Voilà Passy - Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France
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Voilà Passy - Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France
1950-1959 L’automne 1950 voit les deux troupes de Passy refondues en une seule, Passy II. Philippe Leroy (1951) et Philippe Jordan (1952) sont chefs. La troupe comporte les deux patrouilles de Passy I (Albatros et Grizzlys) et les deux patrouilles de Passy II (Chiens et Castors). La patrouille des Wapitis est dissoute, mais sera reformée en octobre 1951. Les nombreux récits d’aventure « Signe de Piste » illustrés par Pierre Joubert marquent les chefs qui s’en inspirent pour préparer tous leurs grands jeux. Dès lors, à chaque camp correspond un grand jeu à thème qui se prolonge parfois pendant plusieurs jours, voire durant tout le camp, à tel point qu’ils sont qualifiés de véritables « opérations » en raison de la complexité de leur mise en œuvre par les chefs et de l’intensité des émotions qu’ils suscitent chez les éclaireurs. 61 VOILÀ PASSY PASSÉ L’un de ces premiers grands jeux donne le ton du camp de Pâques 1952 au Lude (Sarthe). C’est l’histoire des « Emouchets » : les éclaireurs d’une autre troupe se font passer pour des garçons de ferme et traquent en commando à leur insu les différentes patrouilles de Passy parties en exploration pour trois jours. Voici l’histoire. Le jour du départ en exploration, les éclaireurs trouvent avec étonnement un petit bout de papier avec une plume rouge disant : « Nous ne voulons pas d’éclaireurs ici ». Grande rigolade. Une heure plus tard, nouveau petit papier : « Les éclaireurs, ils commencent à nous casser les pieds ». Le soir, à l’étape, les garçons n’y pensent déjà plus. Mais, alerte : la grange dans laquelle ils s’apprêtent à dormir est enfumée. Ce n’est qu’un inoffensif pétard fumigène avec un petit papier signé d’une plume : « Premier avertissement ». Le lendemain, les chefs de patrouille calment leurs garçons qui ne sont pas rassurés. Ils croisent souvent sur leur route de petits paysans qui vont à bicyclette, dont l’un jette un petit papier. Le soir, alors qu’ils sont couchés dans une grange, un boucher et ses aides viennent leur dire de décamper, prennent leurs sacs et les vident en disant : « Si dans un quart d’heure vous n’avez pas décampé, nous allons vous faire fuir par la force ». Les éclaireurs ont la frousse. Le surlendemain, de plus en plus, les chefs de patrouille doivent calmer leurs gars. Rien de la journée, ils en sont tout étonnés. Ils se couchent dans une grange. Le matin suivant, grande conversation : le dernier a disparu. Le chef de patrouille décide de rentrer au camp. Toutes les patrouilles arrivent au lieu de camp les unes sans chapeau ni foulard, les autres sans ceinture, avec les culottes attachées par des ficelles ou les sacs à dos vidés ; et dans chaque patrouille, il manque une ou deux personnes. Le chef de troupe en est avisé. Des recherches sont alors entreprises pour retrouver les éclaireurs kidnappés. Au bout de cinq heures, la troupe découvre une clairière abandonnée avec une vieille maison barricadée. Surprise désagréable : Passy y est reçue à coup de sacs de plâtre, bombes à eau, coups de badines et chardons. Après un quart d’heure de grosse bagarre, le chef des brigands pousse un cri et dit : « Je vous présente la troupe de Scouts de France d’Orléans ». 62 1950-1959 Les éclaireurs campent à Bebenhausen (Allemagne) pour le camp d’été 1952. La troupe est divisée en deux camps pour les besoins de l’opération qui oppose durant plusieurs jours trappeurs et Indiens. Les surnoms distinguant respectivement les deux troupes de Passy I et II depuis les années trente correspondent parfaitement aux enjeux de cette grande manœuvre : « Passy-Nord » joue le rôle des chasseurs du nord et « Passy-Feu » celui des indigènes ; d’autant plus que la forêt est sauvage, des cerfs, des biches et des sangliers n’hésitent pas à se montrer ! Les patrouilles s’y sont préparées durant l’année : recherches documentaires sur leurs modes de vie, fabrication de véritables costumes suffisamment solides pour être portés six jours consécutifs… Le « Clan du Feu » vit donc à l’indienne dans des « tipis » de toile cousus par les éclaireurs et cuisine sur des feux allumés à l’intérieur. Daniel Hénon, leur grand chef, porte une superbe parure de plumes. Le « Clan du Nord » construit un immense fort entouré d’une palissade en rondins et se nourrit de méchouis, sous la direction de Philippe Jordan. L’attaque finale consiste pour les Indiens à assiéger les trappeurs réfugiés dans leur fort, à coups de garruche. La garruche n’est autre que le foulard de troupe déroulé et entortillé, au bout duquel un gros nœud est tressé. L’autre extrémité du foulard dans la main, il suffit de porter des coups de garruche à son adversaire, qui ne sont pas toujours sans douleur. Certains éclaireurs s’amusent, en effet, à dissimuler des cailloux dans le nœud, pratique peu loyale et rigoureusement interdite. La troupe redémarre à bloc à la rentrée 1952 avec plus de cinquante éclaireurs. Il est alors prévu de détacher quelques patrouilles de la troupe unique de Passy II (« Passy-Feu ») pour faire renaître l’extroupe de Passy I (« Passy-Nord ») – tel que le camp d’été en avait marqué les prémices, mais il n’y a pas suffisamment de chefs adjoints. Le groupe local de Passy tient à l’ouverture d’esprit qui a toujours été la sienne. Un même accueil enthousiaste est réservé à tout garçon qui souhaite rejoindre la troupe, qu’il appartienne à la paroisse ou vienne de l’extérieur. La diversité de confession et de milieu social est considérée comme une richesse. 63 VOILÀ PASSY PASSÉ Il faut donc attendre le printemps 1953 pour voir Passy comprendre à nouveau deux troupes. Côté chefs, Passy I est dirigée par Philippe Jordan (1953) et Passy II par Daniel Hénon (1953-1954), Philippe Malher (été 1954), Pierre Frantz (1955-1956), Vincent Chambaud (1958). Côté patrouilles, chaque troupe en comporte quatre : les Albatros, les Panthères, les Grizzlys et les Ecureuils à Passy I ; les Chiens, les Castors, les Crocodiles et les Wapitis à Passy II. Il est décidé d’établir, au camp de Pâques 1953 à Château-Renault (Indre-et-Loire), un record : toute la troupe de Passy II doit vivre vingtquatre heures sur des plates-formes, avec les tentes et la cuisine dans les arbres. Les plates-formes de toutes les patrouilles sont construites à la même hauteur – à deux mètres au-dessus du sol – et sont reliées entre elles par des ponts de singe, faits de quantité de cordes et de lassos. Jean-Louis Dumas s’amuse à faire sur l’un des ponts de cordage des acrobaties périlleuses sous les regards de ses camarades et tombe à terre avant l’heure. Dès lors, le record n’est homologué que pour vingt-deux heures cinquante-sept minutes ! De son côté, la troupe de Passy I décide de faire de même non pas dans les airs, mais sur les eaux d’un lac en Sologne, sur des radeaux. L’uniforme de troupe change progressivement de couleur : les chemises kaki et les culottes courtes bleues sont remplacées à Passy par des chemises beiges et des culottes marron. Le changement s’effectue progressivement au fil des nouveaux arrivants. Les éclaireurs de chacune des troupes portent le foulard différemment : le rouge du côté droit à « Passy-Nord », le rouge côté cœur à « Passy-Feu » ; ce qui permet de rattacher d’un coup d’œil un éclaireur à sa troupe. Gare à celui qui met son foulard à l’envers, car il y a toujours une certaine émulation entre les deux troupes : une réunion du mercredi avec « Passy-Nord » sur les bords de la Seine s’achève par un commentaire des éclaireurs de « Passy-Feu » : « Les clochards étaient avec nous ». De même, le journal de troupe « Vert et Rouge » inverse ses couleurs. Il prend pour nouveau titre « Rouge et Vert ». 64 1950-1959 Le camp d’été 1953 au Seba (Aude) est l’occasion de nombreuses olympiades individuelles : un éclaireur par patrouille est désigné à tour de rôle pour relever les défis qui ont lieu quotidiennement. Lorsqu’il fait très froid, les éclaireurs ne s’en vont plus dans les bois jouer à la thèque ou confectionner des herbiers mais restent au local, meilleur moyen de résister aux basses températures. Ils y trouvent toujours des occupations : se rendre utiles en aidant la concierge à nettoyer la cour ou jouer en se partageant en deux camps qui se disputent une barricade au milieu du local en une grosse bagarre à coups de garruche. Mais le grand jeu dans la cour de la rue Lekain, ce sont les parties de ballon-prisonnier qui ne durent guère plus d’un quart d’heure, le temps que la concierge intervienne. C’est aussi l’occasion d’y défier les éclaireuses, dont les éclaireurs sont généralement tenus à l’écart alors même qu’ils aiment à se rencontrer. De même, lorsque les sorties ne peuvent avoir lieu, les éclaireurs profitent des réunions du jeudi aprèsmidi pour fabriquer de menus objets, tels des ronds de serviette, ou préparer des confiseries et des pruneaux séchés à vendre à l’entracte de la fête du groupe local qui se tient, au mois de février, salle Adyar. Les beaux jours retrouvés, la troupe sort faire des chasses à l’homme, jouer à la soule et à la thèque, pique-niquer dans les jardins ou forêts environnants et va même jusqu’à couper du bois qu’elle rapporte au local pour construire des bancs en froissartage afin de meubler les coins de patrouille. Le froissartage est la technique qui consiste à assembler des morceaux de bois à l’aide d’instruments simples (scie, ciseau à bois et vilebrequin) en faisant des méplats, des tenons et des mortaises… L’idée de l’opération des « Emouchets » est reprise pour le camp de Pâques 1954, mais les rôles sont cette fois-ci inversés. Passy joue les garçons de la région et s’entraîne de pied ferme pour traquer les patrouilles de la troupe du Luxembourg durant leur exploration. Les éclaireurs perfectionnent la discrétion de leurs manœuvres d’approche et apprennent à kidnapper. Daniel Hénon leur montre le système : clé au bras, bâillonner et le tour est joué. Parés pour le camp, des émouchets de Passy sont envoyés pour repérer la grange qu’occupe la troupe du Luxembourg et la dépassent, l’air 65 VOILÀ PASSY PASSÉ de rien. Passy attend minuit, passe par-dessus les fils barbelés et arrive à proximité de la grange où sont couchés les éclaireurs. Malheureusement, des vaches sont dérangées et font un « potin » de tous les diables. Daniel Hénon décide de foncer. Les chefs enfoncent la porte et se précipitent en disant : « Sortez de là, levez-vous et mettez-vous contre le mur ! ». Tous obéissent. Pendant ce temps-là, Passy vide les sacs et prend les foulards, chapeaux et lacets de chaussures. Passy prépare ensuite sa défense dans sa grange : mur de trois mètres d’épaisseur fait de souches d’arbres traînées jusque dans la grange, cent litres d’eau montés périlleusement en haut de la tour de garde, sacs de plâtre... Grande attaque. Au bout d’une heure, la troupe descend de ses barricades et attaque à terre à armes égales. Mais, tout d’un coup, le cri de Passy retentit : « Clan-du-Feu, Es-say-ons ! ». Passy bivouaque sous l’orage durant son exploration de troupe de l’été 1954 dans le Vercors. Après avoir été emporté par une crue, un pont en bois à l’usage de la population locale est entièrement reconstruit par la troupe. L’intendant, Pierre Marty, rapporte sur le porte-bagages de sa bicyclette un grand cageot d’épinards pour toute la troupe. Cuits, il n’en reste plus qu’une cuillère à soupe par éclaireur ! Deux éclaireurs de Passy, Daniel Gagnier et Jean-Paul Latty, sont sélectionnés pour participer au Jamboree d’été 1955 au Canada. La patrouille des Crocodiles remporte la quarantième édition de Trivaux le 30 avril 1956. Les Chiens sont troisième et les Wapitis quatrième. Passy campe en Autriche l’été 1956. Un grand jeu oppose les Zoulous aux Boers, pour faire revivre les guerres africaines du siècle dernier ; alors que les Zoulous sont dissimulés dans les bois barbouillés de noir, les Boers construisent un fort au bord du lac Höfner… Six jours intenses que relate le grand sorcier zoulou : « 16 juillet. Les Zoulous établissent leur camp en pleine montagne. 17 juillet. Au petit matin, le grand sorcier des Zoulous réveille ses frères au tam-tam, lesquels se présentent en tenue « zoulou » du dernier chic. A midi, les huttes de branchages et de fougères, dans lesquelles ils vont vivre pendant six jours, sont en voie d’achèvement. Le rapport secret des guetteurs, qui 66 1950-1959 viennent de rentrer, signale que les Boers sont en pleine activité : Pierre Frantz et Michaël Schmittzehe dirigeant la place, ils construisent un fort à l’aide de solides troncs. Ni clou, ni ficelle, tous les brelages sont en fil de fer. La soirée se termine chez les Zoulous par le dressage du mât-totem, poteau de torture magnifiquement sculpté et peint, et par des danses et des chants. 18 juillet. A peine debout, c’est la cérémonie des grandes peintures : tous les Zoulous sont plus ou moins bariolés selon leur grade. Les grands chefs sont de vrais tableaux vivants. A quinze heures, toute la tribu descend vers le fort boer, presque terminé, pour dire à ses occupants de l’évacuer sans délai. Un chemin de ronde intérieur permet aux défenseurs de dominer les assaillants. Malgré de longs palabres, rien n’est conclu entre les différents chefs. Une délégation boer se rend au village zoulou le lendemain. 19 juillet. La guerre paraît inévitable. Les Zoulous mènent leur première attaque. Le fort semble devoir tenir le coup, bien qu’il soit faible du côté de la porte. Le combat se fait à main plate, à la garruche. Les Zoulous se retirent avec un prisonnier. 20 juillet. Nouvelle attaque de toute la tribu zoulou à une heure du matin. Bien qu’il y ait un veilleur dans le fort, les Boers sont surpris : ils n’osent pas sortir et reçoivent, encore endormis, quinze ou vingt seaux d’eau sur la tête. A trois heures et demie du matin, troisième attaque : silencieux jusqu’au pied du fort, les Zoulous surgissent soudain avec des cris de guerre, tam-tams, hurlements. Il y a, cette fois-ci, un peu plus de mordant du côté boer. De petits groupes ne cessent d’harceler le fort durant toute la nuit. Les Boers réagissent et font deux prisonniers. Les Zoulous se procurent un appareil « blanc », un réveil, qui leur est fort utile pour déclencher des attaques toutes les heures ! 21 juillet. Minuit trente. Neuf Zoulous sont cachés tout près du fort. Harassés après deux attaques successives en une heure de temps, ils s’endorment pour un court sommeil en se fiant à l’appareil des Blancs. Mais il ne sonne guère et ce n’est qu’à cinq heures du matin qu’ils ouvrent l’œil… parce que le reste de la tribu, descendant à toute vitesse, vient les appeler à la rescousse ! Leur village est attaqué par les Boers 67 VOILÀ PASSY PASSÉ qui font plusieurs prisonniers et remplacent le poteau de torture par une croix. Le vent de la défaite semble souffler sur les têtes zoulous. La tribu se rassemble et se lance dans une attaque du fort de grand style. Tout le monde est survolté. Les Boers, qui ont veillé toute la nuit, ne tiennent plus sur leurs jambes, mais se défendent d’arrache-pied. Les pétards fusent, les coups de garruche pleuvent. Soudain, Vincent Chambaud bondit à l’intérieur du fort, arrache le drapeau boer et proclame : « Il n’est plus utile de se battre, soyons frères et vivons dans la paix plutôt que dans la guerre puisque nos forces semblent équivalentes ». La première pierre de l’alliance Boers-Zoulous est posée à neuf heures du matin. Le soir, un festin de réconciliation avec, comme pièce maîtresse, un mouton entier cuit à la braise, est accueilli avec chaleur, bien que froid et pas très, très cuit. Signé, Jean-Louis Dumas ». La paix revenue, le camp se poursuit encore pendant une vingtaine de jours. La troupe fait une halte à Vienne et en Yougoslavie sur le chemin du retour en France. Chaque année, les éclaireurs font une veillée de Noël au local. Les garçons se joignent volontiers à la fête, mais plus difficilement à ses préparatifs : « A l’instruction religieuse, contrairement à l’habitude, je faisais des vœux pour que le pasteur nous retienne le plus possible, je pourrais ainsi arriver en retard à la veillée et toutes les corvées seraient faites. Je traînais le plus possible dans la rue et j’arrivais au local : amère désillusion ! Signé, Eric Flaissier ». Le dîner est accompagné de nombreux chants pour essayer de recréer l’ambiance d’un feu de camp, certes sans flammes, et se termine par un « plum-pudding » ou une bûche de Noël. Les patrouilles font aussi une bonne action de Noël en allant visiter chacune une famille démunie et en leur apportant des oranges, du sucre, des gâteaux ainsi que des cadeaux pour les enfants. Durant ces années, plusieurs chefs épousent des cheftaines de Passy. Cet heureux phénomène est d’ailleurs courant au sein du groupe local. Les chefs, constatant qu’ils forment une « patrouille de chefs », la baptisent « patrouille des Kangourous » et adoptent la devise « Pensent à tout ». Il ne s’agit pourtant pas d’une patrouille comme les autres. 68 1950-1959 Un concours d’eau bouillante de mai 1957 consiste à utiliser le moins de bois possible. Un éclaireur de la patrouille victorieuse doit réciter par cœur et sans faute la loi de l’éclaireur pour recevoir le lot surprise, une pharmacie de patrouille. En arrivant au camp d’été 1957, les éclaireurs prennent leurs sacs et gravissent un chemin tortueux le long d’un torrent caché par des herbes en face du cirque de Nibousou (Tarn-et-Garonne). Ils hissent le drapeau de troupe sur la corniche qui domine l’ensemble du cirque. La construction par les patrouilles de plates-formes sur lesquelles reposent leurs tentes est facultative. Néanmoins il y a toujours une ou deux patrouilles qui souhaitent se démarquer. Cet été 1957, deux platesformes sont édifiées. La première par les Castors est si large qu’il est possible de tourner autour de la tente à pied. La seconde par les Chiens : le bois est coupé au bas du cirque et hissé de soixante-quinze mètres au-dessus du fond du cirque par une pente de quarante-cinq degrés pour construire la plate-forme. La structure faite, les barres latérales sont montées. La spécificité de cet assemblage est que la plate-forme doit être horizontale alors que le terrain est en forte pente. Elle repose d’un côté sur le sol et de l’autre sur deux arbres. Le platelage est fait à l’aide de planches. Depuis leur tente, les Chiens dominent tout le cirque et sont éclairés par les rayons de soleil jusqu’à la tombée de la nuit. Le résultat en est des nuits excellentes sur cette tente surélevée. Lors de l’opération contre la troupe de l’Oratoire, Passy se retranche dans une grotte à flanc de falaise entre stalactites et autres stalagmites pendant deux jours. Afin d’éviter que la troupe adverse n’assiège la caverne, Passy aménage un accès unique à la grotte nécessitant de grimper par des cordes et des lassos. Chaque matin de camp, la « cloche à balourdises » est décernée à l’éclaireur qui a été la veille l’auteur de la meilleure ou du plus grand nombre de balourdises. L’éclaireur désigné doit la porter autour du cou, telle une vache, jusqu’au lendemain matin. Gilles Peugeot établit un record en la remportant cinq fois au camp d’été 1957. Le camp de Pâques 1958 se passe sous la neige à Rots (Calvados). La température est inférieure à zéro, mais la troupe entière reste fidèle aux 69 VOILÀ PASSY PASSÉ culottes courtes. Eric Flaissier, chef des Castors, se promène des sacs en plastique autour des pieds. Tous les repas sont préparés et pris en troupe à l’intérieur du marabout des chefs, tant il fait froid et humide. L’intendant a la mauvaise idée de rapporter un matin une sorte de poisson requin d’un mètre de long pour le déjeuner : le bois est tellement humide que la tambouille n’est prête qu’à six heures du soir. Quant au feu de camp, il est impossible de le faire démarrer à l’aide de papier, si bien que les chefs vont acheter cinq litres d’essence. Ce n’est qu’après quinze ou vingt litres et trois heures d’essais ininterrompus que le feu daigne enfin prendre. Les chefs ne manquent pas à l’issue de chaque camp d’enterrer dans le trou laissé par le démontage du mât de troupe une bouteille de verre – imputrescible – contenant la liste de tous les participants au camp, qui ne sera certes peut-être jamais retrouvée… mais qui a néanmoins plus de chance d’être conservée que des archives de patrouille quelquefois bien utiles pour allumer un feu… Daniel Gagnier (1959) est chef de troupe. Il met au point une activité marquante lors d’une sortie dominicale : un avion parti de l’aéroport de Toussus-le-Noble et piloté par d’anciens de la troupe parachute sur les bords de la Seine, au-dessus des bois, des négatifs photographiques ainsi que du matériel de tirage ; à charge pour les éclaireurs de tirer les clichés dans le village voisin. Le camp d’été 1959 commence par une marche de quatre jours sous le soleil. Un bain de mer rafraîchit la troupe à Saint-Jean-de-Luz et un après-midi de repos efface toute marque de fatigue avant le camp fixe à Oiquina (Espagne). 70 1960-1969 Les chefs de troupe sont Etienne Akar (1962) à Passy I et Daniel Gagnier (1960), Joël Rouet (1961-1962-1963) à Passy II. La petite troupe de Passy I, dotée tout au plus de trois patrouilles, fonctionne discrètement aux côtés de sa grande sœur, Passy II, qui est plus dynamique. En plein camp de Pâques 1960, un avion militaire à réaction s’écrase à quelques centaines de mètres du coin de troupe au milieu des arbres. Les patrouilles sont réquisitionnées pour aider à ratisser la forêt afin de récupérer le pilote, qui sera malheureusement retrouvé sans vie le lendemain. L’histoire des « Emouchets » est reprise pour la troisième fois depuis 1952 : cette fois-ci, ce sont les éclaireurs de la troupe du Luxembourg qui, déguisés en faux paysans, attaquent les patrouilles de 71 VOILÀ PASSY PASSÉ Passy en exploration en opérant des enlèvements… jusqu’à une grande bataille finale. A Trivaux 1960, les Castors se classent premier, les Chiens second, les Wapitis quatrième et les Crocodiles sixième. Une réunion de troupe du mercredi soir commence par un « quitte ou double » récompensé de sucettes, agité et fort excitant, suivi d’un dîner et se termine par un « rassemblo » dans la cour de la rue Lekain. La troupe y apprend un chant, dans la nuit, à la lueur des torches. Les chefs sont à court d’argent de troupe au camp d’été 1960 dans la Haute-Ardèche. Ils préparent une « opération bouffe » : « PassyNord » et « Passy-Feu » séparées en deux camps, les intendants apportent deux fois par jour un ravitaillement qui ne permet de satisfaire à l’appétit que d’un seul camp ; ce qui autorise les chefs à faire des économies. La première équipe qui parvient à s’approprier la « bouffe », tout en se défendant à coups de garruche, peut alors se rassasier à son aise. Victime de ce petit jeu, la troupe de « Passy-Feu » est condamnée à cueillir des myrtilles dans les bois pendant vingt-quatre heures. A défaut d’avoir trouvé à neuf heures du soir une grange pour dormir lors de son exploration, la patrouille des Crocodiles s’accommode d’une baraque en planches qui sert de dépôt à une scierie plus ou moins abandonnée. La bicoque est transformée pour la nuit avec quelques aménagements : planches replacées, trous rebouchés, deux tapis de sol tendus. La veillée de Noël clôt l’année 1960. Dernière veillée de la troupe dans son cher vieux local de Passy depuis 1912 qu’il faut quitter. L’immeuble de la rue Lekain doit être démoli. Les louveteaux bénéficient d’un local au temple de la rue Roquépine (8ème), alors que les éclaireurs se contentent d’entreposer le matériel de troupe dans des caves d’immeuble mises à leur disposition par les parents de Jean-Paul Enjalbert, rue Vaneau (7ème), et de Jean-Marc Granjon, rue Eugène Manuel (16ème). Un camp national au Malzieu (Lozère) en juillet 1961 rassemble l’ensemble des Eclaireurs Unionistes de France. La patrouille des Chiens, dirigée par Gilles Peugeot, se classe quarante et unième et, surtout, bat 72 1960-1969 le record de vitesse de montage de tente en trente-deux secondes. Les Castors ont la cinquante-sixième place. La troupe de « Passy-Feu » bat celle de l’Etoile à la thèque par douze à quatre. Ne disposant pas de lieu de réunion, le groupe local de Passy fléchit durant les années de construction du nouvel immeuble de la rue Lekain. En conséquence, la troupe de Passy I est définitivement dissoute à l’issue du camp d’été 1962. Ses derniers représentants sont rassemblés en une unique patrouille de Passy II, les Isatis. Dès lors, Passy ne comprend plus qu’une seule troupe, Passy II, dont les Chiens, la plus ancienne patrouille de Passy, font toujours partie. La compétition entre les deux troupes ne disparaît pas pour autant. Après une partie de thèque contre les Isatis, leurs vainqueurs – les Wapitis – écrivent dans leur cahier : « Nous finissons par vaincre les Isatis, les rescapés de l’ex-Passy-Nord ». Trois anciens éclaireurs meurent en Algérie : Bernard Baume, Francis Hénon, tués à la guerre, et Maurice Warnier, mystérieusement assassiné. A la rentrée de septembre, les chefs organisent des activités de stade – athlétisme – le dimanche matin, avenue Franchet d’Esperey (16ème). La participation des éclaireurs y est facultative. Le vieil autocar Berliet qui emporte la troupe au lieu de camp de Pâques 1963 s’enlise dans les allées du bois de la propriété. Il faut l’aide et l’ingéniosité de tous les éclaireurs pour l’en sortir. Pendant les installations, Pierre Carle essaye de construire une « corde à virer le vent » à défaut de l’avoir trouvée dans la malle de l’une ou l’autre des patrouilles. Les éclaireurs plus âgés s’amusent, en effet, à « promener » les novices dans les différents coins de patrouille à la recherche d’objets qui n’existent pas. La table construite par les Chiens est dénommée « table baignoire » : ses bancs sont à même le sol, les éclaireurs ayant creusé le terrain sablonneux pour offrir de l’espace aux jambes des convives. L’intendant obtient de l’épicerie du village voisin d’être livré tous les jours au camp ainsi qu’une réduction globale de dix pour cent sur tous les prix. 73 VOILÀ PASSY PASSÉ Jacques Juillard, chef de la patrouille des Chiens, supprime les épreuves ainsi que la cérémonie d’admission des nouveaux éclaireurs dans la patrouille et la remplace par une soirée de bienvenue lors du camp. Le flot de patrouille leur est remis à cette occasion. La même patrouille remporte l’édition de Trivaux 1963. Le trophée est remis à Jacques Juillard. Ce dernier, courant dans le sable pour regagner sa place dans le gigantesque rassemblement en carré, s’étale de tout son long sous les regards de plusieurs centaines d’éclaireurs ! Les chefs prennent peu à peu l’habitude d’attribuer un nom à chacun des camps de Pâques et d’été, non plus seulement en fonction de leur situation géographique, mais d’une anecdote ayant profondément marqué la troupe durant le camp. C’est ainsi que le camp d’été 1963 est baptisé « camp du Sanley » en raison d’une pénurie de lait. Le chocolat chaud ou les flocons d’avoine du petit déjeuner sont préparés à l’eau. La construction de tentes surélevées n’est pas encore systématique, mais il y a toujours une patrouille qui mène à bien un tel projet : cette fois, ce sont les Crocodiles. L’opération dure trois jours. Passy construit un fort entre quatre arbres à l’aide de troncs, de branches… Seul un discret passage au ras du sol est prévu, interdisant l’entrée dans le fort à tout ennemi. Les éclaireurs se relaient par tranches de deux heures pour veiller jour et nuit et assurer la défense du camp. Le tout Passy, réfugié à l’intérieur, fait l’objet d’une attaque générale par une troupe de Scouts de France qui ne parviendra pas à s’emparer du fanion rouge et vert. « Rouge et Vert » paraît toujours et rappelle dans ses colonnes que Gilles Peugeot conserve le record de la « cloche à balourdises ». La troupe installe son bivouac à Pâques 1964 dans un bois, sous le commandement d’Eric Flaissier (1964), nouveau chef de troupe. Le sol est déformé par les cratères d’obus de la guerre 1914-1918, des casques de la guerre y sont trouvés par les éclaireurs. Il n’existe aucune activité commune entre éclaireurs, éclaireuses et petites ailes, hormis une grande sortie du groupe local à la fin de l’année. En revanche, les éclaireurs rencontrent les meutes de louveteaux 74 1960-1969 de Passy, non seulement lors du passage des plus âgés à la troupe au mois de septembre, mais aussi à Trivaux où les louveteaux sont conviés une année sur deux, occasion d'une grande « charge » des meutes contre les troupes. Au camp d’été 1964, les éclaireurs sont accueillis au son de la cornemuse à la gare de Belfort par l’intendant écossais, en tenue d’éclaireur écossais et kilt. Cet intendant ne parle qu’anglais durant tout le camp. La troupe ne découvre que quelques jours avant de repartir qu’il maîtrise en fait parfaitement le français. Les installations de patrouille ne comptent pas pour le concours de camp. « Il n’est plus question d’acheter de la ficelle pour les installations », disent les chefs. Durant cinq jours, les éclaireurs apprennent donc tous ensemble le vrai froissartage, celui qui ne comporte pas de ficelle, mais des trous, des chevilles, des méplats, des assemblages. La première journée, les patrouilles sont livrées à ellesmêmes. Puis, les chefs vont, à raison d’un par patrouille, les aider et les instruire durant les quatre derniers jours. Les « deutés », commodités de troupe, sont inaugurés en chantant : « Aux deutés (bis), qu’il fait bon y aller (bis). Ah ! quel affreux tracas quand il n’y en a pas, mais à Passy c’est pas le cas, y en a ». Ce camp est surnommé « camp de Passy-Vache » en raison d’une mésaventure des chefs. Le coin des chefs, clos de barbelés, est situé au milieu d’un pré à vaches. Une troupe inconnue vient couper les fils de fer, les vaches envahissent le domaine des chefs, piétinant et déchirant les tentes, laissant des bouses sur leurs affaires pour seule carte de visite. Les éclaireurs se chargent de venger leurs chefs – sans les en informer – et en reviennent satisfaits. Les chefs ont-ils su l’objet de cette excursion ? Une journée est consacrée aux défis entre les patrouilles dans une spécialité de leur choix. Des records individuels sont remportés pendant le camp. Tous les jours à une certaine heure, tout éclaireur peut s’attaquer à ces records, par exemple celui de lenteur à bicyclette sans mettre le pied à terre bien entendu. Alors que les anciens locaux de la rue Lekain étaient constitués d’une maison exclusivement réservée au scoutisme de Passy avec un étage et une cour, le nouvel immeuble fraîchement édifié pour la paroisse 75 VOILÀ PASSY PASSÉ n’offre aux unités qu’un sous-sol. La Maison paroissiale se situe au rezde-chaussée et le presbytère dans les étages. Le pasteur Pierre Gagnier procède à l’attribution des nouveaux locaux en octobre 1964. La troupe obtient le plus beau local, qui comprend non seulement une vaste pièce pour la troupe, mais aussi de petits locaux individuels destinés à l’usage exclusif de chacune des quatre patrouilles d’éclaireurs : Chiens, Castors, Wapitis et Isatis. Le pasteur Pierre Gagnier, qui n’a que quelques marches à descendre du presbytère, vient régulièrement rendre visite à la troupe et discuter le soir lorsqu’il entend qu’une réunion s’y tient. Gérard Weisberger (1965) encadre la troupe. Peu avant le camp de Pâques 1965, les chefs annoncent dans une circulaire aux parents que le camp est annulé, prétendant que seuls onze éclaireurs sont inscrits. C’est pourquoi les éclaireurs se joignent à la troupe d’Auteuil pour camper aussi bien à Pâques que pour l’été 1965, sans aucun chef de Passy. Heureusement, André Korn, ancien éclaireur de « Passy-Nord », reprend provisoirement la troupe à la rentrée 1965. Il est très vite remplacé par Marc Dufour (1966). Les effectifs avaient beaucoup fléchi en raison de l’absence de chef durant deux camps, mais un bon recrutement est assuré. Ainsi, au camp de Pâques 1966 sur les falaises de la Seine (Eure), quatre patrouilles composent la troupe, au sein desquelles plus de la moitié des garçons participe à leur premier camp. Marc Dufour mène Passy aux Moussières (Jura) l’été 1966. La troupe et trois patrouilles sont installées dans un petit vallon bordé d’alpages. Seuls les Chiens construisent leur coin au-delà d’un ruisseau. Ils se rendent très rapidement compte de l’erreur commise : il pleut dixsept jours sur vingt et le ruisseau se transforme en un torrent qu’il est impossible de traverser. Les chefs instituent pour les chefs de patrouille une journée libre pendant laquelle ils doivent se prendre en charge. Le résultat est catastrophique : les chefs de patrouille se rendent à Saint-Claude en auto-stop – pratique formellement interdite aux éclaireurs – et se retrouvent au poste de gendarmerie quelques heures plus tard pour avoir 76 1960-1969 démoli une balustrade dans le village. Les gendarmes visitent le camp le surlendemain matin et se mettent tous au garde à vous en apercevant que la troupe en rassemblement hisse les couleurs au mât de troupe. Alain Juillard est chef de troupe pour le camp de Pâques 1967 en Champagne au même emplacement qu’à Pâques 1964. Il est remplacé par André Korn au camp d’été 1967 à Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-etGaronne). Il n’y a que trois patrouilles (Chiens, Wapitis et Crocodiles), les Chiens et les Castors ayant fusionné car trop maigres. Juste après le camp, deux éclaireurs (Bernard Esteulle et Pierre Carle) partent pour le Jamboree de l’Amitié dans l’Idaho (Etats-Unis). Ils y rencontrent lady Baden-Powell. Des éclaireurs de Versailles se joignent à Passy pour le camp de Pâques 1968. Deux d’entre eux, placés chez les Wapitis, prennent le parti de ne rien faire ; ils ne savent même pas allumer un feu. Après trois jours de camp, le chef de patrouille perd patience et gratifie l’un d’eux d’un coup de hache, avec un point de suture à la clef. En raison des grèves généralisées dans les lycées, en mai 1968, les éclaireurs sont privés de travail scolaire et s’ennuient. La troupe se réunit presque tous les jours des mois de mai et juin au bois de Boulogne pour faire des centaines de parties de soule et de thèque. D’anciens éclaireurs se joignent à eux. Yan Huckendubler commence même à initier les éclaireurs aux subtilités du hockey sur gazon. Le concours de Trivaux 1968 se termine par une remarque d’un responsable du Mouvement sur les chapeaux de Passy lors de la remise des trophées : ce n’est plus l’uniforme « qu’il a dit ». Le port de l’uniforme – tout comme la correction du langage – est, en effet, contesté par la majorité des troupes « réformistes ». Dans le Vercors, à l’été 1968, chaque patrouille reçoit pour mission d’effectuer un raid à la boussole. Les azimuts convergent tous vers un même point, le col du Rousset. Le lendemain matin, les chefs y sonnent un rassemblement pour lancer les éclaireurs en pleine « guerre de Sécession ». Chaque éclaireur reçoit un nom et une affectation, reportés sur une bande de sparadrap collée à sa chemise, tels : mascotte, lanceur de balles… Les rebelles, la troupe de l’Oratoire, seront mis à la raison. 77 VOILÀ PASSY PASSÉ A la Toussaint 1968, les chefs de Passy se rendent à une réunion du Conseil national du Mouvement unioniste à Fontainebleau, en chaussettes hautes blanches, culotte courte beige, blazer bleu marine, foulard de troupe rouge et vert plié en guise de pochette sur les blazers et chapeau. Passy a de l’allure, sans commune mesure avec les soixantehuitards. Pour répondre à l’agressivité et aux comportements étonnants des responsables du Mouvement, les chefs de Passy songent même à un projet, finalement abandonné, de se rendre avec la troupe à un Conseil national dans quatre D.S. Citroën noires conduites chacune par un chef en livrée de chauffeur qui aurait été au service d’une patrouille en uniforme impeccable. Il faut noter que toute participation à la discussion au sein du Mouvement est refusée aux membres de Passy – considérée comme une troupe réactionnaire. Quelques éclaireurs sollicités pour participer en uniforme au culte de la paroisse, rue Cortambert, un dimanche de décembre, en profitent pour vendre soixante-dix calendriers à la sortie. Pourtant, Passy est la troupe phare de Paris à la fin des années soixante, car l’une des rares à conserver chapeaux, chemises beiges… Et surtout, Passy n’est pas mauvaise à la thèque, notamment et paradoxalement en raison de ses nombreux entraînements de mai et juin 1968. D’où l’idée des chefs de défier régulièrement les autres troupes de Paris à la thèque. Ces défis sont appelés « tests-matches ». C’est le lancement officiel de l’équipe sportive de la troupe de Passy qui prend pour nom « Passy Base-Ball Team », encore dénommée le « P.B.B.T. », dont Jean-Jacques Naillon (1969), chef de troupe, est l’initiateur. Chaque éclaireur de Passy reçoit la convocation suivante peu avant chaque partie : « Cher camarade, le Comité directeur de l’Association sportive de la troupe de Passy est heureux de vous faire part de votre sélection pour un test-match. Nous vous rappelons que l’équipement standard et officiel de notre équipe de thèque est : polo blanc – short blanc – foulard et chapeau – chaussures de sport (crampons si possible au cas où le terrain serait « gras »). Bien amicalement, signé, le Comité directeur ». 78 1960-1969 La première partie a lieu le jeudi 6 mars 1969 contre la troupe du Luxembourg au bois de Boulogne. Avant même le début de la rencontre, tous les éclaireurs de Passy s’alignent debout en ordre face à Jean-Jacques Naillon et hurlent à pleins poumons le cri de guerre du « P.B.B.T. », inspiré de celui de l’équipe de rugby néo-zélandaise, pour impressionner l’adversaire : d’abord en se tapant les cuisses avec les mains pour prendre le même rythme avant d’entonner « makaki, makaku, makawa, wa wa wa » à deux reprises en portant la paume de la main au coude replié de l’autre bras alternativement à chaque mot, puis de reprendre dans un dernier élan « makaki, makaku, makawa, hi hou wa » en sautant énergiquement en l’air pour le « wa » final en brandissant les bras vers le ciel et en pliant les jambes en arrière. Passy bat l’équipe du Luxembourg soixante à treize à la première manche. Avec fair play, Passy prête quelques-uns de ses meilleurs éléments à Luxembourg pour la seconde manche et bat malgré tout Luxembourg « renforcée » soixante-deux à trente-six. Passy joue en blanc… La seconde partie a lieu le 27 avril 1969. Passy bat la troupe de Clamart quarante et un à trente et celle de Grenelle-Plaisance soixantedouze à vingt. La finale a lieu le 19 mai 1969 contre la sélection de la Province Paris à Trivaux : elle se déroule à La Borne-Blanche et vaut au « P.B.B.T. » le titre de « Champion du monde et des environs » selon l’expression du chef de troupe adjoint, Yan Huckendubler. Titre dont la troupe se prévaut toujours aujourd’hui. A Trivaux 1969, Passy sème la panique parmi les rangs ennemis par sa force et sa détermination. Ses cinq patrouilles se classant parmi les huit premières patrouilles de Paris : les Castors sont premier, les Isatis second, les Wapitis cinquième, les Chiens sixième et les Crocodiles huitième. Un éclaireur des Crocodiles se rappelle néanmoins que les patrouilles de Passy ont été informées de certaines épreuves à accomplir durant le rallye et ont ainsi pu s’entraîner à l’avance. Le clairon est adopté par le chef de troupe pour rassembler ses patrouilles au camp de Pâques 1969 à Vouzon (Loir-et-Cher), remplaçant l’usage de la « totoche » – corne de vache. 79 VOILÀ PASSY PASSÉ Un camp au Canada est envisagé pendant un temps pour l’été 1969 mais ce projet n’aboutit pas. La troupe prend donc la direction de la Suède dans la forêt de Tiveden où s’est tenu en 1965 un camp national suédois. Un trimât à plate-forme signale de loin l’entrée du camp. Seule la patrouille des Crocodiles construit une tente surélevée. Deux journées d’olympiades permettent à la troupe de mettre en jeu son titre de « Champion du monde et des environs », que ce soit en athlétisme (vitesse, saut, poids), au tir à la corde, à la course en char ou au bras de fer. Les patrouilles affrontent leurs consœurs suédoises qui campent à proximité. Un magnifique parcours de cross, tracé dans la forêt environnante, sur les berges du lac et au-dessus des eaux (pont de singe, petit radeau transbordeur) est maintes fois parcouru par les éclaireurs. Une journée technique et un dernier feu de camp clôturent ce séjour sur les bords du lac d’Ossjonas. Passy replie tout son matériel pour deux jours de balade à travers le centre de la Suède. L’arrivée à Paris est bruyante, typiquement Passy : clairon, chants, grand « makaki » hurlé à pleins poumons, en même temps que sont servis par les chefs quatrevingts croissants chauds. A la rentrée d’octobre 1969, sept chefs se retirent pour des raisons diverses : études, service militaire après trois ou quatre ans de service à la tête de la troupe. Pierre Carle et Bernard Esteulle reprennent la troupe. 80 1970-1979 Pierre Carle (1970-1973-1974-1975), Alain Juillard (1971), Pierre Rabaud (1972) et Laurent Carle (1976-1977) appliquent avec rigueur les principes de vie forgés au fil des décennies au sein de Passy et lui permettent de conserver une vie de troupe digne de son riche passé, tel que les éclaireurs d’avant-guerre ne manquent pas de l’évoquer lors d’un dîner des anciens à la Maison paroissiale le 29 avril 1970, à l’initiative de Robert Chrétien, Claude Réau, Jean-Claude Huckendubler et Claude Joudrier. L’accent est mis sur l’importance de la technique éclaireur grâce à laquelle les garçons s’épanouissent par la satisfaction d’un travail original et bien fait. Aussi, les installations de camp reflètent-elles peu à peu tout le savoir-faire de Passy. 81 VOILÀ PASSY PASSÉ Alors que seuls les Chiens et les Crocodiles construisent une tente surélevée au camp d’été 1970, tandis que les autres patrouilles se contentent des installations habituelles, table à feu et vaisselier pour la cuisine, table avec bancs pour les repas, le camp dit « suspendu » d’août 1971 marque le grand démarrage de la construction de tentes aériennes aux camps d’été. Toutes les patrouilles, y compris les chefs, suspendent leurs tentes dans les arbres, soit sept plates-formes. Des barres de bois sont fixées horizontalement aux troncs de quatre arbres et sont ensuite recouvertes d’un plancher de bois sur lequel est montée une tente de six ou huit personnes. Les éclaireurs dorment ainsi isolés de l’humidité du sol. Une patrouille coupe en toute bonne foi trois ou quatre petits merisiers qu’elle utilise ensuite pour donner fière allure à sa construction, au prix d’une amende salée après mesure des souches par les Eaux et Forêts, cette essence étant protégée. Outre une tente surélevée, les Chiens réalisent une salle à manger de patrouille également suspendue. Déjeuner dans les airs est très agréable, malgré un service de table rendu difficile par la hauteur. Un système de monte-plat sera imaginé les années suivantes. Pierre Carle et ses chefs adjoints préparent à la terrasse d’un café du seizième arrondissement le camp d’été 1972 en Allemagne. Ils y composent un chant officiel du « Passy Base-Ball Team » dont le refrain dit : « Tagada, tagada, voilà ceux d’Passy (bis) ; pan, c’était ceux d’Passy ; tagada, tagada, restez pas ici ». Cet air n’a eu que peu d’écho à la troupe, avant de tomber définitivement dans l’oubli. « Rouge et Vert » paraît en mars 1973, tapé à la machine à écrire et imprimé à la « Ronéotype », feuille par feuille, au moyen d’une manivelle, sur du papier coloré. L’humour des éclaireurs dans leurs récits d’aventures y est souvent peu fluide et les chefs y enseignent à leurs ouailles d’un ton bien sérieux les connaissances techniques indispensables à tout bon éclaireur. Le « P.B.B.T. » joue en blanc. Certains éclaireurs inscrivent sur leur chemisette « P.A.S.S.Y. » en grosses lettres cousues. En 1973, les chefs font faire des maillots blancs avec la mention imprimée en velours 82 1970-1979 en relief « Passy Base-Ball Team » inscrite en forme de cercle, au milieu duquel est esquissé un feu dont les escarbilles représentent l’insigne du Mouvement et où figure le surnom de la troupe « Clan du Feu ». Et dès 1975, les patrouilles se voient attribuer chacune un maillot d’une couleur différente. Les membres d’une même patrouille peuvent ainsi se repérer d’un simple coup d’œil lorsque les patrouilles se défient aux olympiades et les parties de soule et de thèque sont aussi plus facilement arbitrées par les chefs, alors qu’auparavant la tenue blanche ne distinguait Passy que des autres troupes. Si la tenue officielle du « P.B.B.T. » représente aux yeux de certains une sorte de « petite tenue » que les éclaireurs salissent volontiers de terre pour marquer qu’ils se sont bien dépensés pour vaincre l’adversaire aux olympiades, la troupe de Passy reste fidèle à sa « grande tenue », beige depuis le début des années cinquante. Le Mouvement adopte pourtant en 1973 le port d’une chemise d’uniforme verte et non plus beige. Passy et de nombreuses troupes alliées de Paris refusent d’appliquer une telle décision qui ne semble rien apporter de plus qu’auparavant et qui apparaît reflèter davantage un esprit destructeur que la recherche d’améliorations issues de l’expérience des aînés. Le Mouvement a, en effet, développé depuis 1968 un vaste courant réformateur mené par des démagogues qui pensent « réinventer le scoutisme », alors même qu’ils n’en ont jamais fait partie ! Ces dissensions conduisent les chefs à faire la preuve du bienfondé de leur résistance. C’est ainsi que pour les deux camps d’été 1973 et 1974, le chef de troupe se contente d’indiquer les lieux de camp aux dirigeants du Mouvement, qui n’ont en général aucune expérience éclaireur sur le terrain, soit par l’azimut et la distance à parcourir depuis Paris, soit par les coordonnées de longitude et de latitude du système Lambert de carroyage des cartes – et ce, afin d’apprécier leurs capacités topographiques. Vingt-neuf éclaireurs et sept chefs sillonnent en autocar les routes jusqu’en Norvège au mois de juillet 1973. La troupe campe quinze jours au bord d’un fjord. L’exploration de troupe dure trois jours tout comme celles des patrouilles qui lui succèdent. 83 VOILÀ PASSY PASSÉ L’année 1974 est placée sous le signe du « Coq » unissant de nombreuses troupes, issues principalement de Paris, de Franche-Comté et du Bas-Languedoc, fidèles à l’esprit et à l’emblème des Eclaireurs Unionistes depuis la fondation du Mouvement. Durant l’année, chaque patrouille fabrique un grand panneau de bois représentant un coq sur un fond rouge et vert. Un poulet est préparé pour le dîner de troupe de Noël et le camp de Pâques est baptisé camp du « Poulet ». Passy passe quinze jours en Lozère en juillet 1974, où elle reçoit une semaine les éclaireurs norvégiens qui l’avaient accueillie en 1973, et rejoint ensuite le camp national du « Coq ». Tandis que la troupe fixe ses coqs sur le grand portique d’entrée du camp, des éclaireurs d’autres troupes, sans beaucoup d’égards pour leurs pairs réputés être du « seizième arrondissement de Paris », canardent Passy de pommes de pin. En une charge effrénée, le « Clan du Feu » repousse ses assaillants. Mais Passy remporte surtout le grand tournoi de thèque. Le « P.B.B.T. », qui maintient ses performances d’antan, n’en finit pas d’étonner et le chef de troupe est porté en triomphe par ses éclaireurs. Une manade clôt le camp : seul Pierre Carle parvient à décrocher une cocarde des cornes d’une vachette, au prix de sept points de suture et d’un plâtre sur le nez. La troupe se « baigne » au camp de « Passy-les-Bains » de Pâques 1975. Arrivés au lieu de camp près d’Epernay (Marne), les éclaireurs dressent leurs tentes en dégageant préalablement le sol recouvert de neige. La première nuit rappelle la dure réalité des camps de Pâques, où il fait généralement froid et humide, et l’utilité des tentes surélevées des camps d’été. Juste avant de se coucher, le second de patrouille des Castors s’exclame : « J’espère que j’aurai chaud comme cela toute la nuit ». La tente s’endort. Vers minuit, il a l’impression d’avoir les pieds dans l’eau. Il croit d’abord que c’est psychologique. Il se recroqueville alors en remontant ses jambes et entend soudain le mot de Cambronne, se demandant qui peut l’avoir lancé. Il pense tout de suite à son voisin près de l’autre porte de la tente. Puis, à nouveau « M… ». Il parvient enfin à se rendormir. Vers quatre heures, il n’en peut plus, il est dans l’eau, ils sont dans l’eau. Il passe alors sa main dans la tente à matériel – les deux tentes étant montées bout à bout – et trempe allègrement sa main dans 84 1970-1979 l’eau. A quatre heures et demie, toute la patrouille est debout sur l’îlot qui est encore sec. Tous font un tour dehors et découvrent que la tente baigne dans l’eau. C’est un désastre. D’autres tentes s’affaissent sous le poids de la neige. Pour les installations, ce même matin, les patrouilles conçoivent des caillebotis en bois à une trentaine de centimètres au-dessus du sol boueux et sur lesquels les tentes sont remontées, hormis les Isatis qui élèvent une authentique plate-forme à deux mètres de hauteur. L’intendant se procure trente-cinq paires de bottes dans les « bazars » des villages voisins, car les chaussures hautes d’uniforme s’enfoncent complètement dans la boue. Un inspecteur venu en mocassins est impressionné par le petit déjeuner servi chaud et sans retard, malgré les conditions difficiles, à la table de troupe faite de bancs en froissartage assemblés par la haute patrouille lors du camp de reconnaissance des vacances de février. Les olympiades sont agrémentées de deux nouvelles épreuves : une course de « chaises à porteurs » construites par les patrouilles et une course d’une cinquantaine de mètres en portant une gigantesque tête de bigue qu’il faut dresser à mi-parcours et sur laquelle toute la patrouille doit alors s’agripper sans mettre pied à terre. Un camp « typique » de trois semaines, bien centré sur la troupe, se tient dans une forêt domaniale de plus de trois mille hectares à Mercoire (Lozère) l’été 1975. Cinq jours sont nécessaires à la patrouille de Nicolas de Watteville pour réaliser ce dont elle avait l’idée depuis bien longtemps : une plate-forme grandiose de huit mètres de long, quatre de large, le tout à cinq mètres de hauteur. Un dérouillage permet aux éclaireurs de faire de l’exercice tous les matins au lever, suivi d’un rassemblement. De longs moments sont consacrés après le petit déjeuner pour ranger les coins de patrouille, faire les corvées de bois et eau… La patrouille des Isatis adopte une nouvelle devise : « Isatis, ré-fléchis ». Michel Cuzelin s’occupe des « P.T.T. » (Passy Télégraphe Téléphone) : les plates-formes de toutes les patrouilles sont reliées par un téléphone qu’il a conçu et un journal préparé par ses soins est distribué 85 VOILÀ PASSY PASSÉ tous les deux ou trois jours, reproduit à la machine à alcool. C’est également Michel Cuzelin qui invente le premier four de troupe, en forme de cube, fait de plaques de tôle, le tout entouré d’argile. Chaque éclaireur est prié de se rendre en pyjama au dîner de troupe de novembre 1975 donné au local. Une transmission lumineuse en morse est émise par les chefs depuis le premier étage de la Tour Eiffel, invitant les patrouilles à un jeu de nuit dans les jardins du Trocadéro et du Champ de Mars. Le point de rencontre d’une sortie de troupe de février 1976 est fixé à la station de métro Etoile où les éclaireurs ne trouvent à leur surprise aucun chef mais seulement un vieux sac à matériel contenant des instructions et du matériel pour effectuer un croquis panoramique à la Défense. Là-bas, de mystérieux malfrats aux mines patibulaires – les chefs – sèment sur la route un tas d’embûches aux patrouilles et, après une série de courses-poursuites dans les parcs de stationnement et ascenseurs, la troupe s’ébat dans l’herbe du parc de Saint-Germain en jouant à la soule. Passy campe dans l’Eure pour Pâques 1976, année où la France passe à l’heure d’été pour la première fois. Pour le subtil jeu de mots, Passy décide d’appeler le camp de l’Eure, camp de « l’Heure ». La qualité des installations ne cesse de progresser et la patrouille des Castors réussit encore à innover en fabriquant une table avec bancs, comprenant vingthuit chevilles, six tenons-mortaises, trente méplats et surtout pas une seule fixation dans la terre, ce qui la rend transportable. Une folle course à la hauteur des tentes surélevées est engagée depuis l’été 1971 entre les patrouilles qui souhaitent toujours faire mieux que leurs consœurs. Les Castors parviennent à suspendre leur plate-forme à cinq mètres trente et un de hauteur au camp d’été 1976, battant ainsi le record mythique des cinq mètres de l’année précédente. Le chef de patrouille voit si grand qu’il décide par la suite d’en faire une seconde sous la première à deux mètres cinquante du sol. Cette plate-forme à double étage reste la construction de patrouille la plus élevée de toute l’histoire de Passy. Les Crocodiles tentent à ce même camp d’assembler une plate-forme tellement haute qu’ils ne parviennent pas à l’achever en 86 1970-1979 temps et en heure, car il est très long et délicat de hisser des troncs d’arbre à plusieurs mètres au-dessus du sol et de les y assembler. A l’issue du camp, les chefs interrompent cette compétition qui devient dangereuse. La cime des arbres est, en effet, trop souple et trop fragile pour supporter le poids d’une patrouille d’éclaireurs et de son matériel pendant plusieurs semaines. Une nouvelle orientation est encouragée pour les années suivantes : concevoir des plates-formes sans qu’il ne soit plus nécessaire de prendre appui aux arbres, mais qui, au contraire, reposent sur leurs propres piliers de soutènement érigés dans le sol. La robustesse de l’ouvrage ne dépend plus que de la qualité du travail de froissartage des différentes patrouilles. La troupe s’en va aux environs de Gisors (Eure) les 4 et 5 décembre 1976 pour sa veillée de Noël dans la forêt. Une importante corvée de bois permet d’allumer un grand feu autour duquel la troupe prend place pour le dîner. Des bûches de Noël sont servies pour le dessert suivi de jeux, de chants et d’une réflexion biblique du chef de troupe, Laurent Carle. Une partie de « quitte ou double » réchauffe les éclaireurs qui gagnent un carré de chocolat ou un bonbon à chaque bonne réponse. Le « Cantique des Patrouilles » est chanté avant de se coucher alors qu’il commence à neiger et que les tentes s’affaissent sous le poids de la neige. Tout est blanc le lendemain matin. L’hiver rigoureux explique que seule une petite fraction de la troupe se retrouve pour le week-end de janvier 1977. Un éclaireur en donne pourtant une toute autre justification : « Que voulez-vous ma bonne dame, y a pas que les éclaireurs, y a la disserte de français, la composition de mathématiques, le devoir de physique, l’interrogation de gymnastique… dont chacun se rappelle d’autant plus qu’il pleut et qu’il fait froid ». La troupe grimpe à la Tour Eiffel début mars 1977 pour effectuer un croquis panoramique de Paris, reproduit par la suite sur les murs du grand local de troupe pour les égayer. Ceux-ci avaient, en effet, été livrés bruts de béton en 1964 lors de la reconstruction de l’immeuble et seuls les locaux de patrouille avaient fait l’objet d’aménagements, peints depuis aux couleurs des patrouilles. Les éclaireurs prennent d’assaut 87 VOILÀ PASSY PASSÉ le premier étage de la tour avec chevalets, équerres, papier, crayons et cadres quadrillés. La patrouille des Wapitis s’approprie une parcelle de la terrasse en réquisitionnant des barrières et des chaînes, pour ne pas être dérangée. Et le 26 mars, tous les éclaireurs se réunissent pour inaugurer le local. Tandis que certaines patrouilles préparent le dîner, d’autres terminent la reproduction du panorama vu de la Tour Eiffel : les immeubles constituant l’horizon sont peints en noir comme s’il s’agissait d’ombres, des grues sont dessinées dans les quartiers en construction, le tout sous un ciel en dégradé du rouge au bleu. Désormais, la troupe de Passy dispose d’un large champ de vision dominant tout Paris depuis ses locaux en sous-sol ! Les courses individuelles d’orientation sont relancées au camp de Pâques 1977 : chaque éclaireur doit en un minimum de temps parcourir un circuit en utilisant sa boussole et en comptant ses pas pour retrouver les « bases » au pied desquelles se trouvent des griffes ou des tampons qui lui permettent de marquer son passage sur son carnet de route. Les éclaireurs et éclaireuses sont toujours indépendants. Ce sont plutôt les chefs éclaireurs et les cheftaines de louveteaux qui se lient d’amitié, voire se marient. Tel est le cas de Pierre Carle et d’Eléna Clavel, dont le mariage est célébré au temple de Passy le 11 juin 1977. Une haie d’honneur est formée par les louveteaux. Lors de la réception qui suit la cérémonie, les éclaireurs venus en uniforme interpellent les jeunes mariés : « Venez, la troupe a besoin de vous » et les conduisent sous un bosquet d’arbres d’où un vélo tandem descend d’une branche par un jeu de poulies, ainsi qu’un abat-jour décoré du profil de chacun des éclaireurs, cadeaux de la troupe. Leurs enfants feront partie du groupe local de Passy quelques années plus tard. Les éclaireurs n’étant pas toujours suffisamment sensibles à la beauté et à la vie de la nature qui les entoure et les accueille, les chefs mettent au point l’opération « C.R.O.C. » (Chercher, Respecter, Observer, Conclure) au camp d’été 1977. L’opération prévoit de sérieuses études de la flore, de la faune et la pratique de la topographie, de l’ethnologie et de la météorologie. Pour ce faire, la troupe, après avoir dépassé les confins du monde connu, progresse au travers de la forêt rebelle avec 88 1970-1979 tout son fourniment et sa nourriture pour la semaine, franchit quelques mètres de falaise en rappel, établit enfin un camp avancé au centre du Jurassien inférieur. Chacun des jours suivants, les patrouilles partent pour la journée à la découverte de l’un des cinq domaines annoncés. Elles établissent ensuite un rapport. Des herbiers sont constitués, des empreintes d’animaux relevées à l’aide de moulages en plâtre, des raids à la boussole effectués… Chaque patrouille doit aussi à tour de rôle faire la cuisine de la journée pour toute la troupe. A une heure dite, les autres patrouilles envoient au camp avancé un ou deux garçons chercher les plats préparés par l’intendance dans des gamelles étanches. Le chef de troupe, Laurent Carle, ne cache pas sa préférence pour le chocolat chaud ou cacal plutôt que pour les flocons d’avoine ou porridge au petit déjeuner, au point d’interdire la mention de ce dernier dans les menus de l’intendant. Or, un chef adjoint, Jean-Christophe de Watteville, refuse le régime du chocolat chaud et des tartines à la confiture, mais sans beurre, tous les jours. Le grand jeu du camp prend en compte ce conflit en opposant les partisans respectifs du cacal et du porridge. Protestant énergiquement contre l’impérialisme du chef de troupe, JeanChristophe de Watteville prend le maquis lors d’un « P.D.M. » (petit déjeuner du matin). Le matin suivant, une patrouille fait de même et disparaît. Les rebelles sont de plus en plus nombreux, ils sabotent la barre des « deutés », font disparaître une partie de l’intendance de troupe… Craignant un assaut décisif des partisans du porridge, les défenseurs du cacal se réfugient dans le marabout des chefs au sommet duquel est monté un poste de vigie équipé d’un phare de voiture et tenu par Michel Cuzelin, qui ne cesse de s’exclamer : « Ils approchent » pour effrayer ses camarades alors qu’il n’y a en fait personne. Jean-Christophe de Watteville (1978-1979) succède à Laurent Carle à la tête de la troupe. Il privilégie les activités en patrouille, considérant que pour avoir une troupe digne de ce nom, il faut commencer par avoir des patrouilles qui soient des patrouilles dont les éclaireurs se connaissent bien et n’hésitent pas à faire de grands coups ensemble. Une formule originale pour les camps de Pâques 1978 et 1979 est ainsi adoptée : les patrouilles doivent vivre en autarcie durant toute 89 VOILÀ PASSY PASSÉ la durée du camp, éloignées les unes des autres d’environ un kilomètre. Les éclaireurs doivent se débrouiller seuls, prévoir leur ravitaillement à l’épicerie du village, préparer le « P.D.M. », le déjeuner et le dîner. Les chefs rappellent l’importance d’une solide organisation : « Si vous n’avez pas d’allumettes, pas de lait… vous perdrez toute votre journée ». Au camp d’été 1978, la troupe rend d’importants services à une commune par le nettoyage de la crypte de l’église et la remise en état des sentiers d’accès. Cet élan constructif permet à la patrouille des Castors, dirigée par Stéphane Cuau, de prendre la première place au concours de Trivaux de 1979 sur cinquante-trois patrouilles. Les Chiens sont cinquième, les Wapitis onzième et les Isatis dix-septième. Le pasteur Daniel Atger vient rendre visite aux éclaireurs tant au camp de Pâques qu’à celui de l’été 1979. Il participe à toutes les activités de la troupe durant vingt-quatre heures : jeux, soules, repas ou nuit dans un sac de couchage sous la tente des chefs et termine son court séjour par un culte. Les 20 et 21 juillet 1979 marquent l’histoire des camps à vélo de Passy avec la première édition des « vingt-quatre heures à bicyclette » comme épreuve aux olympiades par patrouille. Sur une boucle balisée de quatre kilomètres, les patrouilles font la course pendant vingt-quatre heures, à charge pour les éclaireurs de se relayer tous les deux à quatre tours et de réparer les bicyclettes. Neuf à dix minutes sont nécessaires pour parcourir un tour, avec un record à sept minutes et trente-cinq secondes. Les chefs contrôlent les passages et assurent l’intendance. Ce sont les Castors qui remportent l’épreuve, en parcourant plus de quatre cents kilomètres. 90 1980-1989 Le chef de troupe, Jean-Brice de Bary (1980), n’a aucun adjoint pour le seconder. Il fait appel aux routiers qui l’assistent pour le camp de Pâques. Leur aide ne suffit pourtant pas à prendre en main toute la troupe, si bien que l’opération prévue pour le camp est préparée par les chefs de patrouille : il s’agit de prendre d’assaut une maison en ruine. Les installations sont en pierres et cailloux uniquement, le lieu de camp n’offrant aucune ressource en bois. Une exploration de troupe à bicyclette permet de faire le tour de la Lozère cet été 1980. Les éclaireurs s’arrêtent dans les églises situées sur leur passage pour chanter sous leurs voûtes un canon à trois voix sous la direction d’Hugues Reiner. La « cloche à balourdises » est remise à un éclaireur pour avoir étendu son linge à sécher sur le mât de troupe. 91 VOILÀ PASSY PASSÉ Aux côtés des cinq patrouilles (Chiens, Castors, Crocodiles, Wapitis et Isatis), une sixième patrouille renaît en octobre 1980, les Panthères, et Nicolas de Watteville (1981-1982-1983-1984-1985) reprend la troupe. Des éclaireurs de Massy (Essonne) se joignent à toutes les sorties et camps de l’année pour que leur troupe puisse repartir à la rentrée suivante. A la Toussaint, à Noël ou en février, les petits camps réservés à la haute patrouille renforcent la cohésion entre chefs et seconds de patrouille. C’est le cas du petit camp des vacances de Noël 1980 à La Fareen-Champsaur (Hautes-Alpes) : les éclaireurs font du ski, des randonnées en raquettes et construisent des igloos. Passy occupe l’appartement de l’institutrice du village au-dessus de la salle de classe. Une bataille d’eau oppose le dernier jour le chef de troupe à deux éclaireurs, à coups de verres puis de bassines d’eau. Les autres se contentent de compter les points alors qu’une épaisse couche d’eau recouvre peu à peu tout l’appartement… L’idée des camps où les patrouilles vivent en autarcie est reprise à Pâques 1981 : les six patrouilles campent aux « six » coins de la forêt entourant le château de la Roche-en-Brenil (Côte-d’Or) et font tous les jours leur ravitaillement à bicyclette à l’épicerie du village. La troupe campe dans la forêt domaniale de Saint-Quirin (Moselle) durant l’été 1981. Les Castors construisent une plate-forme et, surtout, une superbe table de patrouille, gagnant ainsi la première place au concours de camp pour leurs installations. Lors des « désinstallations », il est décidé de ne pas démonter la table. Onze ans plus tard, lors du camp d’été 1992 au même emplacement, les éclaireurs ont la surprise de retrouver, certes affaissée mais intacte, la table de leurs aînés dont le bois s’était peu à peu affaibli. A l’issue du camp, la future haute patrouille reste sur les lieux deux jours de plus afin de préparer la rentrée et constituer les nouvelles patrouilles. Deux ébauches d’un historique des éclaireurs de Passy sont consignées par écrit en 1981 à l’occasion du centenaire de la paroisse de Passy-Annonciation (1881-1981). 92 1980-1989 La première, écrite par Guy Hénon (célèbre conseiller du groupe local de 1945 à 1955), figure en huit pages dans le livre de la paroisse « La traversée d’un siècle ». La seconde, cinq pages de la plume de Nicolas de Watteville, est affichée au temple, puis au local. Ces documents sont la réunion de souvenirs d’anciens membres du groupe local. Ils retracent brièvement les grandes étapes de la vie des éclaireurs et louveteaux de Passy. Il en résulte bien que la troupe n’a connu aucune interruption depuis sa création. Elle a su échapper aux vicissitudes qui auraient pu lui être fatales (manque de chefs, deux guerres, événements de mai 1968, locaux insuffisants…). L’expérience des aînés, la tradition orale et la continuité dans les équipes de chefs n’y sont certainement pas étrangères. Il sort de la bouche des éclaireurs, depuis des décennies, que les Chiens seraient la plus ancienne patrouille de France. Ils auraient été créés, comme patrouille libre, dès 1911 pour constituer quelques temps plus tard le noyau de la troupe à naître de Passy. Ces travaux ne manquent pas d’évoquer cette question controversée de l’origine de la troupe. Fidèles à la mémoire quelquefois approximative des anciens, ils retiennent à quelques mots près cette version. C’est une preuve que les archives écrites n’ont guère été consultées : la troupe de Passy a été fondée le 2 novembre 1912 en même temps que la patrouille des Chiens. A partir de 1982, le groupe local de Passy a le privilège de bénéficier de voitures familiales Peugeot pour satisfaire aux transports de chacun des camps de Pâques et d’été. Qu’il s’agisse d’assurer le ravitaillement d’une trentaine de garçons pendant plusieurs semaines ou de faire face à une urgence médicale dans les sous-bois, la troupe peut toujours compter sur la « Peugeot des chefs ». Il pleut tous les jours au camp de Pâques 1982 à Saint-Fargeau (Yonne) : c’est une véritable « mare à boue » autour du marabout de troupe. Les bois du château sont exploités, il n’est donc pas question de couper d’arbres. Seules des tables à feu sont assemblées à l’aide de stères de bois mort. La journée de service est consacrée à brûler les souches et les houppiers des coupes de l’hiver. 93 VOILÀ PASSY PASSÉ Passy remporte le trophée de Trivaux en 1982 au classement par troupe. La haute patrouille se réunit à la Pentecôte 1982 pour une journée de huit heures sous terre : « L’entrée de la grotte se trouve derrière un bosquet d’arbres. Après avoir allumé nos lampes, nous commençons notre excursion par un passage large, haut mais boueux, glissant et nettement en pente. Nous nous engageons ensuite dans un couloir de taille beaucoup plus réduite, mais à peu près sec, heureusement car par moments nous sommes presque obligés de ramper (…). Lentement, nous progressons alors que déjà survient une autre difficulté : il nous faut, en effet, franchir un passage assez étroit, plus ou moins glissant, et surtout comportant un à-pic de dix mètres environ. Nous descendons et décidons de laisser la bouffe sur place. Nous nous engageons dans un couloir qui nous mène jusqu’à une salle parsemée de rochers lui donnant un aspect chaotique. Nous passons ensuite dans un étroit goulet et arrivons dans une salle encore plus grande et située en dessous de la première. Revenus sur nos pas, nous prenons notre bouffe et empruntons un autre couloir pour atteindre le but final, l’apothéose de cette expérience : un puit de vingtcinq mètres en bas duquel nous comptons bien descendre (…) ». Passy campe dix-huit jours dans le Vercors en juillet 1982, séjour évidemment tourné vers la montagne et la spéléologie. La haute patrouille fait l’ascension du mont Aiguille. Durant l’exploration, trois patrouilles (les Castors, les Crocodiles et les Panthères) marchent ensemble. Souhaitant prendre un raccourci, elles s’engagent sur un autre chemin que celui indiqué par les chefs, finissent par se perdre et se trouvent face à un à-pic de trente mètres. Leurs chefs décident de bivouaquer pour la nuit à la belle étoile, sans pouvoir avertir le chef de troupe. Les plus jeunes ne sont pas rassurés. Marche arrière est faite le lendemain matin. Les patrouilles parviennent en fin de compte au rendez-vous initial au pied du Grand Veymont avec vingt-quatre heures de retard. Trois ans plus tard, cette mésaventure devient légende : certains disent que ces patrouilles avaient disparu pendant trois jours, n’ayant plus comme vivres qu’un unique tube de lait concentré que les éclaireurs se partageaient goulûment à la petite cuillère, et que la gendarmerie avait été lancée à leur recherche. 94 1980-1989 La troupe rejoint ensuite pour cinq jours le camp national au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), baptisé « Pleins Feux sur l’Aventure ». Elle y mesure l’évolution du Mouvement unioniste et fait les constats suivants : la moitié, voire les deux tiers, des éclaireurs ne portent même plus l’uniforme, se contentent d’un foulard autour du cou avec des fleurs dans les cheveux, reprochent à Passy de marcher au tambour et de se lever au clairon, bien qu’il y ait encore un tiers des troupes fidèles à l’uniforme et à la chemise beige. Les garçons – ou les parents – achètent leurs uniformes et leur matériel chez « Scoutisme et Aventure », magasin des éclaireurs fondé en 1974, sous le nom « les Marchands du Temple », par Jean-Mathieu Prévot (ses enfants feront plus tard partie de Passy) et dirigé dès 1982 par Nicolas de Watteville, alors chef de troupe à Passy, toujours fidèle au poste en 1999. La troupe se retrouve pour un camp de ski à Saint-Véran (HautesAlpes) durant les vacances de Pâques 1983. Des skis de fond aux pieds, les éclaireurs jouent à la thèque dans la neige. Au cours d’une nuit de week-end de haute patrouille, les chefs et seconds font une course-poursuite dans les carrières de Paris et ressortent par une bouche d’égout au milieu de l’hôpital Sainte-Anne. L’été 1983 voit les patrouilles descendre la rivière de la Loue dans le Jura sur des radeaux fabriqués la veille du départ. Celui des Chiens, muni de chambres à air, flotte difficilement les premiers jours : il coule et se retourne. A chaque nouveau renflouement, la patrouille lui donne un nouveau numéro : « Titanic I, II puis III… jusqu’à VI ». Les chambres à air sont alors remplacées par des fûts métalliques de deux cents litres qui le rendent insubmersible mais plus lent. Passy campe à L’Isle-sur-Serein (Yonne) pour Pâques 1984 et Nicolas de Watteville emmène ses éclaireurs traverser la Corse à pied pour le camp d’été : il s’agit de relier le nord-est au sud-ouest de l’île de Beauté par le chemin de grande randonnée « 20 ». La troupe bivouaque au col Boccia sous la neige et assiste au petit matin, pendant la cérémonie des promesses, au lever du soleil depuis le « monte Cinto » à deux mille sept cents mètres d’altitude. 95 VOILÀ PASSY PASSÉ « Rouge et Vert » devient journal du groupe local. Trois numéros sont imprimés durant l’année : à Noël, à Pâques et avant l’été. Le moment fort du camp de Pâques 1985 consiste à construire un pont enjambant une rivière de quatre mètres de large en contrebas du château de Bagneux (Indre-et-Loire). Il faut procéder à l’abattage de nombreux résineux dans les bois du parc. Les patrouilles se succèdent sur le chantier. Tandis que les routiers montent l’armature du pont, les patrouilles ont la charge des travaux ingrats – tels l’écorçage des troncs à la plane, le goudronnage de la base des poteaux, l’application d’un enduit au minium sur les tiges filetées, le travail du bois (méplats, tenons et mortaises au vilebrequin) ou encore la pose du platelage à l’aide de clous. L’ouvrage est achevé un soir et dès le matin suivant inauguré avec le propriétaire. Chaque éclaireur a apporté une bicyclette. Une course de quatre heures à vélo est organisée entre les patrouilles. Pour restaurer les coureurs, les intendants sont sur les dents et préparent soupe de tomates, frites et chocolat chaud. A chaque tour, le coureur doit annoncer au comptoir central, tenu par les chefs, le nom de sa patrouille. Les Chiens sont en tête dès le début, menant la course à un rythme effréné au mépris de la santé de leurs bicyclettes qu’ils mettent à mal. Après de multiples crevaisons, roues voilées et ruptures mécaniques, la patrouille abandonne – faute de bicyclettes valides – et cède sa place aux Wapitis qui remportent l’épreuve devant les Castors et les Crocodiles. Chaque éclaireur reçoit un carnet technique comportant une série d’épreuves à accomplir durant la journée technique selon ses compétences. Il s’agit à la fois d’un concours entre les quatre patrouilles pour déterminer la plus habile en technique éclaireur, d’un concours individuel entre les éclaireurs de même niveau et d’un concours avec soimême pour se rendre compte de ses capacités. Les épreuves consistent en morse, topographie (raids jusqu’à six azimuts successifs), nœuds, froissartage, questions de secourisme et de civisme. Un « camp suspendu » à Thorame-Haute dans les Alpes a lieu à l’été 1985 ; non seulement les tentes sont surélevées, mais toutes les activités sont également « suspendues ». Autrement dit, toute activité 96 1980-1989 entreprise est systématiquement interrompue avant son terme et reprise quelques jours plus tard : par exemple, les installations sont interrompues par une partie des olympiades… L’exploration de troupe conduit les éclaireurs au pied du mont Pelat où les doubles toits sont dressés et leurs extrémités obstruées à l’aide de ponchos tenus par des pierres pour éviter les courants d’air. Tirée des sacs de couchage à quatre heures du matin, la troupe fait l’ascension du mont pour assister au lever du soleil. Les garçons sont contraints d’emporter depuis le bivouac du bois sur leur dos. Il servira à allumer le feu de promesse au sommet. La troupe rassemblée en carré, la pente est si prononcée que les pieds des chefs se trouvent plus haut que la tête des éclaireurs des patrouilles situées en contrebas, à l’opposé du carré. Denis Aubron (1986-1987) puis Thierry Carle (1988-1989) sont chefs de troupe. A la fin des installations d’été 1986, la première nuit des Panthères est écourtée par l’affaissement brutal de leur plate-forme, heureusement sans mal pour les membres de la patrouille. Lors de la journée de service, il est convenu d’aider un paysan à rentrer les foins. Les éclaireurs, toujours en culotte courte, doivent pousser à l’aide de leurs genoux les bottes de paille sur le pic du tracteur. C’est oublier que les brins de paille piquent très fort ! Et le fermier s’étonne que les éclaireurs de Passy soient si peu futés pour ne pas mettre des pantalons comme tout le monde ! L’opération de Pâques 1987 se déroule tout au long du camp dans le parc du château d’Anfernel (Calvados). Elle est l’occasion d’un exploit technique, digne des services secrets. Voici l’histoire : chaque patrouille représente un pays engagé dans la Seconde Guerre mondiale. Il faut enterrer des fils sur plusieurs centaines de mètres dans la forêt pour communiquer par télégraphie en toute discrétion. Les Français doivent recueillir et cacher un parachutiste anglais. Une fosse est alors creusée sous le tapis de sol de leur tente et refermée par un ingénieux platelage de bois, lui-même recouvert de sacs à matériel en toile remplis de terre pour dissimuler une éventuelle impression de creux. La patrouille allemande se rend évidemment dans 97 VOILÀ PASSY PASSÉ le camp français pour l’inspecter. Frédéric Jannin – le parachutiste – s’introduit alors dans la cachette. Les Allemands fouillent la tente. Ils sont bien loin de se douter qu’un éclaireur est planqué sous le tapis de sol et ce, sous leurs pieds, alors que le platelage plie et que de la terre tombe sur le visage de Frédéric Jannin retranché dans sa cache. De leur côté, les Allemands, cachés dans leur tente, l’ont si bien camouflée à l’aide de branchages et de terre que la patrouille des Français passe à quelques mètres sans l’apercevoir. A force de traîtres dans les différents camps, les éclaireurs prennent plus d’initiatives que prévu, si bien que les chefs s’y perdent ne contenant plus les réactions des éclaireurs ! Au printemps 1987, avant les camps d’été, tous les parents ayant un enfant inscrit à Passy sont conviés par le groupe local à passer un après-midi « éclaireur ». Des parties de soule et de thèque entre parents sont organisées, ainsi qu’un grand dîner. Un violent orage gronde, le spectacle son et lumière qui doit suivre est tout de même maintenu. En une dizaine de tableaux, les louveteaux et éclaireurs content l’histoire de deux familles, les « Lerouge » et les « Levert » depuis le Moyen-Age, dont les descendants respectifs se marient en 1911 et fondent le groupe local de Passy, tout de rouge et de vert. Bien que légende, cette approche de la naissance de Passy est proche de la réalité : jeunes mariés, Monsieur « Lerouge » et Madame « Levert » n’ont pu engendrer leur première fille, la troupe de Passy, qu’en 1912 ! L’erreur d’une année peut ainsi être réparée. Au camp d’été 1987 au col Doulent (Ariège), deux patrouilles préparent des installations originales : les Wapitis construisent une plateforme sur laquelle est dressée une armature en bois de la forme d’une tente, recouverte de feuillages et non d’une toile de tente ; les Chiens fabriquent une cabane aux murs de feuillages, dont le toit est formé d’une tente surélevée. La table de troupe est toujours en désordre : des gamelles traînent d’un repas à l’autre. Le chef adjoint, Thierry Carle, désigne « l’arbre à gamelles » sur les branches duquel est propulsée la vaisselle des irréductibles. Les éclaireurs n’hésitent pas à grimper alors dans l’arbre pour y récupérer leurs ustensiles qu’ils font à nouveau traîner. 98 1980-1989 Une solution plus radicale est dès lors mise en place : les couverts, gamelles et autres ustensiles abandonnés par leurs propriétaires sont désormais brûlés dans le foyer de troupe. Ils sont ensuite sculptés et suspendus à une ficelle au-dessus de la porte du marabout d’intendance. Lors des raids de première classe que l’éclaireur doit accomplir seul, trois chefs de patrouille se retrouvent pour la nuit après un semblant de raid. La « Peugeot des chefs » les surprend marchant sur une route : le chef de troupe, au volant, est furieux. Il ralentit, baisse la vitre électrique et s’exclame en arrivant à leur hauteur : « C’est vraiment ce que j’appelle se foutre de ma gueule » et repart. Les trois compères passent la nuit dans une chapelle au milieu de la forêt et prennent une belle rouste des chefs à leur retour au camp. Toutes sortes d’épreuves à vélo sont organisées au camp d’été 1988 au château de Saint-Maigrin (Charente-Maritime) : cross, relais, vingt-quatre heures et course de chars attelés aux bicyclettes. C’est en Touraine que Passy s’établit à Pâques 1989. En arrivant sur le lieu de camp, les éclaireurs n’y trouvent ni chef de troupe, ni intendant, tous deux censés être déjà sur place. C’est que les chefs sagement assis dans la « 505 » sont rapatriés à Paris sur le plateau d’une dépanneuse. En route pour le camp, la « Peugeot des chefs » – trop lourdement chargée – s’est, en effet, écrasée au freinage dans la voiture qui la devançait. Toutes banquettes rabattues, le coffre de la voiture doit, en effet, contenir coûte que coûte tout le matériel de troupe nécessaire pour camper : le marabout d’intendance et ses piliers en bois, le rail de chemin de fer coupé à la longueur de l’habitacle utilisé au camp dans la construction du foyer de troupe, les caisses de matériel (scies, haches, bonnas…), le four en tôle, des cordes et autres lassos… Le coffre est chargé « jusqu’à plus de place ». Et pourtant, lors de cet accident, la marchandise s’est brutalement tassée vers l’avant, offrant quelque cinquante centimètres supplémentaires à l’arrière du coffre ! Il neige à « gros glaçons ». L’inspection des patrouilles et le rassemblement d’ouverture du camp ont malgré tout lieu manches relevées et cols retroussés à l’intérieur des chemises. Car il est quelques moments forts de la vie de troupe où les éclaireurs ressentent le besoin 99 VOILÀ PASSY PASSÉ de faire preuve de solennité envers la troupe et ses aînés. C’est le cas des rassemblements d’ouverture ou de fermeture de camp, du lever et du baisser des couleurs, de la remise des foulards, de la promesse ou encore du passage des louveteaux à la troupe. Aussi, le simple port de l’uniforme se double-t-il d’une manière de s’en vêtir : les manches longues de la chemise sont retroussées en les roulant vers l’intérieur pour ne pas faire apparaître de repli, le col doit également être invisible – il suffit de le retourner dans la chemise – et les chaussettes hautes blanches sont parfaitement roulées. Les éclaireurs affirment alors porter l’uniforme à la « Baden-Powell ». Cette expression peut ainsi s’expliquer : d’un côté, les chefs ne manquent pas de rappeler que lord Baden-Powell revêtait ainsi l’uniforme – l’hypothèse reste néanmoins à vérifier – et de l’autre, les éclaireurs ont le sentiment profond d’un retour aux sources et jouent volontiers le jeu. Un camp itinérant durant plus de trois semaines permet aux éclaireurs de découvrir la Corse en juillet 1989 en parcourant un chemin quasiment identique à celui suivi par leurs aînés cinq ans plus tôt, le « G.R. 20 ». Débarquée à Calvi, la troupe s’installe au bout de la plage et prépare ses affaires pour la randonnée. Les éclaireurs marchent en binômes et campent dans de petites tentes, deux par deux. Le ravitaillement est assuré en voiture par l’intendant. Il arrive cependant que la troupe emporte deux ou trois jours de vivres dans les sacs à dos en l’absence de route carrossable pour rejoindre le bivouac. Les journées de marche sont éprouvantes. Deux entorses de la cheville nécessitent, hélas, l’intervention d’un hélicoptère. La troupe se baigne dans de superbes vasques de torrents glacials pour se rafraîchir. Un énorme orage au pied du « monte Cinto » en empêche l’ascension. 100 1990-1999 Les années 1990 et 1991 sont marquées par les retrouvailles d’anciens de la troupe. Un banquet est donné par les Chiens un soir d’avril 1990 au cours duquel trente-deux anciens de la patrouille se retrouvent pour rire et chanter. Au printemps suivant, le groupe local fête ses quatrevingts ans (1911-1991) lors d’un dîner spectacle : le long passé de la troupe y est évoqué par de courtes saynètes. En fait, les chefs ignorent à peu près tout de l’histoire de Passy et reconnaissent volontiers avoir plutôt fabulé que recherché l’exactitude des faits et gestes alors reconstitués, à commencer par l’âge de la troupe : Passy n’est octogénaire que par ouï-dire ! Enfin, les « très anciens » se réunissent à l’automne 1991 à l’occasion du cinquantenaire de la Seconde Guerre mondiale. 101 VOILÀ PASSY PASSÉ Thierry Carle (1990-1991) et Frédéric Jannin (1992-1993) sont chefs de troupe. Le grand jeu du camp de Pâques 1990 scinde les patrouilles en deux clans, les royalistes et les Bonapartistes. Ainsi, lors du concours de cuisine, les chefs dînent-ils dans des assiettes de faïence et des verres de cristal, à la lueur de candélabres en argent empruntés à la grand-mère de l’un d’entre eux. Tandis que les éclaireurs s’affairent à la construction de leurs tables, foyers et plates-formes de patrouille, Thierry Carle conçoit, l’été 1990 dans les Cévennes, un mât de troupe d’une grande allure, authentique « P.H. » ou « paraboloïde hyperbolique » par l’effet artistique donné à la drisse qui forme une sorte de grand filet tendu en arrondi entre les troncs de l’armature, écorcés à la plane pour la circonstance ! Un bon mât de troupe est, en effet, le gage d’une troupe solide et sa fierté. Une exploration de troupe à partir du camp fixe, situé à SaintGermain-de-Calberte (Lozère), permet d’atteindre de nuit le sommet du mont Aigoual deux jours plus tard et d’assister au petit matin à un lever de soleil féerique, avant de repartir par petits groupes en exploration de patrouille durant trois jours. Les garçons ne manquent pas de se rendre au Mas Soubeyran pour visiter la maison de Rolland (Musée du Désert). Rolland était chef camisard à l’époque des dragonnades. La patrouille des Panthères passe une nuit dans le temple de Saint-Etienne-ValléeFrançaise. Certains éclaireurs jouent de l’harmonium alors que d’autres se suspendent à la grosse corde du clocher qu’ils font retentir tant et plus. « V’là Passy » est plus rarement chantonné à la troupe. Ce sont plutôt les louveteaux qui font leur cet air mythique du « grand Passy ». En rentrant d’une sortie d’hiver, la troupe attend sur le quai de la gare de Taverny (Val-d’Oise). Des voyous se moquent des culottes courtes d’uniforme portées par les éclaireurs. A peine le train est-il entré en gare qu’ils descendent sur le ballast et canardent de pierres la voiture dans laquelle Passy vient de prendre place. Les éclaireurs se tiennent tête baissée sous les fenêtres alors que les projectiles brisent la totalité des vitres. 102 1990-1999 Les patrouilles campent à Pâques 1991 en parfaite autarcie dans le parc du château de La Roche-en-Brenil (Côte d’Or) et se retrouvent tous les matins dans un grand pré pour des olympiades : les parties de soule et de thèque dans la gadoue, la pluie et le froid sont déchaînées. L’intendant réchauffe les garçons par des marmites de thé bouillant qu’il suffit de boire à la louche en y ajoutant un brin de sucre. L’été 1991, le chef de troupe surprend ses éclaireurs par la confection géniale d’un mât de troupe de plus de huit mètres de haut, comprenant une plate-forme à mi-hauteur. Les bras des éclaireurs sont d’ailleurs réquisitionnés un soir, jusqu’à une heure du matin, pour ériger dans le champ de thèque, à la lumière des torches, l’imposant mât qui doit être inauguré le lendemain matin. Il s’agit d’un camp à bicyclette près de Villamblard (Dordogne). L’épreuve des « vingt-quatre heures à vélo », où se défient les patrouilles, est interrompue après huit heures de course par le maire qui semble considérer le parcours trop dangereux. Les Panthères, équipées de deux bicyclettes Peugeot – dont l’une de secours – ont néanmoins réussi à parcourir cent quatre-vingt-sept kilomètres. Suivent, dans l’ordre d’arrivée, les Chiens, les Wapitis-Crocodiles et les Castors. Les patrouilles s’affrontent encore à vélo lors d’un cross à travers bois, d’un kilomètre chronométré, d’un rallye technique et d’une course de chars attelés à leurs bicyclettes. La troupe resserre les rangs après ce camp. Il n’y a plus que trois patrouilles, les Chiens, les Castors et les Wapitis, composées d’éclaireurs assidus et volontaires. Des liens d’amitié se tissent ainsi davantage entre les garçons, ce qui renforce la cohésion au sein de la troupe et lui promet un nouvel élan. Le camp de Pâques 1992 à Pignans (Var) apparaît, en ce sens, comme une sorte de résurrection : treize éclaireurs répondent présents. La troupe est accueillie dans la propriété de Bernard Mamy, éclaireur de Passy sous l’Occupation. Les coins de patrouille se situent de part et d’autre du confluent de deux rivières, au pied d’une colline de soixantedix hectares qui a malheureusement brûlé deux ans plus tôt. Le temps est magnifique, les éclaireurs reviennent à Paris couverts de coups de soleil. 103 VOILÀ PASSY PASSÉ Les chefs élèvent leur tente à plus de six mètres dans les arbres au camp d’été 1992 à Saint-Quirin (Moselle). En 1993, la troupe retrouve toute sa vitalité. L’impulsion donnée par Frédéric Jannin lui permet de relever deux grand défis, l’un à Pâques, l’autre en été. Premier défi : est édifié durant le camp de Pâques 1993 un « village dans les nuages » par la construction d’une unique structure en bois comprenant un ensemble de cinq tentes surélevées à d’inégales hauteurs, reliées les unes aux autres par des échelles ! Et ce, sans prendre appui sur les arbres voisins. Les plans, ingénieusement préparés avant le camp, tiennent compte de la meilleure répartition possible des charges sur l’ossature. Le diamètre, la longueur et le nombre de troncs d’arbre nécessaire pour réaliser cet assemblage complexe sont soigneusement répertoriés. Un numéro est attribué à chaque pièce de ce puzzle grandeur nature. Seule de la tige filetée en acier est utilisée pour assurer une fixation solide des troncs. Chaque patrouille est chargée de travaux en rapport avec sa spécialité : coupe, élagage, travail du bois au ciseau, perçage des troncs au vilebrequin, préparation des sections de tige filetée… Le quartier général des chefs consiste en une petite table sur laquelle sont collés les plans, le recensement de chaque élément de la construction et le calendrier horaire des opérations. Tout doit être terminé en quatre jours. L’infrastructure est gigantesque, aussi, des palans et des minigrues sont-ils montés pour parvenir à hisser les troncs avec l’aide de la troupe entière. Les éclaireurs travaillent même de nuit pour achever le chantier dans les délais prévus. Ils ne profitent d’ailleurs de cet exploit qu’une seule nuit, rentrant à Paris le lendemain, heureux de s’être tant donnés et fiers de leur ouvrage. Deuxième défi : un camp de randonnée en Ecosse en juillet 1993 offre aux éclaireurs et éclaireuses de Passy l’occasion d’une grande marche dans les Highlands pendant trois longues semaines. La troupe et la compagnie entreprennent leurs marches séparément. Leurs chemins se croisent néanmoins de temps à autre, bonne occasion de se réconforter mutuellement. 104 1990-1999 A l’initiative de Guillaume Monod, chef adjoint, la troupe invite quatre garçons, rencontrés grâce au foyer d’entraide protestante de Belleville, à participer à ce camp d’été. La marche se fait en troupe selon des règles strictes : les éclaireurs emportent chacun un sifflet et une boussole. Ils sont associés par deux, avançant au même rythme tout au long du périple et prêts à s’entraider pour parer à tout accident. Chaque binôme est équipé d’une tente légère de secours ainsi que d’un bleuet à gaz pour chauffer les repas. Un chef ferme la marche et le mot d’ordre est donné qu’en cas de perte de contact, l’éclaireur égaré doit suivre le nord à la boussole et s’arrêter à la première route rencontrée, pour faciliter d’éventuelles recherches. Une première étape consiste à relier en cinq jours Tain depuis Lochinver. Il pleut, il vente, les éclaireurs enfoncent leurs chaussures dans la tourbe écossaise jusqu’aux genoux, franchissant crevasses de boue, ruisseaux, fils barbelés, rebroussant chemin… Les patrouilles font l’ascension d’une colline en file indienne, dessinant de grands lacets sur la pente glissante. Leurs chevilles souffrent, les ponchos qui les protègent de la pluie volent, s’envolent et revolent, tant les bourrasques sont fortes. A chaque halte, que ce soit pour se reposer, déjeuner ou bivouaquer pour la nuit, les éclaireurs sont dévorés par des nuages entiers de « midges », petits moustiques écossais qui se collent à eux et les démangent à se gratter jusqu’au sang. Seuls le vent et la pluie permettent d’y échapper. Les garçons sont contraints de prendre leurs repas, la tête et les jambes calfeutrées sous leurs ponchos pour ne pas être piqués. De temps à autre, un bras en sort à la vitesse d’un éclair le temps de passer une boîte de sardines à son voisin. Les patrouilles dressent leurs tentes près d’un bois : l’offensive des « midges » est telle, lors du dîner, que les éclaireurs se retranchent d’abord dans leurs tentes, puis dans leurs sacs de couchage en prenant soin de se protéger la tête, les « midges » s’infiltrant à travers les moustiquaires. Un raid effréné sur les bords du Loch Ness conduit la troupe à son camp fixe de deux jours sur les hauteurs du lac. L’opération se déroule en partie dans les ruines du château d’Urqhart. Certains en profitent pour faire un brin de toilette et de vaisselle dans les eaux du lac. 105 VOILÀ PASSY PASSÉ Lors de la seconde marche qui dure quatre jours, la troupe part du Loch Ness et rejoint Kyle of Lochalsh en face de l’île de Skye sur la côte ouest. Halte est faite près d’un barrage pour une nuit. Thomas Girodot et Fabien Mirabaud s’amusent à rabattre un troupeau de moutons vers le bivouac pour effrayer les éclaireurs. Le lendemain, la troupe est attaquée dès l’heure du goûter par une nuée de « midges ». Les chefs prennent alors le parti de monter le camp pour la nuit au sommet d’une colline, car le vent y souffle fort, épargnant ainsi les éclaireurs des piqûres de « midges ». La tente des Chiens, vieille d’onze ans, n’a plus qu’une porte qui ferme, plus de piquet central et neuf éclaireurs y dorment – la tente n’ayant que huit places et un tapis de sol de six places. Le vent est insupportable durant la nuit. La tente manque de s’envoler à chaque instant, ayant été malencontreusement montée dans le sens du vent. Des rafales de vent et de pluie s’engouffrent par la porte ouverte, éclaboussant tant et plus les éclaireurs de ce côté de la tente. Le double toit s’envole, la tente est de plus en plus secouée. Le dernier de patrouille essaye de la replanter à l’aide de couteaux et de fourchettes. En vain. Deux éclaireurs, trempés, sont maintenant debout à l’extérieur tentant de retenir le tout pour éviter qu’il ne se démâte. Rien à faire, la patrouille termine la nuit à la belle étoile. La nuit suivante, trois tentes sont montées en file indienne, celle des Chiens au milieu pour l’isoler. Le résultat est catastrophique : n’ayant que deux portes en tout et pour tout pour une vingtaine d’éclaireurs, toutes les affaires sont piétinées et souillées de boue. Les éclaireurs comprennent à ce camp qu’il est possible de marcher les pieds dans l’eau à travers les landes des dizaines de kilomètres et de se coucher dans un sac de couchage trempé comme une éponge. Les chefs ne restent à la tête de la troupe qu’une année ou deux. Ce sont Pierre-Edouard Heilbronner (1994), Michaël Jannin (1995-1996), Fabien Mirabaud (1997), Alexandre Hemery (1998), Egide Brunet (été 1998) et Frédéric Rivain (1999). Alors que la troupe campait sans exception à Pâques et en été depuis ses débuts, elle ne connaît désormais plus que des camps d’été. C’est une partie de la vie de Passy qui se perd, celle des camps de Pâques 106 1990-1999 frais et humides où la nature est encore endormie, celle où il fait bon de s’approcher d’un grand feu pour se réchauffer après s’être lavé, torse nu, dans l’eau glacée de la rivière. Seuls deux camps de haute patrouille sont organisés à Pâques 1996 et 1997. Le premier dans les Vosges et le second à l’Ile d’Oléron. Les éclaireurs ne sont pas tous parisiens. De nombreux garçons habitant la province rejoignent la troupe aux vacances d’été, gage de la qualité du scoutisme pratiqué à Passy. Ceux-ci ne participent guère aux réunions et sorties de l’année, ce qui crée parfois des difficultés pour trouver leur place au sein de patrouilles aux rangs déjà bien établis. Au camp d’été 1994, les éclaireurs prennent le large pour un camp à voiles en Bretagne. Ils apprennent la navigation sur des dériveurs et des catamarans et entreprennent un raid de deux jours le long des côtes bretonnes, passant la nuit sur une plage. Les éclaireuses campent dans le Vercors à proximité de la troupe l’été 1995. Une fois de plus, le camp est dominé par un mât de troupe, plus perfectionné encore que les précédents : deux immenses pyramides en bois, imbriquées l’une dans l’autre, reposent en équilibre sur deux uniques piliers de soutènement ! C’est au camp de l’année suivante que les belles plates-formes d’antan revoient le jour au château de la Calvinière (Maine-et-Loire). Les patrouilles reprennent le goût du vrai froissartage, celui qui ne comporte ni clou ni lien, mais de beaux assemblages. C’est un camp à vélo. La course des vingt-quatre heures est interrompue après dix-huit heures, les organisateurs étant trop fatigués pour tenir le compte des tours. Toute la troupe se rend au bal populaire de Noyant le 14 juillet. Passy s’en va à la découverte de la chaîne des Puys d’Auvergne l’été 1997. La marche est soutenue, les éclaireurs fournissent le meilleur d’eux-mêmes pour affronter la montagne. Fatigués, ils tardent à se lever le matin malgré le signal du clairon et ce n’est bien souvent qu’un quart d’heure plus tard, lorsque le petit déjeuner est prêt, qu’ils bondissent de leurs sacs de couchage, s’habillent en hâte et courent lacets dénoués, boutons de chemise décalés, à la table de troupe. 107 VOILÀ PASSY PASSÉ Pour remédier à ces négligences, Albin Bousquet, chef adjoint, imagine la légende de « Superscout » dont les apparitions impromptues en uniforme permettent de donner l’image d’une tenue « im-pec-ca-ble » et de rhabiller les éclaireurs défagotés ! En voici une illustration : dernier jour du camp, dernier petit déjeuner. Surprise des éclaireurs. Devant eux apparaît « Superscout » (Albin Bousquet en parfait uniforme et muni d’une cape) qui s’exclame : « Rentre ta chemise dans ta culotte de velours » ; « Roule ton foulard correctement »… Les ordres fusent pour chacun et même les chefs sont pris à parti. Enfin, « Superscout » disparaît. Un chef de patrouille témoigne : « Qui est-ce, celui-là ? Il a remis ma patrouille en uniforme « im-pec-ca-ble » en cinq minutes, chapeau ! ». Frédéric Jannin, promu chef du groupe local de Passy, profite du premier numéro tout en couleurs du journal « Rouge et Vert » de Noël 1997 pour souligner les divers atouts qu’un éclaireur peut tirer d’une participation active et régulière à la vie de la troupe de Passy : « Etre louveteau, éclaireuse ou éclaireur à Passy, qu’est-ce que cela signifie ? C’est avant tout une formidable aventure dont vous êtes le héros ! Citons en vrac : descendre une rivière avec des radeaux faits maison, traverser la Corse à pied, voir un lever de soleil du sommet du mont Aiguille, descendre en spéléo au fond d’une grotte, construire un village dans les arbres, naviguer au large de Belle-Ile, gagner à ski des refuges d’altitude à la nuit tombante, voir la brume matinale se dissiper sur les eaux noires du Loch Ness… C’est aussi une aventure humaine, vers les autres, vers soi-même. Nos valeurs sont celles de la foi chrétienne mais notre groupe reste fidèle à une tradition fortement œcuménique. Notre mode de fonctionnement est fondé sur la vie en communauté. L’unité (meute, troupe, compagnie) représente une cellule sociale alors que l’équipe (sizaine, patrouille, clan) constitue un noyau plus familial. Une des richesses du scoutisme repose sur la possibilité de réfléchir à sa place et à son rôle dans cette vie communautaire à deux vitesses. La découverte de l’autre constitue bien une magnifique aventure. Mais l’aventure spirituelle ne s’arrête pas là. Les activités des unités vous 108 1990-1999 permettent de découvrir en vous-même ce dont vous n’aviez même pas idée : vos goûts, ce qui vous motive, vos limites, vos passions. La beauté de cette aventure, c’est que ce n’est pas celle d’un livre ou d’un film. C’est une aventure dont vous êtes le principal héros. Au-delà des moyens mis en œuvre pour l’atteindre, l’objectif avoué et ultime du scoutisme à Passy est de vous aider à devenir de jeunes adultes autonomes, solidaires et responsables. Le mot de la fin sera « héros ». Il n’est pas toujours facile d’être un héros dans la vie quotidienne, à l’école… A Passy, durant les camps, lors des sorties, vous serez un héros. Un héros le temps d’un grand jeu ou un héros pour toujours : c’est en tout cas ce que vous lirez dans le regard des plus jeunes qui se lèveront vers vous. Signé, Frédéric Jannin ». La troupe se rend dans le Jura au mois d’août 1998. Le cadre est superbe : un cirque, une forêt de sapins, un lac. Les garçons admirent chaque matin le voile de brume qui se dissipe au-dessus de l’eau. Les éclaireurs, armés de scies et de haches, préparent à la sueur de leur front leurs installations de patrouille, répétant des gestes séculaires. Ce n’est pas sans envie qu’ils regardent leur hôte manier avec dextérité et rapidité une tronçonneuse pour entretenir ses bois. Le lieu de camp a un tel succès que les louveteaux de Passy y camperont en 1999 et que les éclaireuses le réserveront pour l’année suivante. A la rentrée de septembre 1998 naît l’idée d’imprimer un « Rouge et Vert » sur le camp, mentionnant les participants, les rapports des patrouilles et les résultats du concours de camp. Préparé par les chefs, il est distribué aux intéressés lors de la réunion de projection des diapositives à l’automne. Passy est l’une des rares troupes à avoir participé tous les ans au concours régional de Trivaux. Au printemps 1999, la « fidèle » patrouille des Chiens se classe troisième au concours des patrouilles. En juillet 1999, un camp en radeau se déroule dans l’Aveyron. Dès leur arrivée, les patrouilles s’affairent à la construction de leurs embarcations sur une plage de galets le long du Tarn : formés d’un châssis de bois composé de quatre troncs assemblés par des méplats, 109 VOILÀ PASSY PASSÉ un épais brelage à chaque coin et recouverts d’un platelage de planches clouées, les radeaux reposent sur des chambres à air de tracteur. Les éclaireurs armés de pied en cap – gilets de sauvetage, casques et pagaies – appareillent pour une descente des gorges du Tarn de plusieurs jours. Le radeau des Castors se retourne à trois reprises le premier jour. Les Wapitis perdent deux heures à franchir un barrage. Ils sont ensuite pris dans un rapide qui les balaie contre un arbre. La troupe bivouaque chaque nuit sur les rives, notamment près de Paulhe, de Peyre, de Saint-Rome-du-Tarn ou encore du Viala. Outre des batailles d’eau, les éclaireurs s’affrontent à la soule et autres joutes dans la rivière. Réunie au cimetière de la Villette le vendredi 13 août 1999, la troupe de Passy et ses anciens éclaireurs rendent un dernier hommage à Michaël Jannin, ancien chef de troupe, brutalement disparu durant les vacances d’été. Quelques lignes préparées par Fabien Mirabaud sont lues avec émotion. Les éclaireurs chantent le « Cantique des Patrouilles ». Une couronne de feuillages verts et de fleurs rouges est déposée sur sa tombe et le drapeau de troupe est étendu sur la table des registres de condoléances. Passy est la dernière troupe à porter une chemise d’uniforme beige, fidèle à ses aînés. Celle-ci est pourtant remplacée par une chemise verte en novembre 1999. Il ne manque désormais plus qu’une culotte d’uniforme rouge pour assortir la tenue de Passy aux couleurs de son foulard. 110