VISITE AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NOUVELLE

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VISITE AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NOUVELLE
VISITE AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE NOUVELLE-CALEDONIE
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Intervention de M. Jean-Marc Sauvé
Vice-président du Conseil d’Etat
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Nouméa – 2 mars 2010
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Je tiens à remercier le Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie
pour l’hospitalité qu’il accorde ce soir, dans sa résidence, à la juridiction administrative et
au Conseil d’Etat pour leur permettre de recevoir les nombreuses et éminentes
personnalités qui leur font l’honneur de leur présence. Je tiens aussi à remercier
chaleureusement toutes ces personnalités. Votre présence témoigne de l’intérêt et – j’en
suis convaincu – de la sympathie que vous portez au Conseil d’Etat et à la juridiction
administrative.
C’est à un double titre que j’ai le plaisir de m’exprimer parmi vous aujourd’hui.
En ma qualité de vice-président du Conseil d’Etat, je suis responsable de la gestion
des cours et des tribunaux administratifs. Je me rends donc progressivement auprès de
chacune de ces 50 juridictions – 42 tribunaux et 8 cours – pour rencontrer les magistrats et
les fonctionnaires qui y travaillent, connaître leurs préoccupations et répondre à leurs
questions, ainsi que pour m’entretenir avec leurs partenaires, comme cette réception nous
en donne l’occasion.
J’évoquerai dans un instant les projets et les perspectives du tribunal administratif
de Nouméa et de la juridiction administrative.
Mais en ma qualité de vice-président du Conseil d’Etat, je suis également le
représentant d’une institution de la République qui entretient avec la Nouvelle-Calédonie
des relations privilégiées. Ce sont ces relations que je souhaite évoquer dans un premier
temps.
La loi organique du 19 mars 1999 a, chacun le sait, profondément renouvelé le
cadre institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, en transférant de façon définitive des
compétences de l'État aux institutions de la Nouvelle-Calédonie et en prévoyant, selon les
principes définis par le titre XIII de la Constitution, des modalités particulières d’exercice
de ces compétences.
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L’article 99 de la loi organique, notamment, permet au congrès de la Nouvelle
Calédonie d’adopter, par ses délibérations, des actes dans des matières qui, au regard de
l’article 34 de la Constitution, relèvent du domaine de la loi.
Cette évolution, fondamentale pour la Nouvelle-Calédonie, l’a aussi été – c’est
peut-être moins visible – pour le Conseil d’Etat. En effet, en application de l’article 100 de
la loi organique, les projets et les propositions de loi du pays de la Nouvelle-Calédonie sont
soumis au Conseil d’Etat, pour avis, avant leur adoption par le gouvernement. L’article 206
de la loi prévoit également que le haut-commissaire, les présidents du gouvernement, du
congrès, du sénat coutumier ou d'une assemblée de province peuvent saisir le tribunal
administratif d'une demande d'avis qui, lorsqu’elle porte sur la répartition des compétences
entre l'Etat, la Nouvelle-Calédonie, les provinces ou les communes, est examinée par le
Conseil d'Etat, auquel elle est transmise.
Ainsi, pour la première fois de son histoire, le Conseil d’Etat s’est vu confier un
rôle de conseil auprès d’une autre instance que le gouvernement français. Je ne puis
m’empêcher de voir dans cette évolution les prémisses d’un autre approfondissement de la
compétence consultative du Conseil d’Etat, celui issu de la réforme constitutionnelle du 23
juillet 2008, qui permet désormais au président de l’Assemblée nationale ou du Sénat de
soumettre pour avis au Conseil d’État une proposition de loi déposée par un membre de
l’une de ces assemblées. D’ailleurs, la méthode de travail que nous avons mise en place
pour l’examen des propositions de loi est en partie inspirée de celle que nous avons
élaborée pour l’examen des lois du pays de la Nouvelle-Calédonie. Et, comme il a su le
faire à l’occasion de l’examen de la proposition de loi qui lui a été soumise à la fin de
l’année 2009, le Conseil d’Etat a tissé avec les institutions de la Nouvelle-Calédonie des
relations propices au bon accomplissement de sa mission consultative.
Le Conseil d’Etat s’est ainsi montré, je le crois, un garant loyal des équilibres
institutionnels propres à la Nouvelle-Calédonie. L’examen approfondi des lois du pays qui
nous sont soumises pour avis nous conduit en effet à analyser systématiquement trois
points essentiels : d’abord, les matières dans lesquelles intervient la loi du pays, qui
doivent être celles prévues par l’article 99 de la loi organique ; ensuite, la répartition des
compétences entre la loi du pays et la loi organique, la première ne pouvant intervenir dans
des domaines réservés à la seconde ; et enfin la répartition des compétences entre les
institutions de la Nouvelle-Calédonie et l’Etat, ou entre ces institutions elles-mêmes.
L’analyse que nous menons s’efforce de toujours concilier deux objectifs :
respecter la répartition des compétences issue de la loi organique, tout en veillant à ce que
cette répartition ne conduise pas à un émiettement des compétences susceptible de freiner
l’action des institutions de la Nouvelle-Calédonie. Tel est le sens du critère que nous
employons, dit « de la finalité directe et principale de la règle édictée » : si cette règle se
rattache principalement aux compétences de la Nouvelle-Calédonie, la seule circonstance
qu’elle affecte aussi, de manière incidente, un domaine de compétence réservé à l’Etat ne
nous conduit pas à émettre un avis défavorable. Nous vérifions également, à l’occasion de
l’examen de chaque loi de pays, que les consultations préalables prévues par la loi
organique ont bien été effectuées.
Nous veillons ainsi à la répartition des compétences, mais nous accompagnons
aussi l’approfondissement des transferts de compétence voulus par le législateur organique.
Ainsi, l’examen des projets de lois organiques relatifs à la Nouvelle-Calédonie, en 1999 et
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en 2009, a constitué des temps forts de notre mission consultative au service de la
collectivité. Nous avons aussi examiné attentivement, en 2009, pour rendre notre avis aux
institutions de la Nouvelle-Calédonie, les lois du pays prévoyant les transferts de
compétence en matière de circulation maritime, d’enseignement et de circulation aérienne,
votées le 30 novembre dernier.
Le Conseil d’Etat a su, je le crois, instaurer avec le Gouvernement et les institutions
de la Nouvelle-Calédonie une relation de confiance et de respect mutuels. Les échanges
réguliers et approfondis avec les représentants du Gouvernement de NouvelleCalédonie, de même que la qualité des dossiers législatifs qui nous sont transmis par ce
dernier, sont des atouts importants qui nous permettent de rendre nos avis dans le délai
d’un mois fixé par la loi organique. J’observe également que les propositions
rédactionnelles émises par le Conseil d’Etat, de même que les recommandations qu’il émet
parfois dans le sens d’une plus grande clarté des textes, sont très régulièrement suivies.
Ce dialogue constructif a, j’en suis certain, facilité l’adoption, par le congrès de la
Nouvelle-Calédonie, des importantes lois du pays votées au cours des dernières années,
dans des domaines essentiels à la vie des citoyens et des habitants. Je pense notamment aux
législations en matière fiscale, à celles concernant le secteur minier, ou encore à l’adoption
du premier code du travail de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, en 2007. Je pense aussi à
la loi du pays instaurant, en application d’une disposition de l’Accord de Nouméa, une
priorité pour l’accès à un emploi salarié en faveur des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et
des personnes justifiant d’une durée de résidence suffisante, qui posait des questions dont
l’importance et la complexité ont conduit à ce qu’elle soit examinée par l’Assemblée
générale du Conseil d’Etat. Ce sont quelques exemples au sein des 88 lois du pays
adoptées par le congrès de la Nouvelle-Calédonie entre 2000 et 2009. Ce chiffre, et les
profondes évolutions apportées par ces lois dans les domaines que je viens d’évoquer,
témoignent de l’importance des compétences transférées par la loi organique. Ils
témoignent, plus encore, de la vitalité de la démocratie et du bon fonctionnement des
institutions en Nouvelle-Calédonie, auxquels je suis heureux que le Conseil d’Etat apporte
sa contribution.
Dans sa dimension consultative et juridictionnelle, l’action de la juridiction
administrative est aussi incarnée par le tribunal administratif de Nouméa.
Ce dernier répond avec une remarquable diligence aux sollicitations des
justiciables. Le délai moyen de jugement constaté y est inférieur à 7 mois, et cette capacité
à juger rapidement n’enlève rien à celle de juger bien, pour apporter avec toute
l’impartialité nécessaire la réponse conforme au droit qu’appellent les affaires qui lui sont
soumises. Impartialité, célérité et sécurité juridique de la justice administrative sont
indispensables au bon fonctionnement des pouvoirs publics et à la confiance des
justiciables : chacun des magistrats et des agents de la juridiction, sous l’autorité du
président Desramé, en est conscient et s’emploie à les faire prévaloir dans l’action
quotidienne de la juridiction. Je les en remercie ici, et rends hommage à leur action.
Je le fais d’autant plus chaleureusement que cette action se poursuit avec des
moyens un peu ajustés, puisque le tribunal ne compte plus, depuis le début de l’année
2010, que quatre magistrats, revenant au format qui était le sien jusqu’en 2002. Ce format
conduit d’ailleurs, en cas d’absence ou d’empêchement d’un des membres du tribunal
administratif, à demander à un magistrat judiciaire de compléter la formation de
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jugement, comme les textes le permettent en Nouvelle-Calédonie : j’adresse à cet égard
mes remerciements aux magistrats judiciaires qui acceptent ainsi, assez régulièrement,
d’apporter leur concours au tribunal administratif.
Cette évolution du format du tribunal administratif a été imposée par la très vive
croissance du contentieux observée ces dernières années en métropole, qui contraste avec
la stabilité observée en Nouvelle-Calédonie, et qui nous impose de mobiliser toutes les
ressources nécessaires dans les juridictions les plus sollicitées. Rappelons simplement
qu’en longue période, depuis une cinquantaine d’années, le contentieux porté devant le
juge administratif, à l’échelle nationale, augmente d’environ 6% par an.
En termes de gestion, c’est assurément une charge, mais cette charge doit
également s’analyser comme une chance et comme la marque de la réussite de la
juridiction administrative, qui rend visible et effective la garantie de droits fondamentaux.
Face à l’augmentation du nombre des justiciables qui s’adressent à elle, la
juridiction administrative s’efforce, bien sûr, d’obtenir des moyens supplémentaires, mais
sait aussi réformer en profondeur ses procédures et ses méthodes de travail pour juger plus
et mieux. Ces efforts ont porté leurs fruits puisque depuis dix ans, à l’échelle nationale, le
nombre des jugements rendus par les tribunaux administratifs a augmenté de près de 70 %,
et celui des arrêts rendus par les cours administratives d’appel de près de 150%. Le délai
prévisible moyen de jugement a été réduit de plus de 8 mois en première instance et de
plus de 2 ans en appel : il est désormais, en moyenne nationale, de 1 an dans les deux cas,
et le Conseil d’Etat lui-même a ramené ses délais à moins de 10 mois.
La réflexion engagée dans l’ensemble de la juridiction administrative depuis que
j’en ai pris la responsabilité, à la fin de l’année 2006, nous donne les moyens de poursuivre
cette démarche d’innovation et de qualité.
Un premier décret, en date du 6 mars 2008, a rénové en profondeur les conditions
d’exercice des fonctions consultatives du Conseil d’Etat, et consacré en droit la séparation
de fait de ses fonctions consultatives et de ses attributions juridictionnelles.
Un deuxième décret, en date du 7 janvier 2009, a rebaptisé « rapporteur public »
l’ancien commissaire du gouvernement, pour dissiper l’ambiguïté de cette appellation. Il a,
en outre formalisé en droit la coutume consistant à informer les parties, avant l’audience,
du sens des conclusions du rapporteur public. Il a enfin ouvert la possibilité pour les parties
de présenter oralement, à l’audience, de brèves observations après les conclusions.
Enfin, le décret du 22 février 2010, parachevant l’édifice des réformes
réglementaires, comporte de nombreuses mesures de nature à améliorer le déroulement des
procédures : tel est le cas, notamment, du renforcement des pouvoirs du juge rapporteur, de
la refonte de la procédure de l’expertise, ou de la possibilité pour le juge de s’ouvrir à
l’avis d’un amicus curiae. Tel est le cas, aussi, des dispositions destinées à favoriser le bon
déroulement du procès administratif, qu’il s’agisse de permettre au juge de demander aux
parties un mémoire récapitulatif, ou – et surtout – de lui permettre de clore l’instruction
avec effet immédiat, dès lors que les parties ont été préalablement avisées de cette
possibilité1. Ces dernières mesures viennent à l’appui de la démarche engagée pour
favoriser la visibilité et la prévisibilité de l’instruction : à cet égard, les applications
informatiques destinées à faciliter l’élaboration de calendriers prévisionnels d’instruction
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ont commencé d’être déployées, depuis cette semaine, dans une dizaine de juridictions
expérimentatrices.
De façon plus générale, nous devons mettre pleinement à profit les possibilités
ouvertes par les technologies de l’information. L’application « Sagace » permet déjà aux
requérants et à leurs avocats – en métropole – de suivre en ligne l’avancement de leurs
dossiers. Les « téléprocédures », quant à elles, permettent aux parties d’échanger avec les
juridictions sous format électronique : expérimentées avec succès, en matière fiscale, dans
les juridictions d’Ile-de-France, elles devront être généralisées dès que le déploiement de
notre nouvelle application de gestion du contentieux, en 2011, le permettra. La distance ne
facilite pas la mise en œuvre de ces outils dans les juridictions du Pacifique, mais nous
devrons naturellement y travailler, et je ne doute pas que nous trouvions une solution.
Cet ensemble de réformes sera complété par un projet de loi, qui devrait être
prochainement soumis au Conseil des ministres. Il comprendra des dispositions d’ordre
procédural, permettant notamment de dispenser le rapporteur public, dans certaines
matières très balisées par la jurisprudence, de prononcer systématiquement des
conclusions. Il comprendra aussi des mesures statutaires, qui viendront d’une part
consacrer, de façon explicite, la qualité de magistrat des juges administratifs, en confortant
les principes gouvernant leur recrutement, leur formation, leur affectation, leur évaluation
et leur avancement, et qui contribueront d’autre part à renforcer l’unité de la juridiction
administrative (participation à la mission d’inspection des juridictions administratives,
collège de déontologie commun, accroissement du nombre de magistrats administratifs
nommés au Conseil d’Etat au tour extérieur).
Qu’on ne s’y trompe pas. Permettre aux magistrats de se concentrer sur les
questions qui méritent véritablement leur intervention, réduire l’attente des justiciables,
rendre la procédure plus visible et plus prévisible, l’ensemble des évolutions que je
décrivais à l’instant vise un but et un seul : préserver la qualité de la justice que nous
rendons. Cette qualité est essentielle à la légitimité de la justice administrative, comme à
son bon fonctionnement. Elle est au cœur des réformes que nous avons entreprises,
destinées à poursuivre l’adaptation des procédures et des méthodes de travail à l’évolution
du contentieux, tout en facilitant l’accès du justiciable et en lui offrant des garanties
renforcées.
Parmi ces garanties, je veux saluer tout particulièrement l’entrée en vigueur hier, le
1er mars, de la procédure permettant aux justiciables de questionner devant le juge la
conformité à la constitution des lois déjà promulguées.
Cette procédure de « question prioritaire de constitutionnalité », dont le principe
découle de l’article 61-1 de la Constitution et de la loi organique du 10 décembre 2010,
vient d’être détaillée par un décret du 16 février 2010. Cette garantie nouvelle est tout à fait
fondamentale et, n’en doutez pas, le juge administratif en assurera une mise en œuvre
déterminée, loyale et efficace.
Toutes ces innovations ne nous font pas perdre de vue, bien au contraire, la mission
essentielle au service de laquelle nous sommes et que comprennent bien les justiciables qui
nous saisissent : cette mission est de servir et garantir l’Etat de droit. Plus concrètement,
nous avons trois devoirs : veiller à la qualité de la gouvernance publique ; garantir les
droits et les libertés des citoyens et, plus largement, des justiciables ; enfin exprimer et
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faire respecter l’intérêt général. Chaque décision juridictionnelle qui est rendue, qu’elle se
rapporte ou non à la Nouvelle-Calédonie, à ses institutions ou aux personnes résidant ici,
s’inscrit toujours dans cette vision très claire de notre mission, de notre office, de nos
origines et des buts ultimes que nous poursuivons. De cela, nous sommes et nous devons
être à chaque instant conscients et fiers.
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