Discovery, e-discovery et arbitrage international
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Discovery, e-discovery et arbitrage international
Discovery, e-discovery et arbitrage international La conception française de l’arbitrage international se singularise par son extrême flexibilité, puisque les parties peuvent façonner la procédure arbitrale en fonction de leurs besoins. Cette flexibilité connaît-elle des limites, et notamment en ce qui concerne les questions d’administration de la preuve ? Est-il possible d’introduire le procédé de common law qu’est la discovery voire la ediscovery ? Après une présentation de la procédure de discovery (Propos introductifs) et une étude sur sa potentielle compatibilité avec l’arbitrage international (Partie I), sera abordé le sort de la ediscovery (Partie II). Propos introductifs : présentation de la discovery et de la disclosure Il convient de différencier la procédure de discovery américaine de l'anglaise. La première est définie dans les règles 26 à 37 du Federal Rules of Civil Procedure (FRCP) et reprise presque à l’identique dans la plupart des Etats américains. Quant à la seconde, elle est inscrite dans le Civil Procedure Rules (CPR) Part 31 et les Practice Directions qui y sont attachées. La procédure américaine Les avocats instruisent la cause. Ils enquêtent sur les faits et les développent principalement avant le commencement du procès. Cette phase est la pre-trial discovery. Elle prend généralement trois formes. La plus importante est la deposition, c'est-à-dire un interrogatoire formel des potentiels témoins. Elle est conduite sous serment en présence des avocats des parties présentes. La seconde est l’interrogatoire, où des questions écrites sont posées à la partie adverse dans le but de définir les faits qui fondent la demande ou la défense. En dernier lieu seulement apparait la request for production, correspondant à la production de documents et autres pièces relatives au litige en cours. Les parties n’ont pas l’obligation de présenter de manière spontanée les informations nécessaires au développement du litige avant le procès, à moins que la partie opposée n'ait expressément formulée une requête pour la production de telle ou telle information. Les juges ne sont généralement pas impliqués dans la conduite de la procédure. Ils interviennent uniquement quand l’un ou l’autre des protagonistes refuse de répondre à une requête spécifique. La règle 26(b)(1) du FRCP prévoit qu’une partie peut obtenir toutes informations pertinentes non soumises à un privilège légal. Le caractère de la pertinence est par la suite défini et inclut les preuves qui ne seraient pas admissibles au procès mais qui, selon un calcul raisonnable, semblent conduire à la découverte de pièces, qui elles, le seraient. La discovery américaine a donc un champ d’application très large, permettant trop aisément les fishing expedititon, c’est-à-dire la formulation de requêtes spéculatives dans le but de recueillir des informations qui n'ont aucun réel impact sur l'issue de l'affaire. La procédure anglaise : la disclosure A l’instar de la procédure américaine, les parties instruisent l'affaire principalement avant le commencement du procès. En revanche, la disclosure, qui est essentiellement axée sur la production documentaire, s’éloigne de son homologue sur certains aspects. Alors qu’OutreAtlantique l'un attend les requêtes de l'autre, en Angleterre la disclosure est pro-active. En effet, les parties, après avoir effectuées des recherches, déterminent quels seront les documents pertinents pour l'issue de l'affaire et rédigent par la suite une liste qui prend la forme d'un affidavit. Une réponse incomplète relèverait du parjure, entrainant ainsi la responsabilité de l'auteur. Le destinataire de la disclosure a le droit d'inspecter les documents figurant sur la liste et d'en faire des copies, exceptées les hypothèse où (i) la partie ayant fourni ladite liste déclare qu'elle n'a plus le document requis en sa possession1, où (ii) elle déclare que le document est hors du champ de la disclosure en raison d'un privilège légal, enfin, où (iii) la divulgation du document serait disproportionnée par rapport aux questions que soulève le litige. On a ainsi en droit anglais une notion de proportionnalité – présente également en droit américain toutefois à un degré considérablement moindre – qui permet de limiter les fishing expeditions. Ces dernières sont également réduites par le fait que la règle 31.6 du CPR restreint la disclosure aux documents qui sont directement liés à la résolution du litige en cours, excluant ceux qui pourraient seulement conduire à la découverte de documents affectant le litige tel que le prévoit la discovery américaine. A coté de la question de l’accueil de la procédure de discovery au sein d’un l’arbitrage international (Partie I) se pose aujourd’hui celle de la place de la e-discovery dans ce mode de résolution des conflits (Partie II). Partie I : La procédure de Discovery dans l’arbitrage international L’un des grands principes de l’arbitrage international est celui de l’autonomie des parties dans le choix de la loi applicable. Ce principe, universellement reconnu, vaut aussi bien pour la loi applicable au fond que celle applicable à la procédure arbitrale. Les divergences se situent quant à cette dernière dans le silence des parties. L'article 1509 du Code de procédure civile dispose que, « [l]a convention d'arbitrage peut, directement, ou par référence à un règlement d'arbitrage ou à des règles de procédure, régler la procédure à suivre dans l'instance arbitrale. » Si les parties songent de plus en plus à désigner une loi applicable au fond, en revanche, elles restent généralement muettes sur celle applicable à la procédure. Or les règles de procédures relatives à l’administration de la preuve sont essentielles, car c’est évidemment en fonction des preuves présentées que le tribunal arbitral rendra sa sentence. 1 Le terme contrôle est en réalité utilisé. La discovery, qui est une méthode d’administration de la preuve, soulève quelques interrogations quant à son application dans le contexte d’un arbitrage international. Il convient de distinguer selon que l'on soit avant ou après la phase de constitution du tribunal arbitral. La discovery après la constitution du tribunal arbitral – la standard discovery Lorsque les parties choisissent la procédure applicable il faut à nouveau distinguer selon que l’on soit dans un arbitrage institutionnel ou ad hoc où la place laissée au choix des parties est prédominante. Arbitrage ad hoc Les parties peuvent déterminer la procédure applicable au moment de la rédaction de la convention d’arbitrage ou de l’acte de mission du ou des arbitres. Néanmoins, lorsque l’on attend que le tribunal soit constitué pour sélectionner la loi procédurale, les parties qui sont déjà dans un rapport conflictuel, rencontrent de grandes difficultés pour se mettre d'accord ne serait-ce que sur un principe. Cette complication se présente également lorsque la convention d’arbitrage résulte d’un compromis. En revanche lors de la rédaction du contrat principal qui liera les parties, celles-ci sont a priori en bon terme et peuvent plus aisément trouver un terrain d’entente. Il serait donc préférable qu’à ce stade là les conseils des parties prévoient une loi, une règle de droit, ou à défaut un principe applicable à la procédure arbitrale et plus précisément à la production de preuves. Ceci est d’autant plus souhaitable que l’arbitre sera tenu de respecter la clause compromissoire valide. En pratique, l’une, voire les deux parties ne sont que partiellement favorables à la procédure de discovery dans le contexte d'un arbitrage international. Les acteurs économiques provenant d’un pays de Common Law choisissent de recourir à l’arbitrage parfois justement en raison de l’exclusion de principe de la procédure de discovery car il s’agit d’un processus long, couteux et qui comporte un risque pour le secret des affaires. De plus, il est évidemment logique qu’une partie ait des réticences à transmettre spontanément à l’adverse un document l’incriminant. Cependant, la procédure de discovery peut s’avérer très utile notamment lors d’un conflit international où les preuves sont difficiles à obtenir. Ainsi, avoir une procédure facilitant le rassemblement des preuves est largement souhaitée. En réalité, ce que les parties redoutent le plus, qu’elles soient de tradition civiliste ou de Common Law, ce sont les fishing expeditions engendrées par une demande de production trop large ainsi que les coûts qu’entrainent de telles demandes. La pratique de l’arbitrage international tente alors de trouver un compromis fonctionnel entre les techniques de preuve de droit civil et de Common Law afin d’aboutir à une justice efficace sans rendre le processus trop lourd2. Lorsque l’on mentionne la discovery, l’on pense tout de suite aux excès de la procédure américaine. Or la disclosure anglaise est un compromis intéressant puisque seules les pièces pertinentes pour la résolution du litige peuvent être demandées à la partie adverse. En outre, ce sont les parties qui établissent la liste des documents qu’elles ont en leur possession ce qui amoindrit 2 Sent. CCI n° 8694, rendue en 1996, JDI 1997, p. 1056, note Y. Derains. probablement le sentiment d’intrusion du tiers, cocontractant ou non, dans la vie de son entreprise. Les parties souhaitant une discovery américaine « allégée » pourraient dès lors stipuler dans leur convention d’arbitrage ou dans l’acte de mission de l’arbitre que le CPR anglais sera applicable à l'administration de la preuve. Il est également possible pour les parties, de demander, en lieu et place d'une loi nationale, l’application de règles établies spécialement pour l’arbitrage international telles les IBA Rules on the Taking of Evidence in International Commercial Arbitration (Règles IBA). Ce qui, en pratique est souvent le cas. Elles ont été adoptées le 1er juin 1999 par l'International Bar Association (IBA) et la version actuelle est en vigueur depuis le 29 mai 2010. Les Règles IBA constituent un parfait exemple de compromis entre les traditions civilistes et de Common Law. En effet le premier article de son préambule est ainsi rédigé : « [l]es présentes Règles IBA sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage international ont pour objectif d’établir une procédure efficace, économique et équitable d’administration de la preuve dans l’arbitrage international, en particulier pour des parties de traditions juridiques différentes. Elles sont conçues pour compléter les dispositions légales et les règlements institutionnels, ad hoc ou autres pouvant s’appliquer au déroulement de l’arbitrage.» Le second point du préambule prévoit que les parties ou le tribunal arbitral peuvent adopter les Règles IBA en totalité ou partiellement seulement. En conséquence, il est possible d’écarter un ou plusieurs articles afin de se façonner une méthode de production des preuves en adéquation avec le litige et les traditions procédurales des parties et des arbitres. Les règles relatives à la production documentaires sont énoncées dans l’article 3 des Règles IBA et celles concernant la recevabilité des preuves en son article 9. L’article 9(2) prévoit l’irrecevabilité des documents qui ne sont pas pertinents au regard des questions soulevées par le litige ou de la solution du différend. On se rapproche sur ce point de la disclosure anglaise. Par le choix de ces règles on évite également la dérive de la discovery américaine qu’est la fishing expedition. Le règlement de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (CNUDCI) est également souvent appliqué. Sa section III traite de la procédure arbitrale et ses dispositions se rapprochent de la tradition civiliste concernant l’administration de la preuve. En effet, son article 24 prévoit que chaque partie apportera la preuve des faits sur lesquels elle fonde sa requête ou sa réponse, et qu’à tout moment de la procédure, le tribunal arbitral pourra demander aux parties de produire des preuves complémentaires, en leur fixant un délai à cet effet. Les parties ont la possibilité de demander l’application du règlement d’une institution arbitrale en dehors de tout arbitrage institutionnel. Tel le règlement de la Chambre de Commerce Internationale (CCI). Elles peuvent l’utiliser tel quel ou le compléter. Arbitrage institutionnel La question qui va ici se poser est de savoir dans quelle mesure les parties peuvent avoir recours à la procédure de discovery. Effectivement, le choix d’un tel arbitrage emporte la soumission au règlement de l’institution. Aujourd’hui beaucoup de règlements d’arbitrage proposent une procédure plus ou moins détaillée. En pratique les parties mais aussi les arbitres sont encore une fois libres de compléter ce règlement. L’article 19 du règlement CCI dispose que, « la procédure devant le tribunal arbitral est régie par le Règlement et, dans le silence de ce dernier, par les règles que les parties, ou à défaut le tribunal arbitral, déterminent, en se référant ou non à une loi nationale de procédure applicable à l’arbitrage.» Ainsi les parties peuvent compléter le règlement en désignant par exemple le CPR anglais pour les règles relatives à l’administration de la preuve. S'il est permis de combler les lacunes du règlement d’une institution, est-il possible d'écarter, en tout ou partie, les règles relatives à l'administration de la preuve, afin de les remplacer par celles de la discovery que ce soit par l’intermédiaire d’une loi nationale ou en énonçant la volonté de soumettre la procédure au principe de la discovery ? Cette dernière éventualité impliquant qu’un tel principe existe, ce qui en soi pose la question de son contenu : s’agit-il d’une discovery à l’américaine, à l’anglaise ou à mi-chemin ? En définitive, il reviendra aux arbitres d'établir le contour du procédé de production documentaire en fonction de l’objet du litige et des règles qui leur auront été imposées. De ce fait, la personnalité des arbitres, et surtout du président du tribunal arbitral, ainsi que les origines juridiques des conseils influeront grandement sur le tour que prendra la procédure3. Lorsque la procédure de discovery sera utilisée que ce soit à la demande des parties ou à l’initiative du tribunal arbitral, ce dernier va généralement adopter une solution à mi-chemin entre la procédure américaine et les traditions civilistes en admettant une discovery « limitée » en ce sens que seule la production des documents pertinents et déterminants pour l’issue de l’affaire sera autorisée excluant les documents qui pourraient seulement conduire à la découverte d'informations pertinentes, tel que le permet le droit américain dans son Federal Rules of Civil Procédure. Il faut rappeler que si les arbitres n’ont pas l’imperium et donc le pouvoir d’ordonner l’exécution forcée de la délivrance de document à une partie, ils peuvent en revanche tirer toutes conclusions de la réticence d’une partie à en fournir un4 et peuvent également assortir la demande de production de document d'une astreinte5. La pre-trial discovery, L’instruction in futurum et le référé pré-arbitral 3 4 5 Tim Portwood et Raëd Fathallah, “Arbitrage et garantie de passif : questions de preuve et de procedure”, Dossier, Arbitrage et garantie de passif, Lamyline, Droit et Patrimoine 2008 n°166, 01/2008. Voir l'ordonnance rendue le 7 octobre 1993 dans l'affaire CCI7078. Voir l’article 1467 du Code de procédure civile. Le cœur de la procédure de discovery, que ce soit aux États-Unis ou en Angleterre, réside dans la phase précédant le procès qu'est la pre-trial discovery. L’intérêt d’un tel processus dans un arbitrage international, est de permettre aux parties de mieux se préparer et ainsi d’accélérer la procédure arbitrale qui doit répondre à un principe universel de célérité, récemment inséré dans le Code de procédure civile français en son article 1464 alinéa 3, par le décret du 13 janvier 2011. La pre-trial discovery peut également permettre de réduire les coûts du litige. En effet, si les parties doivent assembler puis échanger leurs documents avant toute constitution du tribunal arbitral, elles pourront se rendre compte, pour l’une, s'il n’y a pas assez de preuves pour obtenir une condamnation, ou si au contraire, pour l’autre, il y en a trop et qu’elles sont vraiment accablantes l’incitant ainsi à trouver un accord. En pratique, pour obtenir des documents avant la constitution du tribunal arbitral, une partie pourra utiliser, soit la procédure de l'article 1449 du Code de procédure civile relative aux instructions in futurum, soit le référé pré-arbitral proposé par la CCI6. Elles ont également la possibilité de recourir à la section 1782 du Titre 28 du code des États-Unis lorsque les documents souhaités se trouvent sur le sol américain. Enfin l'on pourrait considérer l'éventualité pour les cocontractants de prévoir, sur le modèle des affidavits anglais précités, une section à l'intérieur de la clause compromissoire stipulant qu'une liste des documents pertinents pour la résolution du litige sera donnée à la partie adverse entre la naissance du litige et le début de la procédure arbitrale. L'instruction in futurum Avant la réforme de 2011 la jurisprudence a reconnu au juge étatique le pouvoir d'ordonner des mesures d'instruction in futurum sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile7 tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué8 et à condition que l'urgence soit démontrée9. Aujourd’hui l'article 1449 du même Code de procédure civile prévoit cette mesure dans les mêmes conditions. La demande de production de document se fera devant le juge d'appui sur requête ou en référé. C'est généralement la forme de la requête qui est usitée car le principe du contradictoire ne s'applique pas, c'est-à-dire que le juge pourra statuer en l'absence de la partie adverse. L'ordonnance lui sera signifiée par la suite. Elle pourra alors exercer un recours contre l'ordonnance du juge. Cette procédure s'explique par un souci de conservation des preuves. La différence avec la pre-trial discovery américaine et anglaise est donc la condition d'urgence. La question est alors de savoir quand est-ce qu'il y aura urgence. 6 7 8 9 Pour les contrats conclus après l’entrée en vigueur du Règlement de 2012 de la CCI, il faudra utiliser la procédure d’arbitrage d’urgence prévue à l’article 29 du Règlement. Civ. 2·, 11 oct. 1995, RTD com. 1996. 664, obs. E. Loquin. Civ. 1 '·,6 déc. 2005, J C P E 2005. 1284, obs. G . Chabot ; D. 2006. 274, note P.-Y. Gautier, et 3031, obs. T. Clay ; RTD civ. 2006.144, obs. P. Théry ; RTD com. 2006. 299, obs. E. Loquin. Civ. 2·, 2 avr. 1997, Rev. arb. 1998.673, note L. Degos; RTD civ. 1999. 177, obs. J. Normand ; RTD com. 1997.434, obs. J.-c. Dubarry et E. Loquin ; Com. 29 juin 1999, D. 1999. 649, note 1. Najjar ; RTD com. 2001. 56, obs. E. Loquin. Le référé pré-arbitral de la CCI Ce référé repose sur un Règlement spécifique entrée en vigueur le 1er janvier 1999 et distinct des Règlements d’arbitrage de 1988 et 1998. Afin d’en bénéficiez les cocontractants devaient l’avoir expressément prévu au sein de leur contrat. Cette condition explique le faible succès de ce procéder. A l’occasion de sa réforme, un arbitrage d’urgence a été intégré dans le nouveau Règlement. Celui-ci établi une procédure automatiquement disponible dès lors que le contrat a été conclu après son entrée en vigueur, le 1er janvier 2012. L’article 29.1 du Règlement d’Arbitrage et d’ADR de 2012 dispose que, « toute partie sollicitant des mesures conservatoires ou provisoires urgentes qui ne peuvent attendre la constitution d'un tribunal arbitral (« mesures d'urgence ») peut déposer une requête à cette fin conformément aux Règles relatives à l'arbitre d'urgence de l'Appendice V.[…] » . La condition d'urgence est à nouveau centrale. Cependant le Règlement n'en donne aucune définition. Il faut noter que cet arbitrage d’urgence est également disponible en dehors d'un arbitrage CCI. L'utilisation de la section 28 USC 1782 La section 1782 du Titre 28 du Code des États-Unis permet aux plaideurs étrangers d’obtenir, au moyen d’une procédure simplifiée, du juge américain qu’il ordonne à une partie établie aux Etats-Unis de produire certains documents ou de fournir son témoignage, lesquels seront utilisés au cours de la procédure se déroulant à l’étranger. La demande peut se faire par requête, sans procédure contradictoire. Cette disposition est de plus en plus fréquemment invoquée par des parties engagées dans un arbitrage commercial international. Cependant, les tribunaux américains sont encore à ce jour divisés sur l’applicabilité de cette disposition à l’arbitrage international10 et notamment avant la constitution du tribunal arbitral. Cette section concerne les demandes, par un tribunal ou tout intéressé, de productions de preuves situées sur le territoire américain à l’encontre d’une personne qui réside ou se trouve dans le district du tribunal fédéral devant lequel la demande est présentée. Les preuves recueillies doivent être destinées à être utilisées devant un tribunal étranger ou international. Le problème qui s’est alors posé aux États-Unis était de savoir si les termes «tribunal étranger ou international» pouvaient s’appliquer à un tribunal arbitral pour un arbitrage international. 10 Yasmine Lahlou, “L’applicabilité de l’article 28 USC 1782 à l’arbitrage commercial international”, Gazette du Palais, 27 octobre 2009 n°300, p11 et suivante. Avant l’arrêt Intel de 200411 les Cour d’Appel du second12 et du cinquième district13 refusaient systématiquement l’application de cette disposition dans le cadre d’un arbitrage international. L’arrêt précité a étendu le champ d’application de la mesure en précisant que le terme « tribunal » ne devait pas être interprété stricto sensu. Ce qui importe davantage, est de savoir si l'institution exerce des fonctions juridictionnelles. Un tribunal arbitral est donc un tribunal au sens de la section 1782. Suite à cet arrêt, les tribunaux fédéraux ont été très divisés sur la question. Certains refusent toujours son application à la procédure arbitrale. La Cour d’Appel du 5e district continue l'exclusion alors que d’autres l’ont admis selon des conditions qui varient en fonction du tribunal. La Cour d'Appel du 11e District (Alabama, Floride, Géorgie)14 vient récemment de décider, en se fondant largement sur la décision Intel précitée, qu'un tribunal arbitral devant lequel une dispute est pendante était un tribunal étranger au sens de la section 1782. La Cour d'Appel établie cinq critères d'évaluation de cette définition. Premièrement, le tribunal doit agir en tant que juridiction décisionnelle de première instance. Ensuite, il doit permettre le rassemblement et la soumission de preuve. Il doit être amené à résoudre le litige. Il délivrera une sentence ayant force exécutoire (même provisoire). Enfin, sa sentence pourra faire l'objet d'un recours. On pourrait s’interroger sur la réalisation de ce dernier critère lorsque les parties ont renoncé au recours en annulation. Toutefois, ce qui devrait en réalité être primordiale est qu’il soit effectivement offert aux parties d'exercer un tel recours. Offre que celles-ci seraient éventuellement libres de rejeter. Cette levée d’option serait alors impropre à modifier la qualification du tribunal arbitral. De plus, le recours contre l'ordonnance d'exequatur étant dans tous les cas possible, la dernière condition de la cour d'appel du 11e district devrait alors être remplie. Dans l'hypothèse où le tribunal fédéral admettrait l’applicabilité de la section 1782, le juge conserverait tout de même un pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non l'ordonnance de discovery. Les facteurs qu'une cour peut considérer lorsqu'elle est conduite à prendre une telle décision ont été identifiés dans l'arrêt Intel. Le critère de la « réceptivité » du tribunal étranger à la demande de discovery est relativement important dans un pays de tradition civiliste, tel que la France, où la discovery n'existe pas et est très critiquée. Toutefois, dans le contexte d'un arbitrage international réputé sans for et où les parties sont libres quant aux choix de la loi applicable, la question perd peut-être quelque peu de sa pertinence. Dans une affaire où une société établie en Allemagne invoquait l'existence d'une clause compromissoire soumise au Règlement d'arbitrage de la CCI dans un contrat la liant à une partie établie au Japon, pour solliciter la production de preuves à l'encontre d'une tierce partie établie aux Etats-Unis, un juge fédéral du Massachusetts a décidé que l'arbitrage international relevait de la section 1782 et qu'il pouvait faire droit à la demande, alors même que le tribunal arbitral n’avait pas encore été constitué. Le juge a néanmoins usé de son pouvoir discrétionnaire et a rejeté la demande de la société allemande15. 11 12 13 14 15 Intel Corp. v. Advanced Micro Devices, Inc., 542 US 241 (2004). National Broadcasting Co. Inc. and NBC Europe v. Bear Stearns & Co., Inc et al., 165 F.3d 184 (2d Cir. 1999) Republic of Kazakhstan v. Biedermann International, 168 F. 3d 880, 881 (5th Cir. 1999) Consorcio Ecuatorino de Telecommunicationes S.A. V JAS Forwarding (USA), Inc., 685 F.3d 987 (11th Cir. 2012) In re Application of Babcock Borsig AG for Assistance before a Foreign Tribunal, 583 F. Supp. 2d 233 (D. Mass. 2008). Ainsi, tant que la Cour Suprême des États-Unis n’aura pas rendu une décision claire concernant cette disposition, une partie à un arbitrage international lorsqu’elle voudra en faire application, devra prendre en considération le district dans lequel elle va faire sa demande. Il faudra évidemment que la partie, à l'encontre de laquelle l'ordonnance de discovery est demandée, réside dans le district visé ou s’y trouve, par exemple, par le biais d’une succursale, mais aussi que les tribunaux de ce district soient réceptifs à une telle demande. Un certain nombre de questions restent en suspend. Que se passe-t-il si les parties ont prévu que la production de document serait réglée par les articles du FRCP : est-ce que cela signifie qu’elles peuvent automatiquement bénéficier de la pre-trial discovery ? Si oui quel est le juge compétent pour établir les ordonnances de discovery ? Le juge d’appui ou le juge américain avec par conséquent une utilisation de la section 1782 précité ? Une « clause de production de document » ? En reprenant le concept des affidavits anglais, les parties pourraient éventuellement prévoir au sein de leur clause compromissoire une section stipulant qu'une liste des documents pertinents pour la résolution du litige et détenus par un contractant sera remise au cocontractant dans le mois suivant la naissance du litige. Qui serait alors chargé de l'application de cette clause en cas de conflit ? La réponse serait probablement le juge d'appui, c'est-à-dire, sauf clause contraire, le président du tribunal de grande instance de Paris16. Une fois que l’on a admis l’application de la discovery que ce soit à travers une loi nationale, un principe général de discovery ou bien les Règles IBA, se pose alors la question des documents qui sont exclus de la production. Est-ce que le choix d’appliquer la procédure américaine, anglaise ou bien les Règles IBA implique d'accepter également leurs exclusions ? Secret professionnel ou legal privilege Le juriste d’entreprise français, comme l’avocat, est soumis au secret professionnel en vertu des articles 55 et 58 de la loi du 31 décembre 1971. Cette obligation a été rappelée par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 18 novembre 2009. Ce secret professionnel, qui est en soi une obligation de se taire, en plus d'être d'ordre public est général et illimité dans le temps. Cependant, les conseils écrits que les juristes d'entreprises français transmettent aux membres de l’entreprise à laquelle ils sont rattachés ne sont pas couverts par ledit secret17, contrairement aux Etats-Unis et en Angleterre où le concept de legal privilege va s’appliquer. Ainsi, les avis juridiques des juristes d’entreprise peuvent être saisis dans le cadre d’une procédure judiciaire. Le juriste pourra alors être utilisé comme témoin à charge dans les procédures contentieuses18. Pour contourner la difficulté, il devra soit faire appel à un avocat extérieur, les correspondances de ce 16 17 18 Article 1505 du code de procédure civile. L’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 n°71-1130 prévoit que le secret professionnel à uniquement vocation à protéger les documents s’inscrivant dans le cadre de la relation avocat-client. Michel Prada - Certains facteurs de renforcement de la compétitivité juridique de la Place de Paris - Rapport Prada, Ministère de l’économie des finances et de l’industrie, Ministère de la Justice, mars 2011, p. 5. dernier avec l’entreprise étant protégées par le secret professionnel19, soit prodiguer oralement ses conseils. Le legal privilege anglais et américain permet de ne pas diffuser les documents couverts par celui-ci lors de la mise en oeuvre de la procédure de discovery. L'équivalent du secret professionnel français est le « client-attorney privilege ». A la différence du précédent, celui-ci s’applique également aux communications écrites et orales entre l’entreprise et le juriste. Cela s'explique par le fait que les pays de Common Law ont une conception in rem de la confidentialité, alors que la conception française est in personam. Le client-attorney privilege n'est pas une obligation imposée au juriste – avocat ou non – mais un droit fondamental du client qui peut ainsi librement y renoncer. Ce privilège ne concerne que les communications juridiques à l'exclusion d’éventuels conseils sur la gestion des affaires de l’entreprise. Ce privilège disparaît lorsqu’il est révélé par le client à un tiers non privilégié. Seules les communications avec certains employés de l’entreprise sont protégées. Il y a donc une différence de taille entre les deux traditions. Il est généralement reconnu que le choix de la procédure de discovery selon une loi nationale anglaise ou américaine n'entraine pas l'application de toutes les règles qui découle de cette même loi. Ainsi les parties et le tribunal arbitral peuvent choisir d'exclure ou à l'inverse d'inclure certains documents. En cas de contestation concernant le champ de la procédure de discovery c'est le tribunal arbitral qui délimitera le contour de la procédure. Discovery, ordre public international français et validité de la sentence La CCI a admis l’application de la discovery mais de manière limitée de sorte qu’elle n’aboutisse pas à une «fishing expedition». La procédure de discovery ne doit pas servir à rechercher des informations dans le but de dénicher des fondements juridiques à l’action mais doit permettre de trouver les preuves étayant les moyens de droit déjà formulés. Ainsi la demande doit contenir un certain nombre d’informations sur les documents (ordonnance de procédure de la CCI de 1993, ordonnance rendu le 8 mai 1997 dans l’affaire CCI8971, ordonnance de procédure du 16 mars 1993 dans l’affaire CCI7062, ordonnance rendue le 9 mai 1996 dans l’affaire CCI8850, affaire CCI7078 avec un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 21 juin 1997). Les décisions relatives à la procédure arbitrale sont prises sous la forme d’ordonnance. Il convient de noter le fait que les ordonnances de procédure ne sont pas annulables devant les juridictions étatiques, seules les sentences le sont. Toutefois, le juge a la possibilité de requalifier une ordonnance de procédure en sentence. Dans un arrêt en date du 12 octobre 2011, Société Groupe Antoine Tabet c/ République du Congo (n°de pourvoi 09-72439), la première chambre civile de la Cour de cassation a précisé que seules peuvent faire l’objet d’un recours en annulation les véritables sentences arbitrales, c’est-à-dire les actes des arbitres qui tranchent de manière définitive, en tout ou en partie, le litige qui leur est soumis, que ce soit sur le fond, sur la compétence ou sur un moyen de procédure qui les conduit à mettre fin à l’instance. Sont visées ici les fins de non-recevoir. Une ordonnance de procédure réglant les questions d'administration de la 19 Ibid. preuve ne sera alors pas requalifiée en sentence et donc pas annulable sur le fondement de l’ordre public international ou tout autre car elle ne tranche pas définitivement en tout ou en partie du litige et ne met pas fin à l'instance20. Les conditions pour l'annulation d'une sentence, la reconnaissance et l'exequatur de celle-ci ainsi que pour l'annulation d'une ordonnance d'exequatur de la sentence arbitrale sont les mêmes. Elles sont définies à l'article 1520 du Code de procédure civile qui prévoit en son quatrième et cinquième alinéa que le recours en annulation est ouvert si le principe du contradictoire n'a pas été respecté ou si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international. Concernant l'ordre public, le juge français vérifie uniquement que la sentence ne viole pas « de manière flagrante, effective et concrète » cet ordre public (Cour de cassation, première chambre civile, 4 juin 2008, Société SNF SAS). En pratique une sentence n'est que rarement, voire jamais, annulée en raison d'une contradiction avec l'ordre public international. Le recours est également possible contre la sentence si le principe du contradictoire n'est pas respecté. Ce recours s'effectuera soit lors d'un recours en l'annulation si les parties n'y ont pas renoncé21, soit lors de la contestation de l'ordonnance d'exequatur de la sentence arbitrale. L'obligation de respect du contradictoire est également rappelée à l'article 1510 du Code de procédure civile qui dispose que, « quelle que soit la procédure choisie, le tribunal arbitral garantit l'égalité des parties et respect le principe de la contradiction. » Peut-on considérer que le principe du contradictoire est respecté lorsque l’une voire les deux parties sont submergées par le volume de document soumis et n’ont pas le temps de préparer correctement leur réponse ? Il faut préciser que la partie qui entend se prévaloir d'une violation éventuelle à l'ordre public international français ou du non-respect du principe du contradictoire en raison de l'application de la procédure de discovery devra avoir soulevé ses objections dès les premiers instants de la procédure arbitrale, à défaut de quoi, en raison du principe de l'estoppel communément admis en arbitrage international, elle sera considérée qu'elle y a renoncé. Le principe d'estoppel est celui selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ». Ce principe a été introduit dans le Code de procédure civile en son article 1466 qui prévoit que, « [l]a partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir. » Ce principe d'estoppel fonde l'obligation de loyauté qui a été introduite dans le Code de Procédure Civile par le décret de 201122. Ce principe de loyauté avait précédemment été établi par la jurisprudence de la Cour de cassation (Cour de cassation, première chambre civile, 7 juin 2005, Ordre des avocats). Il vaut aussi bien pour les parties à l'instance que pour l'arbitre. Si le non 20 Voir Cour d’Appel de Paris, 25 mars 1994, Sardisud et al. v Technip,Rev.Arb 391 (1994), note Ch. Jarrosson. L'article 1522 du code de procédure civile prévoit la prossibilité pour les parties à un arbitrage international de renoncer au recours en annulation de la sentence par voie conventionnelle. 22 Article 1464 du Code de procédure civile. 21 respect de ce principe ne fait pas partie des conditions d'annulation d'une sentence de l'article 1520 du Code de procédure civile, il pourra en revanche permettre une action en responsabilité civile contre l'arbitre ou la partie qui aurait méconnu ce principe23. Reste la question de la loi de police qui divise toujours la doctrine. Est-ce que la violation d'une telle loi permettrait l'annulation d'une sentence arbitrale ou d'une ordonnance d'exéquatur ? La question a un intérêt au regard de l'introduction de la procédure de discovery dans une procédure arbitrale sur le sol français car il existe une loi du 16 juillet 1980 dite « loi de blocage » dont l'article 1bis interdit à toute personne de demander, de rechercher ou de communiquer, par écrit, oralement ou sous tout autre forme, des documents ou des renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères. Le non-respect de cette loi entraine des sanctions pénales. Est-ce que, dans le cadre d'un arbitrage international, le tribunal arbitral présent sur le sol français sera considéré comme une juridiction étrangère sachant que ledit tribunal est réputé ne pas avoir de for ? Cette loi n'a été invoquée par la jurisprudence qu'à une seule occasion lors d'un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de Cassation le 12 décembre 2007 (n° 07-83228). Les entreprises françaises semblent avoir renoncées aux protections octroyées par cette loi de blocage. Ainsi, il est peu probable que la sentence d'un tribunal arbitral, qui aurait ordonné une procédure de discovery, soit annulée sur le fondement de cette loi. Partie II : La E-discovery dans l'arbitrage international Par e-discovery il faut entendre la production d'éléments de preuve sous forme électronique. Pourquoi la e-discovery ? Aujourd'hui, et ce sera d'autant plus vrai dans le futur, l'informatique, internet et tout simplement l'électronique prennent une place considérable dans la vie des affaires. Et ce notamment dans le cadre du commerce international où les parties, qui sont souvent séparées par des milliers de kilomètres, vont essentiellement communiquer via internet que ce soit à travers Skype, les e-mails, ou tout autre mode impliquant un flux électronique. L'électronique a pris une place tellement considérable dans les litiges, que les États-Unis ont adapté leur législation pour répondre au besoin de la modernisation des moyens de communication. En effet, le Federal Rules of Civil Procedure a été amendé en 2006 pour introduire la e-discovery aux règles 26 et 3424. Il en va de même pour 23 24 E. Loquin, “La réforme du droit français interne et international de l'arbitrage”, RTD Com. 2011 p. 255 et suivantes. Règle 26(a)(1)(ii) du FRCP ; Règle 26(b)(2)(B) du FRCP ; Règle 34 du FRCP intitulée « producing documents, electronically stored information […] ». l'Angleterre avec son Civil Procedure Rules et ses Practice Direction25 qui donnent plus de détails sur l'application des règles de procédure civile. La question de la e-discovery au sein de l'arbitrage international, est d'autant plus pertinente qu'en matière commerciale la preuve sera rapportée par tout moyen26 et le principe prédominant est celui de l'absence de formalisme dans la rédaction du contrat. Le tribunal arbitral va alors pouvoir considérer que l'email constitue le contrat, ou un avant contrat ou encore une lettre d'intention. Il pourra également examiner les courriels échangés entre les parties pour déterminer quelle a été leur volonté avant la conclusion du contrat, quel a été leur comportement et leur état d'esprit lors de l'exécution du contrat ou à la fin de celui-ci. Dès lors, les emails, qui sont à l'origine un outil pratique utilisé quotidiennement par les professionnels, vont se révéler être la pièce maîtresse du litige. La e-discovery ne se résume pas au courriel mais englobe tout type de données à la condition qu'elles soient sous forme électronique. Parmi lesquelles, les metadatas qui sont des « données sur une donnée » électronique. Ces dernières nous renseignent sur l'auteur de la donnée, éventuellement son destinataire dans le cadre d'un email par exemple, sa date de création, le logiciel utilisé, les dates de modifications, qui a eu accès à la donnée, qui l'a supprimé et quand. Autant de détails qui peuvent s'avérer déterminant pour l'issue du litige et qui ne sont généralement pas présent sur un document au format papier. Les avancés technologiques et ses conséquences sont présentes dans les Règles IBA de 2010 qui inclues les documents sous forme électronique dans sa définition de « document » pour les besoins de l'administration de la preuve dans un arbitrage du commerce international28. 27 Avantages et inconvénients de la e-discovery L'arbitrage international doit répondre à des exigences de célérité et d'efficacité. Ainsi l'échange de preuve sous forme électronique peut avoir plusieurs avantages. En effet, un document électronique est plus facilement édité, copié et transféré qu'un document papier. Il pourra être aisément retrouvé. En « trois cliques » le document souhaité sera localisé sur l’ordinateur grâce à une recherche par mot-clé, alors que trois heures dans la salle des archives auraient été nécessaires pour le même document sous format papier. Ensuite, un document électronique est beaucoup plus dur à détruire qu'un document volant. En effet, une suppression classique du fichier ne suffit pas à l'éradiquer du système de stockage de votre ordinateur. Ainsi, les documents importants peuvent être récupérés et utilisés devant une cour ou un tribunal arbitral, alors que les papiers passés aux déchiqueteurs, par inadvertance ou non, sont perdus à jamais. Finalement, et c'est un détail important, le document électronique renferme certaines données très utiles que l'on ne retrouve pas dans le document papier ce sont les metadatas mentionnées un peu plus tôt. La e-discovery peut donc permettre un gain de temps considérable. 25 26 27 28 Part 31 du CPR ; Practice Direction 31A et 31B. Voir l'article 110-3 du Code de commerce français pour le droit français. Règles de l'International Bar Association (IBA) sur l'administration de la preuve dans l'arbitrage international, adopté par résolution du Conseil de l'IBA du 29 mai 2010. Voir le préambule des Règles IBA de 2010. Néanmoins, la e-discovery peut soulever de nombreuses difficultés dont les conséquences sont exacerbées dans le cadre d'un arbitrage international. S'il est vrai qu'il est plus commode d'échanger des informations par voie électronique en utilisant des courriels ou des systèmes du type Dropbox, en revanche le volume de données à produire et à étudier est plus conséquent. En lieu et place d’une centaine de document à analyser dans le contexte de la discovery, il y en aura un millier dans celui de la e-discovery. Ce facteur favorise la présentation par inadvertance à la partie adverse de documents confidentiels rentrant dans la catégorie des privilèges légaux tel que le secret professionnel entre un avocat et son client. D'autres problèmes liés à la nature des données peuvent être rencontrés et dont la résolution peut s'avérer très couteuse. Par exemple, la récupération de données efficacement supprimées va parfois nécessiter l'intervention d'un expert extérieur. Les règles IBA prévoient que le tribunal arbitral doit alors s'évertuer à atteindre un juste équilibre entre efficacité, économie et équité, lors de la gestion de l'administration de la preuve ce qui peut conduire à accepter ou au contraire à refuser l'admission de données électroniques en tout ou partie29. Le tribunal arbitral est en effet le gardien du bon déroulement de la procédure arbitral. Accessibilité des données informatiques Les documents électroniques pertinents peuvent s'avérer difficiles à localiser. En effet, ils peuvent se trouver sur un ordinateur de l'entreprise, qu'il soit fixe ou portable, sur un ordinateur personnel, un smartphone ou encore une tablette. Ces documents, nécessaires à la résolution du litige, risquent alors de ne jamais être dévoilés faute de localisation centrale des données de la société. Il y aura également un problème d'accessibilité si les données pertinentes sont nichées dans un système géré par un prestataire tiers et que la partie adverse n'y a pas facilement accès. En effet, le tribunal arbitral n'a pas le pouvoir d'émettre une ordonnance de production de document à l'encontre d'un tiers à l'instance arbitrale. Ce sont alors les juridictions étatiques, lorsque les lois nationales le prévoient, qui vont devoir ordonner les mesures de discovery. En France, il sera fait application de l'article 1469 du Code de procédure civil qui prévoit que, « si une partie à l'instance arbitrale entend faire état […] d'une pièce détenue par un tiers, elle peut, sur invitation du tribunal arbitral, faire assigner ce tiers devant le président du tribunal de grande instance aux fins d'obtenir […] la production […] de la pièce ». Pour des documents électroniques situés sur le sol américain il faudra se référer à l'article 1782 du Titre 28 du Code des États-Unis, cependant difficile à actionner dans le cadre d'une procédure arbitrale. La récupération des données effacées 29 Voir l'Avant Propos, le Préambule et l'article 9 des Règle IBA ; dans le même esprit, l'article 22 du Règlement d'arbitrage de la CCI prévoit que « [l]e tribunal arbitral […] condui[t] la procédure d'arbitrage avec célérité et efficacité en termes de coût, eu égard à la complexité et à l'enjeu du litige ». Un document ou un email disparaît rarement complètement. Et ce, même après avoir cliqué sur « effacé » puis « vidé la corbeille ». Il est souvent possible de le retrouver seulement, à moins d’en avoir un au sein de votre entreprise, il faudra faire appel à un expert extérieur qui pourra récupérer les données manquantes, bien que supprimées plusieurs mois auparavant, mais cela peut s'avérer très couteux. Se pose alors le problème du temps de conservation des données électroniques. Notamment dans le cadre du commerce international où les parties sont soumises à différentes législations, voire aucune, sur la rétention des documents en vue d'un litige. Aux États-Unis, les parties ont l'obligation de conserver les documents dès lors qu'un litige peut être raisonnablement anticipé. Cette pratique présente un réel intérêt car les documents spontanément préservés pourront s’avérés utiles par la suite et éventuellement permettre d'obtenir gain de cause. Si au contraire les documents sont incriminants, l’entreprise pourra plus rapidement s’en rendre compte et par conséquent transiger. Ainsi, sans y être obligé par une loi nationale c'est une attitude qu'il peut être intéressante d'adopter. Le principe de proportionnalité sera appliqué par le tribunal arbitral si la récupération des documents entraine un fardeau trop important pour l'entreprise concernée. Lesdits documents seront ainsi écartés de la procédure de e-discovery30, à moins que l'autre partie puisse prouver que les documents ont été effacés intentionnellement en raison du litige. D'où l'intérêt des metadatas, mentionnés précédemment, qui donnent des indications sur la date de suppression d'une donnée et l'auteur de l'action. Le tribunal arbitral pourra alors soit ordonner la production dudit document électronique et faire appel à un expert pour procéder à sa récupération, soit tenir compte de la mauvaise foi de la partie lors de la phase décisionnelle ou de l'allocation des coûts de justice. Le choix des mots clés pour trouver des documents stockés dans une base de donnée La sélection des mots-clés pour faire des recherches dans une base de données informatiques est une étape indispensable dans le processus de la discovery électronique. Ces mots-clés peuvent être déterminés par les parties elles-mêmes ou par le tribunal arbitral. A moins que ce dernier comprenne un expert en informatique, il existe une alternative qui est de déléguer cette tâche à un expert extérieur et indépendant. Celui-ci devra, en plus d'avoir des connaissances en informatique, avoir une certaine compréhension légale de l'affaire. Dans le but d'éviter des dénonciations futures, cet expert pourra aviser les parties et le tribunal arbitral des termes sélectionnés. Un choix de termes trop large ou manquant de pertinence peut conduire à une plus grande production de document dont la plupart seront inutiles. On peut se retrouver alors avec plus d'un million de données à traiter en un laps de temps relativement court. Il est alors fort probable que le tribunal arbitral rejette la production au nom du principe de proportionnalité dans l'administration de la preuve. Au contraire, bien choisir les mots-clés permet de trouver rapidement les documents désirés et de réduire les coûts. La e-discovery devient alors beaucoup plus efficace que la discovery classique. Documents électroniques envoyés ou reçus par inadvertance 30 Voir l'article 3.3(c)(i) des Règles IBA de 2010. Lorsque le volume de données échangées pendant la procédure de discovery est très important, ce qui est souvent le cas pour des données électroniques, il y a alors un risque de transmission par inadvertance d'informations protégées. Ni les Règles IBA, ni le règlement CCI ne donnent de réponse à ce problème. Il est alors intéressant de se tourner vers les États-Unis pour trouver une solution. Le Federal Rules of Evidence (FRE) 502(b) prévoit l'hypothèse d'une communication par inadvertance et donne trois conditions à remplir pour que la transmission ne soit pas considérée comme une renonciation au secret professionnel. La première est que le document ait été transmis par inadvertance, la seconde que le bénéficiaire du privilège ait pris des mesures raisonnables pour éviter la divulgation des documents. Et la troisième, que le bénéficiaire de la protection ait pris des mesures raisonnables pour rectifier son erreur. Bien que ce procédé soit rarement utilisé aux États-Unis, les parties ont la possibilité grâce à l'article 502 FRE précité, d'utiliser des « clawback » clauses, selon lesquelles si une partie divulgue par inadvertance un document privilégié, la partie réceptrice doit le retourner. Cette clause permet alors de contourner la nécessité de prendre toutes mesures raisonnables pour prévenir la transmission de documents soumis au secret professionnel. Elle pourrait être introduite dans la convention d'arbitrage. Consultation des parties Dans le but de résoudre une bonne partie de ces problèmes, les Règles IBA en son article 2, mais aussi le Règlement d'arbitrage CCI suggèrent fortement aux parties de se réunir le plus rapidement possible afin d'éluder les interrogations qui pourraient surgir quant à la recherche et la préservation des documents électroniques. Il serait approprié d'aborder les questions sur la localisation des documents, les mesures de conservation des documents électroniques adoptées par chaque partie, la forme de la transmission des données et le type de système utilisé pour le stockage des données électroniques. Avoir un système de sauvegarde des données informatiques Afin de gagner du temps les entreprises pouvant être sujettes à une demande de e-discovery devraient considérer avoir un système de gestion automatique des données. Certaines entreprises américaines ont mis en place un système d'archivage automatique qui scanne tous les documents et toutes les communications électroniques conservés sur le réseau informatique de l'entreprise. Les entreprises peuvent également faire appel à un prestataire de Cloud-Computing. Ce système permet aux entreprises de stocker un volume conséquent de données sans avoir à maintenir une infrastructure tout en offrant un accès rapide et simple aux données. Cependant, il faut être vigilant car le Cloud-Computing peut se heurter à la Directive 95/46 CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à leur libre circulation. Le responsable du traitement est tenu de fixer une durée de conservation raisonnable en fonction de l'objectif du fichier. La conservation pour une durée supérieure à celle qui a été déclarée est sanctionnée de 5 ans d'emprisonnement et de 300 000€ d'amende31. Ce qui pose le problème des prescriptions pour l'ouverture d'une action en justice qui varient selon le pays du cocontractant. Audelà de la durée déterminée, les données personnelles doivent être effacées, sauf lorsque des dispositions légales imposent la conservation des documents pendant une certaine durée (par exemple, les documents comptables, les contrats électroniques). La conservation doit être réalisée dans un but précis. En cas de réutilisation des données pour une finalité autre que celle pour laquelle elles ont été collectées, l'entreprise pourra faire face à des sanctions pénales32. Ainsi, a priori, l'entreprise qui contracterait avec un prestataire de CloudComputing dans le but de faire face à une éventuelle demande de e-discovery ne pourrait pas récupérer les données en dehors de tout litige. Egalement sous peine de sanctions pénales33, les traitements informatiques de données personnelles qui présentent des risques particuliers d'atteinte aux droits et aux libertés doivent, avant leur mise en œuvre, être soumis à l'autorisation de la CNIL. On est dans ce cas de figure lorsque l'on stocke, dans l'éventualité d'un litige, tous les e-mails envoyés depuis un poste de travail au sein de l'entreprise. Dans l'éventualité d'une violation des dispositions d'application de la directive européenne, le risque est de voir la responsabilité de l'entreprise engagée. En revanche, il y a peu de chances que la sentence arbitrale ou l'ordonnance d'exéquatur de la sentence soit annulée car la cour de cassation ne sanctionne que les violations « flagrantes, effectives et concrète » à l'ordre public international français34. En pratique une sentence n'est que rarement voire jamais annulée en raison d'une contradiction avec l'ordre public international. Une réforme de la Directive 95/46 CE est cependant prévue. Celle-ci devrait être remplacée par un Règlement sur la protection des données et une nouvelle Directive relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel. Laurence da Costa 31 32 33 34 Article 226-20 du Code penal. Article 226-21 du Code penal. Article 226-16 du Code penal. Civ. 1re, 4 juin 2008, société SNF SAS.