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2 3 Objet : Kyrielle De : Lucas Meyer, Luc de Fouquet Date : 17 mars 2014 00:06:40 HNEC À : ART VIVANT, ART UTILE (1) Victor Papanek,Design pour un monde réel, Mercure de France, Paris, 1974 Bonjour à tous ! Pour la journée de la culture dans les universités, nous souhaitons concevoir un journal. Ce dernier sera constitué d’une partie textuelle qui sera mise en regard d’images composées par les étudiants sur place, le 10 avril prochain. Afin de créer cette matière texte, nous aimerions mettre en place avec vous une sorte de kyrielle, ou plutôt un Ping-Pong. On vous envoie un premier texte/image, qui nous parle, ensuite à vous de nous renvoyez un texte qui répond à cet extrait et à quoi il peut faire référence De : Le Fabricatoire Objet : Rép : Kyrielle Date : 19 mars 2014 17:09:51 HNEC À : Luc de Fouquet, Lucas Meyer pour vous. Les textes que nous vous demandons peuvent être divers : articles, extraits de textes d’auteur, poèmes, chansons, et peuvent éventuellement être accompagnés d’images. Enfin à nous de trouver une dernière référence pour bouclée l’échange et le publier dans le journal du 10 avril. L’idée n’est pas tant de mettre en exergue des textes qui légendent le travail de chacun des collectifs mais plutôt de mettre en lumière ce qui nourrit les démarches de chacun. Afin de débuter cet échange et par amour pour les règles, nous proposons comme point de départ non pas un texte mais un schéma, issue du livre Design pour un monde réel, de Victor Papanek (1). En espérant que cela vous inspire ! Bien à vous. Luc et Lucas Et re d an s le mo n d e Un homme est dans une pièce. Il est peut-être habillé ou peut-être pas, peut-être est-il noir ou petit. Ça n’a pas d’importance. On sait seulement qu’il est debout. Il regarde fixement devant lui. Mais ce qu’il voit c’est dans lui. En face, un miroir lui renvoie sans faillir son image. Cet homme, donc, est face à la représentation qu’il se fait de lui-même. Pourtant, ce qui s’étale là c’est autre chose : un objet manufacturé acheté pas loin, dessiné par une designeuse de là, d’après une tradition de là-bas et réalisé grâce aux milliers d’inventions survenues durant les siècles passés. C’est donc le produit de la somme d’un nombre faramineux d’interactions sociales et matérielles qui se trouve devant lui. En bref, il est en présence d’un extrait du monde, d’un concentré d’humanité. S’il n’a pas réellement conscience de cela à ce moment-là, il n’empêche qu’en tant qu’individu il fait partie d’un corps social et historique et que cette relation se matérialise là, par la concomitance de sa présence avec le miroir, ou avec les chaussons qu’il a au pied, ou avec la tasse de café qui fume sur la table. Car le corps social n’est pas la coaction simultanée de toutes ses parties, mais c’est ce qu’expérimente cet homme : la co-existence des individus présents et passés, de leurs relations directs ou indirects.1 s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel. » 2 Alors disons que l’homme au miroir est un de ces créateurs. C’est-à-dire, un homme qui, de l’action de ses mains, de son cœur ou de sa tête fera naître quelque chose. Ce quelque chose fera, dès lors, partie du monde. Il existera pour toutes celles et ceux qui, directement ou non, y seront confrontés. Ainsi, le parfum chaud d’une miche en train de cuire résonnera différemment que l’on soit trimardeur, boulanger, de retour de l’école ou en hiver, mais il aura une résonance pour tous, ce que d’aucuns3 appellent le partage du sensible. Ils s’en servent alors pour définir la relation qui existe entre la cohabitation des formes (l’esthétique) et la cohabitation des êtres (le politique). Ce régime, appelons-le la cohabitation des sens dans la double acceptation des deux termes : cohabiter comme habiter ensemble et comme habiter à côté ; sens comme sensible et sens comme sensé. Et c’est ce régime de la cohabitation des sens qui défini la culture non pas comme une identité fixe mais comme un système complexe de relations, flottant, évolutif, relatif. Et c’est dans et par ce système qu’existe le créateur. Camus nous le dit. Il ne peut d’ailleurs pas exister en dehors de lui. E M M O C E D LE MO N C O N D IT I O N D E C R E AT I O N «L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas III 4 5 Toute expérience, quelle que soit sa portée, commence par une impulsion, ou plutôt comme une impulsion. […] « L’impulsion » désigne un mouvement vers l’extérieur et vers l’avant de tout l’organisme. John Dewey, L’art comme expérience, Folio, Paris, 2010, p. 115 N O I T U B I R T N O LA C E U Q I T A M E T S Y S Depuis quelques temps émerge un discours qui tend à vanter à notre homme au miroir les mérites de la contribution dans le travail de création. Et ce, en tant que tentative de déconstruction de la division « rationnelle » des tâches et de mise en avant d’un échange entre le créateur et « l’autre » en vue d’une amélioration de ce qui sera créé4. C’est, alors, présupposer que le créateur est hors du monde et qu’il ne jouit pas déjà de la contribution permanente des autres parties du corps social. C’est, d’une certaine manière, nier l’existence de la cohabitation des sens et donc du caractère collectif inhérent à cette cohabitation. Peut-on nier l’influence (et donc la contribution) de notre environnement (et donc du corps social) dans un acte de création ? Ne pourrait-ce être l’agréable odeur du pain, combinée au plaisir procuré par la nouvelle d’une naissance qui pousseront cette femme à s’attarder en terrasse plutôt qu’à s’attabler pour dessiner le miroir qu’on lui commande ? Et si c’était là, et grâce à la tache de café sur le tablier du serveur, que lui venait l’idée de la forme de ce miroir ? C’est l’action (ou l’inaction) simultanée et non-concertée des hommes et femmes et de leurs créations passées qui permettront les conditions d’émergence des nouvelles créations.5 À quel titre peut-on donc dire que la création n’est pas déjà un acte contributif par essence ? En réalité le créateur, bien qu’inconscient du phénomène, n’est que le point de focal de l’ensemble des conditions d’émergences de la nouvelle création, il ne fait que se servir d’éléments qui constituent la culture pour faire naître un nouvel élément qui deviendra lui-même constitutif de la culture. Cette matrice auto-alimentée, fruit de toutes les interactions sociales est la preuve du caractère éminemment collectif de toute création. Et il ne s’agît pas d’une simple mise en commun, d’un mutualisme pratique et pragmatique, non. Mais davantage d’un caractère essentiel, fondamental et sine qua non de la création. Cet état de fait de la propriété collective de chacun des sens a dès lors un nom : c’est une forme latente de communisme, où chaque sens est à la disposition de chacun et où l’accès à ces sens est la condition nécessaire à l’émergence de la création. C’est ce que nous pourrions appeler un communisme esthétique. Et peut-être serait-il judicieux de tenter de le faire passer de l’inconscient au conscient du corps social pour libérer les énergies créatrices et, ainsi, atteindre la société des créateurs évoquée par Camus. ou des pleurs s’éteint alors même qu’elle se manifeste. Extérioriser équivaut à se débarrasser, à évacuer ; exprimer implique rester aux côtés de, accompagner tout au long du développement jusqu’à l’achèvement. Une crise de larme peut apporter du soulagement et un accès de violence destructrice permettre d’évacuer sa fureur. Mais là où il n’y a pas gestion des conditions objectives, pas de mise en forme des matériaux dans le but de donner corps à l’excitation, il n’y a pas d’expression. 1.Bonjour Jean-Gabriel Tarde (cité par Annick Lantenois dans Le design graphique en extension, in catalogue de l’édition 2011 du Festival de l’affiche et du graphisme de Chaumont) 2.Bonjour Albert Camus (Discours de Suède, Folio, 1997 ) 3.Bonjour Jacques Rancière (Le partage du sensible, La Fabrique, 2000) 4.Bonjour Annick Lantenois (Le design graphique en extension, in catalogue de l’édition 2011 du Festival de l’affiche et du graphisme de Chaumont) 5.Bonjour Léon Tolstoï (La Guerre & la Paix, Folio Classique) — John Dewey, L’art comme expérience, Folio, Paris, 2010, p. 80,115,127 — Jil Daniel De : Lucas Meyer, Luc de Fouquet Objet : Rép : Kyrielle Date : 19 mars 2014 17:09:51 HNEC À : Le Fabricatoire E M M O C L A RT E C N E I R E EXP Il y a constamment expérience, car l’interaction de l’être vivant et de son environnement fait partie du processus même de l’existence. dans des conditions de résistance et de conflit, des aspects et des éléments du moi et du monde impliqués dans cette interaction enrichissent l’expérience d’émotions et d’idée, de sorte qu’une intention consciente en émerge. […] Toute expérience, quelle que soit sa portée, commence par une impulsion, ou plutôt comme une impulsion. J’utilise le terme « impulsion » plutôt que « réflexe ». Un réflexe est spécialisé et particulier ; il ne constitue qu’une partie, même lorsqu’il est instinctif, du mécanisme d’une adaptation accrue à l’environnement. « L’impulsion » désigne un mouvement vers l’extérieur et vers l’avant de tout l’organisme. […] L’acte d’expression n’intervient pas après une inspiration déjà complète. Il consiste à mener l’inspiration jusqu’à son terme au moyen du matériau objectif que procurent la perception et l’imagerie. […] Il n’y a pas d’expression sans excitation ni effervescence. Toutefois, une agitation intérieure qui s’extériorise dans l’instant par un rire 6 7 qui la font renaître à elle-même et qui nous mettent face à une autre ville, un autre décor, comme incrusté dans les rues et les passages que nous croyions pourtant connaître. » De : Formes-Vives Objet : Rép : Kyrielle Date : 19 mars 2014 17:09:51 HNEC À : Luc de Fouquet, Lucas Meyer A RT et (2 ) ie h op s ilo h P E R T N O C U D I P O UV O IR — Thierry Davila, Marcher créer, éditions du Regard, Paris, 2007 Le « communisme », la libération n’existent donc pas en tant que lieu, en tant que modèle à atteindre ou à réaliser ; ils existent ici et maintenant en tant qu’exigences. Et la reconnaissance de cette exigence implique de lutter contre ce mécanisme qui fait vivre les gens dans une cristallisation de l’oppression caractérisée par la tristesse, l’ennui, le manque de désir suffisamment fort. Expression imaginaire d’individus isolés, les envies, les caprices ont remplacé, dans notre culture en crise, le désir. D’où le sentiment d’isolement, à la base d’une dépression sociale, d’un manque de sens de la vie transformée en sa propre caricature, une simple vie individuelle. Chacun de nous est submergé par une impuissance morbide, autoentretenue par une sorte de narcissisme de l’échec, comme si être impuissant était aujourd’hui, dans cette mythologie de l’anti-héro, la seule garantie d’être libre. La dépression […], l’ennui, la lenteur, l’extinction du désir sont des problèmes qui ont à voir avec la puissance, mais au-delà, ce sont de véritables questions politiques. C’est ce qui nous fait dire que la tristesse est réactionnaire et qu’elle entrave les possibilités immédiates d’émancipation. La tristesse et ses symptômes sont en effet les voies de la réaction, de l’extinction de la liberté. — Miguel Benasayag et Diego Sztulwarkal, extrait de Du Contre-pouvoir, édition La Découverte, Paris, 2002, p. 26. (2) Thomas Hirschhorn et Marcus Steinweg, The Map Of Friendship Between Art And hilosophy, 2007 I F ete F oraine De : Luc de Fouquet, Lucas Meyer Objet : Rép : Kyrielle Date : 19 mars 2014 17:09:51 HNEC À : Formes-Vives J’entends par convivialité l’inverse de la productivité industrielle. Chacun de nous se définit par relation à autrui et au milieu et par la structure profonde des outils qu’il utilise. Ces outils peuvent se ranger en une série continue avec, aux deux extrêmes, l’outil dominant et l’outil convivial. Le passage de la productivité à la convivialité est le passage de la répétition du manque à la spontanéité du don. La relation industrielle est réflexe conditionné, réponse stéréotypée de l’individu aux messages émis par un autre usager, qu’il ne connaîtra jamais, par un milieu artificiel, qu’il ne comprendra jamais. La relation conviviale, toujours neuve, est le fait de personnes qui participent à la création de la vie sociale. Passer de la productivité à la convivialité, c’est substituer à une valeur technique une valeur éthique, à une valeur matérialisée une valeur réalisée. La convivialité est la liberté industrielle réalisée dans la relation de prodcution au sein d’une société dotée d’outils efficaces. Lorsqu’une société, n’importe laquelle, refoule L A E T I L A I V I V N O C L’homme ne se nourrit pas seulement de biens et de services, mais de la liberté de façonner les objets qui l’entourent, de leur donner forme à son goût, de s’en servir avec et pour les autres. Dans les pays riches, les prisonniers disposent souvent de plus de bien et de sevices que leur propre famille, mais ils n’ont pas voix au chapitre sur la façon dont les choses sont faites, ni droit de regard sur ce qu’on en fait. Dégradés au rang de consommateurs-usagers à l’état pur, ils sont privés de convivialité. la convivialité en deçà d’un certain niveau, elle devient la proie du manque; car aucune hypertrophie de la productivité ne parviendra jamais à satisfaire les besoins créés et multipliés à l’envi. — Ivan Illich, La Convivialité, Seuil, Paris, 1973 p. 27 De : La Briche Objet : Rép : Kyrielle Date : 19 mars 2014 17:09:51 HNEC À : Lucas Meyer, Luc de Fouquet « Il y a peu d’événements qui ne laissent au moins une trace écrite. Presque tout, à un moment où à un autre, passe par une feuille de papier. » — Georges Perec, Espèces d’espaces, Éditions Galilée, Paris, 1974, p 18. L A M arc h e « Souvent lorsque nous marchons, lorsque nous sommes pris par la marche au cours de déambulations répétitives dans des villes ou dans des quartiers familiers, un intense sentiment de découverte nous saisit face au spectacle du monde qui défile au rythme de nos pas, comme si ce qui s’offrait à nous, se déployait soudain à nos yeux, venait à peine d’apparaître, comme si, tout à coup et miraculeusement, nous arpentions l’univers sans jamais l’avoir fait auparavant. Souvent, la marche parvient à déplacer la réalité la plus routinière vers des zones d’incertitude et d’étrangeté Heureux comme la truite remontant le torrent Heureux le cœur du monde Sur son jet d’eau de sang Heureux le limonaire Hurlant dans la poussière De sa voix de citron Un refrain populaire Sans rime ni raison Heureux les amoureux Sur les montagnes russes Heureuse la fille rousse Sur son cheval blanc Heureux le garçon brun Qui l’attend en souriant Heureux cet homme en deuil Debout dans sa nacelle Heureuse la grosse dame Avec son cerf-volant Heureux le vieil idiot Qui fracasse la vaisselle Heureux dans son carrosse Un tout petit enfant Malheureux les conscrits Devant le stand de tir Visant le cœur du monde Visant leur propre cœur Visant le cœur du monde En éclatant de rire. — Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, Paris, 1949, 8 Quels sont vos réels désirs ? 9 10 11 I I E D O H T E M E T S I n N O S IT U AT I De : Luc de Fouquet, Lucas Meyer Objet : Rép : Rép : Kyrielle Date : 26 mars 2014 19:03:41 HNEC À : La Briche D E R IV E S De : Collectif Etc Objet : Rép : Kyrielle Date : 25 mars 2014 17:13:41 HNEC À : Lucas Meyer, Luc de Fouquet En 1957 de la fusion de l’« internationale lettriste » et de l’« Union internationale pour un Bauhaus imaginiste » naissait l’« internationale situationniste » qui adopta le concept d’« urbanisme unitaire » comme slogan de ses actions. L’Union internationale pour un Bauhaus imaginiste était elle-même un acte de protestation contre le premier programme de la Hochschule für Gestaltung d’Ulm formulé par Max Bill. (Gropius avait autorisé Bill à reprendre le terme de « Bauhaus » à propos du nouvel établissement. Bill finit par l’abandonner.) Le peintre Asger Jorn formula ses objections à l’égard d’Ulm dans son livre « Image et forme » (Milan 1954) structurer notre existence en fonction des besoins de notre communauté. Au lieu d’être seulement l’expert venu de l’extérieur qui tente de résoudre les conflits inhé-rents à des classes sociales à revenus bas, moyen élevé, ou même simplement « d’aider les pauvres », nous pouvons tenter de changer les schémas d’asso-ciations existants, nous pouvons participer aux processus de création des bases physiques qui favorisent un autre mode de vie. En fait nous pouvons devenir un élément actif, du changement culturel plutôt qu’un expert en cette matière. Le problème n’est plus alors de rapprocher ces experts du « peuple », mais de créer un changement culturel dans lequel les gens seront libérés de leur dépendance vis-à-vis des experts. Il devient donc nécessaire d’imaginer des situations modèles dans lesquelles les individus ne se sentiront plus contraints X U A E V U O N E D R O LE S Le fait d’avoir éliminé l’advocacy planning d’un tel projet n’implique pas la négation du rôle des experts dans la création d’une société libérée. Pris à son jeu professionnel et captif de son groupe, l’architecte ou l’urbaniste peut toujours lancer une idée même radicale pourvu qu’elle soit commercialisable et reste la propriété du groupe. Nous devons cependant dépasser ce comportement professionnel et d’imiter les valeurs d’esthétique du pouvoir établi en architecture, mais seront libres d’explorer et traduire leurs propres besoins en matière d’environnement. En prenant de véritables décisions, au lieu d’être éternellement les sujets et cobayes d’une science des besoins et des comportements, les usagers pourront acquérir à la longue une conscience sensorielle plus vive des lieux qu’ils habitent et, dès lors, seront à même de les transformer. En redonnant vie à une sensibilité depuis longtemps émoussée ce processus donnerait à une révolution culturelle sa dimension architecturale. — R.Goodman, extrait de De gentils flics ; article paru dans la revue Design & Environement, 1971 1. Les situationnistes doivent s’opposer en toute occasion aux idéologies et aux forces rétrogrades, dans la culture et partout où est posée la question du sens de la vie. 2. Personne ne doit pouvoir considérer son appartenance à l’IS comme un simple accord de principe; ce qui implique que l’essentiel de l’activité de tous les participants doit correspondre aux perspectives élaborées en commun, aux nécessités d’une action disciplinée, et ceci aussi bien pratiquement que dans les prises de position publiques. 3. La possibilité d’une création unitaire et collective est déjà annoncée par la décomposition des arts individuels. L’IS ne peut couvrir aucun essai de rénovation de ces arts. 4. Le programme minimum de l’IS est l’expérience de décors complets, qui devra s’étendre à un urbanisme unitaire et la recherche de nouveaux comportements en relation avec ces décors. 5. L’urbanisme unitaire se définit dans l’activité complexe et permanente qui, consciemment, recrée l’environnement de l’homme selon les conceptions les plus évoluées dans tous les domaines. 6. La solution des problèmes d’habitation, de circulation, de récréation ne peut être envisagée qu’en rapport avec des perspectives sociales, psychologiques et artistiques concourant à une même hypothèse de synthèse, au niveau du style de vie. 7. L’urbanisme unitaire, indépendamment de toute considération esthétique, est le fruit d’une créativité collective d’un type nouveau ; et le développement de cet esprit de création est la condition préalable d’un urbanisme unitaire. 8. La création d’ambiances favorables à ce développement est la tache immédiate des créateurs d’aujourd’hui. 9. Tous les moyens sont utilisables, à condition qu’ils servent à une action unitaire. La coordination de moyens artistiques et scientifiques doit mener à leur fusion complète. 10. La construction d’une situation est l’édification d’une micro-ambiance transitoire et d’un jeu d’événements pour un moment unique de la vie de quelques personnes. Elle est inséparable de la construction d’une ambiance générale, relativement plus durable, dans l’urbanisme unitaire. 11. Une situation construite est un moyen d’approche de l’urbanisme unitaire, et l’urbanisme unitaire est la base indispensable du développement de la construction des situations, comme jeu et comme sérieux d’une société plus libre. nibles, d’après Bertrand Schwarz, qui répondent à cette définition. Bien, donc nous sommes en mesure de reprendre, cette exigence vécue, qui est une exigence d’autonomie et d’émancipation de la personne, de liberté et de quête d’un sens. de la prendre et de dire : si vous n’êtes pas capable de vous en emparer, pour permettre aux gens de donner une dimension militante, sociale, collective à leur exigence personnelle, alors vous êtes foutus et nous avec. — André Gorz, extrait retranscrit d’une interview donnée dans le film André Gorz - Sur le travail. Réalisé par Marian Handwerker, 1990 E M E t s y S e L T ec h nicien Amsterdam le 10 novembre 1958 — Constant et Guy Debord, déclaration d’Amsterdam, réedité dans l’Internationale Situationniste n°2 (December 1958) De : Luc de Fouquet, Lucas Meyer Objet : Rép : Rép : Kyrielle Date : 25 mars 2014 09:09:41 HNEC À : Collectif Etc Ce que nous demandons à notre travail, c’est premièrement d’être intéressant, de permettre une implication, et d’être socialement utile et d’avoir un sens, si ça n’a pas de sens, si ce n’est pas socialement utile et que ce n’est pas intéressant, alors c’est un gagne pain, et on veut pouvoir en changer aussi souvent que possible pour ne pas devenir idiot. ça c’est l’attitude des travailleurs relativement jeune vis-à-vis de leur profession ou de leur travail. Pouvoir apprendre tout le temps, pouvoir changer de boulot, parce que c’est pas si intéressant que ça ou alors trouver le travail qui est une mission, un investissement personnel, ce qui est une œuvre personnelle ce qui est relativement rare, il n’y a que 5% des emplois dispo- Nous sommes là en présence de la question : est-ce qu’il y a vraiment un sens possible ? Mais la recherche du sens ne peut pas être une affaire purement intellectuelle. La recherche du sens implique une mise en question radicale de la vie moderne. Pour retrouver un sens il faut remettre en question ce qui n’a pas de sens. Or nous sommes entourés d’objets qui sont actifs, efficaces mais qui n’ont pas de sens. Alors autant une œuvre d’art a du sens ou plusieurs sens ou provoque chez moi un sentiment, une émotion qui donne un sens à ma vie autant le produit technique n’en n’a pas. D’autre part nous sommes devant l’obligation de redécouvrir des vérités fondamentales que la technique efface ou ce que l’on peut appeler des valeurs, des valeurs importantes, essentielles pour que l’homme trouve que la vie vaut la vie d’être vécue. Autrement dit c’est à partir du moment que je considère que la situation est vraiment dangereuse que je dois mettre en mouvement bien plus que de la technique mais toutes mes capacités intellectuelles, humaines, mes relations avec les autres, créer des mouvements etc. C’est-à-dire que c’est lorsque je pense qu’il y a le risque d’une fatalité, autrement que les choses risquent de se développer comme un destin, et j’ai écris que la technique se développait comme une forme de destin pour l’homme, c’est à ce moment-là que l’homme doit se révolter et refuser que cela soit un destin. Et a ce moment là nous retrouvons ce que l’humanité à toujours fait quand elle s’est retrouvé en présence d’un destin il suffit de se rappeler de toutes les pièces de théâtres grecques; où c’est en présence de la fatalité que l’homme se dresse disant non je veux que l’humanité existe et je veux aussi que la liberté existe. À ce moment là il faut alors espérer non pas remporter des victoires très rapides ni espérer une facilité dans le combat mais il faut savoir que nous continuons à remplir notre rôle d’homme. Mais en réalité c’est une situation qui n’est pas insurmontable. Il n’y a pas de fatalité que nous ne puissions pas vaincre. Seulement alors, il faut des raisons très profondes pour se mettre à lutter. Il faut avoir des convictions très fortes, il faut vouloir que l’homme continue à vouloir être un homme. Cette lutte contre la fatalité technicienne, et bien nous l’avons mené dans des petites actions, à petite échelle mais il faut toujours que cela soit des petits groupes à grandeur humaine, où l’on se connaisse. Ce ne sera pas de grands mouvements de foule, ça ne sera pas d’immenses syndicats ni d’immenses partis politiques qui arriveront à lutter contre ce développement. Alors ce que je viens de dire ce n’est pas très efficace, bien sûr mais si nous luttons contre des choses parce qu’elles sont trop efficaces nous ne pouvons pas jouer à être plus efficace. Ce ne sera pas immédiatement très efficace mais il faut espérer que l’humanité ne meurt pas et que se transmette de générations en générations, des vérités. — Jacques Éllul, extrait retranscrit d’une interview donnée dans le film The Betrayal by Technology: A Portrait of Jacques Ellul Réalisé par Jan van Boeckel, 1992 De : Radio Charette Objet : Rép : Kyrielle Date : 21 mars 2014 12:24:41 HNEC À : Luc de Fouquet, Lucas Meyer V ie s Henri Grouès dit « Castor méditatif » allume un feu de camp, Frère Philippe descend sur le quai de la gare de Grenoble. Olivier Saint-Jean traite son entraîneur de « chariot ». Ahmad Fadel Nazzal dit « l’homme vert » traverse le cimetière en bas de sa chambre. Victoria Merida Rojas enfile ses chaussons de ballerine. Arthur Adamian regarde brûler les torchères des puits de pétrole. À Conakry, Laure Clauzet lève sa raquette pour tenter un smash. Yaacov Gipstein trace les lettres de l’alphabet hébreu. Françoise Dreyfus se bouche le nez en passant à côté d’un cadavre. Romian Kacew se fèle la mâchoire au cours d’un vol piloté par 13 un polonais. Philippe Fragione dit « Chill » lit l’ency-clopédie à la bibliothèque municipale. Philibert alias Émile Chartier rédige un article de campagne pour le quotidien la Démocratie rouennaise. Albert Grimaldi se relève en cachette pour allumer la télévision. Cassius Clay jette sa médaille d’or de champion olympique dans l’Ohio. Allen Konigsberg dit « Red » entre sur le ring. Devant le piano, montant et descendant quatre octaves, Julia Wells fait des vocalises. Anne Bourguignon pleure dans le film Anémone de Philippe Garrel. Richard Btesh vante les mérites d’un réfrigérateur. De sa fenêtre, Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky regarde le président sortir du palais de l’Élysée. Mohamed Abdel Rahman plante un manguier dans la cour de la maison. Diane Nemerov suit une clocharde dans le métro. Max bronstein dessine un cercle chromatique. Léonie Bathiat regarde manœuvrer les tramways dans le dépôt de Courbevoie. Armand Fernandez fait tourner une porcelaine chinoise dans ses mains. Charles de Batz-Castelmore s’entraîne au maniement de la rapière. Jacques Essebag annonce les résulats sportifs sur Radio Massy-Pal. Frédéric Austerlitz plie les genoux et dégage la jambe gauche en seconde. Cécilia Ciganer-Albéniz, mannequin -cabine, enfile un prototype. Lucie Bernard porte un petit pot de lait chez le comte de Barbentane. Lucie Samuel corrige le cahier de Simone Kaminker. Assis sur un strapontin à l’arrière de la berline Panhard Samuel roule vers Chamonix. Martine Delors regarde sa montre dans la cour du lycée Notre-Dame-des-Oiseaux. Marguerite Donquichote garde des agneaux. Colette Dacgevile presse sur ses reins une compresse d’eau chaude enveloppée d’une serviette-éponge sèche et recouverte d’une bouillotte. Mickaïl Johanna traduit en arabe un vers de Shakespeare. Varenagh Aznavourian écoute son père chanter entre les tables du restaurant. Betty Perske pose pour un magazine de mode. Freda McDonald dit « Tumpy » regarde sa mère danser sans renverser une goutte, un verre d’eau posé sur la tête. Joséphine Martin fait la lessive chez une famille blanche. Donald Weems saute du deuxième étage pour imiter Superman. Josiane Balaskovic dit « le cerveau » écrit une rédaction pour une copine. Balthasar Klossowski de Rola a perdu son chat. Honoré Balzac achète une imprimerie. Le cœur serré, Monique Serf regarde partir le piano de location. Le public siffle Barbara Brodi au cabaret du Vent Vert. Edward Teach arraisonne le sloop Margaret au large des côtes de l’île du Crabe. Kheir-ed-Din envoie une chaloupe avec un officier turc sommer le com-mandant Martin de Vargas de se rendre. Édouard Ruault enlève les verres de bière et passe l’éponge sur la table. Jeanne Bécu fait essayer un chapeau dans la luxueuse boutique de mode les traits galants rue Saint-Honoré. Clément Marty parle le skovatch. Le garde forestier Georges Kern marque d’un trait blanc un arbre à abattre. Sous la table du bistrot, Philippine Bausch observe un homme ôter son chapeau. Le page « Riquet » alias Pierre Terrail récite un poème à Charles 1er. « Non » dit Bernard Pouget. François Silly mise tout sur le rouge. Hilla Wobeser photographie les jardins en terrasse du palais de Sans-Souci. Mieczyslaw Biegun pousse une brouette dans le camp de travail de Petchora en Sibérie. Jean Berger rêve de devenir torero. Dominique Quenin coupe une dépêche sur le télex. Benjamin Vautier pose le bras de l’électrophone sur un disque d’occasion. David Grün récolte les oranges. Assise à coté de son père, Yamina Zora Belaïdi répète une phrase en arabe. Joseph Ratzinger pose une mine antichars.Dans un bureau de l’American Express, Michèle Riond traduit en français un nouveau contrat. Michel Hamburger aligne des petites voitures. Henriette-Rosine Bernard prie au couvent des Grands-Champs. Claude Beri Langmann, apprenti fourreur, tire sur les queues de vison mouillées pour les aplatir. Maurice Zylberberg triche sur son âge pour s’engager dans l’armée israélienne. William McCarty découpe des steaks sur l’étal du boucher. Henry Antrim cache son butin dans III Thierry Davila, Marcher créer, éditions du Regard, Paris, 2007 « Souvent, la marche parvient à déplacer la réalité la plus routinière vers des zones d’incertitude et d’étrangeté qui la font renaître à ellemême et qui nous mettent face à une autre ville, un autre décor » 12 une laverie chinoise. William Bonney se tient la hanche à deux mains. Björk Gudmundsdottir mange un morceau de sucre. Christian Poitevin prononce le discours d’inauguration de l’exposition Dennis Hopper. Archillina Bo dessine un fauteuil dans une sphère. Derek van den Bogaederde trace un plan de bataille pour le général Montgomery. Gaston Teyssère salue les marins qui passent à bord du Zeppelin au-dessus du clocher de l’église. Hieronymus van Aken court à travers le bois. Alessandro di Mariano Filipepi broie de l’écorce de chêne avec un maillet. Siddharta Gautama fait ses adieux à son serviteur et quitte le palais sans bruit. Christian Aaron Päffgen traverse le jardin du Luxembourg sur les épaules de Bob Dylan, Mohamed Brahim Boukharouba remet un peu d’alcool puis tourne la manivelle de la ronéo. André Raimbourg coude un tuyau de cuivre. Andrel accompagne la femme à barbe à l’accordéon. David Jones se bat sauvagement avec un camarade de classe. Herbet Frahm se fait passer pour Gunnar Gaasland, étudiant norvégien. Moshé Brand imite Buster Keaton en ceuillant les abricots. Gyula Halâsz pousse un petit bateau sur le grand bassin du jardin du Luxembourg. Pierre-Albert Espinasse déjeune au premier étage de la tour Eiffel avec Aragon. Jean-François Travaux apprend à lire une carte météo. Charles Dennis Buchinsky descend dans la mine. Assis sur une marche, Agnolo di Cosimo pose pour Pontormo. Le gentil organisateur Patrick Benguigui propose un karaoké. Pascal François acceuille d’autres vacanciers au village de vacances. À Deauville, le liftier Juli Bryner monte les valises d’un client. Suite à une chute qui lui a valu 47 fractures, Taidje Khan abandonne son numéro de haute voltige au Cirque d’Hiver à Paris et s’inscrit en philosophie à La Sorbonne. William Frederick Cody dit « Pahaska » met en joue et abat son 69e bison. Georges-Louis Leclerc tue en duel un jeune officier croate. Daniel Meyer obtient une bourse Zellidja. Dans le cockpit, Yoshiyuki Okamura enfile un casque et allume le contrôle radar. Richard Walter Jenkins s’entraîne à perdre son accent gallois (…) — Goria, extrait de «VIES» p.52-53, article initialement paru dans la revue Le Tigre, n°36-37 déc 13 - jan 14. 15 (3) Victor Papanek,Design pour un monde réel, Mercure de France, Paris, 1974 14 De : Luc de Fouquet, Lucas Meyer Objet : Rép : Kyrielle Date : 24 mars 2014 23:09:32 HNEC À : Radio Charette Le G r a n d Ja c q u e s D’abord réussir quoi ? Il faut s’entendre sur le mot réussir. Je crois que l’on ne réussit qu’une seule chose, on réussit ses rêves. On a un rêve et on essaye de bâtir, de structurer ce rêve. Alors dans ce sens là, il est exact que j’ai travaillé pour réussir un rêve. Il est évident qu’il faut travailler pour réussir ce rêve. Or ce rêve était à ce moment là même pas de chanter, pas du tout, c’était de projeter mon rêve à l’extérieur, qui est un phénomène de compensation. En terme clinique, ça a des mots beaucoup plus effroyables que ça et enfin pour reprendre l’expression de Duhamel et d’autres gens qui ont dit bien avant ça, « on raconte ce que l’on rate, on raconte ce que l’on n’arrive pas à faire ». C’est un phénomène de compensation, et j’ai voulu réussir ce phénomène de compensation et j’ai du travailler beaucoup pour ça. Je suis convaincu d’une chose, le talent ça n’existe pas. Le talent c’est d’avoir l’envie de faire quelque chose. Je prétend qu’un homme qui rêve tout à coup, qui a l’envie de manger un homard, il a le talent dans ce moment-là, dans l’instant pour manger convenablement un homard, pour le savourer convenablement. Je crois qu’avoir envie de réaliser un rêve c’est le talent et tout le restant c’est de la sueur, c’est de la transpiration c’est de la discipline. Je suis sûr de ça, l’art je sais pas ce que c’est. Les artistes je connais pas. Je crois qu’il y a des gens qui travaillent à quelque chose, qui travail avec une grande énergie et l’accident de la nature je n’y crois pas. — Jacques Brel, Printemps 1971, interviewé par Henry Lemaire à Knokke dans le bar club privé The Gallery, réalisation Marc Lobet. C O LO P H O N Le Bureau des Impression Multiples (BIM) a été imaginé pour la Journée des arts et de la culture dans l’enseignement supérieur (10 avril 2014) sur le Campus du Tertre de l’Université de Nantes. Il regroupe les participations de Louise Hochet et Quentin Bodin de la résidence Art Vivant Art Utile, de Bastien Lambert, Mathilde Monjanel et Simon Poulain de Radio Charrette ainsi que Luc de Fouquet et Lucas Meyer. Le JBIM! est le journal publié à l’occasion de cette journée, il a été conçu par Luc de Fouquet et Lucas Meyer avec les contributions des différents collectifs de la résidence Art Vivant Art Utile : Radio Charrette, Formes Vives, Le Fabricatoire, La Briche Foraine et le Collectif Etc. Édition imprimée à 400 exemplaires chez Chiffoleau à Nantes en avril 2014 et finalisée par les participants du BIM et les universitains lors du 10 avril 2014. Typographies : — Super grotesk par Sven Smital — Sidewalk Surfboard par Thibault Proux