1 La recherche d`un repreneur de la société par l`employeur : la

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1 La recherche d`un repreneur de la société par l`employeur : la
La recherche d’un repreneur de la société par l’employeur : la rencontre entre le droit
du travail et le droit commercial
La fermeture définitive des deux derniers hauts-fourneaux lorrains, à Florange
(Moselle) a placé le numéro mondial de l’acier – Arcelor-Mittal, sous les feux des projecteurs.
Le dossier Florange, qui a connu de multiples rebondissements entre les menaces de
nationalisation et l’accord avec le gouvernement, est censé trouver une réponse dans la
proposition de loi puis la loi visant à reconquérir l’économie réelle. La préoccupation :
empêcher le renouvellement d’une telle failed story en incitant le dirigeant à trouver un
repreneur dans le cas où serait envisagée la fermeture d’un site rentable entraînant un
licenciement collectif.
La « loi n°2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle » se situe
aux confins du droit des sociétés et du droit du travail. La proposition de loi « visant à
redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel » se fait la traduction de
l’engagement de campagne n°35 du président de la République relatif à la dissuasion des
licenciements boursiers1. Cette expression met côte à côte deux types d’intérêts, deux types
d’acteurs gravitant autour de l’entreprise – les salariés et les actionnaires –, deux éléments
constitutifs de l’entreprise – le travail et le capital. La confection de cette loi a-t-elle été saisie
comme l’opportunité pour repenser l’entreprise et un nouvel équilibre entre travail et capital ?
La fabrique du droit s’est-elle faite l’écho de la proposition formulée il y a plus de cinquante
ans par Georges Ripert selon laquelle l’entreprise devrait être conçue comme « une institution
communautaire. Le travail y trouve sa place comme le capital. Il n'est pas au service du
capital. Il collabore avec lui dans l'entreprise afin de réaliser la fin, c'est-à-dire l'exploitation
prévue »2 ?
Quel droit de propriété ? – L’un des arguments juridiques employés lors des débats
parlementaires était celui du droit de propriété. Le droit de propriété est « le droit le plus
complet qu'on puisse avoir sur une chose ».3 Appliqué à l’entreprise, on conçoit
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N°1037 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME
LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mai 2013. PROPOSITION DE LOI
visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel, (Renvoyée à la commission des
affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles
30 et 31 du Règlement.)
e
2
G. RIPERT, Les aspects juridiques du capitalisme moderne, 2 éd., 1951, p. 301
3
P. DE VAREILLES-SOMMIERES, « La définition et la notion juridique de la propriété », RTD civ. 1905. 481,
1
classiquement que les actionnaires sont propriétaires de leurs actions – l’actionnaire pouvant
céder, mettre en gage ou encore en location ses actions – et bénéficient des droits politiques
et financiers attachés à ces actions. En réalité, la notion de droit de propriété pourrait être
traduite, à la suite de Frédéric Zenati-Castaing et de Thierry Revet4, comme la propriété sur
des droits, qui seraient en l’occurrence des droits patrimoniaux, financiers et politiques. Mais
est-ce le droit de propriété des actionnaires qui est concerné lors de la vente d’un
établissement ? Dans une société anonyme, la cession d’un établissement est réalisée par les
mandataires sociaux, et plus particulièrement le directeur général, lorsqu’une telle vente
n’affecte pas l’objet social5. Dans les cas où le mandataire social agit dans les limites de
l’objet social, l’assemblée générale des actionnaires n’a pas à intervenir pour modifier ledit
objet social au préalable. Hors de ce cas de figure, et dans l’éventualité où la vente de
l’établissement ne rend pas impossible la poursuite de l’objet social, le vice que constituerait
une telle vente ne serait pas opposable au tiers de bonne foi. Sauf disposition statutaire
contraire, la décision de vente appartient donc au mandataire social et l’objet de la vente est
constitué par les biens de la société. Le droit de propriété en question lors de la vente d’un
établissement, inscrit à l’actif de la société, est celui de la société. La directeur général de la
société anonyme serait celui qui prendrait la décision de vente mais également l’employeur
visé par la loi susvisée. Ce double vocable est utilisé par ladite loi car le motif qui l’anime est
le sort des employés travaillant dans l’établissement qui serait vendu.
Quelle est alors la signification de la propriété de l’entreprise qui revient dans les discussions
relatives à la loi ? L’actionnaire est propriétaire des actions. La société, personne morale, est
propriétaire des biens qui permettent « l’entreprise », utilisée au sens d’activité dans le Code
de commerce. Parler en termes de propriété de l’entreprise, annonce-t-il un changement en
termes de propriété ? Cette loi amorce-t-elle la reconnaissance d’une propriété pour les
salariés, dont on cherche à préserver l’emploi ? Il convient de vérifier si la loi entame un tel
changement, et quand bien même cela ne serait pas le cas, on peut s’interroger sur la
naissance de prémisses allant dans ce sens à l’occasion de la confection de la loi (car avant
même la censure du Conseil constitutionnel, le droit de propriété avait une place de choix
dans les débats). Enfin, il s’agit de se demander si la question est au fond véritablement celle
du droit de propriété ou du processus de décision. Plutôt que de s’interroger en termes d’avoir,
p. 479
4
ZENATI-CASTAING Frédéric, REVET Thierry, Les biens, PUF, Droit fondamental, 3 e éd., Paris, 2008
5
Réflexion par analogie avec la vente d’un fonds de commerce. COZIAN, VIANDIER, DEBOISSY, Droit des
sociétés, Litec, 21e éd., Paris, 2008, p. 279
2
il s’agit de se questionner en termes d’être, car la société, si elle possède des biens, elle est
entrepreneur, elle est un cadre de prise de décisions.
La prise en compte des salariés – La loi crée des obligations supplémentaires d’information
du salarié dans l’hypothèse de la vente d’un établissement : l’information est considérée
comme étant un moyen de les protéger. Notons que la société, et notamment la société
anonyme, avait déjà des obligations d’information du salarié. Notre analyse propose de
considérer qu’une telle obligation vise à rendre transparente, justifiée et compréhensible
l’action du mandataire social. Celui qui a employé ces salariés doit les informer de l’évolution
d’une situation qui pourrait aboutir à un licenciement. Si de telles obligations doivent prévenir
un tel licenciement, c’est uniquement en espérant renforcer l’obligation du dirigeant à agir
pour le mieux. Est-ce à dire que le sort des salariés est compris dans l’intérêt social de
l’entreprise ? Ou encore, que ces dispositifs nouveaux révèlent un droit à l’emploi pour le
salarié ? Si l’emploi désigne « un droit d'étendue variable, à la poursuite de l'exécution d'un
contrat successif » 6, le concept de droit à l’emploi renforcerait l’idée de stabilité et de
sécurité7. Il reste que le salarié, que l’on ne libère pas de son rapport de subordination, n’est
toujours pas considéré aux côtés des actionnaires. Si la proposition de loi mentionne qu’il
s’agit de « leur entreprise », c’est uniquement pour désigner l’entreprise comme activité et in
fine, leur lieu de travail. Par ailleurs, ils ne font pas partie de l’entreprise puisqu’ils sont « tenus
informés le plus tôt possible de la possibilité qui leur est offerte, comme à tout tiers, de déposer une
offre de reprise totale ou partielle de l’entreprise. »8 Or, outre les mesures d’information, nulle
disposition ne semble organiser et aider une telle reprise par les salariés. Plus encore, on peut
s’interroger sur l’utilité d’un « droit de connaître » renforcé, même en temps utile, si cette
connaissance ne vient pas au soutien de l’effectivité d’autres droits existants ou d’autres possibilités
réelles et sérieuses d’actions cette fois non juridiques. Enfin, l’objectif de sauvegarde de l’emploi
conduit à voir la loi comme étant animée par un objectif macroéconomique et social et non comme
protectrice de chacun des salariés concerné par la menace d’un licenciement collectif.
6
F. GAUDU, « La notion juridique d'emploi en droit privé », Dr. soc. 1987. 417.
Bruno SILHOL, « La propriété de l'emploi : genèse d'une notion doctrinale », Revue de droit du travail 2012 p.
24
8
N°1037 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME
LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mai 2013. PROPOSITION DE LOI
visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel, (Renvoyée à la commission des
affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles
30 et 31 du Règlement.) ; cette possibilité de reprise par les salariés est mentionnés par le nouvel article L. 123357-10 du code du travail.
7
3
L’usage du droit de propriété dans les discours – Ni la proposition de loi ni la loi ne peuvent être
qualifiées de révolutionnaires dans leur manière de penser l’articulation du travail et du capital dans
l’entreprise. Cela correspond-il à l’interprétation et l’utilisation du droit de propriété faites par les
députés à l’occasion des débats parlementaires ? C’est à une étude des discours que nous nous sommes
livrée. Le droit de propriété est bien entendu brandi par l’opposition, en particulier les parlementaires
du groupe UMP. Il est néanmoins intéressant de s’attarder sur le sens idéologique que les
parlementaires attachent au droit de propriété et à ses éventuelles atteintes. Ainsi, Isabelle Le
Callennec évoque sa crainte d’un rapprochement de la France à une économie administrée9, crainte
réitérée par Jean-Charles Taugourdeau 10. Plus encore, c’est de la sauvegarde du système capitaliste
dont il est question. Et à ce sujet, le groupe socialiste tient à rassurer ses pairs ; Jean-Marc Germain,
rapporteur à la Commission des affaires sociales, précise ainsi que l’objet même de la loi est :
« de réhabiliter le capitalisme et rétablir la confiance, aujourd’hui très ténue, des Français et
des salariés dans leurs entrepreneurs. »11
Une telle intervention vient sous doute atténuer l’élan socialiste de Christian Paul dont l’intervention,
qui inaugurait la séance, soulignait certes qu’ « une entreprise n’est pas seulement la propriété des
actionnaires. Elle est aussi un bien social et une communauté de travail […] » mais mettait en exergue
le besoin de corriger les dérives du capitalisme. Le but est donc de conserver un système basé sur le
capital12. Le texte a d’ailleurs évolué par crainte de violer le droit de propriété :
« Toutefois, la circonstance, d’une part, que n’est pas prévue une obligation de cession mais
une sanction en cas de refus d’une offre de reprise sérieuse, d’autre part, que le dispositif n’a
pas d’impact sur le prix de la cession, permettent de considérer que l’atteinte au droit de
propriété peut être acceptée »13.
Cette crainte (certes a posteriori justifiée) de la sanction constitutionnelle eu égard au droit de
propriété souligne une certaine continuité dans l’interprétation de ce droit par le Conseil
constitutionnel. Si les propos de Patrice Carvalho confirment qu’il s’agit bien d’une crainte, il pourrait
s’agir d’un argument juridique utile pour l’opposition.
9
Commission des affaires sociales, Mardi 16 juillet 2013, Séance de 18 heures, Compte rendu n° 76, Présidence
de Mme Catherine Lemorton, Présidente
10
Assemblée nationale XIVe législature Troisième session extraordinaire de 2012-2013 Compte rendu intégral
Première séance du mercredi 18 septembre 2013
11
Ibid.
12
Le terme « capital » a été créé par Pierre de JEAN OLIVI au XIIIe siècle afin de justifier la recherche d’un
profit qui n’était, selon lui, pas un motif justifiant le ticket d’entrée des commerçants en Enfer. Le terme
« capitaliste » apparaît au milieu du XVIIIe, désignant les bourgeois possédant un capital important. Celui de
« capitalisme » apparaît au milieu du XIXe, chez SOMBART (historien allemand). Une économie capitaliste est
une économie où prime l’apport du capital, qui doit être le premier élément présent afin que toutes initiatives de
production des richesses, de leur transformation et de leur commercialité prennent formes.
13
N° 1283 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME
LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 juillet 2013. RAPPORT FAIT AU
NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à
redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel (n° 1037) PAR Mme Clotilde VALTER
Députée
4
« la proposition de loi part d’un postulat que je conteste, car, une fois de plus, il relève de
l’impuissance et du renoncement : il part du principe que nous ne pouvons pas nous opposer à
la fermeture d’un site rentable car nous violerions alors le droit à la propriété et la liberté
d’entreprendre – n’est-ce pas, monsieur Furst ? –, ce qui nous vaudrait les foudres du Conseil
constitutionnel. Dès lors, cela veut dire que les législateurs de 1981 ont osé piétiner ces
principes en nationalisant plusieurs grands groupes industriels et bancaires, sans que le
Conseil constitutionnel, présidé par un baron du gaullisme, Roger Frey, n’ait réagi et censuré
le vote du Parlement. »14
Jean-Noël Carpentier, qui soutient certes la proposition, regrette par ailleurs le manque d’ambition et
de fermeté de la loi15. Mais en réalité, peu de parlementaires de la majorité défendent une réelle
mutation de l’interprétation du droit de propriété. On ne peut que remarquer l’intervention de
Christophe Cavard, membre du groupe écologique qui défend une vision à contre-pied des débats :
« Je m’inquiète de la mention par l’opposition du droit de propriété, comme pour suggérer que
l’employeur serait le seul et unique acteur de l’entreprise. Je rappelle que les salariés sont
aussi des acteurs indispensables de la production de richesse. Un employeur seul ne produit
rien sans leur participation. C’est la raison pour laquelle nous plaidons pour le développement
de la copropriété de l’entreprise, dans le champ de l’économie sociale notamment, mais, sans
aller jusque-là, il est important de replacer les salariés au cœur de l’entreprise et de leur
permettre d’être pleinement acteurs du devenir de leur outil de travail. »16
Mais la plupart du temps, l’emploi est défendu comme étant une simple variable. François Brottes,
président de la commission des affaires économiques énonce ainsi :
« Je parle évidemment des sociétés qui vont bien, qui réalisent des profits et qui, malgré cela,
ajustent toujours la même variable, celle de l’emploi. »17
Le débat porte sur la légitimité du droit à limiter le droit de propriété et la liberté d’entreprendre afin
de protéger une telle variable. D’une part, Anne Gromerch défend l’idée que la loi :
« […] nie le principe de la destruction créatrice d’emplois qui fonde pourtant l’économie, et ce
n’est pas grâce à cette nouvelle rustine que le Gouvernement stoppera la perte de compétitivité
de notre pays. […] le texte porte atteinte au droit de propriété garanti par la Constitution et la
14
Assemblée nationale XIVe législature Troisième session extraordinaire de 2012-2013 Compte rendu intégral
Première séance du mercredi 18 septembre 2013
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Assemblée nationale XIVe législature Session ordinaire de 2013-2014 Compte rendu intégral Deuxième
séance du mardi 01 octobre 2013
16
Commission des affaires sociales Mardi 16 juillet 2013 Séance de 18 heures Compte rendu n° 76 Présidence
de Mme Catherine Lemorton, Présidente La commission examine pour avis, sur le rapport de M. Jean-Marc
Germain, la proposition de loi visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel (n°
1037).
17
Assemblée nationale XIVe législature Troisième session extraordinaire de 2012-2013 Compte rendu intégral
Première séance du mercredi 18 septembre 2013
5
Déclaration des droits de l’homme et, dépossédant de fait l’entrepreneur, collectivise l’outil de
travail. »18
D’autre part, François Brottes répond en ces termes :
« Au nom du droit de propriété, il ne peut pas l’obliger à céder, mais il peut sanctionner son
choix de pratiquer la politique de la terre brûlée, de la "destruction créatrice " selon les termes
de Mme Grommerch, et des dégâts qui en résultent. »19.
Ainsi, l’enjeu serait de peser sur les décisions du mandataire social afin de l’inciter à prendre en
compte l’emploi comme étant une variable particulière qu’il s’agit de sauvegarder. C’est donc la prise
de décision qui est l’objet de la loi et non les actionnaires, dont le droit de propriété serait en réalité
une limite à la réforme. Ainsi, Jean-Marc Germain énonce :
« Tous les patrons d’entreprises industrielles que nous avons interrogés ont admis
qu’ils ne dirigeaient plus leurs entreprises car les financiers leur imposent leurs
conditions, interdisant tout projet à long terme au nom d’une exigence de rentabilité
immédiate. »20.
Qui sont ces financiers ? S’agit-il des actionnaires ? L’enjeu serait-il d’intervenir sur le choix
du dirigeant social, d’une part en le libérant d’un côté des intérêts des actionnaires et d’autre
part en le liant avec ceux des employés ? In fine, l’intérêt de l’entreprise serait-il redéfini ou
réaffirmé par l’idée de continuité de l’activité qui bénéficierait aux salariés et aux actionnaires
(malgré eux) ? L’usage de la propriété de la société repose sur le pouvoir de décision du
dirigeant (auquel on rappelle sa qualité d’employeur). Associer le droit de propriété à la
liberté d’entreprendre viserait ainsi à encadrer le comportement de la société à travers celui du
mandataire social.
Une rencontre ratée ? – On pourrait penser qu’à l’occasion de l’élaboration de cette loi, on
ait raté une réflexion sur une autre rencontre entre droit du travail et droit des sociétés qui
aurait permis un meilleur équilibre entre les intérêts des acteurs de l’entreprise : le droit du
travail ne viendrait ainsi qu’épouser les formes du droit des sociétés. Plutôt que de se placer
du point de vue du « décideur » de l’emploi et de la cession d’une partie de l’activité, on
aurait pu revoir le statut du salarié dans l’entreprise et comprendre son apport et son intérêt
plus clairement dans l’intérêt social. Plus encore, l’asymétrie entre salariés et actionnaires
serait réaffirmé en termes de droits ; alors que le salarié voit son droit à l’information dont il
18
Commission des affaires économiques Mercredi 17 juillet 2013 Séance de 15 heures Compte rendu n° 103
Présidence de M. François Brottes Président
19
Ibid.
20
Commission des affaires sociales, Mardi 16 juillet 2013, Séance de 18 heures, Compte rendu n° 76, Présidence
de Mme Catherine Lemorton, Présidente
6
ne sait que faire renforcé, les droits de propriété de l’actionnaire sont reconnus : aucune
contrainte n’est émise à son encontre, le législateur essaie seulement d’inciter à la détention
des titres sur le long terme en récompensant l’actionnaire qui agirait de la sorte par des droits
de vote double21, sans par ailleurs s’assurer qu’une telle détention impliquerait assurément un
intérêt accru pour « l’économie réelle »22.
Donner un cadre à la prise de décision du dirigeant social – Mais on pourrait également
considérer qu’une conception d’un certain équilibre entre capital et travail préside la fabrique
de cette loi qui reposerait sur le rôle du dirigeant devant se dégager des velléités courttermiste des actionnaires. Ainsi, l’enjeu n’était pas de créer un droit de propriété des salariés
qu’il s’agissait de concilier avec celui des actionnaires. Les débats semblent guidés par l’idée
de dissociation du pouvoir du management et du droit de propriété des actionnaires, qui n’est
pas sans rappeler les travaux de Berle et Means23. Or, Roxana Family énonce que ces travaux
sont à l’origine des réflexions sur « l’entreprise citoyenne » menées notamment par le courant
Business and Society. La confection de la loi a-t-elle était elle aussi animée par la volonté
d’« insér[er] l'entreprise […] et le monde des affaires dans la société, et [ce, en faveur] de
préoccupations de cohésion sociale »24 ? La cohésion viserait alors la conciliation des intérêts
des actionnaires avec ceux des salariés et la clé de voûte d’une telle cohésion serait le
dirigeant social. Ce dernier devrait se faire l’arbitre entre le droit des salariés d’être associés
aux décisions relatives à leur emploi et le droit des actionnaires de prendre des décisions
relatives au capital qu’ils ont investi dans la société pour qu’elle puisse réaliser l’objet social
qu’ils lui ont affublé. Mais eu égard aux moyens mis en œuvre, l’objectif poursuivi semble
plus être celui de la paix sociale que de la cohésion sociale. En réalité, aucune injonction n’est
formulée à l’égard du dirigeant pour qu’il prenne en compte les intérêts des salariés d’une
part. Ces derniers ont simplement le droit à une information. Quant aux décisions arbitraires
des actionnaires, elles ne sont pas déjouées d’autre part. On récompense seulement ceux qui,
parce qu’ils détiendraient pendant suffisamment longtemps des actions. On suppose en effet
que ceux là auraient une vision de long terme qui serait apparemment elle-même supposée
21
Nouvel article L. 225-123 du code de commerce
N°1037 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME
LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mai 2013. PROPOSITION DE LOI
visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel, (Renvoyée à la commission des
affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles
30 et 31 du Règlement.)
23
A. A. Berle et G C. Means, The Modern Corporation and Private Property, 1re éd., Transaction publishers,
1932, 2e éd., Harcourt, Brace and World, 1967
24
FAMILY Roxana, « La responsabilité sociétale de l'entreprise : du concept à la norme », D. 2013. 1558
22
7
être en faveur de l’emploi. Les actionnaires de long terme auraient ainsi un droit de vote
double, c’est-à-dire des droits politiques supplémentaires, une possibilité plus importante
d’infléchir les prises de décision relatives à l’entreprise. Car, si le dirigeant social doit
consulter l’assemblée des actionnaires, on veut que ces actionnaires long terme puissent avoir
les moyens politiques de soutenir ses décisions qui auraient une vision long-terme et viendrait
au soutien de l’emploi. Outre le fait que ces dispositions reposent sur de nombreux a priori, et
qu’un travail sur l’identification des savoirs sur lesquels la proposition de loi repose serait
intéressante, rien ne vient garantir, dans ce dispositif, que le dirigeant social viendrait prendre
la bonne décision, c’est-à-dire celle en faveur de l’emploi. Sauf à voir les salariés bien
informés et le pouvoir politique des actionnaires long-terme comme des gardes fou. Il ne
s’agirait pas tant de libérer le management, que de guider le manager dans son processus de
décision.
8