répond Sam. Et un stagedejournaliste,avecça.Autrementdit,ilsvontsûrementpubliercequetuécris! —MaistravaillersouslesordresdeChloe?!»JemetourneversVeronicaquicomprend le triangle David-Chloe-Moi infiniment mieux que Sam. A dire vrai, Sam n'est pas vraiment aucourant. « Violette, est-ce que je t'ai déjà raconté ce que m'a dit ma mère lorsque je suis partie à NewYorkcommencermacarrièredemannequin?demandeVeronica,lesyeuxbrillants. —Non»,dis-jeaveccuriosité.Jen'aijamaisentenduVeronicaévoquersamère. «Resteprochedetesamis,etencoreplusdetesennemis»,répond-elle. Jejetteuncoupd'œilversChloe,quiestblottiedansuncoinavecDavid. «Tamèreestunefemmetrèsintelligente»,conclué-je. 8. Levendredisuivant,jesuisdenouveauenroutepourNewYork—cettefoisj'aidûprendre le train de 7 h 26. Je suis tellement fatiguée que j'abandonne encore toute tentative de lecture. Je m'appuie contre la vitre et laisse mes paupières lourdes se fermer. Cette heure matinale devrait être exclusivement imposée aux personnes de plus de trente ans - ou aux gensavecdeschiens.Argh. J'aiappelémes parentspourleur parlerdemon stageà Teen Fashionista, et ils ont paru contentspourmoi,bienqu'ilsoitévidentqu'ilsnesavaientpasgrand-chosedecemagazine, en dehors du numéro posé sur la table du salon (dans lequel j'apparais). Jake a pris trente secondessursonemploidutempschargépourmedire«C'estcool.Félicitations»,puispour ajouter que l'équipe de basket « déchirait grave » cette année, ce qui m'a semblé être un momentdecomplicitéentrenous. MaiscesontmesamisdeVassarquisontvraimentàfond.Lorsquej'aiparlédemonstage àKurt,ils'estmisàhurler.«C'estcarrémentmonmagazinepréféréencemoment!s'est-il écrié.Enfin,monmagpréféréquin'estnidupornoniVogue.CommentestMarilynFlynn? Tuasrencontrédesrédactricesdemode?Jepeuxvenirvisiterlesbureaux?» J'ai été forcée de lui demander de se calmer, mais pour qu'il veuille bien cesser de me harceler, j'ai dû promettre de prendre en photo le fameux placard à chaussures. «J'en ai besoin pour ma page MySpace », a-t-il déclaré. Jess et Fan étaient ravies pour moi, elles aussi,jusqu'àcequ'ellesserendentcomptequejenepourraisplusfairelafêteavecellesle jeudisoircesemestre.Jesuisalléemecoucheràminuithieretpourtantjesuisépuisée.En réalité,commejen'arrivaispasàm'endormir,j'airejointmescolocsdanslesalon,oùnous avonsjouéauQuiperdboitjusqu'à2heuresdumat.C'estpeut-êtreaussicequiexpliquecet atrocemaldecrâne. EnarrivantàGrandCentral,jeprendsunAdvil,puisjemarchependantunbonmoment jusqu'aux portes vitrées de l'immeuble Bruton Publications, qui abrite les bureaux de Teen Fashionista, au quatorzième étage. Immédiatement, je suis comme submergée par les gens qui m'entourent. Des flopées de femmes en escarpins, robe légère hyperstylée et chemise haute couture sur mesure passent en trombe à côté de moi, glissent leur badge d'identification dans un lecteur situé près des gardiens et foncent jusqu'aux ascenseurs. Je reste dans le hall un instant, immobile, en me demandant si je n'aurais pas débarqué par accidentsousunchapiteaudelaFashionWeek,aulieud'unimmeubledebureaux. Monnomestsurlalistedesvisiteursautorisés,j'aidoncledroitdepénétrerdansleSaint des Saints et d'arpenter les couloirs de Bruton. Au quatorzième étage, je suis accueillie par uneréceptionnisteblondeéquipéed'unmicroserre-tête.«Jepeuxvousaider?»demande-tellesansleverlesyeuxdel'écrandesonordinateur.Elleauntrèsfortaccentnew-yorkaiset unetonnedefonddeteint,quineparvienttoutefoispasàmasquercomplètementlestaches derousseurquejelasoupçonnedevouloircacher. «Hum,jesuisVioletteGreenfield.Jedoiscommencerunstageici.» Ellelèvelatête,faitclaquersonchewing-gum.«Alorscommeça,c'estbienvous,dit-elle avecundemi-sourire.J'aivuvotrenomsurleregistrecematin,maisj'aicruquec'étaitune autreGreenfield.J'auraisdûmedouterqueMarilynfiniraitparfaireentrerunestagiairetop modelunjour. —Oh,jenesuispas...,commencé-je. —Nesoyezpastropmodesteici,monchou,dit-elleensepenchantenavant,commepour meparlerenconfidence.Fauttirerunmaxdeprofitdetoutcequipeutvousvaloirlerespect decettebandedegarces.» Jerisnerveusement.Elledécrochesontéléphone.«Chloe?Tanouvellestagiaireestlà.» Une heure plus tard, je suis assise par terre dans un placard rempli de produits. De produitsde beauté, pourêtre exacte. Ily a une étagèrepour les joues,deux pour les lèvres, quatrepourlesyeuxetdiversesautrescatégoriespourcequisembleregrouperlatotalitédu maquillage de la planète. Un rayon rassemble les produits de chez Sephora, et toute une section est réservée aux produits de marques comme Chanel et Dior. Mon boulot : déballer quelques-uns des nombreux sacs posés par terre et ranger les échantillons sur les étagères. Chloem'alaisséelàilyaenvironuneheure,aprèsm'avoirprésentéesansconvictionàune autre assistante de rédaction, à une journaliste et à Valentina, la rédactrice beauté qui s'est illustrée à la soirée la semaine dernière (et s'est empressée de me recruter pour cette première tâche). J'imagine que je me suis montrée un peu naïve quant à mes activités au magazineentantquestagiaire.Jepeuxoublierlejournalisme. Jen'enjureraispas,maisilmesembleavoirdétectéunpetitsouriresurleslèvresdeChloe lorsqu'ellem'acolléedansceplacardétouffant,entouréedecequisembleêtredesmilliersde sacs.«Prendstapause-déjeunerentremidiet13heures»,m'a-t-elledit.Ensuiteelleaajouté : « N'oublie pas de t'amuser ! » avec son ton guilleret singulièrement énervant, avant de refermerlaportesurmoi. Dire que l'été dernier seulement, j'étais entourée de tout un tas de sacs comme ceux-ci, dans un cadre totalement différent. Le jour de mon arrivée au Brésil, avant mes premiers défilés sur les podiums de Sao Paulo, j'ai été accueillie, à l'hôtel, par des cadeaux joliment emballés de papier de soie, dans leurs petits sachets. Mais cette fois, ce ne sont pas des cadeauxquimesontdestinés—ilssontpourTeenFashionista-etjenedéfileplus.Jesuis stagiaire.Aubasdel'échelle.C'estcequejevoulais...non? Au moment où je pose le douzième tube de mascara sur l'étagère, j'entends frapper à la porte.Valentinaentre,accompagnéed'unegrandefilleàl'alluredistinguée,nezretrousséet carré brun au brillant parfait. « Je te présente Alexia, dit Valentina. C'est notre stagiaire beauté,ellevaprendrelerelaisdansleplacard,maintenant. — Bonjour, je m'appelle Violette », dis-je en souriant à Alexia, bien qu'elle me terrifie complètement. J'applique juste la première règle de Veronica face aux personnes potentiellementdifficiles:nemontreaucunepeur. «Jesais»,lance-t-elleenmepassantdevantpours'approcherdessacs.Valentinafermela porteetnouslaissesansajouterunmot. «J'étaisjusteentraindemettrelemascaraiciet...,commencé-je. — C'estbon, je m'enoccupe, m'interrompt-elle avec unton qui, dansmon esprit, la fait passerdelacatégoriePotentiellementdifficileàPétasseofficielle. —Jevaist'aidersi...,essayé-jeencore. — Ecoute, le top model, peste-t-elle en me tournant le dos pour ranger à nouveau les produitsdontjem'étaisdéjàoccupée.Pourquoitun'iraispasvoirailleurss'ilsontbesoinde toi? Demande aux filles de la mode si elles n'auraient pas des chaussures à ranger ou je ne saisquoi.Labeauté,c'estàmoi.» Je fais un geste de frustration dans son dos. C'est quoi son problème, à cette fille ? Pourtant, s'il m'arrive de me montrer passive-agressive, je ne suis pas trop dans la confrontation.Jepréfèredoncquitterleplacardsansriendire. Je trouve le bureau de Chloe parmi le dédale d'espaces de travail, mais elle n'y est pas, alorsjetraîneàproximité.Jenesaisplustropoùmemettre,maintenantqu'onm'aprivéede mamission.ToutàcoupjevoisMarilynFlynndanslecouloir,quivientdansmadirection. Elleestsuiviepardeuxassistantes,bloc-notesàlamain,quiinscriventtoutcequ'elledébite àviveallure. «Etjeveuxdespivoines—plusqu'onn'enajamaiseu.Remplissez-moilapièces'illefaut, maisjeveuxdescentainesdefleurs.Onabesoin...» J'essayedemecacheràmoitiédansleboxdeChloe.Pasaupointqu'ellemecroieentrain d'envahirsonespaceprivéensonabsence,maisdefaçonàêtreinvisibledepuislecouloir.Je ne veux pas que Marilyn Flynn m'aperçoive. Pourtant, lorsque je l'entends s'interrompre au milieudesaphrase,jesaisquej'aiétérepérée. «Violette,machère,dit-elleentroquantsonrôledepatronneautoritairepourcelui,plus chaleureux,detataMarilyn.Commentsepassetapremièrejournée? —Oh,trèsbien.J'aiparticipéaurangementduplacardbeautéetlà,j'attendsque... —Leplacardbeauté?demande-t-elle.Quelestl'imbécilequit'aenferméelà-dedans? —Ehbien,Chloem'aditqueValentinaavaitbesoind'uncoupdemain... —Tudevraisêtreentraindetravaillersurdesarticles,pasdeclasserlesrougesàlèvres parordrealphabétique!rugitMarilyn.Chlo-eeee!»Seshurlementsrésonnentàtraverstout lebureauetj'entendsChloearriverencourantdepuislecouloir,toutessoufflée. «Oui,Marilyn?demande-t-elle,ens'arrêtantàcôtédesachef. —InstalleVioletteàunbureau,ordonneMarilyn.Donne-luiunidentifiant,uneadresse e-mail,etquejen'entendepasdirequ'elles'estretrouvéeàtravaillerdansleplacardbeauté. —Bien,Marilyn»,répondChloe. Lorsque le claquement des talons hauts des bottes de Marilyn disparaît, après qu'elle a regagnésonbureau,Chloesetourneversmoi. «Apparemment,tueslanouvellechouchoute»,remarque-t-elleensouriant. Je hausse les épaules innocemment. Pourquoi ai-je l'impression que cela ne va pas me valoirquedesamis? Unpeuplustarddanslajournée,monbureauestinstallé(justeàcôtédeceluideChloe), et je possède ma propre adresse e-mail. Je vois Alexia se pavaner, son carré brille sous les néons,maisellenemesaluepasaupassage.D'ailleurs,jecroismêmequ'ellepresselepasà proximitédemonbureau. Chloe me demande de travailler à un article sur les régimes - je suis censée faire des recherches sur les sodas et autres boissons sucrées, comme les frappuccinos, pour prouver qu'ilscontiennentlemêmenombredecaloriesqu'ungrosdessert.Donc,engros,jelance« calories, cannette de Coca » puis « calories, donuts » sur Google, pour faire des comparaisons. Ce n'est pas vraiment sorcier, mais c'est plutôt sympa de penser que mes recherchesserontutiliséesdansunarticledumagazine. J'essaye de rassembler toutes les données sur un document présentable avant de partir retrouverDavid,maisilest16heures,etmonespritdivaguedéjà.Chloedoitserendreàun événementpourlequelellen'aqu'uneinvitationpourunepersonne,alorsDavidm'aproposé d'alleraucinémaaveclui.Toutelajournée,jemesuisdemandésiChloeestaucourantque jevaisvoirDavidcesoir.Ellen'enapasparlé.C'estbizarre,siellenelesaitpas,non?Entout cas,j'aihâtedeleretrouver. Soudain, pour la première fois, mon téléphone sonne. « Teen Fashionista, dis-je, en imitantletonqu'emploieChloe. —VolatileViolette,soufflelavoixomniscienteauboutdufil. —SalutAngela.»Ilfautcroirequ'éviterlesappelsquasiautomatiquesdemonagentet nepasrépondreauxmessagesqu'elleaenvoyésviaMySpacen'ontpassuffiàladécourager. «J'imaginequetuesvraimentunefilledeVassar,maintenant»,ronronne-t-elle. Ellen'amêmepasl'airencolèrequejenel'aiepascontactéedepuismondépartdeParis ennovembre.Maisellenes'arrêtepaslà. «Jesuisunpeufâchéecontretoi,monchou.Pourquoinem'as-tupasditquetutravaillais à Teen Fashionista ? Pourquoi suis-je forcée de l'apprendre dans la rubrique "Stagiaires en vue"deWomen'sWearDaily?» Argh.L'existencemêmedecetterubrique-etlefaitquej'ysoismentionnée-memetmal àl'aise.Maisavantquej'aieletempsd'exprimermaconsternation,jeremarquequ'Angelan'a pasterminésonmonologue. « Ensuite, je suis forcée de te pister en passant par un genre de standard chez Bruton, comme quelqu'un qui n'a même pas le numéro direct d'une stagiaire. Quelle humiliation. Biensûr,j'aiditàtousceuxquim'ontposélaquestionquej'étaisàl'originedecestage,donc tenons-nous-enàcettehistoire,tuveuxbien? —Heu,d'accord»,dis-je,aveccetonmalassuréquej'aisouventlorsquejem'adresseà monagent.D'ailleurs,jenesuismêmepassûrequ'ellesoitencoremonagent,puisquejen'ai paseudecontratdemannequindepuisdesmois.Etquejen'aiaucuneintentiond'enavoirà nouveau. « Alors, quand est-ce qu'on peut te remettre au boulot? enchaîne-t-elle. Je pensais à quelquescastingspourlesdéfilésdecemois-ci,etensuite,onpourraitessayerdedécrocher une autre campagne d'envergure, aussi fabuleuse que la première. Tu sais, les pubs pour Mirabellafontpasmaldebruit.Toujoursaucœurdelacontroverse,n'est-cepas,Violette? —Commentça?demandé-je. —Ehbien,tonpapierdansleHerald,touslesblogueursquis'interrogentsurlesensdeta silhouettesvelteaccoléeàunmessagesurlethème"Aimetoncorps"...Jedoisrépondreàun tas de questions à ta place. Bien entendu, je te protégerai toujours de la vilaine machine médiatique.» C'estexactementcequejecraignaisquandj'aiquittélacampagne.Jelesavais.Unepub de mode qui m'utilise, moi, n'est pas vraiment indiquée pour un message en faveur d'une imagepositiveducorps.Jevoulaisjustefairequelquechosedebien,maisjecrainsqueçane sesoitretournécontremoi.J'aivraimentfaituneffortpourvivredéconnectéed'Internetetje nerépondsplussystématiquementautéléphone,alorsjenesaispastropcequ'onraconteen dehors de l'enceinte de Vassar. Mais au moment où j'ouvre sur mon écran une nouvelle fenêtre de mon navigateur et que je lance mon nom sur Google, je me sens mal. J'obtiens plus de deux cent mille entrées, et, d'après les dix premières, je constate qu'il ne s'agit pas seulementdefan-clubs.Jerepèreseptfoislemot«hypocrite». « Merci, dis-je à Angela, à qui je suis reconnaissante de jouer le chien de garde, ce que j'avaispourtanttoujourstrouvéénervant. —Pasdeproblème,machérie,roucoule-t-elle.Etsinon,pourcescastings?Tuesprêteà défiler? —Hum,onpeutenreparlerlasemaineprochaine?demandé-je,pasencoredécidéeàlui direnon,maisenfaisantdemonmieuxpournepasm'engager. — Je te recontacte lundi, Vexante Violette, dit-elle, d'un ton un peu menaçant. Je te rappellequetuestoujourssouscontratavecTryst.» Surce,elleraccroche,etjesoupire,latonalitédutéléphonerésonnantàmonoreille.Jene m'habitueraijamaisàsonmanquedepolitessedèsqu'ils'agitdedireaurevoir. Jefermelafenêtredunavigateur,nevoulantpaslireplusquelesrésumésd'unedouzaine demotsdespagescontenantmonnom.Sij'avaisbesoindepreuvesqu'ilétaittempspourmoi dequitterl'universdesmannequins,jecroisquejeviensdelestrouver.Alorspourquoiai-je étéincapablededirenonàAngela?Peut-êtreparcequ'ellemefaitpeur,peut-êtreparceque jenesaispascommentmedépêtrerd'untrucaussiofficielqu'uncontratavecTryst.Oupeutêtreparcequejenesaispasencorevraimentquijesuisoucequejevaisdevenirsijenesuis paslanouvelleétoilemontantedelamode.Maisj'aimeraisbienlesavoir. 9. En quittant le bureau de Teen Fashionista ce soir-là, je décide de m'arrêter au placard beauté pour souhaiter un bon week-end à Alexia. Peut-être que si je fais un effort, elle me fera moins peur. En approchant de la porte, j'entends une voix étouffée et des bribes de conversation.Jenesaisispastoutmaiscequejecomprendsmesuffit:«J'arrivepasàcroire qu'elleadéfilécetautomne...Campagneretouchée...jouesdehamster.»Alexiaestentrain de dire des tas de saloperies... sur moi. Je reste immobile devant la porte, partagée entre l'envie de faire une entrée fracassante et celle d'en savoir plus. Il y a un an, je serais partie sans demander mon reste, c'est certain, mais j'ai réussi à dominer cette partie de moi qui choisitlafixité.J'ouvrelaportetrèsvite,unsourirehypocriteplaquésurlevisage. «SalutAlexia!lancé-jegaiement.Jevoulaisjustetesouhaiteruntrèsbonweek-end!» Ellesetourneversmoi,portableàl'oreille,etmegratified'unsourirebeaucoup,beaucoup tropgrand.«Merci,Violette.»Puisellemecongédied'unsignedelamainetmeclaquela porteaunez. Je traverse le couloir jusqu'aux ascenseurs. Peut-être qu'elle ne parlait pas de moi, après tout. Peut-être qu'une fille venue pour un shooting beauté avait de grosses joues. Peut-être qu'elleneparlaitpasdelacampagneMirabella. Maisàpeinearrivéedanslehall,jesensmesépauless'affaisser.Jemedemandesiunjour, je parviendrai à trouver ma place quelque part de façon naturelle. Je suis à deux doigts d'appelerDavidpourannulernotresortieauciné,maisjemerendscomptetoutàcoupqu'il n'y a rien dont j'ai plus envie qu'être assise à côté de mon meilleur ami dans une salle obscure.C'estunendroitoùjemesensensécurité.Enplus,j'aitrèsenviedepop-corn. LorsquejerejoinsDavid,iladéjàprislesbillets.Commeilesttrèstatillonpourlechoix desplaces,jeluiproposedes'encharger,pendantquejevaisnouscommanderuneformulen ° 3 - grand pop-corn, deux sodas moyens et un paquet de Twizzlers, ces bonbons-tubes que nous utilisons en guise de paille. Chaque fois que je vais au cinéma, j'éprouve cet étrange sentimentdesolidaritéaveclesemployés.J'imaginequec'estparcequej'aitravaillédeuxans auPalaceàChapelHill.Laclienteàcôtédemoiseplaintduprixd'unegrandeboisson-etje la comprends, c'est carrément trop cher — mais je sais aussi que, lorsqu'on se trouve de l'autrecôtédelacaisse,engiletetnœudpapillon,onentendcettecomplaintevingtfoispar jour et que, pourtant, on n'y peut absolument rien. Je souris à la fille derrière le comptoir, pourluimontrerquejecompatis,quemoiaussij'aidûgérercegenredepersonnes. Jem'assiedsàcôtédeDavidetlefélicitesurlechoixdesfauteuils,idéal.Ilnousagardé deux sièges au deuxième rang, derrière l'espace réservé aux fauteuils roulants, ce qui laisse plein de place pour étendre les jambes, j'apprécie. Je commence par ouvrir le paquet de Twizzlersetgrignotelesdeuxextrémitésdel'undestubes. «Lapaillebonbon»,remarqueDavid.C'estluiquim'amontrécetrucenCE2. «Hmm...»,murmuré-je,enaspirantdéjàmonPepsilight. Leslumièresbaissentunpeu,etlesbandes-annoncescommencent.Cequej'adore,quand je vais au cinéma avec David, c'est qu'on n'a même pas besoin de parler. Avec certaines personnes,ilfautdonnersonavisàchaquenouveaufilmprésenté:«Oh,çaal'airbien»ou «Jecroisquejevaism'abstenir».Maisquandc'estDavidetmoi,chacunconnaîtl'opinionde l'autre sur les films à venir, et puis on préfère regarder et se perdre dans l'écran. Nous partageonsunesorted'harmoniesilencieuse.Maistoutàcoup,illarompt. «Au fait, chuchote-t-il après la première bande-annonce, merci d'avoir accepté de sortir avecmoicesoir. — Quand tu veux », dis-je en lui souriant dans l'obscurité. Puis je m'enfonce dans mon fauteuil,heureusedenepasavoirannulé. Après le film, nous allons dans un café juste au coin de la rue. J'ai promis à Kurt que je repartiraipourlecampuscesoir—ilaunethéorieselonlaquelleplusjepassedetempsen dehorsdeVassar,plusmaviesocialeétudianteseréduit.Jevoiscequ'ilveutdire,maisj'ai justeenvied'uneheuresupplémentaireavecDavid. « Tu m'as l'air un peu déprimée, me dit-il, tandis que nous nous installons près d'une fenêtre. —C'estpasfaux. —C'estdurdebosseraumagazineaveclafacenplusettout?demande-t-il. —Non,cen'estpasça.»Jecroiselesjambesetregardeparlafenêtre,enmedemandant quoiraconteràDavid.Jesaisqu'iln'aimepasquejeluiparledemonboulotdemannequin. J'ail'impressionqu'ilpréféreraitignorercettepartiedemavie. « Angela m'a appelée aujourd'hui », dis-je, en décidant de me lancer. Quand j'évite de parler de quelque chose à David, c'est presque comme si cela n'existait pas. « Elle m'a demandéquandjepouvaismeremettreauboulot. — Mais je croyais que tu avais tout arrêté. » Je perçois une pointe de critique dans son ton. « C'est vrai. Mais je ne peux pas lui balancer ça comme ça. Je suis sous contrat, enfin je crois. —Tucrois?s'étonneDavid.Violette,c'estundétailquetudevraisconnaître. — Je sais, mais ça paraissait tellement compliqué, confié-je en me revoyant signer les papiers l'été dernier pour prolonger ma collaboration avec Tryst. Ma mère s'est occupée de tout. —Ehbienàtaplace,jeluipasseraisuncoupdefilpourconnaîtrelestermesexactsdu contrat », dit David en secouant la tête comme si cette conversation lui paraissait hallucinante. Maisjemerendscomptequecen'estmêmepascedontj'aienviedeparler.Jen'aiaucun besoinderemâcherlesdétailsdemoncontratavecDavid.Jebaisselesyeuxversmesongles etcommenceàtriturerlespetitespeauxautourdemonpouce. «Aujourd'hui,auboulot,j'aientenduquelqu'undirequej'étaisgrosse. —Quoi?!s'exclameDavidenlevantlesyeuxauciel.Visiblement,c'estuneblague.Tues toutsaufgrosse. — Elle ne plaisantait pas. Elle a dit que j'avais des joues de hamster et qu'elle n'arrivait pasàcroirequej'aiepudéfileràl'automnedernier. —Sérieusement,onestobligésdegaspillernotresalivepourévoquerlescommentaires decettefille?demandeDavid.Elleestjalouse,c'esttout. —Peut-être»,dis-jeenyréfléchissant.MarilynFlynnm'aattribuédestâchesbienplus intéressantesquecellesd'Alexia.«Maisj'aiprisdupoidscetteannéeet... — Je suis désolé, m'interrompt David. Je refuse d'écouter un nouveau délire de mannequincomplexé.Onpeutchangerdesujet? —Qu'est-cequetuentendsparlà? —J'enaiassez,Violette.C'estbizarredet'entendreparlerdetonpoidscommeça.Toiqui estoutemince,teplaindredekilosentrop,c'estcomplètementridicule. —Tunecomprendspas,dis-jeenmelevant. —Jenecomprendspasquoi?»réplique-t-il,perplexe. Letruc,c'estquejenesuisjamaisàmaplacenullepart.Niaulycée,nidanslamode,ni dans ce nouveau stage. C'est comme si j'étais un aimant à garces et je commence à me demandersicen'estpasmoileproblème. Maisjenedisriendetoutça.JefixeDavid,sansunmot.Illèvelesyeuxauciel,setourne verslafenêtre. «C'estquoi,leproblème,Violette?demande-t-il,exaspéré. —Laissetomber»,soupiré-je,enprenantmonsac.Jequittelecaféetparsendirection dumétro.Jeconnaisaumoinsunendroitoùjecommenceàmesentiràmaplace.Jerentreà Vassar. À l'instant où je pose le pied sur le campus, c'est comme si on enlevait un poids de mes épaules. J'ai pris un taxi depuis la gare jusqu'à ma résidence, où est organisée une mégasoirée.Jemefraieunpassageàtraversunefouledegensensoutien-gorgeetaucorps couvertdepaillettes,àlarecherchedeKurt,FanetJess,installésprèsdusaladierdepunch vertvif. «Violette!!hurleKurt,dontlecriattirebeaucouptropl'attention.Maisqu'est-cequetuas surledos?!»Ilmeprendparlebrasetm'entraînedansl'escalier. «Kurt!protesté-je. — Mon chou, il faut que tu oublies ces vêtements, c'est bon pour le boulot, dit-il en secouant la tête. Ce n'est pas une tenue pour un top model dans une soirée étudiante qui réunittoutlecampus.» LorsquenousretrouvonsFanetJess,quin'ontpasbougédeleurperchoiràcôtédupunch, je porte une minirobe cousue de paillettes dorées et argentées que Sam m'a fait acheter à Parisil y aun an. Elleest sublime, je doisbien le reconnaître,mais j'ai l'impression qu'elle attiretroplesregards. « Dites, les filles, ça ne fait pas trop "je suis mannequin et je l'ai achetée à Paris l'année dernière"?demandé-jeàFanetJess. —Oh,jet'enprie,Violette!crieKurtpar-dessuslespulsationsdelamusiquehouse.C'est exactementcequ'ilfautquetucommuniques.Montrecequetuas,MissDiva!» Je ris et plonge mon gobelet dans le saladier de punch. Je me rends compte que Kurt a vraimentletrucpourm'aideràassumer. De retour à l'appartement pour notre after perso, nous nous réunissons autour de l'ordinateurdeJess,pourregarderunevidéoqueKurtveutnousmontrersurYoutube.Des typesquichantentleurvénérationpourWillFerrell.Nouslaregardonstroisfoisdesuiteet, quandjerefermefinalementlenavigateur,Kurtestencoreentraindefredonnerlachanson. «Oh,Violette,jet'aimisecommeamiesurMySpace,ditFan. —Cool.»Çafaitunmomentquejen'aipasregardémapage.J'aiunpeupeurd'yallercar les gens laissent parfois des commentaires insultants ou alors la presse vient y piocher certainsdemespostspours'enservirdansdesblogsderagots.Maisjedécided'ouvrirquand mêmemapagepouraccepterl'invitationdeFan.C'estdébiled'êtreeffrayéeparunsiteweb. Fan,JessetKurtselancentdansunepartiedeQuiperdboitaveclabièrelightquireste dansnotreminifrigo,maisjen'yparticipepas.Jesuisabsorbéeparlescommentairesetles messagessurmapageMySpace.Enfait,untasdegensm'envoientdestrucspourm'exprimer leur soutien. Des filles qui disent qu'elles adorent la pub Mirabella, qu'elles sont contentes qu'unmessagesuruncorpssainysoitassocié.Biensûr,ilyaaussileshaineux(«N'essaye pasdenousfairelaleçonsurl'imageducorps,salopesquelettique!»).J'imaginequejene devraisplusm'enétonner. Jeremarqueunmessageenparticulier.Ilprovientd'unprofesseurd'éducationàlasanté deBrooklynquiveutsavoirsijepourraisvenirparlerdesproblèmesducorpsdanssoncours. Peut-êtreparcequejesuisunpeuéméchée,jeluirépondsimmédiatementquej'accepte.Puis j'éteinsl'ordinateuretjevaisjoueravecmesamis.JesuistrèsforteauQuiperdboit. Moncoursdesociologieestdevenubeaucoupplussimpleaprèslaconfrontation.D'abord, j'ai trouvé le courage d'aller voir le professeur Kirby pour lui parler de ma gêne à entendre toutlemondedonnersonpointdevuesurmaparticipationàcettecampagnedepub.Ils'est montrécompréhensifet,aucourssuivant,ilapoursuiviladiscussionàpartird'unepublicité différente, d'inspiration similaire à la mienne. À part ça, je pense avoir gagné le respect des autres grâce à l'article que j'ai écrit pour le journal. Les gens sont sympas, maintenant. SurtoutOliver. Ilmerattrapeaumomentoùjequittelebâtimentdesociologieetnoustraversonslacour côteàcôte. «Ongrignoteuntruc?propose-t-il. —D'accord. —IlnemeresteplustropdepointspourleRetreat,dit-il.Alorssiondéjeunelà-bas,c'est toiquirégales.» Jesouris.AVassar,leprogrammederestaurationfonctionneavecunsystèmedepoints: déjeunerauRetreat,quiestunesortedecafé,coûtebeaucoupplusdepointsqueprendreses repasauréfectoireprincipal,ACDC. «Situveuxbienpartageruncroque-monsieuretdesfrites,çalefait,dis-je. —Marchéconclu.» C'estagréabledepasserunpeudetempsaveclui.Onparledesociologie,delatélévingtquatreheuressurvingt-quatreseptjourssurseptquinousmanque,etdesvillesdontnous sommes originaires. Il vient du Connecticut, il me raconte que l'automne est la plus belle saison,àcausedescouleurséclatantesdesfeuilles.Nousn'avonspasbesoindeparlermode, demannequin,nideriend'autresinoncequinouscaractérise,telsquenoussommes. Jefinisparluiparlerdemoninterventionprévuelelendemaindanslecoursd'éducationà lasanté.Jemesenstellementàl'aiseavecOliverquej'aienvied'avoirsonopinion. « Ça a l'air génial, dit-il, en raclant la dernière trace de fromage fondu au fond de notre assiettecommune. —Tucrois?Çaneteparaîtpashypocrite,quemoijefasseça? — Pourquoi? demande-t-il. Parce que tu es maigre? Est-ce que ça veut dire que tu n'as jamaiseudecomplexes? —Pasvraiment. — Alors vas-y. Les gens t'écouteront parce que tu es glamour, non? Pourquoi ne pas utilisercepouvoirpourlabonnecause? —Maisaveccettepub,c'estcequej'aiessayé...,commencé-je. —Unepub,c'estdifférent.C'estsuperimpersonneletouvertàtouteslesinterprétations. Pourêtrefranc,moijel'aitrouvéeunpeufallacieuse. —Oh,dis-jeenbaissantlesyeuxverslatable,unbrincontrariéequ'Oliverutiliseunmot aussisophistiquépourdiretrompeuseoumensongère. —Maislorsqu'ontevoitenpersonne,Violette,reprendOliverensoulevantmonmenton, ilestimpossibledepenserquetun'espassincère.» J'ai le visage qui picote à l'endroit où Oliver m'a touchée et je sens mes joues rougir. « Merci»,dis-je. Toutàcoup,j'entendsKurtdepuislecoindesboîtesauxlettres,àl'autreboutdelasalle.« Women'sWear!crie-t-ilavantdeseprécipiterdansnotredirection. —Tuesvraimentabonnéaumagazinedesprofessionnelsdelamode?»m'étonné-je.Les seules personnes que je connaisse qui reçoivent Women's Wear Daily sont des agents de mannequinsetdesrédactricesdemode. « Gregory fait un stage chez dailycandy.com, explique Kurt, qui sort enfin avec ce mec autourduqueliltournaitdepuissilongtemps.Ilm'aglisséçadanslecourrier. —C'estunbonpetitami,dis-jeensouriant. — Nous n'avons pas encore utilisé ce mot! s'écrie Kurt, en me donnant un coup de magazinesurlebras.Nedispasça,tuvasmeportermalheur!» IlouvreWomen'sWearsurlapubMirabella—celleavecVeronica.Onpeutlirelemême messagesurle«corpssain»justeendessousdelaphoto,quilamontreperchéeaubordde cequisembleêtreuneestradeenPlexiglas.Veronicaacetteposition,genouxsurlapoitrine, unpeucommesielleétaitaccroupiepourfairepipi,quiestuneposeclassiquedanslamode. Sesbrassontdroitslelongdesoncorps,lesmainsappuyéessurl'estrade. «Carrémentpompésurlacouvd'AshleyOlsenpourNylonilyadeuxans,déclareKurt. —Elleestsublime,remarqué-je. —Attends,c'estVeronicaTrask,quandmême!»s'emporteKurt. Oliverprendsonsacetselèvepourpartir. «Aplus,Violette,dit-il.Ilfautquej'ailleauboulot. —Oh,tutravaillesoù? — Au bureau de poste du campus, répond-il en désignant les boîtes aux lettres des étudiantsavecunsourirepenaud. — C'est cool », dis-je, et je suis sincère. C'est sympa d'avoir un boulot sur le campus même. Je lui fais au revoir de la main et le regarde partir. À ce moment-là, Kurt arrête de feuilleterWomen'sWearetlèvelatêteversmoi. «Pourquoitufaiscettemoue?Tapubétaitgénialeaussi! —Cen'estpasça. — Eh bien, si c'est à cause du bourrelet qui déborde de ton jean, je te suggère d'y aller mollo sur les croque-monsieur-frites », réplique Kurt avec un ton perfide qui ne lui ressembleguère.Dumoinsmeconcernant. Jedoisavoirl'aircomplètementatterréecariltentedefairemachinearrière.«Oh,jene voulaispasdirequetuesgrosse.C'estjustedugrasdemaigre...CommeGwynethjusteaprès sonaccouchement.» Jemelèveetrepoussemachaise. «Legenredetrucquiserègleendeuxtemps,troismouvementsàl'aided'haltèresdedeux kilos ! » me lance-t-il tandis que je quitte le Retreat comme un ouragan. Comme si le fait qu'ilhurlecettephrasedanstoutelasallepouvaitarrangerleschoses.N'importequoi. Toutelajournée,jerepenseàcequem'aditKurtsurlebourreletau-dessusdemonjean. J'enviensmêmeàm'observerdeprofildansmonmiroirenpiedetàpincerlapeausurmes hanches. J'imagine que j'ai dû reprendre quelques petits kilos, mais maintenant que je ne suisplussoumiseauregardscrutateurdesbookeursetdemonagent,j'aijusteenviedeme lâcherunpeu.Quandest-cequejepourraienfinêtrenormale? 10. Lelendemain,endescendantdumétroàBrooklyn,j'ailecœurquibatàcentàl'heure.J'ai demandé à Chloe si je pouvais arriver plus tard à Teen Fashionista, et je lui ai expliqué pourquoi.J'aimêmepenséqueçapouvaitcomptercommeunesorted'investigation,oujene saisquoi,pourunarticlesurl'imageducorps,alorsellem'aconseillédeprendredesnotes pendantmoninterventionaulycée. J'observe le quartier dans lequel je me trouve - il compte trois traiteurs, deux bars, un restau chinois, un thaï. Je crois que je ne suis pas très loin de chez tante Rita. Ça fait quelquessemainesquejeneluiaipasparlé,maisjesaisqu'elleseraitfièredecequejefais aujourd'hui. Lorsque j'entre dans la classe, je sens les trente paires d'yeux braqués sur moi. Il y a surtoutdesfilles,quelquesmecs,etilssemblentjeunes-ilsdoiventêtreenseconde.Jeme rends compte que je n'ai quitté le lycée que l'an dernier officiellement, pourtant je me sens bienvieille,ainsidevanteux. «JevousprésenteVioletteGreenfield,ditlaprofesseur,MmeStone.Elleestétudianteà Vassar,maisaussimannequin.» Jesouris,supermalàl’aise.«Salut»,dis-je,àpersonneenparticulier. Immédiatement,unefillelèvelamain. «Oui? —Est-cequevousavezrencontrédesgenscélèbres?demande-t-elle. —Hum,pasvraiment.Enfin,parfois,ilyabiendescélébritésauxdéfilésouauxsoirées, maisjen'aijamaisdiscutéavecelles. —Pourquoi?demandeungarçonaufonddelasalle. —Jesuisplutôttimide,disons. — J'ai lu votre blog sur MySpace, intervient une fille sur ma gauche. Mon pseudo c'est xxangelxxetjevouslaissetoujoursdescommentaires. —Merci.J'adoreavoirdescommentaires.Enfin,quandilssontsympas.» Laclasseritetjecommenceàmedétendreunpeu. Mme Stone leur montre un exemplaire de Vogue, celui avec la pub Mirabella. « Violette participeàunecampagnedepublicitéoùellesuggèrequelesfemmesnedevraientpasavoir hontedeleurcorps-quelquesoitleurpoids.»Ellemesourit,hochelatête.«Pourquoine pasnousenparlerunpeu,Violette? —Ehbien,dis-je,enm'éclaircissantlagorge.ToutacommencéavecleblogMySpace,en fait, où je n'arrêtais pas d'avoir des commentaires de filles... enfin, de gens... obsédés par la maigreur.J'avaislesentimentquec'étaitplutôtmalsain.Etj'aiprisconsciencequelemétier de mannequin avait aussi un côté malsain. Alors j'ai eu envie de dire aux gens, tout simplement,quec'estbiendes'aimertelqu'onest. — Maisvous êtes tellementmince, dit une filleau premier rang,cheveux noirs tirés en arrièreetdiamantdanslenez,c'estfacilededireça.Pourquoidevrait-onvousécouter?» Je n'étais pas vraiment préparée à cette question. Les étudiants du cours de sociologie n'arriventmêmepasàlachevilledecesgamins.«Jeneparlepasentantqu'autorité,dis-je. Maisjeveuxjustefairecomprendrequemoiaussij'aidestasdecomplexes,commetoutle monde. —Vousêtesmannequin,intervientunefilleprèsdelafenêtre,avecdelonguestresses. C'estdifférent,pourvous.» Je jette un coup d'œil à la pendule, qui m'indique que j'ai encore vingt-sept minutes à passerdanscetteclasse. «OK,vosquestionssontjustifiées,maislaissez-moivousracontermavieaulycée...» L'après-midi, j'arrive à Teen Fashionista complètement surexcitée. J'ai des pages et des pagesdenotessurcequem'ontditlesélèves,lesquestionsqu'ilsontposées,lesproblèmes qu'ilsontsoulevés. « Comment ça s'est passé ? demande Chloe en s'arrêtant devant mon bureau et en s'adossantàlacloison. —C'étaitgénial!»Jamaisjen'aiparuaussigaieavecelle,maisaujourd'hui,jeluienveux moins d'être l'obstacle qui me sépare de David. « Au début, tout le monde était sceptique, mais ensuite on est vraiment rentrés dans le vif du sujet : ce qu'ils pensaient de la pub Mirabellaetdemonimplication.» Chloehochelatête,elleparaîtintéressée,alorsjepoursuis. « Ils m'ont interpellée sur le fait que moi, qui suis mince, suis la plus mal placée pour inciterlesgensàsedébarrasserdeleurscomplexes,dis-je.Maisensuite,j'aipuleurparlerde monmanqued'assurancejusqu'àl'andernieraulycée,demonsurnomde"GéantVert"qui remontait à la sixième et de la fois où Kevin Murtaugh avait été forcé de monter sur une estradepourdanserunslowavecmoilorsd'uneboumorganiséeparlecollège. —Non!faitChloe,enéclatantderire,lamainsurlabouche. —Si!hurlé-je,enriantavecelle.Lahonte. —Violette,tusaiscequiferaitunsuperarticle? —Quoi? —Toi!lance-t-elleenmemontrantdudoigt. —Moi?Maistul'asdéjàfait!»D'ailleurs,c'estcommeçaquetuasfaitlaconnaissance de mon meilleur ami et que tu me l’as volé, pensé-je, en revoyant Chloe débarquer en CarolineduNordpourm'interviewer. «Non,non,répond-elleenécartantd'ungestemaréponse.Ça,c'étaitleportraitd'unestar montantedelamode.Onenfaittouslesmois.Jeparledetoi,tellequetues.Cellequeces collégiennesontvueaujourd'hui. —Jenecomprendspas. —Cesdétailsquetuviensdemeracontersontvraimenttrèsdrôles!expliqueChloe.En lisantça,touteslesfillesquit'admirentserendraientcomptedetasincérité.» JedétestequandChloemeditdestrucsgentils.Après,j'aiplusdemalàlamépriser. «Laisse-moiendiscuteravecMarilyn,poursuit-elle.Situesd'accord,biensûr. —Pasdeproblème,jen'airienàcacher.» Et,plusj'ypense,plusjemedisquecetteidéepourraitbienêtregéniale. Lorsque je quitte le bureau à 18 heures pour attraper le train de 18 h 15 en direction de Poughkeepsie,jemesensunpeutriste.Jen'aipasparléàDaviddepuislasemainedernière, saufparMSN,pourluisignalerlarediffprochainedel'undenosnavetspréférés,LaMomie. Je ne sais pas trop s'il est en colère, ou s'il est trop occupé de son côté pour avoir envie de passerdutempsavecmoi. Etjenesaispastropquelestlepirescénariodesdeux. Al'instantoùjefranchislesportesvitréesdeBruton,unevoixfamilièrem'interpelle. «VilaineViolette.»Monagentestadosséeàunecolonnedubâtiment,entraindefumer unecigarette. «Angela?»Jesuissurprisedelavoir.«Qu'est-cequetufaislà? —Jerendsvisiteàuneautrecliente»,dit-elleenexhibantsesdentsblanches,quibrillent malgré son paquet de cigarettes quotidien. Ses factures de dentiste doivent être astronomiques. «Ahbon.»J'avaisl'intentiondelarappeleraprèssesdouzecoupsdetéléphone,pourlui annoncerquejeneveuxplustravailler.Dumoins,pasdefaçonrégulière,etpaspendantque jesuisàlafac.Maisjemesuisdégonflée. « Il faut qu'on parle, lance-t-elle avec sa franchise habituelle. Je suis bien contente de t'avoircroisée.Quoiquej'auraisvraimenteudumalàterater,cesjours-ci.»Ellemedétaille delatêteauxpieds. «Qu'est-cequetuentendsparlà?demandé-jeencroisantlesbrassurmapoitrine,surla défensive. —Rien,machérie,dit-elleenôtantuncheveusurl'épauledemonmanteau.Simplement quetuasl'airunpeuplusenrobée.Maisnet'enfaispas-nousavonsunesemaineavantles défilésalorstuasletemps...d'ajusterleschoses. —Jesuisenbonnesanté,Angela.Jen'aipasdepoidsàperdre. —C'estvrai,situesprêteàbosserpourdescataloguesdegrandsmagasinsdetroisième zone, me répond-elle, sans se départir de son sourire. Mais jamais tu ne défileras sur un podiumdelaFashionWeekavecdescuissespareilles.» Ce qui m'agace, c'est qu'elle ne peut même pas voir mes cuisses sous mon manteau, qui m'arriveaugenou,etqu'ellesepermetquandmêmedelesinsulter. «Jedoisyaller,Angela. — Très bien, chérie. Je voulais juste te dire bonjour et t'informer que les gens se demandentcequetufaispourlaFashionWeek.Biensûr,onracontequetun'esplusaussi jeune,maintenant,quetun'espeut-êtrepluslevisageleplusfraiscettesaison,etpuisilya toncôtérebelle...» Jegardelesilence.Jenemordraipasàl'hameçonpourensuitemefaireinsulter. «Tout de même, certains te réclament pour des castings, poursuit-elle. Tu réussis à faire parler de toi en permanence, que ce soit avec ton blog, tes soirées en boîte ou tes interventionsdansleslycéesducoin... — Quoi ? m'exclamé-je, m'étranglant à moitié en inspirant l'air glacé de l'extérieur. Commentl'as-tuappris? — J'aurais cru qu'une fille jeune comme toi serait plus connectée sur la blogosphère », remarque-t-elle. Jehausseunsourcil.«Gawker.com?demandé-je. —Bingo.Aprèstout,turestesunmannequin,etl'égéried'unegrandecampagnequivient de sortir, Vénérée Violette. Ne te crois pas soudain anonyme juste parce que tu es bien planquéedanstonpetitcampusderêvedunorddel'État. —Montrainpartbientôt,dis-jeenoscillantd'unpiedsurl'autre. — Tu repars pour Vassar, chérie? ronronne-t-elle. Amuse-toi bien, mais suis donc mon petit conseil : une cannette de bière contient cent cinquante calories, une bouffée de marijuana,zéro.» Je m'éloigne d'elle en lui tournant le dos, en direction de Grand Central. Et maintenant, Angela me pousse à consommer de la drogue? J'ai l'impression qu'elle ne venait voir personneàBruton,c'étaitmoiqu'elleguettait. Dansletrainquimeramèneàlamaison,j'appelleJulieàBrown.J'aiessayédelajoindre plusieursfoiscettesemaine,maisjesuistoujourstombéesursonrépondeur. Jeneluienveuxpas-jesaisqu'elleestoccupée,etjen'aipaslaissédemessages-mais toutdemême,elleneserendpascomptequecinqappelsmanquésdemapartsignifientque j'aiunpeudemalencemoment? «V!s'écrie-t-elledansletéléphone,l'airessoufflée. —Julie?C'estbientoi? —Oui!Jesuisenretardpouruneréuniondelarédactiondujournal,alorsjecours!Mais ilfallaitabsolumentquejeréponde.»Ellemarqueuntempsd'arrêtetdit:«Pardond'avoir étéinjoignable. — Ne t'en fais pas. » Je ne suis jamais dans la confrontation, même avec Julie. « Commentsefait-ilquevousayezuneréunionlevendredisoir? —Oh,c'estjusteparcequenotrerédacteurenchefestultramotivéetveutnousdonner destrucsàfairepourleweek-end.Bref,peuimporte!Ettoi,commenttuvas?C'estcomment Vassar? » demande-t-elle, l'air super enthousiaste, l'air d'adorer la fac et son programme surchargéaujournal.Commentpourrais-jeluidirequejemesensunpeudéprimée? « Je vais bien ! dis-je en me forçant à sourire pour sembler gaie au téléphone. Tout va superbien! —Ouhlà,faitJulie,dontlarespirationparaîtsecalmer.Qu'est-cequicloche? — Oh, rien, assuré-je en me rendant compte qu'il est idiot que je fasse semblant avec quelqu'unquimeconnaîtdepuisquej'aicinqans.Onpeutenreparlerplustard. —J'aimeraisbienavoirletempsd'endiscutermaintenant,dit-elle.Maisc'estimpossible, V.Jesuisobligéed'assisteràcetteréunion. —Pasdeproblème,dis-je. — Tu m'appelles demain, d'accord?» insiste Julie. Je la sens sur le point de raccrocher. «J'ai l'après-midi complètement libre, je suis censée réviser, et pour mieux repousser ce moment,jeveuxbienpapoteravecmameilleureamie. —OK»,dis-jeenessayantdeprendreuntonjoyeux. Nousraccrochonsetjejettemonportabledansmonsac.Puisquec'estainsi,jevaisavancer unpeudansmeslectures. Quandj'arrivedansmachambre,jetrouveKurtallongéentraversdemonlit.«Tuessur gawker.com!braille-t-il. — Je sais, soupiré-je en posant bruyamment mon sac. J'ai un de ces mal de crâne, ne l'aggravepas,s'ilteplaît. —Beurk,dit-ilenplissantlenez.Lapressetestresse. —Est-cequ'ilsm'onttraitéedegrosse?demandé-je. —Hein? —SurGawker,ilsontécritquej'étaisgrosse?!répété-je. —Quoi?Maisnon!ditKurt.Biensûrquenon.Est-cequetumedemandesçaparcequeje t'aicomparéeàGwyneth?Sic'estça,jeleretire. —Cen'estpasça,soufflé-je,enmelaissanttomberàcôtédeluisurlelit. —Raconteàpapacequinevapas,ditKurtenmecaressantlescheveux. —C'estjustequejemesensdépassée.»Commentexpliqueràquelqu'unquejeconnais depuisquelquessemainesàpeinequejetraverseunegrossecrised'identité? «Jesaiscedonttuasbesoin,annonceKurt. —Quoi?demandé-jeavecunemouedubitative. —Departirenweek-end!s'écrie-t-ilenselevantd'unbondetenagitantdesclés.J'aila Saab! —C'est-à-dire? — Ma sœur aînée, qui est à Middlebury, a toujours la voiture, mais elle est venue me l'apporterhierparcequ'elleenamarred'êtreobligéedeladéneiger!expliqueKurt.Lavoiture estgaréesurleparkingsud,ellenousattendpourprendrelaroute. —Quelqu'unaparlédeprendrelaroute?»Fanpasselatêtedansmachambre,avecun sourire.QuandKurtestàpleinvolume,ilestimpossibledecacherquoiquecesoit. «Effectivement,confirmé-je,unpeurassérénée.Etjecroisquejesaisoùnouspourrions aller. —Oùça?demandentenchœurJessetKurt. —ABrown.» 11. Ilrègneunebonneambiance,danslavoiturequinousemmèneàProvidence.FanetJess sontàl'arrière,jesuisàl'avant. «C'estbizarre,non,departirenweek-endsansavoirbesoindeprévenirnosparents?»fait remarquerJess. Fansemoque.«Onn'aplusdouzeans! — Je vois ce que tu veux dire », dis-je en me tournant vers Jess. Fan peut être un peu cassante,parfois. « Ben voyons, Miss Globe-Trotter, dit Kurt. Je suis sûr que tu t'es déjà envolée pour d'autrespayssansdemanderl'autorisationdetesparents. — N'importe quoi ! » m'exclamé-je. Mais il a raison - je l'ai bel et bien fait l'an dernier, lorsque Angela m'a demandé de foncer à Paris pour le défilé Mirabella. Mes parents sont occupés par leur travail, le basket de Jake, leur vie, quoi - on n'est pas trop sur la même longueurd'onde,encemoment.Ilssonttoujourslàpourmoietilsm'aiment,biensûr,mais j'ail'impressiond'évoluerdansununiversoùmesamissontmavéritablefamille.C'estcool. Nousbranchonsl'iPoddeKurtetécoutonsunmixdevieuxtubesdeMadonnaetdeKylie Minogue. « J'écoute beaucoup de pop anglaise, m'informe Kurt quand il me voit jeter un œil à sa playlist. —Madonnaestaméricaine,remarqué-je.EtKylien'estpasaustralienne? —D'abord,onnepeutplusvraimentdirequeMadonnaestaméricaine,répliqueKurt,l'air d'ensavoirlongsurlesujet.Etensuite,l'Australie,c'estjustel'Angleterredesgensquifontla fête - c'est pour cette raison que je compte aller passer une année là-bas en échange universitaire!» Nousrions,chantonsetgrignotonsdescochonneriesdestation-servicejusqu'auportailde Brown. FanetJessontprévuderetrouveruneamiedelycéedeFanquiestici—elleadéjàaccepté deleslaisserdormirparterredanssachambre.Nousnouspromettonsdenousretrouverce soir,puisellesprennentleurduvet,leuroreillerets'envontsurlecampus. Ensuite,j'appelleJulie.Ellehurledejoie,etnousindiquecommentrejoindresachambre. Àlasecondeoùelleouvresaporte,jesaisquenousallonspasserunweek-endgénial.Kurt laserretrèsfortdanssesbras,commes'illaconnaissaitdepuisdesaiméesetellelâcheun couinementravi.LacolocatairedeJulieestpartiepourleweek-end,leproblèmedeslitsest doncréglé. «Tudorsavecmoi,jolieV?demandeKurtensautantsurlacouetteencrépondecoton rosedelacolocataire. —Danstesrêves.Julieetmoi,onesthabituéesàpartagerunlituneplace-onl'afaiten camp,unété,parcequej'avaispeurdedormirprèsdesmouchesmortesprisesaupiègedans mamoustiquaire!Tuterappelles? — Ben ça, évidemment! dit Julie. Et heureusement, tu es restée aussi maigre qu'à l'époquedetesneufans.» Nouspassonsl'après-midiàévoquerdessouvenirsdecegenre-comment,enCP,chaque fois que j'allais aux toilettes, je mettais la petite pancarte sur « Occupé » pour signaler que j'étaisàl'intérieur,Davidvenaitlaremettresur«Libre»;lespointesdevitessequeJulieet moifaisionssurnosvélosrosesàfleurspourperdremonpetitfrère,Jake,quinoussuivait toujourspartout(«Etdirequ'aprèstuessortieavec!»m'écrié-jeensouriant);la«saison sèche»décrétéeparDavidunété,durantlequelils'étaitjurédenejamaissemouiller.(Julie etmoiavionsconspirépourlepousserdanslapiscinejusteavantlafindumoisd'août.) « Il était furax! se rappelle Julie, pliée en deux sur sa chaise, pleurant de rire en y repensant. Tu te souviens de la tête qu'il a faite quand il a vu ses précieuses lunettes trempées?!» Jen'arriveplusàparler,j'ensuispresqueàgrognercommeuncochonàforced'essayerde contrôlermeséclatsderire. Kurtpartageluiaussinotrehilarité. « Vous au moins vous avez eu une enfance normale! se lamente-t-il en riant. Moi, j'essayaisdésespérémentdecomprendrepourquoimamèreapiquéunecriselejourdema rentrée en CE1 quand elle m'a vu prendre sa pochette dorée parce qu'elle était assortie aux basketsmétalliquesquej'avaischoisies.Jen'aijamaiseudroitauxgrandesscènesclassiques delaviedefamilleàl'américainequel'onvoitsurlesillustrationsdeNormanRockwell! —PauvreKurt!»nousexclamons-nous,Julieetmoi,àl'unisson. Plustard,Julienousemmènefaireletourducampusàpiedetnouspassonsunmoment au Blue Room, un café situé dans l'enceinte, où elle nous paye un snack avec sa carte de restauration.Ellenousracontelejournaletlesrelationsincestueusesquis'ynouent,toutle mondesortantavectoutlemonde.Julieestamoureused'undeuxièmeannée-sonrédacteur enchef. «Tupréfèreslesvieux,maintenant?demandé-je. —Jecroisqueoui,répond-elle,lesyeuxbrillants.Ilfautbienfairedesexpériences,non? —Ouais.»Jesuisplutôtsoulagéequecesoitfinientremonfrèreetelle.Cen'estpasque jedétestaisqu'ilssortentensemblel'andernier,maisçarendaitlasituationunpeudélicate, parfois. « Les vieux, pourquoi pas, mais ton patron, en plus ! remarque Kurt. En fait, c'est le pouvoirquit'excite! —Clair,dit-elleavecunhochementdetêteensirotantsonCocalight.Carrément!» Jesouris.Jesuissupercontentequ'ilss'entendentbien. Ce soir-là, nous retrouvons Fan et Jess - plus la copine de Fan, Ruth, et sa coloc - pour nous rendre à une soirée dans une résidence appelée Perkins. Je me fraye un chemin à travers la foule en direction du tonneau de bière, Kurt dans mon dos. Il est accroché à la boucledemaceinturedejeanpournepasmeperdredanslamassedegens,etilhurle:«Top modelàl'approche!Place,place!» J'en serais gênée, mais personne ne l'écoute - la musique est forte et j'ai l'impression de passerplutôtincognitoici.Personnenem'aparlédemonboulotdemannequin.C'estassez agréable. Nous parvenons enfin à remplir nos gobelets et nous nous dirigeons vers l'endroit où se trouveJulie,entraindediscuteravecquelquesamisdujournal,lorsquejemefigesoudain. Kurtmerentrededans,renversantlamoitiédesabièretoutefraîche,sichèrementacquise, surmondébardeurensoieblanche. «T'escon!Qu'ya-t-il?ajoute-t-ilensuivantmonregard. —C'estOliver,murmuré-je,àmoitiépourmoi-même,commepourm'enconvaincre. —Maisqu'est-cequ'ilfaitici,celui-là?s'étonneKurt.Bref,peuimporte.Çaveutjustedire qu'onconnaîtplusdegensqu'onnelecroyaitàBrown.Onesttropdesstars!» Ilm'attrapeparlamainetm'attireverslegroupedeJulie,oùjustementquelqu'unesten traindeprésenterOliver. Juliesetourneversnous.«Ah,etvoicimesamisdeVassar-VioletteetKurt,dit-elle. —Salut,lanceOliverenmesouriant. —Oooh,faitJulieenexagérantsaréactioncommefontlesenfantsduprimairelorsque quelqu'unadesennuis.Donc,vousvousconnaissezdéjà!» Commenta-t-elledeviné? « Effectivement, répond Oliver. Je travaille pour le journal de Vassar et Violette nous a écritunsuperarticle. — Et puis nous sommes dans le même cours d'introduction à la socio, ajouté-je en rougissant. —Sanscompterqu'Oliveretmoi,onacouchéensemblejusqu'àcequejelelarguepour unplay-boydedeuxièmeannée!»lanceKurtenlevantsonverre. Toutlemondesetourneverslui,lesyeuxécarquillés,moiycompris. « Je déconne ! crie-t-il, ce qui nous fait tous sourire. Ce que vous pouvez être coincés, à Brown!» C'estfou,maisaussiexcitant,qu'Oliversoitlà.Jesuiscontentedepouvoirpasserdutemps avec lui dans ce contexte. Nous discutons jusqu'à 4 heures du matin, alors que la soirée toucheàsafinetqueJuliedort,latêtesurmesgenoux. «Onferaitbiend'yaller,dis-je.Jecroisquetescopainssontpartisilyauneheure. — Oui. Et je crois que cette fille voudrait bien récupérer son lit. » Je me tourne et découvrel'organisatricedelafêteendormie,assisesursachaisedebureau. «Oups!»chuchoté-jeenriant.JeréveilledoucementJulieetnousquittonslapiècesurla pointedespieds.Danslecouloir,Oliverpartsurladroite,etnoussurlagauche.Julieprend unpeud'avance. « Bonne nuit, Violette, murmure Oliver en pressant ma main contre ses lèvres. Fais de beauxrêves. —Bonnenuit»,dis-jeenriantetenmedemandants'ildonnedanslesentimentalisme parcequ'ilestsaoul.Jelèvelesyeuxverslui.C'estagréabledeleverlatêteversquelqu'un-il doit mesurer un mètre quatre-vingt quinze. Sa main s'attarde quelques instants sur la mienne,puisillalâcheets'enva.JemeretournepourrattraperJulieaupetittrot. «Ilcraquepourtoi!!!glousse-t-elled'unevoixavinée. — Chut ! Il va t'entendre ! » Mais je souris en glissant mon bras sous le sien. Elle n'a sûrementpastort. Après ce week-end à Brown, puis une semaine à Vassar, je redoute mon vendredi à New YorkchezTeenFashionista.Jecommenceàpeineàmesentirnormale,commesijen'avais rien de mieux à faire qu'être une étudiante de première année ordinaire, et tout à coup, je franchis les portes de Bruton, et je sens tous les regards braqués sur moi. Le pire, c'est l'ascenseur - les autres filles m'examinent de la tête aux pieds et jugent mes chaussures. Angelam'alaissétroismessagescettesemaine,tousurgents.Elleveutquejefasseuncasting pourlaFashionWeek,quicommence,genre,maintenant. «Tun'espastrèsdemandéedepuisquelaphotodetoninterventionaulycéeestsortiesur Internet»,remarque-t-elle.Jel'appelledepuismonbureaudeTeenFashionista. «Tuasreçuunseulappel,enfait. —Vraiment?dis-je,enmedemandantsiellevaexigerquejemerendeàplusdesoirées ouquejememontreenvillecommeVeronicacemois-ci-jenepeuxplusouvrirlePostsans lavoirmentionnéedanslafameuserubriquepeople,PageSix. — Le poids des photos, Volumineuse Violette, résume-t-elle avec brutalité. La Fashion Weeknew-yorkaisen'estpastendreaveclesgrosses.» Jesensleslarmesmemonterauxyeux,maisjeclignedespaupièresàtoutevitessepour m'en débarrasser. C'est de la colère, que je devrais ressentir, pas de la tristesse - je rappelle toutdemêmequemonpoidsestsainetquejeresteminceparrapportàlanorme-,maisson commentairefaitmal.«Ehbien,pasdeFashionWeekpourmoicetteannée,alors,dis-jeen espérantqueçasignifiequejepeuxéchapperauxcastings,doncéviterl'humiliation. —Nousverronsça,répondAngela.J'aiétéfranchesurtesmensurationspeuadaptéesaux défilés, mais il y a tout de même quelqu'un qui veut te voir. Tu passeras par Tracetown ce soir,avantderepartirpourlecampus.MickeyetMattt'attendentà19heures.» J'hésitaisàzapperlerendez-vous,maisfinalementjesuiscontented'êtrevenue,caràmon arrivée dans les bureaux de Tracetown à Soho, Mickey se précipite pour me serrer dans ses bras. C'est pour eux que j'ai fait mon tout premier défilé, et Mickey se montre toujours excessivementélogieuxàmonsujet.Mattsemblesignifierqu'ilm'apprécie,luiaussi,même s'iln'estpastrèsbavard. «Mabeauté!»lanceMickeyenouvrantgrandlesbras,puisens'éloignantpourmieuxme regarder.Heureusementquejeportemongrosmanteaud'hiver,carsesyeuxm'examinentde latêteauxpieds.C'estunregarddecouturiersurmannequinaveclequeljenesuispastrèsà l'aiseencemoment. «J'aiprisunpeudepoids,jelesais»,dis-jecalmement. Matt s'esclaffe dans son coin, Mickey lui jette un regard noir. Mais lorsqu'il se retourne versmoi,sesyeuxsontdoux. « Ne t'inquiète pas, Violette. Nous avons pensé à quelque chose de spécial pour toi. » Il sortunedivinerobelongueensatincouleurrubis. « Elle est magnifique », dis-je. Et c'est vrai. Elle est digne du gala annuel du Costume InstituteauMetropolitanMuseum-plushautecouturequelestrucsdeprêt-à-porterquefait généralementTracetown. « On se fiche que tu ne rentres pas dans une taille 34 en ce moment, dit Mickey en reposantdélicatementlarobesursonportantàcôtédelabaievitréedeleurloft.Lapremière fois que tu as défilé, c'était pour nous, et nous voulons que tu défiles à nouveau pour Tracetown-tufermerasleshowaveccetterobe. —J'adorerais.»Jesuissincère. «Je voudrais aussi te présenter à Basil Malicsi, notre nouvel apprenti, dit Mickey en désignantleportant.C'estundetesplusgrandsfans.» Jeplisselesyeuxpourvoiràtraverslabrumedelacentralevapeuretaperçoisunsuper beau gosse aux cheveux noirs qui semble avoir à peu près mon âge. Il défroisse les robes, mais s'arrête de travailler pour me sourire lorsque je le salue. Sa frange au décoiffe sophistiqué tombe sur ses grands yeux marron, et il porte un super beau collier en perles fantaisiesursoncolroulénoir. «BasilagrandiauxPhilippines,ditMattenbrisantsoncodedusilencehabituel.C'estun jeunetalentprometteur.» Basil doit être un sacré bon couturier, pensé-je. Tout à coup, ça me fait penser : Fan! Je saisqu'elleadoreraitquejeparledelacampagneenfaveurdesproduitsdebeautébio. «Macolocataireestphilippine,elleaussi.D'ailleurs,elleesttrèsbranchéeécologie...» Mattlèvelesyeuxauciel,maisMickeym'écoute.Jeluiparledecemouvementquiprend del'ampleurettendàéradiquerlesproduitschimiquesdescosmétiques. «J'adore,déclare-t-illorsquej'aiterminé.L'écologie,c'esttrèschic.» Je souris. Fan se serait lancée dans un grand discours comme quoi ce n'est pas « chic », que c'est un engagement à long terme, très sérieux, mais je suis simplement contente que Mickeynem'aitpasenvoyéebalader. « Tu sais quoi, Violette? Je vais contacter quelques sociétés bio, et leur proposer de se chargerdumaquillagepourledéfilé. —Merci,Mickey»,dis-je,contented'enavoirparlé. QuandjequittelesbureauxdeTracetownpourretrouverlesruesfroidesdeSoho,jesuis littéralement euphorique. J'ai envie d'appeler Angela pour lui dire que des gens m'engagent mêmelorsquejepèselepoidsd'unefillenormale.Ilsm'engagentparcequejesuismoi. Montéléphonesonne,unnuméroquejeneconnaispas. «Allô?dis-jeavechésitation. —Violette?demandeunevoixdemec. —Oui. —C'estOliver. —Oh,salut,dis-jeavecunsourire. —Jevoulaissavoirsitesamisettoiauriezenviedeveniràunesoiréeorganiséeparmon étage,àlarésidenceRaymond,cesoir.Onaachetédelabière,çadevraitêtreunegrossefête. —Çaal'airsympa.JesuisàNewYork,maisjevaisbientôtprendremontrain.Jedevrais arriverd'icideuxheures. —Super,répondOliver.Onvasûrementcommencervers23heures. —D'accord.Atoutàl'heure. —Aplus.» Enraccrochant,jedécidedeprendreuntaxijusqu'àlagaredeGrandCentral,pourpouvoir attraperletrainde20h29etarrivertôtàVassar.Ilvafalloirquejemepréparepourcette fête. Al'instantoùjefermelaportièredutaxietindiqueauchauffeurl'angledela42eRueetde Lexington,montéléphonesonneànouveau. «IfIcoulddoitallagain...I'dgobackandchangeeverything*»,brailleleportable. *Sijepouvaisrecommenceràzéro...Jereviendraisetjechangeraistout «SalutDavid. —Tuesoù?demande-t-il. —Downtown.JevaisàGrandCentralprendreuntrainpourPoughkeepsie. —Etsijeteproposedevenirmeretrouver,àlaplace?» J'hésitejusteunesecondeavantdedemanderauchauffeurdefairedemi-tour. «Jesuislàdanscinqminutes.» 12. EnarrivantàlarésidencedeDavid,jeletrouveentraindefairelescentpasdanslehall, enbas. « Qu'est-ce qui ne va pas? dis-je tout de suite, en ôtant mon bonnet et en secouant mes bottescouvertesdeneige. —Jestresse.J'aiunexamd'histoiredel'artlundietjenesaispaspourquoijen'arrivepas àmémoriserlestableaux.J'aivraimentbesoindetonaide. —Ceneseraitpasmieuxqueturévisesavecquelqu'undetaclasse?»demandé-je,agacée qu'ilm'aitfaitvenirjusque-làpourtravailler.Jenesaispastroppourquoi,maisjecroyais— j'espérais,même,peut-être-qu'ilallaitm'annoncerqueChloeetluiavaientrompu.C'estmal, non? «Jesaisquetupeuxm'aider,V.Tutesouviens,enpremière,quandj'avaisvachementde mal avec mon vocabulaire de latin? Toi, tu n'avais même pas cette option, mais tu avais trouvélemoyendemefaireretenirjusqu'auderniermot.J'aiassurégraveàcetteinterro!» Jesourisenyrepensant.J'avaisinventédesrimes,desindicesvisuels,mêmedeschansons pouraiderDavidàserappelertouslesmots.Jeleregardeenhaussantlessourcils. « S'il te plaît? dit-il en s'agenouillant devant moi et en prenant ma main encore gantée. ReparsàVassarseulementdemain,j'aivraimentbesoindetonaidecesoir.» Etcommentpourrais-jedirenon? «D'accord.» Daviddéposeunbaisersurmamain,selèveetappuiesurleboutondel'ascenseur. «Moncolocn'estpaslà.Tupeuxsquattersonlit.» JeculpabiliseunpetitpeudeposerunlapinàOliveretàmesamis,maisj'écartecetteidée demespensées.Ilfautdirequej'aiunpeud'aide:àl'étage,Davidm'offreunassortimentde mes gourmandises préférées - biscuits apéro, mini Peppermint Patties, ces friandises au chocolatfourréesàlamenthequej'adore,etunpackdesixcannettesdeCoca. « Du Coca! » m'écrié-je. Depuis que je suis mannequin, je suis forcée d'éviter les sodas non-light,maisdèsquejemelâcheunpeu,jetrouveçahyperbon. «PasseulementduCoca,ditDavidensortantunecannettedesonminifrigo.DuCocaqui transpire!» Il sait que j'adore quand la condensation dégouline le long de la cannette. Julie prétend toujoursquec'estpurementesthétique,maisDavidetmoisommesd'accordpourdirequele Cocaquitranspireameilleurgoût. «Ouvres-enunemaintenant. —J'enouvredeux.Allez,prendsmesfichesetlancelequiz.» NouspassonsenvironsixheuresàrevoirsesfichesouàregarderdesœuvressurInternetetjetrouvedesmoyensmnémotechniquespourqueDavidretiennesescours.Parexemple, l'artbyzantinestabstraitetsymbolique,alorsjeluiaiditdeserappelerque«LesByzantins sont bizarres, ils ne veulent pas être réalistes dans leur art. » Vers 2 heures du mat, nous faisonsunepause,chacunallongésursonlit. «Jenesuismêmepassûrqueceslitssoientd'unetaillenormale,ditDavidquiréfléchità laminceurdesonmatelas,tandisquejebloqueuntroisièmeappeldeKurtsurmonportable. — À mon avis, il existe un standard pour les chambres de cité universitaire, très étroit, maispluslong,cequej'apprécie. — Parfait pour toi, Miss Défilé, dit David en s'appuyant sur un coude et en se tournant versmoi.Tantquetuydorsseule.» Je fixe les yeux au plafond et me force à ne pas le regarder. Est-ce que ça l’intéresse de savoirsij'ydorsseule?Jenesaispastropsij'aienviedeluisignalerquejesuiscélibataire encemoment. «Ouais»,dis-jedoucement.Nousrestonssilencieuxquelquessecondes. ToutàcoupDavidmedemande:«TuterappellesnoslitsàBarcelone? —Carrément,crié-jeenmeretournantpourluifaireface. —Cettechambreétaitridicule!» L'an dernier, quand David est venu me rejoindre en Espagne, nous avons séjourné dans uneaubergeoùleslitsétaientsirapprochésqu'ilsformaientpresqueunlitdouble.Etjeme souviensaussiquenousavionspassélanuitledostourné,aprèscettesoiréetroparroséede sangriaoùilm'avaitembrasséepourlapremière-etseule-fois. Jemesensunpeugênée,enrepensantàcettenuit,alorsjem'allongeànouveausurledos et fixe mon regard sur une fissure au plafond. David soupire, je l'entends se coucher à son tour.Était-ceunsoupirdenostalgie?Peut-êtrequ'ilrepenseàcebaiserparfois,luiaussi?Je décidedetenterlecoup. «Est-cequ'ilt'arrivederepenseràcesoir-là?demandé-jedoucement. —Hein?Qu'est-cequetuasdit? —Hum,est-cequ'ilt'arrivederepenserànotresoiréeàBarcelone?répété-je. —Oui,parfois»,répond-il.Saréponseesttropmystérieusepourquej'arriveàdéterminer s'il y pense de façon positive, ou bien avec des regrets, voire de la colère, et, comme je suis troplâchepourinsister,jemetais. «Heureusementquenousn'avonspassuivimonplandébiledevoyageàdeuxdanstoute l'Europe, poursuit David avec un sourire, en se mettant assis, dans un regain d'énergie. Du grandn'importequoi,cetteidée! —Ouais»,dis-je.Mavoixestéteinte.JenevaispasavoueràDavidquejemedemande souventcequiseseraitpassésij'avaisacceptésapropositiondevoyagertouslesdeux-nous aurions peut-être commencé cette relation qui aurait toujours dû exister entre nous. Mais Angela m'a appelée pour les défilés parisiens et j'ai sauté dans un avion. Je suis partie. Et maintenantjesuisforcéedevoirlesonzephotosdeChloequidécorentlachambredeDavid. «Onseremetauxrévisions?demande-t-il. —Underniertourdefiches,dis-jeenm'asseyantetenmeforçantàmettreuntermeàma rêverie.Etensuite,ledessert. —LesPeppermintPatties? —Biensûr!»Pourl'instant,jemesuislimitéeauxbiscuitsapéro. «Allez,onenprendunmaintenant»,propose-t-il.Iltendlamainversleminifrigo—illes gardeaufraiscarilsaitquec'estcommeçaquejelesaime.C'estpeut-êtreàcausedetoutes les publicités qui les présentaient pleins de neige et de glace, en tout cas, je trouve que ces friandisesontvraimentl'airmeilleuresfroides. Je m'approche de David au moment où il enlève l'emballage. Il place le chocolat près de monoreilleetlecasseendeux.Pssssst. «Incroyable»,dis-je.Quandnousétionspetits,Davidetmoiavionsentendudirequeles Peppermint Patties émettaient un léger sifflement lorsqu'on les cassait. Contrairement aux histoires sur les bonbons pétillants Pop Rocks qui, associés au Coca, auraient cassé la mâchoire de quelqu'un, ou celle de la dent qui se dissoudrait en une nuit dans un verre de soda(nousavonstestél'unetl'autreparnous-mêmes),lecoupdesPeppermintPattiesn'est pasunelégendeurbaine—c'esttoutàfaitvrai. Jeprendsmamoitiéetlacasseendeuxtoutprèsdel'oreilledeDavid.Pssssst. «N'est-cepasabsolumentmerveilleux?»demande-t-ilensetournantversmoi,avecune étincelledanslesyeuxcommelorsquenousavionssixansetquenousvenionsdedécouvrir cetruc. «Oui,c'estvraimentmerveilleux.» EnregagnantVassarlelendemain,jetrouveFanallongéesurlecanapédansnotresalon, plongéedansunlivre. «Tunousasmanquéhier,dit-ellesansleverlesyeux. —Oh,oui.J'ai,hum,dûresteràNewYork. —Pourquoifaire?demande-t-elleeninterrompantsalecture,cettefois. —Untrucdemannequin. —Ahbon,ettuaspassélanuitcheztatante,ensuite? —Oui»,dis-je,contentequ'ellemesuggèrecetteréponse.Jenesaispastroppourquoi, maisjen'aipasenviederaconterquej'aidormidanslachambredeDavid. «Cool»,conclut-elleentournantlesyeuxverssapage. Unefoisdansmachambre,j'entendsunevoixfamilièredevantmafenêtre. «Violette!C'esttoi?»Depuislecouloir,Kurtdonneuncoupsurlavitre,jeluiouvre.Il poselesdeuxcoudessurlerebord,cequifaitressortirsesfessesjusqu'aumilieudupassage. Jesaisquejeluidoisuneexplicationpournepasavoirréponduàsesappelshiersoir-j'ai mis mon téléphone sur vibreur après les deux premiers, pour que David et moi ne soyons plusinterrompus. «Tuasmanquéàquelqu'unhiersoir,dit-ilavecunairespiègle. —Jesais.Kurt,jesuisdésoléedenepast'avoirditquejenerevenaispas.» Ilécartemaréponsed'ungestedelamain. «Cen'estpasdemoiquejeparle,chérie,maisd'Oliver. —C'estvrai?demandé-je,mesentantsoudaintoutexcitée.Qu'est-cequ'iladit? —Iln'arrêtaitpasdemedemandersij'avaiseudetesnouvelles,sijepouvaisessayerde tejoindre.Engros,unhétéroamoureuxpathétique.»Kurtlèvelesyeuxauciel.«Maisj'étais sûrquetudevaisavoirquelquechoseàNewYork.Alorsvas-y,balance. —J'avaisjusteunrendez-vouspouruntrucdemannequin. —Tut-tut,faitKurtenagitantundoigtdedroiteàgauche.Oliverm'aditqu'ilt'avaitparlé aprèslerendez-vousenquestionetquetuluiavaisditquetuétaissurlecheminduretour. Alorsqu'est-cequit'ainterrompue?Unbelinconnucroisésurlaligne6dumétro?Veronica TrasketuneentréeVIPpourunesoiréeincroyableauMarquee? —Non,riendetoutcela.J'aijustereçuuncoupdefildeDavid-tusais,moncopaindu lycée. —Ouais,ouais. —Ilauneinterrod'histoiredel'arthyperimportantelundietilavaitvraimentbesoinde monaidepourréviser. — Hmmmm », fait Kurt en opinant du chef .Je vois bien qu'il veut que je me dépêche d'arriveràlapartielapluscroustillantedel'histoire. «Etc'esttout. —C'esttoutquoi?s'étonne-t-il,l'aircomplètementlargué. —C'esttout.VoilàpourquoijesuisrestéeàNewYorkcettenuit. — Attends un peu », dit Kurt. Il ouvre plus grand la fenêtre, passe une jambe dans ma chambre,puisl'autre,etseretrouvefinalementassisentailleursurmonlit,àcôtédemoi.Il refermelafenêtre. «TuesentraindemeraconterquetuaspassélanuitàNewYork,cequit'aforcéeàrater une soirée à laquelle Oliver, pour qui tu craques complet, t'avait personnellement invitée, toutçaparcequetudevaisaideruncopaindulycéeàréviser? —C'estça»,dis-jeenmefrottantl'épaulecommepourmontrerqu'iln'yapasdequoien faire un plat. Quoique, résumé ainsi par Kurt, cela puisse effectivement paraître un peu louche. «Pff,faitKurt.AlorsçafaitlongtempsquetuesamoureusedeceDavid? —Jenesuispasamoureusedelui.»Nerougispas.Nerougispas.Maisjesensdéjàle sangmemonterauxjoues. «Epargne-moilesdénégations,ditKurt.Cen'estpasgraved'avoirunmecdepuislelycée etdenepasvouloirquelesgensducampussoientaucourant.C'estmêmeplutôtmalin.Ça permetdejouersurlesdeuxtableaux.» Ilm'adresseunsourirediabolique,commesijevenaisdepartageravecluiunsecretsuper sournoisquejen'avaisjamaisracontéàpersonne. «JenesorspasavecDavid.Jetelejure. —Alorspourquoies-tuaussiradieusequesituvenaisdepasserlanuitaveclemeilleur coupdel'histoireouavecl'amourdetavie?demandeKurt. —C'estjustemonmeilleuramiaumonde. —Lavache,onestencoreplusdanslamerdequejenepensais.» 13. En cours de sociologie le lundi, je vais voir Oliver, un sourire penaud aux lèvres. Il m'accueille avec un immense sourire ultra bright, qui me rend encore plus honteuse de l'avoirplanté. «Salut,dis-je. —Salut. —Hum,désoléed'avoirratélasoiréevendredi.Ilparaîtquec'étaitsuperbien.»Jesuis vraimentdébile. «Oh,oui,t'inquiète,c'estpasgrave.Çam'auraitfaitplaisirquetusoislà,maistudevais avoir... —C'estàcausedecerendez-vouspourundéfilé.»Jedécidedementir.«Aprèsquejet'ai eu au téléphone, ils ont voulu que je passe pour un nouvel essayage et, comme il se faisait tard,jesuisrestéedormirchezmatante.» Jesuisépatéedevoiravecquellefacilitéjedébitelesmensonges. «Elledétestelesportablesalorsquandjesuischezelle,jesuisforcéedel'éteindre,cequi fait que je n'ai pu contacter personne », continué-je. Depuis quand suis-je si douée pour racontern'importequoi? «Net'enfaispas,ditOliver.Alors,tuasreprisduserviceentantquemannequin? — Juste pour un défilé, précisé-je, contente de ne pas être obligée de défendre une publicitéouunautretrucplus"insidieux". —Ahbon»,dit-il.Etd'unetellefaçonquej'ail'impressionqu'ilvoudraitendireplus. «Qu'est-cequeçaveutdire?demandé-je. —Oh,pasgrand-chose,enfait... —Sérieusement,vas-y... — J'aimerais bien que tu passes plus de temps ici les week-ends, dit-il en souriant. Ce seraitsympadesevoirunpeutouslesdeux,commeàBrown. —C'estvrai.» C'estmald'êtreamoureusedeDavidetdevraiment,vraimentbienaimerOliver? Évidemment,lasemaineoùOliverentameladragueestaussilapluschargéedel'année, pour moi. Je dois faire un essayage à Tracetown le mercredi, et je défile le vendredi à 13 heures, ce qui signifie que je vais manquer une demi-journée à Teen Fashionista. Heureusement,laplupartdesrédactricesserontaudéfilé,detoutefaçon,alorslebureausera désert.C'estdumoinscequemeditChloelorsquejedemandeàprendremonaprès-midi. Celafaitplusieursmoisquejen'aipasdéfilé-ladernièrefoisc'étaitpourMirabellaPrince à Paris, défilé durant lequel j'avais quand même réussi à m'évanouir devant une foule immensedesuperVIPdelamode.Argh. MaisavecMickeyetMatt,jemesensàl'aise.Ilsontfaitensortequelarobem'ailleàla perfection et même si je ne suis plus aussi maigre en ce moment, j'ai presque envie de me mettreàchanter«Ifeelpretty!»commeNatalieWooddansWestSideStoryparceque,eh bienoui,jemesensbelle! «Violette,jesuisimpressionnéquetuaiesréussiànousfairevirerécolopourceshow,dit Henry,monmaquilleurpréféré,quitravailletoujourspourTracetown.Entempsnormal,je n'aimepaschangerdeproduits,maislà,çamebranchebien!» Jeregardeautourdemoietmerendscompteque-fidèleàsaparole-Mickeyaobtenudes dons de certains des fabricants de cosmétiques les plus respectueux de l'environnement. Je souris. «Etnet'occupepasdecesvilainesfilles,poursuitHenry.Faiscequetuasàfaire. — Quelles filles? » demandé-je. Je me retourne et découvre les visages durs des mannequinsquimefusillentduregard.L'uned'entreelles,ultrablonde,amêmeunemoue dégoûtée en me détaillant de la tête aux pieds, tandis qu'un clone de Tyra Banks, dans un coin, me fixe avec les yeux plissés, et qu'une troisième, qui vient de quitter son siège au maquillage, jette un coup d'oeil vers moi par-dessus son épaule et articule en silence « N'importequoi». Toutàcoup,jemesensincroyablementvulnérable. «C'estquoileproblème?murmuré-jeàHenry,enserrantlesdents. —Oh,ellessontjusteénervéesquetuaiesétéchoisiepourcloreledéfilé,exaspéréesque larobequetuportesaitétéunpeuélargie,follesderagedenepasêtreaussinaturellement sansdéfautqueMlleViolette,unpeudetoutetderien! —C'estvrai?»demandé-je,étonnéequea)desgenssepréoccupentencoredemoi—on ne peut pas dire que je sois extrêmement compétitive durant cette Fashion Week et, b) je n'aiepasrelevéplustôtleurattitudedédaigneuseàmonégard.Maintenantqu'Henrymele faitremarquer,jemesensmoinsbelleàchaqueseconde. Letempsqueledéfilécommence,j'ensuisàdevoirfaireuneffortconscientpournepas me tenir voûtée, dans cette posture défensive classique que j'ai adoptée au lycée, lorsque je mesentaistropgrande,tropnazeetdemanièregénéralesupermoche. « Qu'est-ce qui ne va pas, Violette? me murmure Mickey en me prenant par le bras au momentdefairenotreentréesurlepodiumetcloreledéfilé. — Rien. » Je mens en m'efforçant d'afficher cet immense sourire qu'il attend que je montre aux photographes. Nous arrivons dans un océan de flashs et je leur donne ce qu'ils veulent-cesourirequim'arenduecélèbrel'andernierlorsdemontoutpremierdéfilé,pour Tracetown,celuiquisurfashionista.comavaitcréélebuzzautourdecettefillesifraîchede Caroline du Nord, puis, par le bouche à oreille, qui avait fini par arriver jusqu'à Women's Wear Daily et d'autres magazines voulant m'embaucher pour des photos. C'est ce même sourirequialancémacarrière.Maiscettefois,ilestfaux. Aprèsledéfilé,jeremetsmesvêtementsdevilleetm'apprêteàregagnerimmédiatementle bureau.Lorsquejequittelechapiteau-lunettesdesoleilsurlesyeux,bienqueletempssoit couvert,plusmongrosmanteauenguisedepare-chocscontrelerestedumonde—,j'entends unevoixfamilière. «Violette!» C'estVeronica.Elleadûfairevingtdéfiléscettesemaine.Jenesuispassûred'êtrecapable deluiparler. «Salut,dis-jeenlaserrantdoucementdansmesbras. —C'étaitgénial!s'exclame-t-elle. —Quoi?Ledéfilé?» Elleétaitdanslepublic? «Ehbien,j'avaisuncréneaudansmonemploidutemps,etjesavaisquetufaisaislefinal deTracetown,alorslaRPm'alaisséentrerendouce,explique-t-elle.Tuasétémerveilleuse. —Tuesironique,là?demandé-je. —Maisnon!s'écrie-t-elle,l'airblesséequejeposelaquestion.V,jesuissincère. —Jen'aiplusvraimentlataillemannequin.Ilsontdûélargirlarobepourmoi. —Maisc'estjustementçaquiétaitgénial,ditVeronica.Sansparlerdescosmétiquesbio, qui sont le sujet de conversation n° 1 sous les chapiteaux. Je suis sûre que ça va faire énormément parler de toi - dans les blogs, etc. Au final, est-ce que ce n'est pas ce que tu voulais?Êtretoi-même,etenmêmetempsunmodèlepourlesfilles? —Oui,c'estvrai,dis-jeavechésitation. —Ilfautquejefile,lanceVeronica,enmeprenantlamain.Maistupeuxmepromettre unechose? —Quoi?demandé-je. —Quetuserasfièredecequetuasfaitaujourd'hui,dit-elleavecunesincéritérare.Jene t'aijamaisvueaussibelle.» Elle presse ma main et fonce à son prochain défilé. J'inspire un grand coup et prends la résolution de sortir la tête haute. Veronica a peut-être raison. Je viens peut-être de faire quelquechosedebien. De retour au bureau de Teen Fashionista pour finir la journée, je sens des vibrations bizarres.Alasecondeoùjem'assiedsàmonbureau,ChloemecontacteparMSN(sonpseudo est « Chlove » mais pour être méchantes, Julie et moi racontons que ça devrait être « Chlovieille » à cause de sa différence d'âge avec David). Elle m'apprend qu'Angela a appelé quatrefoisdansladernièreheure-neparvenantpasàmejoindre,elles'étaitmiseàharceler Chloe. VIOLETTEGREENFIELD:elleavaitl'aircomment? CHLOVE:follederage VIOLETTEGREENFIELD:follederage,genreparcequej'étaisinjoignableoupire? CHLOVE:pire Moncœurseserre. VIOLETTEGREENFIELD:ok VIOLETTEGREENFIELD:merci Jedécrochemontéléphoneetdécidedemelancer.J'appelleAngela.Avantmêmelafinde lapremièresonnerie,ellehurle. «VénaleViolette-commentas-tupumefaireça? —Fairequoi?demandé-je,franchementdésarçonnée. —Jet'aiditlasemainedernièrequ'ilfallaitquetufassesquelquechosepourtonpoidset tum'aspurementetsimplementignorée!»crie-t-elle.Jegrimaceàl'idéequetoutlemonde chezTrystentendcettetirade.«Tuasdéfiléentantquemannequingrandetaille!EtMattet Mickeyt'ontlaisséfaire?Jeferaisbiendeneplusjamaistravailleraveceux!Jedevraisleur interdired'utiliserdesfillesdechezTryst!Jedevrais...» Je l'interromps avec calme, d'un ton assuré. Je commence à en avoir assez des insultes d'Angela. «Jenesuispascequel'onappelleun"mannequingrandetaille".» Quelquechosedansmavoixmetuntermeàsadiatribe. «Etmêmesijel'étais,enquoiceseraitgênanttantqu'onchercheàm'engager?Tuperçois quandmêmetacommission,Angela.» Ellesetait-c'estunepremière-,j'enprofitepourcontinuer. «Jamaisjenemesuissentieaussibien.Jenem'affamepas,jenemegavepasnonplus. Jenesuispasobsédéeparquimebooke,quinemebookepas,jenelancepasmonnomsur Googletouteslesdeuxsecondespoursavoirsilapressesedéchaînecontremoi.Jem'éclateà lafac,jemefaisdenouveauxamisetjesuismoi-même.» Angelalâcheunpetitgrognementdemépris. « On s'est lancé dans la lecture de livres de développement personnel, Vile Violette? demande-t-elleavecméchanceté.Ehbien,chérie,tuasjustedelachancequeMirabellasoit ravie du travail de Veronica, au point qu'elle accepte que je te garde au placard, pour ainsi dire. —Commentça? — Eh bien, évidemment, Mirabella tenait à ce que tu fasses toutes les apparitions, les conférencesdepresse,lesinterviewsquivontavecunecampagnedepubdecetteenvergure, expliqueAngela.Maisjeluirépondstoujoursquetuesmalade,pasdisponible.Jenepouvais tout de même pas la laisser te voir avec tout le gras que tu as sur les joues. » Ma main se porteinstinctivementàmonvisage. C'est alors qu'Angela assène son plus gros coup : « Notre Veronica est toujours partante dèsqu'ils'agitdeseretrouversouslefeudesprojecteurs,commetulesais.» Mon cœur commence à battre un peu plus vite. Veronica s'est-elle fichue de moi aujourd'hui? Se réjouit-elle parce que je n'appartiens plus à la catégorie des top models? Préférerait-elle que je disparaisse de la circulation ? Le silence entre Angela et moi devient assourdissant.Jenedoutepasuninstantqu'ellesaitàquelpointjeseraisblesséesiVeronica me trahissait. Je sais aussi qu'Angela est capable de vastes manipulations pour obtenir ce qu'elleveut.Etcequ'elleveut,c'estquejeperdedupoidsetquejereprennemonboulotde mannequinpourluifairegagnerplusdefric. Je repense à la sincérité que j'ai lue dans les yeux de Veronica, sous le chapiteau, lorsqu'elle m'a dit qu'elle était fière de moi - et à sa présence constante à mes côtés depuis quejel'aiaidéeàentrerencurededésintoxl'étédernier. «Veronicaestmonamie,dis-jeàAngela.Qu'ellefassedelapressepourMirabellaPrince meconvienttrèsbien.» Il y a un petit blanc dans la conversation, mais Angela se ressaisit. « Fabuleux, chérie », lâche-t-elle.Jesuissûrequ'elleestagacéequesamanœuvren'aitpasfonctionné,maisellele cachebien.«J'aijusteunedernièrerequête. —Laquelle?»demandé-je,m'attendantàcequ'ellem'ordonnedelaissertomberlafac,de m'envolerpourl'Indeoutouteautreexigenceaussiridicule.Leplusdingue,c'estqu'iln'ya passilongtemps,jel'auraisfait.J'aiobéiauxexigencesd'Angela. «Nefaispasdescène,net'exprimepasdanslapresse,s'ilteplaît,dit-elle. —Dequoituparles? —Jetelâche.» Elleleditcommeça,commesielledisait«J'annuleledîner»ou«J'aiunrhume». «Quoi?insisté-je. —Jenesuisplustonagent.TunefaispluspartiedeTryst.» Jefixel'écrandemonordinateur,leregardvide,ensecouantlatête.Ilmesemblequeje n'arrivepasàcomprendrecequ'elledit.Puisjemeressaisis. «C'estàcaused'aujourd'hui?demandé-je.Parcequetun'aspasappréciémonapparence dansundéfilé? —Iln'yapasmatièreàdiscussion,ViolettelaVacancière,trancheAngela.C'estterminé.» Etjen'entendsplusquelatonalitédansletéléphone. Après quelques instants durant lesquels je reste sous le choc, je me résous à avancer un peu dans mon travail. J'ai une liste de projets de recherche que Chloe m'a confiés : trouver dessujetspourlarubrique«Unefille,unehistoire»,éplucherlesjournauxàlarecherchede nouvellesétudesdesanté,lancer«concurrencemère-fille»surGoogle.Maisjen'arrivepasà meconcentrer. J'attrapemonmanteauetmedirigeverslesascenseurs.Jecroisequelquesrédactricesqui melancentdesphrasescomme«Beauboulot,aujourd'hui!»ou«Deretouraubureauaprès undéfilé?Ça,c'estdelamotivation!».Jesouris.C'estagréabled'êtreremarquée.Cettepartie demavieest-elleterminéemaintenantqu'Angelam'avirée? Je descends, franchis les portes vitrées et me retrouve dans l'air glacial de l'hiver. Si je fumais,jem'engrilleraisuneimmédiatementaupieddel'immeuble.Destasdegenslefont, etçaal'airdediminuerlestress,mais,franchement,çapuetrop.Aulieudeça,j'inspireune grandegouléed'airfroid,adosséeaumurdepierregrise.Jefermelesyeuxetsoupire. «Violette?» Jesuistellementbouleverséequej'aideshallucinations. «Violette?» J'ouvrelesyeux.Ilestvraimentlà. « David », dis-je. Et je m'effondre contre son épaule, mouillant son manteau des larmes quejeretenais. «Ouah,fait-ilenmetapotantledosdesesmainsgantéesetenmeserrantcontrelui.Ça vaaller.Jenesaispascequisepasse,maisçavaaller.» Nousrestonsainsiuneminuteoudeux-moientraindepleurer,luientraindemefrotter ledos.Jem'émerveilleensilencequeDavidsoitarrivé-commeparmagie-aumomentoù j'avaisbesoindelui. Jem'écarteetm'excuse.«Tuestoutmouilléàcausedemoi,dis-jeenreniflant.Enplus, c'estunnouveaumanteau,non? —Hé,c'estH&M.» Nous rions ensemble. Puis je lui parle du défilé et d'Angela, qui m'a laissée tomber. J'ai peurqu'ilmejuge.Qu'ilmedise«Finilesmannequins,bondébarras!».J'aipeurqu'ilne tiennepascomptedemessentimentsmitigés.Maiscen'estpaslecas. «Violette,jesuisdésolé,dit-ilenm'attirantcontreluiunenouvellefois.Durejournée, hein? —Oui.»Jesuiscontentequ'ilnefassepascommefonttoujourslesmecs,proposerun millierdesolutionspourarrangerleschosesquandtoutcequ'attendunefillec'estunpeude compassionetdetempspourdiscuter. «Tucroisqu'onpourraitpasserlasoiréetouslesdeux?»demandé-je,certainequ'ilsaura reconnaîtrel'urgencedujour,etqu'ilarrangeratoutavecunfilmetunCocaquitranspire.En sachantqu'ilseralàpourmoi. «Oooh»,dit-ilenjetantuncoupd'oeilàsamontre-touteneuve,constaté-je.UneCartier. Depuisquandlesétudiantsportent-ilsdesCartier?«Cesoir,cen'estpaspossible.Enfaitje suis passé prendre Chloe un peu en avance, on part en week-end chez sa mère dans les Catskills.» Quoi? Jedoisavoirl'aircomplètementahuriecar,aprèsuninstantdesilencegêné,ilreprend:« C'estvraimentunendroitgénial.» J'enrestebouchebée.IlestdéjàalléchezlamèredeChloe? «Enfin,j'aivulesphotos,çaal'airgénial,précise-t-ilenremarquantmonairchoqué.C'est notrepremierweek-endtouslesdeux.»Ilsouritcommesij'étaiscenséeêtreheureusepour lui.Ilsouritsurtoutcommes'ilétaitheureuxavecChloe. «Ah,dis-jeenessuyantunedernièrelarme.C'estsuper. — Tu n'as pas vraiment besoin que je reste avec toi, si? demande David. Enfin, je veux dire,tupeuxparleràtesamisàVassaretçaira,non? — Absolument », dis-je en essayant de prendre un ton indiffèrent. En essayant de faire commes'ilnevenaitpasdemebriserlecœuretdesabotermavisiondudestin. «Bien,conclut-il.Jenevoudraispasquetum'enveuilles.» Jemeforceàsourire. «Onmontejusqu'aubureau?»suggère-t-il. Et je me retrouve dans les ascenseurs de Bruton en compagnie de mon meilleur amivéritableamour,quimontecherchersapetiteamie. Commentenest-onarrivéslàexactement? 14. À mon arrivée sur le campus, je suis soulagée de trouver la suite déserte. Je me laisse tomber sur mon lit et pose mon iPod sur ses enceintes. Il est en lecture aléatoire, mais le premiermorceausurlequeliltombeest«BigGirlsDon'tCry*»deFergie. *Lesgrandesfillesnepleurentpas Ilestpeut-êtretempsquejelaisselepasséderrièremoi.DavidestavecChloe,c'estcomme ça. Je me lève et me place devant le miroir standard qui est accroché dans toutes les chambresdecitéuniversitaire,maiscen'estpasmonrefletquejeregarde.Jecontempleun petitmorceaudepapierjauni-lepoèmedeBarcelone.Jeletraduismentalementpourlasix centièmefois:«Pasplusquedesamis,pasmoinsqu'unvéritableamour.»Benvoyons. Je tends le bras et décolle doucement le Scotch de la glace. Puis j'attrape mon Lonely Planetsurl'étagère. Jecoincelepoèmeàlapremièrepagedemonguided'Espagne.C'estunsouvenir. J'allumemonordinateur,etmeconnectedirectementsurlesblogs,bienquejesacheque jenedevraispas.Lorsquej'entremonnomsurlesitetechnorati.com,jesuissubmergéepar uneavalanched'informations.Apparemment,toutlemondeauneopinionsutlefaitqueje défile ou non cette saison. Certains sont narquois, certains mitigés, d'autres carrément méchants (« Portée par Violette Greenfield, la robe rouge de clôture de Tracetown ressemblaitàuneénormecapedematadorespagnol»).Sitantestqueçaveuilledirequelque chose.Jesensleslarmesmemonterauxyeux,unenouvellefois,maisj'enaitellementmarre depleurerquejelesravale.Jefermetouteslesfenêtresdunavigateurenmêmetempsetjure de ne plus me connecter tant qu'un autre mannequin ne se sera pas attiré le courroux des méchantsblogueurs. Onfrappeàlaportedelasuite.CenepeutpasêtreKurt,ilnefrappejamais.Jejetteun coupd'œilaumiroirpourm'assurerquejen'aipaslesyeuxrouges,jemepincelesjouespour ymettreunpeudecouleuretvaisouvrir. «Oh,salutOliver.»Ilsetientsurleseuil,unbouquetdemargueritesàlamain. «Tiens,dit-ilenmetendantlesfleurs.Pourtongranddéfilé.» Jesourisetreculepourlelaisserentrerdanslesalon.Ils'assiedsurnotrefutonmarron d'unepropretédouteuse. «Alors,commentças'estpasséaujourd'hui?demande-t-il,l'airvéritablementintéressé. —Tun'aspasencoreregardésurstyle.com?dis-jeentriturantlespétalesblancs. —Hum,non,répond-ilavecsérieux.Tuauraispréféré?Parcequejeseraisravidelefaire et... —Ças'estbienpassé.»Maisjeterminemaphrasesurunpetitsoupir. «"Bien",c'esttout?insiste-t-il. —Enfin,jesuisunpeuplus,hum,grossequelesautresfilles,dis-jeenposantlebouquet sur la table du salon et en m'installant sur le canapé à côté d'Oliver, les pieds repliés sous moi.Etonmel'afaitsavoir. —Quiça?demandeOliver,dontledosseraiditd'indignation. —Lesautresmannequins,lesblogs,monagent.» Etlà,jedécidedetoutluiraconterpourAngela.Pourquoipas? «Enfait,monagentm'aviréeaujourd'hui. — Ah, fait Oliver d'un air pensif. Ce n'est pas bon, c'est ça? Tu voulais continuer à être mannequinpendanttesétudes? —Jenesaispas,dis-jeenréfléchissantàlaquestiond'Oliver.Jecroisquejeneveuxpas fairelesdeux. —Alorstuescontentededécrocher?demande-t-ilgaiement,l'airpleind'espoir. —Pasvraiment.» Il me regarde d'un air interrogatif. Je me demande s'il pense que je veux continuer pour l'argentousijesuisunefillefutilequiabesoindecetteattention.Jeneveuxpasqu'ilpense ça,maisjenesuispascertainenonplusdevouloirtoutdéballer. «Jet'aimebeaucoup,tusais?dit-ilenmeregardantdroitdanslesyeux. —Jet'aimebeaucoup,moiaussi. —Cen'estpasparcequetuesmannequin.C'estparcequejetetrouvetrèsintelligente, prévenante,adorable. —Merci»,murmuré-je,enmedemandantsiOlivermeconnaîtvraiment.Jepenseaussi quedutempsoùjen'étaispasmannequin,aucunmecdugenred'Oliver-grand,blond,avec des fossettes - n'avait posé les yeux sur moi. Il est beau, charmant, et moi, j'étais invisible, unemoins-que-riendulycée,l'incroyablementfragileViolette. «Maisaufinal,çava?demandeOliver. —Jenesaispas,répété-jeavecfranchise. —Est-cequej'aidroitàunsouriresijetedemandedem'accompagneràlafêtequiréunit toutlecampuscesoir?» Je souris. « Oui », dis-je en prenant la résolution de laisser tomber le boulot de mannequin,NewYork,David,ettoutcequimefaitsouffrir.Parceque,encemomentprécis, iln'yariendemieuxquelafac. Oliverdoitfoncerlirequelquestrucsdanssachambre,avantdesortir,maisilprometde passervers21heures,pourjouerunpeuavecKurt,Fan,Jessetmoi.LorsqueFanentredans machambre,jesuisallongéesurlecanapéavecL'ÉveildeKateChopin,détendue,satisfaite. «Pasdedrameaujourd'hui?interroge-t-elleenouvrantleminifrigo,àlarecherched'une cannettedeDrPepper. — Oh, certaines filles m'ont regardée de travers à cause de mon poids, mon agent m'a laisséetomberetmonmeilleuramiachoisisacopineaulieudemoi,maissinonçava,dis-je ensouriant. —Ouhlà,soupireFan.Alorscommentsefait-ilquetusoissicalme?»Elleécartemon piedpoursefaireuneplacesurlecanapéets'installeàcôtédemoi. «Jetireuntraitsurtoutça,annoncé-je,l'airpresqueconvaincue,enposantmonlivre. —Jesuisfièredetoi,déclareFanenmedonnantunetapeaffectueusesurlemollet. —C'estvrai? —Oui!»Ellesourit.«Grâceàtoi,Tracetownaprésentéundéfiléécolo.Tufaispartie desprécurseurs,Violette.Tuneréalisespasl'influencequetuas,ettul'utilisespourfairele BienavecungrandB. —Cen'étaitpasgrand-chose. —Maissi,dit-elle.Merci.» QuiauraitcruquejedeviendraisVioletteGreenfield,activisteécolo? «VI-O-LE-TA!»crieKurtdepuislecouloir.Jel'entendscourirjusqu'ànotreporte.Fanme regardeenhaussantlesyeuxaucieletsourit.Jeris. Lorsquesagrandesilhouettemaigreapparaîtdansl'encadrementdelaporte,jeréponds: «Oui,Kurt? —Jeviensdetelaisseruncommentaire!Tuétaistropsexyaujourd'huipourTracetown! s'extasie-t-il. —Ah,merci. —Toutlemonden'estpasdetonavis,intervientFan,nonsansgentillesse. —Commentça?demandeKurt,ensetournantversFanavecunemoueoutrée.Entout cas,ceuxquiécriventdespostssurleprofilMySpacedeViolettesontfans. — C'est vrai? » demandé-je en me levant pour aller chercher mon ordinateur. Je le rapportedanslesalonetmeconnectesurMySpace.Jeparcourslescommentaires: lovewillcometoyou94:tuétaisplusbellequejamais!!!ettonmaquillage100%écolo,c'esttroooopcool!!! Carolinababy919:lesfillesdeCarolinesonttoujourstopmaistulessurpassestoutes:-)ps:jesuisnéeàchapelhill!! Ann[M]isinlike : je veux que tu saches que tu es un super modèle pour les vraies filles, et tu es une femme forte et magnifique!!! Ilyenadesdizaines,et99%d'entreeuxsonttotalementpositifs.Ilyamêmeunpostde Basil,l'apprentideTracetown,quimeremercied'avoirdéfilédefaçon«aussiéthérée,comme uneprincessedesangroyal».JelèvelesyeuxversKurt. «Monagentm'aviréeaujourd'hui»,luiannoncé-je.Maisaveclesourire. «Lasalope!»s'exclame-t-il.PuisilseserreentreFanetmoisurlecanapé. «Qu'elleaillesefairefoutre!ajouteFan.C'estlepeuplequicompte,pascetteesclavagiste. —Tucrois?demandé-je. —Ellenesaitpascequ'elleperd,beauté,déclareKurt.Tesfanst'adorent.» Jel'embrassesurlajoue.«Mercidem'avoirmontréça.» Cesoir-là,Oliversejointànous,Kurt,Fan,JessetmoidansnotrepartiedeQuiperdboit préfête. Nous avons des litres de bière et quelques délicieux trucs à grignoter - chips et biscuits-,ledînerparfaitpourunvendredisoir. IlssonttousaucourantdemadisputeavecAngelaetdelafindemoncontratavecTryst. Et personne n'a l'air de s'en faire pour autant. J'enfile une robe en maille souple, facile à porter,etunepairedetongs.Aprèstout,unefilledoitpouvoirdanser-surtoutsipersonne n'estlàpourjugersesorteils. J'ai passé une excellente semaine, et je me suis rendu compte que j'attache beaucoup d'importance à cette vie d'étudiante - je n'ai pas besoin de New York ni de l'industrie de la mode,nimêmedemonstageaumagazine,d'ailleurs.Enrevanche,j'aiétéforcéedechanger denumérodeportable.Lesjournalistesn'arrêtaientpasd'appeleretjenesuispasd'humeur àparler-mêmesiKurtatrèsenviederépondrepourdiredumald'Angela. J'aifaillinepasretourneràTeenFashionista,toutsimplement,maisKurtm'aconvaincue denepasdémissionner.«C'estuniquementlevendredietjusqu'àlafindusemestre!a-t-il dit. C'est un boulot de rêve! » Mais, au moment où je franchis la porte de Bruton, et où je sens les yeux se braquer sur moi, je ne suis toujours pas sûre d'avoir fait le bon choix. Pourquoidevrais-jemesoumettreàcesregardsinquisiteurs? J'arriveàmonbureauetdécouvreAlexia,lastagiairebeauté,installéeàmaplace. «Ah»,fait-elleenlevantlesyeuxetenobservantmatenuedelatêteauxpieds.Jeporte descollantsviolets,deschaussuresàtriplesbridesnoiresetunerobeassortie,ajustéeavec une large ceinture en cuir - j'en jette, je le sais, mais elle me gratifie tout de même d'un roulementd'yeuxsarcastique,histoiredemesignifierquec'estn'importequoi. Je tiens ma position et ne me laisse pas intimider par son jugement. «Je peux récupérer monbureau,s'ilteplaît?»Toutàcoup,jemerendscomptequejen'abandonneraipascejob, surtoutpouréviterd'alimenterlesragotsdegenscommeAlexia. «Biensûr.JecroisqueChloen'étaitpassûrequetureviendraisaujourd'hui.»Elleselève, attrapesoncarnetetregagned'unpasnonchalantsonplacard. Avantquej'aieletempsdem'installer,jevoisdébarquerValentina-larédactricebeauté.« TuasvuAlexia?demande-t-elle. —Oui,dis-je.Elleétaitassiseàmonbureau,maisjeluiaisignaléquej'enavaisbesoin aujourd'hui. —Ah,d'accord»,faitValentinaenjetantuncoupd'oeildistraitdanslecouloiràtravers ses lunettes à monture en écaille. Je parierais que ce ne sont même pas des verres correcteurs. «Alorselledoitsûrementêtredansleplacard,maintenant»,ajouté-jeenespérantfaire partirValentina. Elle tourne à nouveau les yeux vers moi. « Nous n'étions pas sûres que tu reviendrais », déclare-t-elle. Ilyaeuunegrosseréunionconcernantlestatutdemonstageouquoi? «Pourquoineserais-jepasrevenue?demandé-je. —Ehbien,aprèsledéfilé,lasemainedernière...,commence-t-elle.Onapenséquepeutêtre... —Jeresteraiscloîtréedansmachambreàpleurer?»rétorqué-jeaveccolère,plusgarce quejenedevraisl'êtreavecunerédactricesenior. Valentinamejetteunregardnoir.«Nousn'étionsplussûresquec'étaittonunivers,c'est tout»,répond-elleavecdésinvolture,avantdes'éloignerdanslecouloirenfaisantclaquerses talonstrophauts. Je me tourne vers mon ordinateur avec un soupir agacé, et vois un e-mail de Marilyn Flynn.C'estlepremierquejereçoisdelarédactriceenchef,aussim'empressé-jedel'ouvrir. «Viensmevoirdèsquetuarrives.MF» C'estclair,jevaismefairevirerdemonstage.Ellel'aenvoyéà8h14,ilestmaintenant9 h42-jedoispasserpourunetire-au-flanc! Trèsvite,jem'empared'uncarnetetd'unstylo,aucasoùellemedemanderaitdeprendre desnotespourécrireunarticle.Pitié,faitesquecesoitpourunarticle! Alorsquejemedirigeverssonbureau,jevoisChloequipasselatêtepar-dessuslacloison etm'appelleàvoixbasse.«Violette!» Jefaisdemi-tour.«Ilfautquej'aillevoirMarilynFlynn!luimurmuré-jeenréponse. —Viensiciuneseconde!chuchote-t-elleenmefaisantsigned'approcher. —Jesuisenretard,dis-jeenarrivant. —Jesais.Maisjevoulaisteprévenir.Aprèsledéfilédelasemainedernière,onneparlait quedetoi,lapresseadécrétéquetun'avaispluslataillemannequin,etc. —Pourrésumerleschosesgentiment... — Ouais, fait Chloe. Des cons, quoi. » Elle m'adresse un sourire compatissant. « Bref, j'avaisparlédecepapiersurtavieàMarilyn.Tusais,celuioùonraconteraittonintervention dansunlycéeetoùondiraitquetuesunefillecommelesautres,avecdescomplexes,prêteà rencontrerdeslectrices. —Et? —Ehbien,elleétaittentéedelepublier,répondChloe. —Maismaintenant?»demandé-je.Jepassed'unpiedsurl'autreetsensmontalondroit frotter contre la chaussure trop raide. Cette paire n'est pas encore franchement faite à mon pied. «Jenesaispastrop,ditChloeensemordantlalèvre.Ellepourraitpenserque,puisquetu n'es plus chez Tryst, tu as perdu de ton intérêt. Commercialement, je veux dire. Pas personnellement.» Jebaisselesyeuxversmeschaussuresetserremoncarnetcontremapoitrine. «J'ai reçu des tas de messages sur MySpace cette semaine, dis-je en relevant la tête vers Chloe. —Vraiment?demande-t-elle,tropsurprisepourêtrehonnête. —Oui.Laplupartprovenantdefillesquiontappréciédemevoirdéfiler,malgrémaprise depoids...Beaucoupdecommentairesaffirmantquejesuisunexempleàsuivre,cegenrede choses. —C'estgénial!ditChloe,quisemetàtaperrapidementsursonclavier.Tonadresse,c'est www.myspace.com/violettegreenfield,c'estça? —Oui,répondis-je,enmedemandantbrièvementcommentellelesait. —Jesuisalléefaireuntoursurtapagequandj'aifaittonportraitl'andernier,explique-telle,enlisantdansmespensées.Attendsvoir.» Elle sort de son box et revient avec cinq pages imprimées - quelques-uns des commentaireslaisséssurmapage.«ApporteçaàMarilyn. —Maisjenesaismêmepascequ'elleveut...,commencé-je. —Fais-moiconfiance.» Et,bienquejen'aiepasspécialementenviedefaireconfianceàlafillequim'apiquéDavid, j'obéis. Lorsquej'annonceàl'assistantedeMarilynFlynnquecelle-cim'aconvoquéecematinen personne,elleouvretoutdesuitelaportedelarédactriceenchef. Sonbureauestentièrementvitré,avecunevuehallucinantesurl'horizon.Toutyestd'un minimalismesaisissant-tabledePlexiglasavecfinspiedsmétalliques,moquetteblanccassé, canapémoderneblancetnoiràdossierbas. Marilyn Flynn me fait signe de m'y asseoir. Elle boit une gorgée de café et vient me rejoindre.J'imaginequ'elleveutparaîtredétendue. «Violette,dit-ellechaleureusement.Commentvas-tu? —Trèsbien,merci. —Jesuiscontentedel'entendre.Commetulesaispeut-être,Chloem'aparléd'unarticle teconcernantl'autrejour.Plusqu'unportrait-unsujetsurlavied'unmannequinendehors despodiums,quifaitdesonmieuxpourêtrequelqu'undebien,unmodèle,enquelquesorte. —Oui.Chloem'enatouchéunmot. —Jenesuispascertainequelethèmesoittrèsaccrocheur.Tuvoiscequej'entendspar là? —Pasvraiment,avoué-je. —Ehbien,es-tuencoremannequin?» Jenesaistropcommentrépondre.C'estvrai,jesuistoujoursmoi.Cettepersonnequiétait mannequin et a connu le succès. J'ai encore une campagne nationale de pub présente dans touslesmagazines,onparletoujoursdemoi,jepourraisencoreallerenboîteparl'entréeVIP sijelesouhaitais...Maisquecelasignifie-t-il? «Jenesaispas,dis-je. —JesaisquetunetravaillespluspourTryst,annonceMarilynFlynn. —Bien.»Lesblogueursontdûdénicherl'infoquelquepart. «Et comment supportes-tu les répercussions de la semaine dernière? demande-t-elle. J'espèrequelesmoqueriesnet'atteignentpas.» Je souris. « Un peu, dis-je, avec franchise. Mais j'essaie de me concentrer sur ce qui comptevraiment. —C'est-à-dire?» JeluitendslespagesimpriméesparChloeetguettesesyeuxquilesparcourent. «J'ai repensé à l'article, continué-je, tandis qu'elle s'attarde sur chaque message. Si on le fait,onpourraitmoinsparlerdemannequins,plusdescomplexesuniverselsauxquelsnous sommes tous confrontés. Si ça signifie que je dois évoquer mes souvenirs les plus gênants, mesmomentslesplusnoirs,çanemedérangepas. —Pourquoivoudrais-tufaireunechosepareille?demande-t-elle. —Pourlesfillesquim'admirent.Ellesontbesoindel'entendre.» Marilyn Flynn me dévisage pendant quelques secondes, comme si elle essayait de découvrirlesintentionsvéritablesderrièremesmots.Peut-êtreest-ellesouventconfrontéeà deshypocrites,alorselleabesoindeconfirmerleschosesdanslesyeuxdesgens. Aprèscequisembleêtreuneminutecomplètedesilence,elleselève. «Onfaitl'article.» 15. Puisque Chloe s'était chargée du portrait de moi « mannequin », il paraît bien normal qu'elle rédige ce nouvel article. Nous nous donnons rendez-vous pour en discuter. Il ne me serapasexclusivementconsacré-quelques«vraies»fillesserontévoquées,maisjeseraile personnage central, puisque certains lecteurs me connaissent déjà. Moi qui me suis méfiée tantetplusdufeudesprojecteurscetteannée,j'ail'impressionquejepourraisêtrefièrede cepapier,alorsjesuishyperenthousiaste. Tandis que je rassemble mes affaires pour quitter New York, je suis seulement un peu tristedenepasvoirDavidcettesemaine.JepariequeChloeetluiontprévuuntrucdément, commedînerdansunrestauchicpuisserendredansunnouveauclub,untrucdanscegenre. Maispeuimporte.J'aiunquasi-rencardavecOliver. «Prête,Violette?»Chloes'approchedemonbureau,manteausurledos. «Oh,j'allaisrepartirpourlecampus. —Jesais.Etjeviensavectoi. —Quoi? —Tuasentenducequ'aditMarilyn-elleveutlepapieràlafindelasemaineprochaine. »Chloesortsonglossets'enappliqueunecouche.«Jesuisdoncobligéedefairelereportage ceweek-end. —Ah,bafouillé-je,pastrèssûredesavoircequejeressensàl'idéed'emmenerChloeavec moiàVassar.J'espèrequetun'aspasétéobligéed'annulerquelquechosepourmoi. — Nan, dit-elle en souriant. Juste une soirée télé avec David. Nous avions prévu de commanderduchinoisetderegarderlasaison4deLost.» Je me force à sourire. D'une certaine façon, c'est encore pire d'apprendre qu'ils devaient passer une soirée tranquille dans ce genre que de découvrir qu'ils étaient attendus à une grossefête.Leurrelationenparaîtplusintime.Elleressemblebeaucoupàcellequej'ai,moi, avecDavid.Aïe. Levoyageentrainjusqu'àPoughkeepsieestlimiteinsoutenable.Chloeestenfaitunefille bien,jedoislereconnaître,maisonal'impressionqu'ellenesupportepaslesilence,etqu'elle se sent obligée de jacasser et de jacasser encore pour éviter tout moment de nonconversation. J'apprends donc que son frère aîné est avocat (bonne nuit), qu'à cause du divorcedesesparents,elleatoujourseudumalàfaireconfianceauxmecs,jusqu'àcequ'elle rencontre«l'adorableDavid»(ausecours!),etqu'elleatoujoursvouluavoirunchienàtrois pattes(semi-intéressant). « Alors, qu'as-tu prévu pour ce week-end? s'empresse-t-elle de me demander dès qu'un instantdesilencemenace. —Riendespécial.J'aiseulementrendez-vouscesoir. —Oooh,super!s'exclame-t-elleensepenchantpourm'attraperlebras.Quiest-ce? —Unmecquis'appelleOliver.Jel'airencontréencoursdesociologie.Ilestcool.» Elle sort son minicalepin et commence à écrire. C'est à ce moment-là que je comprends quejevaisdevoirfairetrèsattention. «Etqu'est-cequetuaimesbienchezlui?demande-t-elle. — Eh bien, il m'écoute, commencé-je. Et ce n'est pas parce que je suis mannequin qu'il m'apprécie. — Deux bonnes raisons, décrète Chloe. Tu crois que ça va le déranger si je me pointe à votrerendez-vousavecmoncarnetpourtenirlachandelle? —Detoutefaçon,onseretrouveàunesoiréeétudiantesurlecampus,alorsjecroisque çaira.» Lorsque nous arrivons enfin à Vassar, j'ai besoin d'une sieste. J'ai envie de foncer direct dansmachambre,pourmereposervingtminutes,maisjetrouveKurtsurmonlit,entrain defeuilleterVogue. «VV!crie-t-il.Tuesrentréecesoir?Tum'asramenéuneMST?» OK, on oublie la petite sieste réparatrice. Hors de question que les blagues absurdes de KurtapparaissentdanslereportagedeChloe. « Il plaisante, précisé-je donc immédiatement. Kurt, voici Chloe. Elle est reporter pour TeenFashionista,ilsfontunarticlequiinclutunpetitrésumédemaviedetouslesjours. — Chloe Anderson ! » s'exclame-t-il en attrapant sa main et en l'embrassant vigoureusement.Kurtapourhabitudedemémoriserl'oursdesmagazinesqu'ilaimebien.« Unvéritableplaisir. —Kurt,tul'écrisK-U-R-T?s'enquiertChloe. —Absolument.NomdefamilleAllen,A-L-L-E-N. —Merci. — Ne laisse pas Violette te faire croire qu'elle mène une vie normale ! dit-il en fonçant jusqu'àlaportepourjeteruncoupd'œildanslecouloir.Tuesvenueavecunphotographe?» demande-t-ilavecexcitation. —Non,répondChloe.Cepapier,ceseraplutôtunmélangedegensdifférents,alorsonva sûrementutiliserunportraitdeVioletteseule.» Kurtfaitunepetitemoued'uneseconde,maisilseressaisittrèsvite.«Ilvafalloirqueje tedonnequelquescitationssavoureusespourpiquerlacuriositédeMarilynFlynn,ducoup, déclare-t-il. —Jesuissûrequeceneserapasunproblème,dis-jenerveusement. —Assieds-toi,Bouclesd'Or,ditKurtàChloe.Violettet'a-t-elledéjàparlédesadoublevie amoureuse-celleicisurlecampusetl'autreàNewYork?» Je jurerais que mon cœur s'est arrêté un instant. Debout derrière Chloe, je secoue vigoureusementlatêteendisantnon,non,non,avecdesyeuxgrandscommedessoucoupes. « Ooh! couine Chloe. Voilà qui a l'air intéressant! » Elle tient son stylo en l'air juste audessusdesoncarnet,prêteàprendredesnotes. Kurtlèvetrèsvitelatêteversmoi,comprend,etenchaînecommesiderienn'était. «Oh,jeveuxjustedirequ'elleadoreautantlavienew-yorkaisequelavieétudiante.Elle est très partagée. C'est dur pour elle d'être une fille normale alors qu'elle est une véritable stardelamode.» Jelâcheunsoupirdesoulagement.Chloesetourneversmoi. « Oh, fait-elle, l'air déçue. J'ai cru que tu allais m'annoncer qu'Oliver avait de la concurrence. —Onparledemoi?» Je fais demi-tour et découvre Oliver sur le pas de la porte de la suite. Décidément, la situationsecomplique. «Salut,lance-t-ilàChloeentendantlamain. —Oliver,voiciChloe,dis-je.ElleestjournalisteàTeenFashionista. —Ellevientfaireunreportagesurmesfrasques!»s'écrieKurt. Chloerit.Unrienlacharme. «Enfait,jesuislàpourViolette,expliqueChloe. —Ah,d'accord»,ditOliveravecunsouriresincère. Puisilmeregarde.«Violette,tuveuxqu'onailledînerensembleavantlasoirée? —Biensûr»,dis-je,toutecontentequ'ilm'invitepourunauthentiquerendez-vousdevant Chloe.Elleleraconterapeut-êtreàDavid. « Génial. Mon coloc m'a autorisé à prendre sa voiture, alors on peut sortir du campus et alleràl'Acrop,parexemple? —Hiii!Al'Acrop?geintKurt,dontlatêtesurgitsoudaindumagazinedanslequelils'est replongé. —Qu'est-cequec'est?demandé-je. —L'AcropolisestunecafètdePoughkeepsie,répond-il.Franchement,Oliver,jetecroyais unpeuplusclasse.» Olivervireaurougesousnosyeux,cequejetrouvecharmant. «J'adore les cafétérias, m'exclamé-je gaiement. Au moins on voit les photos de ce qu'on commande! —OK,c'estcool,dit-ilenfranchissantlaporte.Jerepassevers20heures? —Super,acquiescé-jeavantderefermerderrièrelui.Kurt!C'étaittropmalpoli! —Quoi?lâche-t-ilenlevantàpeinelesyeuxdesonVogue.C'estnaze,commerencard.» Chloegriffonnefurieusement,maisjenevoispasquelestlerapportavecl'article.Saufle faitquejesorteavecunmeccesoir.Jejetteuncoupd'oeilpar-dessussonépaulepourvoirsi elleanotéqu'Oliverestgrandetbeau. « Violette, il faut que j'aille au pipi-room, dit Kurt en se levant et en m'attrapant par le bras.Tum'accompagnes? —Heu,biensûr.Chloe,onrevienttoutdesuite.» Ellem'adresseunsourirejoyeuxets'installedanslecanapé. Kurtmanquedem'arracherlebrasdanslecouloir,etlorsquenousarrivonsauxtoilettes, ilcroiselesbrassursapoitrineets'appuiecontreunlavabo. «Alors... C'est quoi, l'histoire? Pourquoi Chloe ne peut-elle pas être au courant de l'amoureuxdulycée? — Pour rien, dis-je en me recoiffant dans la glace pour ne pas avoir à regarder Kurt en face.Jen'aijustepasenviequeçasoitpublié. —Mensonge.Tusecouaislatêtecommesij'étaissurlepointdeluiannoncerquetuavais tuésagrand-mère. —Oh,jet'enprie,marmonné-je,enessayantd'avoirl'airnaturel.Jenevoispasdequoitu veuxparler. — ElleconnaîtDavid, c'estça?» demandeKurt. Eh merde! Tous les gays sont-ils aussi perspicaces? «Jen'ensaisrien,dis-jeenmepenchantpourouvrirlerobinet. —Pourquoitutelaveslesmains?demandeKurt. —Quoi?Parcequ'ellessontsales,àcausedutrain. —Tuesnerveuse.Etc'estparcequetun'espashonnêteavecmoi.Maiscen'estpasgrave. »Ilfermelerobinet,metenduneservietteenpapier.«JevaisjusteallerdemanderàChloe sielleconnaîtuncertainDavid.» Ils'approchedelaportequimèneverslecouloir.Moncœurs'emballe,jelerattrapeparle coude. «Nefaispasça,supplié-jeenbaissantlesyeuxverslecarrelagesalelorsqu'ilseretourne versmoi.ChloeestlapetiteamiedeDavid.» Lorsdurendez-vousavecOliver,jesuisincapabledemeconcentrer.JecrainsqueKurtne disequelquechoseàChloes'ilboittroppendantlafête.Pasparcequ'ilenauraitl'intention, maisjusteparcequ'ilestKurt.Lasubtilitéetlessecrets,cen'estpassontruc. «Jevoussersquelquechoseàboire?demandeleserveur.Oliverestenface,Chloeàcôté de moi. Elle commence vraiment à me taper sur les nerfs - et ce n'est pas seulement parce qu'elle tient la chandelle pour de bon cette fois. C'est sa façon hyperenjouée de parler (elle sembleseconduireunpeucommesinousétionslesfillespopulairesducollègeoujenesais quoi).Enplus,ellenoteabsolumenttout.Et,pourfinir,jetrouveénervantqu'ellerieaussi facilement(aveccethorriblegrognementdecochon). «UnCocalight,répondChloe. —Unmilk-shakeàlavanille»,dis-je.Etbim,lecompteurdecalories! Oliver commande une bière, et on ne lui demande même pas sa pièce d'identité. « Impressionnant,dis-je. —Toutestdanslafossette»,répond-ilensouriant. Chloe nous a demandé de faire comme si elle n'était pas là. Elle nous a promis d'être la plusdiscrètepossible-cesontsesmots-etpourtantelleestincapabledegarderlabouche fermée. «Alors,tuesd'où,Oliver?demande-t-elle. —Westport,dansleConnecticut.» Jenejureraispasavoirsulenomexactdesaville. «Tuasdesfrèresetsœurs?interrogeChloe. —Justeunepetitesœur.Elleaquatorzeans.» Encoreuneinformationquejeneluiaijamaisdemandée. «Comments'appelle-t-elle?»enchaîneChloe. Et moi, je décroche. Je suis vraiment égocentrique à ce point? Je n'ai jamais posé de questions à Oliver sur sa vie. Certes, Chloe est journaliste, mais il n'empêche qu'à cause d'elle,jenemesenspastrèsfière.Jeferaismieuxdereprendrelefildelaconversation. «...al'airgénial!s'exclameChloe.Violetteaunpetitfrèrequis'appelleJake,c'estunestar dubasket.Vousavezvraimentdesfrèresetsœursquiassurent.» Ellemesourit.Jeluiréserveunsourirebouchefermée,lemieuxquejepuissefairefaceà unenthousiasmeaussidébordant. «CommenttuesaucourantpourJake? —Oh,Davidm'atoutracontésurtoi.Parfois,j'ail'impressionquetoutesavieenCaroline duNordtournaitautourdetoi!» C'estvrai?Jesensmesmainsdevenirmoite. «QuiestDavid?demandeOliver. —Monpetitami!»répondChloe,pileaumomentoùjeréponds«Monmeilleurami». Ellemeregardeetmesourit.«Jel'airencontrégrâceàViolette-ilsseconnaissentdepuis toujours. —C'estsuper,ditOliver. —Oui,ditChloe.Ilestplusjeunequemoi,maisilestvraimenttropadorable!» Rienqu'àvoirsonvisageradieux,j'aienviedeluienvoyeruncoupdepoingdanslafigure. Maisj'aiaussienvied'ensavoirplussurDavidetmoiousurnotrevieenCarolineduNord. Quelles anecdotes lui a-t-il racontées? Quels détails a-t-il inclus? A-t-il le sourire lorsqu'il évoquedessouvenirsquimeconcernent? «Violette!crieChloetrèsfort. —Oh,quoi?dis~jeenmeconcentrantànouveausurOliveretelle. —Jeviensdedirecequej'aimechezDavid,etOlivert'ademandécequetuattendaisd'un mec. —Pardon.Jecroisquej'avaislatêteailleurs.» Jeneparvienspasvraimentàprofiterdelafêtecesoir-là.Oliverestsympa,ilestauxpetits soins avec moi, mais je suis obsédée par Chloe : son comportement, sa façon de parler, de faireconnaissanceaveclesgens(elleleurserrelamain,cequiestvraimenttropadultepour une fête étudiante). Elle parvient à doubler tout le monde dans la queue au bar à plusieurs reprises,justeparcequ'elleainformélesorganisateursqu'elleétaitâgéedeplusdevingtet unansetpouvaitalleracheterd'autresbièrespourl'after,sinécessaire. Qu'est-ce que David lui trouve? Comment a-t-elle pu me remplacer dans son cœur alors quenoussommessidifférentes? «Lavieétudiante,c'estvraimentgénial!»s'exclameChloeensepenchantversmoi,près d'unefenêtrequidonnesurlacour.Lecampusestvraimentmagnifique,toutéclairé,lanuitlesalléesquisecroisent,lesgensquirientàlalueurdesréverbères. «Ouais,dis-jesansconviction,entournantledosàlafenêtre. —Oliveresttroooopchou!couine-t-elle.Ilfautabsolumentquetul'amènesàNewYork unsoir,onsortiraitàquatre,avecDav. Dav?Dav?!Jamaisiln'alaissépersonneabrégersonnomainsi. «Tusais,tupeuxboiredevantmoi,reprendChloeendésignantdelatêtelacannettede Cocaquej'aiàlamain.Jen'enparleraipasdanslepapier. —Jenesuispasd'humeur,c'esttout.»Etc'estvrai.Mêmes'ils'agitd'unchoix,puisque j'aiestiméqu'ilvalaitmieuxpourmoiquejeneterminepassaoulecesoir. «Est-cequetoutlemondeestaucourantquetuesmannequin,ici?s'enquiertChloe. —Certains»,dis-je,sansm'étendresurlesujet.Enréalité,jecroisquelaplupartdeceux que mon métier de mannequin intéressait au début se sont maintenant habitués à me voir surlecampus.Jedevraispeut-êtreledireàChloepourqu'ellepuissemeciterdansl'article, maispourl'instantjeveuxjustequ'ellemelâche,alorsjen'encouragepaslaconversation. «Tusais,jetetrouveencoreplusjoliequandtun'espasmaquilléenihabilléepourdéfiler, ditChloeenreculantpourmieuxm'observer.Tuasvraimentlaclasse.» Je baisse les yeux vers mon jean noir, mon ample sweat-shirt en coton léger de chez AmericanApparel.J'ailescheveuxdétachés,quim'arriventauxépaules,etunedouzainede braceletsenargentaupoignetgauche.Riendespécial.Chloeasûrementtropbu. « Alors, écoute, poursuit-elle, puisque je reste silencieuse. J'ai pensé au reste des interviewsdontj'aibesoin,etj'espéraisquetupourraisrepartiravecmoiàNewYorkdemain. —Ilfautquejerévise,lancé-jed'untoncassant.Pourquoias-tubesoindemoi? —Jevoudraistevoirdanstouslesmilieuxoùtuévolues,avectesplusprochesamis.J'ai appeléDavid,ilestd'accordpoursortiravecnousdemainsoir.Etceseraitbiendecontacter tesanciennescolocsVeronicaetSampourleurproposerdesejoindreànousaussi.Comme ça,j'auraicouvertlelycée,lafac,lamode.Marilyndevraitêtrecontente. —Jecroisquejepeuxmelibérer,dis-je,ennevoyantpascommentrefuser. —Génial!s'exclameChloe.Onprendrauntrainenfindematinée,pourpouvoirdormir tard.Jetepariequejevaismepayerunegueuledeboismonstrueuse!» Je lui adresse un sourire tiède. Ça me gonfle un peu que les gens parlent de la quantité d'alcoolqu'ilsontingurgitée-surtoutquandilssontencoreentraindeboire. Lorsqu'ellemelaissepourallerremplirsonverre,Oliverapproche. « Cette nana, là, Chloe, elle va rester jusqu'à la fin de la soirée? » demande-t-il. A son utilisationdumot«nana»,jevoisbienqu'ilestsaoul-Olivers'exprimeengénéraldefaçon trèspolitiquementcorrecte. «Jecrois. — Autrement dit, tout ce qu'on fait sera immortalisé pour les lectrices de Teen Fashionista? —C'estpossible. —J'imaginequ'onsortiraensemblepourdebonuneprochainefois,alors?demande-t-il, pleind'espoir. —C'estclair»,dis-jeenespérantqu'ilneremarquerapasquemabouchesouritmaispas mesyeux. Lelendemainmatin,onfrappeàmaporte.Jejetteuncoupd'œilàmonréveil:9h43. «Kurt,retournetecoucher!»crié-je.Maislesonestassourdiparl'oreiller. «Quoi?demandeChloe,habillée,fraîcheetpimpante,latêtedansl'entrebâillementdela porte.Jet'aiapportéuncafé!» Jem'assiedsetécartelescheveuxdemesyeux.«Hum,merci.Qu'est-ilarrivéautrainde findematinée? — Mais c'est déjà la fin de matinée ! » dit-elle en entrant dans ma chambre et en s'asseyant sur mon lit. Il faut vraiment que je mette une chaise ici. « De toute façon, je n'arrivaisplusàdormir.Jesuistellementexcitéeàproposdel'article,Violette.Jecroisqueça vavraimentêtresuper.» Je rejoue mentalement la soirée de la veille : rencard avec Oliver durant lequel Chloe monopoliselaconversation,fêtesansunegoutted'alcool,aulità2heuresdumat.Comment pourrait-elleentirerunarticle«super»? «Tuasbiendormi?demandé-je. — Oh oui. Le canapé est très confortable. Et moi qui suis habituée à partager un minusculelitdechambreuniversitaireoumonvieuxlituneplaceavecDavid,j'aitrouvétrès agréabledepouvoirm'étaler.» Beurk ! J'ai envie de me couvrir les oreilles avec les mains et de me mettre à chanter « lalalalalala » pour ne pas entendre ça. Mais ça pourrait paraître bizarre. Je préfère donc changerdesujet. «J'aieuVeronicahier.Elleseralàcesoir,etellevaappelerSam. — Fantastique ! dit Chloe. David nous rejoint pour le déjeuner, avant qu'on sorte tous ensemble.C'estpourçaqu'ondoitprendreletrainde11h33.Tucroisquetupeuxêtreprête assezrapidement?» Àchaqueminutequipasse,Chloem'énerveunpeuplus.Maintenantjesuisobligéedeme levertôtunsamedipourpouvoirjouerauménageàtroisavecDavidtoutl'après-midi? «Pasdeproblème»,dis-je.Cequejepeuxêtrelâche. En arrivant à la douche, j'entends, étonnée, quelqu'un dans la cabine voisine chanter « Like a virgin - ooh ! ». Ça fait un moment que je n'ai pas croisé ce couple qui s'embrassait danslasalledebainsetmaintenant,jesuispresquetotalementhabituéeaufaitqu'ellesoit mixte.Deplus,jereconnaislavoix. J'entredansmacabineetcommencemonshampoingavantdehurleràKurt:«Qu'est-ce quetufaisdéjàdeboutàcetteheure?demandé-je. —VV!s'égosille-t-il,savoixrésonnantentrelesmurscarrelés.Ilparaîtquenousprenons letrainde11h33,alorsvoilà! —Commentça,nous?crié-je,enrinçantlamoussedemescheveux. —Ehbienoui,nous!ChloeAndersonm'ainvitéhiersoir. —C'estvrai?»Kurts'estbientenuàlasoirée,maisilnemeparaîtpastrèsraisonnable qu'iltraîneavecDavid,Chloeetmoi,alorsqu'ilconnaîttoutel'histoire.Jesuissurlepointde lui annoncer qu'il ne peut absolument pas venir lorsque je l'entends fredonner : «Je vais pouvoirrencontrerVeronicaTra-ask,jevaispouvoirrencontrerVeronicaTra-ask…»Ilal'air tellementexcité. «Tunepourraispasnousrejoindrecesoir,plutôt?Tudoisavoirdestasderévisions,des trucsàfaire...» Jel'entendscouperl'eau.«Etraterl'après-midiavecDavid?demande-t-il.Paslamoindre chance,princesse.» Jepasselatêteparlerideaudedouche.«Promets-moidenepasdireunmot,dis-je.Nide jamaisleverlesyeuxaucielniriendutout!Davidesttrèspsychologueetobservateur,ilse douteradequelquechosesituasuncomportementbizarre. —Tucroisquejenesaispasmetenir,c'estça?»réplique-t-ilenfeignantdesevexer. Jehaussemesépaulesnuesderrièrelerideau. «VioletteGreenfield,tuasdevanttoiunétudiantenartdramatique!Etnet'inquiètepas. Jevaisassurerlespectacle.» Il attrape sa trousse de toilette et sort dans le couloir vêtu seulement d'une serviette autourdelataille. C'estexactementcequejecrains,pensé-je. 16. Lorsque notre train arrive enfin à Grand Central, je me sens plus reposée. Kurt et Chloe ontpassétoutletrajetàbavarder-cequifutunsoulagement.Dèsquej'aicomprisqueKurt s'en tiendrait aux thèmes sans danger et ne parlerait pas vraiment de David, je me suis octroyéunepauseiPod. JeremarqueavecsatisfactionqueDavidn'estpasàlagarepouraccueillirChloe,commeil l'afaitavecmoil'autrejour.Kurtetmoiavonsnosaffairespourlanuit-jemesuisarrangée pour que nous dormions chez tante Rita à Brooklyn - et nous passons les déposer à l'appartementdeChloepournepasenêtreencombrésaudéjeuner. Son minuscule studio est adorable, je dois bien le reconnaître. Il y a une vraie salle de bains avec une fenêtre et un petit coin dressing, ainsi qu'une cuisine ouverte sur le salonchambreàcoucher.Touslesmurssontdecouleurpastel,cequipourraitfairebonbonnière, mais c'est finalement réussi. Un bouquet de fleurs fraîches est posé sur la console dans l'entrée,etjeremarquequetoutlemaquillagesursacommodeesthyperhautdegamme.On diraitquequelqu'unafaitunerazziadansleplacardbeautédeTeenFashionista. «Ooh,unlitMurphy!»s'exclameKurtendésignantlapartiedumurquis'abaisselesoir poursetransformerencouchage. Jem'imagineDavidici,entraindepréparerledîner,puisdeseblottiravecellesurcepetit lit,devantlatélé. « C'est David?! » s'écrie Kurt en montrant un cadre qu'il a trouvé sur la bibliothèque. Je me penche par-dessus son épaule pour jeter un coup d'œil. C'est l'une de ces photos super kitschoùlemectientlafilledevantlui.Pire,elleestennoiretblancetsemblepriseenhaut del'EmpireStateBuilding.Jevaisvomir. «Oui,répondChloe,dontlesourires'élargit. —Ilestcarrémentplussexylà-dessusquesurlesvieillesphotosqueVioletteadanssa chambre.»MerciKurt,informationessentielle.Puisilsetourneversmoi.«Violette,tune m'avais pas dit qu'il poussait de jolis mecs branchés comme lui en Caroline du Nord. Il est peut-êtretempsquejefasseuntourcheztoi! —Tun'entrouveraspasunquis'avouegay. —Ça,çapeuts'arranger»,répond-il,uneétincelledansl'œil.Finalement,çapourraitêtre unebonnechosequ'ilsoitvenu.Ilestdifficiled'êtredemauvaisehumeuravecKurtdansles parages. «Alors,oùdevons-nousretrouverMonsieurMerveilleux?demandeKurt. —DansuncafédeWestVillage,toutprès,répondChloe.C'estundesendroitspréférésde David.» Çam'énervequ'elleconnaisselesendroitspréférésdeDavidàNewYorketpasmoi. Depuis l'appartement de Chloe à Chelsea, nous parcourons quelques pâtés de maisons jusqu'aux rues tortueuses de West Village. Les numéros ne fonctionnent plus selon le quadrillage,commeailleursàManhattan,cequiexpliqueenpartielecharmeeuropéendece quartier.ÇamerappelleunpeuParis,bienquejen'endiserien-çaparaîtraittropsnob. Nous atteignons un petit café à l'angle de deux rues dont les vitrines sont décorées de rideauxdedentelle.Unchoixgigantesquedepâtisseriess'étalesousnosyeux. «Vousêtessûresqu'iln'estpasgay?»s'enquiertKurt. Jeluidonneuncoupdepoingdanslebras. «C'estlecafépréférédeDavidparcequ'illuirappelleBarcelone»,expliqueChloe. Moncœurfaituntriplesautpérilleux.BarceloneestlavillequeDavidetmoiavonsvisitée ensemble.Jemedemandesic'estpourcetteraisonqu'ilaimecetendroit. Enobservantledécorj'enremarquelesdétails:lesrondsdeservietteenargentlustré,les toutes petites bougies sur chaque table, les soliflores garnis d'une rose rose. Ce café a un charmefou. Toutàcoupj'aperçoisDavidàunetableprèsdelavitrine.Pendantuninstant,lorsqu'ilme voit,c'estcommes'iln'yavaitquenous.Nousdeux,dansunmondeoùnouspourrionsnous blottirdansuncoinetdiscuterdesheuresdurant. Mais soudain s'élève la voix haut perchée de Chloe. « Chéri ! » couine-t-elle. Elle se précipite sur le siège à côté de David et plante un baiser sur ses lèvres. Kurt et moi nous installonsenfaceetilserremamainsouslatable.C'estagréabledesentirqu'ilcompatit. «David,jeteprésenteKurt,ditChloe,quandelleafinideluilécherlevisage.C'estunami deVioletteàVassar. —Charmé»,ditKurtentendantlamaincommes'ilvoulaitqueDavidydéposeunbaiser. Davidritetlaserremaladroitement. «Mince!»chuchoteKurt.Puis,plusfort:«Enchanté. —Moiaussi»,répondDavid. Chloe sort son mini-enregistreur et le pose sur la table. Nous le regardons, soudain l'air malàl'aise. «Cecaféestvraimenttropmignon,remarqué-jeenm'adressantàDavid.Chloemeditque c'esttonpréféré? —Ouais,répondDavid.Tuterappellescetteterrasseoùnousnoussommesarrêtéspour déjeuneràBarcelone? —SurlesRamblas,prèsdesvendeursdefleursetdesmusiciens. —C'estça,celuiaveclesnappesenpapieretlesrondsdeservietteenargent. — Exactement comme ici », conclué-je en souriant. Nous nous sourions pendant un instantetjesensmonvisagemecuire. «J'adoreBarcelone»,intervientChloe.Lasensationdechaleurdisparaîtrapidement.«J'ai passésixmoislà-basendeuxièmeannéedefac,tusais.Davidtel'araconté? —Non. —C'estunevilletellementromantique,dit-elleenregardantDavid. —C'estvrai»,ditDavidenmeregardant. Kurttousse.«Alors,qu'est-cequ'onmangedebon,ici?lance-t-il.Jemeursdefaim.» Dans la soirée, nous avons prévu de retrouver Veronica et Sam au Marquee. Ce n'est vraiment plus mon univers, mais Chloe pense que nous devrions évoquer mes anciennes colocatairesdansleportrait,etc'estlàqu'ellesserendentcesoir. «C'estunesoiréemannequinsD-J,expliqueVeronica.Lapresseseralàenforce.» Veronicaapourmissiondedécrocherunenouvellecampagne,d'arpenterlespodiumsles plusprestigieux,defairelacouverturedeVogue.Cetuniversmeparaîtàdesannées-lumière, aujourd'hui. Lorsquenousarrivonsdevantleclub,j'emmènetoutlemondeversuneentréedérobéeoù levideurm'accueilleparuneaccolade.«Salutjoliefille,medit-il.Vousêtescombien? —Quatre.Merci.» Kurt sautille sur place d'excitation. Nous nous dirigeons vers la table dans un coin où je saisquenoustrouveronsSametVeronica.Quelquesautresmannequinssontassisavecelles, mais Veronica les chasse sans ménagement lorsqu'elle nous voit arriver. Toujours aussi garce. ElletendrapidementlajoueàDavidetàChloepuismeserrefortdanssesbras.Enfin,elle setourneversKurt. OnlecroiraitenprésencedeDieu,pasmoins.Ilalabouchegrandeouverte,lesmainsqui tremblent. «Tuesmapréférée!hurle-t-ilpar-dessuslespulsationsdelamusique. — Espèce de traître ! » crié-je pour rire. Sam fait aussi mine d'être vexée, avant de se pencherpar-dessuslatablepoursaluerKurtd'unbisousurlajoue. Veronica rit et l'embrasse sur l'autre joue. Il pose sa main à l'endroit précis où se trouvaientseslèvresetlalaisselàpendantuneminute. «Alors,onestensortieofficielle,cesoir?mesouffleVeronicaàl'oreilletandisquenous nousinstallonsautourdelatable. —Ouais,dis-je.Heureusement,personnenes'entend,sansquoionseraitforcédefaire hypergaffe.» ChloeetDavidseserrentd'uncôté,etSams'assiedàl'extrémitédelabanquette,pourque KurtpuisseêtreàcôtédeVeronica,elle-mêmeassiseaucentre,avecmoi.Ondiraitungamin émerveilléquivientdevoirMickeyenvrai. Nousattraponsdesverressurleplateaud'unserveuretnousgoûtonsàceChampagnequi estaufraisdansunseauaucoindelatable. «Ah,ça,c'estlavie!s'exclameKurt. —Oui,maispaslanôtre!»dis-jeenriant,enpensantauxcannettesdebièrequenous nousenfilonsd'habitudedansnotrechambre. Soudainpasseunremixde«BizarreLoveTriangle*»,unechansondesannées80,cequi mevautunregardlourddesensdeKurt. *Triangleamoureuxbizarre Puisilattrapemamain.«Viens,ondanse!» Il entraîne aussi Veronica et Sam sur la piste et je vois bien qu'il réalise un de ses fantasmesinspirésduStudio54,surunepistededanseéclairéeàlalumièrenoireaumilieu detroismannequins.Ilnemanqueraitplusqu'undesserveursultramusclésleremarqueet luiglissesonnumérodanssapoche,etKurtseraitauparadis. Nous continuons à danser pendant plusieurs morceaux, mais lorsque les remixes des années80cèdentlaplaceàlahousehardcore,jetiremarévérence.Jeregagnelatable,oùje trouveChloeetDavidquisedisputent. «...nesertàrienpourtonarticle!ditDavid. —Biensûrquesi!hurleChloe. —Oh,jet'enprie!crieDavid.Tuasjusteenviedesortirparcequetuenasmarrequeje net'accompagnepasenboîte.Ehbien,figure-toiquejen'aimepasça!Etjesuisbiencontent denepaspouvoirentrerquandVioletten'estpaslà,elleestlaseulequirendecesendroitsun tantsoitpeusupportables.» Tous deux lèvent la tête et me voient les regarder. Je n'ai pas été franchement discrète pourécouterleurconversation.J'aiétéobligéedemepencherverseuxpourentendre,malgré leurscris. ChloeattrapesapochetteetfoncesurlapisterejoindreKurt,VeronicaetSam.Elleal'air d'une Lilliputienne à côté d'eux tous, si grands, mais elle se met à danser comme si elle s'éclataitcommeunefolle.JeregardeDavid,hausselesépaules. «Çateditdesortird'ici?propose-t-il. —D'accord.» Ilattrapemamainetnousnousdirigeonsverslasortiedederrière. Ilfaitunfroidpolaire,dehors,maisjesuistellementeuphoriquequej'aichaud,tandisque Davidm'entraîneàunpâtédemaisonsdelàsanslâchermamain. «C'étaitquoi,leproblème?demandé-je,alorsquenousgagnonsla8eAvenue,situéejuste aprèslenoman'slandqueconstituelequartierdesboîtesdenuit,unpeuplusàl'ouest. —Rien,marmonneDavidenlâchantmamain.Jen'aipasenvied'enparler. —OK»,dis-jeenenfouissantmesmainsdanslespochesdemonmanteau.Jerepèreun tableaunoiroùilestinscritFRITESAUFROMAGEengrosseslettresjaunes.Jemetourne versDavidaumomentprécisoùilaperçoitlepanneau. Ilcroisemonregardetdit:«Oui!» Nous pénétrons dans un vieux pub à l'anglaise avec des pompes à bière en cuivre et un énormejuke-boxdanslecoin.Ilyabientroisclientsaucomptoir,maissurtoutbeaucoupde tablesvides. «Tut'occupesdesfrites,etmoidelamusique»,déclareDavid. Le barman porte un cache sur un œil, et, pendant un instant, je crains qu'il ne me demande ma carte d'identité, mais non. Je commande une assiette de frites au fromage et deux pintes de Stella, une bière que j'ai découverte à Paris, avec un mannequin anglais hypercool. Jem'assiedsàcôtédumanteaudeDavidpendantqu'ilfinitdechoisirlamusique.Jesais déjà que je vais interpréter le moindre mot des paroles de chaque chanson qu'il choisira, parcequejesuisbête.Jemedemandes'ilenestconscient. Lorsqu'ilmerejointàlatable,lebarmannousapportedéjànosfrites. «Merci»,dis-je.Ilmerépondparunclind'œilduseulcôtévisible. «Willie-n'a-qu'un-œilenpincepourtoi,remarqueDavid. —Cesfritesnesontpasaussibonnesque...,commencé-je. —...cellesdechezLinda»,termineDavid.ChezLindaestunbardeChapelHillquisert des frites au fromage avec des petits morceaux de bacon et de ciboulette, et une délicieuse sauceranch.Celles-cin'ontriend'exceptionnel. «Ehoui,lesNew-Yorkaisneconnaissentpaslajoiedelasauceranchetdespetitsbouts debacongrillé,contrairementànous,dis-jeenmebattantavecunefritepourentortillerle fromagequiendégouline. —Entoutcas,lefromageestbienfondu. — C'est vrai. Comment est le juke-box? » La chanson qui vient de commencer est un morceau de John Cougar Mellencamp, « Small Town ». J'en suis certaine, ce n'est pas le choixdeDavid. «PasaffreuxaupointdemeforceràchoisirJohnCougar,quandmême,répondDaviden buvantunegorgéedeStella.Trèsbonne,cettebière! —Oui,bienmeilleurequecellequ'onboitàlafac»,dis-je,déjàunpeuéméchéedemes quelquespremièresgorgées. Nous nous sourions, et je me demande comment nous en sommes arrivés là. Deux meilleurs amis, proches depuis la petite enfance, assis dans un bar, bien au chaud par une froidenuitd'hivernew-yorkaise,devantunjuke-boxlumineuxetdeuxpintes. «Onesttellementmieuxiciqu'enboîte,soupireDavid,quilitdansmespensées. —Carrément.Chaquefoisquejevaisenboîte,j'ail'impressionquejesuiscensée aimer ça,quejedevraism'amuser,maiscen'estjamaisvraimentlecas. —Exactement!»lâcheDavid,encolère.Ilbaisselesyeuxverslatable. «Tuesfâché? —Non,dit-il,avecunregardplusdouxlorsqu'ilseposesurmoi.Plusmaintenant.» Mon cœur bondit lorsque je le vois tendre la main. Je le crois presque sur le point de prendrelamienne,maisaulieudeça,ils'emparedemonverre.«Onlesfinit?demande-t-il, uneétincelledansl'œil. —Go!»crié-jeenmedépêchantdeterminermabière.J'aifaillilebattre. Lebarmanpirates'approcheinstantanément.«Onremetça?demande-t-il. —Oui»,dis-je,toutessoufflée. Quelquesbièresplustard,Davidetmoisommesenpleindébatsurlesméritesdesséries GossipGirl(bien)contreLagunaBeach:theHills(mieux). «TheHills,c'estlaréalité!dis-je.Commentpeux-tupréférerlafictionauréel?! —Non,maistudélires?!s'exclameDavid,incrédule.TheHillsestàpeuprèsaussiproche duréelqu'unépisoded'Amour,gloireetbeauté. —TuesjustefandeGossipGirlparcequetut'imaginesenDanHumphrey. —Tuvasquandmêmepasnierquej'aiunfauxairdePennBadgley?demandeDavid,la têtepenchée,sonsweat-shirtOriginalPenguindébiletoutfroisséàcausedesgrandsgestes qu'ilafaitsdanslefeudenotrediscussion. — Ce n'est pas faux, dis-je en riant. Mais de toute façon, cette série est vraiment caricaturale. —Çat'évoquequandmêmelelycée,non? —Lelycéedequelqu'und'autre,peut-être. —CeluideVeronica,parexemple,suggèreDavid.Tuasvucommentelleaenvoyébalader lesfillesquiétaientavecellequandonestarrivés? — C'est tout elle. Au moins, elle nous a fait profiter de sa hiérarchisation sociale décomplexée. —Tuastoujoursétéunebonneamiepourelle. —Peut-être.Celadit,jenesaisplustropcequ'onaencommundepuisquejenesuisplus mannequin.Jeluiparledemoinsenmoins. —CommequandJennyGlassmanacesséd'êtretonamieenCPparcequetuasarrêtéla danseclassique?demandeDavid. —Sionveut.Saufqu'onn'aplussixans. — Je crois quand même que tu devrais garder contact avec Veronica, dit David. Ça compterabeaucouppourelleunjour. —Merci,vieuxsage,dis-jeensouriant.» J'adore. J'adore que David me donne des conseils et qu'il écoute vraiment ce que je raconte.J'adorequ'ilsoitcapabledefaireréférenceauCPpoursefairecomprendre.J'adore qu'il me connaisse si bien. Je suis sur le point de lui dire combien j'aime ça — combien je nousaime-lorsquej'entendslespremiersaccordsd'unechansonfamilière. «C'estcellequetuaschoisie?demandé-jeenregardantDaviddroitdanslesyeux. —Tuasvraimentbesoindeposerlaquestion?» C'est«AllIwantisyou*»,deU2. *Jeneveuxriend'autrequetoi Jemesouviensdelapremièrefoisquejel'aientendue-c'étaitsurunecompilationfaite pour David par son cousin Frank (plus âgé que nous, super branché) lorsque nous avions environdouzeans.Frankfaisaittoujourslesmeilleures compils de chansons rétro que j'aie jamaisentendues.JetueraispourcopiersesplaylistsiPod. Yousayyouwant Diamondsonaringofgold... Aucollège,nousécoutionscemorceauenboucle.Jem'imaginaistoujoursquec'étaitBrian Radcliff,letypepopulairedontj'aiétéamoureusependantàpeuprèscinqans,quimeparlait. Davidchoisissaitunefilledifférentetouslesquinzejours,maisj'aitoujourseul'impression qu'ellesneluiinspiraientpasgrand-chose. Nous demeurons assis en silence, à écouter Bono chanter pendant que le barman commenceàmettreleschaisesàl'enverssurlestables,quelecuistotsortpourbalayerlesol, quelestroisclientsaucomptoirs'envontentraînantdespieds. «Jecroisqu'ilfautqu'onyaille»,ditDavidenselevantetmetendantlamainaumoment oùBonoentonnelesderniers«AllIwantisyouuuu»delachanson. «Onvaratertesautresmorceaux,protesté-je. —C'estsûrementmieuxcommeça,répliqueDavid. — OK », admis-je, pas vraiment pressée de quitter la chaleur de ce bar où personne d'autren'existe,quenous,oùj'aifaillidireàDavid... «Jet'aime.»J'entendsmavoix,maisc'estcommesijenelacommandaisplus.Est-ceque jeviensvraimentdedireça? «Quoi?demandeDavid.Tupeuxrépéter? —Non,dis-jeenmelevantsansprendresamain. —Non?Tuneveuxpasrépéter? — Je ne sais même plus ce que j'ai dit, bafouillé-je, en me rendant compte, une fois debout,quejesuisunpeuplussaoulequejenelepensais.Jecroisquej'aitropbu.»Jeplace mamainsurmonfrontavecunegrimace,enespérantnepasavoirprononcécesmots. « Alors tu ne pensais pas ce que tu as dit? demande David en me regardant d'un air interrogateur. —Jecroyaisquetun'avaispasentendu. —Si,j'aientendu»,dit-ilenfixantmonvisagesansvraimentmeregarderdanslesyeux. Iln'apasl'aircontent. J'aimeraisajouterquelquechose,parexemplequejen'avaispasvraimentcompriscequi comptait pour moi jusqu'à maintenant, que je crois que je l'aime depuis longtemps sans le savoir. Maisilprendlaparolelepremier.«Viens,onyva.» Nousgagnonslaportesanséchangerunregard. Cettefois,lorsquenoussortonsensembledansl'airglacédel'hiver,ilmeparaîtbienplus froid. 17. Nous arrivons devant le Marquee et j'aperçois les boucles blondes de Chloe qui rebondissentdanstouslessens.Elletitubesurletrottoir,soutenueparKurt. «Salut»,ditDavid. Chloe se jette à son cou amoureusement, manquant de le faire basculer en arrière. « Pardonne-moimonchéri,ânonne-t-elle.Jet'aime. — Viens, je te ramène à la maison », répond David. Il tend le bras pour serrer la main à Kurt.«Àplus,vieux.Mercid'avoirveillésurelle.» IlhèleuntaxietaideChloeàs'installersurlabanquettearrière.Puisilseredresseetse tourneversmoiavantdemonteràsontour. «Bonnenuit,Violette.» Jelesaluedelamainsansconviction.Jenesaispastropcequivientdesepasser,maisje mesensinfinimenttriste. À l'instant où le taxi s'éloigne, Kurt me demande : « Où étais-tu passée, ces quatre dernièresheures?!»Avantquej'aieletempsderépondre,ilsemetàparleravecanimation.« Ooh,tuasvraimenteudelachancequeChloeseprenneunecuite!Elleaàpeineremarqué quevousaviezdisparutouslesdeux,avecDavid,grâceauChampagnequeVeronicaetSam luiontfaitavaler.Tuleurdoisunefièrechandelle!» Je jette un coup d'œil à mon portable et constate que j'ai manqué six appels. Oups. « La musiqueétaittrèsfortedanslebar,dis-je,enmerendantcompteaumêmemomentqu'ilest 4h26.VeronicaetSamsontparties? —Oui,répondKurt.Ellesonttouteslesdeuxunshootingsupertôtdemain. — Ecoute-moi ça, on a l'impression que tu fais déjà partie des initiés de l'industrie, remarqué-jeenluidonnantuncoupdepoingdansl'épaule. —Aïeeuu,gémit-il.Jesuisdouillet. —Viens,onprenduntaxi.C'estmoiquipaye.Acetteheure,letrainmetdesplombes. —OK,mademoisellelaNew-Yorkaise.» Arrivés devant la porte de Rita à Brooklyn, je déniche la clé dissimulée sous un pot de fleurs,unecachettevraimentfacileàtrouver,maisRitaestcommeça.Nousdescendonsau sous-soldanslachambred'amis-lespoupéesdechiffonAnnetAndysont,commetoujours, poséeschacunesurunlit. «MoijeprendsAndy!murmureKurt. —Evidemment.»Jemebrosselesdents,ôtemeslentilles,melavelevisageetenfileun vieuxtee-shirtdanslequelj'aimebiendormir.J'essayed'oubliercequej'aiditàDavid,jen'ai pasenvied'ypenser.Dumoinspasavantleleverdusoleil. Jesuisréveilléeparuneodeurdepancakes,cequiestcomplètementinhabituelchezRita. Jem'étaisattendueàcequeRitanouslaisse,aumieux,unpaquetdecéréalespériméesdans unplacard,accompagnéd'unmessagenousindiquantqu'ellenousverraitplustard. Je me tourne vers le lit de Kurt. Il est fait, la couette parfaitement tirée, avec Andy la poupée de chiffon posée bien au milieu, comme si personne n'y avait dormi. J'ai horreur d'êtreladernièredebout. J'enfile un jean, attrape mes lunettes dans mon sac et monte au rez-de-chaussée sans même me passer un coup de brosse dans les cheveux. Quand j'arrive dans la cuisine, je découvre tante Rita, assise à table, un sourire ravi sur les lèvres et Kurt qui s'agite aux fourneaux,unepoêleàlamain.Ilretourneunpancake. «Oh,Violette!s'exclameRita,lesmainsjointes,enmevoyantarriver.Kurtestvraiment merveilleux!» Jesourisetmetourneversmonami.«Quandas-tuapprisàcuisinercommeunclownau cirque?demandé-jeenprenantunechaiseetenm’installantàtable. — Au lycée, les homos n'ont pas vraiment de vie sociale, répond-il. J'ai improvisé en passantdutempsaucoursdecuisineFoodNetwork.» Rita éclate de rire. Je ne l'ai jamais vue distraite à ce point de son journal du dimanche depuis le jour où une photo de moi lors d'une soirée en boîte s'était retrouvée dans la rubriquepeopleduNewYorkPost.Lapièceestinondéedesoleil,etlespancakessententsi bon que, lorsque Kurt pose une assiette devant moi, j'en oublie presque que je me suis complètementhumiliéehiersoir. Qu'est-cequim'aprisdedirecelaàDavid?Etsaréaction?Tellementfroide,commes'ilne voulaitpasl'entendre.Certes,jenem'imaginaispasqu'ilallaitquitterChloeets'envolerpour Hawaïavecmoi,maisunsouriretendrem'auraitfaitplaisir! «Pourquoitufronceslessourcilsdevantmonpancake?demandeKurt.Situmedisque tun'aimespaslesmyrtilles,jetedonneuncoupdespatulesurlajoue! —Cen'estpasça,dis-jeavecungrossoupir. —Ohoh,intervientRita.Jeconnaiscesoupir.Quiest-cequit'abrisélecœur,cettefoisci?» Et,jenesaispastroppourquoi,peut-êtreparcequej'aiapprisàvraimentfaireconfianceà Ritadepuisunan,ouparcequej'ailasensationdepouvoirmeconfieràKurt,oujusteparce que j'en ai assez de garder mes sentiments pour moi après les avoir niés si longtemps, je décidededireleschoses,simplement:«Hiersoir,j'aiditàDavidquejel'aimais.» Silence. J'entends le bourdonnement du réfrigérateur, le beurre fondant dans la poêle de Kurtquimarqueuntempsd'arrêtettourneledosàlacuisinièrepourmeregarder. Puis Rita vient poser sa main sur la mienne. J'imagine qu'elle va la tapoter avec condescendanceetmedirequetoutirabien.Mais,aulieudeça,ellelalèveenl'airethurle: «Alléluia!Ilétaittemps!» Kurtlâcheuninstinctif«Yes!»etjesourismalgrémoi. «Quoi?lancé-jeàRita,perplexedevantsonenthousiasme. — Violette, je sais que ce garçon et toi êtes faits l'un pour l'autre depuis que je l'ai vu partager son cône au chocolat avec toi quand vous étiez en CE1, déclare-t-elle. Quand un garçondeseptansoffresaglaceàquelqu'un,c'estdel'amour. —C'estidiot,dis-jeenbaissantlesyeuxverslatabletoutabîmée.Enplus,ilnem'apas répondu.Ilnem'amêmeplusregardéeaprès. —C'estvrai?demandeKurtavecunegrimacesurlevisagequisignifie"aïe". —Ehoui,trèsvrai. —Oh,çan'apasd'importance,tempèreRita.Letruc,c'estquetul'asdit.Tuluiasdit!Tu n'espasheureuse?! —Non.Jemesensbête.Jemesensrejetée.C'esthorrible. —Oooh,cequetupeuxêtrenégative»,intervientKurt. Jelefusilleduregard. «Violettechérie,détends-toi,ditRita.ToutirabienentreDavidettoi.J'ensuispersuadée. —OncroiraitOprahWinfrey,marmonné-je,peuconvaincue. —Fais-moiconfiance,insiste-t-elleenserrantmonbrasavecaffection.Est-cequejet’ai déjàmalconseillée?» Je m'abstiens de mentionner la fois où elle m'avait proposé un joint alors que je n'avais quedouzeans.Demanièregénérale,c'estunetanteplutôtgéniale. «Laisseztomber,soufflé-je.Iln'yapasdequoienfaireundrame.» KurtetRitareprennentleurbadinageautourdespancakes.Quantàmoi,jemecontentede sourireaubonmomentetderépondreauxquestionsdematanteàproposdelafac. Maislorsquej'aiditqu'iln'yavaitpasdequoifaireundramequeDavidm'aitsnobéehier soir,jementais.Envérité,çacompteplusquetout. 18. Kurt et moi repartons pour Vassar dans l'après-midi et, même si Kurt fait tout pour orienter la conversation sur David et ce qui s'est passé hier soir, il est assez facile de le distraireenl'interrogeantsurGregoryDanneretleurrelation.Parfois,çaadubond'avoirdes amisrelativementégocentriques. Veronica m'appelle au moment où je grimpe l'escalier menant au troisième étage, mais lorsqu'elle me demande où David et moi étions passés, je prétends que nous sommes juste allés manger un morceau et qu'il n'y a rien de plus à raconter. Je vois bien qu'elle est distraite,detoutefaçon-elleestsurunplateaupourNylon,ellefaitunshootingquicélèbre lamodeemblématiquedeDebbieHarry,dugroupeBlondie,qu'elleatoujoursadorée-,c'est aussipourçaquejeneveuxpasentrerdanslesdétailsdel'affaire. De retour dans ma chambre, je lève les yeux vers mon miroir, oubliant presque que le poèmedesRamblasnes'ytrouverapas,etquejel'aidéjàrangéendécrétantqu'ilappartenait au passé. Comme New York, la mode, et David. J'aurais dû m'en souvenir quand je me trouvaisdanscebaràdescendredespintesdeStella. JemeconnectesurMySpaceetécrisunpoèmesurmessentiments.Davidsemoquerade moi,s'illevoit,maiscelamepermetdemesentirmieux.Etpuis,j'airemarquéquedestas d'autresblogueursmettentdespoèmessurMySpace,etcertainsnesontpassimalqueça. J'aiunefurieuseenviedemeroulerenbouledansmonlitetdemelamentersurmonsort, maisjeneveuxplusêtrecegenredefille.J'attrapeuneserviettedetoiletteetmedirigevers lasalledebains,oùjeprendsunelonguedouchebienchaude.Deretourdansmachambre, j'appliquesurmoncorpsdelalotionparfuméeauchèvrefeuillequisentbonl'étédeCaroline duNord.J'enfileuneminirobenoireTibiachetéechezAnthropologie,glissemespiedsdans lesballerinesargentéesdanslesquellesilssesententsibien.Jedonneunpeudevolumeà mescheveux,jelessècherapidementausèche-cheveux,pourdonnerl'impressionquejesors tout droit d'une publicité pour shampoing. Je dépose une touche de baume teinté sur mes lèvres,demascarasurmescils. Puisjedescendsvoirsij'aiducourrier. Bien entendu, Oliver assure la permanence de la fin d'après-midi. Le dimanche, les étudiants employés rattrapent leur retard dans la distribution du courrier de la semaine. Je croise les doigts dans l'espoir de trouver dans ma boîte un avis de colis, qui m'obligerait à aller jusqu'au guichet de la poste pour lui parler, mais lorsque j'ouvre la petite porte métallique,jenetrouvequedeuxmagazinesetunelettredemamère.Jesaisdéjàcequeje vaistrouveràl'intérieurdel'enveloppe-uncollagephotocopiéencouleur. Ma mère fait toujours ça. Plutôt que de faire réimprimer des photos comme toute personnenormale,ellephotocopiedevieuxtiragessurdupapierépais.C'estunpeunazeet mignonàlafois.Jel'ouvreau-dessusdelapoubelle,m'attendantàdécouvrirunclichédébile demonpèreetdeJakeentraindejoueraubasketdansl'allée.Lemessagedit:«J'espèreque tesnouveauxamisàlafacsontaussimerveilleuxqueceuxd'ici.Bisous,maman.» Je suis sur le point de sortir les photos quand je sens que quelqu'un regarde par-dessus monépaule. «Salut»,souffle-t-onàmonoreille.Jemeretourneetdécouvrelesyeuxd'Oliveràmoins detrentecentimètresdemonvisage. «Salut.» Nousnousfixons,l'airdenepastropsavoircequivientaprès. «TuaspassébeaucoupdetempsàNewYork,remarque-t-ilenfin. — Oh, juste ce week-end, pour l'article du magazine, dis-je, incapable de le regarder en faceetpréférantlaissermesyeuxseperdredanslafileaudistributeurdebillets,aufondde lasalle. —C'estvrai. — Mais je suis de retour, dis-je en souriant et en me concentrant sur lui. Tu as envie qu'onailledînerquelquepart,endehorsducampus?» Jeviensd'inviterOliveràsortiravecmoi?Ouah.Jeseraismortedehontesijenevoyais aussitôtunimmensesourirefendresonvisage. «D'accord,acquiesce-t-il.OnvamangermexicainauDutch?» JesuiscenséeretrouverOliverdevantlebâtimentprincipalà19heures,maisilest18h58 etKurtetmoisommesencoreentraindenousdisputer. « Tu veux bien m'expliquer une nouvelle fois pourquoi tu sors avec ce mec s'il est ton deuxième choix? dit-il en vidant les tiroirs de ma commode, à la recherche d'un tee-shirt moulantqu'ilpourraitm'emprunter. —Cen'estpasmondeuxièmechoix.C'estmonpremierparmilesmecsdisponibles. —Nejouepassurlesmots,ditKurt,quiplaquecontresontorseuntee-shirtextra-long bleu marine C & C California. Je pense que tu ne devrais pas faire ça. Tu ferais mieux d'employertontempsàréfléchiraumoyend'accélérerlaruptureentreDavidetChloe. —Arrête,j'ail'impressiond'entendreVeronica,grommelé-je. —VeronicaTrask?!»Ilsourit.«Ehbien,jeteremercieducompliment! —Jesuisobligéed'yaller.C'estmoiquil'aiinvité! — OK, OK », fait Kurt en agitant les mains comme s'il en avait terminé avec cette conversation.Puisilremetletee-shirtdevantluiets'approchedumiroirenpiedderrièrela porte.«Maisdis-moid'abord:est-cequejesuisvraimenttrèsbleumarinecommegarçon?» Le Dutch Cabin est un bar-restaurant situé juste en face du campus. Il est tout en bois sombreetlumièretamisée,et,bienquesonnomn'évoquepasdutoutunrestaumexicain,on ymanged'excellentsburritos. «Tut'esbienamuséeàNewYork?»demandeOliver. Mauvaissujetdeconversation.Onchange!Onchange! «Pasmal.Alors,tufaisquelquechosedespécialpourlesvacances?» Les vacances de printemps approchent - nous avons deux semaines - et tout le monde a prévudessuperséjoursàlaplageavecsespotes.Kurt,FanetJesspassentunesemainedans la maison de vacances de la mère de Jess, dans le New Jersey. J'étais invitée, mais Marilyn Flynnm'ademandésijepouvaistravaillerchezTeenFashionistaà ce moment-là - à temps plein,dulundiauvendredi-etmoi,soumise,commetoujours,j'aieudumalàdirenon.Rita adéjàacceptédem'hébergerchezelleàBrooklyn. «Jevaisjusterentrerchezmoi,passerdutempsavecTaylor,dit-il. —Taylor?répété-je,enmedemandants'ilveutparlerd'uneex-petiteamie. —Mapetitesœur.Tutesouviens,onenaparlé,lesoiroùonadînéavecChloe? —Ah,oui,dis-je,enessayantdedissimulerlefaitquejen'aiaucunsouvenirduprénom desasœurparcequej'avaispassélasoiréeaupaysdesrêvesencompagniedeDavid. — C'est vraiment une gamine géniale. Enfin, elle est en troisième, alors ce n'est plus vraiment une gamine, mais comme elle est plus jeune que moi, je crois qu'elle le restera toujours,tuvoiscequejeveuxdire? —Ouais,dis-jeenprenantunedeschipsposéesaucentredelatable. —TuaslamêmeimpressionavecJake?»demande-t-il. Ilsesouvientdunomdemonfrère.Culpabilisationmaximum. «Unpeu,maissurcertainspoints,Jakem'atoujoursparuplusâgéquemoi. —Commentça?»Oliversepencheenavant,l'airvéritablementintéressé. « Comme il faisait du sport, il est devenu populaire assez naturellement dès le collège, expliqué-je.Etpuisilconnaissaitdesgensdemonâge,parexemple. —Ettoi,tuaspratiquéunsport?demandeOliver. —Pasdutout!dis-jeavecunsourire,rienqu'àimaginermoncorpsgaucheengagédans uneactivitéquinécessiteuntantsoitpeudecoordination.Moij'étaisplutôtdugenreàme fondredansledécor. —Onadumalàlecroire. —C'estpourtantvrai»,dis-jeenrepensantàtoutescesfoisoùj'aiobservéShellyRyanse pavaner dans les couloirs du lycée en compagnie des M & M's - les filles populaires qui régnaientsurlelycéedeChapelHill.Ilmesemblequec'étaitilyaunsiècle. Oliver trempe une chips dans la sauce à base de tomates concassées et me la tend pour quejelacroque. Tropbizarre!Jen'appréciepasvraimentcetteinitiative,maisjemordsdanslachipspour éviterquelasituationnedevienneplusembarrassanteencore.Lachipssecasse,delasauce tombesurlatable.Jerisetessuieavecmaserviette.Franchement,quiaenvied'êtrenourri parquelqu'und'autre? «Je parie qu'il y a au moins une personne qui t'a remarquée au lycée, lance Oliver, en plongeantdanslasauceunenouvellechipsqu'ilmet,heureusement,danssabouche. —C'estvrai,ilyabienquelqu'un»,acquiescé-je,enréprimantunsoupir.Jesourispourne pasavoirl'airtriste. Et tout à coup, ça ne compte plus qu'il s'agisse de mon premier vrai rendez-vous avec Oliver,parcequ'ilaurabeaufairepreuvedelaplusgrandegentillesse,m'adressersessourires àfossetteslesplussincères,cen'estpasluiquiestdansmoncœur.(Etcen'estpasseulement àcausedecettehistoiredechips.) Après le dîner, nous nous rendons à une soirée tranquille sur le campus, ce que nous faisonsenfaittouslesweek-ends,mêmeledimanche.Nousfaisonslaqueueaubar,buvons quelques bières et discutons avec les personnes de notre connaissance que nous croisons. KurtetJesssontlà,jelesrejoinsdanslecouloirquandOliversedirigeversquelquesamisdu journal. «Salut,toi,dis-jeendonnantunpetitcoupdehanchedanscelledeJess. —Commentsepassetonrencard?demande-t-elle.TuasdéjàtiréuntraitsurMachintruc ?» JejetteunregardnoiràKurt. « On est tous amis ici, non? demande-t-il. Il faut bien que les amis soient au courant de toutesceshistoires.Enplus,tuenasparléavecFan. — N'en veux pas à Kurt, intervient Jess. J'avais remarqué tes sautes d'humeur ces derniers temps et je l'ai harcelé jusqu'à ce que j'obtienne une réponse logique à mes questions. —Jesuissûrequ'illuiafalluenvirontrentesecondespourcraquer»,dis-jeensouriant. J'aiconfianceenJess. «AlorsOliverest-ilpassénuméro1?veutsavoirKurt. — Il m'a donné à manger à la becquée, expliqué-je, en sachant que cela suffira à tout expliquer. —Genre,ilt'amisdelanourrituredanslabouche?faitJessenfronçantlenez. —Oui,c'étaitsuperbizarre. —EtDavidn'auraitjamaisfaitça,résumeKurt. —Jamais,augrandjamais. —Ehbienvoilà,ditKurt.Ilfautdoncabsolumentquetutrouvesquelqu'unquisaitque nourrirl'autreestrédhibitoire.» Jess rit. Ils plaisantent, mais je vois bien qu'ils comprennent de quoi je veux parler. Ce n'estpasunsimpledétail,c'estunsentimentgénéralquiindiquesiouiounoncettepersonne mecomprend.AvecDavid,c'estunequestionquejen'aijamaisbesoindemeposer. «Alorstuluiasditquetuvoulaisresterseulementamieaveclui?»s'enquiertJess. Acemoment-là,j'aperçoisOliverquitraverselecouloiretarrivedansnotredirection.«Pas encore»,murmuré-je. OliverpassesonbrasautourdemoietjevoisKurtquihausselessourcils. « Salut », dit doucement Oliver. Je me rends compte qu'il vient sûrement de boire quelques bières - il n'aurait jamais osé autrement. Lorsqu'il se penche pour m'embrasser, j'aimeraisêtretroublée,sentirmoncœurs'emballer.Cen'estpasquejeneressensrien-ila deslèvresmagnifiquesetsesbrassemblentparfaitementajustésàmataillelorsqu'ilm'attire vers lui. Mais il est saoul, moi sobre, et mon esprit est à des années-lumière. Il ne semble pourtantpass'enrendrecompte,carsalanguecherchemabouche. Jeposeunemainsursontorseetlerepoussegentiment.«Noussommesenpublic. —Tuveuxqu'onailledansmachambre?»propose-t-il. Jefaisnondelatête.Ilsourit,répondparun«OK»silencieuxpuisreprendlechemindu bar.Ilnecomprendpasquejenedispasnonpourmaintenant,maisnonpourdebon. Je quitte la fête tôt et regagne ma chambre. Je sais que Fan révise pour les partiels, l'ambianceseradoncaucalme,cequimepermettrapeut-êtredetravaillermoiaussi.Onest dimanche soir, après tout, et avec tous ces allers-retours à New York, je ne suis pas exactementàjourdansmesnombreuseslectures.Néanmoins,jemedébrouillepasmaldans mes cours et je n'ai que deux véritables partiels qui approchent. Il n'y en a pas en atelier d'écriture, et il y ajuste une dissertation à rendre en sociologie, ce qui sera sûrement plus simplequ'unexamen.J'aitoujourspréféréêtreévaluéesurlarédactionquesurdesQCM. Jeremarquelalettredemamèreposéesurmonbureau,cequimerappellequej'aioublié del'ouvrir.J'ensorsdoucementlafeuilledepapieretdécouvreundesesfameuxcollagesde vieillesphotos.Julieetmoiàlapiscineduquartierl'étéavantnotreentréeensixième,David etmoisurnosvélosdanslaneigel'annéeoùnousavionsreçutouslesdeuxundixvitesses pourNoël,quiétaitunNoëlblancpourlapremièrefoisdepuisdesannées,noustroisentrain detirerlalanguesurunephotopriseàboutdebrasjusteavantlarentréeenpremière...Tant de souvenirs. Lorsque je pose les yeux sur la photo de David et moi au bal de remise des diplômes,ilyamoinsd'unandecela,moncœurseserre.Ilal'airsiheureux,etmoiaussi,je le vois. Pourquoi n'ai-je pas su que nous étions faits l'un pour l'autre à ce moment-là? Pourquoi n'ai-je pas su voir au-delà de notre amitié, vers quelque chose de plus grand, quelquechosequejedésireplusquetoutaumondeaujourd'hui? JedécrochemontéléphoneetappelleJulie. «Salut!s'exclame-t-elle. —Commentvas-tu? — Bof, grogne-t-elle. Les partiels m'obligent à rester terrée dans ma chambre dans la solitudelaplustotale.Jetrimesurlesthéoriesmétaphysiquesd'Aristote. —Çaal'airhyperintelligent,remarqué-je. —Oui,sijecomprenaislamoitiédecequ'ilaécrit.Alors,quoideneuf? —Pasgrand-chose,soupiré-je. —V,c'estmoi,ditJulie.Vas-y,balance.»Jebaisselesyeuxverssonvisageensixième,sur lecollageenvoyéparmamère.Jeluisuistellementreconnaissantequ'ellem'écouteencore meplaindre. «J'aiavouéàDavidquejel'aimais,dis-jetrèsvitepournepasmedéfiler. —Tuasquoi?!hurle-t-ellesifortquejesuisobligéed'écarterletéléphonedemonoreille uneseconde. — J'avais bu, dis-je. Et il a mis "All I want is you" sur le juke-box! Je n'ai pas pu faire autrement. —Attends,stop,m'interromptJuliedontlavoixareprisunvolumenormal,quoiqueavec untonhypersérieux.Raconte-moitoutdepuisledébut.» Alorsjeluifaislerécitdenotresoiréedanslebar,etjeluiparledemonenvied'avouerà Davidcequejeressens,quim'obsèdedepuisquejesuisrentréedeParis. «Jelesavais,dit-elle.Jel'aisentiquandons'estretrouvésàNoël. — Bref, peu importe. Il m'a carrément ignorée. Il n'a même plus été capable de me regarderenfaceaprès. —Tunepensespasqueçaaétéunpeudurpourluid'entendreça?demandeJulie. —Commentça? —Ehbien,idiote,ilsortavecquelqu'un.Enplus,çafaitàpeuprèsdixansquetulefais mariner. —Jenelefaisaispasmariner!C'estjustequejenesavaispas... —Jet'enprie,Violette,m'interromptJulie.Quelquepart,aufonddetoi,tulesavais.Ilest impossiblequetunel'aiespassu.» Jerepenseàtoutescesfoisoùj'aisurprisDavidentraindemeregarderdanslerétroviseur ducôtépassagerdanslavoituredeJulie,oùilmesouriaitunpeutroplongtempsaprèsque nousavionsriensemble,oùilmeserraitsuperfortcontreluietsemblaitneplusvouloirme lâcher. «D'accord,jelesavaispeut-être,inconsciemment.Maiscen'estpasleproblème. — Alors c'est quoi, le problème? demande Julie. Que tu es décalée dans le timing parce queChloeétaitlàavanttoi? —Onvadireçacommeça»,dis-je,enmesentantencoreplusmalqu'avantcecoupdefil. Julien'était-ellepascenséemeréconforter? «Moi,j'aitoujourssuqueDavidétaittonvraiSingeRigolo»,remarqueJulieenutilisant notre nom de code pour l'âme sœur. Posé sur mon lit, mon Singe Rigolo affiche un sourire narquois. «Sionétaitdansunfilm,quelqu'unfrapperaitàlaportemaintenant,dis-je. —Exact.EtDavidteprendraitdanssesbras,ilt'embrasseraitett'annonceraitquetoutest finiavecChloe. —Ehoui»,soupiré-je. Toutàcoup,onfrappeàlaporte. «Julie!m'écrié-je.Çafrappe! —Vas-y,réponds.Maistumerappelles,hein! — D'accord. » Je referme mon portable d'un coup sec puis vérifie dans le miroir que je suis bien coiffée. Je me passe même un coup de gloss sur les lèvres, bien que ce soit sûrementJessquiaoubliésesclés.Niaisecommejesuis,jem'imaginedéjàenpleinescène decinéma. J'ouvreetdécouvredesyeuxpensifs. «SalutOliver,dis-je,étonnéed'êtreaussiprofondémentdéçue. —Salut,répond-il,levisagedétendu.Jepeuxentrer? —Biensûr.»Jemelaissetombersurlecanapé,pourbienluifairecomprendrequenous n'ironspasdansmachambre.Ils'assiedàcôtédemoi. «Alors,tuasquittélasoiréesupertôt»,remarque-t-il.Ilsembleavoirunpeudessaoulé. «Oui,jevoulaisbosser. —Commeonétaitvenusensemble... —Etalors,j'étaiscenséetedemanderl'autorisation,c'estça?demandé-je,suruntonplus méchantquejenelesouhaitais. —Non»,répond-ilendétournantlatête.Ilsepencheenavant,lescoudessurlesgenoux, etbaisselesyeuxverslesol. «Pardon»,dis-jeenprenantuntonplusdoux.Jenevaistoutdemêmepasenvouloirà OliverdenepasêtremonSingeRigolo.«C'estjustequ'ilvautmieuxqu'onarrêtelà. —C'estparcequej'aiparticipéauxjeuxàboire?demande-t-ilenlevantlesyeuxversmoi. Parceque,sic'estça,jerenoncecarrémentàcegenredetruc.Detoutefaçon,çan'ariende trèsmarrantnidetrèsagréable... —Çan'arienàvoir. —Alorspourquoi?medemande-t-ilavecsérieux.Ilmesemblaitqu'ilyavaitpeut-êtrele débutdequelquechoseentrenous...Toutàcoup,tuasdécidéquejeneteplaisaisplus?» Jebaisselesyeuxversmesmainsetmeplongedanslacontemplationdemonvernisviolet quis'écaillelégèrementsurchaqueongle.Jesensl'haleined'Oliveràcôtédemoi,quiattend quejem'explique. «Ilyaquelqu'und'autre.»Jerelèvelatêteetlevoisaccuserlecoup. «Oh»,fait-ildoucement. Etilyacetinstantentrenous...Jesaisqu'ilestblesséparmafaute,etj'envisagedeluidire : « Mais ce n'est rien, je t'apprécie vraiment, on pourra sortir ensemble une autre fois, d'accord?»Pourtantjen'enfaisrien,parcequejesaisqueceseraitinutile,jeneferaisque repoussercetéchangedouloureuxàplustard. «Unpetitamidulycée?demande-t-il. —Meilleuramidulycée. —Tueslesbienne?»Ilm'observeetjesensqu'ilseraitsoulagésijeluirépondaisoui. «Meilleuramimec,précisé-jesanspouvoirm'empêcherdesourire. —Ah,celuiquit'aremarquéemêmequandtupassaisinaperçue. —Oui,dis-jeenbaissantlesyeux,etenappréciantunefoisdepluslasincéritéd'Oliver. —Ilfautquej'yaille»,soupire-t-ilenselevant.Jeneleretienspas.Devantlaporte,ilse retourne.«Alors...onsevoitensocio? —OK»,dis-jeenluifaisantunsignedelamain.Cen'estpasunpeubizarredefairece genredegestemaintenant?Sûrement. Lorsque la porte se referme, je me sens un peu triste, mais bien, aussi. C'est simple et débile,pourtantonsesentlibérélorsqu'onfaitpreuved'honnêteté. 19. JefuismonportablecarAngelan'arrêtepasd'appeler.J'ignoretotalementpourquoi.Elle m'aplantée,jem'estimedonctoutàfaitlibredenepaslarappeler.J'enaidiscutéavecmes parents,ilssontabsolumentfavorablesàcequejesigneavecuneautreagencesij'aienviede poursuivre une carrière de mannequin, mais je ne suis pas sûre de le vouloir. Ce n'est pas seulement la faute d'Angela si j'ai voulu abandonner, c'était plus que ça. J'ai promis à ma mèrequej'yréfléchiraisàlafindusemestre,mais,pourl'instant,jedoismeconcentrersur mesétudes. Je suis en retard dans mon travail. A la fac, on vous laisse plutôt indépendant - pas de devoirsàfairetouslesjours,pasd'interroshebdomadaires,rienquiressembleaulycée.Mais toutàcoup,lesprofssévissentet,pourvérifierqu'onabeletbientravaillé,certesdefaçon indépendante, ils imposent un partiel ou un gros devoir à rendre. Soudain, je prends consciencequejenesuispaslàpourbuller. Jess,Fan,Kurtetmoiavonsinstaurédespausesrévisions-quinzeminutestouteslesdeux heures—durantlesquellesnousgrignotonsdeschipsetbuvonsunsodaencomparantnos charges de travail pour voir qui est le plus stressé. Ensuite nous regagnons notre poste de travailindividuel,autrementdit,notrechambre. J'ai remarqué qu'il règne sur le campus une ambiance fraternelle. Tout le monde affiche des grimaces torturées, tout le monde compatit, mais puisque nous sommes tous dans le mêmebateauetquec'estuneexpériencecommune,çanevapassimal.Deplus,ilaétéfacile d'éviter Oliver, car personne n'organise quoi que ce soit, les fêtes sont rares durant cette semainequiprécèdelesvacances. N'empêcheque,lorsquejequitteledépartementd'anglais,aprèsavoirremismonanalyse dusymbolismedansTandisquej'agonisedeFaulkner,j'ail'impressionqu'onm'aenlevéun poidsdesépaules.Jusqu'àcequejetrouveKurtavecsavalisedanslesalon,entraind'aider Jessàfermersonsacmarindontdépasseungranddrapdebain. « Ne t'en fais pas, chaton, lance Kurt en remarquant mon visage triste. On pensera à toi chaquefoisqu'onboiraunverredécoréd'unepetiteombrelle. —Jesuisdégoûtéededevoirtravaillerpendantlesvacancesdeprintemps.»Jenesuispas alléeàTeenFashionistalesdeuxderniersvendredisdemonstage,pourpouvoirréviser,mais j'aipromisàMarilynFlynnquejeseraiprésentependantlesdeuxprochainessemaines.Pour être tout à fait franche, j'essaie surtout d'éviter un certain amour de ma vie — et sa petite amie aux cheveux bouclés. Plus j'apprends à connaître Chloe, plus elle devient réelle, et moins il est facile pour moi de la faire passer à la trappe. Bon, d'accord, elle a un rire énervant.Maiscen'estpasuneraisonpourladétester. «TuasparléàDavid?»demandeFan,quisortdesachambreentraînantunsacorange vif. Kurt fait un grand « non » de la tête pour l'empêcher de poser des questions sur David, maiscen'estpastrèsdiscret. « C'est bon, dis-je. Non, je ne lui ai absolument pas parlé. » Pas depuis la soirée au Marquee.MêmepassurMSN.Jesaisqu'ilapassébeaucoupdetempsenligne-j'aivuses mises à jour sur Facebook -, mais j'essaie (sans grand succès) de ne pas souffrir de son silence. « Ça va bien se passer », m'assure Fan. Son attitude je-m'en-foutiste n'a rien de trop brutale,carelleestmêléed'optimismesurlethème«toutfinirabien».C'estagréable.Elle estplusinsouciantequ'insensible. «Ons'embrasse!»s'écrieKurt.Nousnousenlaçonstousaubeaumilieudenotresalon.« Onseretrouveaprèslesvacances!» Enlesvoyantainsiprendreleursaffairesets'enaller,jesonge,étonnée,quecespersonnes que je ne connaissais pas il y a quelques mois vont me manquer, alors qu'elles ne seront parties que deux semaines. Le silence s'abat dans le couloir, et je prépare à mon tour mes bagages pour New York. Je dois emporter tout ce que j'ai de mieux parce que je travaillerai dix jours — du coup j'essaye d'en mettre un maximum dans ma housse : robe portefeuille DVF,écharpeAliceTemperley,chemisierProenzaSchouler.Desarticlesquiserontappréciés, jecrois,dansuncontexte«adulte». Dansletrain,jeréquisitionnetouteunerangéedesièges,cequin'estpastrèsgrave,caril n'estpasbondé.LeSingeRigoloserrécontremoi,jelaissedéfilerleschansonsd'amoursur moniPod.J'éprouvecarrémentunplaisirmalsainàmetorturerparlamusique.J'écouteen boucle«AllIwantisyou»deU2,parcequ'ellemefaitpenseràDavid.Etparcequejeme délectedecettedouleurquejem'inflige. JetrimbaletoutmonbazaràtraversGrandCentral,puisdanslemétroquim'emmènevers Brooklyn.EnarrivantchezRita,jesonne,maispersonnen'ouvre,jemesersdoncdelaclé« cachée ». Je jette un coup d'œil par la fenêtre de la cuisine et la vois dans le jardin, qui fabriqueunpot,ouuntrucdanslegenre,malgréunetempératureprochedesmoinsquinze degrésetuntempsgris.Jebalancemesaffairesdanslachambreauxpoupéesdechiffonpuis enfileunpullsupplémentairepourallerm'asseoiràcôtéd'elle.Jemesensseule. «Salutmapuce,ditRitaaumomentoùjefranchislaportedederrière.Tamèreaappelé. —Ahbon? —Oui,ellevoulaitjustesavoircommenttuallais. — J'étais complètement débordée avec les partiels, expliqué-je. Je ne l'ai pas appelée souvent,ducoup. —Àcequ'ilparaît.Maisiln'yapasquetamère.J'aieudroitàquelquesautrescoupsde fil. — De qui ? demandé-je, en sentant mon pouls s'accélérer, car j'espère qu'elle va me répondre"David". —Angela»,ditRita. Je lève les yeux au ciel. Évidemment, ça n'aurait aucun sens que David appelle ici dans l'espoirdem'ytrouver.Angela,enrevanche,envisagetouteslespossibilités. «Pourquoiellet'appelle,toi?demandé-je. — Elle a mentionné ton contrat et un article pour Teen Fashionista, répond Rita, tellementvaguequec'enestagaçant.Jenesaispas,Violette.Elleditquetuneprendspasses appels.Pourquoitunelacontactespas? —Ellem'alaissétomber!Ellem'avirée,pointbarre.Jenecomprendspascequenous pourrionsavoirànousdire,elleetmoi. — Ce n'est pas si simple, chérie. Tant qu'il y aura des couturiers et des journalistes qui connaîtronttonnom,Angelavoudraavoirsapart.» Jetripoteleboisinégaldelatabledepique-niquedeRita,enarracheunpetitbout,queje faistournerentremesdoigts.Quandparviendrai-jeenfinàtireruntraitsurAngela? Jepasseunweek-endvraimenttranquilleavecRita,etellenementionneplusAngela.Elle saitquej'aibesoindemedétendreaprèsmesexams,et,dèsquejepenseauboulot,jestresse. Lelundimatin,jeparspourlesbureauxdeTeenFashionistavêtued'unerobeportefeuille Diane von Furstenberg qui me donne l'impression d'avoir trente ans, mais fait aussi professionnel,décidé-je.Certes,cesdeuxprochainessemainesfontpartiedustage,maiscela meparaîtplussérieux,parcequejeseraiprésentetouslesjours. En arrivant au bureau, je constate qu'Alexia s'est attribué mon bureau pendant mon absence.UnebouteillevidedeSmoothietraîneàcôtédutéléphoneetl'ordinateurestallumé sur sa session. Je hausse les sourcils, mais je n'ai pas vraiment mon mot à dire. Je relance l'ordinateuretjettelabouteilleàlapoubelle. Toutàcoupj'entendsChloequim'appelle.«Violette?Tueslà?» Jenel'aipasrevuedepuislasoiréeoùDavidetmoiavonsplantétoutlemondepouraller nous balader ensemble, mais elle est aussi pimpante et enjouée qu'à son habitude. Je suis sûrequeDavidneluirépéterajamaiscequejeluiaiavoué-oupeut-êtrequesi? «SalutChloe,dis-jeensouriant. —Marilynveuttevoir,annonce-t-elle.Ilyaquelqu'undanssonbureau.Tonagent. —Angela?demandé-je,ensentantmesyeuxs'écarquiller. —Oui»,répondChloeavantderetourners'asseoir. Les mains moites, je m'engage dans le couloir, en direction du bureau de Marilyn. PourquoiAngelaest-elleici? Susannah,l'assistantedeMarilyn,mevoitarriveretmefaitsigned'entrerdirectement.Je jetteunœilàlapendulesursonbureau.Suis-jeenretard?Non,ilest9h53etjesuiscensée commencerà10heures. Àl'instantoùjepénètredanslebureaudeMarilynFlynn,j'entends:«VibranteViolette!» Angelaestlà,installéesurlecanapénoiretblanc.ÀcôtédesesJimmyChooàtalonsde dix centimètres est posé un Birkin, sac pour lequel la liste d'attente s'étire sur un an chez Hermès. J'adresseunsourirenerveuxàMarilynFlynn,puisàmonex-agent. «Assieds-toi,assieds-toi,ditMarilyn.Angelaétaitjustemententraindemeparlerdetous les appels qu'elle reçoit pour toi. Je vais demander à Chloe de l'interviewer pour conclure notrearticle,ilesttoujoursenrédaction.» EllesvontinterviewerAngeladansl'articlequitentedeprouverquejesuisunevraie fille avec de vrais problèmes qui se trouve être également mannequin ? « Ah, d'accord », acquiescé-je. Je m'apprête à sourire lorsque, soudain, je me rends compte que je recommence.Jerestesuperpassivealorsquejesuisconfrontéeàunechoseaveclaquelleje nesuispasd'accord. «Donc,commejedisais,commenceAngela,Violetteaétémerveilleuse... —Attendsunpeu.Jepeuxteposerunequestion? —Biensûr,chérie,répondAngela,agréablecommejamais. —Tunem'avaispasvirée?»demandé-je.Et,mêmesimoninstinctm'inciteàbaisserles yeux vers la moquette blanche, je me force à soutenir son regard et je crois y déceler une lueurdecrainte. «Oh,tuveuxparlerdecettepetiteprisedebecquenousavonseuetouteslesdeux?»dit Angela en affichant un sourire figé. Elle se tourne vers Marilyn Flynn. « Ce n'était rien du tout!Aveclesados,toutcelaprenddesproportionsdramatiques...» Maisjen'aipasl'intentiondelalaissers'entireràsiboncompte.«Non,insisté-je.Ilme semblequetum'asvirée.Jesuisàpeuprèscertainequetesmotsexactsétaient"Tunefais pluspartiedeTryst". —Commentça?»intervientMarilynFlynnenmeregardantavecsympathie.Puisellese tourneversAngela.«Angela,vousm'avezassuréqu'ilyavaiteuréconciliation.Etes-vous,oui ounon,l'agentdeViolette? — Elle est toujours sous contrat », répond-elle en clignant des yeux nerveusement. Je croisquejenel'aijamaisvueaussidéstabilisée.«Tantquedesgenslaréclamentpourdes castings,elleestdansl'obligationde... —Jenepensepasqu'ellesoitdansl'obligationdequoiquecesoitpourvous,l'interrompt MarilynFlynnenselevantetenfaisantsigneàsonassistanteàtraverslaporte.Susannah, vousvoulezbienraccompagnerMmeBlythejusqu'auxascenseurs? — Vertigineuse Violette, dit Angela en se tournant vers moi. Tu sais bien que tu as toujoursétél'unedesstarslesplusbrillantesdelamaisonTryst. —Celafaitbienlongtempsquejen'aiplusressenticela.»Jerépondssansméchanceté, sansmalveillancenimêmecolère.Jeluidisjustelavérité. Angela croise mon regard, hoche la tête. Puis elle prend son sac à quatre mille dollars, sourit à Marilyn Flynn et suit Susannah dans le couloir. Cette femme réussit ses sorties, mêmedansl'adversité. Aprèsquej'aiexpliquéàMarilynFlynnqu'enréalité,jenevaispasreprendremacarrière demannequin,dumoinspasdefaçonsérieuse,celle-cimedonneunepetitetapematernelle dansledosetdéclare:«Ehbien,neparlonspasd'AngelaBlythe,alors.»Puiselleretourne s'asseoir derrière son bureau, signe qu'il est temps pour moi de partir. Marilyn Flynn s'est montrée vraiment sympa, mais je ne vais pas m'attarder dans son bureau pour lui déballer mesproblèmes. Lorsque je regagne mon poste de travail, un bip me signale un message sur ma boîte vocale. C'estVeronica,quidit:«Salut,c'estmoi.JevoulaisjusteteprévenirqueMirabellaseraà NewYorkceweek-endetelletientàcequ'onassistetouteslesdeuxàunévénement.Ellea surtoutinsistépourquetusoislà,Violette.J'espèrequetupourrasvenir.» Je raccroche. Ce doit être la raison pour laquelle Angela est si pressée de me récupérer. Mirabellameréclame. Je fixe l'écran de mon ordinateur pendant un moment, en essayant de me lancer dans l'impression des étiquettes pour les invitations à une soirée Teen Fashionista qui a lieu la semaine prochaine. Mais je finis par me rendre compte que je ne parviendrai pas à me concentrertantquejen'auraipasparléàVeronica,alorsjelarappelle. «Salut,dis-jequandelledécroche. —Salut!»Elleal'airtoutexcitéedem'avoirautéléphone. «Jen'aipasétéfacileàjoindre,m'excusé-je.Lespartiels,ettout. —Oui,oui,répond-elle.Bla-blad'étudiante,quoi. —Écoute,àproposdel'autresoir,auMarquee...,commencé-je. —Oh,net'enfaispas,m'interrompt-elle.Jesaiscequis'estpassé.Davidettoivousavez eu envie de passer du temps tous les deux. Sam et moi, on s'en est occupé. Chloe était bourrée! —Non,çanes'estpastoutàfaitpassécommeça.Enfait,ilyaeuunesorted'erreurde jugementdemapart. —Qu'est-cequetuentendsparlà?»demandeVeronica. Mais je n'ai pas très envie d'entrer dans les détails, alors je me contente de répondre : « Rien.Alors,c'estquoil'événementMirabella? —Oh,c'estuntrucénorme,dit-elle,ens'animantdenouveau.Elleorganiseunefêteau SohoGrand,ilyauraabsolumenttoutlemonde.Onabesoindetoiaussi.Jesaisquetujoues l'étudiantemodèle,maisçaaideraitvraimentlacampagne.Tupourraisfaireuneapparition, justecettefois?Pourmoi?» Ce sont les deux derniers mots qui me font flancher. Je me fiche de donner un coup de pouce à la campagne hypocrite de Mirabella sur le thème « les top models délivrent des messagessurlecorpssain».Jepréféreraisencorefairedespubssincèrespourlesscoutsqui diraient:«Aimez-voustelsquevousêtes.»MaissiVeronicaabesoindemoi... «D'accord.Jeviendrai. — Yes ! s'écrie Veronica. Je suis trop contente que tu sois de retour parmi nous, on pourra... —Jenesuispasderetour,lacoupé-je. — Enfin, je veux juste dire pour la soirée. Tu es peut-être prête à retrouver le feu des projecteurs, à travailler avec moi, dit Veronica. En tout cas, pendant l'été, quand tu auras terminétonsemestreàVassar.Tuvasbienrevenir...n'est-cepas,V? —Non,jenereviendraipas.»Jesuisétonnéedem'entendreparleravecuntelcalme,une tellefermeté.LefaitqueMarilynFlynnaitdécidédemaintenircetarticlesurmoi-touten sachant que j'abandonne l'univers des mannequins - a eu pour effet d'accroître ma détermination. Ilyaunblanc,etjecrainsqueVeronica,fâchéeàmort,neraccroche,maissoudain,elledit :«Ahbon,d'accord!Onendiscuterasamedi.»Elleauntonfaussementenjoué,commesi ellenecroyaitpas-ounevoulaitpascroire-quej'envisagesérieusementd'abandonnerma carrière.Elleneserendmêmepascomptequec'estdéjàfait. Le samedi soir, dans le jardin éclairé du Soho Grand, des statues portent des créations Mirabella Prince. Il y a de minuscules amuse-gueules, des plateaux chargés de coupes de Champagne et de mojitos, des tas de gens de la mode à la personnalité exubérante. J'ai du malàm'entendrepenseraumilieudescomplimentsexagérésquetoutlemondesehurleàla figure.Jeporteunerobeensoievert-de-grisavecdestasd'épaisseurscompliquées.C'estune création FORM, que m'a envoyée le couturier - Terryjam - l'an dernier, après que j'ai défilé pourlui.Jel'aperçoisàcôtédesplatinesduD-Jetvaisdéposerunbaiserrapidesursajoue.Il atoujoursétésuperavecmoi.Toutàcoup,jesensqu'onmetireparlebras.C'estVeronica, quimeramèneversl'entréeprincipale-etlespaparazzis. LorsqueVeronicaetmoiquittonsenfinletapisrouge,j'ailesyeuxquibrûlentàcausedes flashs.Jemedemandesurquelblogontrouveralepremiercommentairequisoulignequeje ne suis plus « maigre comme un clou ». Le côté libérateur, c'est que je ne m'en préoccupe plusvraiment,ceseramêmemarrantd'enrireavecKurt. « Regard qui tue sur ta droite », me souffle Veronica tandis que nous nous frayons un cheminàtraverslafouleversunetablequinousaétéréservée.Jejetteuncoupd'œilrapide dans cette direction et aperçois Angela qui me fusille du regard. Avec un sourire, je lui adresse un signe de la main - je me sens plus audacieuse que jamais. Je n'ai vraiment plus rienàvoiraveccemonde,c'estclair. Nousnousinstallons,etlàjemerendscomptequel'endroitn'ariend'intime.Ilyaunspot justeau-dessusdenous,et,tandisqueleserveurnousapporteunebouteilledeChampagne, desgensnousmontrentdudoigt. « Pour la discrétion, c'est raté, dis-je à Veronica, qui sourit de toutes ses dents à l'assistance. — On travaille, ce soir », répond-elle sans se départir de son sourire. Pourtant, il n'a pas l'airforcé.OndiraitvraimentqueVeronicaadorecemoment. «Tut'éclates,là,enfait?»demandé-je,épatéequ'onpuisseapprécierleregardinsistantde milliers de personnes, les flashs et les commentaires murmurés de vieilles peaux sur ses cheveux, le maquillage de ses yeux, ses vêtements, son poids. Enfin, à mes débuts de mannequin,j'aibienressenticefrissondecequejecroyaisêtrel'excitationetl'adorationdes gens qui me voyaient sur un podium ou dans un magazine. Mais ensuite, je me suis rendu comptequ'ilsparlaienttousdansmondos,qu'ilsméjugeaientsurmonapparence,etnonsur ce que j'étais réellement, qu'ils inventaient des rumeurs, bref, qu'ils faisaient preuve de méchanceté, de manière générale, alors que je ne leur avais rien fait. La seule chose qui m'intéressevraiment,cesontcesfillesquisontfans,commecellesdulycéedeBrooklyn. «Jen'aipasencoredécrochédenouvellecampagnesusceptibledemerapporterlegroslot, alorsjenepeuxpasmefondredansl'obscurité»,déclareVeronica.C'estlàtouteladifférence entrenous.Àcemomentprécis,l'obscuritém'apparaîtabsolumentfabuleuse. Mais, pour Veronica, j'arbore un grand sourire et, lorsque Mirabella s'approche pour s'installerànotretable,sousunenouvellepluiedeflashs,jevaismêmejusqu'àlasaluerpar deuxdecesfaussesbisesquifinissentdanslevide. «Violette!piailleMirabella.Tumefuis!»Ellesereculeunpeupourmieuxvoirmarobe, dontletissufluideetlagrandejupefloueparviennentàmemettresublimementenvaleur. Soudain,ellemepincelebras.Ellemepincevraimentlebras! «Çanemedérangepasquetuaiesprisdupoids,déclare-t-elle.Lacampagneestfaite.Ta photoestmagnifique.» Je jette un coup d'œil à Veronica, qui se mord la lèvre, puis m'adresse un regard compatissant.Enfin,jesourisàMirabella.«Merci.Jesuisbiencontentequecesoitterminé, moiaussi.» Après une pénible demi-heure de discussion sur sa nouvelle collection et les projets de Veronica pour cet été ; (« Boulot, boulot, boulot! »), je suis prise d'une furieuse envie de partir.Celafaitvingtminutesquejen'aipasditunmotàpart«Ahbon»et«C'estsuper». Mortellementchiant. «Tum'accompagnesauxtoilettes,Veronica?»demandé-jeenluiadressantunregardqui lasuppliedemetirerd'ici. Devantlaporte,jeparviensenfinàrespirernormalement.«Jecroisquejevaisyaller,lui annoncé-je. — Quoi?! » aboie-t-elle. Ses yeux ne sont plus que deux fentes. « Tu ne peux pas m'abandonnermaintenant! —Jen'aipasplacéunmotdetoutelasoirée,répliqué-je. —Maistueslà.C'estimportant,V.Pourmoi. —Pourquoi?demandé-je,avecunecuriositésincère.Moi,jesuisfatiguée,jem'ennuieet j'enaimarrequelesgensmematent. —Toutlemondeadmiretabeauté,riendeplus,ditVeronicaavecunsourire,tentantde mecharmerpourmeconvaincrederester. —Oh,jet'enprie!Ilssonttousentraindeparlerdescinqkilosquej'aipris. —Nelesécoutepas,répondVeronica.Tuastoujoursl'airmince.Etpuis,tuvasleperdre, cepoids.C'estjusteàcausedelafacetduchangementderythme. —Veronica,cen'estvraimentpaslepropos,là,dis-je,exaspérée.Jeneveuxpasleperdre. Jemetrouvemieux,aveccescinqkilos! — Tu es magnifique, Violette, affirme-t-elle en se regardant dans le miroir pour se remettreunpeudemascara.Maissionveutdécrocherunegrossecampagne,ilfautêtreen formehautecouture. —Autrementdit,vivreaupaysdel'anorexie? —Pourquoitufaisautantd'histoires?!crieVeronica. —Pourquoitun'arrivespasàcomprendrequej'aitiréuntraitlà-dessus?!J'arrête!C'est fini!crié-jeàmontour.Jenesuisvenueicicesoirquepourtefaireplaisir!» Veronicamedévisagecommesijevenaisdelagifler.Jelacroisd'abordsurlepointdese jetersurmoi,oudemecracherunedecesméchancetésdontellealesecret,commelorsque nousvivionsensemble.Maiscequ'ellefaitfinalementmeprendaudépourvu.Elles'approche del'undesgrostabouretsdanslecoindelapièce,s'assiedetsemetàpleurer. «J'aibesoindetoi,dit-elleàtraversseslarmes.Macarrièren'estriensanstoi. —Maisqu'est-cequeturacontes?demandé-je,enécarquillantlesyeux.TuesVeronica Trask-toutlemondeteréclame! —Cen'estpasvrai.Oùquej'aille,onmeposedesquestionssurtoi:"OùestViolette?Où esttamoitié,DoubleV?"J'ail'impressiondevivredanstonombre. — Je n'ai même plus d'ombre, dis-je. Et les gens racontent ça parce que notre gimmick DoubleVleuraplu!Çaleurpassera. —Jenepensepaspouvoirdécrocherunautregrosboulotsanstoi,déclareVeronica. —Arrête,biensûrquesi!Tueshallucinante,commemannequin,ettuaimesvraiment cequetufais.Pourmoi,c'estdifférent.Unefoisl'excitationretombée,j'aieul'impressionde laisserunepartiedemoi-mêmedansceboulot.Toi,aucontraire,tut'épanouis.» Je me rends bien compte que je parle comme un gourou de développement personnel, maisjedoisavoirviséjuste,carVeronicasemetàsangloterdeplusbelle. «Jesuisdésolée»,dit-elleenreniflant.Jeluitendsunmouchoir. «Toutvabien. —Non,pasdutout,reprend-elle.J'aiessayédemeservirdetoi,alorsquetuasétéma seulevéritableamiecetteannée. —Teservirdemoi?répété-jeenmeraidissantunpeu. — Je me suis immiscée dans la campagne Mirabella alors qu'elle t'était réservée à l'origine, j'ai dit à Angela que tu ne voulais pas faire de presse, lorsqu'il y avait des événementsoudessoirées,jenet'aijamaisprévenue,etj'aimêmesortidesméchancetésà Chloe pour l'article de Teen Fashionista ! » Veronica se penche sur mes genoux et met ses brasautourdemataille.«Jetedemandepardon!»pleure-t-elle. Je ne sais trop comment réagir. D'un côté, elle a eu un comportement méchant et manipulateur.Maisdel'autre,jesuisraviequ'elleaitrejointlacampagneMirabellaetjelui suisreconnaissantedem'avoirépargnétoutescesobligations.Ilyatoutdemêmeunechose quim'ennuie. «Qu'as-turacontéàChloe?demandé-je. — Que tu n'avais jamais vraiment été mannequin, répond Veronica d'une voix étouffée, carelleatoujourslatêtesurmesgenoux.QueturestesunefilledeCarolineduNordquine faitpaspartiedumondedelamode.» JeréfléchisuninstantauxparolesdeVeronica.Ils'agit,desonpointdevue,desproposles plusméchantsetdéloyauxqu'onpuissetenirsurquelqu'un.Maisselonmoi,celaressemble surtoutàlavérité. Je tapote l'épaule de Veronica et je la pousse un peu pour qu'elle se redresse. Elle m'observe,craignantmaréaction. «Hé,dis-je,enm'assurantqu'ellemeregardedroitdanslesyeux.Onestdevraiesamies. Pasdugenreàsefairedescrasses,pasdugenreàsementir. —Jesais,répond-elle,levisagedécomposé,unenouvellelarmeaucoindel'œil.Jeveux êtrecegenred'amie.»Elleprendunegrandeinspirationetseremetàpleurerpourdebon.« Maisjen'arrêtepasdetoutgâcheretdefaireexactementcequ'ilnefautpas.Peut-êtrequeje suismauvaise,incapablede... —Chut,dis-je,pourarrêtersadivagationenrouelibre.Veronica,tun'espasmauvaise,tu esjustecompliquée.» Elle relève la tête, je lui souris. « Et comment ne pas l'être? continué-je. L'univers de la modeestvraimentpourri. —Jetedemandepardon,Violette.»Elleattrapeunmouchoirpouressuyerseslarmes. «Jen'aiaucuneconfianceenmoicesdernierstemps,c'estaffreux.Etc'estlegenredechose quinemevapastropauteint. —Net'inquiètepas,turestesd'unebeautéenvoûtante. —Envoûtante?»Jevoisuntoutpetitsourireapparaîtresurseslèvres. «Jetepardonneàunecondition,dis-je. —Laquelle?demandeVeronicaensemouchant. —Donne-moilamarquedetonmascara.Tun'arrêtespasdepleurer,etpourtantiln'apas coulédutout.» Veronica rit. Nous nous étreignons longuement. Pas à la façon des gens de la mode, qui restent loin pour ne pas se chiffonner, mais dans une vraie étreinte d'amitié. Puis elle me prendparlamainetnousquittonslestoilettesensemble.Ellelalâchepourregagnerlatable VIPtandisquejebaisselatêtepouréviterlesappareilsphoto,etquitteleclubparunesortie latérale. 20. Jemanquedem'endormirsurlabanquettearrièredutaxiquim'emmèneàBrooklyn.J'ai dumalàgarderlesyeuxouverts,etc'estlaraisonpourlaquelle,lorsquejevoislasilhouette assisesurleperrondeRita,jecroisavoirunehallucination. « David? » murmuré-je en approchant. Je croise les doigts pour que ce ne soit pas seulementuntypebizarreavecunsweatàcapuchenoirquiluiressemble.Ceseraitvraiment con. Il ne réagit pas, mais lorsque j'arrive tout près de lui, David se lève et sourit. « Je t'attendais. —Tun'étaisquandmêmepasobligéderesterdehors,dis-je,enmelançantdansunflotde paroles incontrôlables. C'est vrai, Rita te connaît, elle t'aurait carrément laissé entrer si tu avaissonné.» Davidmeregardefixementavecunsourireidiot. Le silence, c'est trop bizarre. Il faut ABSOLUMENT que je continue à parler. « D'accord, c'estlesvacancesdeprintemps,maisilfaitfroidlanuit,tudevraisvraiment...» Davidlèvelamainpourmefairetaire.Puisiltendlebrasetm'attirecontrelui.Lorsqu'il m'embrasse, j'oublie complètement de respirer. Et soudain, je ne sens plus qu'une seule chose,seslèvresetsesmainssurmonvisage. Nousnousséparonsaprèscequisembleêtreunefractiondesecondequiauraitdurédes heures. David pose sur moi un regard intense, comme s'il tenait à ce que je comprenne ce qu'il voulait dire par ce baiser. Pour qu'il nous soit impossible de nous défiler comme nous l'avonsfaitàBarcelone.Parcequec'estpourdevrai. Lorsquejeprendssamainpourl'emmeneràl'intérieurjusqu'àlachambreauxpoupéesde chiffon du sous-sol, cette chambre qui est celle où je dors depuis que je suis toute petite quandjeviensàNewYork,jesaiscequejefais.Etjemesenscomplètementprêteà...quoi quecesoit,d'ailleurs. Àl'instantoùjefermelaportedemachambre,Davidsejettesurmoi.Jesuisincapablede réfléchir,maismeslèvresparviennenttoutdemêmeàréagircommeilfaut,etjemedirige verslelitàreculonsentirantDavidparlepull. Ilenlèvesonsweat-shirt,jel'attiresurmonédredontoutdoux,reculantjusqu'àcequ'ilse trouvesurmoi.Ilm'embrasse,remontelebasdemarobe.Jevaislaisserleschosessepasser. Jen'aipaspeur,jenesuispasnerveuse,nigênée-j'aijustel'impressiond'enavoirbesoin, commesijel'avaisattendu. Mon cœur bat la chamade. David s'assied, il me retire ma robe. Il dégrafe mon soutiengorged'uneseulemain,cequimesurprendunpeu.J'auraiscruqu'ilseraitplusmaladroit. Ilôtesonjeanets'allongeàcôtédemoi.Noussommestouslesdeuxensous-vêtements. Jeprendsunegrandeinspirationetjefermelespaupières.Çayest.Pourdevrai.Jevaisle faire. Tout à coup, j'entends David qui pouffe. J'ouvre les yeux. Un petit sourire narquois aux lèvres,iltientmapelucheàlamain. «LeSingeRigoloestvenujusqu'àNewYork?»Ilsemoque. «Jenepouvaispasl'abandonner!»Jesouris. David se penche pour m'embrasser de nouveau, mais puisque nous faisons une pause, il fautquejeluidemandequelquechose. « Quand as-tu rompu avec Chloe? » Je le regarde droit dans les yeux, en souriant, tellement heureuse que nous ayons enfin trouvé le bon moment, que nous puissions enfin êtreensemble. Maisilnecroisepasmonregard.Ilbaisselesyeuxversl'édredon,semetàtripoterunfil rougequidépasse. «David?insisté-je. —Jen'aipasrompu»,répond-il. Mon cœur se remet à battre la chamade, mais de façon tout à fait différente. Cette fois, c'estlacolèrequis'exprime,etjefermelesyeuxpourfairedisparaîtreleslarmesquisontsur lepointdesedéverseravecviolence. «Quoi?Commentça? —C'estcompliqué,Violette,dit-il. — Non, pas du tout! » crié-je en le repoussant et en me levant pour récupérer mon soutien-gorge.Jeluijettesonsweat-shirt.Ils'assied,l'airvaincu. « Sors d'ici », lancé-je en essayant de contrôler le volume de ma voix pour que Rita n'entendepas.Jeprendsmarobepourmecouvrir.Jemesenssoudainsigênée,sinue. «Laisse-moijustet'expl...»,commence-t-il,avantd'êtreinterrompuparsontéléphone. LesTemptationsrésonnentdepuissapoche.Chloe. «"MyGirl*".Tutefousdemagueule,c'estça?»demandé-je,presquepourmoi-même. *«MaNana» Ilenfilesonjean,puis,lesyeuxbaissés,glisseunemaindanssapochepourfairetaireson portable. Je parie qu'il va la rappeler à l'instant où il sera dehors. Il se rhabille très vite et, lorsqu'ilessaied'ajouterquelquechose,jeluijetteunregardquiluisignifieclairement:«Ne disrien,jeneveuxpast'entendre.» Je le guide jusqu'à la porte du sous-sol qui donne en dessous du perron. Rita s'en sert rarement.Jedécrochelacléetladéverrouilledel'intérieur. Jesuiscomplètementhébétée.IlmesemblequeDavidmedit«aurevoir»ou«àplus» ouquelquechosedetoutaussinuletinsuffisant,étantdonnélasituation,puisjefermeàclé derrièreluietvaisàlasalledebains. J'ouvre le robinet et laisse couler l'eau au maximum tandis que je m'assieds sur les toilettesenfixantlecarrelage.Jenesaispasquoipenser.Ai-jeleprofilde«l’autrefemme» ?D'uneamourettequidureraletempsdesvacancesdeprintemps? Etlà,jefondsenlarmes.Legenredelarmesquines'accompagnentmêmepasdebruitet entre lesquelles on est forcé de prendre de grandes goulées d'air. Mais que s'est-il passé, exactement? 21. Lelundi,autravail,j'évoluetoujoursdanslebrouillard.Àl'instantoùjem'assiedsderrière mon bureau, j'entends des piaillements et gloussements dans le couloir. Je penche la tête hors de mon box et aperçois Chloe, entourée de quatre rédactrices, qui arbore un sourire si grandqu'ondiraitJuliaRobertsavecunverredanslenez. Je m'empresse de rentrer la tête dans mon box et de fixer l'écran de mon ordinateur en restantparfaitementimmobilesurmonsiègepourbienentendrechacundeleursmots. « Gramercy Tavern est un peu cliché, mais mignon quand même, déclare Valentina, la rédactricebeauté. — Oooh, c'est tellement adorable, couine Fiona, une des assistantes mode. Ton petit étudiantquiréserveunetabledansunrestauchic.Qu'est-cequevousfêtez? —Jenesaispas,répondChloe.Ilvoulaitsortirhiermaisj'étaissuperoccupée,alorsila insisté pour qu'on se voie absolument ce soir. Je crois qu'il pourrait bien me proposer de prendreunappartavecluil'anprochain!» Elleprononcecettedernièrephraseavecunetellejubilationquej'aienviedeluiarracher lescordesvocalesàl'aidedudégrafeurposésurmonbureau. Jemelève,trèsraide,etpasseviteàcôtéd'ellesendirectiondestoiletteshandicapés-les seules dans lesquelles on puisse s'enfermer sans avoir à vérifier s'il y a quelqu'un dans les cabinesadjacentes.J'enfonceuntasdepapiertoilettedansmabouche,danslequeljemords enmemettantàpleurer.Jesaisque,sansça,messanglotsseraienttropforts. Il l'aime, elle. Il veut emménager avec elle. Il veut vivre avec une minus d'un mètre cinquanteauxcheveuxbouclés,exagérémentjoviale,etquiaunriredecochon. Pendantcinqminutes,jemesensjustetrèsmal.Jemelamentesurmonsort,j'éprouveun grand sentiment de perte, je vois dans le miroir d'atroces grimaces, ma bouche qui se tord quandjaillissentleslarmes.Puisjemerendscomptedelatrahison. Jamais David n'aurait dû me tromper de la sorte - pas moi. Ce que nous avions, notre amitié,étaitcommeparfaite,pure.Dansmoncœur,jesaisquesinousn'avionspasralenti, l'autresoir,j'auraiscouchéaveclui.Etçaauraitétéunmensonge.Ilseraitalléjusqu'aubout. Toutàcoup,jesenslacolèremonter.Qu'ilaillesefairefoutre,pensé-je,enm'essuyantle visage à l'aide du papier toilette rêche. Je me pince les joues pour y faire revenir la couleur qui avait disparu au son des piaillements guillerets de Chloe. Je fixe mon reflet dans le miroir,décidéeàmemontrerforte,àgarderlatêtehauteetànepasmelaisserabattrepar cette tragédie aux proportions épiques. Je commence à me rappeler certaines scènes édifiantesdemesfilmspréférés,quipassentsanscessesurTBS:commentRenéeZellweger retrouve sa dignité après s'être fait balader par Hugh Grant dans Bridget Jones, comment Julia Stiles apprend à danser après la mort de sa mère dans Save the last dance, comment ShaneWestdevientmeilleuraprèsavoirperduMandyMooredansLeTempsd'unautomne. Bon, d'accord, personne n'est mort, en ce qui me concerne, mais c'est tout comme. J'ai l'impressionquemoncœuraétéarrachédemapoitrine,commedansunfilmgore. Si seulement je vivais dans une comédie romantique, et pas dans la vraie vie. J'ai envie d'une scène de relooking où l'on ferait un peu de ménage dans ma vie et après laquelle je finirais sublime et fraîchement shampouinée, en moins de temps qu'il n'en faut à Natasha Bedingfield pour chanter « Unwritten ». Je m'en remettrai, je resterai telle que je suis, j'aimeraiànouveau!Etsiçasetrouve,avecça,j'aimêmedequoiécrireuntube. Pourtant, au moment même où je me motive de cette façon ultra inspirée tout en me séchantlevisage,unepetitevoixdansmatêtecontinuedesedemander:Commenta-t-ilpu mefaireça? JepréviensChloequejenemesenspasbien,etellem'autoriseàpartirplustôt.J'aidéjà envoyé les invitations pour la grosse soirée du magazine, alors, de toute façon, je n'ai plus rien à faire. Lorsque le métro de la ligne F qui me ramène chez Rita sort des tunnels, je constatequej'aiunmessage. «Violette.Acceptedemeparler,s'ilteplaît.» CommentDavidpeut-iloserm'appelermaintenant?J'effacelemessageet,dumêmecoup, son numéro de mon répertoire - geste insignifiant puisque je le connais par cœur depuis la troisième. AumomentoùjequittelemétroetmedirigeàpiedverslamaisondeRita,monportable sonneànouveau.David.Horsdequestion.Jenerépondspas.Maisilnelâchepasl'affaire.Il n'arrête pas d'appeler. Pour finir, il laisse à nouveau un message. Et je sais que si j'étais vraimentunedureàcuire,jel'effaceraissansl'écouter,maisjen'aijamaisétélegenredefille capabledefaireça,jesuistropcurieuse. «Violette,jesaisquetum'évites,dit-il.Appelle-moi,s'ilteplaît.» Jenelefaispas. D'abord, il était vraiment sans intérêt, ce message. Si David a quelque chose de bien à raconter,ilferaitmieuxdeledireparmessagerievocaleinterposée,parcequejenevaispas merisqueràprendresesappelspourl'entendremedébiterunenouvellesériedemensonges. JesuissoulagéequeRitanesoitpaschezelleàmonarrivée.Jem'assiedsàlavieilletable delacuisinepourécrireàDavidunelettred'adieu.J'attrapeunbloc-notes—ilneméritepas dejolipapieràlettres. Jerédigeplusieursbrouillons.Danslepremier,jeluidéballetoutcequej'aisurlecœur, dansledeuxième,jeluidemandepourquoi,pourquoi,maispourquoi?etdansletroisième, pourluifairemal,jefaisl'inventairedecessouvenirsd'enfancequejeporteraitoujoursen moi—mêmesinousnesommesplusamis.J'optefinalementpourunpetitmotgriffonnéqui dit simplement : « Laisse-moi tra¬quille. Violette Greenfield. » J'ai la sensation qu'utiliser monnomdefamillemetplusdedistanceentrenous,etqueçaleblessera. JefouilledanslestiroirsdeRitaàlarecherched'untimbrequandmontéléphoneseremet àsonner.Unnuméroen212,j'espèrequecen'estpasChloe. «Violette.»C'estDavid.Depuisletéléphonedesarésidence.Ilatoujoursétéfourbe. «Jeneveuxpasteparler.»J'ailagorgeterriblementnouée. «Cen'estpascequetucrois... —TuestoujoursavecChloe? —Oui,mais...» Jeraccrocheetéteinsmontéléphonedanslafoulée.Ai-jebesoind'ensavoirplus? Toutàcoup,lasonneriedutéléphonefixedeRitaretentit.Jemeprécipitepourdébrancher lesdiverstéléphonesdelamaison.Jerefusequ'elleparleàDavid.Ilestofficiellementbanni detoutemafamille. Jedéchirelepetitmotquejeluiaiécrit-ilneméritemêmepasça. JemeconnecteàInternetetl'effaceentantqu'amisurMySpaceetFacebook.Jelebloque, également, pour qu'il ne puisse pas me harceler. Ensuite je vais sur flip.com. Il faut que le mondeentiersachecequ'ilm'afait. Je consacre environ deux heures à créer le scrapbook virtuel de mes angoisses existentielles sur David. Je choisis « Who Knew » de Pink comme bande-son et insère des photos de choses abstraites, comme des orages et des fleurs fanées, ou bien des connards made in Hollywood, comme Chuck dans Gossip Girl, pour représenter mon cœur brisé. Ensuite, je me lance dans les pages « Colère », où je télécharge d'authentiques photos de David,surlesquellesj'ajoutedescornesdediableetdesdentsnoires.Jenesuispascertaine delemettreenligneaufinal,maisc'estcathartique. Pourtant,jenesaispascommentjevaismeremettredecettetrahison.C'esthyperbizarre desesentirblesséephysiquement.Parcequeoui,jesensbeletbiencettedouleurdansma poitrineencemomentmême,cen'estpasseulementmonimaginationquimejouedestours. Çafaitmal,commesiquelqu'unm'avaitdonnéungrandcoupsurleseindroit,oucommesi jem'étaiscasséquelquechosedececôté-là. Le lendemain matin, je me fais porter pâle au bureau. Je n'ai pas le courage de me retrouver face à Chloe ni de l'entendre raconter son dîner romantique avec David. Je me demandebrièvementsijedevraisluidirecequis'estpassé,maisçaacommeunpetitgoûtde soap opera. Je veux juste tout oublier, alors je passe la journée au lit. Rita travaille à la maison,maiselletrouvequej'ail'airmaladeetmelaissetranquille. Unpeuaprès16heures,alorsquejesuisentrainderegarderl'émissiond'OprahWinfrey surlaminusculetélévisiondusous-sol,j'entendsfrapperàlafenêtre.Jejetteuncoupd'œil parlavitrepoussiéreuseprotégéedebarreauxmétalliquesetdécouvrelevisagesoucieuxde David. Jeluifaisnondelatête.JeneveuxpasqueRitasachequ'ilestlà,ilfautqu'ils'enaille. Commeilnebougepas,jeprendsmonédredonetleplacedevantlafenêtre,pourneplusle voir. D'habitude, il est doué pour décoder les signaux en société, mais, visiblement, aujourd'huifaitexception. Deuxminutesplustard,tanteRitaestimpliquée. «Violette!crie-t-elledansl'escalier.Davidestlà!» Ilaundecesculots,jen'ycroispas.J'ail'impressiond'êtreunanimalprisaupiège,dans cesous-sol.Ilestàlaporte,lacourestferméeetjeneveuxpasqueRitaapprennequ'ilyaun problèmeentrenous... Je décide de jouer l'indifférence. Je monte retrouver David sans me coiffer, ni même quitter mon survêtement. Je lui souris, pour tante Rita, puis je l'entraîne sur le porche, à l'avantdelamaison.Jerefusequ'ilmetteunpiedàl'intérieur. LorsqueRitarefermelaporte,jem'assiedssurleperron,lesyeuxrivéssurlesfissuresdu trottoir.Davidprendplacesurlamarched'endessous,maispastropprès.Ilaencoreunpeu definessedansledécodagedessignaux,finalement. «J'airompuavecChloehiersoir»,annonce-t-il. Lespoilsdemesbrassehérissent,maisjegardemesyeuxfixéssurlesol. «Violette,tum'asentendu?demande-t-ilenvoyantquejeneréagispas. —J'aientendu,dis-jecalmement. —Çaatoujoursététoi»,affirme-t-il,commesionétaitdansuntéléfilmetqu'ilpouvait direuntrucpareil,commesiensuitej'allaismetournerversluietquetoutallaits'arranger. Mais on n'est pas dans un téléfilm à la con. Et il ne peut pas me faire ça à moi, ni à Chloe, d'ailleurs. «C'étaitvraimentmal,cequetuasfait. —Jenet'aijamaisditqueChloeetmoiavionsrompu,avance-t-il. —Tusavaisbiencequej'enconclurais!»crié-je,enleregardantdanslesyeuxpourla première fois. Et j'y lis tant de peine que j'ai envie de lui dire que ça va aller, que nous sommestoujoursmeilleursamis,etpeut-êtreplus.Maisjenepeuxpas. «Allez,Violette,c'étaitparfait,toietmoi.Jesaisquetul'assentiaussi.»Davidmefixe. « Tu m'as volé quelque chose », dis-je en baissant d'un ton et en baissant à nouveau les yeux,carjemesouvienstoutàcoupquejesuiscenséejouerl'indifférence.Jeneveuxpasme mettredanstousmesétats. «Onnepeutpasdirequ'onsoitalléstrèsloin!réplique-t-il. —Jeneteparlepasdemavirginité.»Jen'aijamaisenvisagéçacommeuntrésorspécial, àlamanièredecesfillesquiportentlafameusebague«L'amourvraiattend».Cen'estjuste pascommeçaquejevoislesexe.Maisleproblèmeestau-delà. «Alorsdequoituparles?demandeDavid. —Tuasbrisémaconfianceinconditionnelleennous.Jenedevraismêmepasavoiràte l'expliquer. C'était trahir notre amitié. Sans parler du fait que c'était vraiment salaud de trompertacopine»» LesépaulesdeDavids'affaissent,ilmetlesmainssursesyeux,commes'ilallaitpleurer. Une partie de moi a envie que je me rapproche de lui, mais l'autre est furieuse. Pour notre premiervéritablemomentdepassion,Davidtrompaitsapetiteamie!Ilnevoitdoncpasqu'il atoutgâché?Alorsquecequenousavionsétaitcenséêtreintouchableetparfait?Ilarendu notrehistoireabjecte. « Tu es ma meilleure amie, Violette, dit finalement David, la voix un peu brisée. Je suis amoureuxdetoidepuisleCP.J'attendaisquetu...» Ilmarqueuntempsd'arrêt,lèvelesyeuxversmoi.Sesyeuxbleussontdouxettristes. «Parfois,reprend-il,quandj'étaisavecChloe,j'avaisl'impressiondetetromper,toi. — Ça, c'est vraiment n'importe quoi, David. Ce n'est pas comme ça que les choses sont censées se dérouler. » Je me revois repousser Oliver avant même que quoi que ce soit se passeentrenous,parcequejesavaisqu'iln'étaitpasceluiquejevoulais.Cen'estpasqueje meconsidèresupérieureparcequej'auraisfaitlebonchoix,contrairementàDavid.Maisje nepeuxpasécoutersestentativespourjustifiersarelationavecChloeetlefaitqu'ilsoitsorti avecmoialorsqu'ilétaitencoreavecelle. «Jecroisquetuferaismieuxd'yaller,annoncé-je. — Mais j'ai toujours cru que lorsque le timing serait le bon, que, lorsque tu me verrais comme je t'ai toujours vue, tout irait bien. Que tout fonctionnerait et que nous serions heureuxensemble. —Ehbientut'estrompé»,dis-jeencroisantlesbrassurmapoitrineavantderegagnerla maison.Jeverrouillelaporteàdoubletour.Puisjem'effondresurlesol,enlarmes. 22. Après mon grand effondrement dans l'entrée, j'ai été forcée de donner quelques explications à Rita. Je lui ai dit que David et moi nous sommes disputés et que nous ne sommesplusamis.Elleaposéquelquesquestions,maissanstropinsister,cequej'apprécie. Puiselleaconclupar«Letempsarrangeleschoses»,etm'apréparéunsandwichauthon. Je ne me suis pas donné la peine de préciser que des années et des années n'arrangeraient jamaisça. Lorsquej'appelleJuliecesoir-là,jepleureànouveau.Elleessaiedemeréconforter,mais jesaisqu'ellesetrouvedansunepositiondélicate,puisqueDavidestaussisonmeilleurami. Riennemeconsole. Jemefaisporterpâlepourlerestedelasemaine-commentpourrais-jealleraubureauet meretrouverfaceàChloe?-,jesuisjusteforcéed'yretournerpourrécupérermesaffairesle derniervendredi,jourdemonretouràlafac. J'entre dans l'immeuble Bruton un peu avant 9 heures, pour éviter de croiser qui que ce soit,maisaumomentoùj'attrapelelivredesociologiequiauraitdûm'occupercettesemaine, j'entendsdubruitderrièremoi. «SalutViolette»,ditChloe. Je me retourne, je sens mon visage rougir et mon menton se mettre à trembler en la voyant. Elleavraimentunesaletête.Triste,fatiguée,abattue.Est-cemafaute?Jemeledemande. D'unecertainefaçon,indirecte,maisquandmême.Jenesaispasgérerlaculpabilité. «SalutChloe,parviens-jeàarticuler.Tueslàdebonneheure. —J'aiduboulotàrattraper.J'aiprisquelquesjours…pourmeremettredemonchagrin d'amour.» Jegrimace. «Ettoi,tuvasmieux?demande-t-elle. —Oh,oui»,dis-jeenmesouvenantquejesuiscenséeêtreauseuildelamortavecun rhume colossal. Je produis une de ces fausses toux que les gens tentent généralement lorsqu'ilsfontsemblant.Lamentable.«Jecroisquej'enaipresqueterminéaveccevirus.Je suisdésoléepourleboulot. —Net'enfaispas.Detoutefaçon,jen'aipaseulameilleuredessemainesnonplus,tu doissûrementêtreaucourant.» Jel'observeàlarecherched'unsignequimontreraitqu'ellesaitpourDavidetmoi.J'ignore complètements'illuiaracontécequis'estpassé.Maisellemerendunregardparfaitement neutre,sansqu'apparaisselamoindretracedeméchancetésursonvisage. «JesuisdésoléepourDavid»,dis-je,enayantl'impressiond'êtrevraimentdégueulasse. Elleagitelamaindevantsonvisagecommesiellepréféraitnepasypenser.«Tuveuxlire le papier sur toi? » demande-t-elle en me tendant un classeur qui contient les épreuves de monportraitsousformedefeuillesvolantes. J'aiunpeupeurqu'ellem'aitreprésentéesouslestraitsd'unegarcevoleusedemec.Mais ensuite, je lis le titre : « N'est-elle pas ravissante? » et le chapeau, qui dit : « Avec Violette Greenfield,topmodel,ilestpermisdecroireàlabeautéintérieure.» Jeparcoursrapidementlespages.L'articleestincroyablementflatteur.Ilmentionnemon intervention au lycée de Brooklyn, ma résistance aux pressions du milieu pour que je reste maigre et mon amitié durable avec des gens qui ne sont pas dans la mode. Un encadré qui réunitdescitationsdefillesanonymes,dontunedesélèvesdeBrooklyn,d'ailleurs,quidisent commentellessesententdansleurcorpsàcausedel'industriedelamode. EnhautàdroitedeladoublepagesetrouveunephotodeDavidetdemoiàBarcelonel'an dernier. C'est une photo prise à bout de bras, alors nous apparaissons à un angle bizarre et nostêtes,trèsgrosses,remplissenttoutlecadre.Jerisparcequec'estlacinquièmefoisqu'on essayedefaireunephotocorrecte.Lalégendedit:«EnvoyageàBarceloneavecsonmeilleur amiDavidStern.» Chloedoitm'avoirvueobservercettephotoavecétonnement,parcequ'elleexplique:«Il m'adonnécettephotoavant...»Etlà,ellefondenlarmes. Jemeretrouveàlaserrercontremoienluitapotantledostandisqu'ellesanglotesurmon épaule.Lesyeuxécarquillés,jefixeleboxenfacedumien,décorédeceposterquidit«Tiens bon!»etreprésenteunchatsuspenduàunecordeàlinge,untrucdanscegenre.J'imagine que la journaliste s'est voulue ironique. Le moment est bizarre. Je suis à peu près certaine que Chloe n'est au courant de rien, mais ça ne m'aide pas vraiment côté sentiment de culpabilité. Lorsqu'elle se calme un peu, elle s'excuse et prend un mouchoir sur mon bureau. « Je tenaisvraimentàlui,tusais»,dit-elle. Jehochelatêtemaisnerépondspas.Jenetiensfranchementpasàencouragerunegrande scènedramatiqueoùelleseconfieraitàmoi. « Enfin, je ne sais pas si tu as déjà vécu une relation durable, comme David et moi, reprend-elle. — Pas vraiment », dis-je en songeant qu'avec leur histoire de six mois, ils étaient encore loin des noces d'or. Mais c'est méchant de penser un truc pareil, alors j'essaie de repousser cetteidée.Pourquoifaut-ilquejesoisaussigarce? «C'estdur,quoi»,résume-t-elleeninspirantprofondémentparlenezetenexpirantparla bouche.C'estcequerecommandedefairelecoachdeJulieencasdestress.Jemedemande siChloeauncoach.Jemedemandeaussisielleneseraitpasmoinssuperficiellequejene l'aicru.«Maisçavaaller,poursuit-elleenattrapantmamainetenlaserrant.Merci,Violette. » Lahonte,lahonte,lahonte.Jeprendsmesaffairesetjeluidisaurevoirdelamain.«A vendrediprochain. —Remets-toibien»,répondChloe. Jesuisvraimentdégueulasse. Monportablesonneàl'instantoùjequittel'immeubleBruton. «SalutVeronica,dis-jeenmedirigeantversGrandCentralàpied. —V!Ilyaunesupersoiréeceweek-end!»Elleselancedanssongranddiscourssurle thème « Il faut absolument que tu sois là, tout le monde y va ». Elle devrait quand même savoirqueçaneprendrapasavecmoi,non? «Impossible,Veronica.J'aieuunemauvaisesemaine.Ils'estpasséuntrucavecDavid. —Quoi?demande-t-elle. —Lepire»,dis-je.Jesuissurlepointdepleurermaisjelutteenmemordantlalèvretrès fort. «Oùes-tu?demandeVeronica. —Jevaisàlagareàpied.Jerentreaucampus. —J'arrive,déclare-t-elle.Ilfautjustequejetermineleshootingsurlequeljesuis,maisje teretrouvecesoir. —Tun'espasobligéede...,commencé-je. —Pasdediscussion!s'écrie-t-elle.Jeserailàvers20heures.»Elleraccrocheavantqueje puisseémettredenouvellesprotestations. Dans le train vers Poughkeepsie, je sors mon agenda et vais directement aux pages blanches réservées aux « notes » à la fin. Je ne me sers jamais de cette partie, sinon pour inscrire une vague adresse que je crains d'oublier, ou pour faire couler l'encre d'un stylo à forcedegribouillis.Maislà,j'aitrèsenvied'établirunelistepourorganisermespensées(une forme d'autocritique, disons). Appelez ça la liste des trucs à digérer émotionnellement ou utilisezletitrequej'aiécritenhaut:«Leschosesquinevontpasdansmavie.»(Sous-titre: Pourquoijesuisaffreuse.) 1.J'aiembrasséunmenteurinfidèle. 2.Monmeilleuramipourlavie,David,estunmenteurinfidèle. 3.JetrouvequeChloeestunefilleadorable,enversquij'aiétéinjuste. 4.Jesuiscomplètementdéconnectéedel'industriedelamode,ettoutlemondem'aoubliée.Est-cecequejeveux?Alors pourquoijemesensaussivide,maintenant?(Ahoui,çapeutavoirunrapportaveclenuméro1.) 5.J'aipriscinqkilos. 6.J'aimeraisbienmeficherdecescinqkilosdeplus.M'enfichercomplètement,même.Maisçam'embêteunpeu. 7.J'aipeurdenepasêtreunefillebien,enfait,aufonddemoi. Jerefermemonagendad'uncoup,puislerangedansmonsacavantdem'enfoncerdansle siègeenSkaïdutrainetdemeplongerdanslacontemplationdel'Hudsonparlafenêtre. Lorsquejeregagnemarésidence,lescouloirssontencorecalmes.J'imaginequelesgens ne rentreront que dimanche de leurs vacances. Je me roule en boule sur mon lit puis m'endors sur la playlist « En cas de chagrin d'amour » que j'ai créée l'an dernier pour mon iPod-OtisRedding,PatsyClineetPostalService.Jesuisbiencontentedelatrouver. Je suis réveillée par un chatouillis sous le nez. J'étire mes bras au-dessus de ma tête et ouvrelesyeux. «Kurt!»crié-je.Ilagiteunstringroseàstrassau-dessusdemonvisage. «Ont'arapportéunsouvenirdelaplage,dit-ilenlebrandissantenl'air. —Laclasse. —Oh,jet'enprie,dit-ilenlevantlesyeuxauciel.Tuauraispréféréquejet'achèteunteeshirt?J'aitrouvéçaunpeuplusintéressant.» Jesouris,contentedeleretrouver.«JessetFansontlà?demandé-jeenm'extirpantdulit, etenmerendantcomptequej'aidormienvironquatreheures. — Non, répond Kurt. Elles passent quelques jours dans leur famille. Mais comme mon père n'est toujours pas très à l’aise avec mon, hum, penchant pour les garçons en tee-shirt moulant,j'aipréférérevenirici.» Je lève les yeux une seconde, en me demandant s'il est triste ou s'il va se confier à moi, maisKurtritetfoncedanslesalonmechercherunebière. Pourquoi n'ai-je jamais pensé à lui poser des questions sur sa famille, ni à lui demander comment ils prennent le fait qu'il soit gay? Je vais devoir ajouter « Complètement égocentrique»surmaliste«Pourquoijesuisaffreuse»dèsquej'enaurail'occasion. Je sors de ma chambre pour rejoindre Kurt, qui m'ouvre ma bière, assis sur le canapé. Il saitquejesuisnullepourouvrirlescannettes.Soitjecasselalanguette,soitjelafaistomber danslaboîte,cequiestvraimentpénible,voiredangereux,quandils'agitdeboire. «Merci,dis-je.Alors,c'étaitcomment,laplage?»Jesuisbiendécidéeàneparlerquede sesvacancesàlui,àentendretoutesleursaventuresàJess,Fanetlui,etànepasdireunmot demespropresproblèmes. « De la balle, répond Kurt. Super cool. On a beaucoup bu, un peu dragué - mais rien de sérieux-etnon,Jessnes'estpastrouvédemec.Ilfautvraimentqu'onlafassesortirdesa coquille,elleesttroptimide.Etpuis... —Elleestbienplustranquillecommeça,marmonné-je. —Hein?faitKurt. — Rien, m'empressé-je de répondre, en me rendant compte que je suis déjà en train de penseràmoi,unefoisdeplus. — Aurait-on eu quelque problème avec les garçons pendant les vacances ? » demande Kurt. Puisquec'estluiquiposelaquestion... Trois heures plus tard, je n'ai pas bougé du canapé. J'ai une boîte de mouchoirs à mes pieds,VeronicanousarejointsetnousmangeonsunepizzacommandéechezNapoli,pleine defromage,biengrasse,exactementcequ'ilmefaut.Veronicaenadéjàmangédeuxparts,du jamaisvu. «Quejecomprennebien,résume-t-elleenpicorantlesmorceauxdecroûtequej'ailaissés. ToietDavid—quetuaimesdepuisàpeuprèstoujours-vousvousêtesembrassés,ensuiteil largueChloeettoi,tuluidemandesdesecasser. —C'estça. —Tupeuxm'expliquerpourquoi,encoreunefois?»demande-t-elle. Kurtlèvelamaincommes'ilétaitàl'école. «Moijesais!Moijesais!crie-t-il. —Kurt,dis-je,luilaissantlaparole. — Parce que David a fait les choses dans le désordre. Il aurait dû passer par la case ruptureavantdeconclure!»Ilsouritettapedansmamain. « OK, reprend Veronica. Admettons. Mais maintenant, c'est terminé avec Chloe. Alors pourquoi tu ne pourrais pas sortir avec lui? Tu es du genre à pardonner, Violette. Tu m'as pardonnée,moi. —Oooh,tuluiavaisfaitquoi?»demandeKurtensefrottantlesmains.Ilesttoutexcité depuisqueVeronicaestarrivée,mêmesicettedernièreheure,ilaenfinarrêtédeprendredes photosd'elletouteslescinqminutes.Dieumerci. «Rien,répondVeronica.Enfin,riend'impardonnable.N'est-cepas,V?» Jeluisouris.Nousplaisantonsdepuisquelquesminutes,aprèsquej'aipassédeuxheuresà renifleretàpleureràproposdeDavid.Jecroisquej'aicommencéàrirequandlabièreafait son effet. Mais maintenant, j'ai l'impression que les montagnes russes des émotions se dirigentversunenouvellechute. «Ohoh,faitKurtenvoyantsurmonvisagelagrimacetrèslaidequiprécèdeleslarmes, avantmêmequejeproduiseunson.Ilnousfautdesmouchoirs!» Veronicafoncedanslestoilettespourvolerunrouleaudepapiertoutfinetrêche.Jerâle, maisKurtm'interrompt:«C'estmieuxquetamanche.»Pasfaux. Je mouche mon nez douloureux. «Je suis vraiment désolée. Je suis dans un état pathétique. —Toutnevapassimal»,ditKurt. Jeluijetteunregardméfiantparcequejesaisqu'ilvaselancerdanssonspeechintitulé« As-tudesraisonsd'êtreheureuse?».Ill'adéjàfaitquandjestressaisavantlespartiels.Çaa marché,sionveut,maisc'estsurtouthypertarte. «Allez,onvafairelalistedetoutestesraisonsd'êtreheureuse,décrète-t-il. —OoohJ'aivuçadansl'émissiond'OprahWinfrey.Jevaischercherlesmarqueurs!dit Veronicaentapantdanssesmains.IlyenapleindanslachambredeViolette.» C'estvrai.J'adorelesfournituresdebureaufantaisieetlesfeutresdetouteslescouleurs. MaispourquoiVeronicaest-elleàfonddanscetruc? Kurtfiledanssachambrechercherunchevaletdeconférence,rienqueça. «Jenepensepaspouvoirremplirtoutça»,ironisé-jeenlevoyantprendreuneimmense pageblanche,lesyeuxbrillants.Ilestcarrémentsurexcitéàl'idéed'animerunséminairede développementpersonnelicimême,dansmonsalon. « Silence, Négativa ! » ordonne-t-il en faisant de la place pour son tableau. Veronica débarqueavecunarc-en-cieldefeutresetunefeuilled'autocollantstrouvéedansletiroirde monbureau.J'aitoujoursadorélesautocollants. «Tuécrisbien?demandeKurt. —Non,vas-y,toi»,ditVeronicaenluitendantunmarqueurrougedontelleaenlevéle capuchon. Tous deux sont comme des meilleurs amis en camp de vacances, ils dessinent un cadre fleuri tout autour de la feuille avant que nous commencions. Effondrée sur le futon trop court, avec les jambes qui dépassent au bout, j'ai les yeux fixés au plafond. Ma posture est unefaçondesignifierquejenesuispasdutoutdansleurdélire.Personneneleremarque. «Alors,peux-tumeciterunechosequiterendparticulièrementheureuse?demandeKurt, unefoisqu'ilaterminésaguirlandedefleurs. —Hum...Lapizza?dis-je,ensachanttrèsbienquecen'estpascequ'ilveutentendre. —Quelquechosed'unpeuplusessentiel!s'exclame-t-il. —Jesais.Leminifrigo!» IllèvelesyeuxaucieletjetteunregardexaspéréàVeronica. «Je vais commencer à sa place, intervient-elle. Violette est particulièrement heureuse d'êtreétudiantesurcesublimecampus. —Amen!déclareKurtenutilisantunmarqueurvioletpournoterVASSAR!danslecoin enhautdelafeuille.Etn'oublionspasqu'ellepaiesesétudesavecl'argentobtenuànerien faire,sinonêtrebelle! —Hé!»protestons-nousenchœur,Veronicaetmoi. Kurt pouffe. « OK, les top models, je sais bien qu'être mannequin, ce n'est pas que ça. Enfin,ilparaît.Cequevouspouvezêtreféroces,touteslesdeux.Onpeutcontinuer?» Jesourisetmetournesurlecôtépourleurfaireface. Veronica se révèle très douée pour trouver tout ce qui est bien dans ma vie. En vingt minutes,nousavonspresqueremplilagrandefeuilleavec:maman,papa,Jake;lesvoyages à l'étranger; le stage à Teen Fashionista; des colocataires sympas; des trucs gratos offerts par les couturiers; de bons gènes; tante Rita; les escarpins Louboutin (Kurt ayant estimé qu'ilsméritaientuneligneàeuxseuls). LorsqueVeronicaproposed'ajouterJulie,jecroiselesbrassurmapoitrine. « Ouais », dis-je, en me perdant à nouveau dans la contemplation du plafond. Il m'est impossibledepenseràJuliesanspenseràJulieetDavid.Nousavonstoujoursétéensemble, touslestrois,alorssij'écris«Julie»sanslui,j'aurail'impressiond'amputerquelquechose. Je suis comme une victime de guerre avec un bras fantôme. Bon, ce n'est pas aussi dramatique,maisvousvoyezl'idée. «EtDavid?»demandeKurt. Jeluijetteunregardnoir.«Situosesl'ajouteràcetteliste,gareàtoi! — Écoute, mon chaton, dit Kurt en prenant une voix de grand-mère originaire de New YorkexpatriéeenFloride.Jesaisqu'ilt'afaitdumall'autresoir. —C'estplusqueça!C'estunetrahisontotale!»m'exclamé-je. JevoisKurtjeteruncoupd'oeilàVeronica,quihausselesépaules. «Iln'apasfaitleschosesdansl'ordre,admet-elle.Ils'estlaisséemporterparl'émotionde terevoir.Cemecestamoureuxdetoidepuisquinzeans! —Veronicaaraison,poursuitKurt.Davidafaituneerreur.Unegrosse,d'accord,maisça resteuneerreur.Ilnet'apasfaitdumalintentionnellement. —Jenesaispas,dis-je,enessayantdedigérercequ'ilssontentraindemedire. — Ce n'est pas irréparable, V, insiste Veronica. Du moins pas pour votre amitié. Nous savonsaussibienl'unequel'autreàquoiressemblel'irréparable.» Ellemelanceunregardquienditlong.Jerepenseàmes«relations»avecPeterHeller, organisateur de soirées foireux, qui trouvait « de mauvais goût » que j'aille rendre visite à Veronica en désintox, puis avec Paulo Forte de Sao Paulo, au Brésil, qui m'avait carrément trompée avec un autre mannequin. Mais le truc, c'est que j'attends toujours plus de David quedesautres,parcequ'ilestDavid. «Nousdeux,c'étaitcenséêtreparfait,dis-jedoucementenfixantunetachedebièresurle coussindufuton.Davidestcenséêtreparfait. —Maispersonnenel'est,soupireVeronica.Tulesaisbien.» Jelaregarde,puisKurt,quihausseunsourcilensigned'impatience. «Bonalors,jelenoteoupas?demande-t-il,feutrevertensuspensau-dessusdelafeuille. — D'accord », dis-je en pensant que pendant l'été, peut-être, David et moi pourrons discuter.Onréussiraàs'ensortir,non?Leschosesvontpeut-êtreguérirdoucement. «Ouf!souffleKurt,quitermineledfinaldesatranscriptiontoutenbouclesduprénomde monami.Quoid'autre? —VioletteestheureusequeKurtsoitunsibonami»,proposeVeronica. Kurt, ravi, note son propre nom sur la feuille. Il souligne en orange ses grosses lettres toutesrondesetVeronicalescolorieaufeutrebleu. «EtVioletteestheureusedet'avoir,toi»,rebonditKurtendésignantVeronica. Elle me regarde avec hésitation, comme si elle n'était pas sûre que je puisse faire cette déclaration.Commesiellecraignaitdenepasêtreunepartimportantedemavie. Jeluisouris.«Écris-moiça,DoubleV!»dis-je,enmeressaisissantunpeu,etenprenant conscience, au même moment, qu'elle a raté la super soirée dont elle m'avait parlé au téléphone.Ellesavaitquej'avaisbesoind'elle.Etvoilà,elleseretrouveàfaireunelistedébile avecKurt,commesic'étaitlemeilleurvendredisoirqu'elleaitjamaispassé. «Tuesuneamieincroyable,Veronica.»Ellesejettedevantmoiàgenoux,jemepencheet nous nous serrons dans les bras comme ça, l'une sur le canapé, l'autre par terre. Puis nous éclatonsderireetjetombeducanapé. Kurtbondit.«Encoreunsuccèspourlafameuselistedesraisonsd'êtreheureuse!»hurlet-il. À cet instant, mon portable sonne. Je me relève tant bien que mal et attrape mon sac. « C'estJulie»,dis-je,enespérantqu'ellen'aurapasenviedediscuterducasDavidmaintenant. Je suis déjà revenue dessus au moins huit fois avec elle... et, bien que partagée entre nous, elle m'a juré sur le code de l'honneur des filles qu'elle ne répéterait rien à David de tout ce quejeluiraconte. « Ooh, dis-lui pour notre liste ! crie Kurt, occupé à remplir les blancs d'autocollants en formedecœurroseàpaillettes.Julievaadorer. —Salut,dis-je,autéléphone. —Tuesaucourant?»demande-t-elle. Et j'ai presque peur de demander « de quoi ? », persuadée qu'elle va m'annoncer que ChloeetDavidsesontremisensemble.Maisilfautquejesache.«Dequoi? — David va passer l'été à Los Angeles. Il vient de m'appeler pour me dire qu'il a été acceptédansunesortedeprogrammed'étudesencinémaàl'USC. —Ahbon,bredouillé-je,hébétée. —Ilnenousenavaitpasparléaucasoùsacandidatureneseraitpasretenue,explique Julie.Tuleconnais. — Oui », dis-je, l'esprit déjà en train de s'emballer. Pas d'été ensemble. Pas le temps d'arrangerquoiquecesoit. «Violette,ilestdansunétat...Tuvasluipardonner? —Jenesaispas»,murmuré-je.Etc'estlavérité. 23. Lelendemainmatin,KurtetmoiraccompagnonsVeronicaenvoiturejusqu'àlagare. « C'est le meilleur vendredi soir que j'aie passé depuis longtemps, déclare-t-elle en me serrantfortdanssesbras.Kurt,tuessurmalisteVIP!» IldonnedeuxcoupsdeKlaxonlorsqu'elleentredanslagare. « Alors, content d'avoir décroché une entrée permanente dans n'importe quel club newyorkais?demandé-jealorsquenousfaisonsdemi-tourpourrepartirendirectionducampus. —Jesuisjusteheureuxd'avoirunenouvelleamie»,répond-il. Jericane. « Bon, d'accord, connaître Veronica Trask a un certain cachet, ce qui ne gâche rien, reconnaîtKurt.Maisc'estaussiunebonnecopine! —Oui,elleapprend»,dis-jeensourianttouteseule. De retour à la résidence, je passe par ma boîte aux lettres pour récupérer mon courrier. Après mes deux semaines à New York, la boîte est pleine à craquer, et tout est à moitié déchiré, ce qui est agaçant. Ils ne pensent donc pas à ce genre de chose avant d'entasser, entasser,entasserlesenveloppeslà-dedans? Je m'installe à une des tables grises du Retreat et commence par faire le tri - des magazines, une facture de l'intendance, deux petits mots de ma mère (un qui dit « Joyeux printemps ! » avec un poussin dessiné, l'autre avec une coupure du journal local de Chapel Hillannonçantlesfiançaillesdedeuxancienscamaradesdulycée—tropbizarre).Ilyaune cartepostaledemonfrère.Enfait,mesparentsluiontpermisd'alleràCancunavecl'équipe de basket pour les vacances. Comme si c'était une sortie sportive, et pas une excuse pour picoler et draguer des filles déchaînées ! J'arrive à peine à lire son écriture, mais, après quelquesminutes,jeparviensàdéchiffrer: ChèreViolette, Ilfautquejeteremerciedem'avoirouvertlavoieversl’indépendance.Cancun,çadéchire!!! Tonfrère, Jake. Jesouris.Aumoins,ilrendàCésarcequiluiappartient.Mesparentsnel'auraientjamais laissé participer à un voyage de ce genre s'il n'avait pas eu un bon vieil argument sous le coude:«VousavezlaisséVioletteallerdéfileràl'étrangeralorsqu'elleavaittoutjustedixhuitans.» Jemedirigeverslacorbeilleréservéeaupapieràrecyclerpourmedébarrasserdequelques publicités et de tous ces formulaires d'abonnement énervants insérés dans mes magazines quandsoudainjeremarqueuneenveloppeaugriffonnagefamiliercoincéeentrelespagesde monCosmoGirl! VioletteGreenfield,boîte3389,VassarCollege... C'estl'écrituredeDavid. Jesecouelemagazinepourfairetomberlalettre.Jefixel'enveloppependantuneminute, craignant de la ramasser, comme si le morceau de papier à l'intérieur pouvait me briser le cœurunefoisdeplus.Çadoitêtreimportant,sinonilnem'auraitpasécrit,si? Jefinisparlarécupérer,puisjeprendslerestedemoncourrieretregagnedirectementma chambre. Hors de question d'ouvrir cette enveloppe dans le hall. Durant les trois minutes qu'ilmefautpourmerendreàl'étage,jepasseenrevueenvironunmillierd'hypothèsessur cequepourraitcontenirlalettre. Peut-être David veut-il me proposer de l'accompagner à LA cet été ; me dire qu'il me détesteetneveutplusjamaismevoir;quetoutallaitmieuxlorsquenousétionsseulement amis,etqu'ilsouhaiteregagnermonamitié.Oubienalorssimplement«Passeunbonété». Nan,siçan'avaitétéqueça,ilauraitpumelaisserunmessagesurMySpace. Leplusétrange,c'estquejenesaispascequej'aimeraisylire,mais,lorsquejeregagnema chambre,j'ailecœurquibatàtoutrompre. Je lance mon iPod en lecture aléatoire, de façon à le laisser choisir la chanson qui accompagneramalecture.Ilm'enfautabsolumentunebonne. «Golddigger*»-hmmm...Jenesaispastropcommentinterpréterça. *Chercheur(se)d'or(danscecasprécis,ils'agitd'unefillemotivéeparl'argent) Jedéchirel'enveloppe,àtelpointquejenepourraiplusyremettrelalettreaprès.Cegenre detrucm'énerve. V Retrouve-moiauDia:Beacon.Dimancheàmidi. S'ilteplaît! R Nonmaisjerêve?Unelettremanuscritepourça?! Jemeprécipitedanslecouloir,jusqu'àlachambredeKurt,oùjelesinterromps,Gregory etlui,aubeaumilieud'uncâlin,visiblement,maisilsremettentleurstee-shirtsenplaceet fontcommesiderienn'était.Jesuistropsurlesnerfspouravoirhontedemonimpolitesse. «Regardeça!dis-jeentendantlalettreàKurt. —Ooh.»Illalit,lapasseàGregorypuismeregarde.«Unrendez-vous! —Tunecomprendspas.Pourquoim'envoyerçaparlaposte? —Hum,peut-êtreparcequetun'aspasréponduàsesappelsdetoutelasemaineetquetu l'asfichudehorsàBrooklyn»,remarqueGregory. JefusilleKurtduregard. «Benquoi?dit-ilenhaussantlesépaules.Fautbienquejeletienneaucourant. —Laissetomber.»JemefichequeGregoryconnaissel'histoire,maisjesuisdanstous mesétatsàcausedecettelettre.«Laposteauraittrèsbienpunepasmel'apporteràtemps. Tu crois qu'il aurait pensé à ça? C'est vrai, quoi, on ne vit plus au temps des pigeons voyageursetdestélégrammes!Commentpouvait-ilêtrecertainquej'auraiscettelettre? —Jetrouveçaromantique,ditKurt.Ilalaisséfaireledestin.» Gregoryetluisesourient.Ilsdoiventêtreenpleinelunedemiel,ilsnesesontpasvusdes vacances. «Jetrouveçatropbizarre,tropnaze,décrété-jeencroisantlesbrassurmapoitrine. —Est-cequeçasignifiequetun'iraspas,dimanche?demandeKurt. —Non,dis-jeenessayantdememontrerévasive.J'yréfléchis. —C'estbiencequejepensais,dit-il.Allezviens,onvatechoisirunetenueunpeuarty!» Ilselèved'unbondetGregorylèvelesyeuxauciel. «Question.C'estquoileDia:Beacon? —C'estunmusée,espèced'inculte,ditGregoryquisemetdeboutàsontourpoursuivre Kurtdansmachambreetm'aideràmepréparer. —Oh,dis-je,penaude.Biensûr.Jelesavais.» Ledimanche,KurtmeprêtesavoiturepourallerretrouverDavid.LeDia:Beacon,jelesais maintenant, est un musée d'art contemporain qui rassemble des œuvres qui datent des années60ànosjours.Ilestinstallédansuneancienneusine.Gregorym'afaitunpetitcours d'histoire pendant que Kurt me choisissait une robe portefeuille Cynthia Vincent et des ballerinesendaim.«Trèschicintello»,a-t-ildéclaré.Mescheveuxsontremontésenqueuede-cheval avec un bandeau sur le front, parce que j'adore cette coiffure, même si elle commenceàdaterunpeu.«C'esttonstyle,atranchéKurt.Iln'yapasdedatedepéremption danscescas-là.» Autrementdit,lorsquejefixeàmaboutonnièrelebadgequiindiquequej'aipayél'entrée, jemesensplutôtmignonne.J'essayed'éviterdepenserquejemesuisfaitebellepourDavid, pourtantc'estlecas.Jeveuxqu'ilsouffre. En entrant dans le musée, je décide de trouver une œuvre d'Andy Warhol, seul artiste mentionné par Gregory dont j'aie entendu parler. Mais je regarde autour de moi et suis parcourued'unfrisson.Cen'estpastantquel'espaceestfroid,c'estplutôtquel'artexposéici me fait un drôle d'effet. Il y a une pièce qui me paraît vide, murs blancs et parquet, dans laquelle je découvre en fait des formes sur le sol, des sculptures, j'imagine. L'art contemporain ne doit pas être trop mon truc. Le musée Reina Sofia de Madrid me manque déjà,jel'aivisitél'andernier,laplaylist«musée»demoniPodsurlesoreilles,pourpouvoir écouterdelamusiquetoutenmecultivant. Jesuisentraind'observeruntasdenéonslumineuxquandonmetapesurl'épaule. «Salut»,ditDavid.Jesenslatempératuremonterd'uncoup. Bien que j'aie rapidement effacé le petit sourire qui est apparu machinalement sur mes lèvres,jesaisqu'ill'avu. «Belendroit,lancé-je,enmeretournantpourentrerdansunenouvellepièceremplied'art (ouderiendutout,peut-être). —J'aimebienlejardin,ditDavidenmeprenantdoucementparlecoude.Tuveux...?»Il memontreunesortie. «Oui»,soufflé-je,soulagéedepouvoirquittercetendroitquimefaitunpeupenseràun entrepôt. Et il a raison - le jardin est agréable. Il y a des cerisiers tout juste en fleur, une petite promenadeenplanchessurlaquelleonpeutsebalader.Nousmarchonspendantuneminute oudeuxsansriendire,puisnousnousinstallonssurdeschaisesenplastiqueblanc. «Jesavaisquel'endroitteplairait,ditDavid. —Cen'estpasmal,acquiescé-je,sanstoutefoisvouloirluiattribuerlemoindremérite. — Je savais aussi que tu trouverais bizarre que je te demande de me retrouver dans un musée. Je suis conscient que tu traînes rarement dans ce genre d'endroits, mais je dois rendreundevoirsurundesartistesexposésicietj'aipenséquec'étaituneoccasionunique. —Ahoui,justementjepensaiscommenceruncoursd'histoiredel'artl'annéeprochaine. »Cen'estpastoutàfaitvrai,mais,hiersoir,Gregorymel'aconseillé,parcequ'ilestatterré parmonmanquedeculture.Alorsj'ypense,quoi. «Vraiment?s'étonneDavidenriant.Çaneteressemblepas. — Eh bien, les gens changent, ça arrive tout le temps, dis-je en croisant les bras et en détournantleregard.Tunesaispastoutàmonsujet,figure-toi. — D'accord, d'accord, fait David. Mon petit bavardage d'introduction ne passe pas très bien.» Jebaisselesyeuxversunepetitepeausurmonpouce.J'aitrèsenviedelamordiller,mais jenevoudraispasqu'ellesemetteàsaigner. «Alors?»dis-jesèchement.Jeluijetteunregardquisignifieclairement:«J'espèrequeça vautlecoup.»Jesaisquejejouelasalegosse,maisDavidavraimenttoutfoiré. «Hum,ehbien,jevoulais...»,commence-t-il.Puisilselève,faitlescentpaspendantune minute.Jenecroispasl'avoirjamaisvuaussiagité. «T'esgrave.Assieds-toietdis-moi. —Ehbien,d'abord,commence-t-ilenseressaisissantenfin,jecroisqueChloeétaitbien pourmoi.» Jemeplongeunenouvellefoisdanslacontemplationdemapetitepeau.Alorsc'estdeça qu'onparle?DeChloe? «Ilfallaitquejesachequed'autresfillesexistent,explique-t-il.Aparttoi,jeveuxdire.» Je lève les yeux vers lui mais je suis incapable de croiser son regard. Je fixe ses lèvres quandilparle. «Çafaisaitsilongtemps,Violette.Tun'imaginesmêmepas.Tutesouviens,quandjet'ai offertcettecartedeSaint-Valentinensixième?Celleaveclecrabequitenaitunepancarteoù ilétaitécrit"J'enpincepourtoi"?» Jesourisunpeu.«Oui. —Pourmoi,c'étaitunaveuénorme!Maistoi,tum'asjustefaitremarquerquec'étaitun mauvaisjeudemotsavantdemeforceràt'aideràanalyserlacartequeJasonSheridant'avait donnée. — Sur celle de Jason Sheridan, il y avait une mouffette, tu te rappelles? Tu sais, ce personnagededessinanimé. —Pépéleputois,répondDavid.Jesais.Etjesavaisaussiquemacartenecomptaitpas. Quetunemevoyaismêmepas. —Nousétionsamis,David.Tun'asjamaisriendit.Commentaurais-jepu... —Peuimporte,conclut-ilenselevantunenouvellefoispourmetournerledos.Jenesais mêmepaspourquoije...çan'aplusd'importance,maintenant.» Il continue à parler, mais j'entends à peine sa voix, à cause du vent qui se lève, alors je m'approchedelui. «Jesuisdésoléed'avoirtoutgâchédecettefaçon»,dit-il.Puisilsetournepourmefaire face.«Laplupartdutemps,quandj'étaisavecChloe,jepensaisàtoi.» Jebaisselesyeuxetmemordslalèvre.Unepartdemoiadoreentendreça,maisl'autre éprouveunegrandetristesse. «Je me sens mal quand je pense à ce qui s'est passé entre nous », avoué-je. Et, quand j'entendsmesparoles»jesuisétonnéedelesavoirprononcées.Maisc'estfranc. «Moiaussi,répondDavid.Etcen'estpascequej'auraisvoulu. —Unjour,peut-être,çaauramoinsd'importance»,dis-je,pasvraimentàDavid,plutôtà moi-même.Commeunvoeuenvoyéàl'univers. Nousnoustenonsfaceàface,maisnosregardsseperdentpar-dessusnosépaules,comme si la réponse se trouvait au loin, ou comme si, en évitant de nous regarder, nous pouvions trouver un moyen d'apaiser la tension. Cela semble durer une éternité, et je ne le supporte pas.LeschosesnepeuventpasallermalentreDavidetmoi.C'estcommesitoutbasculait. Ilfautquejeluipardonne. «Alors»,dis-je,pourchangerdesujet.Pourévacuercemalaiseetretrouverquelquechose —n'importequoi—decequenousavions.«LAcetété? —Julietel'adit? —Ouais. —Çadevraitêtrebien.»Ilenfoncesesmainsdanssespochesenreprenantlechemindu bâtiment.«Ettoi? —Alamaison.Enfait,j'aihâtederetrouvermesparentsetJake.C'estunpeutordu,non? —Non.Çafaitunboutdetempsquetun'espasrentrée. —Tuvasmemanquer,quandjeserailà-bas.»C'estmongagederéconciliation. David se tourne vers moi. « C'est vrai? » demande-t-il, et je jurerais presque voir des larmesdanssesyeux. « Évidemment, dis-je en glissant mon bras sous le sien. Tu es mon meilleur ami mec, aprèstout.» Ildétournelesyeuxmaisrapprochemonbrasdesoncorps. Nous regagnons le parking, où David me serre très fort, longuement, dans ses bras. Lorsquenousnousséparons,illance:«C'estmarrant. —Qu'est-cequiestmarrant?demandé-je. —Oh,rien,dit-ilenfaisantdemi-tourpourrentrerdanslemusée. —Non,insisté-je,curieuse.Terminetaphrase! —Sérieusement,riendutout,répondDavid.Amispourlavie? —Seulementsitudis"amispourlalife". —Marchéconclu.» Aumomentoùjequitteleparking,j'aitrèsenviedemeretourner. S'ilmeregardepartir,ilm'aimeencore,pensé-je. Lorsquejetournelatêtepourjeteruncoupd'œilparlepare-brisearrière,Davidestdevant l'entrée, la main en l'air. Il m'aurait fait au revoir de la main, même si je ne m'étais pas retournée. Epilogue Kurtaaffichélalistedeschosesquimerendentheureuseaupieddemonlit,pourqueje puisse les avoir à l'esprit dès le matin au réveil. Jamais je ne l'avouerais, mais ça marche plutôt bien. Je suis assez zen pour ce qui est de la fac, dans ces dernières semaines du semestre:lescoursmeplaisent,Olivermeditànouveaubonjourquandonsecroisesurle campus,etJess-Fan-Kurtsontlesmeilleursnouveauxamisquejepouvaisespérer. Mêmelesgensducoursdesociologiesemblentavoirplusdesympathiepourmoi.Début mai, lorsque mon portrait est sorti dans Teen Fashionista, Miss Mocassins en personne l'a apporté. «Tufaisl'effetd'unmannequinentroisdimensions,d'unevraiepersonne,a-t-elledéclaré. C'estrare.» LeprofesseurKirbyaalorsparlédesbienfaitsqu'ilyauraitpourchacunàréfléchirsursa vie comme j'ai dû le faire en naviguant dans l'univers de la mode. Cette fois, être le centre d'attentiondelaclassenem'apasdérangée. MêmeAngelam'aappeléeetm'alaisséunmessagepourmeféliciter.«VibranteViolette, tonportraitestmerveilleux!Jesuistoujourslàpourtoi.Jet'embrasse.»Elleavraimentdit; «Jet'embrasse»,avantderaccrocher.Jenel'aipasencorerappelée,maisjevaissûrementle faire, juste histoire de ne pas couper les ponts. J'ai aussi été contactée par les gens de chez Dove après cet article - ils ont une campagne géniale centrée sur l'amour de soi, et ils voudraient que j'y participe d'une façon ou d'une autre. Alors, finalement, je pourrais peutêtreêtremannequintoutenrestantfidèleàmesconvictions?J'espèrequecen'estpasaussi impossiblequeçaapuleparaître. Unefoismesexamensterminés,jefaismesbagages.Julievientjusqu'àPoughkeepsieen GolfpourquenouspuissionsfairelarouteensembleetdescendrelamoitiédelacôteEstsur l'I-95. Et David? Nous avons été très occupés, l'un comme l'autre, mais ça va. On se parle par MSN,pare-mail.Etjerelismesraisonsd'êtreheureuseseulementdeuxfoisparjour.C'est vrai,ilmemanque,maisjesuisdécidéeàprofiterdemonété.Çameferapeut-êtredubien d'êtreseule.C'estcequepenseKurt. Hier soir, il m'a aidée à empaqueter toutes mes chaussures dans des sacs de feutre pour qu'ellesnesoientpasabîmées.Jecroisqu'ilsepréoccupeplusdeleursortquemoi.Lorsque j'aiserréKurtdansmesbrascematinpourluidireaurevoir,j'aifaillipleurer.Àcemomentlà,iladit:«Oh,jet'enprie,ladeuxièmeannée,c'estdansseulementtroismois.»Jesuis vraimentgnangnan,maisgrâceàlui,jemesuisressaisie. Jesuissurlepointdefranchirlesportesdelarésidencequandj'entendsleKlaxondela Golf,quejereconnaîtraisentretous.Jefaisroulermesdeuxvalisesjusqu'àlavoiture,etla portières'ouvrecôtépassager. «Quelqu'unabesoind'unevoiturepourChapelHill?»Juliesouritetvientprendreunde messacs. Jeplacel'autredanslecoffreetfaisletourpourm’installersurlesiègepassager. Aumomentoùjebaisselemiroirpourappliquerunpeudebaumesurmeslèvres,jevois quelquechosesurgirsurlabanquettearrière,etjeretiensmonsouffle. David. Jetournebrusquementlatêtepourêtrecertainequejenesuispasentrainderêver. Ilm'adresseungrandsourire. Jeleluirends,puisregardeJulie,l'airdedire«Qu'est-cequisepasse,là?».J'ailesmains toutesmoites. «Oh,tusaiscommej'aihorreurdeconduiresurl'I-95,sejustifieJulie. —Hein?»Jen'ycomprendsrien. «Davidm'aproposéderamenerlaGolfsijeprenaisunvoldeNewYork,explique-t-elle. Jel'aiprévenuqu'ilyavaitunecondition. —Laquelle?demandé-je,toujourscomplètementlarguée. —Quejeteramène,toi,idiote!»intervientDavid,quiouvreenfinlabouche,prouvant ainsiqu'ilestbeletbiensurlabanquettearrièreetquejenesuispasvictimed'uneétrange hallucinationobsessionnelle. «Attendsunpeu.Jesuisperdue.EtLA,alors? —J'aioptépourlestagedesixsemainesaulieudedouze,explique-t-il.J'avaisbesoinde tempschezmoi.Avectoi.» Mon cœur fait un bond. Je ne devrais pas être en colère, plutôt? « Alors vous avez tout arrangédansmondos?dis-jeencroisantlesbrassurmapoitrine. — Je ne voulais vraiment pas conduire, Violette, précise Julie. Tu me connais dans les embouteillagesautourdeWashington. —J'aidemandéunefaveur»,intervientDavid. Jemetourneverslui,sonsourirefaitaumoinsunkilomètredelarge. «Pourquoi?» Il s'approche un peu plus du siège avant, me fixe intensément et dit : «J'ai juste l'impressionquenousdevrionsêtreensemblecetété. —Qu'est-cequeçaveutdire?demandé-je,surlepointdedéfaillir. —Jenesaispastrop,poursuitDavid.Maisonatoutelaroutepourledécouvrir.» Remerciements Merciàmonagent,DougStewart,etàmonéditriceKateSeaver,quin'ontjamaisperduleurenthousiasmepourViolette !PointsbonusauserviceartistiquedeBerkleyJAM,àquil’ondoitlestroiscouverturesquireflètentlabeautédel'universde Violette. Merci à Erica Colon, du marketing, et à Caitlin Brown, à la publicité, vous êtes vraiment des stars. Toute ma reconnaissance à ces lecteurs qui me contactent - ils me font toujours énormément plaisir. Merci à Dave, qui me donne l'impressionquejesuiscapabledetout.