Refondation du Mali et refondation de l`aide internationale

Transcription

Refondation du Mali et refondation de l`aide internationale
Refondation du Mali et refondation de l’aide
internationale
La crise malienne et la manière dont elle a pris les
partenaires techniques et financiers de ce pays par surprise
est un bon révélateur des faiblesses de l’aide publique au
développement en Afrique sahélienne. La refondation de
l’aide est donc un volet majeur de la refondation du Mali.
Pierre Calame
FPH, 13 octobre 2013, 5 pages (bip 4863)
Résumé
Assurant 40% du budget de l’Etat malien, l’aide internationale fait partie intégrante de la
gouvernance du Mali. Les événements de 2012 ne sont pas un accident de parcours mais le
révélateur d’une crise structurelle qui appelle non un simple plan de relance mais une
véritable refondation du pays.
Dans une courte présentation faite à Bamako à la communauté des bailleurs de fonds, Pierre
Calame expose les sept volets de la stratégie de refondation proposés à la Présidence
malienne. La refondation de l’aide internationale est l’un d’eux. Le texte détaille, à partir
d’une analyse sans concession des modalités actuelles de l’aide publique au développement,
les principes de sa refondation, soulignant le fait qu’en répondant de manière innovante à la
crise malienne, on aurait l’occasion concrète de repenser en profondeur l’aide publique au
développement.
Mots clés thématiques : logique
institutionnelle ; aide publique au développement ; Stratégie de
sortie de crise ; stratégie de changement ; coopération Nord Sud
Mots clés géographiques : Afrique
Mots-clés acteurs : bailleurs
de l'ouest ; Mali
de fonds
Réf. : intranetfph/bip/4863, O2o_D3j – Les défis de la paix en Afrique de l’Ouest
Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme - site web : http://www.fph.ch
Mesdame et Messieurs,
Le but de la mission de mise à disposition par l’Union Européenne à la Présidence malienne a
été d’aider à mettre en forme une stratégie de sortie de crise. Le titre du résultat de la mission
vaut programme : le Mali de la crise à la refondation.
1. Le Mali, de la crise à la refondation
Quelles sont les questions fondamentales qui se trouvent posées derrière ce document ?
Première question, est-ce une crise ordinaire ou une crise structurelle ? Si c’est une crise
ordinaire il suffit de refaire comme avant, si c’est une crise structurelle il faut transformer très
profondément la manière de regarder les choses. Réponse c’est une crise structurelle très
profonde qui pend au nez d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et qui appelle non pas la reprise
du « business as usual » mais une véritable refondation.
Deuxième question, cette crise structurelle était-elle prévisible ou imprévisible ?
Beaucoup de PTF (Partenaires techniques et financiers) ont exprimé le sentiment qu’elle était
imprévisible, tant le Mali était classé dans les bons élèves de la coopération internationale.
Notre réponse, avec l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique, ARGA, qui est un
réseau construit depuis une douzaine d’années avec des intellectuels et des responsables
politiques africains, est : nous savions depuis très longtemps que ce genre de crise arriverait ;
pas nécessairement sous cette forme et à ce moment, ça c’est imprévisible, mais que cette
crise arriverait c’est certain. Parce qu’aucune société ne peut se développer quand le mode de
gestion de la société lui est complètement étranger. Ou, pour reprendre l’expression du grand
historien Joseph Ki Zerbo, tant que l’Afrique « dormira sur la natte des autres », elle ne pourra
pas dormir convenablement. Ce qui veut dire que le fruit de notre mission n’est pas le résultat
d’un travail de trois mois mais de réflexions qui s’étalent sur plus de dix ans.
Troisième question, est-ce que la crise est une crise du Nord Mali ou une crise de
l’ensemble du Mali ? La réponse est : une crise de l’ensemble du Mali. Ce qui s’est passé au
Nord, et le coup d’Etat qui a suivi, ont été un déclencheur mais seulement un déclencheur.
Quatrième question, quelle est la place des PTF dans cette crise ? Réponse : ils sont partie
prenante de la crise, ils font partie du problème et pas de la solution. Quand les PTF
représentent 40 % du budget public du Mali, cela veut dire qu’ils sont intégrés dans la
gouvernance du Mali. La crise de la gouvernance malienne est aussi une crise des PTF. De ce
fait le problème de la refondation de l’aide se pose au même titre que les autres éléments
de refondation.
2. Les sept volets de la refondation
Refondation de quoi ?
Premièrement, refonder la gouvernance. Il ne s’agit pas, comme on l’entend dire, de
simplement refonder l’Etat ou de refonder les institutions, au sens où ce serait un problème
purement institutionnel. Il faut refonder la gouvernance, l’art de gérer la société. Et la
refonder sur de nouvelles bases. Ne pas simplement penser qu’on peut recimenter un Etat qui,
à mains égards, a simplement reproduit l’Etat colonial, y compris dans ses rapports avec la
société. Il faut refonder la gouvernance et, pour cela, il faut apprendre les stratégies de
transformation de la gouvernance.
Deuxièmement, il faut refonder la société. La gouvernance, ce n’est pas seulement la gestion
de communautés instituées c’est un problème plus fondamental : comme un groupe humain
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s’institue-t-il comme communauté, unie par un destin commun ? Comment cette communauté
se reconnaît-elle des valeurs communes ? Il ne suffit pas pour cela d’écrire et adopter une
Constitution ou une Charte des valeurs communes. Instituer une communauté implique une
dynamique « de bas en haut ». Ce « processus instituant » se retrouve dans toutes les sociétés,
à des moments particuliers de leur histoire où il faut se retrouver, se reconnaître, se
reconstruire.
Troisièmement c’est la refondation des rapports entre le central et le local. Comme le dit
Ousmane Sy dans son livre « Reconstruire l’Afrique », il faut « la reconstruire à partir du
local ». Donc accorder une importance majeure, dans la refondation de l’aide, à la manière
dont les territoires locaux -et pas seulement les collectivités territoriales qui en sont des
expressions politiques- peuvent se développer.
Quatrièmement, refonder la paix et la sécurité au niveau régional. Le problème malien est
régional. Ce problème régional ne peut pas se traiter par des relations intergouvernementales
seulement. Elles ont été tentées, elles n’ont pas abouti. Les relations intergouvernementales
sont évidemment nécessaires mais s’inscrivent dans des formes de rapport de diplomatie, de
puissance et d’influence qui ne sont pas à l’échelle d’un problème qui concerne toutes les
sociétés de la vaste zone saharo-sahélienne. Il faut donc trouver des formes nouvelles de
dialogue entre ces sociétés, non pas laissant de côté les gouvernements mais en ne comptant
pas seulement sur eux pour inventer des perspectives nouvelles.
Cinquièmement, il faut refonder les forces de sécurité. Pas seulement rendre deux ou trois
bataillons opérationnels ! Redéfinir les missions de sécurité intérieure et de sécurité extérieure
et construire une armée républicaine, ce qui, l’expérience historique le montre, demande une
bonne dizaine d’années.
Sixièmement, il faut refonder la stratégie de développement. La stratégie de développement
telle qu’elle est définie aujourd’hui est un « copié/collé » de l’agenda international. Ce n’est
pas l’expression réelle d’une dynamique malienne. Elle ne définit pas des itinéraires de
développement à long terme. Elle ne situe pas ces itinéraires de développement par rapport à
l’état du monde en 2050 et le risque est grand d’inventer des itinéraires de développement qui
se révèleront des impasses au moment où ils commenceront à porter leurs fruits. Il y a donc
un travail gigantesque à entreprendre pour accompagner les élites maliennes et leur permettre
de réinventer leur avenir économique.
Septièmement, il faut refonder l’aide internationale. C’est sur ce point que je vais
m’attarder pour conclure.
3. La refondation de l’aide internationale
Quels sont les défis auxquels est confrontée l’aide internationale aujourd’hui ? Le défi majeur
est le retour aux habitudes. Une fois l’orage passé, on replie le parapluie et on recommence
comme avant. Ca se pose évidemment aussi au niveau gouvernemental malien, qui est assailli
par les urgences. Or, la refondation c’est exactement comme le passage de la guerre à la paix :
avant, il est trop tôt pour y réfléchir, parce que l’on est en plein combat ; après il est trop tard
parce qu’on est saisi par les urgences. C’est exactement le problème historique qui se pose au
Mali et aux PTF puisque, bien entendu, tout le monde a tendance à revenir à ses habitudes.
Le deuxième défi est, mais ça peut être aussi une opportunité, que le problème du Mali est
aussi le problème des autres pays d’Afrique de l’Ouest. Je dis que ça peut être une
opportunité dans le rapport sur lequel je vais revenir entre les PTF locaux et leur siège. Parce
que ça oblige à ne pas traiter le Mali comme un cas particulier mais reconnaître qu’il pose le
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problème plus général de la refondation de l’aide. On peut utiliser le Mali comme
opportunité d’une question plus générale de refondation de l’aide.
Dans ce processus quel peut être le rôle des amis étrangers du Mali dont les PTF ? Leur
premier rôle devrait être de mobiliser l’expérience internationale, au lieu d’apporter voire
d’imposer des solutions normatives. Les pays qui se développent sont ceux qui sont capables
de tirer bénéfice d’une très grande diversité d’expériences internationales. Les pays qui ne se
développent pas sont en général enclavés et enfermés, comme c’est le cas de la plupart des
pays du Sahel, dans les conditionnalités de l’aide ou dans des modèles intellectuels qui sont
importés.
Quelles sont les critiques de l’aide internationale telles qu’elles apparaissent généralement et
en conséquence quelles sont les réponses possibles ?
Premièrement l’aide internationale, malgré l’effort de coordination, est dispersée. Dans les
chiffres que j’ai vus il y a 35 coopérations, chacune avec 6 priorités. Je défie quiconque de
mener une stratégie cohérente avec un tel assemblage, un tel puzzle.
Deuxièmement, les conditionnalités sont imposées de l’extérieur. Elles sont produites à
Bruxelles, à Washington, à Paris ou ailleurs en fonction des préoccupations voire des modes
des bailleurs de fonds. La société malienne ne se reconnaît pas en elle. Et de ce fait c’est
autant de codes qui créent autant de ruses.
Troisièmement elle est structurée par les relations d’Etat à Etat et doit être analysée
comme une rente, et une assuétude, exactement comme l’assuétude de l’Europe à la dette. Le
problème de la distribution de la rente est central. Quand la rente arrive par le haut (comme
dans le cas de l’aide publique actuelle), elle reste stockée en bonne partie en haut, en
particulier dans la capitale et dans la fonction publique.
Quatrièmement, on multiplie les contrôles mais le seul contrôle qui vaille réellement c’est
le contrôle citoyen, c’est-à-dire la capacité pour les citoyens de suivre à la trace l’aide parce
que ce sont eux les plus intéressés à son efficacité. Sinon, le contrôle des contrôles des
contrôles ne créé que des ruses de ruses de ruses.
Cinquièmement, elle confond planification et stratégie. C’est peut-être au plan intellectuel
le péché le plus grave. L’on s’imagine que parce qu’un projet est décrit dans son détail sur
trois ans c’est la preuve qu’il est bien préparé. Quiconque a fait de la stratégie comprend que
c’est idiot ! Dans un univers hautement imprévisible, la stratégie c’est l’inverse : c’est une
vision très forte à long terme et une adaptation sur le terrain en fonction de l’imprévisibilité.
Ce n’est pas nouveau ! Sun Tzu l’écrivait il y a 2500 ans dans l’art de la guerre : l’empereur
déclare la guerre, c’est le général qui la conduit sur le terrain. L’idée que le général se situe à
Bruxelles ou à Paris est une absurdité radicale.
Enfin, sixièmement, cette aide ne permet pas aux Maliens de réfléchir. On aide
énormément au plan matériel mais où sont les espaces qu’on soutient pour permettre aux
Maliens de réfléchir eux-mêmes à leur avenir en toute liberté avec le temps que ça prend, les
moyens que ça prend ? Dans les propositions que j’ai faites à la Présidence provisoire, j’ai dit
que si déjà 1 % de l’aide allait à ce que les Maliens réfléchissent librement en se
nourrissant du meilleur de l’expérience internationale et 30 % allaient directement au
développement local, nous contribuerions efficacement à la refondation du Mali.
D’où découlent les quatre grandes pistes de refondation de l’aide que nous vous proposons et
que nous soumettons au gouvernement malien.
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La première, permettre aux Maliens de se réapproprier leur avenir. Y compris, quand il
s’agit de créer un fonds de développement local, il faut qu’ils aient la possibilité de construire
leurs propres conditionnalités. Il faut des conditionnalités bien entendu mais comment sontelles construites, d’où tombent-elles, c’est une question essentielle.
La seconde, créer un fonds multi-bailleurs directement orienté vers le niveau local et
affecté pour moitié au développement des services de base et pour moité au développement
économique local.
La troisième, une réforme des procédures de l’aide pour qu’elle devienne capable de
soutenir des stratégies à long terme. Une société se développe à travers des apprentissages à
long terme, qui sont autant d’habitudes prises de résoudre ensemble les problèmes. C’est que
l’on appelle le capital immatériel des communautés. Le premier objectif de toute aide
extérieure devrait être de permettre à ces apprentissages de se construire. Pour la petite
histoire, l’évaluation que j’ai conduite à la fin des années 90 de la Coopération Européenne se
concluait en deux phrases : c’est un modèle de mauvaise gouvernance donnant des leçons de
bonnes gouvernance ; c’est un système d’apprentissage jetable. C’est-à-dire que les
procédures européennes segmentent l’action et ne permettent absolument pas de construire
des apprentissages à long terme.
Beaucoup de PTF au niveau local, proches du terrain, se reconnaissent dans ces critiques et
probablement dans ces propositions. La grande question est de savoir comment convaincre
vos sièges, qui, eux, fonctionnent selon d’autres logiques.
La quatrième proposition serait justement qu’à l’occasion de cette « opportunité malienne »
on arrive à poser ensemble ces questions. Chacun d’entre vous n’y parviendra sans doute
pas séparément. mais notre document contient sur chacune des sept pistes de refondation des
propositions opérationnelles. Parce qu’il faut avoir la tête dans les étoiles, regarder à long
terme, mais il faut dire aussi comment on conduit pas à pas chacun des volets de la
refondation. Ce qui explique que notre document soit d’une centaine de pages, détaille, par
exemple, ce que serait le cahier des charges d’un fonds local multi-bailleurs, ce que serait une
stratégie de refondation de la gouvernance, comment s’appuyer sur l’expérience internationale
pour faire naitre un itinéraire malien de développement, selon quels principes refonder l’aide
internationale. J’ai la faiblesse de penser qu’il pose à la fois les fondements de la refondation
de l’aide et en propose un point d’application immédiat.
Merci
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