Aménagement numérique du territoire : enjeu des collectivités

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Aménagement numérique du territoire : enjeu des collectivités
Aménagement numérique du territoire : enjeu des collectivités
territoriales pour un égal accès aux nouveaux services
numériques, au réseau du savoir et au développement
économique.
Rencontre professionnelle organisée par l’ANDGDGARD
- SYNTHESE Intervenants :
Alain COTE, conseiller pour l’innovation numérique, Conseil régional d’Alsace.
Agnès HUET, PDG, Comptoir des Signaux
Philippe Le GRAND, directeur, Syndicat mixte Manche numérique
Christian LEVESQUE, DSI, Conseil général de l’Yonne
L’atelier était animé par Jean-Christophe NGUYEN VAN SANG, DGA, Conseil général de la
Moselle
Précisions techniques
Les technologies dites ligne d'abonné numérique, en anglais Digital Subscriber Line ou DSL ou encore xDSL,
regroupent l’ensemble des technologies mises en place pour un transport numérique de l’information sur une simple
ligne de raccordement téléphonique.
L'ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line, [liaison] numérique [à débit] asymétrique [sur] ligne d'abonné) est une
technique de communication qui permet d'utiliser une ligne téléphonique pour transmettre et recevoir des signaux
numériques à des débits élevés, de manière indépendante du service téléphonique proprement dit (contrairement aux
modems analogiques).
La ligne d'abonné numérique à débit symétrique (SDSL, Symetric Digital Subscriber Line), a contrairement à la ligne
ADSL des débits symétriques : son débit en download (réception) est égal au débit en upload (envoi).
Wi-Fi est une technique de réseau informatique sans fil qui permet de créer des réseaux locaux sans fil à haut débit.
WiMAX (acronyme pour Worldwide Interoperability for Microwave Access) est une famille de normes, certaines
encore en chantier, définissant les connexions à haut-débit par voie hertzienne. WiMAX promet des débits de plusieurs
dizaines de megabits/seconde sur des rayons de couverture de quelques dizaines de kilomètres.
Le répartiteur téléphonique est le lieu situé dans le central téléphonique (aussi appelé NRA, pour Nœud de
Raccordement Abonné) où se font toutes les connexions entre le réseau filaire desservant les clients d'un opérateur de
télécommunications et les infrastructures (voix, données ou images).
Le dégroupage permet aux opérateurs tiers d'accéder à la boucle locale (de l’armoire de l’opérateur à l’abonné) de
l’opérateur historique soit en partie par le biais du dégroupage partiel, soit en totalité par le biais du dégroupage total, et
donc d’accéder directement à l’utilisateur final. En dégroupage total, la plupart des opérateurs tiers n'exploitent que les
hautes fréquences en protocole IP. Leur offre de téléphonie se base alors sur la technologie VoIP pour permettre à
l'utilisateur de continuer d'utiliser son téléphone et, dans certains cas, d'autres appareils "bas débit" (fax, Minitel).
Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007
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Afin de répondre aux demandes des collectivités confrontées à des problèmes de zones blanches du haut débit, France
Télécom a conçu la solution « NRA-ZO ». Elle consiste en la mise en place d’un DSLAM à proximité du sousrépartiteur. Il en résulte une diminution notable des longueurs de lignes, et donc une extension des zones de couverture
ADSL. La mise en oeuvre du NRA-ZO s’appuie sur une importante participation des collectivités.
FTTH : Fiber to the home, FTTB : fiber to the building.
I- Christian LEVESQUE : technologies alternatives à l’ADSL pour l’accès au
haut débit
L’Yonne avait signé en avril 2004 la charte « Département innovant » proposée par France
Télécom, ce qui a permis l’équipement de l’ensemble des répartiteurs jusqu’avril 2007. Dès 2005,
une solution alternative a toutefois été recherchée du fait des limites de l’ADSL : éloignement au
répartiteur, qualité de la ligne téléphonique, équipements incompatibles... En pratique, près de 10%
des abonnés étaient inéligibles à l’ADSL et certains n’étaient éligibles qu’au 512 Kb/s.
L’Yonne a étudié comme alternatives la fibre optique, les ondes radio (Wifi, WiMax), en zones
denses le réseau électrique (courants porteurs en ligne : CPL) et en dernier recours la liaison
satellite. Des antennes WiMax ont finalement été implantées dans les points hauts des communes
qui se sont déclarées intéressées. Le ticket d’entrée par commune a été de 4000 €, avec un taux
maximum de subvention de 80%, dont 50% pour la Région et 30% pour le département, qui y a
ajouté une fonction de conseil technique aux communes. Le coût total pour le département s’est
élevé environ à 240 000 € : 30% de 4000 € pour 200 communes concernées. Les premières
installations ont été réalisées en septembre 2007, la fin de l’opération étant prévue pour avril 2008.
Les communes équipent en général d’abord leurs bâtiments publics (mairie…), les particuliers
pouvant s’abonner dans la foulée auprès de l’opérateur. En moyenne, 1800 demandes sont
formulées pour 5000 lignes non équipées ; s’ajoutent les demandes de particuliers souhaitant
bénéficier d’un débit supérieur aux 512 Kb/s dont ils disposent déjà.
La procédure s’est basée sur l’alinéa 3 de l’article L. 1425 du CGCT, qui rend possible
l’intervention publique en cas de carence d’initiative privée et pour une infrastructure neutre et
ouverte. A l’issue de l’appel à initiative privée deux solutions sont possibles : soit un opérateur
déclare sa candidature et investit en fonds propres ; soit peuvent être lancés une délégation de
service public simplifiée ou un marché de travaux et d’affermage. Dans l’Yonne, l’opérateur
Numéo s’est porté candidat d’emblée, ce qui a rendu inutile un éventuel constat de carence
d’initiative privée.
In fine, l’opération a permis de faire passer le taux de couverture de l’Yonne à 512 Kb/s à 98,5% du
territoire, et celle à 2 Mo à 87%.
II- Alain COTE : stratégie du haut débit, expérience en Alsace
L’action des collectivités locales a été justifiée par la perte par France Télécom de sa mission de
service public et l’existence d’une fracture numérique entre zones urbaines et rurales. La politique
de la région Alsace s’est située dans une logique d’opérateur d’opérateurs, en laissant à ces derniers
le contact final avec l’usager. Un réseau régional a été financé par la région : d’environ 1000
kilomètres, il dessert 30 bassins, 99 villes, 122 points de desserte et 81 répartiteurs France Télécom.
Des interconnexion avec les grands réseaux internationaux existe à Strasbourg et Mulhouse. Le
réseau a coûté 40 millions d’euros dont 20,4 à la charge de la région.
Auparavant, les opérateurs ne manifestaient d’intérêt que pour Strasbourg, Mulhouse et Colmar. Le
but de la région a donc été de rendre les usagers finaux techniquement et économiquement
accessibles à tous les opérateurs, en faisant apparaître à leurs yeux l’Alsace comme une plaque
homogène.
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Le réseau régional a effectivement permis le dégroupage de zones rurales : les prix deviennent donc
indépendants de la distance. Pour les entreprises, après deux années de mise en service, les coûts
ont baissé de près de 50%. A budget constant, elles peuvent améliorer le niveau de service,
introduire de nouveaux usages et gagner en productivité.
Un axe de développement futur sera le déploiement de technologies complémentaires pour
augmenter la couverture du territoire. La licence régionale Wimax achetée pour 1€ à l’Etat a été
cédée aux départements pour des projets de desserte : le réseau est en cours de déploiement dans le
Haut-Rhin et la procédure est en cours dans le Bas-Rhin. Un deuxième axe de développement
consiste à déployer de la fibre optique dans 250 zones d’activité économique, en mobilisant des
fonds FEDER.
Les demandes exprimées par les entreprises ont curieusement fait apparaître le souhait de travailler
à budget constant. Parallèlement, des besoins de nouveaux services, rendus accessibles
techniquement et économiquement par le haut débit, apparaissent : archivage, sauvegarde,
délocalisation de machines, voire de salles informatiques…
La prévision des enjeux futurs est un exercice difficile. Le développement de la fibre optique
permettrait toutefois de ne plus se poser la question du débit, afin de ne pas restreindre les usages et
de permettre l’apparition de nouveaux acteurs offrant de nouveaux services.
III - Philippe Le GRAND : présentation de Manche numérique et de son action
Le syndicat mixte Manche numérique a été créé en 2004 à l’initiative du Département. Il agit sur
deux axes, l’aménagement numérique du territoire et l’assistance à l’informatique de gestion. Ce
dernier axe concerne près de 500 membres : les deux tiers des communes, les trois quarts des
communautés de communes, des maisons de retraite…
Le syndicat a mis en place un BUS, « Backbone Universel de Services », dorsale optique de 1200
kilomètres. En matière de Wifi, 202 sites ont été installés ; en matière d’ADSL, 147 répartiteurs
sont désormais ouverts (100% des lignes) et 46 répartiteurs dégroupés (51%). Le développement de
la concurrence a suscité les investissements des opérateurs, dont… France Télécom : pour 1€
d’investissement public, 3€ de fonds privés ont été investis.
Pour qu’un territoire soit présent dans l’avenir, la tendance mondiale doit être prise en compte :
besoin de toujours plus de débits et de services. Actuellement, 25% de la croissance européenne est
sous-tendue par l’économie des technologies de l’information et de la communication. L’action
publique doit stimuler le développement du marché et entamer la rupture vers la fibre, avec le
passage de l’ADSL à la fibre optique, à l’exemple de l’Asie, qui passe actuellement de l’ADSL à la
fibre (FTTx).
IV – Jean-Christophe NGUYEN VAN SANG : le projet RHD (réseau haut
débit) de la Moselle
Les origines du projet mosellan sont anciennes (années 98-99) et l’initiative n’émanait pas de
techniciens, mais de la conviction partagée que le haut débit est la source majeure de création de
valeurs, pour les entreprises comme pour les particuliers.
Après un constat de carence de l’initiative privée réalisé en juin 2001, le département a choisi de ne
pas consulter les opérateurs, mais de construire seul son infrastructure HD, et d’en déterminer le
tracé selon ses propres besoins, puis d’en confier la gestion en affermage.
Dès 2002-2003, dans le cadre d’un marché de conception-réalisation, le choix technique se fait sur
le tout fibre optique. Ce réseau de 1060 Km, construit en 21 mois, permet de dégrouper 122 des 131
NRA, et les 60 têtes des réseaux câblés (le câble est très présent comme en Alsace), ainsi que 80
ZAE.
Le projet comprend également le basculement de tous les collèges sur l’infrastructure du CG.
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L’infrastructure est interconnectée avec les réseaux voisins du Luxembourg, de l’Allemagne, les
réflexions amorcées avec l’Alsace et la Meurthe et Moselle…
Le modèle économique de l’affermage sur 15 ans (confié en DSP à Moselle Telecom, opérateur
d’opérateur) doit permettre de rembourser l’investissement (40 M€), et laisse le CG propriétaire de
l’infrastructure (il conserve même une partie du réseau du réseau pour son usage propre).
Le réseau est également un élément de survie des opérateurs câblés qui peuvent développer des
offres internet.
Aujourd’hui 110 NRA sont ouverts commercialement (119 à fin 2007), 98% de la population
dispose d’une offre supérieure à 2Mégabits.
Même si le principe de la fibre optique est retenu comme base du réseau, il reste des limites, soit
d’abonnés trop distants du NRA, soit d’absence de NRA Z0. Le CG n’a pas obtenu de licence Wi
Max mais a conclu un accord ave EDF pour implanter 3 stations expérimentales, enfin une
quinzaine de communes doivent se contenter du Wi-Fi.
En Moselle, ce sont les particuliers (16000 clients) qui ont entraîné la demande, les entreprises sont
plus en retrait car les centres de décision ne sont pas situés dans le département. Cependant, grâce
au RHD, deux opérateurs locaux proposent des offres sur mesure aux entreprises, et un data Center
sécurisé a été créé et offre aux entreprises de nombreux services (sauvegarde de données,
hébergement de serveurs,…).
V – Agnès HUET : bilan de l’intervention publique dans le numérique
Le comptoir des signaux est une entreprise qui accompagne depuis plus de 20 ans les collectivités
dans leurs projets numériques.
Elle milite pour une meilleure visibilité de l’action publique en matière d’aménagement numérique:
à titre d’exemple, le rapport de la cour des comptes de 2007 sur les aides économiques des
collectivités ne mentionne nulle part le thème des télécommunications…
En France le fossé perdure entre PME et TIC : 96% des entreprises ont moins de 20 salariés, or
elles ne sont pas ciblées par les opérateurs de télécommunication et 77% des chefs d’entreprise
considèrent internet comme stratégique mais non urgent…
Le numérique est encore considéré comme une contrainte ou une nécessité (entreprises multisites)
pour de nombreuses entreprises, et 55% des PME seulement sont connectées en ADSL. Pourtant
une étude du Minefi montre qu’une entreprise du secteur moyennement productif peut obtenir 18%
de productivité supplémentaire lorsque le courrier électronique est utilisé par plus de la moitié des
salariés.
Mais le pré requis à ces développements reste le haut débit (voir le très haut débit).
Or les réseaux d’initiative publique diminuent fortement les coûts et permettent souvent des offres
SDSL (demandées par les entreprises) à des prix diminués par 4.
En outre l’encadrement législatif est de plus en plus sûr : pour la première fois, la commission
européenne a émis un avis favorable à une aide publique pour la connexion d’une ZAE, aide
déclarée compatible avec la stratégie communautaire (le SICOVAL a financé à 40% un réseau
d’initiative publique, alors que France Telecom était présent).
53 Réseaux d’initiative publique sont déployés aujourd’hui, soit 1,17 Md€ d’investissement, 25
autres réseaux sont en cours de construction.
Sur les 1790 NRA dégroupés, 717 le sont grâce à des collectivités (soit 7,5 M de lignes), en 2008
412 de plus devraient l’être.
Un exemple (anonyme) de réseau : 100M d’investissements, dont 50 pour a collectivité, 90 NRA
dégroupés (soit 85% des lignes du territoire et 89% de la population). Les territoires ruraux ont par
l’intervention de cette collectivité bénéficié de la même intensité d’investissement que les
territoires urbains (l’investissement y est même supérieur). Sans le contrôle public, le délégataire
aurait certainement en priorité ciblé l’urbain (plus de NRA à dégrouper, mais un résultat
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investissement rapporté à la ligne beaucoup plus faible). L’effet service public est donc
incontestable.
VI – Débat :
Il est trop tôt pour établir un bilan économique des réseaux présentés. Cependant l’accès au haut
débit est devenu un argument de promotion des ZAE, comme pour les logements particuliers (à
Strasbourg, un logement sans haut débit est « côté » 20% de moins).
Le frein financier constitué par l’importance des investissements à assumer pour les collectivités est
à relativiser, notamment par rapport à d’autres coûts d’infrastructure (voirie ou TER..) : par
exemple en Moselle, les 70M€ investis dans le réseau sont à rapprocher des 100 M€ annuels
consacrés aux routes…En outre 80% de ces investissements ont bénéficié à des entreprises du
département (qui ont réalisé l’infrastructure), ce qui représente un très fort retour en terme
d’activité économique locale (sans doute plus que pour certaines aides économiques).
Le blocage est d’abord politique : les décideurs doivent prendre conscience qu’un quart de la
création de richesse dépendra demain du numérique, et que les outils juridiques sont aujourd’hui
sécurisés.
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Synthèse rédigée par les élèves administrateurs territoriaux de la promotion Lucie AUBRAC
(2007-2008)
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