La Charrue et les étoiles_pédagogie

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La Charrue et les étoiles_pédagogie
La Charrue
et les étoiles
D E S EA N O’C A SE Y
MISE
DU
A
EN SC EN E I R EN E
BONNAUD
21 A V R I L A U 2 M A I 2009
L A C OMEDIE
DE
G ENEVE
m ard i, ven d r ed i, sam ed i 20h
m er c red i , j eu d i 19h
d im an ch e 1 7h
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1
Pâques 1916. L’insurrection gronde dans les rues de Dublin. Une semaine de
combats sanglants, menés par des milices indépendantistes contre l’occupant
britannique, qui font des ravages auprès de la population. La Charrue et les étoiles
(1926) s’ancre dans ce contexte. Elle est une percutante réflexion sur l’engagement
politique et sur les conséquences de la lutte civile armée. Grande et petite histoires
se répondent, filtrées par le regard des habitants que la pauvreté et le
désœuvrement unissent. Dramaturge irlandais majeur du 20 e siècle, aux côtés de
Yeats et de Synge, O’Casey dresse un portrait haut en couleur d’une période
troublée de son pays, qui entre en résonance avec les grands conflits du monde
contemporain. Dans un style réaliste qui lui est propre, il mêle la farce au tragique
et fait de la solidarité humaine le pendant à la brutalité. Il revient sur sa propre
expérience politique avec la distance critique qu’impose tout éclat de la violence. Il
est le précurseur du réalisme anglo-saxon : Ken Loach est son héritier.
COVEY Ils lui foutent bi en la honte à ce drapeau
CLITHEROE Comment il s lui foutent la honte ?
COVEY Parce que c’est le drapeau des travaill eurs, et il a jamais été fait pour
être mêlé à des trucs de politique… Qu’est-ce que ça peut vouloir dire le dessin
d’une charrue avec dessus les étoiles de la charrue céleste, si c’ est pas l e
Communisme ? C’est un drapeau qui devrait seulement servir le jour où on
dressera l es barricades pour se battre pour une République des travailleurs !
La Char r ue et le s éto il es , act e I
2
Sommaire
Sean O’Casey (1880-1964) ...................................................................................... 4
Naissance d’un auteur ........................................................................................................ 4
Le scandale - l’exil .............................................................................................................. 5
Contexte historique................................................................................................... 6
La charrue et les étoiles ..................................................................................................... 6
L’IRA ...................................................................................................................................... 7
Entretien avec Irène Bonnaud, metteure en scène ........................................ 8
Irène Bonnaud, parcours ....................................................................................... 11
Le texte - éléments dramaturgiques ................................................................. 12
Résumé ................................................................................................................................. 12
L’efficacité dramatique de la pièce .................................................................................. 12
La grande Histoire et les petites histoires ..................................................................... 13
La modernité de la pièce : une dramaturgie hybride .................................................... 14
La scénographie du spectacle .......................................................................................... 15
Bibliographie ............................................................................................................. 18
3
Sean O’Casey (1880-1964)
Naissance d’un auteur
Issu des quartiers populaires de Dublin, Sean O’Casey (de
son vrai nom John Casey) est le cadet d’une famille
protestante de treize enfants. Il devient ouvrier à 14 ans, âge
auquel il apprend à lire en autodidacte. Dès 1901, il travaille
comme manœuvre aux chemins de fer irlandais et se
syndicalise en 1911, collaborant régulièrement au journal
des syndicats The Irish Worker. Il participe activement à la
grève générale de Dublin entre 1913 et 1914, qui voit naître
l’organisation indépendantiste et communiste, « The Irish
Citizen Army » (« Armée citoyenne irlandaise ») de James
Conolly, dont il devient le secrétaire. Cette expérience
consacre son évolution vers le socialisme : « De la croyance religieuse et du
militantisme nationaliste gaélique, [O’Casey] passe à une position franchement
athée et révolutionnaire marxiste » 1. Mais l’insurrection de Pâques 1916 constitue un
tournant dans son parcours. Il désapprouve la coalition de l’« Armée citoyenne
irlandaise » avec l’autre fraction nationaliste, « The Irish Volunteers » de Patrick
Pearse, politiquement plus hétérogène. Il en rejette le combat purement patriotique,
incompatible avec ses idéaux sociaux et anticléricaux. En 1916, O’Casey ne
cautionne donc pas le mouvement de rébellion, prend ses distances avec la lutte
politique et se tourne vers l’écriture dramatique. Il livrera de ses années de lutte un
témoignage sceptique et désillusionné, dénonçant le fanatisme destructeur des
combattants, à travers le regard lucide de ses personnages issus du peuple.
O’Casey restera toutefois fidèle à la pensée sociale.
A la fin du 19 e siècle, l’Irlande voit naître sa « Deuxième renaissance littéraire », qui
valorise l’identité du pays dans un contexte de revendication d’autonomie politique.
Le célèbre poète William Butler Yeats (1965-1939) en est le chef de file : retour à
l’Irlande mythique et rurale, valorisation de la langue gaélique, légendes ancestrales
celtiques, qui s’associent parfaitement avec le symbolisme des poètes français où
Yeats puise son inspiration. En 1904, Yeats fonde à Dublin l’Abbey Theater dont « le
dessein initial est d’édifier une école celtique de littérature dramatique » 2. Jeune,
O’Casey est réceptif à ce mouvement culturel, apprenant lui-même l’irlandais, la
cornemuse et optant pour un nom d’emprunt. C’est donc naturellement qu’il propose
ses pièces à ce théâtre phare de Dublin. Couronnée de succès, sa trilogie dublinoise
offre un traitement réaliste des circonstances de son temps : guerre d’indépendance
anglo-irlandaise de 1920 dans L’Ombre d’un doute (1923), guerre civile dans Junon
et le paon (1924), enfin Pâques 1916 dans La Charrue et les étoiles (The Plough
and the Stars, 1926). O’Casey y déploie son ironie mordante sur un ton tragicomique et dessine des personnages emplis d’humanité.
1
2
Jaqueline Genet et Claude Fiérobe, La Littérature irlandaise, p. 145.
Ibid., p. 114.
4
Le scandale - l’exil
La Charrue et les étoiles est pourtant fatale à l’auteur : la pièce démolit un mythe,
tournant en dérision l’héroïsme des leaders nationalistes érigés en martyrs après les
émeutes de 1916. Dans un contexte de tensions politiques, elle est reçue comme
une provocation par un public qui refuse toute critique de la lutte indépendantiste.
L’anticléricalisme du texte est également mal perçu. A la quatrième représentation,
le scandale éclate. La pièce est interrompue, la police appelée en renfort 3. O’Casey
perd en crédibilité et se voit refuser par l’Abbey Theater sa nouvelle pièce, La
Coupe d’argent, ouvertement antimilitariste. En 1927, il s’exile en Angleterre. Il
poursuit son œuvre sur un mode plus symboliste. S’il est surtout célèbre pour son
théâtre, il laisse également des essais, des nouvelles, de la correspondance et une
volumineuse autobiographie. Il s’éteint en 1964 dans le Devon.
Au tob iog r ap hie s ( t. II) de Se an O’ Ca se y : l a cr éat io n de La C har r ue et le s é to ile s
Le th éâtr e ét ai t bo ndé ; l e r ide au s e l eva ; le s pe cta cle déb uta . Bie n qu e qu el que s- un s de s
act eur s ne fi ss ent guèr e d’e ffor ts pour se m et tr e d ans la pea u de s p er so nn a ges , to ut a ll ai t
plu tôt bie n ; le s spe cta teu r s ét ai ent ca lm e s, pr of o nd ém en t at ten ti fs à ce qu ’i ls voy ai ent [… ] .
Le so ir s ui van t, Se an ar r i va en ple in e te m pê te. [ …] On [l ui ] an non ça q ue l e t héâtr e ét ai t en
ple ine ébu ll it ion et q u’ il étai t im po ss ib le de co n t in uer à jou er la pi èce si u ne a ct ion
déter m i née n’é ta it p as d é cid ée ; qu e de s pr oje ct il e s éta ien t la nc és sur l es ac t eur s et q ue l a
scè ne al la it êtr e s ac cag ée .
On ap pe la la pol i ce et la piè ce r e pr i t… u ne do ub le piè ce, en fa it … l ’un e sur scè ne, l’ autr e
dan s la sa ll e. [… ] De s ém a nat io ns va por eus es s’ él ev aie nt ça e t l à et une p uan teur
éc œur a nte se pr op age a, f ais ant vir er a u bl an c le s v isa ge s r ub ic ond s. De s fe m m es au x vo ix
haut per ché es [… ] g lap is s aie nt san s tr êve qu e l es j eune s f il le s ir la nda is es ét aie nt r é put ée s
dan s le m o nde ent ier pour leur m od es tie et que le n om m ê m e d ’Ir lan de éta it s acr é ; [ …] que
cet te fa çon d e ca lom n ier la r ace ir la nda is e si gn ifi er ai t la fi n de l ’ Abb ey T heat er et qu e
l’Ir la nde ét ai t l ’Ir la nde , d a ns la jo ie et dan s le s lar m es. ( pp . 1 68- 1 70)
Po ur Se an, l e t em p s éta it ven u d e p ar t ir . Il en a va it suf fi sam m ent s upp or t é. Il ne se se nti r ai t
pas pl us en e xi l s ur une ter r e é tr an gèr e qu e dan s s on pr o pr e pa ys. I l s ’é tai t l ui- m êm e
vol ont air em e nt e t dur ab l em en t ex i lé d e to ute cr oya n ce , de tou t p ar ti , d e tou te cl iqu e
lit tér a ir e [… ]. D ans la p r ess e, c eu x qu i éta ie nt ca p abl es d e pen ser ave c per spi ca ci té
ava ien t sou ve nt écr it qu e S ean é tai t u n dr am atur g e de s tau di s, un v oyo u d es r ue s q ui , à
par t ir d e ce qu’ il a vai t v u et en ten du, fa is ai t t in t er qu el que s m ot s. Les te r m es em p lo yé s
éta ien t j us tes et pe r ti nen t s c ar il éta it l ’un et l ’au tr e et, to ute s a v ie , i l s’ eff or çai t d e g ar de r
les qu al ité s de sa ges se et de co ur ag e q ue lu i a va it v alu es sa co nd iti on . ( p . 2 55 )
3 A l’Abbey Theater, Le Baladin du monde occidental de J. M. Synge avait suscité la même réaction en
1907, par l’humour cinglant avec lequel l’auteur dépeignait les Irlandais. Pendant sept jours, la population
a manifesté son désaccord.
5
Contexte historique
La charrue et les étoiles
L’insurrection du 24 avril 1916 est un moment capital dans l’histoire de
l’indépendance irlandaise. Elle est le résultat d’un long processus de luttes
populaires qui remontent au 19 e siècle, après la Grande famine (1845-1847), où les
ravages des récoltes par un champignon achèvent de fragiliser les paysans pauvres,
fortement exploités par la politique coloniale anglaise ; un mouvement de rébellion
qui aboutit à la réappropriation des terres par les paysans, à un mouvement de
renaissance culturelle gaélique, enfin, en 1902, à la création du mouvement
autonomiste du Sinn Féin (« nous seuls »). En 1914, la longue bataille du Home
Rule (« le gouvernement chez soi ») aboutit : une autonomie très incomplète est
reconnue à l’Irlande. Mais ces négociations, débutées trente ans auparavant, ne
correspondent plus aux aspirations du pays et débouchent sur la création de
mouvements armés : suite à la grève générale de 1913-1914, l’« Armée citoyenne
irlandaise » (« The Irish Citizen Army ») est fondée, les idéaux communistes et
nationalistes y sont réunis, ainsi que les « Volontaires irlandais » (« Irish
Volunteers »). Leur étendard: la charrue et les étoiles:
C'e st l 'ét end ar d poé ti que du m ouv em e nt ou vr i er . La ch ar r ue s ym b ol is e l e r et our ne m en t d u
sol de la so ci été ca pit al i ste par la lut te des c la s ses , l e tr ava i l pa ti ent de sem ai lle de s
gr ai nes du fu tur , m a is au ss i l e b eso in im pér i eu x d e la r é col te qua nd el les s ont à m a tur ité .
Qua nt aux ét oi le s, el le s e xpr i m en t la bea uté et l a n obl es se des i déa ux ou vr i e r s.
Ces deux milices clandestines sont à l’origine de l’insurrection de 1916, conduite
par Conolly et Pearse, en réaction au contingent de soldats irlandais partis pour la
Grande guerre sous la bannière britannique. Désavouée au dernier moment par les
chefs des milices, la rébellion n’a lieu qu’à Dublin au milieu d’une population hostile.
Les insurgés occupent la Grande poste et Pearse lit une « déclaration
d’indépendance », discours solennel que O’Casey tourne en dérision dans La
Charrue et les étoiles :
Au nom de Di eu e t de s génér at ion s m o r te s d ont ell e r e ço it s a v ie il le t r ad i tio n na tio na le,
l’Ir la nde par not r e voi x a p pel le se s en fan ts à son dr apea u… so ute nue par se s enf ant s e xi lé s
en A m ér iqu e et p ar s es va il lan ts a ll ié s d’ E ur op e, m a is c om p tan t d’ abo r d s ur sa pr opr e for ce,
ell e fr app e, pl ei nem ent as sur é e d e s a vi cto ir e . 4
Condamnée d’avance, l’insurrection ne remporte de victoires que par ses morts. Au
terme d’une semaine de combats, elle se solde par un échec : ville mise à feu et à
sang (pillages, destructions), gens affamés, proclamation de la République
irlandaise rendue impossible par la contre-attaque britannique qui met en place une
répression sanglante (400 morts, 2217 civils blessés, 5000 personnes arrêtées). Les
chefs de l’insurrection sont condamnés à mort, ce qui fait finalement tourner
l’opinion publique en leur faveur. Ils sont érigés en martyrs de la cause irlandaise.
4
Extrait de la déclaration de Pearse, citée dans René Fréchet, Histoire de l’Irlande, p. 109.
6
L’IRA
Cette lutte aboutit à un mouvement de sympathie pour le Sinn Féin, et au triomphe
du parti indépendantiste aux élections de 1918. Ses députés constituent un
Parlement national. Mais Eamon de Valera, président des « Volontaires irlandais »
transforme le mouvement en l’« Armée républicaine irlandaise » (IRA) et fomente
une guerre civile d’indépendance, qui débute en 1919 et aboutit, en 1921, à la
partition de l’Irlande en deux : le sud du pays, catholique, devient l’Etat libre
d’Irlande, tandis que l’Ulster (nord-est), région à majorité protestante et plus
industrielle, reste attachée au Royaume-Uni. Désormais, dans cette partie du pays,
à la lutte contre la domination anglaise s’ajoute celle entre la minorité catholique et
la population protestante. Durant le 20 e siècle, l’IRA continue son combat et
s’impose comme un groupement terroriste. Elle se divise en 1970 en une fraction
modérée et l’autre extrémiste. Régulièrement des attentats sont perpétrés contre
des cibles britanniques. En 1981, 10 prisonniers décèdent d’une grève de la faim,
faisant éclater des émeutes dans le nord du pays. Le gouvernement Thatcher entre
en matière sur certaines revendications pour atténuer les violences. Après de
nombreuses années, les accords de paix entre l’Irlande du Nord et l’Angleterre
aboutissent en 1998, à la condition que l’IRA dépose les armes, ce qu’elle fait
définitivement en 2005.
7
Entretien avec Irène Bonnaud,
metteure en scène
Propos recueillis par Eva Cousido
EVA COUSIDO Irène Bonnaud, comment inscrivez-vous La Charrue et les étoiles
dans votre parcours artistique ?
IRÈNE BONNAUD O’Casey s’inscrit dans la continuité de Heiner Müller, qui pour
moi est emblématique de ce qui m’intéresse depuis longtemps, à savoir le rapport
que les individus entretiennent avec l’histoire ou la politique. Il se demande
comment les gens réagissent quand l’Histoire fait irruption dans leur vie et la
bouleverse. Comme Büchner et Müller et malgré des styles très différents, O’Casey
est un auteur politique mais non pas militant. Il n’assène jamais de message ni de
certitudes. Il reste toujours critique vis-à-vis de ses propres convictions. O’Casey
était très engagé dans la lutte pour l’indépendance de l’Irlande. Pourtant ici, il fait
une description au vitriol des formes d’engagement, du fanatisme, de la langue de
bois, de la rhétorique religieuse dans le discours politique ou encore du culte des
martyrs. L’autre point commun entre les auteurs que je monte, c’est une liberté et
une force qui leur permettent de mélanger les genres, de passer d’une scène
tragique à un gag ou à la comédie musicale. J’aime ce télescopage, j’aime les
contradictions et les dissonances.
EC C’est vrai que votre mise en scène montre bien comment l’hystérie générale et la
violence contaminent les rapports entre les êtres.
IB C’est très fort chez O’Casey, à quel point la vie intime et familiale, les relations
d’amour et de voisinage sont complètement enchevêtrées dans les problématiques
publiques, religieuses et politiques.
EC Vous parlez de dissonances chez ces auteurs. C’est un trait que vous semblez
aussi cultiver. Votre mise en scène est truffée d’anachronismes.
IB Quand j’ai lu La Charrue la première fois, j’ai été extrêmement frappée par
l’actualité du propos. C’en est presque effrayant. En se référant à l’insurrection de
1916, la pièce présente autant de situations que j’ai l’impression d’avoir vues aux
actualités télévisées. On pourrait être à Sarajevo, en Palestine ou en Irak. Si on
avait joué la pièce avec des costumes et un décor du début du 20 e siècle, on serait
passé à côté du propos. En revanche, j’ai laissé le texte tel quel. Du coup, c’est
étrange d’entendre parler de la première Guerre mondiale, alors qu’il y a un punk
sur scène 5. Mais c’est une leçon que j’ai apprise de Brecht : les discordances ou les
anachronismes dans un spectacle rendent compte du passage de l’histoire. Un objet
5
Le personnage de Covey n’est en effet pas habillé en ouvrier marxiste, mais en punk des années 80,
symbole de la rébellion des jeunes. La mise en scène intègre également des chansons des groupes rock
des années 1980, afin de faire écho aux tensions dans ces années-ci entre les mouvements de
revendication irlandais et la Grande-Bretagne.
8
homogène, entièrement actualisé, aurait donné l’idée que l’histoire tourne en rond,
comme s’il y avait une sorte de nature humaine immuable. Pour moi, il n’existe pas
de nature humaine, mais plutôt un processus historique. En jouant sur plusieurs
strates temporelles, on arrive à le rendre visible.
EC Vous n’avez pas actualisé le texte, mais pourtant vous l’avez retraduit avec
Christophe Triau. Quel était l’enjeu de cette nouvelle traduction ?
IB Comme toutes les traductions de théâtre vieillissent forcément – puisque la
langue orale évolue vite –, l’ancienne traduction a vieilli. On avait l’impression
d’entendre le parler français des années 50… Lino Ventura discutant avec Jean
Gabin. Ça rajoutait une couche historique parasite qui ne correspondait ni à la
langue d’aujourd’hui ni à celle de O’Casey. Nous sommes restés au plus près du
texte original, même dans ce qu’il a de bizarre. L’écriture de O’Casey est souvent
très étrange du point de vue grammatical. Il y a sans cesse des ruptures de
construction. Il écrivait vraiment une langue populaire qui rendait hommage à la
virtuosité rhétorique de ce parler. Les insultes sont aussi très directes, il s’agissait
de ne pas les édulcorer, de respecter la trivialité d’origine.
EC Sur une fresque du décor, la date de 1982 apparaît. A quoi se réfère-t-elle ?
IB Quand j’ai pensé donner un contexte plus contemporain à la pièce, j’ai décidé de
l’ancrer dans les années 80, les années Thatcher, qui marquent une période
particulièrement tendue.
EC Et cette fresque murale, d’où vient-elle ?
IB Avec la scénographe, Claire Le Gal, nous nous intéressons beaucoup à l’art brut,
à l'art populaire ou anonyme. Or il y a une tradition populaire qui s’est développée
en Irlande du Nord : les gens peignent des fresques sur les murs de leur immeuble
pour exprimer leurs opinions politiques. Celle que nous avons choisie date des
années 70-80 et commémore la révolte de 1916. On la trouve à Belfast. Aujourd’hui
que les conflits ont cessé, ces peintures sont devenues des attractions touristiques.
EC Un élément récurrent de vos mises en scène et très présent ici, c’est la musique,
que ce soit de la pop, de la chanson populaire ou du cabaret. Pourquoi ?
IB C’est un vrai goût personnel. Mais aussi, la musique exprime des émotions de
façon très immédiate. Dans Lenz de Büchner, il y a un passage qui dit que les
questions esthétiques ne peuvent se poser en termes de beau ou de laid, que la
seule chose qui importe est qu’il y ait de la vie et la vie, on la trouve toujours dans
les chansons populaires. C’est cette vitalité qui m’intéresse et que je demande aux
comédiens sur scène.
EC Un autre élément de votre travail, qui rejoint cette attirance pour les arts
populaires, c’est la présence du clown et du travestissement. Il y a notamment dans
La Charrue une scène mémorable où Bernard Escalon traverse le plateau en
Margaret Thatcher.
9
IB Osborne, O’Casey, Brecht, tous partagent l’idée qu’il n’y a pas de grande et de
petite culture. Ils sont aussi influencés par les œuvres majeures du répertoire
théâtral que par des formes dites vulgaires ou mineures. O’Casey connaissait par
cœur Shakespeare tout comme les mélodrames irlandais et les œuvres « tirelarmes ». Il navigue entre la grande œuvre – La Charrue est sous-titrée « tragédie »
– et un style burlesque, qui utilise les mécanismes du boulevard et du music-hall.
EC Plus je vous écoute, plus j’ai le sentiment que vous êtes habitée par une sorte
d’obsession qui vous fait choisir vos textes.
IB Oui, sûrement. Les deux derniers spectacles, Fanny de Pagnol et La Charrue et
les étoiles, bien que très distincts, posent néanmoins la question de ce qu’est une
communauté, de comment elle peut être radicalement déchirée par un événement.
Chez Pagnol, c’est le départ d’un individu qui provoque le déséquilibre. Chez
O’Casey, c’est la guerre civile qui fait surgir la haine. Ce qui m’intrigue, c’est
comment les gens parviennent pourtant à s’entraider, comment il reste une solidarité
élémentaire et un souci de l’autre, qui maintient la cohésion du groupe. Sans doute
parce que c’est un peu ce qu’on vit à chaque fois qu’on monte un nouveau
spectacle.
exemple de fresque murale, à Belfast, reproduite dans le spectacle
10
Irène Bonnaud, parcours
Irène Bonnaud est née en 1971 à Paris. Etudiante en France et en Allemagne, elle
anime pendant plusieurs années un groupe de théâtre universitaire. Après
l'achèvement d'une thèse sur Brecht (Brecht, période américaine), elle quitte
l'université pour fonder la compagnie 813. Depuis, elle met en scène That Corpse,
montage de textes de Heiner Müller, Tracteur de Heiner Müller et Lenz de Georg
Büchner, ces deux spectacles produits par le Théâtre Vidy-Lausanne se prolongent
par une tournée franco-suisse. Cet hiver, la Comédie Française l'a invitée à créer un
spectacle sur sa scène: elle signe la création de Fanny de Pagnol. Dès 2007, elle
est dramaturge et metteure en scène associée au Théâtre Dijon Bourgogne, où elle
monte Music hall 56 de Osborne, Le Prince travesti de Marivaux et La Charrue et les
étoiles. Plus occasionnellement, elle accompagne, en tant que dramaturge, le travail
d'autres metteurs en scène comme Jean-François Sivadier, Célie Pauthe ou Mathieu
Bauer. Elle traduit également des pièces de Müller, de Büchner, de Brecht et du
grec ancien, Antigone de Sophocle et Iphigénie chez les Taures d'Euripide.
11
Le texte - éléments dramaturgiques
Résumé
Un jeune couple, Nora et Jack Clitheroe, vient de s’installer dans le quartier pauvre
de Dublin. Dans leur appartement modeste, ils hébergent une joyeuse bande de bras
cassés : un vieil oncle, ancien combattant pétri de religion, un vague cousin, ouvrier
du bâtiment à la phraséologie communiste, et un ivrogne du voisinage. Le pays est
occupé par une armée étrangère. Poussé par des rêves d’héroïsme et les discours
enflammés des leaders nationalistes, Jack rejoint les rangs d’une organisation
terroriste qui veut délivrer le pays de l’occupation étrangère et s’est choisi un
drapeau qui symbolise le travail et l’utopie : « la charrue et les étoiles ». Au cours
de l’insurrection, Jack meurt et Nora perd l’enfant qu’elle portait. Un sniper installé
sur le toit harcèle les soldats d’occupation qui ripostent en canardant les derniers
étages de l’immeuble. De même religion que les soldats étrangers, Bessie, la
voisine du dernier étage, applaudit à la répression militaire. Mais en voulant écarter
Nora d’une fenêtre pour la protéger des balles perdues, Bessie est tuée par les
combattants qui répliquent au tireur isolé.
L’efficacité dramatique de la pièce
O’Casey dénonce la barbarie, l’héroïsme, le fanatisme religieux, les trahisons
classes. Sa pièce ne se constitue pourtant pas en tribune politique : pas
dogmatisme, pas de manichéisme, pas de message politique explicite, mais
miroir mobile où se diffractent toutes les contradictions d’une époque troublée.
c’est précisément cette posture qui contribue à son efficacité dramatique.
de
de
un
Et
L’absence de dogmatisme
Les personnages, petites gens de Dublin, sont saisis dans leur humanité. En les
plaçant dans une situation d’urgence, l’auteur nous donne à voir leur parcours, leur
capacité à évoluer, à devenir solidaires, à se constituer en héros du quotidien. Il met
en lumière les contradictions, les complexités, les fluctuations des personnages.
Quelques exemples :
Bessie : isolée des autres personnages (protestante quand tous les habitants de
l’immeuble sont catholiques, unioniste hostile à l’indépendance de l’Irl ande), elle est
présentée au début de l a pièce comme une femme agressive, malveill ante, vulgaire :
« Espèce de petite sal ope avec tes sapes de duchesse, toi, pour rien je te défonc e ta
petite gueule toute blanche » (acte I), dit-ell e à Nora. Pourtant à la fi n de la pièce,
elle donne toute sa mesure d’humanité en s’occupant de Mollser, la petite
tuberculeuse et recuei lle chez elle les habitants de l’immeuble. Elle meurt
héroïquement en tentant de sauver Nora.
12
Nora : présentée au premier ac te comme une jeune femme s oucieuse de
respectabili té bourgeoi se, désireuse de protéger son petit ni d domestique, elle
devient à la fin de la pi èce une figure shakespearienne : une Ophéli e qui par amour
devient folle. Elle est toutefois parfaitement lucide sur les motivations qui poussent
le capitaine à obliger s on mari à repartir au c ombat : « Il a peur ! Il veut que tu
viennes pour avoir une chance que ce soit toi que la mort frappe et qu’ elle le rate »
(acte III). Ell e mesure très bien la part de vani té tapie derri ère le dési r d’héroïsme de
son mari : « Ta vanité sera ta perte et la mienne. C’est à ça que tu marches : ils ont
fait de toi un officier, al ors tu vas t’imaginer qu e tout ce que tu fais, c’ est glorieux ,
pendant que ta petite Nora aux lèvres rouges , elle peut bien rester là assise à tenir
compagnie à l a solitude de la nuit » (acte I).
Sean O’Casey fait preuve aussi d’autocritique. Le traitement du personnage de
Covey atteste de son absence de dogmatisme. Covey, en tant qu’ouvrier marxiste,
est en effet le personnage le plus proche de ses convictions politiques : comme lui,
Covey condamne le discours nationaliste de Pearse et considère que l’insurrection
de Pâques trahit la cause ouvrière : « Tout ça c’est des conneries, camarade. Le
genre de truc que la bourgeoisie fait gober aux ouvriers » (acte II). Mais il est en
même temps le personnage le plus satirisé : Covey, dont le nom dans l’argot de
Dublin signifie « pédant », « monsieur je-sais-tout », est un révolutionnaire de salon.
Il se gargarise de grandes phrases et de slogans, mais n’agit pas, si ce n’est par
son prosélytisme : « Y’a qu’une seule liberté pour le travailleur : le contrôle des
moyens de production, des taux de change et des moyens de distribution. Ecoute,
camarade, demain soir je te dépose un exemplaire du livre de Jennersky, Thèse sur
l’origine, développement et affermissement de la conception évolutionniste du
prolétariat » (acte II), dit-il à Rosie, la prostituée qui se voit ainsi mal payée pour
ses avances !
Les personnages sont souvent perçus à travers le prisme des autres avant de
prendre eux-mêmes la parole. L’écriture dramatique en convoquant les trois pronoms
personnels permet donc de multiplier les points de vue sur les personnages. Je/tu/il
= ce que disent les personnages, ce qu’on leur dit et ce qu’on dit d’eux. Ainsi à
l’ouverture de la pièce, Madame Gogan et Fluther occupent-ils une fonction de
chœur, tout en prenant en charge l’exposition de l’information. Exemple : « le sang
va couler, un de ces jours » (acte I). Ils présentent les personnages principaux en
émettant des jugements sur eux : Madame Gogan à propos de Nora : « Mon Dieu
elle en fait des folies ces derniers temps ! Un chapeau comme ça, ça coûte pas rien.
Elle se fait de ces plans de supériorité » (acte I). A charge pour le lecteur de mettre
en tension ce point de vue avec les informations données ultérieurement par les
didascalies et avec la perception qu’il se fera lui-même des personnages.
La grande Histoire et les petites histoires
Si le propos historique est parfois complexe, il n’est jamais didactique, car il est
toujours saisi dans le mouvement des dialogues et des conflits entre les
personnages. Les événements historiques sont appréhendés à travers le prisme de
leur regard. Même si le sens et la portée des événements leur échappent, ils n’en
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demeurent pas moins les témoins et les victimes des circonstances. Les lieux
choisis pour l’action sont à cet égard particulièrement théâtraux (et
cinématographiques) :
L’immeuble : C’est un lieu de circulation et de concentration de points de vue et de
conflits, y compris des conflits de territoire. Véritable quartier général, l’immeuble
est le lieu où, dans un double mouvement, toutes les informations convergent : soit
qu’on y rapporte celles venues du dehors, soit qu’on y observe le réel depuis le
cadre d’une fenêtre. Mais l’immeuble est aussi le lieu où peut se lire spatialement,
et donc théâtralement, la solidarité des personnages : arche de Noé, la mansarde de
Bessie recueille à la fin de la pièce tous les personnages, jusqu’à ce que la tragédie
reprenne ses droits.
Le pub : les personnages viennent d’assister au meeting organisé par le front
commun de l’Armée Citoyenne et des Volontaires irlandais. Ils se retrouvent au pub,
commentent avec excitation ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils continuent d’entendre
(puisque la voix de l’orateur leur parvient jusqu’à l’intérieur du pub). Le discours de
l’orateur, inspiré des discours de Pearse, est un discours radical et fanatique, qui
fait l’apologie du sang versé et qui cultive le culte des martyrs : « Faire couler le
sang est un acte de purification et de sanctification, une nation qui regarde le sang
versé avec horreur est une nation qui a perdu sa virilité, il y a beaucoup de choses
bien plus horribles que le sang versé et l’esclavage en est une. » (acte II) Or tout se
passe comme si, rendus hystériques par la rhétorique belliqueuse et mortifère de ce
discours, les personnages en reproduisaient, à leur échelle, la violence. Le conflit
est un mode d’être qui contamine tous les personnages.
La modernité de la pièce : une dramaturgie hybride
Une dramaturgie naturaliste
- Un intérêt pour les seconds rôles : « Fluther Good, l’ivrogne du coin, qui n’est là
que parce qu’il est en train de réparer la serrure de l’appartement, devient le rôle le
plus important de la pièce alors que Jack le « héros » de l’histoire n’a droit qu’à
deux courtes scènes », explique la metteure en scène Irène Bonnaud.
- Des didascalies hypertrophiques : même saturation d’informations que dans les
pièces d’Ibsen ou de Strindberg par exemple. Dans les didascalies, O’Casey décrit
avec une précision presque romanesque les lieux, les personnages.
Che z le s p er s onn age s : l e sa lon s ur cour et l e sal o n sur r ue d ’un e b el le et an cie nne m a is on
de st yl e géor gie n. La g r ande chem in ée su r la d r oit e est e n bo is pe in t de m an ièr e à
r ess em b ler à du m ar br e ( l a che m i née o r ig in ale a ét é emp or té e par le pr opr ié tair e) . F lut her
Goo d est u n hom m e de q u ar ant e an s, qu i se lai s se r a r em e nt a ll er à l’ an xié té. Il est cha uv e
à par t qu el que s fur ti ves t o uffe s de c he veu x r ou x au t our de s es or e il le s ; sa lè vr e su pér ieur e
est ca ch ée par un e m ou s tac he r ou sse br ous sa il le u se, où s ’en tr em êl ent ç a e t l à d es po il s
gr is . ( act e I ) .
- Un intérêt pour le parler populaire et les expressions argotiques. O’Casey
s’attache à différencier les personnages par leur langue :
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Fluther (charpenti er) util ise toujours des mots de façon décalée, comme s’il s’enivrait
de « beaux » mots dont il ignore le sens exact : « C’est un petit peu trop rédhibi toire
» (acte I), le mot qu’il utilise de façon récurrente devient chez lui comme un tic de
langage.
Madame Gogan, dont le jugement est toujours un peu fluctuant, émaille son discours
de formules antithétiques : « Ah c’en est un, et c’en est pas un. Ah, ils le sont, et ils
le sont pas », et plus loi n : « ça la donne et ça l a donne pas » (acte I).
Une dramaturgie en liberté
Même si la pièce présente encore des aspects très classiques, même si elle prend
constamment le spectateur par la main (personnages bien caractérisés, intrigue
linéaire, situations claires, explicitation des liens logiques entre les événements),
elle témoigne aussi d’une réelle liberté formelle :
- Par l’absence d’unité de temps et de lieu :
L’action se déroule entre novembre 1915 et Pâques 1916, dans différents lieux : un
immeuble de Dublin, un pub, une rue, une mansarde.
- Par l’hybridation des genres et des registres :
Conformément à la tradition anglo-saxonne (de Shakespeare au music-hall), la pièce
de O'Casey, bien qu’elle ait comme sous-titre « Une tragédie en quatre actes », ne
s’inscrit pas seulement dans un registre tragique. La farce y flirte toujours avec la
tragédie, le théâtre d’art avec le théâtre de divertissement, le drame historique avec
le mélodrame, les discours politiques avec les chansons (hymnes, Irish melodies,
comptines enfantines, chansons populaires).
La scénographie du spectacle
Il y a d an s l a tr a géd ie de O’ Ca se y de s s cè nes de f a r ce s, une in tr ig ue de m é lodr am e , de s
r om an ce s, de s tab lea ux d e g uer r e , des c han so ns, cer t ain es s ent im e nta le s, d’a utr e s plu tô t
les te s, de s d is cu ss ion s po lit iq ues , des ba gar r es d’ iv r ogne s, de s gag s id iot s, d e l a vio le nce ,
du s ex e, d e l a c om é di e, d e la r hé tor iqu e, d e l a p ar o die de r hét or i que , et la pl upar t du tem ps
il y a tou t ça dan s la m ê m e s cè ne. R ie n d e p ir e a lo r s q ue de vo ul oir r en dr e p l us hom ogè ne
ou de fon dr e da ns un s t yle c ont in u ce qu i e st a uss i r ic he et b ar io lé , a u ss i ins ol ite e t
sur pr ena nt q ue la vie m ê m e. O’ Ca sey a be au cou p d’h um ou r , m ai s ce tte sor t e d’ hum our o ù
l’o n r i t q uan d m ê m e. Co m m e i l n e fa ut pas ad ouc ir la r é al ité qu e m o ntr e la pi èce , i l n e fa ut
pas r e ndr e m ac abr e u n t ext e qui r éus s it le tour de for ce d ’êtr e tr a giq ue et dr ô le. I r èn e
Bo nna ud
Comment donner à voir les différents registres du texte et son absence de
dogmatisme ? Comment montrer la circulation entre les différents lieux sans avoir
recours à une esthétique du tableau ?
Par un dispositif qui tourne (une « tournette ») et suggère simultanément les
différents niveaux d’un immeuble (appartements, cage d’escalier, paliers, escalier
extérieur…), sans les cloisonner, pour que la proximité, voire la promiscuité des
locataires soit immédiatement lisible. Ce dispositif permet au spectateur de cadrer
où il le souhaite : les acteurs investissent simultanément plusieurs espaces
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(l’appartement de Nora, sous l’escalier, sur la passerelle, sous les toits…) et le
spectateur est libre de poser le regard sur les acteurs qui, tout en étant là, ne sont
pas directement en jeu.
© Claire Le Gal
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Quels effets de sens sont induits par la scénographie ?
Acte I = appartement de Nora : intérieur coquet et bien rempli pour signaler que
Nora essaie de se créer, au milieu du désordre et de l’insalubrité, un nid douillet de
jeune mariée. A la fin de la pièce Nora, qui a tout perdu (raison, bébé, mari), se
retrouve à l’inverse dans la marge, dans un cagibi chez Bessie. L’espace dit le
parcours du personnage.
Acte II = scène du pub : par rétro-éclairage apparaissent en transparence les
portraits des 9 meneurs exécutés, créant un effet fantomatique : les morts d’hier
hantent encore les vivants. Les Irlandais ont le culte des martyrs et c’est la raison
pour laquelle on peut encore aujourd’hui trouver dans les rues de Dublin de
nombreuses peintures murales qui rappellent les événements d’un passé toujours
présent. Que ces figures soient présentes dans un pub en dit long sur la mémoire
vive de l’histoire (le barman, du reste, ne nettoie pas des verres mais des ampoules
aux couleurs de l’Irlande qui forment le sigle « IRA »). D’une façon plus générale, le
décor mêle les locataires de l’immeuble et les martyrs de l’insurrection, rappelant
l’interférence entre la petite et la grande histoire.
Acte III : La rue devant l’immeuble est à l’avant-scène, sur le proscenium : cet
espace réduit suggère l’idée du danger.
Le jeu des acteurs complète la scénographie, qui métaphorise, à sa façon, l’écriture
hétéroclite de O’Casey : les clowneries des personnages sont radicalisées pour
mieux accentuer, par contrepoint, la tragédie. Les différentes tonalités et les
différents rythmes sont également accentués, sans rompre toutefois avec la
continuité de l’action dramatique.
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Bibliographie
de Sean O’Casey :
La Charrue et les étoiles, Paris, L’Arche, 1960, trad. Robert Soulat.
Nouvelle traduction de Irène Bonnaud et Christophe Triau, 2008, non publiée.
Autobiographies, 5 volumes, Paris, Le chemin vert, 1985-1996.
A consulter aussi :
Livres
Tom Barry, Guérilla en Irlande, Presse universitaire de Bretagne, 1971.
Sorj Chalandon, Mon traître, Paris, Grasset, 2007.
Rep or te r au jour na l L ibér ati on p end ant le s co nf li ts , Ch al and on o ffr e un t ém oig nag e de la lut te
ar m ée de l ’I R A.
Roddy Doyle, La Légende d’Henri Smart
Un enf ant de l a r u e e t d e l a m i sèr e d e Dub li n d ev ie n t un c om b att ant de la c aus e ir lan da is e.
Claude Fiérobe, Jaqueline Genet, La Littérature irlandaise, Paris, Armand Colin,
1997.
Cha pi tr e con sa cr é à O’ Ca sey .
René Fréchet, Histoire de l’Irlande, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1990 (1970).
Pierre Joannon, Histoire de l'Irlande et des irlandais, Paris, Perrin, 2006.
Cinéma
Le jeune Cassidy : film réalisé par John Ford qui retrace les débuts d’écrivain de
O’Casey à Dublin.
Si le vent se lève : film de Ken Loach (2006) sur la guerre d’indépendance irlandaise
(1919 -1921) et la guerre civile qui suivit (1922-1923).
Bande dessinée
Les Celtiques d’Hugo Pratt
Av ent ur e s d e Cor te M al tes e en Ir lan de.
Photographie
Gao Brothers (photographe chinois) : The forever unfinished building (2002).
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