Otto DIX La rue de Prague (1920)

Transcription

Otto DIX La rue de Prague (1920)
Domaine : Art du visuel (peinture)
Otto DIX
M.BESSON
La rue de Prague (1920)
Synthèse du cours de français
(source : www.pearltrees.com)
Retrouvez le tableau en couleurs sur le blog d’histoire des arts (laclasse.com)
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L’auteur
ème
Otto Dix est un peintre allemand du XX siècle (1891-1969). Après des études artistiques dans
sa jeunesse, il s’engage en 1914 dans l’armée allemande et participe à de nombreuses campagnes
en France, en Pologne puis en Russie. Ce qu’il voit chaque jour le hante et devient le sujet de son
travail artistique : il réalise alors des centaines de dessins pris sur le vif dans lesquels il dénonce la
sauvagerie destructrice de la Première Guerre Mondiale. Il réalise aussi entre 1929 et 1932 le
célèbre triptyque La Guerre qui témoigne de son expérience de soldat en représentant un terrifiant
champ de bataille.
Marqué d’abord par l’expressionnisme, Otto Dix est dans les années 20 un des chefs de file du
mouvement allemand de la Nouvelle Objectivité qui cherche à représenter le réel tel qu’il est,
sans rien cacher. Dix réalise ainsi de nombreuses œuvres où apparaissent des mutilés et des
gueules cassées.
Gueules cassées : survivants de la Première Guerre mondiale ayant subi une ou plusieurs blessures au combat et
ayant des séquelles physiques graves, notamment au niveau du visage.
Il s’agit de tendre un miroir à la société allemande de l’époque.
L’œuvre
Le célèbre tableau La Rue de Prague (1920) est une peinture à l’huile intégrant des collages
(dimensions : 101 x 81 cm). Dans ce tableau, il représente une grande rue commerçante de
Dresde, où il a longtemps vécu. Cette œuvre est aujourd’hui exposée au musée municipal de
Stuttgart (Galerie der Stadt).
I – Description
1 - Au premier plan
- Un homme cul-de-jatte, les mains sur des leviers, se déplace sur une planche à roulettes. Ses
vêtements (veston et chapeau melon) indiquent qu’il appartient à une classe sociale plutôt élevée
(bourgeoisie). La croix de fer visible à sa veste montre qu’il s’agit d’un ancien combattant. Il
roule sur un tract ou un article de journal, intégré au tableau par collage comme le faisaient les
dadaïstes. Dessus, on peut lire distinctement : « Jüden raus ! » (« Les Juifs dehors ! »).
- A sa gauche, on peut voir une étrange main, tenant une canne : main gantée ou prothèse ? Il
s’agit sans aucun doute d’une personne riche (canne à pommeau). En dessous une tête de chien,
agressive car elle montre les crocs, semble regarder la scène.
- Sur le côté droit du tableau on distingue un corps de femme. Celle-ci est vêtue d’une robe rose
clair moulante et de chaussures noires à talons hauts. S’agit-il d’une prostituée ? Un chat, ou un
autre chien, dont on ne distingue pas la tête, marche dans ses pas.
- D’une manière générale, le premier plan se distingue par des couleurs assez vives (veston bleu
du cul-de-jatte, robe rose). Il est séparé du deuxième plan par un trait oblique, représentant une
faux, symbole de la mort, la Grande Faucheuse.
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2 - Au deuxième plan
- Au centre du tableau, le regard se porte immédiatement sur le mendiant paraplégique, assis
sur le trottoir, tendant la main droite pour recevoir l’aumône. Son bras gauche et ses membres
inférieurs (qui font écho aux deux leviers du cul de jatte) sont en bois. Il porte un chapeau de
pailles et son pantalon, en loques, est troué. Ses yeux vides, effrayants, regardent le spectateur.
Ils n’ont aucune expression ; ce ne sont que des trous, qui évoquent les trous d’obus, la guerre.
Ce mendiant n’a plus vraiment une apparence humaine. Ici, la réalité est déformée pour inspirer
une émotion au spectateur : la violence de cette image est d’influence expressionniste.
- Un passant, sans doute un bourgeois dont on n’aperçoit
que la main gantée, lui fait l’aumône. En examinant de
près cette partie du tableau, il semble qu’il lui donne …
un timbre postal.
- Derrière le mendiant, une fillette blonde, en robe bleue, certainement pauvre car elle a les pieds
nus, est de dos et dessine peut-être sur le mur. Nous voyons son visage de profil mais son œil, lui,
se détache, face à nous. A ses pieds, une page d’un journal allemand, authentique.
3 – A l’arrière-plan
- Deux vitrines de magasin sont représentées au fond du tableau. Celle de droite présente des
sous-vêtements féminins (corset) mais aussi des prothèses (de bras, de jambes, de pied) pour
mutilés ou blessés de guerre pouvant se les offrir … Ce que n’a pu faire le pauvre mendiant
paraplégique …
La vitrine de gauche expose des perruques féminines très en vogue dans les années 20, les plus
riches aimant sortir pour s’amuser (« les années folles »).
- Entre ces deux vitrines, sur le mur, on peut discerner une
inscription en allemand : « dumm » (« idiot »).
→ Les nombreux éléments du tableau forment une sorte de catalogue. C’est une description de
la société allemande en 1920 : tout est en chaos. On a donc l’impression que l’Allemagne d’alors
était en désordre…
II – Interprétation
Avec ce tableau très riche, Otto Dix aborde plusieurs thèmes :
1 – La Première Guerre Mondiale et ses conséquences
L’Allemagne de 1920 se reconstruit avec ses « gueules cassées », présentes dans le tableau avec les
corps démembrés de plusieurs mutilés : le mendiant, le cul de jatte et peut-être le riche passant
avec sa prothèse de main. L’horreur est devenue le spectacle banal et quotidien de la rue. La
vitrine de prothèses rappelle également les mutilations des soldats morts ou blessés.
La jambe de la femme, les bras des passants évoquent enfin les membres du corps que les mutilés
ont perdus.
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Deux ans après l’armistice, la mort symbolisée dans ce tableau par la faux est encore
omniprésente en Allemagne.
2 – La crise sociale dans l’Allemagne de 1920
Appauvrie par la guerre, contrainte par le traité de Versailles (le « diktat ») de verser des
"réparations" à la France, l'Allemagne n'a pas d'argent pour verser des pensions aux invalides de
guerre incapables de travailler. La pauvreté en Allemagne après la guerre s’étend, elle est évoquée
à de nombreuses reprises dans le tableau :
- Le mendiant, vivant de l’aumône des passants.
- La petite fille, qui semble également très pauvre : elle n'a pas de chaussures, et sa solitude
montre qu'elle est peut-être orpheline.
- La femme en rose est-elle une veuve sans ressource, contrainte à la prostitution ?
La société décrite par Otto Dix semble également égoïste et sans solidarité. Il suffit d’observer
le regard des personnages dans ce tableau : pas un ne regarde l’autre. Les riches ne regardent
pas les pauvres, les valides ne regardent pas les blessés. Chacun ignore l’autre. On voudrait
oublier l’existence des mutilés.
Un riche passant donne cyniquement au mendiant un timbre (Provocation ? Mépris ?).
Les pauvres ne se regardent même pas entre eux : il n’y a même pas de solidarité dans la misère.
Dans ce tableau, les pauvres et les mutilés sont d’ailleurs représentés avec des animaux (chiens,
chat …) : dans l’esprit des Allemands de l’époque, ils ne valent guère plus.
L’Allemagne de 1920 est donc sans compassion, disloquée, individualiste. C’est une société
idiote, « dumm », comme c’est écrit sur le mur du fond.
3 – Montée de l’antisémitisme et du nationalisme
L’antisémitisme progresse rapidement dans l’Allemagne de l’après-guerre. L’extrême-droite,
pour qui les Juifs sont responsables de tous les maux de l’Allemagne, tente même quelques coups
d’Etat. Otto Dix évoque cette montée de l’antisémitisme avec le collage du tract « « Jüden
raus ! ».
Le nationalisme, exaltant la grandeur du peuple allemand, se répand également dans la société.
Le mutilé en chariot, portant fièrement sa croix d’ancien combattant, en est un exemple.
Conclusion
- Ce tableau appartient au courant de la Nouvelle Objectivité car Dix nous présente avec
précision la société allemande de son époque : marquée par la guerre, en désordre, intolérante et
égoïste, pauvre, nationaliste et antisémite. Le peintre fait ainsi apparaître les racines du nazisme,
qui va s’imposer quelques années plus tard avec Hitler.
Les collages sont, eux, d’inspiration dadaïste.
- Otto Dix nous oblige à regarder ceux dont on voudrait bien oublier l’existence en détournant
le regard : les pauvres et les mutilés. Il dénonce aussi la montée de l’antisémitisme et du
nationalisme : son tableau est donc une œuvre engagée car elle cherche à faire passer des
messages.
- En 1937, les œuvres de Dix seront considérées comme « dégénérées » par les Nazis. 170 seront
même brûlées dans des autodafés. Il sera arrêté pendant deux semaines en 1938, avant de se
réfugier en Suisse.
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Œuvre en lien : Otto Dix, Les Joueurs de skat (1920)
(source : hidacachin.free.fr)
Ce tableau expressionniste a été peint la même année. Il représente trois personnes en
uniforme jouant au skat (jeu de cartes allemand) : des « gueules cassées » de la Première Guerre
Mondiale.
Le personnage de gauche n’a plus de bras, son bras gauche est une prothèse en bois. Il
tient ses cartes avec le seul pied qui lui reste. Son visage est couvert de cicatrices et de
brûlures. Le personnage de droite, atrocement mutilé, arbore la croix de fer des anciens
combattants. Le personnage du fond, lui, est un homme tronc.
Dans cette œuvre engagée qui fit scandale, Otto Dix dénonce la violence de la guerre et le
nationalisme, terreau du nazisme.
Autres œuvres en lien possible :
- Otto Dix, Le marchand d’allumettes (1920)
- Otto Dix, La Guerre (1929-1932)
- La Chambre des Officiers, film de François Dupeyron (2000) d’après le roman de Marc Dugain.
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