M. BODECHER- Dynamique de la sécurité pour les remontées

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M. BODECHER- Dynamique de la sécurité pour les remontées
LA JURISPRUDENCE : DYNAMIQUE DE LA SECURITE
POUR LES REMONTEES MECANIQUES
Maurice BODECHER, Avocat,
SCP BODECHER-CORDEL-BETEMPS
Albertville – Chambéry GESICA
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Sans vouloir faire l’éloge des décisions qui sont rendues, elles sont indiscutablement
un facteur de dynamisme. Si l’ensemble des accidents venait à faire l’objet de
transaction sans fondement juridique et uniquement en raison d’intérêts financiers, le
droit n’évoluerait plus.
Chaque accident doit être l’occasion d’une réflexion, d’un questionnement sur les
éléments qui doivent être améliorés : information, sécurité des salariés, des usagers,
renforcement de tels points dangereux, responsabilisation des usagers.
A l’inertie facile d’une certaine routine (le « on a toujours fait comme ça » propre à tous
les milieux professionnels) vient s’opposer la saisine des juridictions et l’analyse
qu’elles imposent.
On pourrait facilement écarter la jurisprudence en considérant que le monde judiciaire
est imperméable aux problématiques des exploitants de remontée mécanique : ce
serait se priver d’un regard critique qui, bien analysé, permet une organisation
différente, une certaine pédagogie de la sécurité.
Cette sécurité comporte un double volet : il s’agit des accidents qui concernent le
personnel des remontées mécaniques, mais aussi ceux qui sont relatifs aux usagers
au titre de la responsabilité civile, c’est-à-dire l’application de l’obligation de sécurité.
I – LES ACCIDENTS DU TRAVAIL
La multiplicité des textes et leur complexité vont induire une gestion à haut risque pour
l’exploitant soucieux du respect de l’ensemble des textes.
Si l’on sait désormais que la condamnation pénale n’est pas le préalable obligatoire à
la recherche de la faute inexcusable de l’employeur devant le Tribunal des Affaires de
Sécurité Sociale (Cass. Soc. 12 juillet 2001, Bull civ V n° 267 ; Cass. Soc. 28 mars
2002, Bull V n° 110), elle demeure majoritairement présente.
A – LA RECHERCHE DE LA RESPONSABILITE PENALE
Un jeune pisteur est chargé d’effectuer avec un « quad » des tournées de surveillance
des canons à neige en début de saison.
Un soir de décembre, ne le voyant pas rentrer, ses proches donnent l’alerte : le jeune
salarié est retrouvé quelques heures plus tard, sans vie, sous le véhicule renversé.
Pourtant, un système donnant automatiquement l’alerte par radio en cas de chute du
conducteur du quad avait été mis en place.
Mais malheureusement, le directeur d’exploitation, qui se chargeait habituellement de
la surveillance était absent, et le salarié chargé de le remplacer avait omis de remplir
cette fonction, dans un contexte de délégation peu organisé d’avant saison.
Le responsable direct de cet oubli, mais également la personne morale « employeur »,
ainsi que son président, étaient pénalement condamnés.
En revanche, la Cour de Cassation, dans un arrêt du 16 mai 2006, considérait que le
directeur d’exploitation, même s’il avait été peu précis dans les instructions relatives à
son remplacement, n’avait pas commis une faute qualifiée au sens de la loi du 10 juillet
2000, de sorte que le prononcé de sa relaxe se justifiait.
Cette affaire illustre la problématique de l’opportunité des poursuites : faut-il se
cantonner à la personne morale ? quelles personnes physiques poursuivre ?
Il s’agit certainement d’un débat vif selon le point de vue de l’avocat, parties civiles ou
selon l’orientation du procureur de la république.
Souvent, les parties civiles ressentent la nécessité d’une mise en cause de l’ensemble
des protagonistes ayant participé de près ou de loin au drame que représente un
accident du travail.
Depuis la loi du 10 juillet 2000, il faut désormais démontrer l’existence d’une violation
manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou d’une faute
caractérisée qui expose autrui à un risque d’une particulière gravité, que son auteur ne
pouvait ignorer.
Mais l’accident du travail peut être traité devant le Tribunal des Affaires de Sécurité
Sociale sans préalable pénal.
B – ACCIDENT DU TRAVAIL ET FAUTE DE LA VICTIME
Ainsi, à l’occasion d’un accident mortel lors d’une opération de maintenance des
pylônes de télécabine, se pose la question de la connaissance préalable du risque par
l’employeur et le non-respect des consignes par le salarié.
On sait désormais depuis les arrêts de la Cour de Cassation du 28 février 2002 (Bull
Civ V n° 81 p 74), que l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de
sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail.
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Le manquement à cette obligation revêt le caractère d’une faute inexcusable au sens
de l’article L 452-1 du Code de la Sécurité Sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait
dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce salarié, et qu’il n’a pas pris les
mesures nécessaires pour l’en préserver.
En l’espèce, l’installation comporte une quinzaine de pylônes. Un panier de service est
utilisé pour se déplacer de pylône en pylône et vérifier les trains de galets.
L’accès aux passerelles équipant les têtes de pylône se fait à partir du toit du panier,
démuni de garde-corps.
L’employeur interdit aux salariés de rester sur le toit du panier pendant son
déplacement.
Cependant, un salarié oublie d’enlever du câble sa longe d’assurance et demeure sur
le toit du panier.
La longe se déchiquette et se rompt entraînant une chute de plus de 20 mètres de
haut.
Ce type de dossier, actuellement en cours, permet de poser des points de discussion
qui obligent à revoir la sécurité dans l’entreprise :
-
outre les consignes écrites et orales, l’employeur doit démontrer qu’il a veillé à faire
respecter lesdites consignes par ses salariés ;
-
la rédaction des consignes doit être dépourvue de toute ambiguïté : l’interdiction de
circuler sur le toit du panier doit être accompagnée de l’obligation de descendre
dans la nacelle pendant le trajet entre deux pylônes ;
-
le salarié, en l’espèce, non seulement circulait à un endroit dangereux et interdit,
mais n’utilisait qu’une seule longe alors que la formation qui lui avait été dispensée
mentionnait expressément la nécessité de l’emploi de deux longes pour travailler
en sécurité.
Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de GRENOBLE (18 juin 2009) a retenu la
faute inexcusable de l’employeur, tout en retenant la faute de la victime à hauteur de
50 %. La Cour d’Appel de GRENOBLE est désormais saisie de ce litige.
Ainsi, les choses ne peuvent évoluer que si le législateur et le système judiciaire
prennent en compte les spécificités des remontées mécaniques.
Du côté des exploitants, les décisions doivent être la source d’une introspection, non
pas paralysante, mais dynamique.
Car la sécurité est devenue le centre du contrat entre l’exploitant et l’usager.
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II – L’OBLIGATION DE SECURITE ET L’EXPLOITATION DES REMONTEES
MECANIQUES
Dans le paysage jurisprudentiel, il existe désormais une montagne qui se voit de loin,
bien ancrée : c’est l’obligation de sécurité.
Schématiquement, l’intensité de cette obligation se présente de la manière suivante :
-
téléski : participation de l’usager  obligation de sécurité de moyen : nécessité
pour la victime de démontrer l’existence d’une faute de l’exploitant ;
-
télésiège :

dans les phases de départ et d’arrivée : rôle actif de l’usager  obligation
de sécurité de moyen : la victime doit administrer la preuve d’une faute.

dans la phase de transport après l’abaissement du garde-corps 
obligation de sécurité de résultat : la faute est présumée à la charge de
l’exploitant.
Les principes simplement posés esquivent la complexité des situations de fait.
1°) Défaillance d’un portillon
Voici une situation concrète de l’établissement d’une faute dans la phase
d’embarquement, et même plus précisément de pré-embarquement.
Un usager franchit le portillon permettant l’accès à l’aire d’embarquement d’un
télésiège et se trouve heurté par un siège arrivant sur sa droite.
La juridiction rappelle l’existence d’une obligation de sécurité pour le transport des
usagers, qui s’analyse en l’espèce en une obligation de moyen dès lors que le
concours actif de l’usager – client est requis.
En première instance, le Tribunal écartait toute faute de l’exploitant.
La Cour d’Appel (CA Chambéry 18 octobre 2005 – 04101997) retenait au contraire :
-
la défectuosité du matériel : alors que l’exploitant soutenait que le portillon avait été
« forcé » par l’usager, les juges du fond retenaient un disfonctionnement dans
l’absence de coordination entre le dispositif de fermeture/ouverture des portillons et
l’arrivée du télésiège.
-
le manque de personnel : poursuivant son raisonnement, la Cour souligne que pour
assurer la complète sécurité des usagers lors des opérations d’embarquement, un
préposé est nécessaire pour surveiller les opérations de pré-embarquement, et
notamment pour empêcher les usagers d’accéder prématurément à l’aire
d’embarquement.
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Voici une décision qui amène les professionnels à s’interroger sur les modifications
techniques nécessaires dans la synchronisation des portillons mécaniques, sur les
preuves techniques des défaillances, ou sur le renforcement de la présence du
personnel.
2°) Chute d’un télésiège après l’embarquement
a) Analyse civiliste :
Un enfant de 8 ans chute d’un télésiège alors qu’il était encadré par un moniteur de ski.
L’accident se déroule après l’embarquement : l’enfant tente de récupérer son bâton de
ski coincé sous le repose-pied et glisse ainsi sous le garde-corps : il chute et se blesse
fort heureusement sans gravité.
Le Tribunal considère que l’on ne peut retenir aucune faute à l’encontre du moniteur
dès lors que l’enfant mesurait plus de 1,25 m et qu’il était placé à côté d’un élève plus
âgé.
Pas davantage, l’attitude fautive du jeune pratiquant n’est retenue, dès lors selon la
décision que « le geste de l’enfant ne s’apparente pas à une tentative de suicide ».
La rédaction de la décision accentue les conditions de l’obligation de sécurité dite de
résultat :
« L’accident résulte de la possibilité, qui n’est pas imprévisible, de soulever le gardecorps ou de se glisser en dessous, possibilité particulièrement dangereuse compte
tenu de la distance entre le télésiège et le sol ; l’exploitant, tenu d’une obligation de
résultat pendant la durée du transport effectué par le télésiège, n’établit pas avoir
installé de dispositif de sécurité de nature à éviter une telle chute ni que l’installation
d’un tel système est impossible ; qu’il a donc manqué à son obligation de résultat, la
faute de la victime ne présentant pas le caractère de la force majeure. » (TGI PARIS,
21 février 2008 n° 07/03254).
Pourtant, la Cour d’Appel de PARIS, sur appel de l’ordonnance de référé allouant une
provision à la victime, avait un sentiment plus nuancé puisqu’elle avait retenu « qu’un
tel comportement ne pouvait être imprévisible pour un moniteur de ski forcément
habitué aux actes impulsifs enfantins ».
Pour condamner le moniteur, la Cour d’Appel de PARIS retenait qu’il n’était pas
démontré qu’il ait assuré une « formation » de ses élèves en leur précisant quel
comportement il fallait avoir, lorsqu’un passager laissait tomber un objet.
Au surplus, situé sur le siège immédiatement derrière, il n’avait pas crié de mise en
garde à son élève (CA Paris, 14° Ch.. Sec. A, 21 février 2007 n° 06/54921).
A la lecture de l’article 36 de l’arrêté du 7 août 2009, c’est désormais le règlement de
police qui fixera les modalités d’accès des usagers de moins de 1,25 mètre.
Il est donc constant que la protection et la sécurité attendue revêtent un caractère
renforcé lorsqu’il s’agit de jeunes usagers.
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b) Le regard pénal :
Voilà un accident presque similaire au précédent, mais dont la poursuite s’est exercée
devant la juridiction pénale.
Le 9 mars 2005, un moniteur encadre un groupe de 10 enfants, préparant leur
première étoile, dont un élève de 5 ans.
Arrivé au télésiège, le moniteur, accaparé par un autre élève, ne veille pas aux
conditions d’embarquement.
Le jeune élève de 5 ans se retrouve à l’extrême droite du siège, occupé par deux
adolescents de 13 ans.
Il chute entre les pylônes 5 et 6, fort heureusement sans gravité.
Il semblerait que, correctement embarqué, il ait peu à peu glissé de son siège.
Le Ministère Public opte pour une poursuite devant le Tribunal Correctionnel à la fois
du moniteur et de l’exploitant des remontées mécaniques.
Les poursuites, sur le plan technique, sont organisées sur le fondement de l’article
222-20 du Code Pénal, pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité
totale de travail inférieure à 3 mois.
Un premier jugement relaxe les deux prévenus. Le Ministère Public interjette appel.
La Cour d’Appel de Chambéry, spécialisée en cette matière, a pris soin de motiver sa
décision de manière précise (arrêt du 3 juin 2009, n° 09/392).
Si elle rappelle que s’agissant d’un enfant de moins de 1,25 mètre, le responsable du
groupe – moniteur en l’espèce – doit veiller à l’affectation et aux personnes ne
s’opposant pas à cet accompagnement, sa simple négligence ne constitue pas la faute
qualifiée désormais nécessaire à toute condamnation pénale.
Pour la société d’exploitation des remontées mécaniques, restait à savoir si les
adolescents accompagnant la jeune victime, pouvaient être considérés comme des
« adultes ». En réalité, désormais, les règlements de police qui vont reprendre cette
disposition initialement visée par l’arrêté du 8 décembre 2004 (en application de
l’arrêté du 7 août 2009), font référence à une personne capable de baisser et relever le
garde-corps pour assurer l’embarquement et le débarquement.
La Cour ne se trompe pas en indiquant que la qualité d’adulte est difficile à apprécier,
« compte tenu de la taille de certains adolescents et de l’équipement dont ils sont
dotés pour la pratique du ski ».
La relaxe confirmée suit un raisonnement logique, l’indemnisation de la victime
pouvant parfaitement désormais prospérer en application de l’article 470-1 du Code de
Procédure Pénale.
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3°) Descente malencontreuse
La phase d’arrivée est source de litige si les consignes ne sont pas respectées par
l’usager.
En cas de chute à l’arrivée, les reproches les plus constants sont axés sur :
-
l’aspect technique : l’usager le traduit par la phrase suivante : « le télésiège arrivait
trop rapidement ».
Il suffit de se référer aux dispositions techniques de l’arrêté du 7 août 2009 qui, par
exemple, dans son article 10, rappellent que les véhicules dits à pinces fixes, la vitesse
maximale de débarquement est de 2,3 mètres/seconde pour des véhicules avec 3 ou 4
places, et de les rapprocher des caractéristiques de l’appareil.
-
l’aspect humain : classiquement, cet élément se traduit par « l’employé n’était pas
présent à l’arrivée, il n’a donc pu ralentir le siège et anticiper l’accident ».
Or, les fiches de fonction ne font jamais mention d’une obligation pour chaque employé
de remontées mécaniques de se tenir à côté du télésiège et de le ralentir
manuellement. Dans ce cas d’ailleurs, l’employé ne pourrait déclencher l’arrêt
d’urgence qui se trouve dans la cabane.
Il faut donc bien que les exploitants rappellent aux usagers les dispositions du
règlement de police auquel renvoie l’arrêté du 7 août 2009 qui soulignent
généralement que le passager doit rester sur le siège jusqu’à l’arrêt du télésiège et
attendre les indications données par le personnel.
C’est sur cette base que les juridictions écartent les demandes en responsabilité et en
indemnisation (CA Chambéry 8 avril 2008 n° 07/00530 ; TGI Bonneville 9 octobre
2009, n° 07/01243 – non définitive).
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Quel regard porter sur la jurisprudence ?
Les juridictions rattachent l’application des principes à une analyse de plus en plus
complète et factuelle tant il est important que la recherche d’une solution passe par
une rédaction à la fois rigoureuse et pédagogique : c’est la condition d’une certaine
dynamique.
En cela, les décisions sont pour la plupart, alimentées par les procès-verbaux de
gendarmerie.
Les victimes ont compris que la réunion des éléments de fait, des témoignages, était
plus aisée par l’effet d’un dépôt de plainte pénale que par la recherche plus complexe
d’attestations civiles par ses propres moyens.
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La décision de poursuivre pénalement sera alors liée à deux facteurs essentiels :
-
la gravité des blessures ;
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la personnalité de la victime : il s’agit de la prise en compte particulière des
victimes mineures.
C’est la conjugaison des normes plus strictes élaborées avec la participation des
exploitants et d’un effort constant pour améliorer la sécurité, qui permettent la
diminution certaine du nombre d’accidents.
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