Cyrano de Bergerac Tirade des nez (acte 1, scène 4)

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Cyrano de Bergerac Tirade des nez (acte 1, scène 4)
Cyrano de Bergerac
Tirade des nez (acte 1, scène 4)
Ah! Non! C'est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire... oh! Dieu! ... bien des choses
en somme... En variant le ton, —par exemple, tenez :
Agressif : « moi, monsieur, si j'avais un tel nez, il faudrait sur le champ que je me l'amputasse
!»
Amical : « mais il doit tremper dans votre tasse : pour boire, faites-vous fabriquer un hanap !
»
Descriptif : « c'est un roc! ... c'est un pic... c'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap? ... c'est une
péninsule ! »
Curieux : « de quoi sert cette oblongue capsule? D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ?
»
Gracieux : « aimez-vous â ce point les oiseaux que paternellement vous vous préoccupâtes de
tendre ce perchoir â leurs petites pattes ? »
Truculent: « ça, monsieur, lorsque vous pétunez, la vapeur du tabac vous sort-elle du nez sans
qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ? »
Prévenant : « gardez-vous, votre tête entraînée par ce poids, de tomber en avant sur le sol! »
Tendre : « faites-lui faire un petit parasol de peur que sa couleur au soleil ne se fane ! »
Pédant : « l'animal seul, monsieur, qu'Aristophane appelle hippocampelephantocamélos dut
avoir sous le front tant de chair sur tant d'os ! »
Cavalier: « quoi, l'ami, ce croc est à la mode? Pour pendre son chapeau c'est vraiment très
commode ! »
Emphatique : « aucun vent ne peut, nez magistral, t'enrhumer tout entier, excepté le mistral! »
Dramatique : « c'est la Mer Rouge quand il saigne ! »
Admiratif : « pour un parfumeur, quelle enseigne ! »
Lyrique : « est-ce une conque, êtes-vous un triton? »
Naïf: « ce monument, quand le visite-t-on ? »
Respectueux : « souffrez, monsieur, qu'on vous salue, c'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur
rue! »
Campagnard : « hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain ! C'est queuqu'navet géant ou ben
queuqu'melon nain !
Militaire : « pointez contre cavalerie ! »
Pratique : « voulez-vous le mettre en loterie ? Assurément, monsieur, ce sera le gros lot! »
Enfin parodiant Pyrame en un sanglot : « Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître a
détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître ! »
—Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit si vous aviez un peu de lettres et
d'esprit : mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres, vous n'en eûtes jamais un atome, et de
lettres vous n'avez que les trois qui forment le mot: sot! Eussiez-vous eu, d'ailleurs,
l'invention qu'il faut pour pouvoir là, devant ces nobles galeries, me servir toutes ces folles
plaisanteries, que vous n'en eussiez pas articulé le quart de la moitié du commencement d'une,
car je me les sers moi-même, avec assez de verve, mais je ne permets pas qu'un autre me les
serve.
Memphré, le dragon du lac Memphrémagog
LUC MERCIER, TRENTE-QUATRE ANS, est devenu le plus grand connaisseur de la vie du
monstre marin surnommé Memphré.
Luc est né dans la ville de Magog, au bord du lac Memphrémagog. Depuis toujours, il a été
attiré par l'eau et ses profondeurs. Son père l'a sauvé au moins cinq fois de la noyade. À deux
ans, Luc plongea de son bateau après avoir retiré sa ceinture de sauvetage. En moins de dix
minutes, il fut repêché. À la surprise de tous, il n'était pas mort et cherchait même à
replonger.
À compter de ce jour, Luc parla d'un monstre énorme qu'il avait rencontré au fond du lac. Il
prétendait que ce dernier lui avait sauvé la vie et l'avait ramené à la surface. Tout le monde
riait à son récit. Mais les dessins qu'il gribouillait de la bête marine correspondaient
parfaitement aux centaines de croquis ou aux photos de touristes paniqués qui avaient aperçu
ce qu'ils croyaient être Memphré, le monstre du lac Memphrémagog.
Selon la communauté scientifique, ce monstre n'existait pas. Mais Luc n'en démordait pas, il
l'avait vu. Il lui consacra dès lors toute sa vie. Muni d'un appareil photo sous-marin, il partait
à sa recherche. Luc plongeait régulièrement sans bouteille d'oxygène pour le retrouver. Il
disait l'avoir regardé plusieurs fois dans les yeux. Ses amis étaient toujours surpris du temps
que Luc pouvait passer sous l'eau. Quand il revenait à la surface, il arborait un sourire
extraordinaire.
Ceux qui affirmaient aussi avoir vu le monstre voulaient soit le tuer, soit le capturer et le
transporter dans un aquarium géant. Mais, selon Luc, Memphré était doux comme une
baleine, gentil comme un dauphin, plus grand et plus gros qu'un immeuble de quatre étages,
et savait se protéger.
On lui donnait le nom de dragon, car il ressemblait à un dinosaure, paraît-il : des pics énormes
sur le dos, une peau verte et une queue qui pourrait détruire cent navires à la fois. Selon Luc,
il vivait seul depuis des milliers d'années.
«Si on le laisse tranquille et qu'on l'apprivoise, il pourra nous révéler les secrets des fonds du
lac. Peut-être y découvrirons-nous des algues aux propriétés insoupçonnées ? Un aliment qui
empêcherait les poissons de mourir ? Et pourquoi ne serait-il pas utile aux humains ? »
proposait Luc à qui voulait l'entendre.
Luc désirait poursuivre ses recherches. Il plongeait en apnée une heure durant, car, disait-il, il
lui suffisait de toucher le monstre du bout des doigts et de respirer les bulles d'air qu'il
relâchait pour réussir â rester sous l'eau grâce à une technique que le monstre lui avait
enseignée.
Si vous venez au lac Memphrémagog, soyez patient, car vous ne verrez pas tout de suite le
monstre marin. Cependant, si vous êtes observateur, vous réussirez peut-être à voir Luc
Mercier près de son petit bateau, sortant de l'eau avec une poignée d'algues aux propriétés
magiques dans ses mains. Apportez votre appareil photo, car Memphré est sûrement là,
derrière son dos, prêt à sourire pour une photo-souvenir.
Le Sorcier du Saguenay
PLUSIEURS CENTAINES D'ANNÉES AVANT LA DÉCOUVERTE du Canada par
Jacques Cartier, ce pays était habité par différentes tribus d'Amérindiens. L'une s'était établie
sur les bords du Saint-Laurent, près du village Tadoussac. Ces Amérindiens faisaient partie
du groupe des Montagnais, une nation bonne et pacifique, qui avait pour ennemis les « Géants
», des colosses menés par quatre frères.
Il y avait chez les Montagnais une jeune fille appelée Sagnah. Elle était orpheline. Son père
avait été tué par les Géants, et sa mère était morte de chagrin. Sagnah chantait d'une façon si
pure qu'on la considérait comme une princesse ou un ange. Certaines tribus voisines
affirmaient que sa voix traversait les montagnes et les rivières.
Un jour, alors que Sagnah chantait seule en se rendant à la rivière, un sorcier lui apparut : «
Ta voix est magnifique. Je voulais te remercier d'embellir ainsi mes journées. Je suis le
sorcier de la forêt. Je vis ici depuis mille ans et je protège toute la région. » Sagnah chanta
pour lui deux de ses mélodies préférées et le sorcier lui siffla un air fabuleux. Du haut de ses
neuf ans, elle s'apprêta à chanter cette mélodie. Mais le sorcier l'arrêta. « Sagnah, l'air que je
viens de t'enseigner est magique et pur. Tu ne pourras l'utiliser qu'une seule fois et, en un
éclair, je serai là pour toi! »
Le sorcier disparut et Sagnah continua à chanter sans jamais utiliser les notes du magicien.
Lorsqu'elle eut seize ans, elle se fiança à un jeune chef de sa tribu. Mais, dans la nuit, les
Géants attaquèrent. Une terrible bataille s'engagea et les Géants prirent la fuite en emmenant
Sagnah!
Ils la transportèrent dans leur village. Sagnah commença à chanter pour ne pas sombrer. Les
quatre frères arrivèrent. « Si tu désires demeurer en vie, ne chante plus. Et si tu ne veux pas
qu'on te mange comme on le fait avec tous les autres, tu dois épouser l'un de nous. » Ils
s'apprêtaient à lui coller les lèvres quand Sagnah utilisa le chant du sorcier.
La terre trembla aussitôt, des éclairs se mirent à pourfendre le ciel et un homme à la barbe très
blanche entra dans le repaire des Géants. Il fixa droit dans les yeux les quatre frères, figés
devant ce petit bout d'homme apparemment inoffensif. Ils essayèrent de l'écraser avec leurs
pieds, mais le sorcier les métamorphosa en un immense bloc de pierre sur le bord de la
rivière. « Je ne les détruis pas, je les laisse réfléchir pour quelques centaines d'années !
Surtout, ne t'arrête jamais de chanter ! » dit le sorcier avant de disparaître.
Sagnah l'écouta. Son chant traversa les montagnes et indiqua le chemin à son fiancé qui vint
rapidement la sauver. Ils vécurent heureux.
Plus tard, les colons français et les chasseurs nommèrent cette rivière Sagnah ou Sagnay et,
finalement, elle devint Saguenay. Mais aucun de ces voyageurs ne savait que les deux
énormes rochers s'élevant au-dessus des eaux étaient en fait les chefs de la nation cannibale
que le sorcier avait transformés en géants de pierre. Ils se nomment le «cap Éternité » et le
« cap Trinité ».
Si vous y passez, écoutez le vent chanter les mélodies de Sagnah.
L'enfant qui n’avait plus peur des ours
Du TEMPS OÙ LES AMÉRINDIENS PEUPLAIENT toute l'Amérique du Nord, les
déplacements d'un village à l'autre se faisaient à pied ou en canot. Tous les hommes devaient
être habiles sur l'eau pour survivre. Malouk était la risée de son peuple, car il craignait
tellement l'eau qu'il n'était jamais monté dans un canot d'écorce. De plus, Malouk était affublé
d'un œil mort. Cela le faisait loucher et lui donnait un air un peu idiot. Aucun chasseur n'avait
accepté de lui enseigner le maniement de l'arc et des flèches.
II ne réussira jamais à tuer un chevreuil avec ses yeux qui louchent. Il pourrait même tuer
quelqu'un avec sa maladresse !
Malouk désirait tant devenir un bon archer qu'il pratiquait sans cesse. Mais force était
d'admettre que personne ne l'avait encore vu atteindre une cible. Lorsqu'il devint adulte,
jamais on ne lui permit d'accompagner les chasseurs.
Malouk était malheureux et se sentait rejeté. Il sentait bien qu'un jour, il réussirait un exploit
qui lui apporterait la joie. Mais lequel ? Et quand ? Il ne se découragea pas et il continua
chaque jour en secret à s'exercer.
Un matin d'automne, un homme et sa femme arrivèrent attristés au village : « Notre enfant,
Mista, s'est perdu en forêt il y a plus de quatre mois. Nous descendions des rapides près de la
rivière du Nord, et pendant que nous transportions le canot et les vivres, notre petit s'est
éloigné et on ne l'a plus revu depuis ! Nous parcourons toute la contrée pour le retrouver. »
Tous les gens du village, y compris Malouk, se mirent à la recherche du petit Mista. Mais
l'enfant demeura introuvable. Au printemps toutefois, certains hommes découvrirent des pas
d'ours. Ils conclurent que ces derniers avaient attrapé l'enfant, et l'avaient sûrement dévoré.
Mais Malouk avait le pressentiment que Mista était toujours vivant. Toutes les nuits, il rêvait
du petit qui l'appelait et l'implorait de venir le sauver des griffes des ours, qui vivaient dans
une caverne. De peur qu'on ne se moque davantage de lui, Malouk ne dévoila pas ses plans et
se rendit seul dans la montagne, non loin de la rivière du Nord. Là, il découvrit la caverne
qu'il avait vue en rêve. Il frappa sur le rocher avec son arc et ses flèches. Aussitôt, deux gros
ours surgirent. Malouk les abattit en un instant grâce à deux flèches bien placées.
Il entra dans la caverne et y trouva, tapi dans un coin, le petit Mista apeuré qui pleurait,
réclamant ses parents. Déjà, le petit garçon commençait à se comporter en ours : il marchait à
quatre pattes et tournait lentement la tête à la manière de ces grosses bêtes sauvages. Malouk
le ramena au village et le rendit à ses parents.
Au fil des ans, le petit Mista et Malouk devinrent de grands amis. Malouk avait gagné le
respect de tous et, surtout, il avait sauvé un enfant des griffes mortelles des ours. Tous les
chasseurs surent dès lors que, derrière son allure particulière, il cachait un cœur d'or, un
courage immense et une habileté hors du commun.
La Griffe du diable
SAINT-LAZARE-DE-BELLECHASSE, il existe un rocher sur lequel le diable aurait laissé la
trace de ses griffes. Ceci à cause de deux voisins, Lucien Marin et Pierre Valmont.
Tous les deux étaient depuis toujours habités par la jalousie. Selon Lucien, Pierre, un
paresseux, avait toujours été choyé matériellement. Selon Pierre, Lucien se vantait sans cesse
d'être le plus beau et le meilleur en tout.
Leurs disputes étaient mémorables. Ils rêvaient tous deux du jour où ils se marieraient et,
enfin, s'éloigneraient l'un de l'autre. Mais le destin en décida autrement. Pierre et Lucien
tombèrent amoureux des sœurs Maryse et Laurianne Poulin, avec lesquelles ils se marièrent.
Et ils achetèrent, sans le savoir, deux maisons et deux terrains qui étaient situés côte à côte.
Au début, tout se déroula bien. Pierre et Maryse furent le parrain et la marraine de la petite
Rose, la superbe fille de Lucien et de Laurianne. Mais rapidement, malgré l'excellente entente
entre les deux sœurs, les deux hommes retrouvèrent leur hargne. Le diable compta bien en
profiter.
En ce matin du 9 juillet 1820, Lucien se rendit au champ pour cueillir des framboises. Les
framboisiers poussaient autour et au travers de la clôture qui séparait le terrain des deux
familles. Au cours de sa cueillette, il se retrouva donc sur le terrain de Pierre, qui était là.
« La framboise que tu viens de cueillir ne t'appartient pas. Suis sa branche ; elle a l'air de
pousser chez toi, mais le framboisier est de ce côté-ci de la clôture, donc chez moi »,
s'emporta Pierre.
Les vieilles rancunes resurgirent. L'un des deux hommes se mit crier: « Va donc chez le
diable ! »
Aussitôt apparut une créature immonde, ni homme ni bête, qui leur demanda calmement :
«Vous m'avez appelé, messieurs ? Je suis à votre service. Suivez-moi afin que je vous guide
vers le chemin des enfers. La célébrité vous y attend, j'en suis certain, vu votre facilité à
entretenir vos petites guerres. »
Le diable attrapa les deux hommes. Laurianne et Maryse, qui avaient tout entendu, arrivèrent
avec la petite Rose: « Lucien, Pierre ! Accrochez-vous au bébé. Il est pur et le diable n'a
aucune emprise sur lui. C'est le seul moyen de vous sauver ! »
Pendant que le diable sortait une longue fourche pour repousser les deux femmes, les deux
hommes effleurèrent la tête du bébé, puis saisirent la petite Rose pour la serrer dans leurs
bras. Le diable entra dans une colère terrible, car il savait bien qu'il ne pouvait plus rien faire.
Il laissa tomber les deux gaillards et s'éloigna de ce beau bébé en pleine santé. Car le diable a
horreur du bonheur, et les sourires de Rose le torturaient. Il était furieux et, pour se défouler,
se mit à griffer le rocher encore et encore avant de disparaître.
Le Capteur de rêves
IL Y A BIEN LONGTEMPS, AVANT L'ARRIVÉE DES HOMMES BLANCS, par une nuit
sans lune, le vieux chef sioux Lakota partit de son village pour se rendre sur la plus haute
montagne du territoire de sa tribu. Une petite brise lui avait murmuré qu'un grand secret lui
serait révélé là-haut. Le vent lui chuchota à l'oreille : « Suis la direction que je t'indique en
soufflant dans tes cheveux afin d'offrir la richesse et surtout la sagesse à ton peuple. »
Suivant le vent qui le poussait dans le dos, il partit en canot et remonta la rivière jusqu'à sa
source. Puis, à pied, il longea le ruisseau jusqu'à ce qu'il ne voie plus une seule goutte d'eau.
« Ferme les yeux et suis-moi ! » souffla encore le vent.
Il ferma les yeux et, guidé par un souffle léger et vivifiant, il commença grimper vers le plus
haut point de la montagne. Ses pas semblaient guidés non seulement par le vent, mais par le
grand esprit protecteur de la forêt, qui l'empêchait de se cogner aux arbres ou de tomber dans
une crevasse. Puis il sentit qu'il ne grimpait plus. Il ouvrit les yeux et fut surpris. Il faisait nuit
; en fait, on aurait dit que tout ce qui l'entourait baignait dans l'encre noire. Il n'y voyait plus
rien. Il installa son campement et se mit à chanter pour appeler ses ancêtres.
Une légère brise souffla et le grand Lakota comprit encore une fois son message : « Tu es
brave, Lakota. Tu as trouvé le bon endroit. Fais la paix dans ton coeur et attends! »
Quand le soleil se leva, Lakota vit qu'il se trouvait près d'un arbre immense, l'arbre aux
souhaits!
Il entendit alors une nouvelle voix qui l'appelait, venant du haut de l'arbre. Il grimpa jusqu'à la
cime et découvrit une grande araignée installée dans les plus hautes branches. Elle lui
demanda d'attraper une des branches de l'arbre, d'en faire un cerceau et de l'attacher avec ses
cheveux. L'araignée monta sur la branche devenue cerceau et commença à y tisser sa toile.
Lorsque sa toile fut terminée, l'araignée informa Lakota que le moment était venu pour lui de
retourner â son village. « Voici ce que tu appelleras un « capteur de rêves », dit l'araignée. Cet
objet est le premier capteur de rêves qui existe. Il servira à protéger ton village et ton
territoire. »
L'araignée lui révéla que les rêves et les songes sont des messages que nous envoient les
esprits, qu'ils soient bons ou mauvais.
« Pendant la nuit, continua l'araignée, les bons rêves nous rejoignent en traversant le trou du
capteur de rêves au centre de la toile afin d'influencer la vie du dormeur, lui apportant la
chance, le bonheur et l'harmonie tout au long de sa vie. Les mauvais rêves, eux, sont retenus
pendant toute la nuit dans la toile. Aux premières lueurs du jour, ils fondent comme neige au
printemps, glissent le long des plumes et n'influencent donc pas notre vie. »
Lakota revint au village et partagea le secret du capteur de rêves.
Merci, Lakota ! Grâce à ta sensibilité et parce que tu as su écouter le vent, nous pouvons
aujourd'hui encore utiliser les capteurs de rêves pour adoucir nos nuits.
La Légende du sirop d’érable
LES ANIMAUX ONT TOUJOURS été de fabuleux professeurs pour les Amérindiens.
Il y a plus de trois cents ans, ces derniers vivaient exclusivement de la chasse et de la pêche.
Les animaux leur fournissaient la viande dont ils avaient besoin. Pour le sucre, ils
recueillaient des baies sauvages qui poussaient en abondance.
Un hiver, de fortes tempêtes ayant endommagé la plupart des arbres fruitiers, la récolte fut
maigre. Si bien qu'au milieu de l'hiver suivant, les ressources en sucre naturel s'étaient taries.
Lukina, un jeune Amérindien, voyant la maladie frapper son peuple, décida de s'enfoncer
dans la forêt. Il voulait que les animaux lui enseignent les secrets de la nature, qui lui
permettraient de sauver des vies. Car Lukina possédait un don particulier. En écoutant et en
observant les animaux pendant des heures, il obtenait toutes les réponses aux questions qu'il
se posait.
Ses amis le consultaient souvent : « Les oies sauvages partent plus tôt dans le Sud parce que
l'hiver arrivera très tôt cette année. Les abeilles construisent leur ruche très haut dans les
arbres parce que nous aurons beaucoup de neige ! »
Un jour, il gagna le respect de tous grâce à une découverte extraordinaire qu'il fit en cette
période de pénurie de sucre, cette denrée vitale pour les habitants de ce pays très froid qu'est
le Canada.
Parmi tous les animaux qu'il côtoyait régulièrement, Lukina portait une affection particulière
à un écureuil roux qu'il appelait le «Maître ». L'écureuil lui avait tant appris ! A observer les
loups en se tenant discrètement en équilibre sur les branches d'un sapin. A trouver les
meilleures plumes d'oiseaux qu'ils se répartissaient équitablement.
L'entraide et la collaboration entre Lukina et le Maître étaient excellentes. Un jour, vers la fin
du long hiver marqué par le manque de fruits, et donc de sucre, l'écureuil regarda Lukina droit
dans les yeux. Il dut y lire qu'il était faible et malade, car il se mit en tête de lui indiquer le
remède dont il avait besoin. Il grimpa-le long d'un arbre et mordit si fort une branche qu'il en
coula de la sève. Il se retourna pour s'assurer que l'Amérindien l'observait, et il se mit à boire
la sève. Lukina se demandait pourquoi le Maître buvait là-haut, puisqu'une source d'eau
fraîche coulait tout près d'eux. Mais comme il connaissait la grande générosité de son ami, il
l'imita. Avec son couteau, il fit une fente dans l'écorce de cet érable. Il goûta à la sève.., quelle
surprise ! Voilà qu'un arbre, l'érable à sucre, présent tout autour de son territoire, lui offrait
une eau délicieusement sucrée. C'était providentiel.
Depuis ce jour, les Amérindiens recueillirent au printemps la sève sucrée de l'érable, la firent
bouillir et confectionnèrent du sirop, du beurre et du sucre d'érable. Lukina et son peuple nous
ont enseigné cette richesse extraordinaire, et c'est maintenant à nous de nous sucrer le bec »
chaque année. Tout cela grâce à un écureuil roux qu'on appelait le Maître, et à son ami qui
savait si bien écouter les animaux.
Le Loup-Garou
J'IGNORE SI VOUS CROYEZ AUX LOUPS-GAROUS,
mais je vous invite à lire cette lettre
retrouvée il y a bien longtemps dans les affaires de ma famille.
« Je revenais en canot et, malgré la pleine lune, je me sentais un peu perdu. J'étais sur la
rivière Nicolet, tout près du lac Saint-Pierre. J'ai entendu du bruit et j'ai pensé que je
rejoignais enfin les gens avec lesquels j'étais parti chasser. Je me suis laissé glisser sur
l'eau sans pagayer pour leur faire une surprise. Cette idée m'a probablement sauvé la vie,
car lorsque j'ai accosté, j'ai vu une quinzaine d'hommes poilus qui dansaient d'une façon
démente autour d'un feu. Mes compagnons de chasse, eux, gisaient sur le sol. J'ai d'abord
cru qu'ils étaient morts, mais ils se sont relevés et ont dansé avec ces êtres qui hurlaient
comme des loups. Ils étaient devenus des loups-garous ! »
J'ai entendu pour la première fois cette histoire de loups-garous de la bouche de mon
père. Il disait qu'elle était arrivée à son grand-père. J'en riais, je me disais que ce
n'était qu'une histoire pour effrayer les enfants.
Et puis j'ai trouvé cette lettre, et je me suis dit que tout cela était peut-être vrai. Pour en
avoir le cœur net, j'ai fait de longues études au cours desquelles je me suis spécialisé
dans la recherche sur les espèces animales. Je suis parti explorer des endroits perdus.
L'an dernier, je suis parti seul sur le lac Saint-Pierre, là où mon arrière-grand-père
aurait aperçu ces bêtes étranges. Vers les huit heures du soir, j'ai entendu, venant d'une
petite île, des hurlements qui m'ont glacé d'effroi. Je ne sais pas trop ce qui m'a pris, je
me suis approché au lieu de m'éloigner de cet endroit que je n'arrivais pas à localiser
sur ma carte.
À peine avais-je commencé à voir de lointaines silhouettes qui dansaient autour du feu
au milieu des cris que je me suis retrouvé face à une famille qui se promenait en canot.
Une femme, son mari et un petit garçon. Leur canot s'était pris dans les broussailles. Je
les ai donc aidés à se libérer. «Nous voulions nous rendre sur cette île où se déroule
une fête, semble-t-il. Nous avons apporté une tente et des sacs de couchage. Nous
accompagnez-vous ? »
Pour moi, il n'en était pas question ! J'avais conscience que je venais de leur sauver la
vie. Ils ont dû me trouver bien étrange quand je les ai ramenés de force sur la rive en
leur demandant de se boucher les oreilles et en leur faisant promettre de ne jamais
revenir à cet endroit ! Le petit garçon, lui, continuait à regarder vers l'île et, quand je
les ai quittés, il m'a serré très fort la main en me disant tout bas: Méchants, les loupsgarous !
Il les avait vus ! Et comme la vérité sort toujours de la bouche des enfants... Lm
prochain, je retournerai là-bas pour tenter de retrouver 1 cette île et capturer les loupsgarous.
Qui est assez brave pour m'accompagner ?
Jos Montferrand
JOSEPH FAVRE,
appelé aussi Jos Montferrand, est né à Montréal le 25 octobre 1802.
Ses exploits sont si grands que des chansons ont été écrites sur lui.
Très jeune, il décida d'aller travailler en forêt, et devint un des meilleurs bûcherons.
Quand certains compagnons de travail osaient le défier pour un combat de tir au
poignet (qu'on appelle aussi bras de fer, un sport qui consiste à essayer de renverser un
adversaire par la seule force de son poignet), ils regrettaient toujours leur initiative.
Car Jos Montferrand était toujours le plus fort. l'hiver, il pratiquait aussi le métier de
trappeur, et personne n'arrivait comme lui à attraper les bêtes sauvages comme les
lynx, les castors, les loups ou même les ours.
Il savait également courir sur les billots de bois qui flottaient sur les rivières. Il devint
draveur (ceux qui aident à leur transport). Il apprit ainsi à vivre dans la nature, à
déceler les pièges de la forêt, à. dompter les rapides...
Mais il allait réaliser des exploits encore plus extraordinaires. Car, de plus en plus, il
se servait de sa force pour protéger ses amis, les Canadiens français.
Voici le récit d'un seul de ses exploits. Il eut lieu tout près de la ville de Hull, à la
frontière de l'Ontario. Jos travaillait alors dans un chantier de coupe de bois. Son
patron l'informa qu'un groupe concurrent travaillait de l'autre côté de la rivière
Outaouais.
Ces hommes sont sans scrupules. Ils ont promis qu'ils viendraient ruiner notre travail,
et donc mon entreprise. Ils vont traverser le pont très bientôt ! »
Les hommes qui travaillaient du côté d'Ottawa étaient connus pour être costauds et
prompts à la bataille. Ils étaient bien décidés à traverser le pont et à chasser les
ouvriers.
Un matin, cent cinquante de ces voyous s'engagèrem sur le pont qui relie Ottawa et
Hull. Mais Jos Montferrand fit une promesse à ses amis : «Ils ne traverseront pas la
rivière, je vous le promets. Restez ici, je m'en charge. »
Et Jos partit. Lorsqu'il arriva au pont, les ennemis en avaient déjà traversé la moitié. Ils
avançaient en désordre, sans autre objectif que celui d'envahir le chantier des
Canadiens français. Ils avaient entendu parler de Jos Montferrand et de sa force
légendaire, mais ils n'y croyaient guère. D'ailleurs, ils ne firent pas attention à l'homme
qui venait vers eux. Mal leur en prit, car les dix premiers hommes furent vite refoulés,
assommés. Du pied et du bras, Jos Monferrand propulsa tous ceux qui s'avançaient
vers lui. En l'espace d'une vingtaine de minutes, les cent cinquante hommes se
retrouvèrent soit dans l'eau, soit par terre, soit déjà retournés de l'autre côté.
Voici donc le bref récit d'un des Ormiers grands exploits de Jos Montferrand, qui firent
de lut Urie légende vivante, car personne, jusqu'à sa mort, n'arriva jamais â le yaincre
au bras de fer, ou même à le jeter par terre. Et toujours il gardait-le sourire, car, pour
lui, la vie était belle, avec ou sans ennemis.
Le bonhomme Sept-Heures
AUTREFOIS, BIEN AVANT L'INVENTION DE L'ÉLECTRICITÉ, les parents
souhaitant faire rentrer les enfants à la maison le soir n'avaient qu'A leur dire: « Dépêchezvous ! Le bonhomme Sept-Heures s'en vient ! »
Effrayés, les enfants obéissaient sur-le-champ.
Un jour, Carl Tremblay, huit ans, décida d'en avoir le cœur net. Il feignit de s'endormir,
puis il sortit par la fenêtre pour affronter l'homme réputé féroce.
Carl fit le brave, mais il tremblait de tout son corps. Il avait entendu tellement d'histoires
horribles concernant ce dévoreur d'enfants qu'il se demandait si sa dernière heure ne
venait pas de sonner. Selon ceux qui l'avaient déjà aperçu à cette époque, le bonhomme
Sept-Heures était un être horrible et redoutable, qui sortait de son logis à la tombée de la
nuit et parcourait les routes à pied.
Lorsque l'horloge sonnait les sept coups, il s'approchait des maisons. Quand il rencontrait
des enfants sur son chemin, il les saisissait et les mettait dans un grand sac. Parfois, il
entrait dans les maisons et enlevait les enfants turbulents qui n'étaient pas encore au lit.
Carl sentit son cœur bondir hors de sa poitrine lorsqu'un homme, sac à l'épaule,
s'approcha de chez lui, à la recherche de quelque chose. Carl se cacha derrière la
grange. L’homme se dirigea directement vers lui et lui déclara :
Carl! Carl Tremblay, sors de ta cachette, je sais que tu es là! »
Carl prit son courage à deux mains et décida d'affronter le bonhomme Sept-Heures.
« Allez-vous en! » lui dit-il en exhibant un bâton de bois qu'il avait pris soin d'attraper
dans la remise de son père.
«Tu ne dors donc pas ? Tu sais que le coup de sept heures a déjà sonné ? »
« Et après ? J'ai huit ans et je ne fais de mal à personne. Je ne dors parfois qu'à huit
heures et je ne suis pas un mauvais garçon pour autant. Aujourd'hui, c'est la dernière
fois que vous allez faire ce que vous faites, monsieur le monstre. Plus jamais vous
n'enlèverez d'enfants. »
Carl se plaça en position de combat. Asa grande surprise, le bonhomme Sept-Heures,
au lieu de lui sauter dessus, s'assit sur les marches.
« Carl, j'admire ta bravoure, personne n'a jamais osé me regarder en face. Je vais te
révéler un secret, mais ne le partage avec personne. Je ne m'appelle pas vraiment le
bonhomme Sept-Heures, et je n'enlève jamais les enfants. Je suis un Bonesetter. Ce
sont des mots anglais qui veulent dire « réparateur d'os brisés ». Je me balade le soir et
je répare les os, puisque je possède ce don. Je fais beaucoup de bien mais, quand j'agis,
les gens crient parfois de douleur et cela effraie les enfants. Tous les parents se sont
servis de moi pour que les enfants aillent se coucher à sept heures. »
Carl et le Bonesetter devinrent amis.
Plus tard, Carl prit même la relève et devint le meilleur Bonesetter, ou
ramancheur (comme on l'appelle au Canada français), de la région. Mais
jamais il n'a révélé son secret. Le bonhomme Sept-Heures n'existe pas mais,
tarit que cela demeurera un secret, les enfants accepteront de se coucher plus
tôt. Vous savez, ce n'est pas toujours facile d'être parent. Bonne nuit et ne
vous couchez pas trop tard, sinon...
La Malédiction du pont de Québec
IL EXISTE DEUX PONTS A QUÉBEC,
qui assurent la traversée du majestueux fleuve Saint-
Laurent. Mais celui qu'on appelle le 0 vieux pont de Québec » ne nous inspire pas
toujours confiance. Pourtant, il est très solide. Alors ?
Revenons à l'année 1900, au moment où l'on s'apprêtait à entamer les travaux pour sa
construction. Un jour, un homme, inconnu des habitants de la région, vint proposer son
aide : il se disait ingénieur, et il affirma aux entrepreneurs que les plans établis pour
bâtir le pont étaient incomplets ; que, si l'on refusait son aide, de grandes tragédies se
vivraient dans ce lieu. Mais personne ne crut cet homme bizarre, et les travaux
commencèrent comme prévu.
Un premier malheur survint. Le 29 août 1907, une partie importante du pont encore en
construction s'écroula, tuant soixante-quinze ouvriers et blessant plusieurs autres
personnes. Les travaux reprirent. L'homme revint alors pour s'entretenir avec le chef
de chantier, lui demandant de tout arrêter... À nouveau, on ignora ses mises en garde.
Le 20 juillet 1916, un autre accident eut lieu. Cette fois, la catastrophe fit perdre la vie
à treize personnes.
Le même homme se présenta une troisième fois devant le contremaître pour proposer
ses services, mais à une condition : « Vous devez me promettre que Pâme de la
première personne qui traversera le pont m'appartiendra. Cette personne devra aussitôt
me suivre. »
Encore sous le choc des derniers événements et sans réfléchir aux conséquences d'une
telle négociation avec un inconnu aussi Lmystérieux, le contremaître accepta la
proposition.
Les travaux recommencèrent enfin et tout se déroula très bien jusqu'au jour de
l'inauguration. Tous les conseils de l'homme avaient été judicieusement suivis, et le
pont était splendide. Mais, au moment où l'on s'apprêtait à inaugurer le pont, le
contremaître aperçut l'homme et lui trouva un air diabolique. Cet homme est le diable
en personne, comprit-il en un éclair. Il se souvint alors de sa promesse. Horrifié, il
saisit un gros chat noir qui se trouvait sur les lieux et le lança sur le pont, où il poussa
aussi le fameux inconnu. Tous les deux, le diable et le chat noir, se livrèrent alors â
une bagarre sans merci, puis ils disparurent. On ne retrouva bientôt au milieu du pont
qu'un petit tas de poils ensanglantés.
Le pont fut finalement inauguré le 22 août 1919.
Le contremaître osa être le premier homme à traverser le pont et le diable, sans doute
toujours aux prises avec le chat noir, ne se manifesta pas.
Tout le monde respira, et le pont permit les échanges entre les habitants des deux rives
du fleuve Saint-Laurent.
À ce jour, le diable n'est toujours pas revenu pour réclamer son dû. Si vous voyez un
chat noir traverser le pont, regardez bien, car le diable en personne n'est peut-être pas
loin. Vous pouvez vous approcher du chat, il ne vous fera aucun mal, vous protégera
même, mais ne suivez surtout pas le diable, car une descente aux enfers n'est
assurément pas de tout repos !
La légende du Rocher percé
CETTE HISTOIRE EST PARVENUE JUSQU'À NOUS au milieu des cris d'oiseaux,
ceux qui ne cessent de rôder autour du Rocher percé.
Il y a plusieurs centaines d'années, du temps où la France commençait peupler le
Québec, un jeune officier français, le chevalier de Nérac, fut appelé à quitter son pays
afin d'offrir ses services pour la construction de ce que l'on appelait, à l'époque, la
Nouvelle-France.
Il devait embarquer à Saint-Malo dans les plus brefs délais.
Ce départ lui brisait le cœur, car il aimait et était aimé d'une jeune fille magnifique :
Blanche de Beaumont. Les adieux furent déchirants. Ils se jurèrent un amour éternel
qui se scellerait par un mariage au retour du chevalier.
Au Québec, le chevalier de Nérac dut faire face à tant d'obligations qu'il ne put
revenir aussi tôt que prévu
N'en pouvant plus d'attendre, Blanche décida de prendre la mer pour rejoindre son
fiancé. Mais, alors que l'on apercevait les côtes de la Nouvelle-France, le bateau fut
pris d'assaut par des pirates. L'attaque fut effroyable, et Blanche fut la seule
survivante. Le terrifiant capitaine du vaisseau lu- i ordonna de devenir sa femme, ce
qu'elle refusa obstinément : «Mon cœur n'est pas libre. Je suis fiancée à Raymond de
Nérac, et je ne me marierai qu'avec lui. »
Elle fut emprisonnée. Un jour, le capitaine lui demanda de sortir sur le pont pour lui
montrer, au loin, la côte gaspésienne. 0 Voici la Nouvelle-France, ma belle, lui dit-il.
Bientôt, votre galant amoureux mourra devant vos yeux. » À ces mots, la douleur de
Blanche fut si grande qu'elle sauta par-dessus bord dans les flots agités. Les pirates,
qui aimaient Blanche, plongèrent pour la sauver. Mais en vain.
Après sa disparition, une terrible tempête se leva et le vaisseau, poussé par un vent
très fort, arriva près de Percé. L'équipage tout entier aperçut dans le ciel un immense
voile blanc porté par Blanche de Beaumont et, à ses côtés, un chevalier fantôme.
C'était le chevalier de Nérac. Dès qu'il avait été informé que sa fiancée avait été
capturée, il était parti pour la délivrer. Mais son bateau avait coulé à l'instant même où
Blanche plongeait dans la mer. Le destin les avait réunis. À eux deux, armés d'un
immense voile de mariée et de la cape du chevalier, ils firent se déchaîner les vents et
les vagues contre le bateau des pirates. Dans un tourbillon indescriptible, le bateau fut
enveloppé par le voile blanc, puis changé en une masse compacte de rochers. La cape
s'abattit sur les pirates et les métamorphosa en oiseaux noirs.
Si, un jour, vous passez par Percé, regardez bien le rocher. Vous constaterez qu'il conserve
toujours la forme d'un vaisseau. Voilà pourquoi il est aussi connu sous le nom de «
Vaisseau fantôme » ou de «Vaisseau naufragé ». C'est donc ainsi que furent vengés
Blanche de Beaumont et le chevalier de Nérac..
François et le cheval noir de l'Islet
CETTE HISTOIRE A EU LIEU A L'ISLET, sur
le bord du fleuve Saint-Laurent. Ce village ne
possédait pas d'église, ce qui attristait beaucoup ses habitants, et plus particulièrement
François Beauchemin.
Un soir, il songea à ses grands champs remplis de pierres. « Mais les chevaux sont si
rares ici. Où en trouver qui pourraient tout transporter pour construire cette église ? » Il
ne réussit pas à dormir. Soudain, son nom fut prononcé dans la nuit. Une belle dame
apparut, blanche et rayonnante : «Je suis Notre-Dame du Bon Secours. Je suis un ange
et je viens t'aider à réaliser ton rêve. Demain, à ton réveil, tu trouveras un cheval
devant ta porte. Tu t'en serviras pour transporter les pierres l'endroit où vous
construirez une église. La seule précaution à prendre, c'est de ne jamais le débrider.
N'oublie pas ! Sinon...
La dame disparut. À l'aurore, François se réveilla en sursaut. C'était un jour de mai
1768. L'apparition revint à sa mémoire, mais il crut un rêve. Pourtant, le piaffement
d'un cheval parvint à ses oreilles. Par la fenêtre, il put voir, attaché à sa porte, un
magnifique cheval noir dont le poil luisait au soleil.
Il convoqua alors les hommes du village : « Mes amis, j'ai emprunté un cheval. Il
paraît qu'il s'agit d'une bête peu commune. Il nous aidera transporter les pierres de mes
terres. Je les offre à la communauté pour la construction de l'église, mais faites
attention ! Il ne faut pas le débrider, jamais. Autrement, je ne réponds pas de ce qui se
passerait.
On attela le cheval à un chariot, et l'ouvrage commença. Les chargements de pierres
étaient très volumineux, et le cheval avançait comme si de rien n'était. « Quel cheval,
mes amis ! Mais son regard semble parfois un tantinet fou. Heureusement qu'il est
attaché ! Ne le débridez sous aucun prétexte », disait François.
Très rapidement, le village de l'Islet eut enfin sa belle église. Mais ce qui devait arriver
arriva. Une nuit, un homme d'un village voisin vola le cheval. Il voulait déplacer sa
grange menacée d'inondation. Arrivé au bord de l'eau, le cheval signifia à l'homme
qu'il souhaitait boire avant de travailler. Pour ce faire, l'homme décida de le débrider.
Le cheval se cabra aussitôt et devint fou. L'homme jura par la suite qu'il avait vu des
cornes lui pousser au front, que sa queue s'était enflammée, et qu'il s'était enfui dans la
forêt en passant au travers d'un immense rocher qu'il avait fendu en deux dans un
éclair brûlant.
Depuis ce jour existe une caverne que l'on rejoint en passant l'intérieur de ce rocher
fendu. On l'appelle le trou du Diable, ou encore la porte de l'Enfer.
Ce cheval noir était donc le diable qui, bien bridé et convaincu par l'ange Notre-Dame
du Bon Secours, avait aidé François. Mais au premier faux pas, il était retourné en
enfer.
François, lui, avait obtenu ce qu'il désirait. Quiconque nourrit un rêve aussi puissant
aura peut-être la chance de rencontrer l'ange Notre-Dame du Bon Secours. Mais
écoutez bien ses recommandations, car on ne sait jamais qui se cache derrière un
pouvoir magique mal utilisé.
Sire Gaby du Lac
Jeudi, 28 juin 1984.
Il n'était pas si vieux que ça, il y a quelque temps. Avant que les hommes ne s'installent tout
autour de lui. Qu'est-il donc arrivé en si peu de saisons pour qu'il se sente aujourd'hui si las?
Si épuisé...
Il a tant changé en si peu de saisons. Avant, en l'absence du vent qui oxygénait l'eau, il
dormait paisiblement.
Dans sa couche profonde, les décomposeurs recyclaient les déchets organiques.
Inlassablement, ces petites enzymes alimentées d'oxygène dégageaient les sels minéraux des
déchets tout en produisant à leur tour de l'oxygène qu'elles distribuaient généreusement.
Plantes et poissons s'en alimentaient, le laissant dormir tranquille, d'un souffle lent et profond.
Aujourd'hui, en l'absence du vent, il étouffe. Ses décomposeurs ne suffisent plus à la tâche.
Trop de déchets s'accumulent en ses couches profondes. Des déchets dont ils ne viennent pas
à bout. Des déchets qui les tuent. Il les sent se déposer, ces déchets, au fond de lui. Ça le gène,
l'indispose. Ils sont là, nuisibles, toxiques. Implacablement là, au fond de lui à le priver
d'oxygène. Impitoyablement là, à décourager les décomposeurs. Là, à s'accumuler, à nuire, à
détruire. Il ne peut pas dire qu'ils lui font mal... Il ne souffre pas, il vieillit tout simplement.
Prématurément. Avant son temps. Comme si le temps de sa jeunesse était bien, bien loin
derrière. Comme s'il avait l'âge d'une étoile, de la planète ou de cet astre radieux qui injecte la
vie par ses rayons énergétiques. Pourtant, avant que les hommes n'arrivent, il bénissait sa
lumière féconde qui, combinée à l'action des sels minéraux dissous dans l'eau, accomplissait
le miracle de la photosynthèse dans les cellules de ses plantes vertes, libérant alors matières
organiques et oxygène. Au gré de l'ensoleillement, ses plantes respiraient tout en produisant
des aliments microscopiques. Ses poissons s'en nourrissaient, grossissaient, se reproduisaient.
Puis mouraient, calaient où les attendaient les décomposeurs pour les transformer en sels
minéraux, nécessaires à l'accomplissement de la photosynthèse.
Oui, avant il vieillissait normalement, en multipliant petit à petit sa flore et sa faune. Le long
de ses berges ombragées, les poissons frayaient et se réfugiaient loin des rayons trop ardents
du soleil. Et l'hiver venu, c'était le repos sous la couverture de glace. Seuls persévéraient les
vaillants décomposeurs, à tout nettoyer, digérer, recycler, dans l'obscurité et le silence. Mais,
cet hiver-ci, ils ont failli à leur tâche... Ils ne sont pas venus à bout de ces déchets
inorganiques. De ces petites poussières qui tombent du ciel, puis descendent lentement et
assurément au plus profond de son être. Oh! Elles n'ont laissé qu'une trace, qu'une pellicule,
mais c'est suffisant pour nuire à sa respiration. Et suffisant pour qu'il étouffe, après trois jours
sans vent. Trois jours d'ensoleillement que les berges déboisées n'atténuent plus. Comment
venir à bout de ce mal? Comment se débarrasser de cette poussière mortelle? Il n'est pas
conçu pour elle. Ni pour cette dose massive d'acides sulfurique et nitrique provoquée par la
fonte des glaces et des neiges acides. Ni pour ce déboisement et ces pelouses qui descendent
jusqu'à la grève. Il crève de chaleur. Il étouffe. Ses plantes l'étranglent de partout dans la
bonne intention de l'oxygéner. Son eau se fait chaude, visqueuse, limoneuse.
Le lac Huard cherche son souffle. Il étouffe sous la couche de poussière malfaisante que laisse
pleuvoir sur lui l'usine de l'homme. Il crève de chaleur sous le soleil torride. S'asphyxie par la
multiplication des plantes aquatiques qui se défendent à leur façon d'un manque d'oxygène.
Combien de temps prendra-t-il à mourir? Combien de temps avant que le dépôt ne monte
indubitablement jusqu'à combler la fosse? Vingt ans, cinquante ans? C'est trop vite pour un
être qui date de l'ère glaciaire. De sa formation à ce jour il serait venu à bout de tant de
saisons, aurait vaincu inondations et sécheresses... pour mourir bêtement en l'espace d'une
génération d'hommes. C'est trop bête. Il devrait réagir. Mais comment un être sans défense le
peut-il? Sans parole et sans geste. Quelqu'un quelque part captera-t-il les ondes qu'il émet
avant qu'il ne soit trop tard?
Sire Gaby du Lac
Vendredi, 13 juillet 1984.
Le huard tend l'oreille au trémolo de son congénère habitant la baie de l'Est. Il y
discerne toute son inquiétude, sa tension, son angoisse à défendre son territoire. Il ne lui
répond pas, glisse lentement sur l'eau, suivi de sa compagne. Il n'a pas à lui répondre. N'a plus
à lui répondre puisqu'il n'a plus d'aire de nidification à revendiquer et à protéger. Il n'a plus
qu'un nid vidé de ses promesses, là, sur une des nombreuses petites îles rocheuses qui gardent
l'entrée de sa baie. Là, comme un souvenir lugubre, lamentablement accroché et à moitié
défait, avec des images de vie et de mort entremêlées. Avec l'espoir et le désespoir tressés à
même les plantes aquatiques. Là, avec ce vide immense qui l'emplit.
Le cri du voisin exige une réponse. Mais il se tait. Son être entier se tait. Il n'a pas de
réponse à donner. Plus de réponse. Il n'a pas à crier: «Reste chez toi, j'ai mes petits.» N'a plus
à crier: «Chez moi, c'est la baie où se déverse le torrent, compris?» Alors, il se tait en écoutant
son voisin revendiquer cette baie si mal oxygénée où l'eau et les poissons ont un arrière-goût
de civilisation. Cette baie cernée de chalets et sillonnée de bateaux. Cette baie où crache
l'usine. Il regarde la sienne; sauvage, tranquille, avec le caquetage des oies domestiques sur
l'île habitée.
Qu'il aurait aimé offrir tout cela à ses petits ou son petit! Enfin à la progéniture que la
nature aurait bien voulu lui accorder. Mais, elle a accordé, la nature. Il n'y a pas si longtemps,
deux beaux gros œufs remplissaient le nid qu'il avait rebâti sur l'ancien. À tour de rôle, lui et
sa femelle se relayaient pour couver. C'était merveilleux de sentir ces œufs sous son ventre, de
les couvrir entièrement et chaudement en écoutant clapoter l'eau tout près. Merveilleux de
savoir qu'aucun renard ou prédateur ne se risquerait sur cet amas d'îles rocheuses. Merveilleux
d'avoir les mouettes à vue. Merveilleux d'habiter la partie sauvage du lac. De n'avoir pour
visiteurs qu'une femme et un enfant dans une chaloupe de bois.
Merveilleux, jusqu'au jour où un gros bateau s'est rendu jusqu'au torrent. En passant
trop près de l'île, il a soulevé une énorme vague. Il l'a vue venir, la vague. A tenté de se faire
pesant comme lorsqu'il plongeait. Mais la vague a inondé le nid en arrachant les œufs sous
son ventre. Un instant, il les a vus à la dérive. Puis, une seconde vague les a fracassés contre
les roches. Les coquilles ont éclaté et deux oisillons presque à terme ont échoué, morts et
mouillés entre les plants de menthe... Et...
Encore une fois, le trémolo du voisin qui surveille son aire de nidification. Encore une
fois, le silence dans la gorge du huard. Il s'éloigne de son nid, disparaît de la surface de l'eau,
plonge vers les abîmes.
Un long hurlement se fait alors entendre. C'est le yodel du voisin qui célèbre sa
souveraineté territoriale.