La 2ème conference algero-francaise

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La 2ème conference algero-francaise
2ème Conférence algéro-française
--« Comment créer les conditions de l’ouverture du monde de
l’Université et de la Recherche aux entreprises ? La question de
la gouvernance »
-Marseille- 18-19 octobre 2011
Pr. Benali BENZAGHOU
Recteur de l’USTHB
--La problématique de « l’ouverture du monde de l’université aux entreprises » peut être
abordée sous divers angles ; la recherche, l’insertion professionnelle sont explicitement
mentionnées dans les thèmes de cette rencontre. Je voudrais faire préalablement quelques
brèves remarques.
La formulation orientée de la question, « ouverture de l’université aux entreprises », si
elle correspond effectivement à une réalité, n’en exprime pas moins un jugement à priori :
Quid de l’ouverture des entreprises aux universités ? Je préfère plutôt parler de la
construction d’un partenariat, comme le dit l’un des thèmes, un partenariat gagnantgagnant, en revisitant le rôle de chacun dans la société ! J’évoque cet aspect parce qu’on
peut y soupçonner un relent de culpabilisation de l’université, et notre démarche est de
tenter de dépasser la phase de la culpabilisation des uns et des autres. Le mathématicien
note avec amusement les variations topologiques, ici « la sphère de l’enseignement
supérieur et de la recherche et le monde des entreprises », plus loin « le monde de
l’université et de la recherche et les entreprises ». Chacun imaginera sa sphère. Nous
pensons que les relations entre l’université et l’entreprise relèvent d’un processus historique,
et non d’une vision à priori. En France, la méfiance de l’université vis-à-vis de l’entreprise
jusqu’au milieu du 20ème siècle est connue, à la différence d’autres pays, avec la particularité
d’une plus grande proximité entre les entreprises et ce qui est traditionnellement appelé les
grandes écoles. En Algérie, disons que le problème n’a commencé à se poser que vers la fin
du siècle dernier, d’abord en raison d’un héritage de traditions, ensuite et surtout en raison
de l’évolution de l’université algérienne et des entreprises algériennes. Deux périodes ont
marqué cette évolution. D’abord jusqu’aux années quatre vingt, le fait marquant était le
faible nombre d’étudiants dans l’université algérienne et la forte demande de cadres dans
toutes les activités du pays (c’était la période « bénie » où les étudiants avaient un contrat
de pré-embauche avant de terminer leurs études). Le point d’inflexion est sans aucun doute
le début des années quatre-vingt dix. Deux phénomènes majeurs pour l’université algérienne
vont se télescoper. D’abord, l’envolée des effectifs des étudiants dans les universités
algériennes en réponse à une forte demande sociale. La croissance de plus de dix pour cent
par an nécessitait la création de l’équivalent de plusieurs universités par an. Juste pour
donner un repère chiffré, l’université algérienne accueillait 400 000 étudiants en 1998/99,
quatorze ans plus tard, à cette rentrée universitaire, ils sont plus de un million trois cent
mille, en 1999 il y avait quarante mille diplômés de l’enseignement supérieur, en 2011, ils
sont 243 000. Il n’est pas inutile de préciser qu’actuellement, plus de 65% des étudiants sont
des étudiantes, avec des variations selon les disciplines. Cette « révolution silencieuse » est
loin d’avoir un écho significatif au sein du monde des entreprises et du marché du travail,
qui restent à large dominante masculine, en dehors des secteurs de l’éducation et de la
santé.
Je disais que deux phénomènes majeurs pour l’université algérienne se télescopaient.
Le deuxième phénomène est la crise économique et l’effondrement de la croissance que
connaissait l’Algérie au début des années quatre vingt dix, pour des raisons internes et
externes. Les révoltes de la jeunesse d’octobre 1988 produisaient des bouleversements
politiques et économiques, la fin du système du parti unique, la remise en cause des idées
socialistes, et de la planification centralisée, le début du libéralisme économique, mais
également l’effondrement des prix du pétrole et du gaz provoquait une crise de
l’endettement extérieur et l’imposition d’un rééchelonnement par les institutions financières
internationales avec des conséquences dramatiques sur l’économie et l’emploi. Au niveau
mondial, les nouvelles données étaient l’effondrement de l’URSS, la mondialisation des
marchés, le début de la financiarisation de l’économie mondiale et les mouvements
spéculatifs, l’irruption des nouvelles technologies, une plus forte relation entre la recherche
et la croissance économique, etc. Pour l’Algérie, tout cela a coïncidé avec la décennie
dramatique des années quatre vingt dix, la crise économique et l’envolée du chômage,
l’isolement international de l’université algérienne.
Nous pensons que ces paramètres « lourds » ne sont pas sans conséquences sur la
« question de la gouvernance » de l’université elle-même et de ses relations avec les
entreprises et plus généralement son environnement socio-économique. Tout cela explique,
sans doute, pourquoi la problématique des relations de l’université avec les entreprises, n’a
commencé à devenir une préoccupation pour les pouvoirs publics et pour les universités que
depuis une dizaine d’années.
Aujourd’hui, dans beaucoup de pays développés, la problématique de la relation
université - entreprise est dominée par les préoccupations de recherche, recherche
fondamentale ou recherche appliquée. Sur cette question également, il est nécessaire de
préciser le contexte pour l’Algérie. La croissance très forte des effectifs de l’enseignement
supérieur se heurtait à une contrainte majeure, la capacité de former l’encadrement
pédagogique et scientifique qui était en décalage d’au moins une dizaine d’années. Les
capacités de formation doctorale et de recherche des universités étaient mobilisées autour
de la priorité de former des enseignants- chercheurs. Les préoccupations des applications de
la recherche étaient récurrentes dans le discours des politiques mais se heurtaient à de
dures réalités sur le terrain. Même les quelques centres de recherche qui étaient mis en
place se retrouvaient devant la nécessité de former des chercheurs et de faire soutenir des
thèses. Et pour aggraver les choses, peu d’entreprises algériennes, très peu même, avaient
vraiment des préoccupations de recherche- développement. Les choses sont en train
d’évoluer, mais lentement. La quasi-totalité du potentiel de chercheurs est dans les
laboratoires universitaires, et l’axe stratégique est de faire évoluer les thèmes de recherche
vers des problèmes de moyen terme ou de long terme du pays. Il faut aussi signaler que les
grandes entreprises algériennes qui se posent des questions de recherche ont plutôt
tendance à créer leurs propres centres de recherche- développement. D’autres représentants
des instances de pilotage de la recherche et des entreprises aborderont ces préoccupations.
Pour ne pas rester au niveau des généralités, je vais évoquer l’expérience de
l’Université des Sciences et de la Technologie Houari Boumediene (USTHB) d’Alger. Il est
clair que la nature des disciplines influe sur le type de relations de l’université avec son
environnement, et l’expérience de l’USTHB n’est pas généralisable à toutes les universités
algériennes.
D’abord une brève présentation de l’USTHB. Créée en 1974 comme université
spécialisée, l’USTHB compte aujourd’hui 33.000 inscrits dont plus de 3000 en formations
doctorales. L’organisation en trois cycles, ou système L.M.D., a été progressivement mise en
place depuis 2006 et quatre promotions de licences et deux promotions de masters sont
sorties.
Pour les formations doctorales coexistent actuellement plusieurs organisations, dont le D du
LMD qui n’est qu’à sa deuxième année. Auparavant, l’USTHB délivrait des Diplômes
Universitaires d’Etudes Appliquées (DEUA)- bac+3-, des Diplômes d’Etudes Supérieures
(DES) - bac+4- des Diplômes d’Ingénieurs- bac+5-. Nous évaluons à plus de cinquante mille
diplômés formés, dont plus de la moitié (27.000) sont ingénieurs. L’USTHB a délivré
également plus de 3500 magisters (il s’agit de ce que nous appelions la première postgraduation, qui correspond à ingénieur plus trois ans en moyenne) et un millier de doctorats
(doctorats d’état et doctorats).
L’université est structurée en huit facultés. Les formations doctorales et la recherche
sont organisées autour de 56 laboratoires agréés (le laboratoire est une entité avec une
autonomie financière). L’encadrement est assuré par 1600 enseignants-chercheurs
permanents dont plus de 40% sont de rang magistral. La démarche de construction explicite
des relations entre l’université et son environnement socio-économique n’a commencé que
dans la dernière décennie. Bien sûr, la recherche de stages pour les étudiants est ancienne
et a pris de plus en plus d’importance avec la croissance des effectifs. En 2006, un projet
Tempus intitulé « Construction des interfaces entre une université scientifique et technique
et son environnement » a permis de structurer la démarche. Participaient à ce Tempus
l’INSA de Lyon, l’université de Barcelone et l’université de Bari. Cela a permis à chaque
faculté de mettre en place un service « stages » et de développer beaucoup de contacts
avec les grandes entreprises, Sonatrach, Algérie Télécom, Sonelgaz, Saidal (production
pharmaceutique), etc. L’instrument juridique utilisé a été la convention de partenariat entre
l’université et l’entreprise.
Cette convention visait à faciliter la recherche de stages, l’élaboration de sujets de projets de
fin d’études en partenariat, à aider l’insertion professionnelle des diplômés et à identifier des
domaines où une collaboration en recherche était envisageable. Pour ce dernier aspect, un
décret qui date d’une dizaine d’années encadre les relations financières (contrat de
prestation de services d’un laboratoire). Nous avons également utilisé la formule dite « postgraduation spécialisée » (PGS) où une formation de niveau doctoral d’une à deux années
était organisée par l’université à la demande explicite d’une ou plusieurs entreprises
(prestation payante qualifiante et non diplomante). Nous pérennisons les contacts avec les
entreprises par des conventions bilatérales et par la mise en place d’un club informel que
nous avons appelé « Club des Amis de l’USTHB ». Nous organisons à l’occasion de
l’anniversaire de l’université, que nous célébrons en avril de chaque année, un Forum
« USTHB-Entreprises » qui permet à des entreprises d’installer des stands d’information dans
l’université, d’organiser des conférences et de dialoguer avec des enseignants et des
étudiants.
L’Algérie a développé depuis une dizaine d’années divers mécanismes de soutien à la
création de micro- entreprises et une Agence Nationale de soutien à l’Emploi des Jeunes
(ANSEJ) ainsi que des caisses de garantie aident les jeunes. L’USTHB a une convention avec
l’ANSEJ qui permet, hors cursus, aux agents de l’ANSEJ d’expliquer ces mécanismes aux
futurs diplômés. Par exemple, lors des forums USTHB-Entreprises, des micro- entreprises ou
des PME créées par d’anciens étudiants de l’USTHB sont présentes pour sensibiliser les futurs
diplômés.
Nous nous sommes rendus compte que l’université disposait de très peu d’informations
sur le devenir de ses diplômés. C’est pour cela qu’ont été créés un Observatoire de l’insertion
des diplômés, ainsi qu’une Association des anciens étudiants de l’USTHB.
L’Université essaye d’utiliser la nouvelle démarche de construction des offres de
formation de licences et de masters pour associer nos partenaires. Lorsque nous arrivons à
identifier une demande claire et suffisamment pérenne, nous essayons d’y répondre. Je peux
citer des exemples :
- un master de mathématiques financières construit avec les banques et les
assurances,
- un master de physique médicale construit avec des C.H.U.,
- un master sur les énergies renouvelable construit avec Sonelgaz,
- un master de criminalistique construit avec la gendarmerie et la police scientifiques.
Nous sommes conscients que cela ne peut pas être généralisé à toutes les offres de
masters que nous avons ouverts (quatre-vingt).
Nous constatons également que ce type de dialogue est possible avec les grandes
entreprises (Sonatrach, Sonelgaz, Algérie- Télécom, Saidal, Cosider,…) mais est bien plus
difficile avec les PME- PMI. Nos organisations patronales ont commencé à nous contacter,
mais c’est encore bien timide. Les entreprises internationales installées en Algérie ont
également commencé à nous contacter et à s’engager dans des conventions de partenariat
(SEAAL (eaux), Microsoft, DEISA (espagnol, traitement des eaux), tout récemment Lafarge,
etc.).
Bien sûr, nous sommes attentifs aux expériences dans le monde, incubateurs et
pépinières d’entreprises, pilotage des laboratoires par la recherche - développement, thèses
en entreprises, etc. Nous essayons de rester pragmatiques, réalistes, pour avancer pas à
pas. Nous ne sommes certainement qu’au début d’un processus, en essayant de rester
vigilants sur les missions de l’université.
L’université algérienne n’est qu’à son cinquantième anniversaire, et nous savons tout le
poids des traditions dans l’évolution de l’université.
Il y a beaucoup d’attentes de notre jeunesse, beaucoup d’impatience. Nous pensons
que l’université a parcouru un chemin non négligeable, mais qu’il reste encore beaucoup,
beaucoup à faire.
Cet échange d’expériences est pour nous, un moment privilégié de réflexion.

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