Discovery, e-discovery et arbitrage international

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Discovery, e-discovery et arbitrage international
Discovery, e-discovery et arbitrage international
La conception française de l’arbitrage international se singularise par son extrême flexibilité,
puisque les parties peuvent façonner la procédure arbitrale en fonction de leurs besoins. Cette
flexibilité connaît-elle des limites, et notamment en ce qui concerne les questions d’administration
de la preuve ? Est-il possible d’introduire le procédé de common law qu’est la discovery voire la ediscovery ?
Après une présentation de la procédure de discovery (Propos introductifs) et une étude sur sa
potentielle compatibilité avec l’arbitrage international (Partie I), sera abordé le sort de la ediscovery (Partie II).
Propos introductifs : présentation de la discovery et de la disclosure
Il convient de différencier la procédure de discovery américaine de l'anglaise. La première
est définie dans les règles 26 à 37 du Federal Rules of Civil Procedure (FRCP) et reprise presque à
l’identique dans la plupart des Etats américains. Quant à la seconde, elle est inscrite dans le Civil
Procedure Rules (CPR) Part 31 et les Practice Directions qui y sont attachées.
La procédure américaine
Les avocats instruisent la cause. Ils enquêtent sur les faits et les développent principalement
avant le commencement du procès. Cette phase est la pre-trial discovery. Elle prend généralement
trois formes. La plus importante est la deposition, c'est-à-dire un interrogatoire formel des potentiels
témoins. Elle est conduite sous serment en présence des avocats des parties présentes. La seconde
est l’interrogatoire, où des questions écrites sont posées à la partie adverse dans le but de définir les
faits qui fondent la demande ou la défense. En dernier lieu seulement apparait la request for
production, correspondant à la production de documents et autres pièces relatives au litige en cours.
Les parties n’ont pas l’obligation de présenter de manière spontanée les informations
nécessaires au développement du litige avant le procès, à moins que la partie opposée n'ait
expressément formulée une requête pour la production de telle ou telle information. Les juges ne
sont généralement pas impliqués dans la conduite de la procédure. Ils interviennent uniquement
quand l’un ou l’autre des protagonistes refuse de répondre à une requête spécifique.
La règle 26(b)(1) du FRCP prévoit qu’une partie peut obtenir toutes informations pertinentes
non soumises à un privilège légal. Le caractère de la pertinence est par la suite défini et inclut les
preuves qui ne seraient pas admissibles au procès mais qui, selon un calcul raisonnable, semblent
conduire à la découverte de pièces, qui elles, le seraient. La discovery américaine a donc un champ
d’application très large, permettant trop aisément les fishing expedititon, c’est-à-dire la formulation
de requêtes spéculatives dans le but de recueillir des informations qui n'ont aucun réel impact sur
l'issue de l'affaire.
La procédure anglaise : la disclosure
A l’instar de la procédure américaine, les parties instruisent l'affaire principalement avant le
commencement du procès. En revanche, la disclosure, qui est essentiellement axée sur la
production documentaire, s’éloigne de son homologue sur certains aspects. Alors qu’OutreAtlantique l'un attend les requêtes de l'autre, en Angleterre la disclosure est pro-active. En effet, les
parties, après avoir effectuées des recherches, déterminent quels seront les documents pertinents
pour l'issue de l'affaire et rédigent par la suite une liste qui prend la forme d'un affidavit. Une
réponse incomplète relèverait du parjure, entrainant ainsi la responsabilité de l'auteur. Le
destinataire de la disclosure a le droit d'inspecter les documents figurant sur la liste et d'en faire des
copies, exceptées les hypothèse où (i) la partie ayant fourni ladite liste déclare qu'elle n'a plus le
document requis en sa possession1, où (ii) elle déclare que le document est hors du champ de la
disclosure en raison d'un privilège légal, enfin, où (iii) la divulgation du document serait
disproportionnée par rapport aux questions que soulève le litige. On a ainsi en droit anglais une
notion de proportionnalité – présente également en droit américain toutefois à un degré
considérablement moindre – qui permet de limiter les fishing expeditions. Ces dernières sont
également réduites par le fait que la règle 31.6 du CPR restreint la disclosure aux documents qui
sont directement liés à la résolution du litige en cours, excluant ceux qui pourraient seulement
conduire à la découverte de documents affectant le litige tel que le prévoit la discovery américaine.
A coté de la question de l’accueil de la procédure de discovery au sein d’un l’arbitrage
international (Partie I) se pose aujourd’hui celle de la place de la e-discovery dans ce mode de
résolution des conflits (Partie II).
Partie I : La procédure de Discovery dans l’arbitrage international
L’un des grands principes de l’arbitrage international est celui de l’autonomie des parties
dans le choix de la loi applicable. Ce principe, universellement reconnu, vaut aussi bien pour la loi
applicable au fond que celle applicable à la procédure arbitrale. Les divergences se situent quant à
cette dernière dans le silence des parties.
L'article 1509 du Code de procédure civile dispose que,
« [l]a convention d'arbitrage peut, directement, ou par référence à un règlement
d'arbitrage ou à des règles de procédure, régler la procédure à suivre dans
l'instance arbitrale. »
Si les parties songent de plus en plus à désigner une loi applicable au fond, en revanche,
elles restent généralement muettes sur celle applicable à la procédure. Or les règles de procédures
relatives à l’administration de la preuve sont essentielles, car c’est évidemment en fonction des
preuves présentées que le tribunal arbitral rendra sa sentence.
1
Le terme contrôle est en réalité utilisé.
La discovery, qui est une méthode d’administration de la preuve, soulève quelques
interrogations quant à son application dans le contexte d’un arbitrage international. Il convient de
distinguer selon que l'on soit avant ou après la phase de constitution du tribunal arbitral.
La discovery après la constitution du tribunal arbitral – la standard discovery
Lorsque les parties choisissent la procédure applicable il faut à nouveau distinguer selon que
l’on soit dans un arbitrage institutionnel ou ad hoc où la place laissée au choix des parties est
prédominante.
Arbitrage ad hoc
Les parties peuvent déterminer la procédure applicable au moment de la rédaction de la
convention d’arbitrage ou de l’acte de mission du ou des arbitres. Néanmoins, lorsque l’on attend
que le tribunal soit constitué pour sélectionner la loi procédurale, les parties qui sont déjà dans un
rapport conflictuel, rencontrent de grandes difficultés pour se mettre d'accord ne serait-ce que sur
un principe. Cette complication se présente également lorsque la convention d’arbitrage résulte d’un
compromis. En revanche lors de la rédaction du contrat principal qui liera les parties, celles-ci sont
a priori en bon terme et peuvent plus aisément trouver un terrain d’entente. Il serait donc préférable
qu’à ce stade là les conseils des parties prévoient une loi, une règle de droit, ou à défaut un principe
applicable à la procédure arbitrale et plus précisément à la production de preuves. Ceci est d’autant
plus souhaitable que l’arbitre sera tenu de respecter la clause compromissoire valide.
En pratique, l’une, voire les deux parties ne sont que partiellement favorables à la procédure
de discovery dans le contexte d'un arbitrage international. Les acteurs économiques provenant d’un
pays de Common Law choisissent de recourir à l’arbitrage parfois justement en raison de
l’exclusion de principe de la procédure de discovery car il s’agit d’un processus long, couteux et qui
comporte un risque pour le secret des affaires. De plus, il est évidemment logique qu’une partie ait
des réticences à transmettre spontanément à l’adverse un document l’incriminant. Cependant, la
procédure de discovery peut s’avérer très utile notamment lors d’un conflit international où les
preuves sont difficiles à obtenir. Ainsi, avoir une procédure facilitant le rassemblement des preuves
est largement souhaitée. En réalité, ce que les parties redoutent le plus, qu’elles soient de tradition
civiliste ou de Common Law, ce sont les fishing expeditions engendrées par une demande de
production trop large ainsi que les coûts qu’entrainent de telles demandes. La pratique de l’arbitrage
international tente alors de trouver un compromis fonctionnel entre les techniques de preuve de
droit civil et de Common Law afin d’aboutir à une justice efficace sans rendre le processus trop
lourd2.
Lorsque l’on mentionne la discovery, l’on pense tout de suite aux excès de la procédure
américaine. Or la disclosure anglaise est un compromis intéressant puisque seules les pièces
pertinentes pour la résolution du litige peuvent être demandées à la partie adverse. En outre, ce sont
les parties qui établissent la liste des documents qu’elles ont en leur possession ce qui amoindrit
2
Sent. CCI n° 8694, rendue en 1996, JDI 1997, p. 1056, note Y. Derains.
probablement le sentiment d’intrusion du tiers, cocontractant ou non, dans la vie de son entreprise.
Les parties souhaitant une discovery américaine « allégée » pourraient dès lors stipuler dans leur
convention d’arbitrage ou dans l’acte de mission de l’arbitre que le CPR anglais sera applicable à
l'administration de la preuve.
Il est également possible pour les parties, de demander, en lieu et place d'une loi nationale,
l’application de règles établies spécialement pour l’arbitrage international telles les IBA Rules on
the Taking of Evidence in International Commercial Arbitration (Règles IBA). Ce qui, en pratique
est souvent le cas. Elles ont été adoptées le 1er juin 1999 par l'International Bar Association (IBA) et
la version actuelle est en vigueur depuis le 29 mai 2010. Les Règles IBA constituent un parfait
exemple de compromis entre les traditions civilistes et de Common Law. En effet le premier article
de son préambule est ainsi rédigé :
« [l]es présentes Règles IBA sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage
international ont pour objectif d’établir une procédure efficace, économique et
équitable d’administration de la preuve dans l’arbitrage international, en particulier
pour des parties de traditions juridiques différentes. Elles sont conçues pour
compléter les dispositions légales et les règlements institutionnels, ad hoc ou autres
pouvant s’appliquer au déroulement de l’arbitrage.»
Le second point du préambule prévoit que les parties ou le tribunal arbitral peuvent adopter
les Règles IBA en totalité ou partiellement seulement. En conséquence, il est possible d’écarter un
ou plusieurs articles afin de se façonner une méthode de production des preuves en adéquation avec
le litige et les traditions procédurales des parties et des arbitres.
Les règles relatives à la production documentaires sont énoncées dans l’article 3 des Règles
IBA et celles concernant la recevabilité des preuves en son article 9.
L’article 9(2) prévoit l’irrecevabilité des documents qui ne sont pas pertinents au regard des
questions soulevées par le litige ou de la solution du différend. On se rapproche sur ce point de la
disclosure anglaise. Par le choix de ces règles on évite également la dérive de la discovery
américaine qu’est la fishing expedition.
Le règlement de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International
(CNUDCI) est également souvent appliqué. Sa section III traite de la procédure arbitrale et ses
dispositions se rapprochent de la tradition civiliste concernant l’administration de la preuve. En
effet, son article 24 prévoit que chaque partie apportera la preuve des faits sur lesquels elle fonde sa
requête ou sa réponse, et qu’à tout moment de la procédure, le tribunal arbitral pourra demander aux
parties de produire des preuves complémentaires, en leur fixant un délai à cet effet.
Les parties ont la possibilité de demander l’application du règlement d’une institution
arbitrale en dehors de tout arbitrage institutionnel. Tel le règlement de la Chambre de Commerce
Internationale (CCI). Elles peuvent l’utiliser tel quel ou le compléter.
Arbitrage institutionnel
La question qui va ici se poser est de savoir dans quelle mesure les parties peuvent avoir
recours à la procédure de discovery. Effectivement, le choix d’un tel arbitrage emporte la
soumission au règlement de l’institution. Aujourd’hui beaucoup de règlements d’arbitrage
proposent une procédure plus ou moins détaillée. En pratique les parties mais aussi les arbitres sont
encore une fois libres de compléter ce règlement. L’article 19 du règlement CCI dispose que,
« la procédure devant le tribunal arbitral est régie par le Règlement et, dans le
silence de ce dernier, par les règles que les parties, ou à défaut le tribunal arbitral,
déterminent, en se référant ou non à une loi nationale de procédure applicable à
l’arbitrage.»
Ainsi les parties peuvent compléter le règlement en désignant par exemple le CPR anglais pour les
règles relatives à l’administration de la preuve.
S'il est permis de combler les lacunes du règlement d’une institution, est-il possible
d'écarter, en tout ou partie, les règles relatives à l'administration de la preuve, afin de les remplacer
par celles de la discovery que ce soit par l’intermédiaire d’une loi nationale ou en énonçant la
volonté de soumettre la procédure au principe de la discovery ? Cette dernière éventualité
impliquant qu’un tel principe existe, ce qui en soi pose la question de son contenu : s’agit-il d’une
discovery à l’américaine, à l’anglaise ou à mi-chemin ? En définitive, il reviendra aux arbitres
d'établir le contour du procédé de production documentaire en fonction de l’objet du litige et des
règles qui leur auront été imposées. De ce fait, la personnalité des arbitres, et surtout du président
du tribunal arbitral, ainsi que les origines juridiques des conseils influeront grandement sur le tour
que prendra la procédure3.
Lorsque la procédure de discovery sera utilisée que ce soit à la demande des parties ou à
l’initiative du tribunal arbitral, ce dernier va généralement adopter une solution à mi-chemin entre la
procédure américaine et les traditions civilistes en admettant une discovery « limitée » en ce sens
que seule la production des documents pertinents et déterminants pour l’issue de l’affaire sera
autorisée excluant les documents qui pourraient seulement conduire à la découverte d'informations
pertinentes, tel que le permet le droit américain dans son Federal Rules of Civil Procédure.
Il faut rappeler que si les arbitres n’ont pas l’imperium et donc le pouvoir d’ordonner
l’exécution forcée de la délivrance de document à une partie, ils peuvent en revanche tirer toutes
conclusions de la réticence d’une partie à en fournir un4 et peuvent également assortir la demande
de production de document d'une astreinte5.
La pre-trial discovery, L’instruction in futurum et le référé pré-arbitral
3
4
5
Tim Portwood et Raëd Fathallah, “Arbitrage et garantie de passif : questions de preuve et de procedure”, Dossier,
Arbitrage et garantie de passif, Lamyline, Droit et Patrimoine 2008 n°166, 01/2008.
Voir l'ordonnance rendue le 7 octobre 1993 dans l'affaire CCI7078.
Voir l’article 1467 du Code de procédure civile.
Le cœur de la procédure de discovery, que ce soit aux États-Unis ou en Angleterre, réside
dans la phase précédant le procès qu'est la pre-trial discovery.
L’intérêt d’un tel processus dans un arbitrage international, est de permettre aux parties de
mieux se préparer et ainsi d’accélérer la procédure arbitrale qui doit répondre à un principe
universel de célérité, récemment inséré dans le Code de procédure civile français en son article
1464 alinéa 3, par le décret du 13 janvier 2011.
La pre-trial discovery peut également permettre de réduire les coûts du litige. En effet, si les
parties doivent assembler puis échanger leurs documents avant toute constitution du tribunal
arbitral, elles pourront se rendre compte, pour l’une, s'il n’y a pas assez de preuves pour obtenir une
condamnation, ou si au contraire, pour l’autre, il y en a trop et qu’elles sont vraiment accablantes
l’incitant ainsi à trouver un accord.
En pratique, pour obtenir des documents avant la constitution du tribunal arbitral, une partie
pourra utiliser, soit la procédure de l'article 1449 du Code de procédure civile relative aux
instructions in futurum, soit le référé pré-arbitral proposé par la CCI6. Elles ont également la
possibilité de recourir à la section 1782 du Titre 28 du code des États-Unis lorsque les documents
souhaités se trouvent sur le sol américain. Enfin l'on pourrait considérer l'éventualité pour les
cocontractants de prévoir, sur le modèle des affidavits anglais précités, une section à l'intérieur de la
clause compromissoire stipulant qu'une liste des documents pertinents pour la résolution du litige
sera donnée à la partie adverse entre la naissance du litige et le début de la procédure arbitrale.
L'instruction in futurum
Avant la réforme de 2011 la jurisprudence a reconnu au juge étatique le pouvoir d'ordonner
des mesures d'instruction in futurum sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile7
tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué8 et à condition que l'urgence soit démontrée9.
Aujourd’hui l'article 1449 du même Code de procédure civile prévoit cette mesure dans les mêmes
conditions. La demande de production de document se fera devant le juge d'appui sur requête ou en
référé. C'est généralement la forme de la requête qui est usitée car le principe du contradictoire ne
s'applique pas, c'est-à-dire que le juge pourra statuer en l'absence de la partie adverse. L'ordonnance
lui sera signifiée par la suite. Elle pourra alors exercer un recours contre l'ordonnance du juge. Cette
procédure s'explique par un souci de conservation des preuves. La différence avec la pre-trial
discovery américaine et anglaise est donc la condition d'urgence. La question est alors de savoir
quand est-ce qu'il y aura urgence.
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Pour les contrats conclus après l’entrée en vigueur du Règlement de 2012 de la CCI, il faudra utiliser la procédure
d’arbitrage d’urgence prévue à l’article 29 du Règlement.
Civ. 2·, 11 oct. 1995, RTD com. 1996. 664, obs. E. Loquin.
Civ. 1 '·,6 déc. 2005, J C P E 2005. 1284, obs. G . Chabot ; D. 2006. 274, note P.-Y. Gautier, et 3031, obs. T. Clay ;
RTD civ. 2006.144, obs. P. Théry ; RTD com. 2006. 299, obs. E. Loquin.
Civ. 2·, 2 avr. 1997, Rev. arb. 1998.673, note L. Degos; RTD civ. 1999. 177, obs. J. Normand ; RTD com.
1997.434, obs. J.-c. Dubarry et E. Loquin ; Com. 29 juin 1999, D. 1999. 649, note 1. Najjar ; RTD com. 2001. 56,
obs. E. Loquin.
Le référé pré-arbitral de la CCI
Ce référé repose sur un Règlement spécifique entrée en vigueur le 1er janvier 1999 et distinct
des Règlements d’arbitrage de 1988 et 1998. Afin d’en bénéficiez les cocontractants devaient
l’avoir expressément prévu au sein de leur contrat. Cette condition explique le faible succès de ce
procéder.
A l’occasion de sa réforme, un arbitrage d’urgence a été intégré dans le nouveau Règlement.
Celui-ci établi une procédure automatiquement disponible dès lors que le contrat a été conclu après
son entrée en vigueur, le 1er janvier 2012.
L’article 29.1 du Règlement d’Arbitrage et d’ADR de 2012 dispose que,
« toute partie sollicitant des mesures conservatoires ou provisoires urgentes qui ne
peuvent attendre la constitution d'un tribunal arbitral (« mesures d'urgence ») peut
déposer une requête à cette fin conformément aux Règles relatives à l'arbitre
d'urgence de l'Appendice V.[…] » .
La condition d'urgence est à nouveau centrale. Cependant le Règlement n'en donne aucune
définition. Il faut noter que cet arbitrage d’urgence est également disponible en dehors d'un
arbitrage CCI.
L'utilisation de la section 28 USC 1782
La section 1782 du Titre 28 du Code des États-Unis permet aux plaideurs étrangers
d’obtenir, au moyen d’une procédure simplifiée, du juge américain qu’il ordonne à une partie
établie aux Etats-Unis de produire certains documents ou de fournir son témoignage, lesquels seront
utilisés au cours de la procédure se déroulant à l’étranger. La demande peut se faire par requête,
sans procédure contradictoire. Cette disposition est de plus en plus fréquemment invoquée par des
parties engagées dans un arbitrage commercial international. Cependant, les tribunaux américains
sont encore à ce jour divisés sur l’applicabilité de cette disposition à l’arbitrage international10 et
notamment avant la constitution du tribunal arbitral.
Cette section concerne les demandes, par un tribunal ou tout intéressé, de productions de
preuves situées sur le territoire américain à l’encontre d’une personne qui réside ou se trouve dans
le district du tribunal fédéral devant lequel la demande est présentée. Les preuves recueillies doivent
être destinées à être utilisées devant un tribunal étranger ou international. Le problème qui s’est
alors posé aux États-Unis était de savoir si les termes «tribunal étranger ou international» pouvaient
s’appliquer à un tribunal arbitral pour un arbitrage international.
10
Yasmine Lahlou, “L’applicabilité de l’article 28 USC 1782 à l’arbitrage commercial international”, Gazette du
Palais, 27 octobre 2009 n°300, p11 et suivante.
Avant l’arrêt Intel de 200411 les Cour d’Appel du second12 et du cinquième district13
refusaient systématiquement l’application de cette disposition dans le cadre d’un arbitrage
international. L’arrêt précité a étendu le champ d’application de la mesure en précisant que le terme
« tribunal » ne devait pas être interprété stricto sensu. Ce qui importe davantage, est de savoir si
l'institution exerce des fonctions juridictionnelles. Un tribunal arbitral est donc un tribunal au sens
de la section 1782. Suite à cet arrêt, les tribunaux fédéraux ont été très divisés sur la question.
Certains refusent toujours son application à la procédure arbitrale. La Cour d’Appel du 5e district
continue l'exclusion alors que d’autres l’ont admis selon des conditions qui varient en fonction du
tribunal.
La Cour d'Appel du 11e District (Alabama, Floride, Géorgie)14 vient récemment de décider,
en se fondant largement sur la décision Intel précitée, qu'un tribunal arbitral devant lequel une
dispute est pendante était un tribunal étranger au sens de la section 1782. La Cour d'Appel établie
cinq critères d'évaluation de cette définition. Premièrement, le tribunal doit agir en tant que
juridiction décisionnelle de première instance. Ensuite, il doit permettre le rassemblement et la
soumission de preuve. Il doit être amené à résoudre le litige. Il délivrera une sentence ayant force
exécutoire (même provisoire). Enfin, sa sentence pourra faire l'objet d'un recours. On pourrait
s’interroger sur la réalisation de ce dernier critère lorsque les parties ont renoncé au recours en
annulation. Toutefois, ce qui devrait en réalité être primordiale est qu’il soit effectivement offert
aux parties d'exercer un tel recours. Offre que celles-ci seraient éventuellement libres de rejeter.
Cette levée d’option serait alors impropre à modifier la qualification du tribunal arbitral. De plus, le
recours contre l'ordonnance d'exequatur étant dans tous les cas possible, la dernière condition de la
cour d'appel du 11e district devrait alors être remplie.
Dans l'hypothèse où le tribunal fédéral admettrait l’applicabilité de la section 1782, le juge
conserverait tout de même un pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non l'ordonnance de discovery.
Les facteurs qu'une cour peut considérer lorsqu'elle est conduite à prendre une telle décision ont été
identifiés dans l'arrêt Intel. Le critère de la « réceptivité » du tribunal étranger à la demande de
discovery est relativement important dans un pays de tradition civiliste, tel que la France, où la
discovery n'existe pas et est très critiquée. Toutefois, dans le contexte d'un arbitrage international
réputé sans for et où les parties sont libres quant aux choix de la loi applicable, la question perd
peut-être quelque peu de sa pertinence.
Dans une affaire où une société établie en Allemagne invoquait l'existence d'une clause
compromissoire soumise au Règlement d'arbitrage de la CCI dans un contrat la liant à une partie
établie au Japon, pour solliciter la production de preuves à l'encontre d'une tierce partie établie aux
Etats-Unis, un juge fédéral du Massachusetts a décidé que l'arbitrage international relevait de la
section 1782 et qu'il pouvait faire droit à la demande, alors même que le tribunal arbitral n’avait pas
encore été constitué. Le juge a néanmoins usé de son pouvoir discrétionnaire et a rejeté la demande
de la société allemande15.
11
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13
14
15
Intel Corp. v. Advanced Micro Devices, Inc., 542 US 241 (2004).
National Broadcasting Co. Inc. and NBC Europe v. Bear Stearns & Co., Inc et al., 165 F.3d 184 (2d Cir. 1999)
Republic of Kazakhstan v. Biedermann International, 168 F. 3d 880, 881 (5th Cir. 1999)
Consorcio Ecuatorino de Telecommunicationes S.A. V JAS Forwarding (USA), Inc., 685 F.3d 987 (11th Cir. 2012)
In re Application of Babcock Borsig AG for Assistance before a Foreign Tribunal, 583 F. Supp. 2d 233 (D. Mass.
2008).
Ainsi, tant que la Cour Suprême des États-Unis n’aura pas rendu une décision claire
concernant cette disposition, une partie à un arbitrage international lorsqu’elle voudra en faire
application, devra prendre en considération le district dans lequel elle va faire sa demande. Il faudra
évidemment que la partie, à l'encontre de laquelle l'ordonnance de discovery est demandée, réside
dans le district visé ou s’y trouve, par exemple, par le biais d’une succursale, mais aussi que les
tribunaux de ce district soient réceptifs à une telle demande.
Un certain nombre de questions restent en suspend. Que se passe-t-il si les parties ont prévu
que la production de document serait réglée par les articles du FRCP : est-ce que cela signifie
qu’elles peuvent automatiquement bénéficier de la pre-trial discovery ? Si oui quel est le juge
compétent pour établir les ordonnances de discovery ? Le juge d’appui ou le juge américain avec
par conséquent une utilisation de la section 1782 précité ?
Une « clause de production de document » ?
En reprenant le concept des affidavits anglais, les parties pourraient éventuellement prévoir
au sein de leur clause compromissoire une section stipulant qu'une liste des documents pertinents
pour la résolution du litige et détenus par un contractant sera remise au cocontractant dans le mois
suivant la naissance du litige. Qui serait alors chargé de l'application de cette clause en cas de
conflit ? La réponse serait probablement le juge d'appui, c'est-à-dire, sauf clause contraire, le
président du tribunal de grande instance de Paris16.
Une fois que l’on a admis l’application de la discovery que ce soit à travers une loi
nationale, un principe général de discovery ou bien les Règles IBA, se pose alors la question des
documents qui sont exclus de la production. Est-ce que le choix d’appliquer la procédure
américaine, anglaise ou bien les Règles IBA implique d'accepter également leurs exclusions ?
Secret professionnel ou legal privilege
Le juriste d’entreprise français, comme l’avocat, est soumis au secret professionnel en vertu
des articles 55 et 58 de la loi du 31 décembre 1971. Cette obligation a été rappelée par la chambre
sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 18 novembre 2009. Ce secret professionnel, qui est
en soi une obligation de se taire, en plus d'être d'ordre public est général et illimité dans le temps.
Cependant, les conseils écrits que les juristes d'entreprises français transmettent aux membres de
l’entreprise à laquelle ils sont rattachés ne sont pas couverts par ledit secret17, contrairement aux
Etats-Unis et en Angleterre où le concept de legal privilege va s’appliquer. Ainsi, les avis juridiques
des juristes d’entreprise peuvent être saisis dans le cadre d’une procédure judiciaire. Le juriste
pourra alors être utilisé comme témoin à charge dans les procédures contentieuses18. Pour
contourner la difficulté, il devra soit faire appel à un avocat extérieur, les correspondances de ce
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Article 1505 du code de procédure civile.
L’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 n°71-1130 prévoit que le secret professionnel à uniquement vocation à
protéger les documents s’inscrivant dans le cadre de la relation avocat-client.
Michel Prada - Certains facteurs de renforcement de la compétitivité juridique de la Place de Paris - Rapport Prada,
Ministère de l’économie des finances et de l’industrie, Ministère de la Justice, mars 2011, p. 5.
dernier avec l’entreprise étant protégées par le secret professionnel19, soit prodiguer oralement ses
conseils.
Le legal privilege anglais et américain permet de ne pas diffuser les documents couverts par
celui-ci lors de la mise en oeuvre de la procédure de discovery. L'équivalent du secret professionnel
français est le « client-attorney privilege ». A la différence du précédent, celui-ci s’applique
également aux communications écrites et orales entre l’entreprise et le juriste. Cela s'explique par le
fait que les pays de Common Law ont une conception in rem de la confidentialité, alors que la
conception française est in personam. Le client-attorney privilege n'est pas une obligation imposée
au juriste – avocat ou non – mais un droit fondamental du client qui peut ainsi librement y renoncer.
Ce privilège ne concerne que les communications juridiques à l'exclusion d’éventuels conseils sur
la gestion des affaires de l’entreprise. Ce privilège disparaît lorsqu’il est révélé par le client à un
tiers non privilégié. Seules les communications avec certains employés de l’entreprise sont
protégées.
Il y a donc une différence de taille entre les deux traditions. Il est généralement reconnu que
le choix de la procédure de discovery selon une loi nationale anglaise ou américaine n'entraine pas
l'application de toutes les règles qui découle de cette même loi. Ainsi les parties et le tribunal
arbitral peuvent choisir d'exclure ou à l'inverse d'inclure certains documents. En cas de contestation
concernant le champ de la procédure de discovery c'est le tribunal arbitral qui délimitera le contour
de la procédure.
Discovery, ordre public international français et validité de la sentence
La CCI a admis l’application de la discovery mais de manière limitée de sorte qu’elle
n’aboutisse pas à une «fishing expedition». La procédure de discovery ne doit pas servir à
rechercher des informations dans le but de dénicher des fondements juridiques à l’action mais doit
permettre de trouver les preuves étayant les moyens de droit déjà formulés. Ainsi la demande doit
contenir un certain nombre d’informations sur les documents (ordonnance de procédure de la CCI
de 1993, ordonnance rendu le 8 mai 1997 dans l’affaire CCI8971, ordonnance de procédure du 16
mars 1993 dans l’affaire CCI7062, ordonnance rendue le 9 mai 1996 dans l’affaire CCI8850, affaire
CCI7078 avec un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 21 juin 1997).
Les décisions relatives à la procédure arbitrale sont prises sous la forme d’ordonnance. Il
convient de noter le fait que les ordonnances de procédure ne sont pas annulables devant les
juridictions étatiques, seules les sentences le sont. Toutefois, le juge a la possibilité de requalifier
une ordonnance de procédure en sentence. Dans un arrêt en date du 12 octobre 2011, Société
Groupe Antoine Tabet c/ République du Congo (n°de pourvoi 09-72439), la première chambre
civile de la Cour de cassation a précisé que seules peuvent faire l’objet d’un recours en annulation
les véritables sentences arbitrales, c’est-à-dire les actes des arbitres qui tranchent de manière
définitive, en tout ou en partie, le litige qui leur est soumis, que ce soit sur le fond, sur la
compétence ou sur un moyen de procédure qui les conduit à mettre fin à l’instance. Sont visées ici
les fins de non-recevoir. Une ordonnance de procédure réglant les questions d'administration de la
19
Ibid.
preuve ne sera alors pas requalifiée en sentence et donc pas annulable sur le fondement de l’ordre
public international ou tout autre car elle ne tranche pas définitivement en tout ou en partie du litige
et ne met pas fin à l'instance20.
Les conditions pour l'annulation d'une sentence, la reconnaissance et l'exequatur de celle-ci
ainsi que pour l'annulation d'une ordonnance d'exequatur de la sentence arbitrale sont les mêmes.
Elles sont définies à l'article 1520 du Code de procédure civile qui prévoit en son quatrième et
cinquième alinéa que le recours en annulation est ouvert si le principe du contradictoire n'a pas été
respecté ou si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public
international. Concernant l'ordre public, le juge français vérifie uniquement que la sentence ne viole
pas « de manière flagrante, effective et concrète » cet ordre public (Cour de cassation, première
chambre civile, 4 juin 2008, Société SNF SAS). En pratique une sentence n'est que rarement, voire
jamais, annulée en raison d'une contradiction avec l'ordre public international. Le recours est
également possible contre la sentence si le principe du contradictoire n'est pas respecté. Ce recours
s'effectuera soit lors d'un recours en l'annulation si les parties n'y ont pas renoncé21, soit lors de la
contestation de l'ordonnance d'exequatur de la sentence arbitrale. L'obligation de respect du
contradictoire est également rappelée à l'article 1510 du Code de procédure civile qui dispose que,
« quelle que soit la procédure choisie, le tribunal arbitral garantit l'égalité des
parties et respect le principe de la contradiction. »
Peut-on considérer que le principe du contradictoire est respecté lorsque l’une voire les deux
parties sont submergées par le volume de document soumis et n’ont pas le temps de préparer
correctement leur réponse ?
Il faut préciser que la partie qui entend se prévaloir d'une violation éventuelle à l'ordre public
international français ou du non-respect du principe du contradictoire en raison de l'application de la
procédure de discovery devra avoir soulevé ses objections dès les premiers instants de la procédure
arbitrale, à défaut de quoi, en raison du principe de l'estoppel communément admis en arbitrage
international, elle sera considérée qu'elle y a renoncé. Le principe d'estoppel est celui selon lequel
« nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ». Ce principe a été introduit dans le Code de
procédure civile en son article 1466 qui prévoit que,
« [l]a partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient
d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée
avoir renoncé à s'en prévaloir. »
Ce principe d'estoppel fonde l'obligation de loyauté qui a été introduite dans le Code de
Procédure Civile par le décret de 201122. Ce principe de loyauté avait précédemment été établi par
la jurisprudence de la Cour de cassation (Cour de cassation, première chambre civile, 7 juin 2005,
Ordre des avocats). Il vaut aussi bien pour les parties à l'instance que pour l'arbitre. Si le non
20
Voir Cour d’Appel de Paris, 25 mars 1994, Sardisud et al. v Technip,Rev.Arb 391 (1994), note Ch. Jarrosson.
L'article 1522 du code de procédure civile prévoit la prossibilité pour les parties à un arbitrage international de
renoncer au recours en annulation de la sentence par voie conventionnelle.
22
Article 1464 du Code de procédure civile.
21
respect de ce principe ne fait pas partie des conditions d'annulation d'une sentence de l'article 1520
du Code de procédure civile, il pourra en revanche permettre une action en responsabilité civile
contre l'arbitre ou la partie qui aurait méconnu ce principe23.
Reste la question de la loi de police qui divise toujours la doctrine. Est-ce que la violation
d'une telle loi permettrait l'annulation d'une sentence arbitrale ou d'une ordonnance d'exéquatur ?
La question a un intérêt au regard de l'introduction de la procédure de discovery dans une
procédure arbitrale sur le sol français car il existe une loi du 16 juillet 1980 dite « loi de blocage »
dont l'article 1bis interdit à toute personne de demander, de rechercher ou de communiquer, par
écrit, oralement ou sous tout autre forme, des documents ou des renseignements d'ordre
économique, commercial, industriel, financier ou technique tendant à la constitution de preuves en
vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères. Le non-respect de cette loi entraine des
sanctions pénales.
Est-ce que, dans le cadre d'un arbitrage international, le tribunal arbitral présent sur le sol
français sera considéré comme une juridiction étrangère sachant que ledit tribunal est réputé ne pas
avoir de for ?
Cette loi n'a été invoquée par la jurisprudence qu'à une seule occasion lors d'un arrêt rendu par
la chambre criminelle de la Cour de Cassation le 12 décembre 2007 (n° 07-83228). Les entreprises
françaises semblent avoir renoncées aux protections octroyées par cette loi de blocage. Ainsi, il est
peu probable que la sentence d'un tribunal arbitral, qui aurait ordonné une procédure de discovery,
soit annulée sur le fondement de cette loi.
Partie II : La E-discovery dans l'arbitrage international
Par e-discovery il faut entendre la production d'éléments de preuve sous forme électronique.
Pourquoi la e-discovery ?
Aujourd'hui, et ce sera d'autant plus vrai dans le futur, l'informatique, internet et tout
simplement l'électronique prennent une place considérable dans la vie des affaires. Et ce notamment
dans le cadre du commerce international où les parties, qui sont souvent séparées par des milliers de
kilomètres, vont essentiellement communiquer via internet que ce soit à travers Skype, les e-mails,
ou tout autre mode impliquant un flux électronique. L'électronique a pris une place tellement
considérable dans les litiges, que les États-Unis ont adapté leur législation pour répondre au besoin
de la modernisation des moyens de communication. En effet, le Federal Rules of Civil Procedure a
été amendé en 2006 pour introduire la e-discovery aux règles 26 et 3424. Il en va de même pour
23
24
E. Loquin, “La réforme du droit français interne et international de l'arbitrage”, RTD Com. 2011 p. 255 et suivantes.
Règle 26(a)(1)(ii) du FRCP ; Règle 26(b)(2)(B) du FRCP ; Règle 34 du FRCP intitulée « producing documents,
electronically stored information […] ».
l'Angleterre avec son Civil Procedure Rules et ses Practice Direction25 qui donnent plus de détails
sur l'application des règles de procédure civile.
La question de la e-discovery au sein de l'arbitrage international, est d'autant plus pertinente
qu'en matière commerciale la preuve sera rapportée par tout moyen26 et le principe prédominant est
celui de l'absence de formalisme dans la rédaction du contrat. Le tribunal arbitral va alors pouvoir
considérer que l'email constitue le contrat, ou un avant contrat ou encore une lettre d'intention. Il
pourra également examiner les courriels échangés entre les parties pour déterminer quelle a été leur
volonté avant la conclusion du contrat, quel a été leur comportement et leur état d'esprit lors de
l'exécution du contrat ou à la fin de celui-ci. Dès lors, les emails, qui sont à l'origine un outil
pratique utilisé quotidiennement par les professionnels, vont se révéler être la pièce maîtresse du
litige.
La e-discovery ne se résume pas au courriel mais englobe tout type de données à la
condition qu'elles soient sous forme électronique. Parmi lesquelles, les metadatas qui sont des
« données sur une donnée » électronique. Ces dernières nous renseignent sur l'auteur de la donnée,
éventuellement son destinataire dans le cadre d'un email par exemple, sa date de création, le logiciel
utilisé, les dates de modifications, qui a eu accès à la donnée, qui l'a supprimé et quand. Autant de
détails qui peuvent s'avérer déterminant pour l'issue du litige et qui ne sont généralement pas
présent sur un document au format papier.
Les avancés technologiques et ses conséquences sont présentes dans les Règles IBA de
2010 qui inclues les documents sous forme électronique dans sa définition de « document » pour
les besoins de l'administration de la preuve dans un arbitrage du commerce international28.
27
Avantages et inconvénients de la e-discovery
L'arbitrage international doit répondre à des exigences de célérité et d'efficacité. Ainsi
l'échange de preuve sous forme électronique peut avoir plusieurs avantages. En effet, un document
électronique est plus facilement édité, copié et transféré qu'un document papier. Il pourra être
aisément retrouvé. En « trois cliques » le document souhaité sera localisé sur l’ordinateur grâce à
une recherche par mot-clé, alors que trois heures dans la salle des archives auraient été nécessaires
pour le même document sous format papier. Ensuite, un document électronique est beaucoup plus
dur à détruire qu'un document volant. En effet, une suppression classique du fichier ne suffit pas à
l'éradiquer du système de stockage de votre ordinateur. Ainsi, les documents importants peuvent
être récupérés et utilisés devant une cour ou un tribunal arbitral, alors que les papiers passés aux
déchiqueteurs, par inadvertance ou non, sont perdus à jamais. Finalement, et c'est un détail
important, le document électronique renferme certaines données très utiles que l'on ne retrouve pas
dans le document papier ce sont les metadatas mentionnées un peu plus tôt. La e-discovery peut
donc permettre un gain de temps considérable.
25
26
27
28
Part 31 du CPR ; Practice Direction 31A et 31B.
Voir l'article 110-3 du Code de commerce français pour le droit français.
Règles de l'International Bar Association (IBA) sur l'administration de la preuve dans l'arbitrage international,
adopté par résolution du Conseil de l'IBA du 29 mai 2010.
Voir le préambule des Règles IBA de 2010.
Néanmoins, la e-discovery peut soulever de nombreuses difficultés dont les conséquences
sont exacerbées dans le cadre d'un arbitrage international. S'il est vrai qu'il est plus commode
d'échanger des informations par voie électronique en utilisant des courriels ou des systèmes du type
Dropbox, en revanche le volume de données à produire et à étudier est plus conséquent. En lieu et
place d’une centaine de document à analyser dans le contexte de la discovery, il y en aura un millier
dans celui de la e-discovery. Ce facteur favorise la présentation par inadvertance à la partie adverse
de documents confidentiels rentrant dans la catégorie des privilèges légaux tel que le secret
professionnel entre un avocat et son client. D'autres problèmes liés à la nature des données peuvent
être rencontrés et dont la résolution peut s'avérer très couteuse. Par exemple, la récupération de
données efficacement supprimées va parfois nécessiter l'intervention d'un expert extérieur. Les
règles IBA prévoient que le tribunal arbitral doit alors s'évertuer à atteindre un juste équilibre entre
efficacité, économie et équité, lors de la gestion de l'administration de la preuve ce qui peut
conduire à accepter ou au contraire à refuser l'admission de données électroniques en tout ou
partie29. Le tribunal arbitral est en effet le gardien du bon déroulement de la procédure arbitral.
Accessibilité des données informatiques
Les documents électroniques pertinents peuvent s'avérer difficiles à localiser. En effet, ils
peuvent se trouver sur un ordinateur de l'entreprise, qu'il soit fixe ou portable, sur un ordinateur
personnel, un smartphone ou encore une tablette. Ces documents, nécessaires à la résolution du
litige, risquent alors de ne jamais être dévoilés faute de localisation centrale des données de la
société.
Il y aura également un problème d'accessibilité si les données pertinentes sont nichées dans
un système géré par un prestataire tiers et que la partie adverse n'y a pas facilement accès. En effet,
le tribunal arbitral n'a pas le pouvoir d'émettre une ordonnance de production de document à
l'encontre d'un tiers à l'instance arbitrale. Ce sont alors les juridictions étatiques, lorsque les lois
nationales le prévoient, qui vont devoir ordonner les mesures de discovery. En France, il sera fait
application de l'article 1469 du Code de procédure civil qui prévoit que,
« si une partie à l'instance arbitrale entend faire état […] d'une pièce détenue par un
tiers, elle peut, sur invitation du tribunal arbitral, faire assigner ce tiers devant le
président du tribunal de grande instance aux fins d'obtenir […] la production […]
de la pièce ».
Pour des documents électroniques situés sur le sol américain il faudra se référer à l'article 1782 du
Titre 28 du Code des États-Unis, cependant difficile à actionner dans le cadre d'une procédure
arbitrale.
La récupération des données effacées
29
Voir l'Avant Propos, le Préambule et l'article 9 des Règle IBA ; dans le même esprit, l'article 22 du Règlement
d'arbitrage de la CCI prévoit que « [l]e tribunal arbitral […] condui[t] la procédure d'arbitrage avec célérité et
efficacité en termes de coût, eu égard à la complexité et à l'enjeu du litige ».
Un document ou un email disparaît rarement complètement. Et ce, même après avoir cliqué
sur « effacé » puis « vidé la corbeille ». Il est souvent possible de le retrouver seulement, à moins
d’en avoir un au sein de votre entreprise, il faudra faire appel à un expert extérieur qui pourra
récupérer les données manquantes, bien que supprimées plusieurs mois auparavant, mais cela peut
s'avérer très couteux. Se pose alors le problème du temps de conservation des données
électroniques. Notamment dans le cadre du commerce international où les parties sont soumises à
différentes législations, voire aucune, sur la rétention des documents en vue d'un litige.
Aux États-Unis, les parties ont l'obligation de conserver les documents dès lors qu'un litige
peut être raisonnablement anticipé. Cette pratique présente un réel intérêt car les documents
spontanément préservés pourront s’avérés utiles par la suite et éventuellement permettre d'obtenir
gain de cause. Si au contraire les documents sont incriminants, l’entreprise pourra plus rapidement
s’en rendre compte et par conséquent transiger. Ainsi, sans y être obligé par une loi nationale c'est
une attitude qu'il peut être intéressante d'adopter.
Le principe de proportionnalité sera appliqué par le tribunal arbitral si la récupération des
documents entraine un fardeau trop important pour l'entreprise concernée. Lesdits documents seront
ainsi écartés de la procédure de e-discovery30, à moins que l'autre partie puisse prouver que les
documents ont été effacés intentionnellement en raison du litige. D'où l'intérêt des metadatas,
mentionnés précédemment, qui donnent des indications sur la date de suppression d'une donnée et
l'auteur de l'action. Le tribunal arbitral pourra alors soit ordonner la production dudit document
électronique et faire appel à un expert pour procéder à sa récupération, soit tenir compte de la
mauvaise foi de la partie lors de la phase décisionnelle ou de l'allocation des coûts de justice.
Le choix des mots clés pour trouver des documents stockés dans une base de donnée
La sélection des mots-clés pour faire des recherches dans une base de données informatiques
est une étape indispensable dans le processus de la discovery électronique. Ces mots-clés peuvent
être déterminés par les parties elles-mêmes ou par le tribunal arbitral. A moins que ce dernier
comprenne un expert en informatique, il existe une alternative qui est de déléguer cette tâche à un
expert extérieur et indépendant. Celui-ci devra, en plus d'avoir des connaissances en informatique,
avoir une certaine compréhension légale de l'affaire. Dans le but d'éviter des dénonciations futures,
cet expert pourra aviser les parties et le tribunal arbitral des termes sélectionnés.
Un choix de termes trop large ou manquant de pertinence peut conduire à une plus grande
production de document dont la plupart seront inutiles. On peut se retrouver alors avec plus d'un
million de données à traiter en un laps de temps relativement court. Il est alors fort probable que le
tribunal arbitral rejette la production au nom du principe de proportionnalité dans l'administration
de la preuve. Au contraire, bien choisir les mots-clés permet de trouver rapidement les documents
désirés et de réduire les coûts. La e-discovery devient alors beaucoup plus efficace que la discovery
classique.
Documents électroniques envoyés ou reçus par inadvertance
30
Voir l'article 3.3(c)(i) des Règles IBA de 2010.
Lorsque le volume de données échangées pendant la procédure de discovery est très
important, ce qui est souvent le cas pour des données électroniques, il y a alors un risque de
transmission par inadvertance d'informations protégées. Ni les Règles IBA, ni le règlement CCI ne
donnent de réponse à ce problème. Il est alors intéressant de se tourner vers les États-Unis pour
trouver une solution.
Le Federal Rules of Evidence (FRE) 502(b) prévoit l'hypothèse d'une communication par
inadvertance et donne trois conditions à remplir pour que la transmission ne soit pas considérée
comme une renonciation au secret professionnel. La première est que le document ait été transmis
par inadvertance, la seconde que le bénéficiaire du privilège ait pris des mesures raisonnables pour
éviter la divulgation des documents. Et la troisième, que le bénéficiaire de la protection ait pris des
mesures raisonnables pour rectifier son erreur.
Bien que ce procédé soit rarement utilisé aux États-Unis, les parties ont la possibilité grâce à
l'article 502 FRE précité, d'utiliser des « clawback » clauses, selon lesquelles si une partie divulgue
par inadvertance un document privilégié, la partie réceptrice doit le retourner. Cette clause permet
alors de contourner la nécessité de prendre toutes mesures raisonnables pour prévenir la
transmission de documents soumis au secret professionnel. Elle pourrait être introduite dans la
convention d'arbitrage.
Consultation des parties
Dans le but de résoudre une bonne partie de ces problèmes, les Règles IBA en son article 2,
mais aussi le Règlement d'arbitrage CCI suggèrent fortement aux parties de se réunir le plus
rapidement possible afin d'éluder les interrogations qui pourraient surgir quant à la recherche et la
préservation des documents électroniques. Il serait approprié d'aborder les questions sur la
localisation des documents, les mesures de conservation des documents électroniques adoptées par
chaque partie, la forme de la transmission des données et le type de système utilisé pour le stockage
des données électroniques.
Avoir un système de sauvegarde des données informatiques
Afin de gagner du temps les entreprises pouvant être sujettes à une demande de e-discovery
devraient considérer avoir un système de gestion automatique des données. Certaines entreprises
américaines ont mis en place un système d'archivage automatique qui scanne tous les documents et
toutes les communications électroniques conservés sur le réseau informatique de l'entreprise.
Les entreprises peuvent également faire appel à un prestataire de Cloud-Computing. Ce
système permet aux entreprises de stocker un volume conséquent de données sans avoir à maintenir
une infrastructure tout en offrant un accès rapide et simple aux données. Cependant, il faut être
vigilant car le Cloud-Computing peut se heurter à la Directive 95/46 CE du 24 octobre 1995
relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère
personnel et à leur libre circulation.
Le responsable du traitement est tenu de fixer une durée de conservation raisonnable en
fonction de l'objectif du fichier. La conservation pour une durée supérieure à celle qui a été déclarée
est sanctionnée de 5 ans d'emprisonnement et de 300 000€ d'amende31. Ce qui pose le problème des
prescriptions pour l'ouverture d'une action en justice qui varient selon le pays du cocontractant. Audelà de la durée déterminée, les données personnelles doivent être effacées, sauf lorsque des
dispositions légales imposent la conservation des documents pendant une certaine durée (par
exemple, les documents comptables, les contrats électroniques).
La conservation doit être réalisée dans un but précis. En cas de réutilisation des données
pour une finalité autre que celle pour laquelle elles ont été collectées, l'entreprise pourra faire face à
des sanctions pénales32. Ainsi, a priori, l'entreprise qui contracterait avec un prestataire de CloudComputing dans le but de faire face à une éventuelle demande de e-discovery ne pourrait pas
récupérer les données en dehors de tout litige.
Egalement sous peine de sanctions pénales33, les traitements informatiques de données
personnelles qui présentent des risques particuliers d'atteinte aux droits et aux libertés doivent,
avant leur mise en œuvre, être soumis à l'autorisation de la CNIL. On est dans ce cas de figure
lorsque l'on stocke, dans l'éventualité d'un litige, tous les e-mails envoyés depuis un poste de travail
au sein de l'entreprise.
Dans l'éventualité d'une violation des dispositions d'application de la directive européenne,
le risque est de voir la responsabilité de l'entreprise engagée. En revanche, il y a peu de chances que
la sentence arbitrale ou l'ordonnance d'exéquatur de la sentence soit annulée car la cour de cassation
ne sanctionne que les violations « flagrantes, effectives et concrète » à l'ordre public international
français34. En pratique une sentence n'est que rarement voire jamais annulée en raison d'une
contradiction avec l'ordre public international. Une réforme de la Directive 95/46 CE est cependant
prévue. Celle-ci devrait être remplacée par un Règlement sur la protection des données et une
nouvelle Directive relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des
données à caractère personnel.
Laurence da Costa
31
32
33
34
Article 226-20 du Code penal.
Article 226-21 du Code penal.
Article 226-16 du Code penal.
Civ. 1re, 4 juin 2008, société SNF SAS.