La réserve naturelle nationale des vallées de la Grand

Transcription

La réserve naturelle nationale des vallées de la Grand
Christine ARLOT-CHASSEGUET
La réserve naturelle nationale des
vallées de la Grand-Pierre et de
Vitain : une gestation bien préparée
Docteur en écologie végétale, ingénieur
horticole
Direction des parcs et jardins, mairie de
Tours
A réalisé :
- la première étude scientifique sur la
réserve : « Etude phytosociologique
des groupements végétaux de la réserve naturelle
nationale des vallées de la Grand-Pierre et de Vitain » 1979 (DEA d‟écologie végétale, Université de Paris-Sud,.
Centre d‟Orsay).
- le premier plan de gestion en 1980.
LE CONTEXTE DES ETUDES SCIENTIFIQUES
Très en amont par rapport à la plupart des initiateurs de réserves et parcs naturels de l‟époque, Jacques
Hesse et Claude Henry assistés de Philippe Maubert, botaniste et phytosociologue, avaient pressenti la
nécessité d‟asseoir le projet de création de la réserve sur des bases scientifiques sérieuses intégrant dès
l‟origine, un projet de gestion. En effet, à cette époque, on avait tendance à vouloir mettre la nature « sous
cloche ». Un programme de plus de deux ans a donc été mis au point. Des liens ont donc été rapidement créés
entre l‟université (laboratoires d‟Orléans et d‟Orsay), la Direction Régionale de l‟Environnement (D.R.A.E à
l‟époque) et le Ministère de l‟Environnement. C‟est dans ce contexte que l‟étude m‟a été confiée fin 1979.
LES PHASES DE L’ETUDE
1) Etude bibliographique (France, Europe)
Peu après la sortie de la loi sur la protection de la nature en 1976 et de ses premiers décrets
d‟application, le ministère souhaitait qu‟au-delà de la protection des espaces naturels, soit engagée une
réflexion sur leur gestion future. C‟est pourquoi, la première phase de l‟étude a consisté en la compilation des
données européennes sur l‟écologie des pelouses calcicoles et leur gestion, les anglais ayant été les pilotes en
la matière.
2) Etude historique
L‟analyse de l‟occupation des sols, connue depuis 1809 grâce au cadastre napoléonien, fût riche
d‟enseignements à deux points de vue. Il montra d‟une part que, suite à l‟abandon du pâturage après guerre, la
superficie occupée par les pelouses calcicoles, objet principal du classement en réserve, avait fortement
diminuée suite à la colonisation arbustive et qu‟il convenait d‟agir vite pour conserver ce que nous appelons
aujourd‟hui la « biodiversité ». D‟autre part, croisée avec l‟étude phytosociologique, l‟étude historique montra
également que les pelouses issues d‟anciennes terres de culture avaient une composition floristique et une
dynamique bien différentes.
3) Etudes floristiques et faunistiques
A la suite des travaux de Marie-Claude Terrasson et de Philippe Maubert, un inventaire floristique des
végétaux dits « supérieurs » (angiospermes et gymnospermes) des 300 ha mis en réserve a été réalisé.
Certains taxons repérés sur des sites voisins de la vallée de la Cisse manquaient à l‟appel sur la réserve… De
nouvelles espèces furent observées et leur phénologie décrite. Ce fichier avait pour but d‟être mis à jour tout au
long de la vie de la réserve, en tant que témoin de l‟évolution du milieu naturel. A dire vrai, les pelouses de la
Grand Pierre et de Vitain n‟étaient pas les plus riches de la région au niveau floristique. Par contre, l‟ensemble
géomorphologique et paysagé formé par la confluence de la vallée sèche de la Grand Pierre et de la Cisse
avec ce célèbre « éperon rocheux » s‟avérait tout à fait exceptionnel.
L‟inventaire des champignons fut initié par Gaston Garnier ; celui des bryophytes (mousses et
hépatiques), commencé par Jacques Bardat en 1991, se poursuivit en 1999. De même pour les très nombreux
lichens, inventoriés par des spécialistes (cf. les actes du colloque sur la gestion des pelouses calcicoles de
novembre 1999). Si j‟évoque cela, c‟est pour souligner l‟extrême richesse de la réserve dans ces trois
catégories de végétaux et notre devoir de naturalistes d‟aller au-delà de l‟ « image d‟Epinal » de l‟orchidée
« rare » de nos pelouses calcicoles, qui garde néanmoins sa valeur symbolique.
A la suite des investigations des naturalistes locaux, la première étude de la faune vertébrée fut réalisée
par Dominique Pilon avec les conseils de Catherine Henry Epain, mammalogiste spécialiste du blaireau. Pour
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les invertébrés, une première liste d‟insectes établie par Pierre Taupin et Marie-José Boudeau en 1979, a été
largement complétée (cf. colloque de 1999).
4) Etude phytosociologique et cartographie
L‟approche phytosociologique est riche d‟enseignements en ce qu‟elle permet d‟étudier à la fois
l„originalité des groupements végétaux mais aussi les relations dynamiques qui se développent au sein des
communautés végétales. Les groupements végétaux sont le reflet du climat local (influences atlantiques ou
médio européennes), du cortège floristique qui lui est lié et également des relations entre le sol et la
végétation ; c‟est dans cet esprit que Dominique Morand, du laboratoire d‟Ecologie Végétale d‟Orsay, entreprit
une description fine des sols de la réserve en fonction des types de groupements végétaux.
Ces deux études conjointes, effectuées grâce aux moyens informatiques du même laboratoire d‟Orsay,
ont notamment montré l‟influence de l‟épaisseur des substrats développés sur calcaire de Beauce au niveau
des pelouses calcicoles et celle de l‟exposition pour les groupements arbustifs ou arborés. A la suite, une
cartographie à l‟échelle du 1/5000 ème a été établie. (Les « alliances » phytosociologiques présentes sur la
réserve ayant été mises en légende, la description d‟associations végétales aurait nécessité une étude plus
vaste à l‟échelle de la région). Cette cartographie des groupements végétaux a été à la base du plan de
gestion.
En complément, des cartographies des peuplements boisés ont été réalisées en intégrant les notions
d‟essences dominantes. Les terrains restant privés dans la réserve, l‟exploitation forestière en est libre sous
réserve qu‟elle réponde à un plan de gestion ou qu‟elle respecte l‟ensouchement. Aussi qu‟elle ne fut pas ma
très grande déception de constater quelques années plus tard la disparition du très fameux « bois d‟aubépine
moussu » de la grand Pierre dont je ne retrouvais l‟ambiance extraordinaire que dans la « forêt de brume » du
Brésil atlantique... (20 ans après, cf. les remarques de Franck Bezannier, sur les boisements lors du colloque
de novembre 1999).
Première cartographie des groupements végétaux. Christine Arlot,1979
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UN « PLAN DE GESTION » EXPERIMENTAL
Toutes ces données en main, il fallut inventer une méthode pour mettre au point un plan de gestion.
L‟idée était de considérer la réserve dans son ensemble en tenant compte d‟une double contrainte ; d‟une part,
celle des milieux naturels, qui étaient fort imbriqués et en constante évolution « dynamique » et, d‟autre part,
celle de la juxtaposition d‟environ 300 parcelles cadastrales dont les limites ne correspondaient évidemment
pas à la mosaïque végétale... D‟où l‟idée de superposer les « couches » de données : limites cadastrales,
occupation du sol, dynamique des groupements végétaux (le système d‟information géographique artisanal à
l‟époque...). La notion de « parcelle de gestion » devait intégrer le tout et permettre le maintien des surfaces en
nature de « pelouse » en conservant ou améliorant leur diversité floristique et en contrôlant les phénomènes de
colonisation arbustive en lisière ou dans les vallons.
1) Ebauche des premières conventions
La plus grande difficulté, outre ma totale inexpérience en la matière, était l‟absence de maîtrise foncière.
Des contacts ont été pris à l‟époque avec des organismes susceptibles de nous venir en aide (chambre
d‟agriculture, F.D.S.EA.). En tant que gestionnaires de cette nouvelle réserve, nous savions que des travaux
de fauche avec ramassage de l‟herbe ou la réintroduction du pâturage étaient indispensables à la survie de la
« biodiversité » de l‟ensemble. A noter que seul l‟éperon rocheux avait une végétation assez stable (rôle majeur
des lapins et sol peu épais).
Pour ce faire, il fallait obtenir l‟autorisation des propriétaires, passer des conventions et trouver des
moyens techniques et financiers pour réaliser nous même les opérations. Côté conventions, j‟ai souvenir de
quelques longues négociations, pas toujours abouties. Côté technique, la surprise du représentant d‟une
marque de tondo-broyeur ramasseur découvrant le site m‟est restée en mémoire... (il s‟agissait d‟une machine
anglaise censée passer partout). Et puis aussi la découverte, en leur contrée, des moutons solognots
supposés manger aussi les broussailles.
La question de la chasse et de la régulation des espèces dites « nuisibles » comme le blaireau et le
renard était également au cœur de bien des débats, ces animaux étant aussi emblématiques sur la réserve...
2) De la mise en place de parcelles d’expérimentation à la gestion en vraie grandeur
Dès la fin de la phase cartographique, des parcelles d‟expérimentation pour tester les effets de diverses
modalités de fauche ont été mis en place avec des relevés floristiques. Ces essais se sont poursuivis sur
plusieurs années. Rapidement aussi, les moutons, parrainés par des amis de la réserve sont arrivés, sous la
conduite du premier garde animateur de la réserve, Jean-Pierre Chaussard.
3) Vers la création du premier comité de gestion présidé par le Préfet
Le décret de création de la réserve évoqué par Jacques Hesse, mentionne, en son chapitre III,
l‟institution d‟un comité de gestion de la réserve chargé d‟assister le Préfet pour son administration et son
aménagement. Le préfet a nommé par arrêté les représentants des propriétaires, des communes, des services
départementaux concernés, des associations de protection de la nature ainsi que des personnalités
scientifiques. J‟ai souvenir de premières réunions épiques. Au fil des réunions, chacun apprenant à se
connaître, les débats furent plus constructifs. Aussi, la loi de juillet 1976 trouvait là, en région Centre, un
magnifique terrain expérimental, bien avant notre « Grenelle de l‟Environnement ». Mais il est peut-être bon que
l‟histoire se répète pour que les bases de la connaissance de nos richesses naturelles et de la façon de les
conserver soient régulièrement rappelées et élargies à l‟échelle planétaire.
Et puisque nous fêtons un anniversaire, que soient ici remerciées toutes les personnes qui m‟ont permis,
à l‟époque, de découvrir « sur le terrain » cette démarche constructive qui me fut bien utile par la suite.
Bibliographie
ARLOT, C., 1979 – Etude bibliographique pour la gestion des pelouses calcicoles. Ministère de l‟Environnement (publication interne).
ARLOT, C. et J. HESSE J., 1981 – Eléments pour une gestion d‟un milieu calcicole de plaine : l‟exemple de la réserve naturelle de GrandPierre et Vitain (Loir-et-Cher). Bulletin d’Ecologie., 12, pp 249-294.
BEZANNIER, F., Principaux facteurs écologiques et associations végétales caractéristiques des la réserve naturelle des vallées de GrandPierre et Vitain. Actes du colloque international « la gestion des pelouses calcicoles », Blois, 27 et 28 novembre 1999. Nature Centre et
Conservatoire du patrimoine naturel de la Région Centre.
MORAND, D (1979) – Les groupements végétaux et les sols de la réserve naturelle de la vallée de Grand Pierre et Vitain, mémoire de
D.EA. d‟Ecologie végétale, Université Paris sud Orsay, 45 p. non publié.
PILON, D. (1980) – La faune vertébrée de la réserve de la Grand Pierre et Vitain, CDPNE Loir-et-Cher.
TERRASSON, M.C. (1975) – Etude et conservation des sites biologiques dans la vallée de la Cisse. Laboratoire d‟Ecologie Paris VIII.
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