Le Mexique de Salinas ou la fausse réforme des petits copains

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Le Mexique de Salinas ou la fausse réforme des petits copains
LE DEVOIR (Montréal), 14 avril 1992, B-­‐8 Le Mexique de Salinas ou la fausse réforme des petits copains: Ottawa et Washington doivent faire pression sur le Mexique Par Andrew Reding L’auteur dirige le « Projet Mexique» du World Policy Institute au New School for Social
Research de New York.
VENTE dissimulée d’une banque étatisée au fils de l’ex-président; démission forcée d’un
rédacteur en chef qui a osé critiquer le président actuel; mise au rancart autoritaire d’un
gouverneur d’État, le troisième en cinq mois: ces événements récents mettent en relief le
paradoxe de la réforme — souvent acclamée à l’étranger — actuellement en cours au
Mexique.
En théorie du moins, le président Carlos Salinas de Gortari a révolutionné l’État
mexicain, le dépouillant de mille entreprises, promulguant une réforme électorale,
mettant sur pied une Commission nationale des droits de la personne.
Cependant, plus de trois ans après que Salinas ait promis d’apporter « la transparence»au
système politique du Mexique, le gouffre entre l’image et la réalité s’étend. La torture et
la corruption restent endémiques; le gouvernement serre la vis aux syndicats dans tout le
pays, la police est en train de battre, d’emprisonner, voire même de tuer des citoyens qui
réclament leur droit à un «suffrage effectif».
Le souci des apparences démocratiques Le Mexique doit paraître démocratique pendant qu’il négocie le libre-échange avec les
États-Unis et le Canada.
Les effort de publicité de la Ville de México ont présenté la démotion, en janvier, du
gouverneur du Tabasco Salvador Neme, comme signe immanquable de l’engagement
présidentiel envers la réforme, exactement comme ils avaient décrit les renvois des
gouverneurs du Guanajuato et de San Luis Potosi, au cours des mois précédents.
Cependant, ces trois démissions ont uniquement eu lieu après des protestations publiques
prolongées, au sujet de cas prouvés, criants de fraude électorale. Fraude que le président
refuse obstinément d’avouer, de peur de renforcer les doutes à propos de l’authenticité de
ses réformes.
Alors, pourquoi le renvoi du gouverneur Neme? Pour les mêmes raisons que celles
invoquées lors des renvois de six autres gouverneurs depuis trois ans et demi. Tous les
sept avaient violé un précepte essentiel du système mexicain de parti unique, en
n’arrivant pas à maintenir l’autorité monolithique du Parti Révolutionnaire Institutionnel
(PRI) dans leurs États.
Les gouverneurs du Michoacan, de Baja California et de l’État de México — les trois
États que le PRI a admis avoir perdus à l’élection présidentielle de 1988 — ont été les
premiers à être renvoyés. Ensuite, ce fut le gouverneur du Yucatan, au printemps dernier,
après qu’il ait permis à l’opposition de remporter l’hôtel de ville de la capitale de l’État.
Dans les trois exemples les plus récents, la faute inexcusable, ce n’était pas la fraude ellemême (phénomène universel au Mexique)…mais bien l’insuccès de cette fraude.
Aussi inquiétant pour la cause de la réforme authentique est le mépris envers les checks
and balances constitutionnels. En théorie, les États-Unis mexicains (nom officiel du pays)
forment un système fédéral d’États qui se gouvernent eux-mêmes, d’après le modèle des
États-Unis. Dans la pratique, cependant, les présidents mexicains ont joui de pouvoirs
presque illimités, grâce à leur maîtrise du PRI.
Loin de stopper cette mauvaise habitude, Salinas la renforce en remplaçant
personnellement les gouverneurs, à une vitesse qui dépasse celle de tous ses
prédécesseurs.
Pressions plus ou moins subtiles sur la presse Par ailleurs, Salinas emploie l’armée au mépris de toute norme constitutionnelle. Au lieu
d’employer la police pour arrêter La Quina, le patron dépravé du syndicat pétrolier, il a
envoyé l’armée. Il a envoyé des parachutistes aux mines de cuivre de Cananea pour
prévenir une grève possible. Et il a envoyé les chars d’assauts au Michoacán, pour
reprendre le contrôle des Hôtels de ville occupés par des citoyens enragés par la fraude
électorale!
Quand la presse mexicaine — en principe indépendante — prête sa voix aux mécontents,
elle le fait à ses risques et périls.
En novembre dernier, le gouvernement a forcé la démission du rédacteur en chef d’El
Porvenir, un journal de Monterrey qui avait osé remettre en question les agissements
inconstitutionnels du président. À la suite des avertissements du secrétaire de presse de
Salinas, Otto Granados — «Nous ne supporterons plus les critiques directes à propos du
président»—, le gouvernement a mis fin aux contrats de publicité avec le journal, et
refusé l’accréditation à ses journalistes. Précédemment, le gouvernement avait imposé au
rédacteur en chef du quotidien de México Uno Mas Uno, l’exil en Espagne après que son
journal ait donné trop d’espace à l’opposition.
Sur ce fond de violations constitutionnelles, la corruption continue sans freins. En
novembre dernier, à Veracruz, l’armée a massacré sept agents fédéraux antidrogues
pendant que ces derniers essayaient d’arrêter des contrebandiers colombiens de cocaïne,
pendant qu’on faisait le plein de leur avion à un avant-poste de l’armée. Toujours en
novembre, le gouvernement a vendu la banque étatisée BCH à une association guidée par
un homme d’affaires de Tabasco qui a — on l’a appris ensuite — servi de façade à
Federico de la Madrid…le fils du président précédent!
Tout cela donne une bien bizarre réforme. La structure du Mexique est en train de
changer énormément, oui. Mais la plupart des changements renforcent le modèle
autoritaire. Les nouvelles lois électorales avalisent la domination du PRI dans toutes les
commissions électorales, avec le ministre de l’Intérieur comme directeur de la
commission fédérale.
Un amendement constitutionnel assure au parti dominant une majorité absolue au
Congrès avec aussi peu que 35% du vote. De nouvelles lois contre la torture exigent que
les confessions soient faites aux procureurs, et non aux juges. Le Programme national de
solidarité (Pronasol) — programme de subventions pour les indigents — est présenté
comme programme présidentiel, ce qui renforce la tendance traditionnelle de
subordination au «patron généreux ».
Les pratiques politiques autoritaires touchent inévitablement le domaine économique. Le
ministre du Travail continue de refuser d’enregistrer les syndicats non-PRI, pour que
leurs grèves puissent ainsi être déclarés «illégales»et réprimées.
Le scandale de la banque BCH révèle les nouveaux efforts de privatisation de «la famille
révolutionnaire », sur le modèle du consortium Televisa. Quoique privé en principe, ce
consortium de télévision est fortement subventionné par l’État, et refuse à l’opposition
démocratique une voix dans les bulletins d’information, et même l’accès à la publicité
payée!
Teléfonos de México, un monopole similaire, a été vendu à une association dirigée par
Carlos Slim, ami intime et complice politique du président. Faute de vraie réforme, la
privatisation se déforme en «PRI-vatisation », dans l’effort de préparer une nouvelle
«base corporative» pour le système de parti unique.
Le Canada et les États-­‐Unis doivent faire pression Pour résoudre la contradiction de la réforme mexicaine, il faudrait d’abord exposer la
raison de ce paradoxe: la persistance du système de parti unique (le plus vieil exemple
encore vivant, depuis le décès du communisme soviétique), alors même que le Canada et
les États-Unis se préparent à intégrer le Mexique dans l’économie nord-américaine.
Le Parlement canadien et le Congrès américain — ou du moins les votants américains et
canadiens doivent rappeler aujourd’hui au président Salinas que s’il veut les avantages
économiques d’une association avec les sociétés libres, il doit en accepter toutes les
conséquences.
Plus spécifiquement, le Canada et les États-Unis devraient inviter le Mexique à
reconnaître la juridiction du Tribunal Interaméricain des Droits Humains, et à accepter
des observateurs de l’OEA et de l’ONU lors des prochaines élections présidentielles et
législatives de 1994. Si, comme il le prétend, le gouvernement mexicain n’a rien à cacher,
il n’a aucune raison de s’opposer à la vérification multilatérale de ses pratiques par ses
nouveaux associés continentaux.

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