Les marqueurs pronostiques circulants du mélanome

Transcription

Les marqueurs pronostiques circulants du mélanome
Synthèse
Ann Biol Clin 2011 ; 69 (2) : 151-7
Les marqueurs pronostiques circulants
du mélanome : profils protéomiques
et études cliniques
Circulating prognosis markers in melanoma: proteomic profiling
and clinical studies
Jérôme Solassol1
Bernard Guillot2
Thierry Maudelonde1
1 CHU de Montpellier,
Hôpital Arnaud-de-Villeneuve,
Laboratoire de biologie cellulaire et
hormonale, Montpellier
<[email protected]>
2 CHU de Montpellier,
Hôpital Guy-de-Chauliac,
Service de dermatologie,
Montpellier
Résumé. Le mélanome cutané est le plus grave des cancers de la peau en raison
notamment de sa capacité à métastaser. Plusieurs éléments cliniques (nombre
de ganglions lymphatiques envahis et/ou présence de métastases à distance) et
histopathologiques (profondeur de tumeurs et présences d’ulcérations) sont à la
disposition du clinicien pour déterminer le pronostic du patient et proposer une
prise en charge thérapeutique adaptée. Toutefois, ces facteurs demeurent souvent
insuffisants, notamment dans les formes précoces de mélanome. De nombreuses
recherches ont focalisé sur l’identification de marqueurs sériques pronostiques
efficaces. La seule indication d’un dosage sérique à avoir été intégrée dans la
dernière classification AJCC concerne celui de la lactate déshydrogénase, marqueur pourtant ancien, et se limite au pronostic des formes métastatiques de la
maladie. Le développement récent des technologies d’analyse du protéome offre
de nouvelles perspectives dans ce domaine. Cette revue résume les considérations propres à chaque technique protéomique utilisée jusqu’à ce jour, ainsi que
les résultats des dernières investigations cliniques réalisées pour l’identification
de biomarqueurs pronostiques sériques des mélanomes.
Mots clés : mélanome, pronostic, diagnostic, suivi pronostique
Abstract. Cutaneous melanoma is the most dangerous skin cancer because
of its ability to metastasize. Several clinical factors (number of invaded lymph
nodes and/or presence of distant metastases) and histopathology (depth of tumor
and presence of ulceration) are available to the clinician for determining prognosis and suggesting appropriate therapeutic management. However, these factors
are often insufficient, especially in early forms of melanoma. Much research has
focused on the identification of effective prognostic markers in serum. The only
serum marker, which has been incorporated into the current AJCC classification
for clinical use is lactate dehydrogenase dosage, a historical marker, restricted
to the prognosis of metastatic disease. The recent development of technologies
for proteome analysis offers new perspectives in this field. This review summarizes the specific considerations for each of the proteomic techniques used
to date and presents the results of recent clinical investigations conducted to
identify prognostic biomarkers in the serum of melanoma patients.
doi:10.1684/abc.2011.0523
Key words: melanoma, proteome analysis, diagnosis, prognosis
Le mélanome est une tumeur maligne cutanée développée
aux dépens des mélanocytes. Il s’agit de la plus sévère
des tumeurs cutanées malignes fréquentes. On enregistre
chaque année environ 133 000 nouveaux cas dans le monde,
Tirés à part : J. Solassol
touchant principalement les populations à peau blanche,
dans les pays où les rayonnements ultraviolets sont de forte
intensité. Durant les dix dernières années, l’incidence du
mélanome en France a augmenté d’un facteur de 3,16 pour
les hommes et de 2,25 pour les femmes entre 1980 et
2005 [1]. La mortalité liée au mélanome est également en
Pour citer cet article : Solassol J, Guillot B, Maudelonde T. Les marqueurs pronostiques circulants du mélanome : profils protéomiques et études cliniques. Ann
Biol Clin 2011 ; 69(2) : 151-7 doi:10.1684/abc.2011.0523
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Synthèse
augmentation, mais à un rythme plus lent que l’incidence.
La prise en charge thérapeutique du mélanome à un stade
précoce (stade I et II de l’American Joint Committee on
Cancer [AJCC]) est essentiellement chirurgical, avec un
taux de guérison à dix ans qui approche les 90 % [2]. Le
taux de guérison chute dramatiquement dans les formes
plus avancées avec un taux de survie moyen à cinq ans de
30 % pour les stades III AJCC [2]. Dans la maladie métastatique (stade IV AJCC), le taux de guérison devient inférieur
à 5 % [2]. Plusieurs facteurs cliniques (âge, localisation,
nombre de ganglions lymphatiques envahis et/ou présence
de métastases à distance) et histopathologiques (profondeur de tumeurs et présences d’ulcérations) sont utilisés
comme facteurs pronostiques [3]. Toutefois, l’épaisseur de
la tumeur primaire, mesurée en millimètre, encore appelée
indice micrographique de Breslow, reste le facteur pronostique indépendant le plus puissant dans le mélanome
localisé. La conduite thérapeutique à ce stade est d’ailleurs
en grande partie dictée par cet index. Malheureusement,
dans certains cas, il ne représente pas un indicateur suffisamment précis du comportement biologique de mélanome.
En effet, une minorité de patients atteints de mélanomes de
taille inférieure à 1 mm développeront une maladie métastatique [4]. Ainsi l’identification des mélanomes de faible
taille (< 1 mm) et de taille intermédiaires (2-4 mm), à fort
risque de métastases locales ou à distance, demeure un des
défis majeurs pour une prise en charge optimale et adaptée
de chaque patient.
Marqueurs tumoraux et mélanome
Le sang représente une source indiscutable de biomarqueurs
dont la présence peut être le reflet du processus néoplasique
chez un individu. Par définition, les marqueurs tumoraux
ne sont pas statiques et leur expression varie au fil du
temps, en fonction de l’état général du patient, de la progression tumorale et des traitements administrés. Durant
les différentes phases de la cancérogenèse, de nombreuses
molécules sont sécrétées soit directement par les cellules
tumorales ou les cellules du microenvironnement tumoral, soit indirectement au travers de phénomènes comme
la mort cellulaire (apoptose, nécrose) suite à la réaction du
système immunitaire ou l’action de molécules chimiothérapeutiques. Les molécules ainsi libérées peuvent diffuser
librement jusqu’à la circulation périphérique où elles y
sont potentiellement détectables. En dépit de l’importance
des recherches sur la détection de nouveaux biomarqueurs
associés à la prédiction du caractère agressif des mélanomes, peu d’entre eux ont été promus et recommandés
pour une utilisation en pratique clinique. Leur utilisation
est le plus souvent limitée au bilan initial de la maladie
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(valeur de référence), à l’évaluation de l’efficacité thérapeutique et à la surveillance d’une éventuelle récidive. Ainsi, les
marqueurs sérologiques les plus utilisés pour la détection
précoce d’une récidive locale ou métastatique dans le suivi
des patients atteints de mélanome sont la protéine S100␤
et la lactate déshydrogénase (LDH). La protéine S100␤ est
une protéine acidophile, dimérique, thermolabile, initialement mise en évidence dans le système nerveux central
de mammifères [5], puis plus tard dans des cultures de
mélanocytes [6]. Le nom « S100 » provient de la solubilité de la protéine dans du sulfate d’ammonium saturé à
100 % à pH neutre. Elle est composée de deux sous-unités
␣ (10,4 kDa) et ␤ (10,5 kDa) qui peuvent donner trois isoformes (␣/␣, ␤/␤ et ␣/␤). L’expression cellulaire diffère
selon chaque isoforme. Ainsi la protéine S100␤ est exprimée dans les mélanocytes, les cellules gliales, les cellules
de Schwann, les adipocytes, les chondrocytes et les cellules de Langerhans cutanées. Elle joue un rôle dans la
transduction du signal par l’intermédiaire de l’inhibition
de la phosphorylation des protéines et par la régulation des
activités enzymatiques. Elle est également impliquée dans
la régulation de la morphologie cellulaire en interagissant
avec les éléments du cytosquelette et dans l’homéostasie
du calcium intracellulaire [7]. Le dosage sérique de la protéine S100␤ se révèle être un indicateur de survie sans
récidive dans le mélanome [8]. Il est également un marqueur pronostique chez les patients au stade métastatique
[9-12]. En revanche, pour les stades I et II, et spécialement
chez les malades ayant déjà subi l’exérèse chirurgicale du
mélanome, on ne retrouve pas cette valeur pronostique [13].
Comme il existe une forte corrélation entre la concentration
sérique de la protéine S100␤ et la charge tumorale, il est
utilisé comme marqueur de surveillance de réponse au traitement chez les patients au stade métastatique [11, 12, 14].
Il n’est cependant pas un bon indicateur de réponse au traitement dans les stades I, II et III [15]. De plus, il a échoué
dans l’identification des patients avec des micrométastases
ganglionnaires détectées par la méthode du ganglion sentinelle [16, 17]. Le plus puissant marqueur pronostique dans
le mélanome métastatique est la LDH, un marqueur identifié
en 1954, aspécifique et augmentant en fonction de la charge
tumorale dans de nombreuses entités tumorales, incluant le
mélanome [18]. Sa concentration plasmatique semble être
un facteur pronostique indépendant pour les malades en
stade IV [19, 20]. Des études comparant LDH et S100␤ par
des analyses multivariées montrent que la concentration de
LDH est le facteur pronostique indépendant le plus puissant
dans les stades IV de mélanome [21]. Ainsi, en raison de
son statut pronostique, de sa méthode de détection facile, la
concentration sérique de LDH est le seul marqueur moléculaire à avoir été inclus dans la classification actuelle du
mélanome de l’AJCC (sixième édition) pour les stades IV
de mélanome [2].
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Protéomique sérique du mélanome
De nombreux autres marqueurs sériques ont été étudiés
[22]. Parmi eux, on peut citer les antigènes associés au
mélanome (melanoma inhibiting activity, neurone specific
enolase, lipid-bound sialic acid-P), les dérivés de la différenciation mélanocytaire (tyrosinase), de l’angiogenèse
tumorale (vascular endothelial growth factor, interleukine
8 [IL-8]), des molécules d’adhésion (intercellular adhesion
molecule 1, soluble vascular cell adhesion molecule-1, certaines métalloprotéases), des cytokines (IL-6, IL-10), des
antigènes de présentation (antigènes membranaires HLA
de classe I), ou d’autres difficiles à classer comme le
tumour-associated antigen 90 immune complex et le YKL40. Aucun de ces marqueurs n’a montré de supériorité à la
protéine S100␤ ou au LDH comme facteur pronostique des
stades métastatiques de mélanome. Aucun marqueur n’a
montré de qualités suffisantes pour le dépistage, le diagnostic précoce et le suivi des stades I, II, ou III, y compris
la protéine S100␤ ou les LDH.
Au final, il n’existe à ce jour aucun marqueur tumoral validé
pour le mélanome non métastatique et les recommandations d’experts français ne préconisent pas l’utilisation de
marqueurs biologiques spécifiques dans le bilan initial ou
dans les bilans de suivi d’un patient atteint de mélanome
non métastatique [23]. Devant ce constat, de nouvelles
orientations ont été prises dans la recherche de nouveaux
marqueurs pronostiques et parmi elles, la détermination de
profils protéiques sériques semble prometteuse.
Marqueur tumoral ou signature
moléculaire ?
Bien que le caractère monoclonal d’une tumeur soit
largement admis, l’instabilité génétique des cellules néoplasiques est à l’origine de l’apparition et de la coexistence de
variants du clone initial. Celle-ci explique l’hétérogénéité
tumorale phénotypique et génotypique souvent observées
en cancérologie et notamment pour le mélanome [24].
Ainsi, si un seul marqueur ne peut refléter de façon objective l’hétérogénéité tumorale, on peut concevoir qu’une
combinaison de marqueurs permette une caractérisation
plus fine du processus biologique en cours. C’est à partir de ce concept qu’ont été développés de nouveaux types
d’approche. Elles se focalisent non plus sur l’identification
d’un marqueur unique mais sur la mise en évidence de plusieurs marqueurs co-exprimés, permettant ainsi d’établir
un profil protéique, véritable « carte d’identité » des
tumeurs. Des études sur l’analyse du protéome tumoral et
l’établissement de nouvelles signatures moléculaires corrélées aux données cliniques et anatomo-pathologiques ont
été récemment reportées. Elles devraient permettre de voir
émerger dans l’avenir de nouveaux tests pronostiques en
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cancérologie, que ce soit pour proposer une prise en charge
personnalisé du patient ou pour améliorer nos possibilités de prédiction de l’évolution d’un patient porteur d’un
mélanome.
Principes des différentes techniques
d’analyse protéomique
La protéomique correspond à l’analyse de l’ensemble des
protéines présentes dans un échantillon biologique. En fait,
bien plus que l’analyse de l’ensemble des protéines, il
s’agit plus réalistement de l’analyse des protéines pouvant
être mises en évidence par les approches technologiques
actuelles. On distingue de façon conceptuelle deux grands
types d’analyses en protéomique : la protéomique descriptive et la protéomique fonctionnelle. La protéomique
descriptive inclut une dimension qualitative, en tentant de
déterminer quelles sont les protéines exprimées, et une
dimension quantitative au travers de la détermination du
niveau d’expression de ces protéines. La protéomique fonctionnelle s’intéresse à la fonction des protéines en tentant
d’analyser :
– les molécules interagissant avec des protéines d’intérêt
(protéomique d’interaction) ;
– les modifications structurales en fonction de leur activité
(protéomique structurale).
La plupart des études portant sur l’indentification de
nouveaux biomarqueurs en cancérologie font appel à la
protéomique descriptive d’expression.
Méthode d’analyse protéomique
par électrophorèse dimensionnelle
et spectrométrie de masse
Parmi les premières approches utilisées, on retrouve les
analyses en électrophorèse bidimensionnel couplée à la
spectrométrie de masse (MALDI-TOF) [25]. Brièvement, il
s’agit d’une série d’expérimentations permettant de séparer les protéines présentes dans un échantillon protéique
complexe, puis d’identifier les protéines « cibles » par la
détermination de leur masse. La première étape est la phase
d’extraction des protéines du liquide biologique ou d’un
tissu, phase délicate et limitante du fait de la dégradation
possible de ces protéines lors de cette phase. La phase
de séparation résolutive fait appel à l’électrophorèse bidimensionnelle qui sépare les protéines en les faisant migrer
dans deux dimensions en fonction de leur charge ou point
isoélectrique et de leur taille ou poids moléculaire. Par
cette approche, on obtient une véritable carte protéique
de l’échantillon étudié. Cette carte peut alors être analysée au moyen d’outils bio-informatiques permettant la
comparaison des cartes protéiques entre elles. Après leur
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Synthèse
extraction du gel puis leur digestion et leur clivage spécifique par la trypsine, ces protéines peuvent être identifiées
par Matrix-Assisted Laser Desorption/Ionisation - TimeOf-Flight (MALDI-TOF), spectromètre de masse, qui
génère des spectres permettant de déterminer la masse
des peptides ainsi obtenus. La dernière étape consiste en
l’interprétation de ces spectres pour conclure à l’identité
de la protéine explorée par comparaison avec des bases de
données bio-informatiques (type Swiss-prot).
Méthode d’analyse protéomique
par puces à protéines
Des avancées récentes en spectrométrie de masse ont ouvert
des perspectives intéressantes pour l’identification de nouveaux marqueurs tumoraux. Parmi celles-ci, la plateforme
Surfaced-Enhanced Laser Desorption/Ionization - TimeOf-Flight (SELDI-TOF) a présenté des avantages par
rapport aux autres techniques disponibles, notamment en
raison de sa simplicité d’utilisation, de sa sensibilité et de
sa capacité d’analyse à haut débit des échantillons. Cette
technique permet la séparation, la détection et l’analyse
de protéines directement à partir de l’échantillon biologique avec une sensibilité de l’ordre de la femtomole.
Ce système adapté aux contraintes cliniques associe des
puces à protéines en tant que méthode initiale de séparation et d’isolement des protéines, à une caractérisation
plus ou moins poussée de ces protéines par spectrométrie
de masse. Cette technique permet ainsi une vue globale du contenu protéique de l’échantillon analysé sans
donner aucune information sur l’identité des protéines.
Plusieurs étapes se succèdent dans l’analyse des échantillons par SELDI-TOF : la première étape consiste à
déposer quelques mg de protéines de l’échantillon biologique complexe à analyser sur une surface de 2 mm2 (spot
ou puce) présentant des propriétés chromatographiques
variées, permettant leur adsorption. Le mélange protéique
subit alors un fractionnement qui dépend de ses propriétés physicochimiques (puces analytiques) ou biologiques
(puces fonctionnelles) de la surface chromatographique utilisée. La puce est analysée en spectrométrie de masse. Après
ionisation et désorption des protéines sous l’effet d’un laser,
on obtient un spectre de masse représentant l’intensité
des protéines fixées sur la puce en fonction de la masse
sur charge (m/z). Cette technologie se différencie ainsi
de l’approche gel 2D en s’émancipant de l’électrophorèse
bidimensionnelle en intégrant une phase séparative, et en
générant des profils protéiques au lieu d’une empreinte peptidique. Ces spectres sont ensuite normalisés et calibrés
afin de limiter les différents biais dus à l’instrumentation
ou à l’expérimentateur. La combinaison des différentes
surfaces chromatographiques disponibles permet d’obtenir
une vue d’ensemble des peptides et protéines présents
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dans un échantillon donné. L’analyse différentielle et statistique plus poussée de l’ensemble de ces données est
l’une des étapes les plus importantes dans l’étude protéique et permet de comparer des données issues d’un
groupe témoin et d’un groupe pathologique. Des analyses
statistiques multivariées permettent de traiter plusieurs centaines de spectres à partir d’algorithmes informatiques,
d’analyser des données complexes et d’extraire la meilleure
combinaison de marqueurs capable de différencier les
groupes.
Ainsi, cette plateforme présente de nombreux avantages
et notamment en pratique clinique. Elle permet en effet
de comparer des profils protéiques entre eux et les différences d’expression vont « signer » une situation biologique
particulière.
Marqueurs pronostiques du mélanome
et protéomique
Récemment, Greco et al. ont étudié les cartographies protéiques sériques de 50 patients présentant un mélanome
afin de mettre en évidence plusieurs protéines dont la
présence était corrélée à la progression tumorale [26].
Après déplétion en albumine, les sérums ont été analysés
par électrophorèse bidimensionnelle. Parmi les protéines
identifiées, la transthyrétine et l’angiotensine montraient
des niveaux d’expression augmentés dans le mélanome
comparativement aux sujets contrôles alors que la vitamine
D binding protein (DBP) était au contraire diminuée. Cette
baisse s’explique par l’augmentation de l’activité enzymatique de l’␣-N-acétylgalactosaminidase (NAGA) par les
cellules tumorales et son rôle dans la glycosylation de DBP.
Une fois DBP glycosylée, l’activation des macrophages ne
peut se faire rendant la réponse immune primaire inefficace et favorisant la prolifération des cellules néoplasiques.
Enfin, l’augmentation de l’activité enzymatique de NAGA
était fortement corrélée à l’indice de Breslow. De plus, elle
diminuait significativement après exérèse chirurgicale de la
tumeur, confortant le caractère pronostique de ce nouveau
paramètre.
Les études des profils protéiques ont été initiées par l’équipe
de Hoon [27]. Dans cette étude pilote, les profils protéiques
de patients ayant développé une récidive ganglionnaire ou
métastatique (n = 25) ont été comparés à ceux de patients
sans récidive (n = 24), avec un recul de cinq ans pour les
deux groupes. Les prélèvements sériques étaient réalisés
au moment du diagnostic, lésion en place. L’acquisition du
signal et le traitement des données ont permis d’identifier
plusieurs pics protéiques dont trois étaient discriminants
pour préjuger de la récidive, avec une sensibilité de 72 %
(18/25) et une spécificité de 75 % (18/24). Caputo et al.
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Protéomique sérique du mélanome
ont réalisé une étude similaire portant sur l’analyse des
profils d’expression protéiques sériques de 205 patients,
101 patients atteints de mélanome au stade précoce (stade I
de l’AJCC) et 104 sérums de patients au stade métastatique
(stade IV de l’AJCC). Une première analyse a consisté à
comparer, à l’aide de tests monoparamétriques (F test ou
test de Student), les profils protéiques de l’ensemble des
patients métastatiques et ceux des patients sans métastase.
Une seule protéine de 11 700 Da permettait de distinguer les
deux groupes. Par la suite, une analyse multiparamétrique
de type artificial neural networks (ANN) a été réalisée sur
les pics différentiellement exprimés. Trente-deux réseaux
neuronaux différents ont ainsi été obtenus, permettant de
classer correctement 84/96 (88 %) sérums. Une seconde
étape a consisté à étudier les profils protéiques sériques
de 55 patients de stade III avec progression ou sans progression à un an dans le but de prédire une récidive. Les
résultats ont montré que 44/55 (80 %) sérums étaient correctement assimilés au groupe progression ou absence de
progression, après analyse statistique par validation croisée.
De plus, 23/28 (82 %) patients de stades III en progression
étaient correctement identifiés, alors que seul 6/28 (21 %)
patients l’étaient par le dosage de la protéine S100␤. Très
récemment, la même équipe a confirmé ces données par
l’identification de la protéine de 11 700 Da. Il s’agit de la
sérum amyloïde A (SAA) [28]. Dans une population indépendante de 379 patients (stage I = 98 ; stage II = 91 ; stage
III = 87 ; stage IV = 103), les concentrations de SAA étaient
comparées à celles de la S100␤ et de la LDH. Les valeurs de
SAA étaient significativement plus élevées dans les stades
avancés que dans les stades précoces (stage I versus III ;
p = 0.043 et stage IV ; p = 0,000083). De plus, associée au
dosage d’une seconde protéine pro-inflammatoire, la protéine C réactive, les auteurs ont montré que cette association
permettait d’obtenir des valeurs de sensibilité et de spécificité sur la survie sans progression et la survie globale
supérieure au S100␤.
Limites des approches
de type profiling
Les approches de type profiling ont soulevé un certain
nombre de critiques, notamment sur leurs limitations réelles
ou supposées [29, 30]. La première critique porte sur le
manque de reproductibilité entre les études publiées utilisant la même technologie, conduisant à l’identification
d’algorithmes de pics différents. Une des explications est
le manque de reproductibilité des modes de recueil, de
conservation et de traitement des échantillons. En effet, il
est clairement établi que la moindre déviation du protocole
peut modifier les résultats [31]. Cela souligne la nécessité
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d’une standardisation de la technique afin homogénéiser le
plus possible les résultats. On rappellera que l’étude multicentrique impliquant cinq centres indépendants sur les
cancers de l’ovaire a montré des profils superposables et
reproductibles grâce à la validation et standardisation des
paramètres [32]. La deuxième critique majeure concerne la
difficulté de détection des protéines très faiblement exprimées dans le sérum. Ainsi, parmi les protéines identifiées
dans différents études différentielles par SELDI-TOF, on
retrouve des chimiokines, des cytokines, des fragments
d’immunoglobulines, des facteurs de croissance ou d’autres
médiateurs connus pour être dérégulés dans les cancers.
Même s’il est vrai que la plupart de ces protéines sont
produites par l’organisme en réponse à une inflammation, à l’état général du patient et sans spécificité pour
le cancer, elles ne doivent pas être négligées pour autant.
Elles peuvent en effet être le reflet indirect d’une réaction
d’inflammation locale persistante, d’une hypercoagulation
ou d’autres épiphénomènes associés au développement
néoplasique. Ainsi, Pierce et al. ont récemment montré que
la SAA et la CRP pouvaient être proposées comme marqueurs pronostiques potentiels chez les patients présentant
un cancer du sein [33].
Conclusion et perspectives
Le faible nombre de résultats obtenus jusqu’à présent
par l’analyse du sérum dans le mélanome peut probablement s’expliquer par les difficultés techniques attribuables
à l’analyse de ce fluide biologique. En effet, contrairement à d’autres fluides, le sérum contient des protéines
majoritaires en grande quantité (dont les sept plus importantes représentent plus de 90 % des protéines sériques)
qui gênent considérablement l’identification de protéines
de plus faible abondance. Afin de contourner ce problème, des alternatives ont été développées. Elles ont pour
principe :
– l’identification première des protéines d’intérêt par
l’analyse du tissu tumoral ou d’un matériel biologique
proche, comme des modèles de cultures cellulaires ou des
tissus animaux ;
– leur validation en tant que biomarqueurs par l’analyse
des sérums à partir de techniques plus conventionnelles de
type immuno-essai.
À ce titre, l’étude du sécrétome de cellules tumorales
semble être d’un grand intérêt. En effet, très récemment,
l’équipe de Gerner a pour la première fois proposé l’analyse
protéomique comparative des sécrétomes de lignées de
mélanocytes humains et de mélanomes [34]. Plusieurs centaines de protéines ont pu être identifiées. Parmi elles, la
protéine epididymis-specific glutathione peroxidase-like, la
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Synthèse
périostine et la stanniocalcine-1 ont été retrouvées dans
le surnageant de cellules. Bien que leur présence dans le
sérum de patients porteurs d’un mélanome n’ait pas été
recherchée dans cette étude, il n’en demeure pas moins que
l’identification de protéines sécrétées peut être considérée
comme une source de biomarqueurs non négligeable.
En conclusion, il est clair que de larges études multicentriques indépendantes sont encore essentielles avant qu’une
place ne puisse être attribuée à un nouveau facteur sérique
pronostique du mélanome. Toutefois, les premiers résultats des études protéomiques permettent de présager une
poursuite de ces investigations dans le futur dans une pathologie où les marqueurs sériques efficaces font cruellement
défaut. Elles se feront très probablement par l’utilisation
des dernières avancées technologiques en protéomique
associant un haut degré de fractionnement par chromatographie en phase liquide et isoélectrofocalisation en milieu
liquide à des spectromètres de masse de seconde génération
(MALDI-TOF/TOF, QTOF. . .).
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