Irène et Frédéric Joliot
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Irène et Frédéric Joliot
Irène et Frédéric Joliot-Curie Repères chronologiques 1897 Le 12 septembre, naissance d'Irène Curie. 1900 Le 19 mars, naissance de Frédéric Joliot. 1915-1918 Pendant la guerre, Irène formée par sa mère, devient manipulatrice de radiologie sur le Front. 1918 Irène obtient sa licence ès-sciences physiques et elle commence ses recherches au Laboratoire Curie. 1923 Frédéric obtient son diplôme d'ingénieur en physique, major de sa promotion, de l'Ecole de physique et de chimie industrielles de Paris (EPCI). 1924 Frédéric devient préparateur particulier de Marie Curie, en décembre. 1925 Le 27 mars, Irène soutient sa thèse sur les rayons a du polonium. 1926 Frédéric et Irène se marient le 4 octobre. 1927 Naissance de leur fille, Hélène. 1929-1935 Irène et Frédéric travaillent ensemble. Ils étudient le neutron et les électrons positifs. 1930 Le 17 mars, Frédéric soutient sa thèse sur l'étude électrochimique des radioéléments. 1932 Naissance de leur fils, Pierre. 1934 En janvier, Frédéric et Irène découvrent la radioactivité artificielle. (En juillet, mort de Marie Curie.) 1935 En décembre,Frédéric et Irène reçoivent le Prix Nobel de chimie (pour la découverte de la radioactivité artificielle). 1935-1939 A l'Institut du Radium, Irène étudie avec Pavlé Savitch, des radioéléments produits par les neutrons dans le thorium et l'uranium. 1936 Alors que les femmes n'ont pas le droit de vote en France, Irène est nommée soussecrétaire d'Etat à la recherche scientifique dans le gouvernement du Front Populaire. Elle est l'une des trois femmes qui participent pour la première fois à un gouvernement. 1937 Irène est nommée maître de conférence, puis professeur (sans chaire) à la Faculté des sciences de Paris. Frédéric est professeur au Collège de France et il est nommé directeur du Laboratoire de synthèse atomique du CNRS à Ivry. 1939-1940 Frédéric, avec Hans Halban, Lew Kowarski et Francis Perrin, travaille sur la fission de l'uranium et la réaction en chaîne. En 1940, ils déposent les brevets sur l'utilisation de l'énergie atomique. 1941-1944 Frédéric est président du Front national (front de résistants). 1943 Frédéric est élu membre de l'Académie des sciences et de l'Académie nationale de médecine. 1944-1945 Frédéric est directeur du CNRS. 1946 Irène est nommée directeur du Laboratoire Curie de l'Institut du Radium. 1945-1950 Frédéric, à la demande du Général de Gaulle, crée le CEA (Commissariat à l'énergie atomique). Il est le premier Haut commissaire à l'énergie atomique. En 1948, la première pile atomique française, ZOE, est mise en fonctionnement par l'équipe du CEA. Frédéric est révoqué du CEA en 1950. 1946-1951 Irène est professeur titulaire de la chaire de physique générale et radioactivité de la Faculté des sciences de Paris. Elle est également commissaire à l'énergie atomique. 1949 Frédéric est président du Conseil mondial de la paix. 1956 Le 17 mars, Irène Joliot-Curie décède des suites d'une leucémie (obsèques nationales). Frédéric remplace sa femme au poste de directeur du Laboratoire Curie de l'Institut du Radium et il est nommé professeur à la Faculté des sciences de Paris. 1958 Frédéric participe à la création de l'Institut de physique nucléaire d'Orsay. Mort de Frédéric Joliot, le14 août (obsèques nationales). Irène et Frédéric Joliot-Curie, un couple de savants Frédéric Joliot Jean-Frédéric Joliot est né le 19 mars 1900, à Paris, dans une famille alsacienne protestante ; son père était un commerçant aisé. Il avait deux sœurs et un frère, tous trois ses aînés. Enfant, Frédéric était vif, imaginatif et impulsif. Après l'école primaire, il entre au lycée Lakanal, à Sceaux, puis à l'école Lavoisier, à Paris. Elève moyen dans le secondaire, surtout brillant en gymnastique, il ne s'intéresse à la physique et à la chimie qu'au moment du baccalauréat. Comme un certain nombre de jeunes gens, il s'était construit, dans le cabinet de toilette de l'appartement familial, un petit laboratoire et il avait orné les murs de photographies des savants qu'il admirait. On pouvait y voir une gravure de Pierre et Marie Curie devant leurs instruments de mesure, à une époque où il était bien loin de se douter qu'il deviendrait à son tour un physicien et qu'il épouserait l'une des filles des deux savants. Henri, le frère de Frédéric, alors âgé de 25 ans, fut mobilisé en 1914, et tué dès les premiers jours de la guerre. Ce drame marqua profondément Frédéric Joliot. La rencontre avec Marie Curie... Frédéric prépara le concours d'entrée à l'Ecole de physique et chimie où Pierre Curie avait enseigné et où les Curie avaient découvert le polonium et le radium. Paul Langevin en était alors le directeur des études. Frédéric est reçu en 1919, mais la maladie l'oblige aussitôt à interrompre ses études. Il les reprend l'année suivante, et a pour camarade de promotion Pierre Biquard, qui devient son meilleur ami. Il choisit d'abord l'option Frédéric Joliot dans le laboratoire de Marie Curie chimie, puis, à la dernière minute, il opte pour la physique. En à l'Institut du Radium 1923, il sort de l'Ecole major de sa promotion et effectue un ©ACJC stage dans une aciérie du Luxembourg. Il part pour le service militaire et, peu avant la fin de son temps, il est présenté, par Paul Langevin, à Marie Curie qui l'engage immédiatement comme préparateur particulier à l'Institut du Radium, en décembre 1924. Tout en travaillant au laboratoire, Joliot obtint une bourse Rothschild et passa les certificats de licence ès-sciences. Il décide de préparer une thèse de doctorat sur l'étude électrochimique des radioéléments, thèse qu'il soutient en 1930. Sa bourse s'avérant insuffisante pour vivre, il donna des cours de mesures électriques, à l'Ecole d'électricité industrielle Charliat. Frédéric Joliot tenant un élément de chambre d'ionisation à l'Institut du Radium (1932) ©ACJC Sa rencontre avec Irène, la fille de « la patronne » Le premier travail où l'on trouve associés les noms de Frédéric et d'Irène fut publié en 1928, dans une note aux comptes rendus de l'Académie des sciences, sur le nombre d'ions produits par les rayons alpha du polonium. Les deux jeunes chercheurs étaient mariés depuis le 4 octobre 1926. Irène Curie, fille aînée de Pierre et Marie Curie, est née le 12 septembre 1897, à Paris. Après deux années d'études dans la « coopérative d'enseignement » que sa mère et d'autres professeurs d'Université, comme Paul Langevin, Jean Perrin et M. Mouton avaient créée pour leurs enfants, elle prépare le baccalauréat au collège Sévigné. Elle entreprend ensuite, pendant la Première Guerre Mondiale, une licence èssciences physiques, tout en prodiguant des soins aux blessés, aux côtés de sa mère, comme infirmière radiologiste. Cette activité, menée sans précautions contre les rayons X, a contribué à la dégradation continue de son état de santé, quelques années plus tard. Irène et Marie Curie à l'Institut du Radium en 1921 ©ACJC Dès 1919, elle occupe les fonctions d'assistante auprès de sa mère à l'Institut du Radium. Irène conçoit un électroscope à feuille d'or pour mesurer la radioactivité des engrais. Puis elle se consacre à la recherche fondamentale et prépare une thèse sur les rayons alpha du polonium, qu'elle soutient en 1925. C'est aussitôt après sa soutenance, qu'elle commence à travailler avec Frédéric Joliot. Electroscope à feuille d'or conçu par Irène Curie, exposé au musée Curie. ©Institut Curie - Musée Curie Irène et Marie Curie à l'Institut du Radium ©ACJC Jeune fille timide, sans coquetterie, imperturbablement calme et d'une grande simplicité, d'un abord distant en apparence, elle sut plaire par son intelligence et sa sensibilité au jeune physicien dont les qualités de séduction étaient nombreuses : intelligent, chaleureux, brillant, fin causeur. Ils partagèrent leur goût pour les sports, la natation, le tennis, le ski, mais aussi leur passion pour la recherche scientifique. Ils étaient complémentaires : autant l'une se liait relativement peu avec autrui, autant l'autre était doué pour les contacts ; autant l'une paraissait calme et sereine, autant l'autre se montrait enthousiaste et impulsif. Elle épouse en 1926 Frédéric Joliot « (...) le plus brillant, le plus bouillant des travailleurs de l'Institut du Radium. Le ménage de cette universitaire réfléchie et de ce jeune savant fougueux, débordant de vitalité et d'idées généreuses est, depuis dix ans, un des plus heureux (...). Auprès de son mari qu'elle ne quitte presque jamais, puisque les époux accomplissent ensemble leurs recherches scientifiques, Irène Joliot-Curie s'est humanisée et assouplie. » (Eve Curie, magazine « Marianne », 1936) Ils eurent deux enfants, Hélène, née en 1927, et Pierre, en 1932. Irène Curie dans le laboratoire de Marie Curie à l'Institut du Radium ©ACJC Ils effectuèrent plusieurs de leurs travaux communs avec ce merveilleux instrument qu'est la chambre de Wilson, et Frédéric, particulièrement doué de ses mains, en conçut et mit au point un nouveau modèle à pression variable. Puis, commença la période particulièrement fructueuse de leur collaboration. Grâce aux sources intenses de polonium qu'ils avaient préparées, ils étudièrent le rayonnement pénétrant qui devait aboutir à la découverte du neutron par Chadwick. La découverte de la radioactivité artificielle Irène et Frédéric JoliotCurie, laboratoire de physique à l'Institut du Radium, 1932 ©ACJC Le 15 janvier 1934, les comptes-rendus de l'Académie des sciences publient leur travail sur la découverte de la radioactivité artificielle. L'adjectif « artificiel » ne plaisait pas aux Joliot qui insistaient toujours pour dire que la radioactivité qu'ils avaient obtenue était identique à la radioactivité naturelle et que, seule, la production des isotopes radioactifs était artificielle. Cérémonie à l'Institut du Radium pour l'attribution du prix Nobel de chimie aux Joliot en1935 ©ACJC Un peu plus d'un an près la mort de Marie Curie, en décembre 1935, le jeune couple fut lauréat du prix Nobel de chimie, la même année que James Chadwick, pour la synthèse de nouveaux éléments radioactifs. En 1936, Irène accepte, dans le gouvernement du Front populaire présidé par Léon Blum, de créer le sous-secrétariat d'Etat à la Recherche scientifique, dont elle ne voudra occuper la charge que pendant quelques mois, avant de transmettre le flambeau à Jean Perrin. Quant à Frédéric, il fut nommé, en 1937, professeur au Collège de France. Sa nomination était assortie de l'attribution d'un laboratoire et de crédits spéciaux pour construire un des premiers cyclotrons d'Europe. Pour développer en France la construction d'accélérateurs, il constitua le laboratoire de synthèse atomique d'Ivry. Irène devint professeur à la Faculté des sciences de Paris, en 1937. Au laboratoire Curie, dont le directeur était alors André Debierne, un ancien collaborateur de Marie Curie, qui avait découvert l'actinium, elle poursuivit ses recherches. Avec Pavlé Savitch, elle s'efforça de résoudre l'énigme des transuraniens. A la suite de la découverte de la fission par Otto Hahn et Fritz Strassman, F. Joliot imagina, en janvier 1939, avec une rare rapidité d'esprit, une expérience apportant une preuve physique de la rupture des noyaux d'uranium. Irène Curie dans le laboratoire de chimie de l'Institut du radium vers 1950. ©ACJC Avec ses collaborateurs, Hans von Halban et Lew Kowarski ainsi que par la suite Francis Perrin (le fils de Jean Perrin), il démontra la possibilité de réaliser une réaction en chaîne divergente susceptible de libérer de l'énergie utilisable. Le 30 octobre 1939, avec Halban et Kowarski, il dépose un pli cacheté à l'Académie des sciences contenant des brevets. La guerre avait, en effet, débuté le 3 septembre 1939, et les conditions de la recherche atomique s'en trouvaient bouleversées. Le pli sera décacheté dix ans plus tard, en 1948. La « bataille de l'eau lourde » Sur la proposition de Frédéric Joliot, mobilisé comme capitaine d'artillerie, le ministre de l'Armement, Raoul Dautry, envoie une mission, en Norvège, pour acquérir le stock mondial d'eau lourde (185 kilos), quelques semaines avant la conquête de la France par les Allemands. Henri Moureu transporta les précieux bidons à Clermont-Ferrand, dans la chambre forte de la Banque de France, où ils furent enregistrés sous le nom de produit Z. Les Joliot se rendirent dans la capitale de l'Auvergne pour y installer un laboratoire, mais l'armée allemande poursuivait son avance au cœur de la France ; le produit dut être évacué à Riom, à la Maison centrale, dans la cellule des criminels dangereux. Il n'y fut entreposé que peu de temps. L'ennemi approchait. Le 18 juin, à la demande de F. Joliot, Halban et Kowarski s'embarquèrent avec l'eau lourde, à bord du Broompark, à destination de l'Angleterre. Joliot décida de rester en France. Halban et Kowarski devaient poursuivre leurs recherches en Angleterre puis au Canada. Le laboratoire du Collège de France fut occupé par les Allemands ; fort heureusement, le physicien allemand, W. Gentner, qui avait déjà travaillé avec les Joliot à l'Institut du Radium, se proposa, avec l'accord secret de F. Joliot, pour en assurer le contrôle, et il réussit à le protéger. Un militant F. Joliot milita très tôt dans la Résistance. Il s'inscrit au parti socialiste SFIO en 1934. En 1941, il devient président du Front national pour la libération de la France. Pendant l'Occupation, il adhère au parti communiste français. Irène, atteinte de tuberculose, fit de fréquents séjours dans des sanatoriums des Alpes. En juin 1944, elle parvint à passer la frontière avec ses enfants, Hélène et Pierre, et à se réfugier en Suisse, tandis que Frédéric, traqué par la Gestapo, entrait dans la clandestinité, sous le nom de Jean-Pierre Caumont. Faux papiers utilisés par Frédéric Joliot en 1944 pendant sa clandestinité. ©ACJC Auparavant, en 1943, F. Joliot avait été élu membre de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine. Il participa au Collège de France à des études de biophysique utilisant des indicateurs radioactifs. Dès la libération de Paris, F. Joliot réorganisa et dirigea le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Sur la proposition de F. Joliot, le général de Gaulle crée le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) ; le savant en devient tout naturellement le premier haut-commissaire, tandis que Raoul Dautry est nommé administrateur général. Le premier comité de l'énergie atomique du CEA comprenait : le président du gouvernement provisoire, Frédéric Joliot, Raoul Dautry, le général Dassault, Irène Joliot-Curie, Pierre Auger et Francis Perrin. Le plan du comité scientifique du CEA prévoyait trois étapes : d'abord la construction d'une pile à uranium naturel et à eau lourde ; ensuite, la Comité scientifique du CEA en 1946 De gauche à droite assis : Pierre Auger, Irène Joliot-Curie, Frédéric Joliot-Curie, Francis Perrin, Lew Kowarski ; debout : Bertrand Goldschmidt, Pierre Biquard, Léon Deniwelle, Jean Langevin. ©ACJC construction de deux autres piles de moyenne puissance ainsi que celle d'un grand centre d'études nucléaires ; enfin, dans un avenir plus lointain, la construction d'une importante centrale de production d'énergie. La première pile atomique Le 15 décembre 1948, à 12h12, la pile ZOE (nom proposé par Kowarski : Z comme zéro, la puissance de la pile étant très petite, O comme oxyde d'uranium et E comme eau lourde) divergeait, au fort de Châtillon. Inauguration de la pile atomique ZOE le 15/12/1948 ©ACJC C'était un grand succès pour la France, après tant d'années sans recherche nucléaire. La seconde étape concernant la construction d'un grand centre d'études nucléaires fut également menée rondement : une seconde pile fut mise en chantier, à Saclay près de Paris, ainsi que deux accélérateurs de particules. En 1949, F. Joliot devient, à sa création, le président du Conseil mondial de la paix. Profondément marqué, dès 1945, par l'utilisation de la bombe atomique sur le Japon, il lance, en mars 1950, « l'appel de Stockholm » pour l'interdiction de l'arme atomique, qui recueillit des millions de signatures. Couverture du journal Atomes ©ACJC Le 19 mars 1950, Joliot fête ses 50 ans. Le 29 avril, il est révoqué en pleine guerre froide pour raisons politiques : désaccord avec le gouvernement de Georges Bidault sur l'utilisation de l'énergie atomique. Francis Perrin prend sa succession. Irène, qui avait succédé à André Debierne, à la tête du laboratoire Curie de l'Institut du radium, en 1946, quitte peu après le CEA. Les moyens de travail des laboratoires du Collège de France et de l'Institut du radium furent affectés par cette nouvelle situation. Irène Curie dans le bureau directorial à l'Institut du Radium en 1949 ©ACJC Couverture de la revue Combat pour la paix, portrait de Frédéric Joliot par Picasso ©ACJC Mais, en 1955, I. Joliot obtient la création d'un nouveau laboratoire moderne, à Orsay, qui devait être doté d'un synchrocyclotron. Irène meurt le 17 mars 1956, à l'hôpital Curie, d'une leucémie subaiguë, consécutive à ses travaux. La mort d'Irène affecta beaucoup Frédéric Joliot, en mauvaise santé, lui aussi, depuis plusieurs années. Dans sa maison de Sceaux, il avait installé un petit atelier, et il s'était également mis à peindre. A la mort d'Irène, il fut amené à succéder à sa femme à la tête du laboratoire Curie. Il consacra les deux dernières années de sa vie à mettre sur pied le nouveau laboratoire de physique nucléaire, à Orsay, non loin de Saclay, où fut transféré le cyclotron du Collège de France. Il assista à la mise en route du synchrocyclotron de 156 MeV, mais il n'eut pas le temps de voir l'extraction de son faisceau. Il mourut le 14 août 1958. Des obsèques nationales, comme deux ans auparavant pour Irène, furent décrétées ; son corps repose auprès de celui de sa femme au cimetière de Sceaux.