Les équipes mobiles d`urgence et de réanimation face aux

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Les équipes mobiles d`urgence et de réanimation face aux
G Model
AMEPSY-1563; No. of Pages 6
Annales Médico-Psychologiques xxx (2012) xxx–xxx
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
Mémoire
Les équipes mobiles d’urgence et de réanimation face aux interventions
potentiellement traumatiques
The mobile emergency medical staff and the traumatic experience
Alexandra Laurent
Laboratoire de psychologie, université de Besançon, 30-32, rue Mégevand, 25000 Besançon, France
I N F O A R T I C L E
R É S U M É
Historique de l’article :
Reçu le 22 juin 2011
Accepté le 8 mars 2012
Les médecins, infirmiers et ambulanciers des services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) sont
confrontés à de nombreuses interventions à caractère traumatique (morts violentes, blessés graves,
catastrophes. . .). Cette étude vise à identifier les interventions potentiellement traumatiques des
intervenants et à nous interroger sur le vécu et les répercussions psychotraumatiques de ces
interventions. L’étude porte sur 69 intervenants SMUR, tous les sujets ont répondu à un entretien
clinique semi-structuré et à un questionnaire mesurant les troubles psychotraumatiques (Posttraumatic
stress disorder de Watson et al.). Sur l’ensemble de notre population, nous observons que 77 % des
intervenants SMUR ont vécu une intervention à caractère traumatique. À long terme, l’intervention
traumatique reste fixée en mémoire ; cependant, les répercussions psychopathologiques sont
relativement faibles. L’événement traumatique n’est pas à appréhender dans une dimension
psychopathologique, mais davantage dans le sens d’un rituel de passage permettant un réaménagement
de l’identité professionnelle afin de faire mieux face aux interventions suivantes.
ß 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.
Mots clés :
État de stress post-traumatique
Intervention traumatique
Réaménagement défensif
Service mobile d’urgences et de
réanimation (SMUR)
Traumatisme psychique
A B S T R A C T
Keywords:
Emergency mobile Units
Posttraumatic stress disorders
Psychological adjustment
Traumatic experiences
The doctors, nurses and ambulance drivers of the mobile emergency medical service (‘‘SMUR’’ in French)
are confronted with the death of their patients in their daily occupation (Laborie et al., 2002). In this
context, the patients’ death is often unforeseeable and brutal; the deaths result from forms of violence,
accidents, suicides and aggressions. Thus, two dimensions emerge from the urgency department; on the
one hand the unpredictability of the operations and on the other hand the confrontation with death.
These two dimensions refer to the two principal psychopathological aspects concerned in the psychic
traumatism: the brutality of the event and the meeting with death.
Objective. – The goal of our study is to describe potentially traumatic intervention by the SMUR staff and
to find out about their personal experiences and also to measure the psychotraumatic repercussions. All
along this research, we will rely on a qualitative and quantitative methodology, in order to confront the
subjective richness of the clinical interviews with the data resulting from the questionnaire.
Methodology. – The study is based on 69 members of the mobile emergency medical service: doctors,
nurses and ambulance drivers. Everybody has answered a semi-structured clinical interview and a
questionnaire measuring the psychotraumatic disorder: posttraumatic stress disorder interview of
Watson et al. (1996). From the clinical interview, we carried out a thematic analysis in order to identify
the various topics emerging from each person’s personal experience. We observe that the most
exceptional interventions, such as catastrophes for example, are not more upsetting for the members of
the SMUR. In a way, these interventions are regarded as a springboard for any professional career, a
feeling of valorization is associated with it. On the contrary, it is more during their ‘‘daily’’ interventions
that professionals express their traumatic experience. In this case, the professional is suddenly
confronted with the horror, and the lack of preparation makes him more vulnerable to the ‘‘traumatic
break down’’.
Adresse e-mail : [email protected]
0003-4487/$ – see front matter ß 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.
http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.03.015
Pour citer cet article : Laurent A. Les équipes mobiles d’urgence et de réanimation face aux interventions potentiellement traumatiques.
Ann Med Psychol (Paris) (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.03.015
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Conclusions. – The traumatic event is not to be understood in a psychopathological dimension, but more like
an ‘‘initiatic ritual’’ allowing reorganization of the professional identity to cope with the following
interventions. Thus, we witness the appearance of new faculties: the members of SMUR change their values,
they get new competences: from now on, they can apprehend their work in a new way. Thus, the
professionals seem to escape from the ‘‘traumatic curse’’. However, time only reveals the true nature of the
event, which has been experienced, since trauma is also what we do with it afterwards.
ß 2012 Published by Elsevier Masson SAS.
1. Introduction
Les médecins, infirmiers et ambulanciers des services mobiles
d’urgence et de réanimation (SMUR) sont confrontés quotidiennement à des situations imprévisibles et brutales [22] résultantes de
violences, d’accidents, de suicides et d’agressions. Les interventions SMUR s’exercent souvent dans un climat d’horreur où le
spectacle de cadavres mutilés ou défigurés, la mort d’un enfant, ou
la souffrance et la détresse des patients, participent au vécu
dramatique des situations [23,25].
Cette réalité professionnelle nous renvoie aux deux principaux
aspects psychopathologiques en jeu dans le traumatisme psychique, d’une part, la brutalité de l’événement, et, d’autre part, la
rencontre avec la mort [5].
En effet, le traumatisme est décrit comme un phénomène bref
et soudain. Sans avoir eu le temps de se prémunir du danger,
l’homme est soudainement saisi par l’irruption de la violence, il est
alors fasciné, sidéré. Freud [18] parle dans ce cas d’effroi. Pour
comprendre le phénomène traumatique, Lebigot [26,28] a recours
à la métaphore freudienne de l’appareil psychique : lorsqu’il y a
trauma, l’image réelle de la mort va faire effraction dans le
psychisme et s’y incruster, telle quelle, ne trouvant dans
l’inconscient aucune représentation pour l’accueillir, la lier, la
transformer afin qu’elle puisse prendre sens. Le psychisme se
trouve alors envahi par un afflux d’excitations violentes et
agressantes qui débordent sa capacité de défense, bouleversant
ainsi fondamentalement son fonctionnement [8,11]. La perte
d’illusion d’immortalité va être le corollaire de l’incrustation dans
l’appareil psychique de l’image du réel de la mort. Cliniquement, on
l’observe par les réactions de sursaut, les angoisses, les craintes du
sommeil et certaines phobies [27]. La perte d’illusion d’immortalité
va créer une véritable rupture dans l’histoire de vie du sujet [4]. Elle
brise la relative unité de l’individu, bouleverse les convictions
narcissiques d’invulnérabilité, d’un environnement protecteur et
d’un autrui secourable, et laisse le sujet dans le chaos [3].
Les conséquences psychopathologiques d’un traumatisme
psychique sont réunies sous le nom de syndrome psychotraumatique. Dans la littérature figure également le terme d’état de stress
post-traumatique (ESPT), ou posttraumatic stress disorder (PTSD),
mais pour rejoindre l’approche psychodynamique du traumatisme
psychique [3,4,9,28], nous pensons que ce terme crée une
confusion entre la notion de stress et de trauma. En effet, lorsque
l’on parle de stress post-traumatique, on laisse entendre que le
stress est postérieur au trauma et que la symptomatologie est
consécutive à la réactivation du stress. Cependant, il existe une
distinction radicale entre stress et trauma [8,28]. Le stress est une
réaction physiologique, neurologique et hormonale déclenchée à
partir du moment où l’individu est exposé à un événement
potentiellement traumatique, il est éphémère et sans séquelle
psychologique [9]. Quant au trauma, c’est une réaction psychologique provoquant des manifestations cliniques caractéristiques
du syndrome psychotraumatique.
Le syndrome psychotraumatique est un état psychique
chronique organisé et durable, il n’éclôt qu’au terme d’un temps
de latence, variable selon les individus. Il se caractérise par un
syndrome pathognomonique de répétition, le trauma est revécu de
manière constante sous forme de cauchemars, de souvenirs
répétitifs ou de reviviscences visuelles hallucinatoires, d’état
d’alerte et de sursauts au bruit. Le syndrome de répétition
participe à la compréhension du phénomène traumatique : l’image
réelle de la mort, n’ayant aucune représentation pour l’accueillir
dans l’appareil psychique, ne se comporte pas comme un souvenir,
mais elle reste intacte, au détail près. Lorsqu’elle surgit à la
conscience (cauchemars, reviviscences), c’est au temps présent,
comme si l’événement était en train de se produire, donnant lieu à
une détresse significative.
On décrit également d’autres symptômes dits « non
spécifiques », car on peut les observer dans d’autres pathologies
mentales. Ainsi, des manifestations névrotiques peuvent venir se
greffer sur le syndrome de répétition, soit dans un registre
hystérique allant jusqu’à la survenue de conversions somatiques,
ou encore dans un registre obsessionnel lorsque l’idéation
contraint le sujet à de multiples rituels conjuratoires et vérificatoires. Des manifestations phobiques accompagnent très fréquemment la pathologie psychotraumatique, il s’agit par exemple
d’éviter tous les chemins qui se rapprochent du lieu de l’événement
ou qui rappellent sa survenue. Parmi les symptômes non
spécifiques, on observe également une anxiété permanente et
des manifestations d’asthénie physique, psychique et sexuelle. Les
manifestations psychosomatiques ont également une grande
fréquence ainsi que des troubles de la conduite, en particulier
l’installation de l’alcoolisme ou de la toxicomanie [6].
Le syndrome psychotraumatique se manifeste aussi par une
réorganisation de la personnalité. En effet, la perte d’illusion
d’immortalité va avoir pour conséquence un effondrement
progressif des supports qui habituellement permettent au sujet
d’éprouver une sérénité face à ce qui l’entoure. L’environnement
devient alors menaçant, dépourvu de sécurité, source d’une
inquiétude nouvelle où tout peut arriver. Ainsi, le sujet traumatisé
n’est plus comme avant : il a désormais une nouvelle manière de
percevoir le monde. Les intervenants ressentent une démotivation
et une perte de l’intérêt pour le monde extérieur, ils ont
l’impression de n’être ni compris ni soutenus, ils sont irritables
et marquent une propension au retrait solitaire et amer [7,8].
L’efficacité sur le terrain est diminuée, les professionnels doutent
de leurs capacités et leur rôle de « sauveur » est remis en question
[7,29].
De Soir [13] décrit également des conséquences plus pernicieuses du syndrome psychotraumatique comme l’absentéisme, le
présentéisme, la perte de rendement, ce qu’il nomme des
« indicateurs de détresse sociale ». Ces derniers ne sont pas
toujours immédiatement visibles et le personnel « souffre pendant
de longues périodes avant de capituler, de ‘‘craquer’’, car épuisé
psychiquement et/ou physiquement ».
Des études mettent en évidence la présence de troubles
psychotraumatiques chez les intervenants en médecine d’urgence.
Jehel [20] en France indique que 11 % des personnels service d’aide
médicale urgente (SAMU) manifestent des troubles psychotraumatiques. De Clercq et al. [12] constatent que 13,3 % des personnels
SMUR présentent un ESPT complet trois ans après la prise en
charge des victimes d’un attentat dans un auditoire d’étudiants de
l’université de Louvain. Aussi, l’étude de Epstein [16] montre que
18 mois après la catastrophe du Ramsteinen en Allemagne, 7,3 %
des personnels médicaux présents manifestent un ESPT.
Pour citer cet article : Laurent A. Les équipes mobiles d’urgence et de réanimation face aux interventions potentiellement traumatiques.
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Au regard de ces données, notre étude consiste à identifier les
interventions potentiellement traumatiques [32] des intervenants
SMUR et à nous interroger sur le vécu et les répercussions
psychotraumatiques de ces interventions. Au cours de cette
recherche, nous nous attacherons à confronter la richesse
subjective des entretiens cliniques avec les données quantitatives
issues du questionnaire de stress post-traumatique (QSPT) de
Watson et al. [34].
2. Méthodologie
2.1. Population
Notre population est constituée d’intervenants d’un SMUR :
69 sujets (45 hommes et 24 femmes) ont accepté de participer à
cette recherche. Ce groupe comprend 22 médecins, 16 infirmier(e)s
anesthésistes, 20 conducteurs ambulanciers et 11 étudiants en
médecine. La moyenne d’âge des intervenants est de 39,41 ans
(9,481) et leur ancienneté dans le service est en moyenne de sept
ans et 11 mois. Les permanenciers ne sont pas inclus dans cette
étude. Le recueil de données s’est déroulé sur l’année 2005 au sein
d’un SMUR de la région parisienne.
2.2. Outils et mode d’analyse
Tous les sujets ont répondu à un entretien clinique semistructuré, un questionnaire sociodémographique (âge, sexe,
situation familiale, catégorie socioprofessionnelle. . .) et un QSPT.
Le QSPT, réalisé d’après le Posttraumatic stress disorder interview
(PTSD-I) de Watson et al. [34], traduit par Brunet en 1995 et validé
en autoquestionnaire par Jehel et al. [21] permet d’évaluer la
survenue d’un événement traumatique et donne une approche
diagnostique de l’ESPT actuel ou sur la vie entière. Le QSPT se
partage selon les cinq axes d’évaluation du DSM-III-R. Le diagnostic
d’ESPT nécessite la validation de chacun des axes. Enfin, le QSPT
propose un score de sévérité de l’intensité des troubles avec une
amplitude de 17 à 119, calculé grâce à la somme des scores des
17 items ; le score seuil pathologique est fixé à 51 [21].
L’entretien semi-structuré a été mené par une psychologue
clinicienne ; il a permis d’explorer trois thèmes principaux :
le vécu de l’activité professionnelle ;
le vécu et les répercussions psychologiques d’une intervention
émotionnellement difficile ;
les facteurs de vulnérabilité et la stratégie d’ajustement lors
d’une intervention émotionnellement difficile.
Nous avons procédé à une analyse de contenu des 69 entretiens.
Cette analyse cherche à fournir une interprétation qui rassemble
deux pôles, d’une part, la rigueur de l’objectivité, et, d’autre part, la
fécondité de la subjectivité [2]. Cette méthode s’organise autour de
trois phases chronologiques [33,34] :
la pré-analyse : il s’agit ici de prendre connaissance de l’ensemble
des entretiens et d’identifier les thèmes qui s’en dégagent ;
l’exploitation du matériel : cette phase consiste à procéder aux
opérations de codage qui permettent l’élaboration d’une grille de
catégorie rassemblant des éléments du discours ayant des
caractères communs sous un titre générique. Ensuite, il s’agit de
remplir la grille de catégories par une opération de comptage
(nombre de fois où le thème est cité par l’ensemble du groupe) ;
traitement et interprétation : les données brutes sont traitées par
des opérations statistiques simples telles que des pourcentages
qui permettent de mettre en relief les informations apportées par
l’analyse [2]. L’interprétation des résultats consiste à « prendre
3
appui sur les éléments mis au jour par la catégorisation pour
fonder une lecture à la fois originale et objective du corpus
étudié » [30].
3. Résultats
3.1. Le questionnaire de stress post-traumatique
L’un des objectifs de notre étude était de mettre en évidence
l’importance des situations à caractère traumatique dans la
médecine d’urgence et d’en mesurer les conséquences sur la santé
mentale des intervenants. Au regard du QSPT, 77 % des
intervenants SMUR ont vécu une intervention à caractère
traumatique associée à une réaction de peur, d’horreur ou
d’impuissance (Tableau 1). À long terme, les répercussions
psychologiques des interventions à caractère traumatique sont
relativement faibles puisque nous ne retrouvons qu’un seul ESPT
dans la population SMUR (Tableau 1). Nous observons toutefois
que 3 % des intervenants répondent à deux des trois critères
diagnostiques d’ESPT, et 13 % répondent à un seul des trois critères,
principalement le critère B, c’est-à-dire les symptômes de
répétition. Enfin, l’intensité moyenne des troubles psychotraumatiques manifestés par les intervenants est de 24,59 (écart type
9,424), ce qui reste faible au regard du score seuil pathologique
estimé à 51 [21].
3.2. Analyse de contenu des entretiens cliniques
Chaque thème est présenté en fonction de son nombre
d’apparitions au sein des 69 entretiens. Ainsi, nous présentons
dans l’ordre décroissant les situations évoquées par le plus grand
nombre de sujets. Chacun des thèmes est illustré de vignettes
cliniques afin de mettre en avant le vécu des intervenants.
3.2.1. Thème 1. Nature des interventions à caractère traumatique chez
le personnel des services mobiles d’urgences et de réanimation
Les interventions jugées choquantes émotionnellement sont de
quatre ordres.
3.2.1.1. Les interventions sur des événements sanglants et violents de
la vie courante. Les défenestrations, les suicides dans le métro, les
accidents de la voie publique, l’immolation ou les meurtres sont
des événements qui confrontent le personnel SMUR à des images
sanglantes et violentes. Pour 41 % des sujets (28 sur 69 sujets), ils
sont décrits comme des interventions à caractère traumatique
provoquant des sentiments d’horreur et d’irréalité : « Les métros,
c’est violent, y a du sang. . . Y avait de la bidoche de partout. »
Tableau 1
Nombre de sujets du groupe services mobiles d’urgences et de réanimation (SMUR)
répondant aux critères de l’état de stress post-traumatique (en %) selon le
questionnaire de stress post-traumatique (QSPT).
Critères du QSPT (fréquence)
Groupe SMUR
(n = 69)
Critère A1 : événement à caractère traumatiquea
Critère A2 : réaction de peur, d’impuissance ou d’horreur
Critère B : symptômes de répétition
Critère C : symptômes d’évitement
Critère D : symptômes d’hypervigilance
Présence d’un seul syndrome du PTSD
Présence de deux syndromes du PTSD
PTSD complet
97
77
16
4
3
13
3
1,5
%
%
%
%
%
%
%
%
(67/69)
(53/69)
(11/69)
(3/69)
(2/69)
(9/69)
(2/69)
(1/69)
PTSD : posttraumatic stress disorder.
a
Confrontation à « un événement durant lequel des individus ont pu mourir ou
être gravement blessés ou bien être menacés de mort ou de graves blessures ou bien
durant lequel son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée ».
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3.2.1.2. Les interventions pédiatriques. Être confronté à la mort ou à
la souffrance d’un enfant lors d’une intervention est vécu comme
un événement à caractère traumatique pour 33 % (23 sur 69 sujets)
des intervenants SMUR. Ces interventions donnent souvent lieu à
une forte identification à la famille de l’enfant.
3.2.1.3. La mort pendant une intervention. Vingt-deux pour cent
(15 sur 69) des personnels SMUR verbalisent que la mort d’un
patient pendant l’intervention a eu un effet traumatique. Ce type
d’intervention est souvent associé à de forts sentiments de
culpabilité, d’échec et d’impuissance de la part du personnel SMUR.
3.2.1.4. Les attentats. La vague d’attentats parisiens en 1995 et
1996 a fortement mobilisé l’aide médicale urgente. Les intervenants SMUR ont été confrontés à une organisation des secours
d’une ampleur exceptionnelle et à des images de chaos comme
certains n’en avaient encore jamais vécu. Vingt-neuf intervenants
sur 69 étaient présents dans le service à cette époque. Sur ces
29 sujets, seuls trois intervenants évoquent un des attentats
comme l’événement traumatique de leur carrière : « J’avais
l’impression d’arriver à la guerre. »
3.2.2. Thème 2. Les facteurs de vulnérabilité du professionnel lors
d’une intervention à caractère traumatique
De nombreux intervenants décrivent lors des entretiens des
facteurs qui ont participé au vécu traumatique des interventions
citées ci-dessus.
3.2.2.1. Identification à la souffrance de la famille ou du patient. Lors
des interventions, la famille du patient est parfois présente et
exprime toute sa détresse face à la situation. La charge
émotionnelle qu’engendre cette situation est souvent évoquée
lors des entretiens ; 79 % des personnels SMUR expriment leur
désarroi face à la souffrance de la famille : « ce qui est extrêmement
dur, c’est de laisser la famille dans la détresse. . . On a l’impression
que notre travail est inachevé », « les personnes qui nous sautent
dessus et se mettent à pleurer, ça demande un grand effort pour ne
pas se laisser submerger ».
Les intervenants (35 %, soit 24 sur 69) expliquent alors s’être
mis à la place du patient « il était de la même année que moi. . . »,
« j’ai imaginé son quotidien, elle et son mari, elle m’a touché », ou à
de la famille « c’était un enfant, j’étais papa », et avoir ressenti une
vive émotion. L’identification au cours d’une intervention semble
être le talon d’Achille du personnel SAMU « faut surtout pas
s’identifier », « on n’est pas là pour pleurer avec eux », « si on se met
à leur place on est foutu ».
L’identification à la souffrance du patient ou de la famille est
d’autant plus importante lorsque l’intervenant a vécu un événement de vie difficile qui va faire écho à la situation. Pour 18 % des
personnels SMUR, les interventions à caractère traumatique sont
apparues à la même période qu’un événement de vie personnelle
difficile. « Je n’ai toujours pas fait le deuil de mes parents, alors
annoncer un décès à quelqu’un c’est difficile, je revis ce sentiment
d’abandon », « après la mort de mon père, j’étais plus capable
d’assurer, j’étais toujours remise face à ma situation personnelle »,
« par la médecine, j’essaie de réparer ce que je n’ai jamais pu
réparer dans ma famille. . . Avec cette intervention je me suis rendu
compte que je ne pouvais pas tout réparer. . . J’étais comme
anesthésiée ».
3.2.2.2. L’imprévisibilité. Pour 41 % (28 sujets sur 69), l’imprévisibilité des interventions est source de charge émotionnelle. Cette
imprévisibilité domine le quotidien professionnel : le personnel
SMUR peut intervenir à tout moment et sur n’importe quelle
pathologie, dans un contexte inconnu où le pronostic vital peut
s’aggraver à tout moment : « on sait pas ce qui va se passer, on sait
jamais quand on part au travail, on vit un peu des situations de
guerre », « sur l’intervention tout est possible », « je suis parti sur
quelque chose de soi-disant pas sérieux, j’y suis allé les mains dans
les poches. Je suis rentré, le choc a été immédiat. . . Je ne m’étais pas
préparé à voir ça ».
Ces situations sont fréquemment associées à un sentiment
d’échec, d’impuissance et de culpabilité.
3.2.3. Thème 3. Les répercussions psychologiques des interventions à
caractère traumatique
3.2.3.1. L’inscription dans la mémoire de l’intervention à caractère
traumatique. Dans les mois et même les années qui suivent
l’intervention traumatique, 77 % (53 sur 69) du personnel SAMU
s’en souviennent avec une précision étonnante. Ils peuvent en
donner des détails visuels, olfactifs ou se rappeler du prénom du
patient, « Je me vois encore tenir ce nourrisson dans le creux de mes
mains (larmes aux yeux) », « Je me souviens de tout, même du
papier peint de l’appartement », « Je la revois très nettement », « Ils
sont figés, enregistrés. . . ».
Dans la majorité des cas, le rappel de l’événement marquant ne
survient pas de manière spontanée, mais en lien avec un stimulus
évocateur :
le professionnel repart sur le même type d’intervention (lieu ou
pathologie). Cette situation est parfois accompagnée d’une
tension interne, le sujet est tendu, a les mains moites : « Quand
je repars sur le même type d’intervention, j’y repense, je
préférerais ne pas être là, j’ai peur que ce soit la même », « À
chaque fois qu’on me dit douleur thoracique, je repense à cette
intervention, je revois ce monsieur. . . » ;
le professionnel est confronté à un détail évocateur sur les lieux
d’une intervention ou dans la vie quotidienne « Quand je revois
un motard avec le même type de casque je repense à ce patient »,
« Ce qui revient c’est la fumée, l’odeur, ça revient quand je passe
devant une station de métro », « À chaque fois que j’arrive à cet
embranchement du périphérique, je repense à cet accident » ;
le professionnel repart avec la même équipe : « Quand je suis
avec ce médecin en intervention, j’ai une boule dans la gorge » ;
le rappel peut survenir lors d’une discussion entre collègues à
propos d’interventions marquantes ou devant une émission de
télévision portant sur des événements difficiles : « J’ai vu un
reportage sur un service de grands brûlés, j’ai été impressionné,
mon cœur s’est accéléré, j’avais les mains moites. »
Ce rappel est la plupart du temps furtif, les intervenants
expliquent qu’ils arrivent à le maı̂triser et à passer à autre chose
rapidement : « Ça dure pas longtemps, mais c’est toujours là ».
3.2.4. Le réaménagement de l’identité professionnelle
3.2.4.1. Acquisition de nouvelles compétences. Suite à une intervention difficile, 54 % (37 sur 69) des professionnels de l’urgence
essaient d’investir l’événement de manière à ce que celui-ci soit
l’occasion de s’aguerrir professionnellement. Ils se sentent alors
mieux préparés, plus armés psychologiquement pour affronter les
interventions suivantes : « Je me suis endurci » « Ça me rend plus
forte. . . », « Grâce à cette intervention je fais mieux face aux
situations dramatiques. . . », « Cette mission m’a permis de ressortir
avec un esprit critique pour mieux faire. . . », « Ça sert de leçon ».
Dans d’autres cas, l’événement à caractère traumatique vient
s’inscrire comme élément déclencheur pour entamer une formation, se spécialiser ou reprendre les études : « Après, je me suis rué
sur les articles concernant ce domaine. . . Maintenant, je pourrai
retourner sur cette même intervention, je n’aurai pas cette
tétanie », « J’ai mis toute mon énergie pour me former. . . », « Cette
intervention m’a été riche en expérience. . . Je suis devenu un
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spécialiste de la mort subite », « J’étais ambulancier à l’époque, et ça
m’a poussé à devenir infirmier. . . ».
De manière générale, la spécialisation et la formation professionnelle prennent une valeur de réassurance et permettent aux
intervenants de donner du sens à l’événement : « Il faut une
explication, une connaissance qui fait que l’extraordinaire devient
explicable », « J’ai essayé de trouver des explications
rationnelles. . . », « Je me suis renseigné sur les pratiques
d’immolation dans certains pays. . . Savoir que ce n’était pas
quelque chose d’exceptionnel, que ça pouvait être bien réel, ça m’a
rassuré ».
L’acquisition de compétences permet également de se libérer de
la charge émotionnelle vécue lors de l’événement : « Je devais me
former, j’en avais besoin, c’était cathartique, quasi thérapeutique. »
3.2.4.2. Le changement de valeur. L’événement traumatique aboutit à un changement de valeurs professionnelles ou personnelles
pour 36 % (25 sur 69) des intervenants. Ainsi, l’événement va
déclencher un changement de comportement dans le domaine
professionnel : « Maintenant, je prends plus de temps pour calmer
le patient et pour voir la situation dans son ensemble. . . » ; ou
familial : « Cet événement m’a remis en question, j’ai changé mes
priorités. . . Ma famille est plus importante que mon travail », « Cet
événement m’a permis de retrouver mes marques dans ma
famille. . . » ; et enfin personnel : « Grâce à cet événement, j’ai
changé, ou plutôt je suis redevenu moi-même », « De s’être trompé,
ça rend plus humble ».
3.2.4.3. Valorisation professionnelle. Enfin, l’intervention a permis à
certains sujets d’accéder à une notoriété, une assise et une
crédibilité professionnelles. En effet, plus l’événement est exceptionnel, plus celui-ci permet au professionnel de se valoriser : « J’y
étais », « J’ai fait Saint-Michel », « C’était l’événement de ma vie »,
« Après, quand on sort pour une douleur thoracique, ça fait un peu
fade ». C’est le cas de cet intervenant qui, lorsque nous lui
demandons de décrire une intervention traumatique, se souvient
de l’atrocité de l’attentat, tout en insistant sur le fait que cet
événement lui a permis de faire valoir ses compétences
professionnelles.
4. Discussion
4.1. Interventions traumatiques et vulnérabilité
L’objectif de notre étude était de mettre en évidence
l’importance des situations à caractère traumatique dans la
médecine d’urgence et de mesurer les conséquences psychotraumatiques sur les intervenants. Au regard de nos résultats, 77 % du
personnel SMUR a vécu une intervention à caractère traumatique
associée à une réaction de peur, d’horreur ou d’impuissance. La
coloration traumatique des interventions s’observe à travers les
entretiens, la rencontre avec l’image de la mort vient faire
effraction dans le psychisme des intervenants, provoquant un
état de sidération, « J’étais tétanisée. . . », « J’étais comme sidérée
pendant quelques secondes. . . », « On est blasté par la vision. . . »,
« C’était irréel ». On note également un sentiment d’impuissance et
d’horreur devant des corps abı̂més : « Y avait de la bidoche de
partout, on savait pas par où commencer », « C’était un pantin
désarticulé. . . Cette femme sous le train, c’était irréel », « On est
arrivé, c’était un bain de sang, on est pas habitué à voir ça ».
La nature de ces interventions traumatiques semble spécifique ;
comme Girault [19] et Dyregrov [15], nous observons que les
interventions les plus exceptionnelles, telles que les attentats, les
catastrophes aériennes, les missions du « SAMU mondial »
(tremblements de terre, inondations. . .) ne sont pas les plus
5
bouleversantes pour le personnel SMUR. Au contraire, ces
interventions exceptionnelles sont considérées comme un tremplin pour la carrière professionnelle, un sentiment de valorisation y
est associé. Ces événements catastrophiques provoquent pour 25 %
des intervenants une véritable exaltation où l’attention, la
concentration, les capacités mentales et d’actions sont
décuplées : « Il me faut de l’urgence », « J’aime les périodes de
crise », « Il me faut ma dose (de stress) ». Sous le stress, les
intervenants mobilisent leur capacité d’action, d’attention, ils sont
préparés à affronter l’horreur et donc moins pris au dépourvu. Le
stress constitue alors, comme De Clercq [12] l’a évoqué, un moyen
de prévenir le traumatisme psychique.
À l’inverse, c’est davantage lors des interventions
« quotidiennes » que les professionnels expriment leur vécu
traumatique. Dans ce cas, l’intervenant s’attend à une situation
habituelle et il est soudainement confronté à l’horreur. L’imprévisibilité de la situation ne permet pas à l’intervenant de se
préparer, d’anticiper, le rendant ainsi plus vulnérable à l’effraction
traumatique.
Un autre facteur de vulnérabilité se dégage des entretiens en
lien avec la souffrance du patient ou de la famille. Face à la détresse,
l’intervenant n’arrive plus à trouver la distance émotionnelle
suffisante et il va s’identifier à la situation. L’intervenant réagit
alors comme s’il était intimement concerné par l’événement, des
résonances émotionnelles [9,10] pénibles vont naı̂tre et s’incruster
en mémoire.
Ainsi, l’analyse qualitative du vécu des interventions d’urgences
met en avant que la nature même de l’intervention (violence,
gravité, menace vitale) ne détermine pas à elle seule la valeur
traumatique d’un événement. Peu importe le caractère exceptionnel de l’intervention, il suffit qu’elle entre en résonance avec la
propre histoire de l’intervenant pour que celle-ci bouleverse son
équilibre psychique. Chacune des interventions est vécue de
manière singulière chez le professionnel, et c’est dans cette
singularité que le vécu traumatique doit être appréhendé.
4.2. L’intervention traumatique : un rituel de passage
Si le vécu traumatique des interventions est présent chez les
intervenants, à long terme nous n’observons qu’une faible intensité
des troubles psychotraumatiques et seulement un ESPT dans la
population SMUR. En revanche, 77 % des professionnels gardent en
mémoire l’intervention qu’ils ont vécue comme traumatique. Dans
les années qui suivent, le professionnel se rappelle de l’événement
aux détails près, l’oubli paraı̂t inaccessible.
L’intervenant SMUR serait ainsi comme condamné à porter une
intervention traumatique, mais non au sens où le définit Barrois [3],
comme un rite sacrificiel où la répétition ne fait qu’affirmer la
puissance de l’effroi, mais davantage tel un rite de passage afin de
mieux se protéger des interventions suivantes. En effet, la notion de
rite de passage est définie par Van Gennep [31], comme une épreuve
permettant de lier l’individu au groupe, mais aussi de structurer sa
vie en étapes précises, lui apportant ainsi une perception apaisante
de son rapport à sa temporalité et à sa mortalité. Le rite de passage
joue donc un rôle important pour l’individu, dans sa relation au
groupe, et pour la cohésion du groupe dans son ensemble. Duez [14]
comprend le rite de passage comme un équivalent traumatique : il
parle de répétition rituelle qui serait une tentative de contrôler,
d’intégrer le vécu traumatique dans la vie psychique. Les rites de
passage signifieraient à la fois l’abandon de l’ancienne identité et
l’acquisition d’une nouvelle. L’analyse qualitative des entretiens
nous laisse penser que certaines interventions prennent la forme
d’un rituel de passage, permettant au personnel SMUR un réaménagement de l’identité professionnelle que l’on observe sous forme
de changement de valeurs, d’acquisition de nouvelles compétences
et de l’émergence d’une vocation. Elle marque le passage entre un
Pour citer cet article : Laurent A. Les équipes mobiles d’urgence et de réanimation face aux interventions potentiellement traumatiques.
Ann Med Psychol (Paris) (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.03.015
G Model
AMEPSY-1563; No. of Pages 6
A. Laurent / Annales Médico-Psychologiques xxx (2012) xxx–xxx
6
avant et un après qui structure et ordonne la carrière professionnelle. L’intervention traumatique comme rituelle relie les intervenants dans ce que Bacqué [1] nomme le « partage d’une
symbolique commune » ; c’est le signe indubitable qu’ils ont connu
l’horreur et qu’ils en sont revenus plus forts et invulnérables. Trace
de leur compétence et d’une identité professionnelle, c’est ce qui va
leur permettre de gagner la confiance du groupe et de se sentir
appartenir et intégré au groupe.
réactions, et mettre en valeur les propres capacités d’adaptation
des intervenants SMUR [24].
Déclaration d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation
avec cet article.
Références
4.3. L’après traumatisme
Ainsi, les intervenants semblent parvenir à se dégager de la
« malédiction traumatique » [10]. Pourtant, seul le temps révèle la
véritable nature du vécu de l’événement, car le trauma c’est aussi
ce que l’on en fait après. Et c’est bien cet après qui révèlera si ce
réaménagement se situe du côté de l’élaboration psychique ou du
bordage de la souffrance [4].
Crocq [10] parle « d’élaboration résiliente » ; dans ce cas,
l’expérience traumatique fait sens pour l’intervenant. Ce dernier est
en mesure de réinscrire l’événement dans son histoire de vie, tel un
souvenir construit et mentalisé. Les professionnels ne retrouvent pas
leur état psychique initial, ils reviennent de leur expérience
traumatique changés, mais dans le sens d’une « progression
traumatique » [17] permettant l’éclosion de facultés nouvelles.
Au contraire, le « bordage de la souffrance » signifie que la
symptomatologie psychotraumatique se fait cliniquement silencieuse, mais que l’événement traumatique est fixé en mémoire à
l’état brut, restant une expérience de non-sens. On peut apparenter
cet état à une période de latence, où l’activité professionnelle fait
moratoire. C’est une fois l’intervenant en inactivité que son édifice
défensif s’écroule et laisse place aux symptômes psychotraumatiques. Hors de l’activité d’urgence, les intervenants devront alors
faire face à la souvenance de leur trauma : « Je me demande
souvent, quand je vais arrêter mon activité, est-ce que tout ça va
pas revenir en cauchemars » (infirmière, SMUR).
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5. Conclusion
Avant de conclure, soulignons que nous avons travaillé à partir
de données rétrospectives, et le discours des professionnels liés au
vécu des interventions difficiles dépend aussi de ce que le sujet a
gardé en mémoire de sa réaction, dans l’après-coup. Ainsi, nous
sommes confrontés à « l’illusion rétrospective » [9] où la réaction
immédiate de l’intervention a été remodelée, la réalité du passé
parasitée par le présent.
Cette étude auprès des intervenants SMUR nous montre que la
confrontation avec l’adversité au quotidien ne signifie pas
fatalement une rencontre traumatique. Le fait d’éprouver des
émotions douloureuses ne signifie pas non plus une entrée dans la
psychopathologie. Les réactions psychologiques et émotionnelles
des intervenants doivent être considérées avant tout comme
normales, en rapport avec ce qu’ils vivent.
Nous l’avons vu, le vécu traumatique des interventions ne
dépend pas du caractère objectif de l’événement, mais de la
spécificité que l’événement prend pour le professionnel. La clinique
du trauma semble dépasser les critères du DSM-IV de reviviscence,
d’évitement, d’activation neurovégétative et de réduction du
fonctionnement social et occupationnel. Dans le vécu traumatique,
on se retrouve face à une rupture qui engendre un véritable
remaniement de l’identité professionnelle de l’intervenant.
Si des mesures préventives et thérapeutiques sont à proposer
dans un service comme celui du SMUR, ce n’est pas pour
pathologiser les réactions des intervenants, mais au contraire
pour préserver l’importance de ce réaménagement défensif, pour
offrir une reconnaissance, un soutien et une légitimation des
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Pour citer cet article : Laurent A. Les équipes mobiles d’urgence et de réanimation face aux interventions potentiellement traumatiques.
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