Voilà Passy - Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France

Transcription

Voilà Passy - Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France
1950-1959
L’automne 1950 voit les deux troupes de Passy refondues en
une seule, Passy II. Philippe Leroy (1951) et Philippe Jordan (1952)
sont chefs. La troupe comporte les deux patrouilles de Passy I (Albatros
et Grizzlys) et les deux patrouilles de Passy II (Chiens et Castors). La
patrouille des Wapitis est dissoute, mais sera reformée en octobre 1951.
Les nombreux récits d’aventure « Signe de Piste » illustrés par
Pierre Joubert marquent les chefs qui s’en inspirent pour préparer tous
leurs grands jeux. Dès lors, à chaque camp correspond un grand jeu à
thème qui se prolonge parfois pendant plusieurs jours, voire durant tout
le camp, à tel point qu’ils sont qualifiés de véritables « opérations »
en raison de la complexité de leur mise en œuvre par les chefs et de
l’intensité des émotions qu’ils suscitent chez les éclaireurs.
61
VOILÀ PASSY PASSÉ
L’un de ces premiers grands jeux donne le ton du camp de Pâques
1952 au Lude (Sarthe). C’est l’histoire des « Emouchets » : les éclaireurs
d’une autre troupe se font passer pour des garçons de ferme et traquent
en commando à leur insu les différentes patrouilles de Passy parties en
exploration pour trois jours.
Voici l’histoire. Le jour du départ en exploration, les éclaireurs
trouvent avec étonnement un petit bout de papier avec une plume rouge
disant : « Nous ne voulons pas d’éclaireurs ici ». Grande rigolade. Une
heure plus tard, nouveau petit papier : « Les éclaireurs, ils commencent
à nous casser les pieds ». Le soir, à l’étape, les garçons n’y pensent déjà
plus. Mais, alerte : la grange dans laquelle ils s’apprêtent à dormir est
enfumée. Ce n’est qu’un inoffensif pétard fumigène avec un petit papier
signé d’une plume : « Premier avertissement ». Le lendemain, les chefs
de patrouille calment leurs garçons qui ne sont pas rassurés. Ils croisent
souvent sur leur route de petits paysans qui vont à bicyclette, dont l’un
jette un petit papier. Le soir, alors qu’ils sont couchés dans une grange, un
boucher et ses aides viennent leur dire de décamper, prennent leurs sacs et
les vident en disant : « Si dans un quart d’heure vous n’avez pas décampé,
nous allons vous faire fuir par la force ». Les éclaireurs ont la frousse. Le
surlendemain, de plus en plus, les chefs de patrouille doivent calmer leurs
gars. Rien de la journée, ils en sont tout étonnés. Ils se couchent dans une
grange. Le matin suivant, grande conversation : le dernier a disparu. Le
chef de patrouille décide de rentrer au camp.
Toutes les patrouilles arrivent au lieu de camp les unes sans
chapeau ni foulard, les autres sans ceinture, avec les culottes attachées par
des ficelles ou les sacs à dos vidés ; et dans chaque patrouille, il manque
une ou deux personnes. Le chef de troupe en est avisé.
Des recherches sont alors entreprises pour retrouver les éclaireurs
kidnappés. Au bout de cinq heures, la troupe découvre une clairière
abandonnée avec une vieille maison barricadée. Surprise désagréable :
Passy y est reçue à coup de sacs de plâtre, bombes à eau, coups de
badines et chardons. Après un quart d’heure de grosse bagarre, le chef des
brigands pousse un cri et dit : « Je vous présente la troupe de Scouts de
France d’Orléans ».
62
1950-1959
Les éclaireurs campent à Bebenhausen (Allemagne) pour le camp
d’été 1952. La troupe est divisée en deux camps pour les besoins de
l’opération qui oppose durant plusieurs jours trappeurs et Indiens.
Les surnoms distinguant respectivement les deux troupes de
Passy I et II depuis les années trente correspondent parfaitement aux
enjeux de cette grande manœuvre : « Passy-Nord » joue le rôle des
chasseurs du nord et « Passy-Feu » celui des indigènes ; d’autant plus que
la forêt est sauvage, des cerfs, des biches et des sangliers n’hésitent pas à
se montrer ! Les patrouilles s’y sont préparées durant l’année : recherches
documentaires sur leurs modes de vie, fabrication de véritables costumes
suffisamment solides pour être portés six jours consécutifs…
Le « Clan du Feu » vit donc à l’indienne dans des « tipis » de
toile cousus par les éclaireurs et cuisine sur des feux allumés à l’intérieur.
Daniel Hénon, leur grand chef, porte une superbe parure de plumes.
Le « Clan du Nord » construit un immense fort entouré d’une
palissade en rondins et se nourrit de méchouis, sous la direction de
Philippe Jordan.
L’attaque finale consiste pour les Indiens à assiéger les trappeurs
réfugiés dans leur fort, à coups de garruche. La garruche n’est autre que
le foulard de troupe déroulé et entortillé, au bout duquel un gros nœud est
tressé. L’autre extrémité du foulard dans la main, il suffit de porter des
coups de garruche à son adversaire, qui ne sont pas toujours sans douleur.
Certains éclaireurs s’amusent, en effet, à dissimuler des cailloux dans le
nœud, pratique peu loyale et rigoureusement interdite.
La troupe redémarre à bloc à la rentrée 1952 avec plus de
cinquante éclaireurs. Il est alors prévu de détacher quelques patrouilles
de la troupe unique de Passy II (« Passy-Feu ») pour faire renaître l’extroupe de Passy I (« Passy-Nord ») – tel que le camp d’été en avait marqué
les prémices, mais il n’y a pas suffisamment de chefs adjoints.
Le groupe local de Passy tient à l’ouverture d’esprit qui a toujours
été la sienne. Un même accueil enthousiaste est réservé à tout garçon qui
souhaite rejoindre la troupe, qu’il appartienne à la paroisse ou vienne de
l’extérieur. La diversité de confession et de milieu social est considérée
comme une richesse.
63
VOILÀ PASSY PASSÉ
Il faut donc attendre le printemps 1953 pour voir Passy
comprendre à nouveau deux troupes.
Côté chefs, Passy I est dirigée par Philippe Jordan (1953) et
Passy II par Daniel Hénon (1953-1954), Philippe Malher (été 1954),
Pierre Frantz (1955-1956), Vincent Chambaud (1958). Côté patrouilles,
chaque troupe en comporte quatre : les Albatros, les Panthères, les
Grizzlys et les Ecureuils à Passy I ; les Chiens, les Castors, les Crocodiles
et les Wapitis à Passy II.
Il est décidé d’établir, au camp de Pâques 1953 à Château-Renault
(Indre-et-Loire), un record : toute la troupe de Passy II doit vivre vingtquatre heures sur des plates-formes, avec les tentes et la cuisine dans les
arbres. Les plates-formes de toutes les patrouilles sont construites à la
même hauteur – à deux mètres au-dessus du sol – et sont reliées entre
elles par des ponts de singe, faits de quantité de cordes et de lassos.
Jean-Louis Dumas s’amuse à faire sur l’un des ponts de cordage des
acrobaties périlleuses sous les regards de ses camarades et tombe à terre
avant l’heure. Dès lors, le record n’est homologué que pour vingt-deux
heures cinquante-sept minutes ! De son côté, la troupe de Passy I décide
de faire de même non pas dans les airs, mais sur les eaux d’un lac en
Sologne, sur des radeaux.
L’uniforme de troupe change progressivement de couleur : les
chemises kaki et les culottes courtes bleues sont remplacées à Passy par
des chemises beiges et des culottes marron. Le changement s’effectue
progressivement au fil des nouveaux arrivants.
Les éclaireurs de chacune des troupes portent le foulard
différemment : le rouge du côté droit à « Passy-Nord », le rouge côté
cœur à « Passy-Feu » ; ce qui permet de rattacher d’un coup d’œil un
éclaireur à sa troupe. Gare à celui qui met son foulard à l’envers, car il
y a toujours une certaine émulation entre les deux troupes : une réunion
du mercredi avec « Passy-Nord » sur les bords de la Seine s’achève par
un commentaire des éclaireurs de « Passy-Feu » : « Les clochards étaient
avec nous ».
De même, le journal de troupe « Vert et Rouge » inverse ses
couleurs. Il prend pour nouveau titre « Rouge et Vert ».
64
1950-1959
Le camp d’été 1953 au Seba (Aude) est l’occasion de nombreuses
olympiades individuelles : un éclaireur par patrouille est désigné à tour de
rôle pour relever les défis qui ont lieu quotidiennement.
Lorsqu’il fait très froid, les éclaireurs ne s’en vont plus dans
les bois jouer à la thèque ou confectionner des herbiers mais restent au
local, meilleur moyen de résister aux basses températures. Ils y trouvent
toujours des occupations : se rendre utiles en aidant la concierge à
nettoyer la cour ou jouer en se partageant en deux camps qui se disputent
une barricade au milieu du local en une grosse bagarre à coups de
garruche. Mais le grand jeu dans la cour de la rue Lekain, ce sont les
parties de ballon-prisonnier qui ne durent guère plus d’un quart d’heure,
le temps que la concierge intervienne. C’est aussi l’occasion d’y défier
les éclaireuses, dont les éclaireurs sont généralement tenus à l’écart alors
même qu’ils aiment à se rencontrer. De même, lorsque les sorties ne
peuvent avoir lieu, les éclaireurs profitent des réunions du jeudi aprèsmidi pour fabriquer de menus objets, tels des ronds de serviette, ou
préparer des confiseries et des pruneaux séchés à vendre à l’entracte
de la fête du groupe local qui se tient, au mois de février, salle Adyar.
Les beaux jours retrouvés, la troupe sort faire des chasses à l’homme,
jouer à la soule et à la thèque, pique-niquer dans les jardins ou forêts
environnants et va même jusqu’à couper du bois qu’elle rapporte au local
pour construire des bancs en froissartage afin de meubler les coins de
patrouille. Le froissartage est la technique qui consiste à assembler des
morceaux de bois à l’aide d’instruments simples (scie, ciseau à bois et
vilebrequin) en faisant des méplats, des tenons et des mortaises…
L’idée de l’opération des « Emouchets » est reprise pour le camp
de Pâques 1954, mais les rôles sont cette fois-ci inversés. Passy joue
les garçons de la région et s’entraîne de pied ferme pour traquer les
patrouilles de la troupe du Luxembourg durant leur exploration. Les
éclaireurs perfectionnent la discrétion de leurs manœuvres d’approche et
apprennent à kidnapper. Daniel Hénon leur montre le système : clé au
bras, bâillonner et le tour est joué.
Parés pour le camp, des émouchets de Passy sont envoyés pour
repérer la grange qu’occupe la troupe du Luxembourg et la dépassent, l’air
65
VOILÀ PASSY PASSÉ
de rien. Passy attend minuit, passe par-dessus les fils barbelés et arrive à
proximité de la grange où sont couchés les éclaireurs. Malheureusement,
des vaches sont dérangées et font un « potin » de tous les diables. Daniel
Hénon décide de foncer. Les chefs enfoncent la porte et se précipitent en
disant : « Sortez de là, levez-vous et mettez-vous contre le mur ! ». Tous
obéissent. Pendant ce temps-là, Passy vide les sacs et prend les foulards,
chapeaux et lacets de chaussures.
Passy prépare ensuite sa défense dans sa grange : mur de trois
mètres d’épaisseur fait de souches d’arbres traînées jusque dans la grange,
cent litres d’eau montés périlleusement en haut de la tour de garde, sacs
de plâtre... Grande attaque. Au bout d’une heure, la troupe descend de ses
barricades et attaque à terre à armes égales. Mais, tout d’un coup, le cri
de Passy retentit : « Clan-du-Feu, Es-say-ons ! ».
Passy bivouaque sous l’orage durant son exploration de troupe de
l’été 1954 dans le Vercors. Après avoir été emporté par une crue, un pont
en bois à l’usage de la population locale est entièrement reconstruit par
la troupe. L’intendant, Pierre Marty, rapporte sur le porte-bagages de sa
bicyclette un grand cageot d’épinards pour toute la troupe. Cuits, il n’en
reste plus qu’une cuillère à soupe par éclaireur !
Deux éclaireurs de Passy, Daniel Gagnier et Jean-Paul Latty, sont
sélectionnés pour participer au Jamboree d’été 1955 au Canada.
La patrouille des Crocodiles remporte la quarantième édition
de Trivaux le 30 avril 1956. Les Chiens sont troisième et les Wapitis
quatrième.
Passy campe en Autriche l’été 1956. Un grand jeu oppose les
Zoulous aux Boers, pour faire revivre les guerres africaines du siècle
dernier ; alors que les Zoulous sont dissimulés dans les bois barbouillés
de noir, les Boers construisent un fort au bord du lac Höfner…
Six jours intenses que relate le grand sorcier zoulou : « 16 juillet.
Les Zoulous établissent leur camp en pleine montagne. 17 juillet. Au
petit matin, le grand sorcier des Zoulous réveille ses frères au tam-tam,
lesquels se présentent en tenue « zoulou » du dernier chic. A midi, les
huttes de branchages et de fougères, dans lesquelles ils vont vivre pendant
six jours, sont en voie d’achèvement. Le rapport secret des guetteurs, qui
66
1950-1959
viennent de rentrer, signale que les Boers sont en pleine activité : Pierre
Frantz et Michaël Schmittzehe dirigeant la place, ils construisent un fort à
l’aide de solides troncs. Ni clou, ni ficelle, tous les brelages sont en fil de
fer. La soirée se termine chez les Zoulous par le dressage du mât-totem,
poteau de torture magnifiquement sculpté et peint, et par des danses et des
chants.
18 juillet. A peine debout, c’est la cérémonie des grandes
peintures : tous les Zoulous sont plus ou moins bariolés selon leur
grade. Les grands chefs sont de vrais tableaux vivants. A quinze heures,
toute la tribu descend vers le fort boer, presque terminé, pour dire à ses
occupants de l’évacuer sans délai. Un chemin de ronde intérieur permet
aux défenseurs de dominer les assaillants. Malgré de longs palabres, rien
n’est conclu entre les différents chefs. Une délégation boer se rend au
village zoulou le lendemain.
19 juillet. La guerre paraît inévitable. Les Zoulous mènent leur
première attaque. Le fort semble devoir tenir le coup, bien qu’il soit faible
du côté de la porte. Le combat se fait à main plate, à la garruche. Les
Zoulous se retirent avec un prisonnier.
20 juillet. Nouvelle attaque de toute la tribu zoulou à une heure
du matin. Bien qu’il y ait un veilleur dans le fort, les Boers sont surpris :
ils n’osent pas sortir et reçoivent, encore endormis, quinze ou vingt seaux
d’eau sur la tête. A trois heures et demie du matin, troisième attaque :
silencieux jusqu’au pied du fort, les Zoulous surgissent soudain avec des
cris de guerre, tam-tams, hurlements. Il y a, cette fois-ci, un peu plus
de mordant du côté boer. De petits groupes ne cessent d’harceler le fort
durant toute la nuit. Les Boers réagissent et font deux prisonniers. Les
Zoulous se procurent un appareil « blanc », un réveil, qui leur est fort utile
pour déclencher des attaques toutes les heures !
21 juillet. Minuit trente. Neuf Zoulous sont cachés tout près du
fort. Harassés après deux attaques successives en une heure de temps, ils
s’endorment pour un court sommeil en se fiant à l’appareil des Blancs.
Mais il ne sonne guère et ce n’est qu’à cinq heures du matin qu’ils
ouvrent l’œil… parce que le reste de la tribu, descendant à toute vitesse,
vient les appeler à la rescousse ! Leur village est attaqué par les Boers
67
VOILÀ PASSY PASSÉ
qui font plusieurs prisonniers et remplacent le poteau de torture par une
croix. Le vent de la défaite semble souffler sur les têtes zoulous. La tribu
se rassemble et se lance dans une attaque du fort de grand style. Tout le
monde est survolté. Les Boers, qui ont veillé toute la nuit, ne tiennent plus
sur leurs jambes, mais se défendent d’arrache-pied. Les pétards fusent,
les coups de garruche pleuvent. Soudain, Vincent Chambaud bondit à
l’intérieur du fort, arrache le drapeau boer et proclame : « Il n’est plus
utile de se battre, soyons frères et vivons dans la paix plutôt que dans la
guerre puisque nos forces semblent équivalentes ».
La première pierre de l’alliance Boers-Zoulous est posée à neuf
heures du matin. Le soir, un festin de réconciliation avec, comme pièce
maîtresse, un mouton entier cuit à la braise, est accueilli avec chaleur,
bien que froid et pas très, très cuit. Signé, Jean-Louis Dumas ».
La paix revenue, le camp se poursuit encore pendant une vingtaine
de jours. La troupe fait une halte à Vienne et en Yougoslavie sur le chemin
du retour en France.
Chaque année, les éclaireurs font une veillée de Noël au local.
Les garçons se joignent volontiers à la fête, mais plus difficilement à ses
préparatifs : « A l’instruction religieuse, contrairement à l’habitude, je
faisais des vœux pour que le pasteur nous retienne le plus possible, je
pourrais ainsi arriver en retard à la veillée et toutes les corvées seraient
faites. Je traînais le plus possible dans la rue et j’arrivais au local :
amère désillusion ! Signé, Eric Flaissier ». Le dîner est accompagné de
nombreux chants pour essayer de recréer l’ambiance d’un feu de camp,
certes sans flammes, et se termine par un « plum-pudding » ou une bûche
de Noël. Les patrouilles font aussi une bonne action de Noël en allant
visiter chacune une famille démunie et en leur apportant des oranges, du
sucre, des gâteaux ainsi que des cadeaux pour les enfants.
Durant ces années, plusieurs chefs épousent des cheftaines de
Passy. Cet heureux phénomène est d’ailleurs courant au sein du groupe
local.
Les chefs, constatant qu’ils forment une « patrouille de chefs »,
la baptisent « patrouille des Kangourous » et adoptent la devise « Pensent
à tout ». Il ne s’agit pourtant pas d’une patrouille comme les autres.
68
1950-1959
Un concours d’eau bouillante de mai 1957 consiste à utiliser
le moins de bois possible. Un éclaireur de la patrouille victorieuse doit
réciter par cœur et sans faute la loi de l’éclaireur pour recevoir le lot
surprise, une pharmacie de patrouille.
En arrivant au camp d’été 1957, les éclaireurs prennent leurs sacs
et gravissent un chemin tortueux le long d’un torrent caché par des herbes
en face du cirque de Nibousou (Tarn-et-Garonne). Ils hissent le drapeau
de troupe sur la corniche qui domine l’ensemble du cirque.
La construction par les patrouilles de plates-formes sur lesquelles
reposent leurs tentes est facultative. Néanmoins il y a toujours une ou
deux patrouilles qui souhaitent se démarquer. Cet été 1957, deux platesformes sont édifiées. La première par les Castors est si large qu’il est
possible de tourner autour de la tente à pied. La seconde par les Chiens :
le bois est coupé au bas du cirque et hissé de soixante-quinze mètres
au-dessus du fond du cirque par une pente de quarante-cinq degrés pour
construire la plate-forme. La structure faite, les barres latérales sont
montées. La spécificité de cet assemblage est que la plate-forme doit être
horizontale alors que le terrain est en forte pente. Elle repose d’un côté
sur le sol et de l’autre sur deux arbres. Le platelage est fait à l’aide de
planches. Depuis leur tente, les Chiens dominent tout le cirque et sont
éclairés par les rayons de soleil jusqu’à la tombée de la nuit. Le résultat
en est des nuits excellentes sur cette tente surélevée.
Lors de l’opération contre la troupe de l’Oratoire, Passy se
retranche dans une grotte à flanc de falaise entre stalactites et autres
stalagmites pendant deux jours. Afin d’éviter que la troupe adverse
n’assiège la caverne, Passy aménage un accès unique à la grotte nécessitant
de grimper par des cordes et des lassos.
Chaque matin de camp, la « cloche à balourdises » est décernée
à l’éclaireur qui a été la veille l’auteur de la meilleure ou du plus grand
nombre de balourdises. L’éclaireur désigné doit la porter autour du cou,
telle une vache, jusqu’au lendemain matin. Gilles Peugeot établit un
record en la remportant cinq fois au camp d’été 1957.
Le camp de Pâques 1958 se passe sous la neige à Rots (Calvados).
La température est inférieure à zéro, mais la troupe entière reste fidèle aux
69
VOILÀ PASSY PASSÉ
culottes courtes. Eric Flaissier, chef des Castors, se promène des sacs en
plastique autour des pieds. Tous les repas sont préparés et pris en troupe à
l’intérieur du marabout des chefs, tant il fait froid et humide. L’intendant
a la mauvaise idée de rapporter un matin une sorte de poisson requin
d’un mètre de long pour le déjeuner : le bois est tellement humide que la
tambouille n’est prête qu’à six heures du soir. Quant au feu de camp, il
est impossible de le faire démarrer à l’aide de papier, si bien que les chefs
vont acheter cinq litres d’essence. Ce n’est qu’après quinze ou vingt litres
et trois heures d’essais ininterrompus que le feu daigne enfin prendre.
Les chefs ne manquent pas à l’issue de chaque camp d’enterrer
dans le trou laissé par le démontage du mât de troupe une bouteille de
verre – imputrescible – contenant la liste de tous les participants au camp,
qui ne sera certes peut-être jamais retrouvée… mais qui a néanmoins plus
de chance d’être conservée que des archives de patrouille quelquefois
bien utiles pour allumer un feu…
Daniel Gagnier (1959) est chef de troupe. Il met au point une
activité marquante lors d’une sortie dominicale : un avion parti de
l’aéroport de Toussus-le-Noble et piloté par d’anciens de la troupe
parachute sur les bords de la Seine, au-dessus des bois, des négatifs
photographiques ainsi que du matériel de tirage ; à charge pour les
éclaireurs de tirer les clichés dans le village voisin.
Le camp d’été 1959 commence par une marche de quatre jours
sous le soleil. Un bain de mer rafraîchit la troupe à Saint-Jean-de-Luz et
un après-midi de repos efface toute marque de fatigue avant le camp fixe
à Oiquina (Espagne).
70
1960-1969
Les chefs de troupe sont Etienne Akar (1962) à Passy I et Daniel
Gagnier (1960), Joël Rouet (1961-1962-1963) à Passy II. La petite troupe
de Passy I, dotée tout au plus de trois patrouilles, fonctionne discrètement
aux côtés de sa grande sœur, Passy II, qui est plus dynamique.
En plein camp de Pâques 1960, un avion militaire à réaction
s’écrase à quelques centaines de mètres du coin de troupe au milieu des
arbres. Les patrouilles sont réquisitionnées pour aider à ratisser la forêt
afin de récupérer le pilote, qui sera malheureusement retrouvé sans vie
le lendemain. L’histoire des « Emouchets » est reprise pour la troisième
fois depuis 1952 : cette fois-ci, ce sont les éclaireurs de la troupe du
Luxembourg qui, déguisés en faux paysans, attaquent les patrouilles de
71
VOILÀ PASSY PASSÉ
Passy en exploration en opérant des enlèvements… jusqu’à une grande
bataille finale.
A Trivaux 1960, les Castors se classent premier, les Chiens
second, les Wapitis quatrième et les Crocodiles sixième.
Une réunion de troupe du mercredi soir commence par un « quitte
ou double » récompensé de sucettes, agité et fort excitant, suivi d’un dîner
et se termine par un « rassemblo » dans la cour de la rue Lekain. La troupe
y apprend un chant, dans la nuit, à la lueur des torches.
Les chefs sont à court d’argent de troupe au camp d’été 1960
dans la Haute-Ardèche. Ils préparent une « opération bouffe » : « PassyNord » et « Passy-Feu » séparées en deux camps, les intendants apportent
deux fois par jour un ravitaillement qui ne permet de satisfaire à l’appétit
que d’un seul camp ; ce qui autorise les chefs à faire des économies.
La première équipe qui parvient à s’approprier la « bouffe », tout en se
défendant à coups de garruche, peut alors se rassasier à son aise. Victime
de ce petit jeu, la troupe de « Passy-Feu » est condamnée à cueillir des
myrtilles dans les bois pendant vingt-quatre heures.
A défaut d’avoir trouvé à neuf heures du soir une grange pour
dormir lors de son exploration, la patrouille des Crocodiles s’accommode
d’une baraque en planches qui sert de dépôt à une scierie plus ou moins
abandonnée. La bicoque est transformée pour la nuit avec quelques
aménagements : planches replacées, trous rebouchés, deux tapis de sol
tendus.
La veillée de Noël clôt l’année 1960. Dernière veillée de la
troupe dans son cher vieux local de Passy depuis 1912 qu’il faut
quitter. L’immeuble de la rue Lekain doit être démoli. Les louveteaux
bénéficient d’un local au temple de la rue Roquépine (8ème), alors que
les éclaireurs se contentent d’entreposer le matériel de troupe dans des
caves d’immeuble mises à leur disposition par les parents de Jean-Paul
Enjalbert, rue Vaneau (7ème), et de Jean-Marc Granjon, rue Eugène
Manuel (16ème).
Un camp national au Malzieu (Lozère) en juillet 1961 rassemble
l’ensemble des Eclaireurs Unionistes de France. La patrouille des Chiens,
dirigée par Gilles Peugeot, se classe quarante et unième et, surtout, bat
72
1960-1969
le record de vitesse de montage de tente en trente-deux secondes. Les
Castors ont la cinquante-sixième place. La troupe de « Passy-Feu » bat
celle de l’Etoile à la thèque par douze à quatre.
Ne disposant pas de lieu de réunion, le groupe local de Passy
fléchit durant les années de construction du nouvel immeuble de la rue
Lekain. En conséquence, la troupe de Passy I est définitivement dissoute à
l’issue du camp d’été 1962. Ses derniers représentants sont rassemblés en
une unique patrouille de Passy II, les Isatis. Dès lors, Passy ne comprend
plus qu’une seule troupe, Passy II, dont les Chiens, la plus ancienne
patrouille de Passy, font toujours partie.
La compétition entre les deux troupes ne disparaît pas pour
autant. Après une partie de thèque contre les Isatis, leurs vainqueurs – les
Wapitis – écrivent dans leur cahier : « Nous finissons par vaincre les
Isatis, les rescapés de l’ex-Passy-Nord ».
Trois anciens éclaireurs meurent en Algérie : Bernard Baume,
Francis Hénon, tués à la guerre, et Maurice Warnier, mystérieusement
assassiné.
A la rentrée de septembre, les chefs organisent des activités
de stade – athlétisme – le dimanche matin, avenue Franchet d’Esperey
(16ème). La participation des éclaireurs y est facultative.
Le vieil autocar Berliet qui emporte la troupe au lieu de camp de
Pâques 1963 s’enlise dans les allées du bois de la propriété. Il faut l’aide
et l’ingéniosité de tous les éclaireurs pour l’en sortir.
Pendant les installations, Pierre Carle essaye de construire une
« corde à virer le vent » à défaut de l’avoir trouvée dans la malle de l’une
ou l’autre des patrouilles. Les éclaireurs plus âgés s’amusent, en effet,
à « promener » les novices dans les différents coins de patrouille à la
recherche d’objets qui n’existent pas.
La table construite par les Chiens est dénommée « table
baignoire » : ses bancs sont à même le sol, les éclaireurs ayant creusé
le terrain sablonneux pour offrir de l’espace aux jambes des convives.
L’intendant obtient de l’épicerie du village voisin d’être livré tous
les jours au camp ainsi qu’une réduction globale de dix pour cent sur tous
les prix.
73
VOILÀ PASSY PASSÉ
Jacques Juillard, chef de la patrouille des Chiens, supprime les
épreuves ainsi que la cérémonie d’admission des nouveaux éclaireurs
dans la patrouille et la remplace par une soirée de bienvenue lors du
camp. Le flot de patrouille leur est remis à cette occasion.
La même patrouille remporte l’édition de Trivaux 1963. Le
trophée est remis à Jacques Juillard. Ce dernier, courant dans le sable pour
regagner sa place dans le gigantesque rassemblement en carré, s’étale de
tout son long sous les regards de plusieurs centaines d’éclaireurs !
Les chefs prennent peu à peu l’habitude d’attribuer un nom à
chacun des camps de Pâques et d’été, non plus seulement en fonction
de leur situation géographique, mais d’une anecdote ayant profondément
marqué la troupe durant le camp.
C’est ainsi que le camp d’été 1963 est baptisé « camp du
Sanley » en raison d’une pénurie de lait. Le chocolat chaud ou les
flocons d’avoine du petit déjeuner sont préparés à l’eau. La construction
de tentes surélevées n’est pas encore systématique, mais il y a toujours
une patrouille qui mène à bien un tel projet : cette fois, ce sont les
Crocodiles.
L’opération dure trois jours. Passy construit un fort entre quatre
arbres à l’aide de troncs, de branches… Seul un discret passage au ras du
sol est prévu, interdisant l’entrée dans le fort à tout ennemi. Les éclaireurs
se relaient par tranches de deux heures pour veiller jour et nuit et assurer
la défense du camp. Le tout Passy, réfugié à l’intérieur, fait l’objet d’une
attaque générale par une troupe de Scouts de France qui ne parviendra pas
à s’emparer du fanion rouge et vert.
« Rouge et Vert » paraît toujours et rappelle dans ses colonnes
que Gilles Peugeot conserve le record de la « cloche à balourdises ».
La troupe installe son bivouac à Pâques 1964 dans un bois, sous
le commandement d’Eric Flaissier (1964), nouveau chef de troupe. Le sol
est déformé par les cratères d’obus de la guerre 1914-1918, des casques
de la guerre y sont trouvés par les éclaireurs.
Il n’existe aucune activité commune entre éclaireurs, éclaireuses
et petites ailes, hormis une grande sortie du groupe local à la fin de
l’année. En revanche, les éclaireurs rencontrent les meutes de louveteaux
74
1960-1969
de Passy, non seulement lors du passage des plus âgés à la troupe au mois
de septembre, mais aussi à Trivaux où les louveteaux sont conviés une
année sur deux, occasion d'une grande « charge » des meutes contre les
troupes.
Au camp d’été 1964, les éclaireurs sont accueillis au son de
la cornemuse à la gare de Belfort par l’intendant écossais, en tenue
d’éclaireur écossais et kilt. Cet intendant ne parle qu’anglais durant tout
le camp. La troupe ne découvre que quelques jours avant de repartir qu’il
maîtrise en fait parfaitement le français. Les installations de patrouille ne
comptent pas pour le concours de camp. « Il n’est plus question d’acheter
de la ficelle pour les installations », disent les chefs. Durant cinq jours,
les éclaireurs apprennent donc tous ensemble le vrai froissartage, celui
qui ne comporte pas de ficelle, mais des trous, des chevilles, des méplats,
des assemblages. La première journée, les patrouilles sont livrées à ellesmêmes. Puis, les chefs vont, à raison d’un par patrouille, les aider et les
instruire durant les quatre derniers jours.
Les « deutés », commodités de troupe, sont inaugurés en
chantant : « Aux deutés (bis), qu’il fait bon y aller (bis). Ah ! quel affreux
tracas quand il n’y en a pas, mais à Passy c’est pas le cas, y en a ».
Ce camp est surnommé « camp de Passy-Vache » en raison d’une
mésaventure des chefs. Le coin des chefs, clos de barbelés, est situé au
milieu d’un pré à vaches. Une troupe inconnue vient couper les fils de
fer, les vaches envahissent le domaine des chefs, piétinant et déchirant les
tentes, laissant des bouses sur leurs affaires pour seule carte de visite. Les
éclaireurs se chargent de venger leurs chefs – sans les en informer – et en
reviennent satisfaits. Les chefs ont-ils su l’objet de cette excursion ?
Une journée est consacrée aux défis entre les patrouilles dans une
spécialité de leur choix. Des records individuels sont remportés pendant
le camp. Tous les jours à une certaine heure, tout éclaireur peut s’attaquer
à ces records, par exemple celui de lenteur à bicyclette sans mettre le pied
à terre bien entendu.
Alors que les anciens locaux de la rue Lekain étaient constitués
d’une maison exclusivement réservée au scoutisme de Passy avec un
étage et une cour, le nouvel immeuble fraîchement édifié pour la paroisse
75
VOILÀ PASSY PASSÉ
n’offre aux unités qu’un sous-sol. La Maison paroissiale se situe au rezde-chaussée et le presbytère dans les étages. Le pasteur Pierre Gagnier
procède à l’attribution des nouveaux locaux en octobre 1964. La troupe
obtient le plus beau local, qui comprend non seulement une vaste pièce
pour la troupe, mais aussi de petits locaux individuels destinés à l’usage
exclusif de chacune des quatre patrouilles d’éclaireurs : Chiens, Castors,
Wapitis et Isatis.
Le pasteur Pierre Gagnier, qui n’a que quelques marches à
descendre du presbytère, vient régulièrement rendre visite à la troupe et
discuter le soir lorsqu’il entend qu’une réunion s’y tient.
Gérard Weisberger (1965) encadre la troupe. Peu avant le camp
de Pâques 1965, les chefs annoncent dans une circulaire aux parents que
le camp est annulé, prétendant que seuls onze éclaireurs sont inscrits.
C’est pourquoi les éclaireurs se joignent à la troupe d’Auteuil pour
camper aussi bien à Pâques que pour l’été 1965, sans aucun chef de
Passy.
Heureusement, André Korn, ancien éclaireur de « Passy-Nord »,
reprend provisoirement la troupe à la rentrée 1965. Il est très vite remplacé
par Marc Dufour (1966). Les effectifs avaient beaucoup fléchi en raison
de l’absence de chef durant deux camps, mais un bon recrutement est
assuré. Ainsi, au camp de Pâques 1966 sur les falaises de la Seine (Eure),
quatre patrouilles composent la troupe, au sein desquelles plus de la
moitié des garçons participe à leur premier camp.
Marc Dufour mène Passy aux Moussières (Jura) l’été 1966. La
troupe et trois patrouilles sont installées dans un petit vallon bordé
d’alpages. Seuls les Chiens construisent leur coin au-delà d’un ruisseau.
Ils se rendent très rapidement compte de l’erreur commise : il pleut dixsept jours sur vingt et le ruisseau se transforme en un torrent qu’il est
impossible de traverser.
Les chefs instituent pour les chefs de patrouille une journée
libre pendant laquelle ils doivent se prendre en charge. Le résultat
est catastrophique : les chefs de patrouille se rendent à Saint-Claude
en auto-stop – pratique formellement interdite aux éclaireurs – et se
retrouvent au poste de gendarmerie quelques heures plus tard pour avoir
76
1960-1969
démoli une balustrade dans le village. Les gendarmes visitent le camp le
surlendemain matin et se mettent tous au garde à vous en apercevant que
la troupe en rassemblement hisse les couleurs au mât de troupe.
Alain Juillard est chef de troupe pour le camp de Pâques 1967
en Champagne au même emplacement qu’à Pâques 1964. Il est remplacé
par André Korn au camp d’été 1967 à Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-etGaronne). Il n’y a que trois patrouilles (Chiens, Wapitis et Crocodiles),
les Chiens et les Castors ayant fusionné car trop maigres. Juste après le
camp, deux éclaireurs (Bernard Esteulle et Pierre Carle) partent pour le
Jamboree de l’Amitié dans l’Idaho (Etats-Unis). Ils y rencontrent lady
Baden-Powell.
Des éclaireurs de Versailles se joignent à Passy pour le camp de
Pâques 1968. Deux d’entre eux, placés chez les Wapitis, prennent le parti
de ne rien faire ; ils ne savent même pas allumer un feu. Après trois jours
de camp, le chef de patrouille perd patience et gratifie l’un d’eux d’un
coup de hache, avec un point de suture à la clef.
En raison des grèves généralisées dans les lycées, en mai 1968,
les éclaireurs sont privés de travail scolaire et s’ennuient. La troupe se
réunit presque tous les jours des mois de mai et juin au bois de Boulogne
pour faire des centaines de parties de soule et de thèque. D’anciens
éclaireurs se joignent à eux. Yan Huckendubler commence même à initier
les éclaireurs aux subtilités du hockey sur gazon.
Le concours de Trivaux 1968 se termine par une remarque d’un
responsable du Mouvement sur les chapeaux de Passy lors de la remise
des trophées : ce n’est plus l’uniforme « qu’il a dit ». Le port de
l’uniforme – tout comme la correction du langage – est, en effet, contesté
par la majorité des troupes « réformistes ».
Dans le Vercors, à l’été 1968, chaque patrouille reçoit pour
mission d’effectuer un raid à la boussole. Les azimuts convergent tous
vers un même point, le col du Rousset. Le lendemain matin, les chefs y
sonnent un rassemblement pour lancer les éclaireurs en pleine « guerre de
Sécession ». Chaque éclaireur reçoit un nom et une affectation, reportés
sur une bande de sparadrap collée à sa chemise, tels : mascotte, lanceur
de balles… Les rebelles, la troupe de l’Oratoire, seront mis à la raison.
77
VOILÀ PASSY PASSÉ
A la Toussaint 1968, les chefs de Passy se rendent à une
réunion du Conseil national du Mouvement unioniste à Fontainebleau,
en chaussettes hautes blanches, culotte courte beige, blazer bleu marine,
foulard de troupe rouge et vert plié en guise de pochette sur les blazers
et chapeau. Passy a de l’allure, sans commune mesure avec les soixantehuitards. Pour répondre à l’agressivité et aux comportements étonnants
des responsables du Mouvement, les chefs de Passy songent même à un
projet, finalement abandonné, de se rendre avec la troupe à un Conseil
national dans quatre D.S. Citroën noires conduites chacune par un chef en
livrée de chauffeur qui aurait été au service d’une patrouille en uniforme
impeccable. Il faut noter que toute participation à la discussion au sein du
Mouvement est refusée aux membres de Passy – considérée comme une
troupe réactionnaire.
Quelques éclaireurs sollicités pour participer en uniforme au culte
de la paroisse, rue Cortambert, un dimanche de décembre, en profitent
pour vendre soixante-dix calendriers à la sortie.
Pourtant, Passy est la troupe phare de Paris à la fin des
années soixante, car l’une des rares à conserver chapeaux, chemises
beiges… Et surtout, Passy n’est pas mauvaise à la thèque, notamment et
paradoxalement en raison de ses nombreux entraînements de mai et juin
1968. D’où l’idée des chefs de défier régulièrement les autres troupes de
Paris à la thèque. Ces défis sont appelés « tests-matches ».
C’est le lancement officiel de l’équipe sportive de la troupe de
Passy qui prend pour nom « Passy Base-Ball Team », encore dénommée
le « P.B.B.T. », dont Jean-Jacques Naillon (1969), chef de troupe, est
l’initiateur.
Chaque éclaireur de Passy reçoit la convocation suivante peu avant
chaque partie : « Cher camarade, le Comité directeur de l’Association
sportive de la troupe de Passy est heureux de vous faire part de votre
sélection pour un test-match. Nous vous rappelons que l’équipement
standard et officiel de notre équipe de thèque est : polo blanc – short
blanc – foulard et chapeau – chaussures de sport (crampons si possible
au cas où le terrain serait « gras »). Bien amicalement, signé, le Comité
directeur ».
78
1960-1969
La première partie a lieu le jeudi 6 mars 1969 contre la troupe du
Luxembourg au bois de Boulogne. Avant même le début de la rencontre,
tous les éclaireurs de Passy s’alignent debout en ordre face à Jean-Jacques
Naillon et hurlent à pleins poumons le cri de guerre du « P.B.B.T. »,
inspiré de celui de l’équipe de rugby néo-zélandaise, pour impressionner
l’adversaire : d’abord en se tapant les cuisses avec les mains pour prendre
le même rythme avant d’entonner « makaki, makaku, makawa, wa wa
wa » à deux reprises en portant la paume de la main au coude replié
de l’autre bras alternativement à chaque mot, puis de reprendre dans
un dernier élan « makaki, makaku, makawa, hi hou wa » en sautant
énergiquement en l’air pour le « wa » final en brandissant les bras vers le
ciel et en pliant les jambes en arrière. Passy bat l’équipe du Luxembourg
soixante à treize à la première manche. Avec fair play, Passy prête
quelques-uns de ses meilleurs éléments à Luxembourg pour la seconde
manche et bat malgré tout Luxembourg « renforcée » soixante-deux à
trente-six. Passy joue en blanc…
La seconde partie a lieu le 27 avril 1969. Passy bat la troupe de
Clamart quarante et un à trente et celle de Grenelle-Plaisance soixantedouze à vingt.
La finale a lieu le 19 mai 1969 contre la sélection de la Province
Paris à Trivaux : elle se déroule à La Borne-Blanche et vaut au « P.B.B.T. »
le titre de « Champion du monde et des environs » selon l’expression du
chef de troupe adjoint, Yan Huckendubler. Titre dont la troupe se prévaut
toujours aujourd’hui.
A Trivaux 1969, Passy sème la panique parmi les rangs ennemis
par sa force et sa détermination. Ses cinq patrouilles se classant parmi
les huit premières patrouilles de Paris : les Castors sont premier, les
Isatis second, les Wapitis cinquième, les Chiens sixième et les Crocodiles
huitième. Un éclaireur des Crocodiles se rappelle néanmoins que les
patrouilles de Passy ont été informées de certaines épreuves à accomplir
durant le rallye et ont ainsi pu s’entraîner à l’avance.
Le clairon est adopté par le chef de troupe pour rassembler ses
patrouilles au camp de Pâques 1969 à Vouzon (Loir-et-Cher), remplaçant
l’usage de la « totoche » – corne de vache.
79
VOILÀ PASSY PASSÉ
Un camp au Canada est envisagé pendant un temps pour l’été
1969 mais ce projet n’aboutit pas. La troupe prend donc la direction de
la Suède dans la forêt de Tiveden où s’est tenu en 1965 un camp national
suédois. Un trimât à plate-forme signale de loin l’entrée du camp. Seule
la patrouille des Crocodiles construit une tente surélevée.
Deux journées d’olympiades permettent à la troupe de mettre en
jeu son titre de « Champion du monde et des environs », que ce soit en
athlétisme (vitesse, saut, poids), au tir à la corde, à la course en char ou
au bras de fer. Les patrouilles affrontent leurs consœurs suédoises qui
campent à proximité. Un magnifique parcours de cross, tracé dans la forêt
environnante, sur les berges du lac et au-dessus des eaux (pont de singe,
petit radeau transbordeur) est maintes fois parcouru par les éclaireurs.
Une journée technique et un dernier feu de camp clôturent ce
séjour sur les bords du lac d’Ossjonas. Passy replie tout son matériel pour
deux jours de balade à travers le centre de la Suède. L’arrivée à Paris est
bruyante, typiquement Passy : clairon, chants, grand « makaki » hurlé
à pleins poumons, en même temps que sont servis par les chefs quatrevingts croissants chauds.
A la rentrée d’octobre 1969, sept chefs se retirent pour des raisons
diverses : études, service militaire après trois ou quatre ans de service à la
tête de la troupe. Pierre Carle et Bernard Esteulle reprennent la troupe.
80
1970-1979
Pierre Carle (1970-1973-1974-1975), Alain Juillard (1971), Pierre
Rabaud (1972) et Laurent Carle (1976-1977) appliquent avec rigueur
les principes de vie forgés au fil des décennies au sein de Passy et lui
permettent de conserver une vie de troupe digne de son riche passé, tel
que les éclaireurs d’avant-guerre ne manquent pas de l’évoquer lors d’un
dîner des anciens à la Maison paroissiale le 29 avril 1970, à l’initiative
de Robert Chrétien, Claude Réau, Jean-Claude Huckendubler et Claude
Joudrier.
L’accent est mis sur l’importance de la technique éclaireur grâce
à laquelle les garçons s’épanouissent par la satisfaction d’un travail
original et bien fait. Aussi, les installations de camp reflètent-elles peu à
peu tout le savoir-faire de Passy.
81
VOILÀ PASSY PASSÉ
Alors que seuls les Chiens et les Crocodiles construisent une
tente surélevée au camp d’été 1970, tandis que les autres patrouilles se
contentent des installations habituelles, table à feu et vaisselier pour la
cuisine, table avec bancs pour les repas, le camp dit « suspendu » d’août
1971 marque le grand démarrage de la construction de tentes aériennes
aux camps d’été.
Toutes les patrouilles, y compris les chefs, suspendent leurs tentes
dans les arbres, soit sept plates-formes. Des barres de bois sont fixées
horizontalement aux troncs de quatre arbres et sont ensuite recouvertes
d’un plancher de bois sur lequel est montée une tente de six ou huit
personnes. Les éclaireurs dorment ainsi isolés de l’humidité du sol. Une
patrouille coupe en toute bonne foi trois ou quatre petits merisiers qu’elle
utilise ensuite pour donner fière allure à sa construction, au prix d’une
amende salée après mesure des souches par les Eaux et Forêts, cette
essence étant protégée.
Outre une tente surélevée, les Chiens réalisent une salle à manger
de patrouille également suspendue. Déjeuner dans les airs est très
agréable, malgré un service de table rendu difficile par la hauteur. Un
système de monte-plat sera imaginé les années suivantes.
Pierre Carle et ses chefs adjoints préparent à la terrasse d’un
café du seizième arrondissement le camp d’été 1972 en Allemagne. Ils y
composent un chant officiel du « Passy Base-Ball Team » dont le refrain
dit : « Tagada, tagada, voilà ceux d’Passy (bis) ; pan, c’était ceux d’Passy ;
tagada, tagada, restez pas ici ». Cet air n’a eu que peu d’écho à la troupe,
avant de tomber définitivement dans l’oubli.
« Rouge et Vert » paraît en mars 1973, tapé à la machine à
écrire et imprimé à la « Ronéotype », feuille par feuille, au moyen d’une
manivelle, sur du papier coloré. L’humour des éclaireurs dans leurs récits
d’aventures y est souvent peu fluide et les chefs y enseignent à leurs
ouailles d’un ton bien sérieux les connaissances techniques indispensables
à tout bon éclaireur.
Le « P.B.B.T. » joue en blanc. Certains éclaireurs inscrivent sur
leur chemisette « P.A.S.S.Y. » en grosses lettres cousues. En 1973, les
chefs font faire des maillots blancs avec la mention imprimée en velours
82
1970-1979
en relief « Passy Base-Ball Team » inscrite en forme de cercle, au milieu
duquel est esquissé un feu dont les escarbilles représentent l’insigne du
Mouvement et où figure le surnom de la troupe « Clan du Feu ».
Et dès 1975, les patrouilles se voient attribuer chacune un maillot
d’une couleur différente. Les membres d’une même patrouille peuvent
ainsi se repérer d’un simple coup d’œil lorsque les patrouilles se défient
aux olympiades et les parties de soule et de thèque sont aussi plus
facilement arbitrées par les chefs, alors qu’auparavant la tenue blanche ne
distinguait Passy que des autres troupes.
Si la tenue officielle du « P.B.B.T. » représente aux yeux
de certains une sorte de « petite tenue » que les éclaireurs salissent
volontiers de terre pour marquer qu’ils se sont bien dépensés pour vaincre
l’adversaire aux olympiades, la troupe de Passy reste fidèle à sa « grande
tenue », beige depuis le début des années cinquante.
Le Mouvement adopte pourtant en 1973 le port d’une chemise
d’uniforme verte et non plus beige. Passy et de nombreuses troupes
alliées de Paris refusent d’appliquer une telle décision qui ne semble
rien apporter de plus qu’auparavant et qui apparaît reflèter davantage un
esprit destructeur que la recherche d’améliorations issues de l’expérience
des aînés. Le Mouvement a, en effet, développé depuis 1968 un vaste
courant réformateur mené par des démagogues qui pensent « réinventer
le scoutisme », alors même qu’ils n’en ont jamais fait partie !
Ces dissensions conduisent les chefs à faire la preuve du bienfondé de leur résistance. C’est ainsi que pour les deux camps d’été 1973
et 1974, le chef de troupe se contente d’indiquer les lieux de camp
aux dirigeants du Mouvement, qui n’ont en général aucune expérience
éclaireur sur le terrain, soit par l’azimut et la distance à parcourir depuis
Paris, soit par les coordonnées de longitude et de latitude du système
Lambert de carroyage des cartes – et ce, afin d’apprécier leurs capacités
topographiques.
Vingt-neuf éclaireurs et sept chefs sillonnent en autocar les routes
jusqu’en Norvège au mois de juillet 1973. La troupe campe quinze jours
au bord d’un fjord. L’exploration de troupe dure trois jours tout comme
celles des patrouilles qui lui succèdent.
83
VOILÀ PASSY PASSÉ
L’année 1974 est placée sous le signe du « Coq » unissant de
nombreuses troupes, issues principalement de Paris, de Franche-Comté
et du Bas-Languedoc, fidèles à l’esprit et à l’emblème des Eclaireurs
Unionistes depuis la fondation du Mouvement. Durant l’année, chaque
patrouille fabrique un grand panneau de bois représentant un coq sur un
fond rouge et vert. Un poulet est préparé pour le dîner de troupe de Noël
et le camp de Pâques est baptisé camp du « Poulet ».
Passy passe quinze jours en Lozère en juillet 1974, où elle reçoit
une semaine les éclaireurs norvégiens qui l’avaient accueillie en 1973,
et rejoint ensuite le camp national du « Coq ». Tandis que la troupe
fixe ses coqs sur le grand portique d’entrée du camp, des éclaireurs
d’autres troupes, sans beaucoup d’égards pour leurs pairs réputés être du
« seizième arrondissement de Paris », canardent Passy de pommes de pin.
En une charge effrénée, le « Clan du Feu » repousse ses assaillants. Mais
Passy remporte surtout le grand tournoi de thèque. Le « P.B.B.T. », qui
maintient ses performances d’antan, n’en finit pas d’étonner et le chef
de troupe est porté en triomphe par ses éclaireurs. Une manade clôt le
camp : seul Pierre Carle parvient à décrocher une cocarde des cornes
d’une vachette, au prix de sept points de suture et d’un plâtre sur le nez.
La troupe se « baigne » au camp de « Passy-les-Bains » de Pâques
1975. Arrivés au lieu de camp près d’Epernay (Marne), les éclaireurs
dressent leurs tentes en dégageant préalablement le sol recouvert de
neige. La première nuit rappelle la dure réalité des camps de Pâques,
où il fait généralement froid et humide, et l’utilité des tentes surélevées
des camps d’été. Juste avant de se coucher, le second de patrouille des
Castors s’exclame : « J’espère que j’aurai chaud comme cela toute la
nuit ». La tente s’endort. Vers minuit, il a l’impression d’avoir les pieds
dans l’eau. Il croit d’abord que c’est psychologique. Il se recroqueville
alors en remontant ses jambes et entend soudain le mot de Cambronne, se
demandant qui peut l’avoir lancé. Il pense tout de suite à son voisin près
de l’autre porte de la tente. Puis, à nouveau « M… ». Il parvient enfin à
se rendormir. Vers quatre heures, il n’en peut plus, il est dans l’eau, ils
sont dans l’eau. Il passe alors sa main dans la tente à matériel – les deux
tentes étant montées bout à bout – et trempe allègrement sa main dans
84
1970-1979
l’eau. A quatre heures et demie, toute la patrouille est debout sur l’îlot qui
est encore sec. Tous font un tour dehors et découvrent que la tente baigne
dans l’eau. C’est un désastre.
D’autres tentes s’affaissent sous le poids de la neige. Pour les
installations, ce même matin, les patrouilles conçoivent des caillebotis en
bois à une trentaine de centimètres au-dessus du sol boueux et sur lesquels
les tentes sont remontées, hormis les Isatis qui élèvent une authentique
plate-forme à deux mètres de hauteur.
L’intendant se procure trente-cinq paires de bottes dans les
« bazars » des villages voisins, car les chaussures hautes d’uniforme
s’enfoncent complètement dans la boue. Un inspecteur venu en mocassins
est impressionné par le petit déjeuner servi chaud et sans retard, malgré
les conditions difficiles, à la table de troupe faite de bancs en froissartage
assemblés par la haute patrouille lors du camp de reconnaissance des
vacances de février.
Les olympiades sont agrémentées de deux nouvelles épreuves :
une course de « chaises à porteurs » construites par les patrouilles et une
course d’une cinquantaine de mètres en portant une gigantesque tête de
bigue qu’il faut dresser à mi-parcours et sur laquelle toute la patrouille
doit alors s’agripper sans mettre pied à terre.
Un camp « typique » de trois semaines, bien centré sur la troupe,
se tient dans une forêt domaniale de plus de trois mille hectares à
Mercoire (Lozère) l’été 1975. Cinq jours sont nécessaires à la patrouille
de Nicolas de Watteville pour réaliser ce dont elle avait l’idée depuis
bien longtemps : une plate-forme grandiose de huit mètres de long,
quatre de large, le tout à cinq mètres de hauteur. Un dérouillage permet
aux éclaireurs de faire de l’exercice tous les matins au lever, suivi d’un
rassemblement. De longs moments sont consacrés après le petit déjeuner
pour ranger les coins de patrouille, faire les corvées de bois et eau…
La patrouille des Isatis adopte une nouvelle devise : « Isatis,
ré-fléchis ».
Michel Cuzelin s’occupe des « P.T.T. » (Passy Télégraphe
Téléphone) : les plates-formes de toutes les patrouilles sont reliées par un
téléphone qu’il a conçu et un journal préparé par ses soins est distribué
85
VOILÀ PASSY PASSÉ
tous les deux ou trois jours, reproduit à la machine à alcool. C’est
également Michel Cuzelin qui invente le premier four de troupe, en forme
de cube, fait de plaques de tôle, le tout entouré d’argile.
Chaque éclaireur est prié de se rendre en pyjama au dîner de
troupe de novembre 1975 donné au local. Une transmission lumineuse en
morse est émise par les chefs depuis le premier étage de la Tour Eiffel,
invitant les patrouilles à un jeu de nuit dans les jardins du Trocadéro et du
Champ de Mars.
Le point de rencontre d’une sortie de troupe de février 1976
est fixé à la station de métro Etoile où les éclaireurs ne trouvent à leur
surprise aucun chef mais seulement un vieux sac à matériel contenant
des instructions et du matériel pour effectuer un croquis panoramique
à la Défense. Là-bas, de mystérieux malfrats aux mines patibulaires
– les chefs – sèment sur la route un tas d’embûches aux patrouilles et,
après une série de courses-poursuites dans les parcs de stationnement et
ascenseurs, la troupe s’ébat dans l’herbe du parc de Saint-Germain en
jouant à la soule.
Passy campe dans l’Eure pour Pâques 1976, année où la France
passe à l’heure d’été pour la première fois. Pour le subtil jeu de mots,
Passy décide d’appeler le camp de l’Eure, camp de « l’Heure ». La qualité
des installations ne cesse de progresser et la patrouille des Castors réussit
encore à innover en fabriquant une table avec bancs, comprenant vingthuit chevilles, six tenons-mortaises, trente méplats et surtout pas une
seule fixation dans la terre, ce qui la rend transportable.
Une folle course à la hauteur des tentes surélevées est engagée
depuis l’été 1971 entre les patrouilles qui souhaitent toujours faire mieux
que leurs consœurs. Les Castors parviennent à suspendre leur plate-forme
à cinq mètres trente et un de hauteur au camp d’été 1976, battant ainsi
le record mythique des cinq mètres de l’année précédente. Le chef de
patrouille voit si grand qu’il décide par la suite d’en faire une seconde
sous la première à deux mètres cinquante du sol. Cette plate-forme à
double étage reste la construction de patrouille la plus élevée de toute
l’histoire de Passy. Les Crocodiles tentent à ce même camp d’assembler
une plate-forme tellement haute qu’ils ne parviennent pas à l’achever en
86
1970-1979
temps et en heure, car il est très long et délicat de hisser des troncs d’arbre
à plusieurs mètres au-dessus du sol et de les y assembler.
A l’issue du camp, les chefs interrompent cette compétition qui
devient dangereuse. La cime des arbres est, en effet, trop souple et
trop fragile pour supporter le poids d’une patrouille d’éclaireurs et de
son matériel pendant plusieurs semaines. Une nouvelle orientation est
encouragée pour les années suivantes : concevoir des plates-formes sans
qu’il ne soit plus nécessaire de prendre appui aux arbres, mais qui, au
contraire, reposent sur leurs propres piliers de soutènement érigés dans le
sol. La robustesse de l’ouvrage ne dépend plus que de la qualité du travail
de froissartage des différentes patrouilles.
La troupe s’en va aux environs de Gisors (Eure) les 4 et 5
décembre 1976 pour sa veillée de Noël dans la forêt. Une importante
corvée de bois permet d’allumer un grand feu autour duquel la troupe
prend place pour le dîner. Des bûches de Noël sont servies pour le dessert
suivi de jeux, de chants et d’une réflexion biblique du chef de troupe,
Laurent Carle. Une partie de « quitte ou double » réchauffe les éclaireurs
qui gagnent un carré de chocolat ou un bonbon à chaque bonne réponse.
Le « Cantique des Patrouilles » est chanté avant de se coucher alors qu’il
commence à neiger et que les tentes s’affaissent sous le poids de la neige.
Tout est blanc le lendemain matin.
L’hiver rigoureux explique que seule une petite fraction de la
troupe se retrouve pour le week-end de janvier 1977. Un éclaireur en
donne pourtant une toute autre justification : « Que voulez-vous ma
bonne dame, y a pas que les éclaireurs, y a la disserte de français, la
composition de mathématiques, le devoir de physique, l’interrogation de
gymnastique… dont chacun se rappelle d’autant plus qu’il pleut et qu’il
fait froid ».
La troupe grimpe à la Tour Eiffel début mars 1977 pour effectuer
un croquis panoramique de Paris, reproduit par la suite sur les murs
du grand local de troupe pour les égayer. Ceux-ci avaient, en effet, été
livrés bruts de béton en 1964 lors de la reconstruction de l’immeuble et
seuls les locaux de patrouille avaient fait l’objet d’aménagements, peints
depuis aux couleurs des patrouilles. Les éclaireurs prennent d’assaut
87
VOILÀ PASSY PASSÉ
le premier étage de la tour avec chevalets, équerres, papier, crayons
et cadres quadrillés. La patrouille des Wapitis s’approprie une parcelle
de la terrasse en réquisitionnant des barrières et des chaînes, pour ne
pas être dérangée. Et le 26 mars, tous les éclaireurs se réunissent pour
inaugurer le local. Tandis que certaines patrouilles préparent le dîner,
d’autres terminent la reproduction du panorama vu de la Tour Eiffel : les
immeubles constituant l’horizon sont peints en noir comme s’il s’agissait
d’ombres, des grues sont dessinées dans les quartiers en construction, le
tout sous un ciel en dégradé du rouge au bleu. Désormais, la troupe de
Passy dispose d’un large champ de vision dominant tout Paris depuis ses
locaux en sous-sol !
Les courses individuelles d’orientation sont relancées au camp de
Pâques 1977 : chaque éclaireur doit en un minimum de temps parcourir
un circuit en utilisant sa boussole et en comptant ses pas pour retrouver
les « bases » au pied desquelles se trouvent des griffes ou des tampons qui
lui permettent de marquer son passage sur son carnet de route.
Les éclaireurs et éclaireuses sont toujours indépendants. Ce sont
plutôt les chefs éclaireurs et les cheftaines de louveteaux qui se lient
d’amitié, voire se marient. Tel est le cas de Pierre Carle et d’Eléna Clavel,
dont le mariage est célébré au temple de Passy le 11 juin 1977. Une
haie d’honneur est formée par les louveteaux. Lors de la réception qui
suit la cérémonie, les éclaireurs venus en uniforme interpellent les jeunes
mariés : « Venez, la troupe a besoin de vous » et les conduisent sous
un bosquet d’arbres d’où un vélo tandem descend d’une branche par
un jeu de poulies, ainsi qu’un abat-jour décoré du profil de chacun des
éclaireurs, cadeaux de la troupe. Leurs enfants feront partie du groupe
local de Passy quelques années plus tard.
Les éclaireurs n’étant pas toujours suffisamment sensibles à la
beauté et à la vie de la nature qui les entoure et les accueille, les chefs
mettent au point l’opération « C.R.O.C. » (Chercher, Respecter, Observer,
Conclure) au camp d’été 1977. L’opération prévoit de sérieuses études
de la flore, de la faune et la pratique de la topographie, de l’ethnologie
et de la météorologie. Pour ce faire, la troupe, après avoir dépassé les
confins du monde connu, progresse au travers de la forêt rebelle avec
88
1970-1979
tout son fourniment et sa nourriture pour la semaine, franchit quelques
mètres de falaise en rappel, établit enfin un camp avancé au centre du
Jurassien inférieur. Chacun des jours suivants, les patrouilles partent
pour la journée à la découverte de l’un des cinq domaines annoncés.
Elles établissent ensuite un rapport. Des herbiers sont constitués, des
empreintes d’animaux relevées à l’aide de moulages en plâtre, des raids
à la boussole effectués… Chaque patrouille doit aussi à tour de rôle faire
la cuisine de la journée pour toute la troupe. A une heure dite, les autres
patrouilles envoient au camp avancé un ou deux garçons chercher les
plats préparés par l’intendance dans des gamelles étanches.
Le chef de troupe, Laurent Carle, ne cache pas sa préférence
pour le chocolat chaud ou cacal plutôt que pour les flocons d’avoine ou
porridge au petit déjeuner, au point d’interdire la mention de ce dernier
dans les menus de l’intendant. Or, un chef adjoint, Jean-Christophe de
Watteville, refuse le régime du chocolat chaud et des tartines à la confiture,
mais sans beurre, tous les jours. Le grand jeu du camp prend en compte
ce conflit en opposant les partisans respectifs du cacal et du porridge.
Protestant énergiquement contre l’impérialisme du chef de troupe, JeanChristophe de Watteville prend le maquis lors d’un « P.D.M. » (petit
déjeuner du matin). Le matin suivant, une patrouille fait de même et
disparaît. Les rebelles sont de plus en plus nombreux, ils sabotent la barre
des « deutés », font disparaître une partie de l’intendance de troupe…
Craignant un assaut décisif des partisans du porridge, les défenseurs du
cacal se réfugient dans le marabout des chefs au sommet duquel est
monté un poste de vigie équipé d’un phare de voiture et tenu par Michel
Cuzelin, qui ne cesse de s’exclamer : « Ils approchent » pour effrayer ses
camarades alors qu’il n’y a en fait personne.
Jean-Christophe de Watteville (1978-1979) succède à Laurent
Carle à la tête de la troupe. Il privilégie les activités en patrouille,
considérant que pour avoir une troupe digne de ce nom, il faut commencer
par avoir des patrouilles qui soient des patrouilles dont les éclaireurs se
connaissent bien et n’hésitent pas à faire de grands coups ensemble.
Une formule originale pour les camps de Pâques 1978 et 1979
est ainsi adoptée : les patrouilles doivent vivre en autarcie durant toute
89
VOILÀ PASSY PASSÉ
la durée du camp, éloignées les unes des autres d’environ un kilomètre.
Les éclaireurs doivent se débrouiller seuls, prévoir leur ravitaillement à
l’épicerie du village, préparer le « P.D.M. », le déjeuner et le dîner. Les
chefs rappellent l’importance d’une solide organisation : « Si vous n’avez
pas d’allumettes, pas de lait… vous perdrez toute votre journée ».
Au camp d’été 1978, la troupe rend d’importants services à une
commune par le nettoyage de la crypte de l’église et la remise en état des
sentiers d’accès.
Cet élan constructif permet à la patrouille des Castors, dirigée
par Stéphane Cuau, de prendre la première place au concours de Trivaux
de 1979 sur cinquante-trois patrouilles. Les Chiens sont cinquième, les
Wapitis onzième et les Isatis dix-septième.
Le pasteur Daniel Atger vient rendre visite aux éclaireurs tant au
camp de Pâques qu’à celui de l’été 1979. Il participe à toutes les activités
de la troupe durant vingt-quatre heures : jeux, soules, repas ou nuit dans
un sac de couchage sous la tente des chefs et termine son court séjour par
un culte.
Les 20 et 21 juillet 1979 marquent l’histoire des camps à vélo de
Passy avec la première édition des « vingt-quatre heures à bicyclette »
comme épreuve aux olympiades par patrouille. Sur une boucle balisée
de quatre kilomètres, les patrouilles font la course pendant vingt-quatre
heures, à charge pour les éclaireurs de se relayer tous les deux à quatre
tours et de réparer les bicyclettes. Neuf à dix minutes sont nécessaires
pour parcourir un tour, avec un record à sept minutes et trente-cinq
secondes. Les chefs contrôlent les passages et assurent l’intendance. Ce
sont les Castors qui remportent l’épreuve, en parcourant plus de quatre
cents kilomètres.
90
1980-1989
Le chef de troupe, Jean-Brice de Bary (1980), n’a aucun adjoint
pour le seconder. Il fait appel aux routiers qui l’assistent pour le camp
de Pâques. Leur aide ne suffit pourtant pas à prendre en main toute la
troupe, si bien que l’opération prévue pour le camp est préparée par les
chefs de patrouille : il s’agit de prendre d’assaut une maison en ruine.
Les installations sont en pierres et cailloux uniquement, le lieu de camp
n’offrant aucune ressource en bois.
Une exploration de troupe à bicyclette permet de faire le tour de
la Lozère cet été 1980. Les éclaireurs s’arrêtent dans les églises situées
sur leur passage pour chanter sous leurs voûtes un canon à trois voix sous
la direction d’Hugues Reiner. La « cloche à balourdises » est remise à un
éclaireur pour avoir étendu son linge à sécher sur le mât de troupe.
91
VOILÀ PASSY PASSÉ
Aux côtés des cinq patrouilles (Chiens, Castors, Crocodiles,
Wapitis et Isatis), une sixième patrouille renaît en octobre 1980, les
Panthères, et Nicolas de Watteville (1981-1982-1983-1984-1985) reprend
la troupe.
Des éclaireurs de Massy (Essonne) se joignent à toutes les sorties
et camps de l’année pour que leur troupe puisse repartir à la rentrée
suivante.
A la Toussaint, à Noël ou en février, les petits camps réservés
à la haute patrouille renforcent la cohésion entre chefs et seconds de
patrouille. C’est le cas du petit camp des vacances de Noël 1980 à La Fareen-Champsaur (Hautes-Alpes) : les éclaireurs font du ski, des randonnées
en raquettes et construisent des igloos. Passy occupe l’appartement de
l’institutrice du village au-dessus de la salle de classe. Une bataille
d’eau oppose le dernier jour le chef de troupe à deux éclaireurs, à coups
de verres puis de bassines d’eau. Les autres se contentent de compter
les points alors qu’une épaisse couche d’eau recouvre peu à peu tout
l’appartement…
L’idée des camps où les patrouilles vivent en autarcie est reprise
à Pâques 1981 : les six patrouilles campent aux « six » coins de la forêt
entourant le château de la Roche-en-Brenil (Côte-d’Or) et font tous les
jours leur ravitaillement à bicyclette à l’épicerie du village.
La troupe campe dans la forêt domaniale de Saint-Quirin
(Moselle) durant l’été 1981. Les Castors construisent une plate-forme et,
surtout, une superbe table de patrouille, gagnant ainsi la première place au
concours de camp pour leurs installations. Lors des « désinstallations »,
il est décidé de ne pas démonter la table. Onze ans plus tard, lors du
camp d’été 1992 au même emplacement, les éclaireurs ont la surprise
de retrouver, certes affaissée mais intacte, la table de leurs aînés dont
le bois s’était peu à peu affaibli. A l’issue du camp, la future haute
patrouille reste sur les lieux deux jours de plus afin de préparer la rentrée
et constituer les nouvelles patrouilles.
Deux ébauches d’un historique des éclaireurs de Passy sont
consignées par écrit en 1981 à l’occasion du centenaire de la paroisse de
Passy-Annonciation (1881-1981).
92
1980-1989
La première, écrite par Guy Hénon (célèbre conseiller du groupe
local de 1945 à 1955), figure en huit pages dans le livre de la paroisse « La
traversée d’un siècle ».
La seconde, cinq pages de la plume de Nicolas de Watteville, est
affichée au temple, puis au local.
Ces documents sont la réunion de souvenirs d’anciens membres
du groupe local. Ils retracent brièvement les grandes étapes de la vie
des éclaireurs et louveteaux de Passy. Il en résulte bien que la troupe
n’a connu aucune interruption depuis sa création. Elle a su échapper
aux vicissitudes qui auraient pu lui être fatales (manque de chefs, deux
guerres, événements de mai 1968, locaux insuffisants…). L’expérience
des aînés, la tradition orale et la continuité dans les équipes de chefs n’y
sont certainement pas étrangères.
Il sort de la bouche des éclaireurs, depuis des décennies, que
les Chiens seraient la plus ancienne patrouille de France. Ils auraient
été créés, comme patrouille libre, dès 1911 pour constituer quelques
temps plus tard le noyau de la troupe à naître de Passy. Ces travaux
ne manquent pas d’évoquer cette question controversée de l’origine de
la troupe. Fidèles à la mémoire quelquefois approximative des anciens,
ils retiennent à quelques mots près cette version. C’est une preuve que
les archives écrites n’ont guère été consultées : la troupe de Passy a été
fondée le 2 novembre 1912 en même temps que la patrouille des Chiens.
A partir de 1982, le groupe local de Passy a le privilège de
bénéficier de voitures familiales Peugeot pour satisfaire aux transports
de chacun des camps de Pâques et d’été. Qu’il s’agisse d’assurer le
ravitaillement d’une trentaine de garçons pendant plusieurs semaines ou
de faire face à une urgence médicale dans les sous-bois, la troupe peut
toujours compter sur la « Peugeot des chefs ».
Il pleut tous les jours au camp de Pâques 1982 à Saint-Fargeau
(Yonne) : c’est une véritable « mare à boue » autour du marabout de
troupe. Les bois du château sont exploités, il n’est donc pas question de
couper d’arbres. Seules des tables à feu sont assemblées à l’aide de stères
de bois mort. La journée de service est consacrée à brûler les souches et
les houppiers des coupes de l’hiver.
93
VOILÀ PASSY PASSÉ
Passy remporte le trophée de Trivaux en 1982 au classement par
troupe. La haute patrouille se réunit à la Pentecôte 1982 pour une journée
de huit heures sous terre : « L’entrée de la grotte se trouve derrière un
bosquet d’arbres. Après avoir allumé nos lampes, nous commençons notre
excursion par un passage large, haut mais boueux, glissant et nettement
en pente. Nous nous engageons ensuite dans un couloir de taille beaucoup
plus réduite, mais à peu près sec, heureusement car par moments nous
sommes presque obligés de ramper (…). Lentement, nous progressons
alors que déjà survient une autre difficulté : il nous faut, en effet, franchir
un passage assez étroit, plus ou moins glissant, et surtout comportant un
à-pic de dix mètres environ. Nous descendons et décidons de laisser la
bouffe sur place. Nous nous engageons dans un couloir qui nous mène
jusqu’à une salle parsemée de rochers lui donnant un aspect chaotique.
Nous passons ensuite dans un étroit goulet et arrivons dans une salle
encore plus grande et située en dessous de la première. Revenus sur
nos pas, nous prenons notre bouffe et empruntons un autre couloir pour
atteindre le but final, l’apothéose de cette expérience : un puit de vingtcinq mètres en bas duquel nous comptons bien descendre (…) ».
Passy campe dix-huit jours dans le Vercors en juillet 1982,
séjour évidemment tourné vers la montagne et la spéléologie. La haute
patrouille fait l’ascension du mont Aiguille. Durant l’exploration, trois
patrouilles (les Castors, les Crocodiles et les Panthères) marchent
ensemble. Souhaitant prendre un raccourci, elles s’engagent sur un autre
chemin que celui indiqué par les chefs, finissent par se perdre et se
trouvent face à un à-pic de trente mètres. Leurs chefs décident de
bivouaquer pour la nuit à la belle étoile, sans pouvoir avertir le chef de
troupe. Les plus jeunes ne sont pas rassurés. Marche arrière est faite
le lendemain matin. Les patrouilles parviennent en fin de compte au
rendez-vous initial au pied du Grand Veymont avec vingt-quatre heures
de retard. Trois ans plus tard, cette mésaventure devient légende : certains
disent que ces patrouilles avaient disparu pendant trois jours, n’ayant plus
comme vivres qu’un unique tube de lait concentré que les éclaireurs se
partageaient goulûment à la petite cuillère, et que la gendarmerie avait été
lancée à leur recherche.
94
1980-1989
La troupe rejoint ensuite pour cinq jours le camp national
au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), baptisé « Pleins Feux sur
l’Aventure ». Elle y mesure l’évolution du Mouvement unioniste et fait
les constats suivants : la moitié, voire les deux tiers, des éclaireurs ne
portent même plus l’uniforme, se contentent d’un foulard autour du cou
avec des fleurs dans les cheveux, reprochent à Passy de marcher au
tambour et de se lever au clairon, bien qu’il y ait encore un tiers des
troupes fidèles à l’uniforme et à la chemise beige.
Les garçons – ou les parents – achètent leurs uniformes et leur
matériel chez « Scoutisme et Aventure », magasin des éclaireurs fondé
en 1974, sous le nom « les Marchands du Temple », par Jean-Mathieu
Prévot (ses enfants feront plus tard partie de Passy) et dirigé dès 1982
par Nicolas de Watteville, alors chef de troupe à Passy, toujours fidèle au
poste en 1999.
La troupe se retrouve pour un camp de ski à Saint-Véran (HautesAlpes) durant les vacances de Pâques 1983. Des skis de fond aux pieds,
les éclaireurs jouent à la thèque dans la neige.
Au cours d’une nuit de week-end de haute patrouille, les chefs et
seconds font une course-poursuite dans les carrières de Paris et ressortent
par une bouche d’égout au milieu de l’hôpital Sainte-Anne.
L’été 1983 voit les patrouilles descendre la rivière de la Loue
dans le Jura sur des radeaux fabriqués la veille du départ. Celui des
Chiens, muni de chambres à air, flotte difficilement les premiers jours :
il coule et se retourne. A chaque nouveau renflouement, la patrouille lui
donne un nouveau numéro : « Titanic I, II puis III… jusqu’à VI ». Les
chambres à air sont alors remplacées par des fûts métalliques de deux
cents litres qui le rendent insubmersible mais plus lent.
Passy campe à L’Isle-sur-Serein (Yonne) pour Pâques 1984 et
Nicolas de Watteville emmène ses éclaireurs traverser la Corse à pied
pour le camp d’été : il s’agit de relier le nord-est au sud-ouest de l’île de
Beauté par le chemin de grande randonnée « 20 ». La troupe bivouaque
au col Boccia sous la neige et assiste au petit matin, pendant la cérémonie
des promesses, au lever du soleil depuis le « monte Cinto » à deux mille
sept cents mètres d’altitude.
95
VOILÀ PASSY PASSÉ
« Rouge et Vert » devient journal du groupe local. Trois numéros
sont imprimés durant l’année : à Noël, à Pâques et avant l’été.
Le moment fort du camp de Pâques 1985 consiste à construire
un pont enjambant une rivière de quatre mètres de large en contrebas
du château de Bagneux (Indre-et-Loire). Il faut procéder à l’abattage de
nombreux résineux dans les bois du parc. Les patrouilles se succèdent
sur le chantier. Tandis que les routiers montent l’armature du pont, les
patrouilles ont la charge des travaux ingrats – tels l’écorçage des troncs
à la plane, le goudronnage de la base des poteaux, l’application d’un
enduit au minium sur les tiges filetées, le travail du bois (méplats, tenons
et mortaises au vilebrequin) ou encore la pose du platelage à l’aide de
clous. L’ouvrage est achevé un soir et dès le matin suivant inauguré avec
le propriétaire.
Chaque éclaireur a apporté une bicyclette. Une course de quatre
heures à vélo est organisée entre les patrouilles. Pour restaurer les
coureurs, les intendants sont sur les dents et préparent soupe de tomates,
frites et chocolat chaud. A chaque tour, le coureur doit annoncer au
comptoir central, tenu par les chefs, le nom de sa patrouille. Les Chiens
sont en tête dès le début, menant la course à un rythme effréné au
mépris de la santé de leurs bicyclettes qu’ils mettent à mal. Après de
multiples crevaisons, roues voilées et ruptures mécaniques, la patrouille
abandonne – faute de bicyclettes valides – et cède sa place aux Wapitis
qui remportent l’épreuve devant les Castors et les Crocodiles.
Chaque éclaireur reçoit un carnet technique comportant une
série d’épreuves à accomplir durant la journée technique selon ses
compétences. Il s’agit à la fois d’un concours entre les quatre patrouilles
pour déterminer la plus habile en technique éclaireur, d’un concours
individuel entre les éclaireurs de même niveau et d’un concours avec soimême pour se rendre compte de ses capacités. Les épreuves consistent
en morse, topographie (raids jusqu’à six azimuts successifs), nœuds,
froissartage, questions de secourisme et de civisme.
Un « camp suspendu » à Thorame-Haute dans les Alpes a lieu
à l’été 1985 ; non seulement les tentes sont surélevées, mais toutes les
activités sont également « suspendues ». Autrement dit, toute activité
96
1980-1989
entreprise est systématiquement interrompue avant son terme et reprise
quelques jours plus tard : par exemple, les installations sont interrompues
par une partie des olympiades…
L’exploration de troupe conduit les éclaireurs au pied du mont
Pelat où les doubles toits sont dressés et leurs extrémités obstruées à
l’aide de ponchos tenus par des pierres pour éviter les courants d’air. Tirée
des sacs de couchage à quatre heures du matin, la troupe fait l’ascension
du mont pour assister au lever du soleil. Les garçons sont contraints
d’emporter depuis le bivouac du bois sur leur dos. Il servira à allumer le
feu de promesse au sommet. La troupe rassemblée en carré, la pente est
si prononcée que les pieds des chefs se trouvent plus haut que la tête des
éclaireurs des patrouilles situées en contrebas, à l’opposé du carré.
Denis Aubron (1986-1987) puis Thierry Carle (1988-1989) sont
chefs de troupe.
A la fin des installations d’été 1986, la première nuit des
Panthères est écourtée par l’affaissement brutal de leur plate-forme,
heureusement sans mal pour les membres de la patrouille. Lors de la
journée de service, il est convenu d’aider un paysan à rentrer les foins.
Les éclaireurs, toujours en culotte courte, doivent pousser à l’aide de leurs
genoux les bottes de paille sur le pic du tracteur. C’est oublier que les
brins de paille piquent très fort ! Et le fermier s’étonne que les éclaireurs
de Passy soient si peu futés pour ne pas mettre des pantalons comme tout
le monde !
L’opération de Pâques 1987 se déroule tout au long du camp dans
le parc du château d’Anfernel (Calvados). Elle est l’occasion d’un exploit
technique, digne des services secrets.
Voici l’histoire : chaque patrouille représente un pays engagé
dans la Seconde Guerre mondiale. Il faut enterrer des fils sur plusieurs
centaines de mètres dans la forêt pour communiquer par télégraphie en
toute discrétion. Les Français doivent recueillir et cacher un parachutiste
anglais. Une fosse est alors creusée sous le tapis de sol de leur tente
et refermée par un ingénieux platelage de bois, lui-même recouvert de
sacs à matériel en toile remplis de terre pour dissimuler une éventuelle
impression de creux. La patrouille allemande se rend évidemment dans
97
VOILÀ PASSY PASSÉ
le camp français pour l’inspecter. Frédéric Jannin – le parachutiste –
s’introduit alors dans la cachette. Les Allemands fouillent la tente. Ils sont
bien loin de se douter qu’un éclaireur est planqué sous le tapis de sol et
ce, sous leurs pieds, alors que le platelage plie et que de la terre tombe
sur le visage de Frédéric Jannin retranché dans sa cache. De leur côté,
les Allemands, cachés dans leur tente, l’ont si bien camouflée à l’aide
de branchages et de terre que la patrouille des Français passe à quelques
mètres sans l’apercevoir. A force de traîtres dans les différents camps, les
éclaireurs prennent plus d’initiatives que prévu, si bien que les chefs s’y
perdent ne contenant plus les réactions des éclaireurs !
Au printemps 1987, avant les camps d’été, tous les parents ayant
un enfant inscrit à Passy sont conviés par le groupe local à passer un
après-midi « éclaireur ». Des parties de soule et de thèque entre parents
sont organisées, ainsi qu’un grand dîner. Un violent orage gronde, le
spectacle son et lumière qui doit suivre est tout de même maintenu. En
une dizaine de tableaux, les louveteaux et éclaireurs content l’histoire de
deux familles, les « Lerouge » et les « Levert » depuis le Moyen-Age,
dont les descendants respectifs se marient en 1911 et fondent le groupe
local de Passy, tout de rouge et de vert.
Bien que légende, cette approche de la naissance de Passy est
proche de la réalité : jeunes mariés, Monsieur « Lerouge » et Madame
« Levert » n’ont pu engendrer leur première fille, la troupe de Passy,
qu’en 1912 ! L’erreur d’une année peut ainsi être réparée.
Au camp d’été 1987 au col Doulent (Ariège), deux patrouilles
préparent des installations originales : les Wapitis construisent une plateforme sur laquelle est dressée une armature en bois de la forme d’une
tente, recouverte de feuillages et non d’une toile de tente ; les Chiens
fabriquent une cabane aux murs de feuillages, dont le toit est formé d’une
tente surélevée.
La table de troupe est toujours en désordre : des gamelles traînent
d’un repas à l’autre. Le chef adjoint, Thierry Carle, désigne « l’arbre
à gamelles » sur les branches duquel est propulsée la vaisselle des
irréductibles. Les éclaireurs n’hésitent pas à grimper alors dans l’arbre
pour y récupérer leurs ustensiles qu’ils font à nouveau traîner.
98
1980-1989
Une solution plus radicale est dès lors mise en place : les
couverts, gamelles et autres ustensiles abandonnés par leurs propriétaires
sont désormais brûlés dans le foyer de troupe. Ils sont ensuite sculptés et
suspendus à une ficelle au-dessus de la porte du marabout d’intendance.
Lors des raids de première classe que l’éclaireur doit accomplir
seul, trois chefs de patrouille se retrouvent pour la nuit après un semblant
de raid. La « Peugeot des chefs » les surprend marchant sur une route : le
chef de troupe, au volant, est furieux. Il ralentit, baisse la vitre électrique
et s’exclame en arrivant à leur hauteur : « C’est vraiment ce que j’appelle
se foutre de ma gueule » et repart. Les trois compères passent la nuit dans
une chapelle au milieu de la forêt et prennent une belle rouste des chefs à
leur retour au camp.
Toutes sortes d’épreuves à vélo sont organisées au camp d’été
1988 au château de Saint-Maigrin (Charente-Maritime) : cross, relais,
vingt-quatre heures et course de chars attelés aux bicyclettes.
C’est en Touraine que Passy s’établit à Pâques 1989. En arrivant
sur le lieu de camp, les éclaireurs n’y trouvent ni chef de troupe, ni
intendant, tous deux censés être déjà sur place. C’est que les chefs
sagement assis dans la « 505 » sont rapatriés à Paris sur le plateau d’une
dépanneuse. En route pour le camp, la « Peugeot des chefs » – trop
lourdement chargée – s’est, en effet, écrasée au freinage dans la voiture
qui la devançait. Toutes banquettes rabattues, le coffre de la voiture doit,
en effet, contenir coûte que coûte tout le matériel de troupe nécessaire
pour camper : le marabout d’intendance et ses piliers en bois, le rail
de chemin de fer coupé à la longueur de l’habitacle utilisé au camp
dans la construction du foyer de troupe, les caisses de matériel (scies,
haches, bonnas…), le four en tôle, des cordes et autres lassos… Le coffre
est chargé « jusqu’à plus de place ». Et pourtant, lors de cet accident,
la marchandise s’est brutalement tassée vers l’avant, offrant quelque
cinquante centimètres supplémentaires à l’arrière du coffre !
Il neige à « gros glaçons ». L’inspection des patrouilles et
le rassemblement d’ouverture du camp ont malgré tout lieu manches
relevées et cols retroussés à l’intérieur des chemises. Car il est quelques
moments forts de la vie de troupe où les éclaireurs ressentent le besoin
99
VOILÀ PASSY PASSÉ
de faire preuve de solennité envers la troupe et ses aînés. C’est le cas
des rassemblements d’ouverture ou de fermeture de camp, du lever et du
baisser des couleurs, de la remise des foulards, de la promesse ou encore
du passage des louveteaux à la troupe. Aussi, le simple port de l’uniforme
se double-t-il d’une manière de s’en vêtir : les manches longues de la
chemise sont retroussées en les roulant vers l’intérieur pour ne pas faire
apparaître de repli, le col doit également être invisible – il suffit de
le retourner dans la chemise – et les chaussettes hautes blanches sont
parfaitement roulées. Les éclaireurs affirment alors porter l’uniforme à
la « Baden-Powell ». Cette expression peut ainsi s’expliquer : d’un côté,
les chefs ne manquent pas de rappeler que lord Baden-Powell revêtait
ainsi l’uniforme – l’hypothèse reste néanmoins à vérifier – et de l’autre,
les éclaireurs ont le sentiment profond d’un retour aux sources et jouent
volontiers le jeu.
Un camp itinérant durant plus de trois semaines permet aux
éclaireurs de découvrir la Corse en juillet 1989 en parcourant un chemin
quasiment identique à celui suivi par leurs aînés cinq ans plus tôt, le
« G.R. 20 ». Débarquée à Calvi, la troupe s’installe au bout de la
plage et prépare ses affaires pour la randonnée. Les éclaireurs marchent
en binômes et campent dans de petites tentes, deux par deux. Le
ravitaillement est assuré en voiture par l’intendant. Il arrive cependant
que la troupe emporte deux ou trois jours de vivres dans les sacs à dos en
l’absence de route carrossable pour rejoindre le bivouac. Les journées de
marche sont éprouvantes. Deux entorses de la cheville nécessitent, hélas,
l’intervention d’un hélicoptère. La troupe se baigne dans de superbes
vasques de torrents glacials pour se rafraîchir. Un énorme orage au pied
du « monte Cinto » en empêche l’ascension.
100
1990-1999
Les années 1990 et 1991 sont marquées par les retrouvailles
d’anciens de la troupe. Un banquet est donné par les Chiens un soir d’avril
1990 au cours duquel trente-deux anciens de la patrouille se retrouvent
pour rire et chanter. Au printemps suivant, le groupe local fête ses quatrevingts ans (1911-1991) lors d’un dîner spectacle : le long passé de la
troupe y est évoqué par de courtes saynètes. En fait, les chefs ignorent à
peu près tout de l’histoire de Passy et reconnaissent volontiers avoir plutôt
fabulé que recherché l’exactitude des faits et gestes alors reconstitués,
à commencer par l’âge de la troupe : Passy n’est octogénaire que par
ouï-dire ! Enfin, les « très anciens » se réunissent à l’automne 1991 à
l’occasion du cinquantenaire de la Seconde Guerre mondiale.
101
VOILÀ PASSY PASSÉ
Thierry Carle (1990-1991) et Frédéric Jannin (1992-1993) sont
chefs de troupe.
Le grand jeu du camp de Pâques 1990 scinde les patrouilles en
deux clans, les royalistes et les Bonapartistes. Ainsi, lors du concours de
cuisine, les chefs dînent-ils dans des assiettes de faïence et des verres de
cristal, à la lueur de candélabres en argent empruntés à la grand-mère de
l’un d’entre eux.
Tandis que les éclaireurs s’affairent à la construction de leurs
tables, foyers et plates-formes de patrouille, Thierry Carle conçoit,
l’été 1990 dans les Cévennes, un mât de troupe d’une grande allure,
authentique « P.H. » ou « paraboloïde hyperbolique » par l’effet artistique
donné à la drisse qui forme une sorte de grand filet tendu en arrondi entre
les troncs de l’armature, écorcés à la plane pour la circonstance ! Un bon
mât de troupe est, en effet, le gage d’une troupe solide et sa fierté.
Une exploration de troupe à partir du camp fixe, situé à SaintGermain-de-Calberte (Lozère), permet d’atteindre de nuit le sommet du
mont Aigoual deux jours plus tard et d’assister au petit matin à un lever
de soleil féerique, avant de repartir par petits groupes en exploration de
patrouille durant trois jours. Les garçons ne manquent pas de se rendre
au Mas Soubeyran pour visiter la maison de Rolland (Musée du Désert).
Rolland était chef camisard à l’époque des dragonnades. La patrouille
des Panthères passe une nuit dans le temple de Saint-Etienne-ValléeFrançaise. Certains éclaireurs jouent de l’harmonium alors que d’autres
se suspendent à la grosse corde du clocher qu’ils font retentir tant et
plus.
« V’là Passy » est plus rarement chantonné à la troupe. Ce sont
plutôt les louveteaux qui font leur cet air mythique du « grand Passy ».
En rentrant d’une sortie d’hiver, la troupe attend sur le quai de
la gare de Taverny (Val-d’Oise). Des voyous se moquent des culottes
courtes d’uniforme portées par les éclaireurs. A peine le train est-il entré
en gare qu’ils descendent sur le ballast et canardent de pierres la voiture
dans laquelle Passy vient de prendre place. Les éclaireurs se tiennent tête
baissée sous les fenêtres alors que les projectiles brisent la totalité des
vitres.
102
1990-1999
Les patrouilles campent à Pâques 1991 en parfaite autarcie dans
le parc du château de La Roche-en-Brenil (Côte d’Or) et se retrouvent
tous les matins dans un grand pré pour des olympiades : les parties de
soule et de thèque dans la gadoue, la pluie et le froid sont déchaînées.
L’intendant réchauffe les garçons par des marmites de thé bouillant qu’il
suffit de boire à la louche en y ajoutant un brin de sucre.
L’été 1991, le chef de troupe surprend ses éclaireurs par la
confection géniale d’un mât de troupe de plus de huit mètres de haut,
comprenant une plate-forme à mi-hauteur. Les bras des éclaireurs sont
d’ailleurs réquisitionnés un soir, jusqu’à une heure du matin, pour ériger
dans le champ de thèque, à la lumière des torches, l’imposant mât qui doit
être inauguré le lendemain matin.
Il s’agit d’un camp à bicyclette près de Villamblard (Dordogne).
L’épreuve des « vingt-quatre heures à vélo », où se défient les patrouilles,
est interrompue après huit heures de course par le maire qui semble
considérer le parcours trop dangereux. Les Panthères, équipées de deux
bicyclettes Peugeot – dont l’une de secours – ont néanmoins réussi
à parcourir cent quatre-vingt-sept kilomètres. Suivent, dans l’ordre
d’arrivée, les Chiens, les Wapitis-Crocodiles et les Castors. Les patrouilles
s’affrontent encore à vélo lors d’un cross à travers bois, d’un kilomètre
chronométré, d’un rallye technique et d’une course de chars attelés à leurs
bicyclettes.
La troupe resserre les rangs après ce camp. Il n’y a plus que trois
patrouilles, les Chiens, les Castors et les Wapitis, composées d’éclaireurs
assidus et volontaires. Des liens d’amitié se tissent ainsi davantage entre
les garçons, ce qui renforce la cohésion au sein de la troupe et lui promet
un nouvel élan.
Le camp de Pâques 1992 à Pignans (Var) apparaît, en ce sens,
comme une sorte de résurrection : treize éclaireurs répondent présents.
La troupe est accueillie dans la propriété de Bernard Mamy, éclaireur
de Passy sous l’Occupation. Les coins de patrouille se situent de part et
d’autre du confluent de deux rivières, au pied d’une colline de soixantedix hectares qui a malheureusement brûlé deux ans plus tôt. Le temps est
magnifique, les éclaireurs reviennent à Paris couverts de coups de soleil.
103
VOILÀ PASSY PASSÉ
Les chefs élèvent leur tente à plus de six mètres dans les arbres
au camp d’été 1992 à Saint-Quirin (Moselle).
En 1993, la troupe retrouve toute sa vitalité. L’impulsion donnée
par Frédéric Jannin lui permet de relever deux grand défis, l’un à Pâques,
l’autre en été.
Premier défi : est édifié durant le camp de Pâques 1993 un
« village dans les nuages » par la construction d’une unique structure
en bois comprenant un ensemble de cinq tentes surélevées à d’inégales
hauteurs, reliées les unes aux autres par des échelles ! Et ce, sans prendre
appui sur les arbres voisins.
Les plans, ingénieusement préparés avant le camp, tiennent
compte de la meilleure répartition possible des charges sur l’ossature.
Le diamètre, la longueur et le nombre de troncs d’arbre nécessaire pour
réaliser cet assemblage complexe sont soigneusement répertoriés. Un
numéro est attribué à chaque pièce de ce puzzle grandeur nature. Seule
de la tige filetée en acier est utilisée pour assurer une fixation solide
des troncs. Chaque patrouille est chargée de travaux en rapport avec sa
spécialité : coupe, élagage, travail du bois au ciseau, perçage des troncs au
vilebrequin, préparation des sections de tige filetée… Le quartier général
des chefs consiste en une petite table sur laquelle sont collés les plans, le
recensement de chaque élément de la construction et le calendrier horaire
des opérations. Tout doit être terminé en quatre jours.
L’infrastructure est gigantesque, aussi, des palans et des minigrues sont-ils montés pour parvenir à hisser les troncs avec l’aide de la
troupe entière. Les éclaireurs travaillent même de nuit pour achever le
chantier dans les délais prévus. Ils ne profitent d’ailleurs de cet exploit
qu’une seule nuit, rentrant à Paris le lendemain, heureux de s’être tant
donnés et fiers de leur ouvrage.
Deuxième défi : un camp de randonnée en Ecosse en juillet
1993 offre aux éclaireurs et éclaireuses de Passy l’occasion d’une grande
marche dans les Highlands pendant trois longues semaines. La troupe et
la compagnie entreprennent leurs marches séparément. Leurs chemins se
croisent néanmoins de temps à autre, bonne occasion de se réconforter
mutuellement.
104
1990-1999
A l’initiative de Guillaume Monod, chef adjoint, la troupe invite
quatre garçons, rencontrés grâce au foyer d’entraide protestante de
Belleville, à participer à ce camp d’été.
La marche se fait en troupe selon des règles strictes : les éclaireurs
emportent chacun un sifflet et une boussole. Ils sont associés par deux,
avançant au même rythme tout au long du périple et prêts à s’entraider
pour parer à tout accident. Chaque binôme est équipé d’une tente légère
de secours ainsi que d’un bleuet à gaz pour chauffer les repas. Un chef
ferme la marche et le mot d’ordre est donné qu’en cas de perte de contact,
l’éclaireur égaré doit suivre le nord à la boussole et s’arrêter à la première
route rencontrée, pour faciliter d’éventuelles recherches.
Une première étape consiste à relier en cinq jours Tain depuis
Lochinver. Il pleut, il vente, les éclaireurs enfoncent leurs chaussures
dans la tourbe écossaise jusqu’aux genoux, franchissant crevasses de
boue, ruisseaux, fils barbelés, rebroussant chemin… Les patrouilles font
l’ascension d’une colline en file indienne, dessinant de grands lacets sur
la pente glissante. Leurs chevilles souffrent, les ponchos qui les protègent
de la pluie volent, s’envolent et revolent, tant les bourrasques sont fortes.
A chaque halte, que ce soit pour se reposer, déjeuner ou
bivouaquer pour la nuit, les éclaireurs sont dévorés par des nuages entiers
de « midges », petits moustiques écossais qui se collent à eux et les
démangent à se gratter jusqu’au sang. Seuls le vent et la pluie permettent
d’y échapper. Les garçons sont contraints de prendre leurs repas, la tête
et les jambes calfeutrées sous leurs ponchos pour ne pas être piqués. De
temps à autre, un bras en sort à la vitesse d’un éclair le temps de passer
une boîte de sardines à son voisin. Les patrouilles dressent leurs tentes
près d’un bois : l’offensive des « midges » est telle, lors du dîner, que les
éclaireurs se retranchent d’abord dans leurs tentes, puis dans leurs sacs de
couchage en prenant soin de se protéger la tête, les « midges » s’infiltrant
à travers les moustiquaires.
Un raid effréné sur les bords du Loch Ness conduit la troupe à son
camp fixe de deux jours sur les hauteurs du lac. L’opération se déroule
en partie dans les ruines du château d’Urqhart. Certains en profitent pour
faire un brin de toilette et de vaisselle dans les eaux du lac.
105
VOILÀ PASSY PASSÉ
Lors de la seconde marche qui dure quatre jours, la troupe part du
Loch Ness et rejoint Kyle of Lochalsh en face de l’île de Skye sur la côte
ouest. Halte est faite près d’un barrage pour une nuit. Thomas Girodot
et Fabien Mirabaud s’amusent à rabattre un troupeau de moutons vers le
bivouac pour effrayer les éclaireurs. Le lendemain, la troupe est attaquée
dès l’heure du goûter par une nuée de « midges ». Les chefs prennent
alors le parti de monter le camp pour la nuit au sommet d’une colline,
car le vent y souffle fort, épargnant ainsi les éclaireurs des piqûres de
« midges ». La tente des Chiens, vieille d’onze ans, n’a plus qu’une
porte qui ferme, plus de piquet central et neuf éclaireurs y dorment – la
tente n’ayant que huit places et un tapis de sol de six places. Le vent
est insupportable durant la nuit. La tente manque de s’envoler à chaque
instant, ayant été malencontreusement montée dans le sens du vent. Des
rafales de vent et de pluie s’engouffrent par la porte ouverte, éclaboussant
tant et plus les éclaireurs de ce côté de la tente. Le double toit s’envole,
la tente est de plus en plus secouée. Le dernier de patrouille essaye de la
replanter à l’aide de couteaux et de fourchettes. En vain. Deux éclaireurs,
trempés, sont maintenant debout à l’extérieur tentant de retenir le tout
pour éviter qu’il ne se démâte. Rien à faire, la patrouille termine la nuit à
la belle étoile.
La nuit suivante, trois tentes sont montées en file indienne, celle
des Chiens au milieu pour l’isoler. Le résultat est catastrophique : n’ayant
que deux portes en tout et pour tout pour une vingtaine d’éclaireurs,
toutes les affaires sont piétinées et souillées de boue.
Les éclaireurs comprennent à ce camp qu’il est possible de
marcher les pieds dans l’eau à travers les landes des dizaines de kilomètres
et de se coucher dans un sac de couchage trempé comme une éponge.
Les chefs ne restent à la tête de la troupe qu’une année ou deux.
Ce sont Pierre-Edouard Heilbronner (1994), Michaël Jannin (1995-1996),
Fabien Mirabaud (1997), Alexandre Hemery (1998), Egide Brunet (été
1998) et Frédéric Rivain (1999).
Alors que la troupe campait sans exception à Pâques et en été
depuis ses débuts, elle ne connaît désormais plus que des camps d’été.
C’est une partie de la vie de Passy qui se perd, celle des camps de Pâques
106
1990-1999
frais et humides où la nature est encore endormie, celle où il fait bon de
s’approcher d’un grand feu pour se réchauffer après s’être lavé, torse nu,
dans l’eau glacée de la rivière. Seuls deux camps de haute patrouille sont
organisés à Pâques 1996 et 1997. Le premier dans les Vosges et le second
à l’Ile d’Oléron.
Les éclaireurs ne sont pas tous parisiens. De nombreux garçons
habitant la province rejoignent la troupe aux vacances d’été, gage de la
qualité du scoutisme pratiqué à Passy. Ceux-ci ne participent guère aux
réunions et sorties de l’année, ce qui crée parfois des difficultés pour
trouver leur place au sein de patrouilles aux rangs déjà bien établis.
Au camp d’été 1994, les éclaireurs prennent le large pour un
camp à voiles en Bretagne. Ils apprennent la navigation sur des dériveurs
et des catamarans et entreprennent un raid de deux jours le long des côtes
bretonnes, passant la nuit sur une plage.
Les éclaireuses campent dans le Vercors à proximité de la troupe
l’été 1995. Une fois de plus, le camp est dominé par un mât de troupe,
plus perfectionné encore que les précédents : deux immenses pyramides
en bois, imbriquées l’une dans l’autre, reposent en équilibre sur deux
uniques piliers de soutènement !
C’est au camp de l’année suivante que les belles plates-formes
d’antan revoient le jour au château de la Calvinière (Maine-et-Loire). Les
patrouilles reprennent le goût du vrai froissartage, celui qui ne comporte
ni clou ni lien, mais de beaux assemblages.
C’est un camp à vélo. La course des vingt-quatre heures est
interrompue après dix-huit heures, les organisateurs étant trop fatigués
pour tenir le compte des tours. Toute la troupe se rend au bal populaire de
Noyant le 14 juillet.
Passy s’en va à la découverte de la chaîne des Puys d’Auvergne
l’été 1997. La marche est soutenue, les éclaireurs fournissent le meilleur
d’eux-mêmes pour affronter la montagne. Fatigués, ils tardent à se lever
le matin malgré le signal du clairon et ce n’est bien souvent qu’un quart
d’heure plus tard, lorsque le petit déjeuner est prêt, qu’ils bondissent de
leurs sacs de couchage, s’habillent en hâte et courent lacets dénoués,
boutons de chemise décalés, à la table de troupe.
107
VOILÀ PASSY PASSÉ
Pour remédier à ces négligences, Albin Bousquet, chef adjoint,
imagine la légende de « Superscout » dont les apparitions impromptues
en uniforme permettent de donner l’image d’une tenue « im-pec-ca-ble »
et de rhabiller les éclaireurs défagotés !
En voici une illustration : dernier jour du camp, dernier petit
déjeuner. Surprise des éclaireurs. Devant eux apparaît « Superscout »
(Albin Bousquet en parfait uniforme et muni d’une cape) qui s’exclame :
« Rentre ta chemise dans ta culotte de velours » ; « Roule ton foulard
correctement »… Les ordres fusent pour chacun et même les chefs
sont pris à parti. Enfin, « Superscout » disparaît. Un chef de patrouille
témoigne : « Qui est-ce, celui-là ? Il a remis ma patrouille en uniforme
« im-pec-ca-ble » en cinq minutes, chapeau ! ».
Frédéric Jannin, promu chef du groupe local de Passy, profite du
premier numéro tout en couleurs du journal « Rouge et Vert » de Noël
1997 pour souligner les divers atouts qu’un éclaireur peut tirer d’une
participation active et régulière à la vie de la troupe de Passy :
« Etre louveteau, éclaireuse ou éclaireur à Passy, qu’est-ce que
cela signifie ? C’est avant tout une formidable aventure dont vous êtes
le héros ! Citons en vrac : descendre une rivière avec des radeaux faits
maison, traverser la Corse à pied, voir un lever de soleil du sommet du
mont Aiguille, descendre en spéléo au fond d’une grotte, construire un
village dans les arbres, naviguer au large de Belle-Ile, gagner à ski des
refuges d’altitude à la nuit tombante, voir la brume matinale se dissiper
sur les eaux noires du Loch Ness…
C’est aussi une aventure humaine, vers les autres, vers soi-même.
Nos valeurs sont celles de la foi chrétienne mais notre groupe reste fidèle
à une tradition fortement œcuménique. Notre mode de fonctionnement
est fondé sur la vie en communauté. L’unité (meute, troupe, compagnie)
représente une cellule sociale alors que l’équipe (sizaine, patrouille, clan)
constitue un noyau plus familial. Une des richesses du scoutisme repose
sur la possibilité de réfléchir à sa place et à son rôle dans cette vie
communautaire à deux vitesses.
La découverte de l’autre constitue bien une magnifique aventure.
Mais l’aventure spirituelle ne s’arrête pas là. Les activités des unités vous
108
1990-1999
permettent de découvrir en vous-même ce dont vous n’aviez même pas
idée : vos goûts, ce qui vous motive, vos limites, vos passions.
La beauté de cette aventure, c’est que ce n’est pas celle d’un
livre ou d’un film. C’est une aventure dont vous êtes le principal héros.
Au-delà des moyens mis en œuvre pour l’atteindre, l’objectif avoué et
ultime du scoutisme à Passy est de vous aider à devenir de jeunes adultes
autonomes, solidaires et responsables.
Le mot de la fin sera « héros ». Il n’est pas toujours facile d’être
un héros dans la vie quotidienne, à l’école… A Passy, durant les camps,
lors des sorties, vous serez un héros. Un héros le temps d’un grand jeu ou
un héros pour toujours : c’est en tout cas ce que vous lirez dans le regard
des plus jeunes qui se lèveront vers vous. Signé, Frédéric Jannin ».
La troupe se rend dans le Jura au mois d’août 1998. Le cadre est
superbe : un cirque, une forêt de sapins, un lac. Les garçons admirent
chaque matin le voile de brume qui se dissipe au-dessus de l’eau.
Les éclaireurs, armés de scies et de haches, préparent à la sueur de
leur front leurs installations de patrouille, répétant des gestes séculaires.
Ce n’est pas sans envie qu’ils regardent leur hôte manier avec dextérité et
rapidité une tronçonneuse pour entretenir ses bois.
Le lieu de camp a un tel succès que les louveteaux de Passy
y camperont en 1999 et que les éclaireuses le réserveront pour l’année
suivante.
A la rentrée de septembre 1998 naît l’idée d’imprimer un « Rouge
et Vert » sur le camp, mentionnant les participants, les rapports des
patrouilles et les résultats du concours de camp. Préparé par les chefs,
il est distribué aux intéressés lors de la réunion de projection des
diapositives à l’automne.
Passy est l’une des rares troupes à avoir participé tous les ans au
concours régional de Trivaux. Au printemps 1999, la « fidèle » patrouille
des Chiens se classe troisième au concours des patrouilles.
En juillet 1999, un camp en radeau se déroule dans l’Aveyron.
Dès leur arrivée, les patrouilles s’affairent à la construction de leurs
embarcations sur une plage de galets le long du Tarn : formés d’un
châssis de bois composé de quatre troncs assemblés par des méplats,
109
VOILÀ PASSY PASSÉ
un épais brelage à chaque coin et recouverts d’un platelage de planches
clouées, les radeaux reposent sur des chambres à air de tracteur. Les
éclaireurs armés de pied en cap – gilets de sauvetage, casques et pagaies –
appareillent pour une descente des gorges du Tarn de plusieurs jours. Le
radeau des Castors se retourne à trois reprises le premier jour. Les Wapitis
perdent deux heures à franchir un barrage. Ils sont ensuite pris dans un
rapide qui les balaie contre un arbre. La troupe bivouaque chaque nuit sur
les rives, notamment près de Paulhe, de Peyre, de Saint-Rome-du-Tarn ou
encore du Viala. Outre des batailles d’eau, les éclaireurs s’affrontent à la
soule et autres joutes dans la rivière.
Réunie au cimetière de la Villette le vendredi 13 août 1999, la
troupe de Passy et ses anciens éclaireurs rendent un dernier hommage
à Michaël Jannin, ancien chef de troupe, brutalement disparu durant les
vacances d’été. Quelques lignes préparées par Fabien Mirabaud sont lues
avec émotion. Les éclaireurs chantent le « Cantique des Patrouilles ».
Une couronne de feuillages verts et de fleurs rouges est déposée sur sa
tombe et le drapeau de troupe est étendu sur la table des registres de
condoléances.
Passy est la dernière troupe à porter une chemise d’uniforme
beige, fidèle à ses aînés. Celle-ci est pourtant remplacée par une chemise
verte en novembre 1999. Il ne manque désormais plus qu’une culotte
d’uniforme rouge pour assortir la tenue de Passy aux couleurs de son
foulard.
110