« Heureux les doux, car ils posséderont la terre ». Ces doux, ce sont

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« Heureux les doux, car ils posséderont la terre ». Ces doux, ce sont
« Heureux les doux, car ils posséderont la terre ». Ces doux, ce sont les « doux et
humbles de cœur », selon le cœur de Jésus lui-même, « je suis doux et humble de cœur ». Ils
posséderont la terre promise. Non pas celle où Josué avait mené le peuple au repos, mais la
Jérusalem céleste où le Christ nous mène au repos définitif. Monseigneur François Gayot a fait
sa migration de ce monde à l’autre, sur les traces du Christ grand prêtre éternel, se consacrant à
Dieu le Père par le sacrifice parfait et définitif. L’offrande sacrificielle est un transfert de ce
monde à l’autre. Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père,
ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin.
Ce passage, c’est une migration. L’auteur de la lettre à Diognète souligne cet aspect de
nomadisation dans la chrétienté primitive. Le chrétien est un migrant.
La messe de funérailles de Mgr François Gayot, smm, fut célébrée à Rome le samedi 18
décembre qui était la journée internationale des migrants. Le Seigneur couronne ainsi toute la vie
de Mgr François Gayot, le migrant chargé des migrants.
C’est par une rencontre de la Commission Internationale de la Migration que Mgr
François Gayot se trouvait à Rome depuis le mois de novembre. Va où tu veux, meurs où tu dois.
Dieu s’est chargé de donner une réponse claire à ses multiples déplacements.
Se taire, c’est laisser à Dieu le soin de parler. Il nous conduit par des chemins sinueux,
dans la nuit de la foi, avec « un rayon de ténèbres », dit notre Père Saint Jean de la Croix.
C’est au jour le jour qu’il nous fait signe et nous invite à renouveler constamment notre
adhésion inconditionnelle aux imprévus continuels de sa divine volonté. Ce n’est qu’après son
passage que nous devinons ses traces. Nous le voyons de dos, comme Moïse dans l’anfractuosité
du rocher. Pendant qu’il passe, il met sa main sur notre visage. C’est le « sommeil des
puissances ». Nous faisons comme si tout dépendait de nous, tout en sachant que sans Lui nous
ne pouvons rien faire, car nous pouvons tout en celui qui nous fortifie, sa puissance se déployant
dans la faiblesse.
Dieu nous prépare à notre mission et à chaque instant nous demande notre consentement.
Il a inscrit Saint Joseph au terme de la lignée de David, puis lui demande son acquiescement pour
qu’il y insère l’Enfant Jésus né de la Très Sainte Vierge Marie.
Misant sur Lui, nous sommes sûrs de réaliser notre mission jusqu’au bout. Mgr Gayot
vivait à fond son être missionnaire, qui exigeait de lui d’être disciple de l’Esprit Saint La façon
d’être missionnaire, c’est la question qu’il se posait constamment. Il n’était pas missionnaire une
fois pour toutes, déterminé « ad unum » suivant un barème bien précis. Il se pliait aux
circonstances qui se renouvellent sans cesse ; il était comme en équilibre instable, son centre de
gravité tombant en quelque sorte en dehors de son polygone de sustentation. C’est le
déplacement continuel qui lui permettait de rétablir l’équilibre d’une certaine façon. En véritable
missionnaire, il n’était ainsi jamais en repos.
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Maintenant qu’il a atteint son but définitif, nous pouvons dire : « requiem aeternam, dona
ei Domine ». Le repos éternel que nous implorons pour lui à l’occasion de ses obsèques, se situe
au terme de toute une vie missionnaire, qui était un déplacement continuel.
Archevêque émérite du Cap Haïtien, il était censé bénéficier d’un repos bien mérité. Il
continuait pourtant une activité fébrile, se posant à tout instant la question de fond : « en quoi
consiste pour moi être missionnaire aujourd’hui dans telle situation précise »? Et il allait
jusqu’au bout des exigences en cherchant, avec les moyens dont il disposait, à répondre à ce qu’il
croyait être la volonté du Seigneur, qui un jour lui dirait : « Viens, bon et fidèle serviteur, entre
dans la joie de ton maître ».
On s’étonnait peut être à raison, de le voir sillonner si souvent les continents. Il n’avait de
comptes à rendre qu’à son Seigneur, qui s’est chargé de lever le voile au dernier moment, en ce
samedi 18 décembre, Journée Internationale des Migrants, où ses funérailles ont été chantées à
Rome. Se taire, c’est laisser à Dieu le soin de parler.
Chargé de la pastorale de la migration, il est mort en migrant. Il est allé aux pauvres
pauvrement. « Defunctis adhuc loquitur ». Ayant terminé ses fonctions terrestres, il nous
interpelle encore de l’au-delà. Comment vivait-il son être missionnaire ? - Il était d’abord
disciple de l’Esprit Saint qui écrit droit avec des lignes courbes et brisées. Toute la nuit, il
pouvait avoir travaillé sans rien prendre, mais sur la Parole du Seigneur, il lançait hardiment les
filets pour la pêche. Peu lui importait d’être jugé par un tribunal humain. Sa conscience même ne
le jugeait pas. Il pouvait dire avec Saint Paul : Scio cui credidi » ; il savait en qui il avait mis sa
confiance.
Sa devise épiscopale était : « ad lucem per crucem », « à la lumière par la croix ». C’est la
nuit de la foi. L’ombre de la croix se profile déjà sur l’étable de Bethléem. La lumière est
intérieure à l’acte de foi. Il était souvent seul à percevoir le but qu’il recherchait. Tous les
moyens étaient enveloppés de ténèbres. Ce qui était premier dans l’intention était dernier dans
l’exécution. Il a tenu jusqu’au bout dans la démarche de la foi pour sortir du tunnel et se voir
inondé de lumière. L’annonce joyeuse de l’Archange Gabriel passe par l’annonce douloureuse
du vieillard Siméon. « Ad lucem per crucem ». « A la lumière par la croix ».
Sa consécration épiscopale avait été célébrée le 2 février 1975 au Cap Haïtien, le jour de
la Chandeleur, la fête de la Lumière, fête missionnaire. Lumière pour éclairer les nations, gloire
de ton peuple Israël. Il pouvait s’appliquer le message adressé au serviteur du Seigneur : « c’est
trop peu que tu sois pour moi un serviteur, pour relever les tribus d’Israël, Je fais de toi la
lumière des nations, pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre.
S’occupant de la pastorale des migrants, il prenait sa fonction à cœur. La lumière qui
brille au fond des ténèbres de la foi en son cœur, le guidait pour passer d’un continent à l’autre,
oubliant ses attaches viscérales pour vibrer au diapason de l’univers, s’étant bien rendu compte
que la mission est universelle , comme l’Eglise, Dieu voulant que tous les hommes soient sauvés
et parviennent à la Lumière de la Vérité.
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Il a su adroitement éviter de fonctionner en circuit fermé. Son cheminement empruntait le
parcours d’une spirale débouchant sur l’horizon de l’infini, loin de développer un climat insulaire
qui replie sur soi et isole des autres.
Il était, certes, personnel, mais pas individualiste, étant tout relatif à la communauté. Il
inculturait l’Evangile pour évangéliser la culture. Avec patience, en suivant les sinuosités des
sentiers tracés par le Seigneur. « Ad lucem per crucem ». « A la lumière par la croix ». A travers
la croix jaillit la lumière, intérieure à l’acte de foi. Elle se lève, la splendeur de la lumière
éternelle, le soleil de justice, qui vient illuminer ceux qui gisent dans les ténèbres et l’ombre de la
mort. Il a porté la lumière en passant par les ténèbres. Il est allé aux pauvres pauvrement, aux
migrants en migrant.
Il n’avait pas ici bas de cité permanente, et recherchait celle de l’avenir. Sa conversation
était au ciel. C’est le chemin qu’il indiquait tout en ayant les pieds sur la terre. Il savait déceler
les différences qui concourent à la complémentarité, faire jouer une symphonie commune avec
des instruments qui apportent leur tonalité spécifique.
Dans la migration, il avait trouvé un chemin vers la paix, la paix sans frontières. Seul le
pauvre est artisan de paix. L’artisan n’est pas artiste. L’artiste se repose. L’artisan travaille
toujours. Il ne se reposait pas, sachant que la paix est dynamique, qu’on n’a jamais fini de
travailler pour l’instaurer. Il s’est fait migrant sur le chemin de la paix. La paix est toujours en
devenir. Son chemin débouche sur l’éternité. Un enfant nous est né, un fils nous est donné, il
reçoit ce nom : « conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince de la Paix, qui n’a pas où
reposer la tête. Né dans une crèche, mort sur la croix, le Christ nous trace le chemin de la paix.
Né en migrant, il est mort en migrant. Il avait préparé Mgr François Gayot à le suivre jusque là.
Les voies de la sagesse ne sont pas rectilignes. La divine Sagesse peut conduire d’abord par un
chemin sinueux avant de découvrir ses secrets.
Monseigneur François Gayot est né le 12 juillet 1927, à Port-de-Paix. Il est mort le 16
décembre 2010, à l’hôpital Gemelli de Rome, dans la ville éternelle où il était allé pour une
rencontre de la Commission Internationale de la Migration. Ses obsèques ont été célébrées à
Rome le samedi 18 décembre, journée internationale des Migrants. Sa vie est faite de migrations
successives. Elle se termine non sur un point final, mais sur un point d’orgue, où les
harmoniques de la migration vers la paix se répercutent d’écho en écho ans les éternités
d’éternités.
Le monde actuel écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, dit le pape Paul VI,
ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins. C’est le cas pour Monseigneur
François Gayot : « defunctis adhuc loquitur ». Il nous interpelle encore après avoir achevé sa
fonction terrestre.
La tradition passe par l’imitation. « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ »,
dit Saint Paul. C’est une initiative de Jésus-Christ médiatisée. « Soyez les pasteurs du troupeau,
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non pas en faisant les seigneurs à l’égard de ceux qui vous sont échus en partage, mais en
devenant les modèles du troupeau », nous dit Saint Luc.
En successeur des apôtres, Mgr François Gayot nous a tracé le chemin de la migration
vers la paix universelle. C’est l’objet de la mission. L’acte sacrificiel est une migration, un
transfert d’appartenance. « Sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père
pour le suprême sacrifice, le Christ, grand prêtre éternel, ayant aimé les siens qui étaient dans le
monde, les aima jusqu’à la fin ». Au dernier jour, nous serons jugés sur l’amour, nous dit notre
Père Saint Jean de la Croix, l’amour sans frontières. Notre Dame, Reine de la paix, la vierge
pèlerine, discrètement, veut nous accompagner sur le chemin de la paix.
« La première en chemin, Marie tu nous entraînes
à risquer notre oui aux imprévus de Dieu.
Et voici qu’est semé en l’argile incertaine
de notre humanité, Jésus Christ, Fils de Dieu.
Marche avec nous Marie, »
sur les chemins du Christ, imprévus et imprévisibles.
Dieu sollicite notre foi pour une réponse libre au dessein qu’il a préparé pour nous de
toute éternité, afin que notre volonté se conforme à la sienne.
Il a préparé Notre Dame par l’Immaculée Conception. Il lui demande son libre
consentement pour qu’elle soit la mère de son divin Fils.
Il a préparé Saint Joseph en faisant de lui le terme de la lignée de David. Puis il lui
demande son acquiescement pour qu’il insère Jésus dans cette lignée généalogique en acceptant
de prendre chez lui Marie son épouse.
Il a préparé Mgr François Gayot dans la voie de la migration. Puis il lui demande son
accord pour qu’il se charge de cette pastorale.
Mgr François Gayot a su renouveler son oui tous les jours, de migration en migration,
jusqu’à la migration définitive, le passage suprême vers l’au-delà. Oiseau migrateur, telle fut sa
vocation et sa mission. Il n’avait pas ici-bas de cité permanente. Il recherchait celle de l’avenir,
entouré d’une multitude de témoins de la foi, Abraham et sa postérité. Etranger et pèlerin,
comme tous ses « pères dans la foi », il était nomade spirituel. Il ne regardait pas en arrière pour
évaluer le chemin déjà parcouru et se complaire dans le fruit de son travail. Il avait radié de son
vocabulaire missionnaire le terme de « repos ».
« En Dieu seul était le repos pour son âme ». Qu’il repose en paix » !
« Va plus loin, le voyage est à peine commencé,
et la route est encore longue
vers la fraternité
et l’horizon de l’amitié »
C’est une spiritualité de dépassement qu’il vivait : « instabiles sumus », dit Saint Paul. Nous
sommes errants, migrants. Mgr François Gayot tenait compte des deux notes complémentaires
de sa foi : l’obscurité et la certitude. Tout en ayant à l’esprit le but précis de ses démarches
missionnaires, il se laissait cependant guider par la lumière intérieure à l’obscurité de sa foi en se
lançant avec détermination en vertu de l’audace apostolique, sur des sentiers toujours nouveaux.
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« Ad lucem per crucem ». A la lumière par la croix.
A la lumière de la résurrection du dimanche de Pâques,
Par l’obscurité de la Croix du Vendredi Saint.
La femme forte au pied de la croix,
Dans la nuit sa lampe ne s’éteint pas.
Elle guidait son pèlerinage vers la lumière éternelle.
Donne-lui, Seigneur, le repos éternel
Et que la lumière sans fin brille sur lui
« Ad lucem per crucem ».
A la lumière par la croix.
Lorsque du poids de ma misère
ta main voudra me délivrer,
sur une route de lumière
d’un cœur joyeux je marcherai.
« Ad lucem per crucem ». A la lumière Par la croix.
De migration en migration - Jusqu’à la migration définitive.
Il viendra
Un soir
Pareil à celui-ci
Peut-être.
A l’Orient devant lui
Le ciel s’embrasera.
Au pauvre allez dire
Que tout s’accomplira
Selon la promesse.
« Ad lucem per crucem
A la lumière par la croix. »
De migration en migration - Jusqu’à la migration définitive
Du sacrifice parfait du Grand Prêtre éternel.
Mwen se yon pòv k ap trennen toupatou
Kote m pase, m se etranje,
Men mwen sèten lè m a janbe lòt bò
M a jwenn kote pou m repoze.
Mwen pral lòt bò a, lakay Papa mwen
Fatig chemen an fini pou mwen
Lè m a rive lòt bò rivyè a
Manman m va ban m kè l pou m poze tèt mwen
Men karantan depi m sou wout la
Chalè solèy la pa janm jènnen m
Lonbraj gran frè m wen toujou poze sou mwen
L ap proteje mwen l ap konsole mwen
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Men m pre rive nan bout vwayaj la
Lanmè gronde rivyè desann
Lanmò toupre m la men li pa fè mwen pè,
Se tout mizè m m ap lage ladan l.
Men m devan pas la gran Frè mwen la avè m
Li ban m lanmen pou m travèse
Li lave kò mwen, li rafrechi kè mwen
Li fè m antre lakay Papa, m.
Mwen pral lòt bò a, lakay Papa mwen
Fatig chemen an fini pou mwen
Lè m a rive lòt bò rivyè a
Manman m va ban m kè l pou m poze tèt mwen.
« Ad lucem per crucem ». A la lumière par la croix
Cérémonie « absente corpore », comble de la pauvreté !
« Ad lucem per crucem ». A la lumière par la croix !
Sainte Monique disait à Saint Augustin, en entendant on fils dire qu’il faudrait enterrer sa mère
dans son pays : « Tu entends ce que dit ton frère ?
- Mets ce corps n’importe où ! Souvenez-vous seulement de moi au sacrifice de l’autel ».
Jusqu’au dernier moment,
Imprévu imprévisible,
Le corps est retenu.
« Ad lucem per crucem ». A la lumière par la croix.
Mwen se yon pòv k ap trennen toupatou
Kote m pase, m se etranje,
Men mwen sèten lè m a janbe lòt bò
M a jwenn kote pou m repoze.
« Ad lucem per crucem ».
A la lumière par la croix.
« Instabiles sumus ». Nous sommes errants.
Vieux pèlerin qui vagabonde
Je suis partout un étranger,
Mais je sais bien qu’en l’autre monde
Dieu va m’offrir où me loger.
Oiseau migrateur
Aux migrants en migrant, aux pauvres pauvrement.
« Ad lucem per crucem ». A la lumière par la croix.
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