La pub dans l`alimentaire
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La pub dans l`alimentaire
DOSSIER Hold-up sur nos assiettes : alimentation, médecine et société La pub dans l’alimentaire Maxime Drouet Etudiant chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) 26 En octobre de l’année dernière, le Bureau de des spots qui dévalorisaient sciemment le rôle Vérification Publicitaire (BVP) rendait public une parental dans la transmission du savoir alimen- nouvelle recommandation déontologique sur la taire. L’enfant faisait la leçon à sa mère, qui ne publicité alimentaire pour enfants qui, dans la prenait pas de céréales et se réveillait donc fati- logique d’autorégulation de la publicité, fait offi- guée chaque matin. ce de marche à suivre pour la profession. Elle se « Dans les cas où sont présentées des équiva- révèle surtout instructive pour cerner les méca- lences nutritionnelles entre produits alimen- nismes de la publicité alimentaire, un secteur de taires, celles-ci doivent être nutritionnellement première importance dans l’économie publicitai- pertinentes (par exemple porter sur des nutri- re française. ments communs, présents en quantité significa- Car, parmi les dix premiers annonceurs, deux tive). La présentation des équivalences ne doit appartiennent à l’agroalimentaire (Danone et pas inciter à des substitutions entre catégories, Nestlé), sans compter Carrefour et Leclerc. notamment en suggérant que les bénéfices de Distribution et alimentaire sont ainsi les deux deux produits comparés sont globalement équi- premiers postes d’investissement de la publicité valents ». Et voilà qu’une célèbre pâte à tartiner française (respectivement 11,64 % et 11,02 % se voit privée de son argument de vente princi- du marché) (1). pal, le fameux « égal à un verre de lait ». Le texte du BVP (2) traite par exemple de l’inci- Le dernier point développé par le BVP est celui tation à la consommation excessive d’un pro- de la traduction maximaliste : « La publicité ne duit. « On entend par incitation à une consom- doit pas suggérer que la seule consommation mation excessive le fait, par exemple, de d’un produit induit une performance optimale représenter un enfant consommant un produit ou la réussite maximale dans une activité notam- sans retenue ou dans des quantités déraison- ment artistique, scolaire ou sportive ». Un certain nables. N’est en revanche pas visée l’expression nombre de publicités de ces dernières années se de satisfaction et de plaisir liée à la consomma- verraient interdites d’antenne. Plus possible de tion d’un produit ». L’honneur est sauf : le cœur nous montrer un enfant qui, pour réussir son du métier n’est pas entamé. match de basket, pour draguer sa copine, pour « La publicité ne doit pas dévaloriser ou minimi- réussir ses examens, prenait un bol de céréales. ser l’autorité ou les conseils des parents en Voilà donc, quoi qu’il en soit, la mise à jour matière de consommation desdits produits, ni publique de quelques-unes des recettes mobili- suggérer leur démission ». Aveux flagrants de la sées pour rendre désirable un produit alimentai- distribution des rôles de la pub : depuis des re : mettre en avant son utilisateur en dénigrant années, on nous montre des parents soit com- toute altérité (le « Nous n’avons pas les mêmes plices, soit absents, soit désarmés face au jeune valeurs » d’une célèbre marque de rillettes) ; enfant. Au consommateur de se souvenir de la rendre magique la consommation du produit lourde campagne d’une marque de céréales avec (« Un yaourt et mon transit intestinal va déjà P R AT I Q U E S DOSSIER Histoire de pouvoir beaucoup mieux, comme le montrent le schéma matif. Mais des canaux plus ou moins fragiles, et mon sourire ») ; tout en le rendant substi- plus ou moins inscrits dans des pratiques ou des tuable sur le plan nutritionnel (« seulement une discours. Là aussi, la santé publique est en jeu. calorie » pour le petit bonbon en boîte). Mais les Rappelons que la publicité commerciale se adultes sont-ils moins crédules que les enfants ? construit autour du produit star et miraculeux. Poser cette question, c’est pointer la contradic- Chaque séquence publicitaire va donc nous pro- tion au cœur de la rédaction de ces nouvelles poser un aliment comme s’il était seul sur le mar- règles déontologiques. Si la réglementation vise, ché, seul au monde. Un Robinson du désir et du de fait, la publicité pour enfants, l’argumenta- choix. Le format publicitaire participe donc, lui tion qui la sous-tend n’est en rien exclusive à aussi, à cette perte de repères. Le repas ne se fait- l’enfance ou l’adolescence. Elle concerne chaque il plus alors par l’accumulation, la juxtaposition consommateur. de produits que par une appréhension écolo- La perte de repère est une des principales carac- gique de la nutrition ? téristiques de notre pratique alimentaire, comme Questionner le discours ou l’idéologie véhiculée le note l’Institut de veille sanitaire, dans son par la pub est un travail nécessaire, mais insuffi- « baromètre santé nutrition 2002 ». Sur un mar- sant. La publicité, en tant que médium, induit ché où les « objets comestibles non identifiés » elle aussi des effets sur la valorisation des ali- selon l’expression du sociologue Claude Fischler, ments. Réfléchir sur la mise en publicité d’une prolifèrent, les consommateurs n’ont plus les clés alimentation saine et intelligente devient alors d’évaluation intuitive des aliments proposés. Et un horizon à atteindre. le consommateur de préférer le bio et l’allégé aux fruits, aux légumes et poissons. Sur ces tendances de fond qui semblent faire consensus, on peut avancer également d’autres explications que celle de l’idéologie publicitaire, 1. Source : SECODIP 2002 (Investissements publicitaires Grands Médias). 2. Disponible sur le site www.bvp.org. comme autant d’hypothèses de réflexion. Car, si les règles qui viennent d’être prises par les publicitaires ne sont en rien à dénigrer, il existe par ailleurs certains enjeux et problématiques inhérents à la technique, au cadre et au format de la publicité télévisée. Un premier constat semble difficilement réfutable : l’asymétrie de visibilité des produits en vente sur le marché. Le radis ou la salade, ancrés dans des traditions alimentaires, ne font pas le poids face aux espaces publicitaires pour le prochain alicament. Ce n’est pas la pratique publicitaire qui est en cause ici, mais l’économie du système publicitaire. Des tickets d’entrée élevés tant pour l’achat d’espace que pour la production d’un spot et la rémunération d’une agence ne permettent pas des mises en publicité équivalentes. Se dessinent alors plusieurs canaux de transmission du comportement alimentaire norP R AT I Q U E S 27