Les marqueurs pronostiques circulants du mélanome
Transcription
Les marqueurs pronostiques circulants du mélanome
Synthèse Ann Biol Clin 2011 ; 69 (2) : 151-7 Les marqueurs pronostiques circulants du mélanome : profils protéomiques et études cliniques Circulating prognosis markers in melanoma: proteomic profiling and clinical studies Jérôme Solassol1 Bernard Guillot2 Thierry Maudelonde1 1 CHU de Montpellier, Hôpital Arnaud-de-Villeneuve, Laboratoire de biologie cellulaire et hormonale, Montpellier <[email protected]> 2 CHU de Montpellier, Hôpital Guy-de-Chauliac, Service de dermatologie, Montpellier Résumé. Le mélanome cutané est le plus grave des cancers de la peau en raison notamment de sa capacité à métastaser. Plusieurs éléments cliniques (nombre de ganglions lymphatiques envahis et/ou présence de métastases à distance) et histopathologiques (profondeur de tumeurs et présences d’ulcérations) sont à la disposition du clinicien pour déterminer le pronostic du patient et proposer une prise en charge thérapeutique adaptée. Toutefois, ces facteurs demeurent souvent insuffisants, notamment dans les formes précoces de mélanome. De nombreuses recherches ont focalisé sur l’identification de marqueurs sériques pronostiques efficaces. La seule indication d’un dosage sérique à avoir été intégrée dans la dernière classification AJCC concerne celui de la lactate déshydrogénase, marqueur pourtant ancien, et se limite au pronostic des formes métastatiques de la maladie. Le développement récent des technologies d’analyse du protéome offre de nouvelles perspectives dans ce domaine. Cette revue résume les considérations propres à chaque technique protéomique utilisée jusqu’à ce jour, ainsi que les résultats des dernières investigations cliniques réalisées pour l’identification de biomarqueurs pronostiques sériques des mélanomes. Mots clés : mélanome, pronostic, diagnostic, suivi pronostique Abstract. Cutaneous melanoma is the most dangerous skin cancer because of its ability to metastasize. Several clinical factors (number of invaded lymph nodes and/or presence of distant metastases) and histopathology (depth of tumor and presence of ulceration) are available to the clinician for determining prognosis and suggesting appropriate therapeutic management. However, these factors are often insufficient, especially in early forms of melanoma. Much research has focused on the identification of effective prognostic markers in serum. The only serum marker, which has been incorporated into the current AJCC classification for clinical use is lactate dehydrogenase dosage, a historical marker, restricted to the prognosis of metastatic disease. The recent development of technologies for proteome analysis offers new perspectives in this field. This review summarizes the specific considerations for each of the proteomic techniques used to date and presents the results of recent clinical investigations conducted to identify prognostic biomarkers in the serum of melanoma patients. doi:10.1684/abc.2011.0523 Key words: melanoma, proteome analysis, diagnosis, prognosis Le mélanome est une tumeur maligne cutanée développée aux dépens des mélanocytes. Il s’agit de la plus sévère des tumeurs cutanées malignes fréquentes. On enregistre chaque année environ 133 000 nouveaux cas dans le monde, Tirés à part : J. Solassol touchant principalement les populations à peau blanche, dans les pays où les rayonnements ultraviolets sont de forte intensité. Durant les dix dernières années, l’incidence du mélanome en France a augmenté d’un facteur de 3,16 pour les hommes et de 2,25 pour les femmes entre 1980 et 2005 [1]. La mortalité liée au mélanome est également en Pour citer cet article : Solassol J, Guillot B, Maudelonde T. Les marqueurs pronostiques circulants du mélanome : profils protéomiques et études cliniques. Ann Biol Clin 2011 ; 69(2) : 151-7 doi:10.1684/abc.2011.0523 151 Synthèse augmentation, mais à un rythme plus lent que l’incidence. La prise en charge thérapeutique du mélanome à un stade précoce (stade I et II de l’American Joint Committee on Cancer [AJCC]) est essentiellement chirurgical, avec un taux de guérison à dix ans qui approche les 90 % [2]. Le taux de guérison chute dramatiquement dans les formes plus avancées avec un taux de survie moyen à cinq ans de 30 % pour les stades III AJCC [2]. Dans la maladie métastatique (stade IV AJCC), le taux de guérison devient inférieur à 5 % [2]. Plusieurs facteurs cliniques (âge, localisation, nombre de ganglions lymphatiques envahis et/ou présence de métastases à distance) et histopathologiques (profondeur de tumeurs et présences d’ulcérations) sont utilisés comme facteurs pronostiques [3]. Toutefois, l’épaisseur de la tumeur primaire, mesurée en millimètre, encore appelée indice micrographique de Breslow, reste le facteur pronostique indépendant le plus puissant dans le mélanome localisé. La conduite thérapeutique à ce stade est d’ailleurs en grande partie dictée par cet index. Malheureusement, dans certains cas, il ne représente pas un indicateur suffisamment précis du comportement biologique de mélanome. En effet, une minorité de patients atteints de mélanomes de taille inférieure à 1 mm développeront une maladie métastatique [4]. Ainsi l’identification des mélanomes de faible taille (< 1 mm) et de taille intermédiaires (2-4 mm), à fort risque de métastases locales ou à distance, demeure un des défis majeurs pour une prise en charge optimale et adaptée de chaque patient. Marqueurs tumoraux et mélanome Le sang représente une source indiscutable de biomarqueurs dont la présence peut être le reflet du processus néoplasique chez un individu. Par définition, les marqueurs tumoraux ne sont pas statiques et leur expression varie au fil du temps, en fonction de l’état général du patient, de la progression tumorale et des traitements administrés. Durant les différentes phases de la cancérogenèse, de nombreuses molécules sont sécrétées soit directement par les cellules tumorales ou les cellules du microenvironnement tumoral, soit indirectement au travers de phénomènes comme la mort cellulaire (apoptose, nécrose) suite à la réaction du système immunitaire ou l’action de molécules chimiothérapeutiques. Les molécules ainsi libérées peuvent diffuser librement jusqu’à la circulation périphérique où elles y sont potentiellement détectables. En dépit de l’importance des recherches sur la détection de nouveaux biomarqueurs associés à la prédiction du caractère agressif des mélanomes, peu d’entre eux ont été promus et recommandés pour une utilisation en pratique clinique. Leur utilisation est le plus souvent limitée au bilan initial de la maladie 152 (valeur de référence), à l’évaluation de l’efficacité thérapeutique et à la surveillance d’une éventuelle récidive. Ainsi, les marqueurs sérologiques les plus utilisés pour la détection précoce d’une récidive locale ou métastatique dans le suivi des patients atteints de mélanome sont la protéine S100 et la lactate déshydrogénase (LDH). La protéine S100 est une protéine acidophile, dimérique, thermolabile, initialement mise en évidence dans le système nerveux central de mammifères [5], puis plus tard dans des cultures de mélanocytes [6]. Le nom « S100 » provient de la solubilité de la protéine dans du sulfate d’ammonium saturé à 100 % à pH neutre. Elle est composée de deux sous-unités ␣ (10,4 kDa) et  (10,5 kDa) qui peuvent donner trois isoformes (␣/␣, / et ␣/). L’expression cellulaire diffère selon chaque isoforme. Ainsi la protéine S100 est exprimée dans les mélanocytes, les cellules gliales, les cellules de Schwann, les adipocytes, les chondrocytes et les cellules de Langerhans cutanées. Elle joue un rôle dans la transduction du signal par l’intermédiaire de l’inhibition de la phosphorylation des protéines et par la régulation des activités enzymatiques. Elle est également impliquée dans la régulation de la morphologie cellulaire en interagissant avec les éléments du cytosquelette et dans l’homéostasie du calcium intracellulaire [7]. Le dosage sérique de la protéine S100 se révèle être un indicateur de survie sans récidive dans le mélanome [8]. Il est également un marqueur pronostique chez les patients au stade métastatique [9-12]. En revanche, pour les stades I et II, et spécialement chez les malades ayant déjà subi l’exérèse chirurgicale du mélanome, on ne retrouve pas cette valeur pronostique [13]. Comme il existe une forte corrélation entre la concentration sérique de la protéine S100 et la charge tumorale, il est utilisé comme marqueur de surveillance de réponse au traitement chez les patients au stade métastatique [11, 12, 14]. Il n’est cependant pas un bon indicateur de réponse au traitement dans les stades I, II et III [15]. De plus, il a échoué dans l’identification des patients avec des micrométastases ganglionnaires détectées par la méthode du ganglion sentinelle [16, 17]. Le plus puissant marqueur pronostique dans le mélanome métastatique est la LDH, un marqueur identifié en 1954, aspécifique et augmentant en fonction de la charge tumorale dans de nombreuses entités tumorales, incluant le mélanome [18]. Sa concentration plasmatique semble être un facteur pronostique indépendant pour les malades en stade IV [19, 20]. Des études comparant LDH et S100 par des analyses multivariées montrent que la concentration de LDH est le facteur pronostique indépendant le plus puissant dans les stades IV de mélanome [21]. Ainsi, en raison de son statut pronostique, de sa méthode de détection facile, la concentration sérique de LDH est le seul marqueur moléculaire à avoir été inclus dans la classification actuelle du mélanome de l’AJCC (sixième édition) pour les stades IV de mélanome [2]. Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 2, mars-avril 2011 Protéomique sérique du mélanome De nombreux autres marqueurs sériques ont été étudiés [22]. Parmi eux, on peut citer les antigènes associés au mélanome (melanoma inhibiting activity, neurone specific enolase, lipid-bound sialic acid-P), les dérivés de la différenciation mélanocytaire (tyrosinase), de l’angiogenèse tumorale (vascular endothelial growth factor, interleukine 8 [IL-8]), des molécules d’adhésion (intercellular adhesion molecule 1, soluble vascular cell adhesion molecule-1, certaines métalloprotéases), des cytokines (IL-6, IL-10), des antigènes de présentation (antigènes membranaires HLA de classe I), ou d’autres difficiles à classer comme le tumour-associated antigen 90 immune complex et le YKL40. Aucun de ces marqueurs n’a montré de supériorité à la protéine S100 ou au LDH comme facteur pronostique des stades métastatiques de mélanome. Aucun marqueur n’a montré de qualités suffisantes pour le dépistage, le diagnostic précoce et le suivi des stades I, II, ou III, y compris la protéine S100 ou les LDH. Au final, il n’existe à ce jour aucun marqueur tumoral validé pour le mélanome non métastatique et les recommandations d’experts français ne préconisent pas l’utilisation de marqueurs biologiques spécifiques dans le bilan initial ou dans les bilans de suivi d’un patient atteint de mélanome non métastatique [23]. Devant ce constat, de nouvelles orientations ont été prises dans la recherche de nouveaux marqueurs pronostiques et parmi elles, la détermination de profils protéiques sériques semble prometteuse. Marqueur tumoral ou signature moléculaire ? Bien que le caractère monoclonal d’une tumeur soit largement admis, l’instabilité génétique des cellules néoplasiques est à l’origine de l’apparition et de la coexistence de variants du clone initial. Celle-ci explique l’hétérogénéité tumorale phénotypique et génotypique souvent observées en cancérologie et notamment pour le mélanome [24]. Ainsi, si un seul marqueur ne peut refléter de façon objective l’hétérogénéité tumorale, on peut concevoir qu’une combinaison de marqueurs permette une caractérisation plus fine du processus biologique en cours. C’est à partir de ce concept qu’ont été développés de nouveaux types d’approche. Elles se focalisent non plus sur l’identification d’un marqueur unique mais sur la mise en évidence de plusieurs marqueurs co-exprimés, permettant ainsi d’établir un profil protéique, véritable « carte d’identité » des tumeurs. Des études sur l’analyse du protéome tumoral et l’établissement de nouvelles signatures moléculaires corrélées aux données cliniques et anatomo-pathologiques ont été récemment reportées. Elles devraient permettre de voir émerger dans l’avenir de nouveaux tests pronostiques en Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 2, mars-avril 2011 cancérologie, que ce soit pour proposer une prise en charge personnalisé du patient ou pour améliorer nos possibilités de prédiction de l’évolution d’un patient porteur d’un mélanome. Principes des différentes techniques d’analyse protéomique La protéomique correspond à l’analyse de l’ensemble des protéines présentes dans un échantillon biologique. En fait, bien plus que l’analyse de l’ensemble des protéines, il s’agit plus réalistement de l’analyse des protéines pouvant être mises en évidence par les approches technologiques actuelles. On distingue de façon conceptuelle deux grands types d’analyses en protéomique : la protéomique descriptive et la protéomique fonctionnelle. La protéomique descriptive inclut une dimension qualitative, en tentant de déterminer quelles sont les protéines exprimées, et une dimension quantitative au travers de la détermination du niveau d’expression de ces protéines. La protéomique fonctionnelle s’intéresse à la fonction des protéines en tentant d’analyser : – les molécules interagissant avec des protéines d’intérêt (protéomique d’interaction) ; – les modifications structurales en fonction de leur activité (protéomique structurale). La plupart des études portant sur l’indentification de nouveaux biomarqueurs en cancérologie font appel à la protéomique descriptive d’expression. Méthode d’analyse protéomique par électrophorèse dimensionnelle et spectrométrie de masse Parmi les premières approches utilisées, on retrouve les analyses en électrophorèse bidimensionnel couplée à la spectrométrie de masse (MALDI-TOF) [25]. Brièvement, il s’agit d’une série d’expérimentations permettant de séparer les protéines présentes dans un échantillon protéique complexe, puis d’identifier les protéines « cibles » par la détermination de leur masse. La première étape est la phase d’extraction des protéines du liquide biologique ou d’un tissu, phase délicate et limitante du fait de la dégradation possible de ces protéines lors de cette phase. La phase de séparation résolutive fait appel à l’électrophorèse bidimensionnelle qui sépare les protéines en les faisant migrer dans deux dimensions en fonction de leur charge ou point isoélectrique et de leur taille ou poids moléculaire. Par cette approche, on obtient une véritable carte protéique de l’échantillon étudié. Cette carte peut alors être analysée au moyen d’outils bio-informatiques permettant la comparaison des cartes protéiques entre elles. Après leur 153 Synthèse extraction du gel puis leur digestion et leur clivage spécifique par la trypsine, ces protéines peuvent être identifiées par Matrix-Assisted Laser Desorption/Ionisation - TimeOf-Flight (MALDI-TOF), spectromètre de masse, qui génère des spectres permettant de déterminer la masse des peptides ainsi obtenus. La dernière étape consiste en l’interprétation de ces spectres pour conclure à l’identité de la protéine explorée par comparaison avec des bases de données bio-informatiques (type Swiss-prot). Méthode d’analyse protéomique par puces à protéines Des avancées récentes en spectrométrie de masse ont ouvert des perspectives intéressantes pour l’identification de nouveaux marqueurs tumoraux. Parmi celles-ci, la plateforme Surfaced-Enhanced Laser Desorption/Ionization - TimeOf-Flight (SELDI-TOF) a présenté des avantages par rapport aux autres techniques disponibles, notamment en raison de sa simplicité d’utilisation, de sa sensibilité et de sa capacité d’analyse à haut débit des échantillons. Cette technique permet la séparation, la détection et l’analyse de protéines directement à partir de l’échantillon biologique avec une sensibilité de l’ordre de la femtomole. Ce système adapté aux contraintes cliniques associe des puces à protéines en tant que méthode initiale de séparation et d’isolement des protéines, à une caractérisation plus ou moins poussée de ces protéines par spectrométrie de masse. Cette technique permet ainsi une vue globale du contenu protéique de l’échantillon analysé sans donner aucune information sur l’identité des protéines. Plusieurs étapes se succèdent dans l’analyse des échantillons par SELDI-TOF : la première étape consiste à déposer quelques mg de protéines de l’échantillon biologique complexe à analyser sur une surface de 2 mm2 (spot ou puce) présentant des propriétés chromatographiques variées, permettant leur adsorption. Le mélange protéique subit alors un fractionnement qui dépend de ses propriétés physicochimiques (puces analytiques) ou biologiques (puces fonctionnelles) de la surface chromatographique utilisée. La puce est analysée en spectrométrie de masse. Après ionisation et désorption des protéines sous l’effet d’un laser, on obtient un spectre de masse représentant l’intensité des protéines fixées sur la puce en fonction de la masse sur charge (m/z). Cette technologie se différencie ainsi de l’approche gel 2D en s’émancipant de l’électrophorèse bidimensionnelle en intégrant une phase séparative, et en générant des profils protéiques au lieu d’une empreinte peptidique. Ces spectres sont ensuite normalisés et calibrés afin de limiter les différents biais dus à l’instrumentation ou à l’expérimentateur. La combinaison des différentes surfaces chromatographiques disponibles permet d’obtenir une vue d’ensemble des peptides et protéines présents 154 dans un échantillon donné. L’analyse différentielle et statistique plus poussée de l’ensemble de ces données est l’une des étapes les plus importantes dans l’étude protéique et permet de comparer des données issues d’un groupe témoin et d’un groupe pathologique. Des analyses statistiques multivariées permettent de traiter plusieurs centaines de spectres à partir d’algorithmes informatiques, d’analyser des données complexes et d’extraire la meilleure combinaison de marqueurs capable de différencier les groupes. Ainsi, cette plateforme présente de nombreux avantages et notamment en pratique clinique. Elle permet en effet de comparer des profils protéiques entre eux et les différences d’expression vont « signer » une situation biologique particulière. Marqueurs pronostiques du mélanome et protéomique Récemment, Greco et al. ont étudié les cartographies protéiques sériques de 50 patients présentant un mélanome afin de mettre en évidence plusieurs protéines dont la présence était corrélée à la progression tumorale [26]. Après déplétion en albumine, les sérums ont été analysés par électrophorèse bidimensionnelle. Parmi les protéines identifiées, la transthyrétine et l’angiotensine montraient des niveaux d’expression augmentés dans le mélanome comparativement aux sujets contrôles alors que la vitamine D binding protein (DBP) était au contraire diminuée. Cette baisse s’explique par l’augmentation de l’activité enzymatique de l’␣-N-acétylgalactosaminidase (NAGA) par les cellules tumorales et son rôle dans la glycosylation de DBP. Une fois DBP glycosylée, l’activation des macrophages ne peut se faire rendant la réponse immune primaire inefficace et favorisant la prolifération des cellules néoplasiques. Enfin, l’augmentation de l’activité enzymatique de NAGA était fortement corrélée à l’indice de Breslow. De plus, elle diminuait significativement après exérèse chirurgicale de la tumeur, confortant le caractère pronostique de ce nouveau paramètre. Les études des profils protéiques ont été initiées par l’équipe de Hoon [27]. Dans cette étude pilote, les profils protéiques de patients ayant développé une récidive ganglionnaire ou métastatique (n = 25) ont été comparés à ceux de patients sans récidive (n = 24), avec un recul de cinq ans pour les deux groupes. Les prélèvements sériques étaient réalisés au moment du diagnostic, lésion en place. L’acquisition du signal et le traitement des données ont permis d’identifier plusieurs pics protéiques dont trois étaient discriminants pour préjuger de la récidive, avec une sensibilité de 72 % (18/25) et une spécificité de 75 % (18/24). Caputo et al. Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 2, mars-avril 2011 Protéomique sérique du mélanome ont réalisé une étude similaire portant sur l’analyse des profils d’expression protéiques sériques de 205 patients, 101 patients atteints de mélanome au stade précoce (stade I de l’AJCC) et 104 sérums de patients au stade métastatique (stade IV de l’AJCC). Une première analyse a consisté à comparer, à l’aide de tests monoparamétriques (F test ou test de Student), les profils protéiques de l’ensemble des patients métastatiques et ceux des patients sans métastase. Une seule protéine de 11 700 Da permettait de distinguer les deux groupes. Par la suite, une analyse multiparamétrique de type artificial neural networks (ANN) a été réalisée sur les pics différentiellement exprimés. Trente-deux réseaux neuronaux différents ont ainsi été obtenus, permettant de classer correctement 84/96 (88 %) sérums. Une seconde étape a consisté à étudier les profils protéiques sériques de 55 patients de stade III avec progression ou sans progression à un an dans le but de prédire une récidive. Les résultats ont montré que 44/55 (80 %) sérums étaient correctement assimilés au groupe progression ou absence de progression, après analyse statistique par validation croisée. De plus, 23/28 (82 %) patients de stades III en progression étaient correctement identifiés, alors que seul 6/28 (21 %) patients l’étaient par le dosage de la protéine S100. Très récemment, la même équipe a confirmé ces données par l’identification de la protéine de 11 700 Da. Il s’agit de la sérum amyloïde A (SAA) [28]. Dans une population indépendante de 379 patients (stage I = 98 ; stage II = 91 ; stage III = 87 ; stage IV = 103), les concentrations de SAA étaient comparées à celles de la S100 et de la LDH. Les valeurs de SAA étaient significativement plus élevées dans les stades avancés que dans les stades précoces (stage I versus III ; p = 0.043 et stage IV ; p = 0,000083). De plus, associée au dosage d’une seconde protéine pro-inflammatoire, la protéine C réactive, les auteurs ont montré que cette association permettait d’obtenir des valeurs de sensibilité et de spécificité sur la survie sans progression et la survie globale supérieure au S100. Limites des approches de type profiling Les approches de type profiling ont soulevé un certain nombre de critiques, notamment sur leurs limitations réelles ou supposées [29, 30]. La première critique porte sur le manque de reproductibilité entre les études publiées utilisant la même technologie, conduisant à l’identification d’algorithmes de pics différents. Une des explications est le manque de reproductibilité des modes de recueil, de conservation et de traitement des échantillons. En effet, il est clairement établi que la moindre déviation du protocole peut modifier les résultats [31]. Cela souligne la nécessité Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 2, mars-avril 2011 d’une standardisation de la technique afin homogénéiser le plus possible les résultats. On rappellera que l’étude multicentrique impliquant cinq centres indépendants sur les cancers de l’ovaire a montré des profils superposables et reproductibles grâce à la validation et standardisation des paramètres [32]. La deuxième critique majeure concerne la difficulté de détection des protéines très faiblement exprimées dans le sérum. Ainsi, parmi les protéines identifiées dans différents études différentielles par SELDI-TOF, on retrouve des chimiokines, des cytokines, des fragments d’immunoglobulines, des facteurs de croissance ou d’autres médiateurs connus pour être dérégulés dans les cancers. Même s’il est vrai que la plupart de ces protéines sont produites par l’organisme en réponse à une inflammation, à l’état général du patient et sans spécificité pour le cancer, elles ne doivent pas être négligées pour autant. Elles peuvent en effet être le reflet indirect d’une réaction d’inflammation locale persistante, d’une hypercoagulation ou d’autres épiphénomènes associés au développement néoplasique. Ainsi, Pierce et al. ont récemment montré que la SAA et la CRP pouvaient être proposées comme marqueurs pronostiques potentiels chez les patients présentant un cancer du sein [33]. Conclusion et perspectives Le faible nombre de résultats obtenus jusqu’à présent par l’analyse du sérum dans le mélanome peut probablement s’expliquer par les difficultés techniques attribuables à l’analyse de ce fluide biologique. En effet, contrairement à d’autres fluides, le sérum contient des protéines majoritaires en grande quantité (dont les sept plus importantes représentent plus de 90 % des protéines sériques) qui gênent considérablement l’identification de protéines de plus faible abondance. Afin de contourner ce problème, des alternatives ont été développées. Elles ont pour principe : – l’identification première des protéines d’intérêt par l’analyse du tissu tumoral ou d’un matériel biologique proche, comme des modèles de cultures cellulaires ou des tissus animaux ; – leur validation en tant que biomarqueurs par l’analyse des sérums à partir de techniques plus conventionnelles de type immuno-essai. À ce titre, l’étude du sécrétome de cellules tumorales semble être d’un grand intérêt. En effet, très récemment, l’équipe de Gerner a pour la première fois proposé l’analyse protéomique comparative des sécrétomes de lignées de mélanocytes humains et de mélanomes [34]. Plusieurs centaines de protéines ont pu être identifiées. Parmi elles, la protéine epididymis-specific glutathione peroxidase-like, la 155 Synthèse périostine et la stanniocalcine-1 ont été retrouvées dans le surnageant de cellules. Bien que leur présence dans le sérum de patients porteurs d’un mélanome n’ait pas été recherchée dans cette étude, il n’en demeure pas moins que l’identification de protéines sécrétées peut être considérée comme une source de biomarqueurs non négligeable. En conclusion, il est clair que de larges études multicentriques indépendantes sont encore essentielles avant qu’une place ne puisse être attribuée à un nouveau facteur sérique pronostique du mélanome. Toutefois, les premiers résultats des études protéomiques permettent de présager une poursuite de ces investigations dans le futur dans une pathologie où les marqueurs sériques efficaces font cruellement défaut. Elles se feront très probablement par l’utilisation des dernières avancées technologiques en protéomique associant un haut degré de fractionnement par chromatographie en phase liquide et isoélectrofocalisation en milieu liquide à des spectromètres de masse de seconde génération (MALDI-TOF/TOF, QTOF. . .). 10. Schultz ES, Diepgen TL, Von Den Driesch P. Clinical and prognostic relevance of serum S-100 beta protein in malignant melanoma. Br J Dermatol 1998 ; 138 : 426-30. 11. Hauschild A, Engel G, Brenner W, Glaser R, Monig H, Henze E, et al. S100B protein detection in serum is a significant prognostic factor in metastatic melanoma. Oncology 1999 ; 56 : 338-44. 12. Egberts F, Hitschler WN, Weichenthal M, Hauschild A. Prospective monitoring of adjuvant treatment in high-risk melanoma patients: lactate dehydrogenase and protein S-100B as indicators of relapse. Melanoma Res 2009 ; 19 : 31-5. 13. Stahlecker J, Gauger A, Bosserhoff A, Buttner R, Ring J, Hein R. MIA as a reliable tumor marker in the serum of patients with malignant melanoma. Anticancer Res 2000 ; 20 : 5041-4. 14. Hamberg AP, Korse CM, Bonfrer JM, de Gast GC. Serum S100B is suitable for prediction and monitoring of response to chemoimmunotherapy in metastatic malignant melanoma. Melanoma Res 2003 ; 13 : 45-9. 15. Smit LH, Korse CM, Hart AA, Bonfrer JM, Haanen JB, Kerst JM, et al. Normal values of serum S-100B predict prolonged survival for stage IV melanoma patients. Eur J Cancer 2005 ; 41 : 386-92. Conflits d’intérêts : aucun. 16. Acland K, Evans AV, Abraha H, Healy CM, Roblin P, Calonje E, et al. Serum S100 concentrations are not useful in predicting micrometastatic disease in cutaneous malignant melanoma. Br J Dermatol 2002 ; 146 : 8325. Références 17. Egberts F, Momkvist A, Egberts JH, Kaehler KC, Hauschild A. Serum S100B and LDH are not useful in predicting the sentinel node status in melanoma patients. Anticancer Res 2010 ; 30 : 1799-805. 1. Belot A, Grosclaude P, Bossard N, Jougla E, Benhamou E, Delafosse P, et al. Cancer incidence and mortality in France over the period 1980-2005. Rev Epidemiol Sante Publique 2008 ; 56 : 159-75. 2. Balch CM, Buzaid AC, Soong SJ, Atkins MB, Cascinelli N, Coit DG, et al. Final version of the American joint committee on cancer staging system for cutaneous melanoma. J Clin Oncol 2001 ; 19 : 3635-48. 3. Aitchison TC, Sirel JM, Watt DC, MacKie RM. Prognostic trees to aid prognosis in patients with cutaneous malignant melanoma. Scottish Melanoma Group. BMJ 1995 ; 311 : 1536-9. [discussion 9-41]. 4. Becker D, Mihm MC, Hewitt SM, Sondak VK, Fountain JW, Thurin M. Markers and tissue resources for melanoma: meeting report. Cancer Res 2006 ; 66 : 10652-7. 5. Moore BW. A soluble protein characteristic of the nervous system. Biochem Biophys Res Commun 1965 ; 19 : 739-44. 18. Hill BR, Levi C. Elevation of a serum component in neoplastic disease. Cancer Res 1954 ; 14 : 513-5. 19. Agarwala SS, Keilholz U, Gilles E, Bedikian AY, Wu J, Kay R, et al. LDH correlation with survival in advanced melanoma from two large, randomised trials (Oblimersen GM301 and EORTC 18951). Eur J Cancer 2009 ; 45 : 1807-14. 20. Eton O, Legha SS, Moon TE, Buzaid AC, Papadopoulos NE, Plager C, et al. Prognostic factors for survival of patients treated systemically for disseminated melanoma. J Clin Oncol 1998 ; 16 : 1103-11. 21. Deichmann M, Benner A, Bock M, Jackel A, Uhl K, Waldmann V, et al. S100-beta, melanoma-inhibiting activity, and lactate dehydrogenase discriminate progressive from nonprogressive American joint committee on cancer stage IV melanoma. J Clin Oncol 1999 ; 17 : 1891-6. 6. Gaynor R, Irie R, Morton D, Herschman HR. S100 protein is present in cultured human malignant melanomas. Nature 1980 ; 286 : 400-1. 22. Mouawad R, Spano JP, Khayat D. Old and new serological biomarkers in melanoma: where we are in 2009. Melanoma Res 2010 ; 20 : 67-76. 7. Zimmer DB, Cornwall EH, Landar A, Song W. The S100 protein family: history, function, and expression. Brain Res Bull 1995 ; 37 : 41729. 23. Negrier S, Saiag P, Guillot B, Verola O, Avril MF, Bailly C, et al. Clinical practice guideline: 2005 update of recommendations for the management of patients with cutaneous melanoma without distant metastases (summary report). Bull Cancer 2006 ; 93 : 371-84. 8. Kruijff S, Bastiaannet E, Kobold AC, van Ginkel RJ, Suurmeijer AJ, Hoekstra HJ. S-100B concentrations predict disease-free survival in stage III melanoma patients. Ann Surg Oncol 2009 ; 16 : 3455-62. 24. Pons M, Mancheno-Corvo P, Martin-Duque P, Quintanilla M. Molecular biology of malignant melanoma. Adv Exp Med Biol 2008 ; 624 : 252-64. 9. Martenson ED, Hansson LO, Nilsson B, von Schoultz E, Mansson Brahme E, Ringborg U, et al. Serum S-100b protein as a prognostic marker in malignant cutaneous melanoma. J Clin Oncol 2001 ; 19 : 824-31. 156 25. Lescuyer P, Chevallet M, Rabilloud T. Concepts and therapeutic perspectives of proteomics. Med Sci (Paris) 2004 ; 20 : 587-92. 26. Greco M, Mitri MD, Chiriaco F, Leo G, Brienza E, Maffia M. Serum proteomic profile of cutaneous malignant melanoma and Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 2, mars-avril 2011 Protéomique sérique du mélanome relation to cancer progression: association to tumor derived alpha-Nacetylgalactosaminidase activity. Cancer Lett 2009 ; 283 : 222-9. 27. Wilson LL, Tran L, Morton DL, Hoon DS. Detection of differentially expressed proteins in early-stage melanoma patients using SELDI-TOF mass spectrometry. Ann N Y Acad Sci 2004 ; 1022 : 317-22. 28. Findeisen P, Zapatka M, Peccerella T, Matzk H, Neumaier M, Schadendorf D, et al. Serum amyloid A as a prognostic marker in melanoma identified by proteomic profiling. J Clin Oncol 2009 ; 27 : 2199-208. 29. Diamandis EP. Mass spectrometry as a diagnostic and a cancer biomarker discovery tool: opportunities and potential limitations. Mol Cell Proteomics 2004 ; 3 : 367-78. 30. Gillette MA, Mani DR, Carr SA. Place of pattern in proteomic biomarker discovery. J Proteome Res 2005 ; 4 : 1143-54. Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 2, mars-avril 2011 31. Li J, Orlandi R, White CN, Rosenzweig J, Zhao J, Seregni E, et al. Independent validation of candidate breast cancer serum biomarkers identified by mass spectrometry. Clin Chem 2005 ; 51 : 2229-35. 32. Zhang Z, Bast Jr. RC, Yu Y, Li J, Sokoll LJ, Rai AJ, et al. Three biomarkers identified from serum proteomic analysis for the detection of early stage ovarian cancer. Cancer Res 2004 ; 64 : 5882-90. 33. Pierce BL, Ballard-Barbash R, Bernstein L, Baumgartner RN, Neuhouser ML, Wener MH, et al. Elevated biomarkers of inflammation are associated with reduced survival among breast cancer patients. J Clin Oncol 2009 ; 27 : 3437-44. 34. Paulitschke V, Kunstfeld R, Mohr T, Slany A, Micksche M, Drach J, et al. Entering a new era of rational biomarker discovery for early detection of melanoma metastases: secretome analysis of associated stroma cells. J Proteome Res 2009 ; 8 : 2501-10. 157