210410 Desequilibre Hommes Femmes Chine

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210410 Desequilibre Hommes Femmes Chine
Brève Vigie, 21 avril 2010
Le déséquilibre hommes / femmes pourrait bouleverser la société chinoise
En Chine, depuis la mise en place de la politique de l’enfant unique, en 1979, le déséquilibre
entre les naissances de garçons et celles de filles ne cesse de croître. En conséquence, en
2020, les hommes de moins de 20 ans seraient 24 millions de plus que les femmes de cet âge.
La société tout entière devra s’adapter à cette nouvelle donne démographique.
Il existe, naturellement, un déséquilibre entre le nombre de naissances de bébés filles et de
bébés garçons : en moyenne, entre 103 et 106 garçons naissent pour 100 filles. Cet écart
s’explique par le fait que la mortalité des petits garçons est généralement plus élevée au cours
des cinq premières années : le surplus de naissances est donc théoriquement compensé
rapidement.
Pourtant, dans certains pays asiatiques, ce ratio est beaucoup plus déséquilibré, et se maintient
dans le temps. Ainsi, en 1982, en Chine, 108 garçons chinois naissaient pour 100 filles ; ils
étaient 119 en 2009. Dans trois régions du pays, le ratio dépasserait 130/100.
La politique de l’enfant unique, mise en place en 1979, a en effet entraîné une multiplication
des avortements sélectifs et, dans une moindre mesure, des meurtres ou des négligences
envers les nourrissons de sexe féminin, en particulier dans les campagnes (ce qui déséquilibre
encore le ratio garçons / filles après la naissance). Car, dans un pays où il n’existe quasiment
pas de protection sociale, il est préférable d’avoir un fils, qui prendra soin de ses parents âgés
et / ou malades, plutôt qu’une fille, qui devra, elle, s’occuper de sa belle-famille. Les parents
contraints de n’avoir qu’un seul enfant souhaitent donc maximiser leurs chances d’avoir un
garçon qui, de plus, assurera la survie de la lignée familiale.
Le phénomène est très répandu dans les zones rurales, où l’introduction de l’échographie
prénatale, dans les années 1980, s’est traduite par une explosion des avortements sélectifs.
Cette pratique a bien été interdite en 1995 mais, dans les faits, il est très difficile de prouver
qu’un avortement est lié au sexe du bébé.
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1
Évolution des ratios garçon/fille à la naissance en Chine en fonction du lieu de résidence
des parents (zone rurale, ville, métropole)
Source : LI Shuzhuo. « Imbalanced Sex Ratio at Birth and Comprehensive Intervention in China ». Hyderabad,
India, 4th Asia Pacific Conference on Reproductive and Sexual Health and Rights, octobre 2007.
En 2005, la Chine comptait déjà environ 32 millions de garçons de moins de 20 ans de plus
que de filles dans la même tranche d’âge 1. Ils pourraient être 40 millions en 2020 2, soit 3 %
de la population totale (1,3 milliard d’habitants).
La domination « numérique » des hommes aurait d’ores et déjà des conséquences sur la
société chinoise. En premier lieu, il devient de plus en plus difficile pour ces jeunes hommes
de trouver une épouse de leur âge. À l’avenir, ils pourraient donc rechercher une compagne
dans les tranches d’âge supérieures et inférieures, pour éviter d’être exclus d’une société où le
mariage est une convention sociale.
Par ailleurs, selon une étude, la proportion croissante d’hommes au sein de la population
expliquerait environ 14 % de la hausse de la criminalité observée en Chine depuis 20 ans 3.
Elle inciterait également les parents de garçons à épargner plus, afin d’accroître le capital dont
leur fils pourra disposer, et donc ses chances de trouver une épouse : selon deux chercheurs, la
moitié de la hausse de l’épargne des ménages chinois observée depuis 25 ans serait imputable
au déséquilibre croissant du ratio entre les sexes 4.
1
LIU Tao, ZHANG Xing-Yi. « Ratio of Males to Females in China ». British Medical Journal, 9 avril 2009, site
Internet http://www.bmj.com/cgi/content/full/338/apr09_2/b483.
2
RU Xin, LU Xueyi, LI Peilin (sous la dir. de). Society of China: Analysis and Forecast. CASS (Chinese
Academy of Social Science) / Social Sciences Academic Press, 2010.
3
EDLUND Lena, LI Hongbin, YI Junjian, ZHANG Junsen. « More Men, More Crime: Evidence from China’s
One-Child Policy ». Discussion Paper, n° 3 214, 2007, Institute for the Study of Labour.
4
WEI Shang-Jin, ZHANG Xiaobo. « The Competitive Saving Motive : Evidence form Rising Sex Ratios and
Savings Rates in China ». NBER (National Bureau of Economic Research), Working Paper, n° 15 093, juin
2009.
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Le gouvernement chinois a déjà annoncé qu’il comptait maintenir la politique de l’enfant
unique au moins jusqu’en 2020. Les déséquilibres démographiques déjà observés pourraient
donc encore s’accentuer.
Les réformes du système de protection sociale actuellement en cours pourraient certes
contribuer à rassurer les parents sur leur fin de vie (accès à une pension de retraite, à des soins
de santé…), mais elles n’offriront pas forcément les mêmes garanties qu’un fils aimant et
dévoué.
Par contre, le développement économique du pays, qui s’accompagne d’une élévation
progressive du niveau d’éducation de la population (en particulier des femmes), d’une hausse
du taux d’activité des femmes (qui les rend moins dépendantes du mariage) et d’une meilleure
capacité d’épargne pourraient faire évoluer les préférences des parents. Ainsi, selon une étude
réalisée en 2001, les femmes citadines déclarent n’avoir aucune préférence quant au sexe de
leur(s) futur(s) enfant(s).
Le cas de la Chine, s’il est exceptionnel de par son ampleur et compte tenu du poids
démographique de ce pays, n’est cependant pas isolé en Asie. Ainsi, à Singapour, à Hong
Kong et dans certaines parties de l’Inde (où avoir une fille est souvent synonyme de dot à
verser), un déséquilibre s’observe aussi entre les naissances de garçons et celles de filles. Des
pays comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Serbie et la Bosnie sont aussi concernés.
L’exemple de la Corée du Sud montre en tout cas que des politiques d’information et de
prévention peuvent porter leurs fruits. Dans ce pays, en 1992, il naissait environ 229 garçons
pour 100 filles. La conjugaison d’une campagne de sensibilisation aux dangers de ce
déséquilibre et d’une lutte active contre les avortements sélectifs a permis de faire
redescendre ce ratio à 110/100 en 2004.
Mais l’arrivée à l’âge adulte des jeunes hommes issus des générations creuses pose des
problèmes inédits : selon une estimation, en 2008, 11 % des mariages célébrés en Corée du
Sud en 2008 étaient mixtes, principalement entre un homme coréen et une femme étrangère,
un phénomène à la source de tensions sociales, voire de rejets de ces couples et de leurs
enfants. La société chinoise serait-elle prête à accepter un tel métissage ?
Cécile Désaunay
Sources : « The Worldwide War on Baby Girls ». The Economist, 6 mars 2010, pp. 61-64 ;
GOMEZ Marianne, LACUBE Nathalie. « Un déséquilibre démographique qui inquiète
l’Asie ». La Croix, 5 mars 2010.
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