Saint-Pourçain-des-Arts
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Saint-Pourçain-des-Arts
SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page1 Paysage perdus n°4 - 2012 - Détail Format 130 x 97 cm, craie noire, acrylique sur papier marouflé sur toile. Saint-Pourçain-des-Arts est le fruit commun de deux acteurs culturels basés à Saint-Pourçain et décrits dans les pages qui suivent : les Amis de Frédéric Charmat, qui animent la Maison de la Lithographie, et les éditions Bleu autour. Leur coopération est ouverte : sans doute d’autres acteurs issus des mondes de la musique et du théâtre se joindront-ils à eux dans le futur. Objectif de cette coopération : proposer des manifestations couplant différentes formes d’expression artistique, la peinture et la littérature pour commencer. À condition, bien sûr, qu’il y ait des correspondances et des résonnances entre les œuvres picturales et littéraires présentées conjointement. Ces œuvres prendront ainsi un nouveau relief et leur accès s’en trouvera facilité. Surtout si sont racontées ces correspondances et résonnances, et elles le seront par les artistes et autres « passeurs » lors des vernissages et des conférences qui les précéderont. Elles le seront aussi dans le petit livre qui accompagnera et prolongera chacune des manifestations. Voici le premier. Il a pour fil rouge Le Grand Meaulnes. Le second fera rimer Istanbul avec Saint-Pourçain-sur Sioule. SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page2 Dessin de Sébastien Pignon illustrant la couverture de Suites byzantines, de Rosie Pinhas-Delpuech (Bleu autour, 2009) 2 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page3 Les détours de Bleu autour Ouvertes sur l’ailleurs, ce dont témoignent leurs livres de littérature étrangère, notamment traduits du turc, les éditions Bleu autour ne le sont pas moins sur ces ailleurs que sont aussi pour elles les entours du lieu, Saint-Pourçain-sur-Sioule, où elles sont basées. J’allais écrire « implantées », et je l’aurais pu, à condition de préciser que, si elles sont nées ici, c’est d’assez fraîche date, il y a moins de vingt ans, en 1997, et que moi qui les ai créées, je ne suis pas d’ici, or l’on n’est jamais que de son enfance, et la mienne fut turque puis parisienne. Braize, Meaulne, Istanbul Au milieu des années 1970, à un peu plus de vingt ans, je suis parti pour une France à l’écart, plus rurale qu’urbaine, entrevue à treize ans, qui m’était étrangère et qui, pour cela, m’attirait, l’Allier, aux confins du Berry. À Braize exactement, petit village situé en bordure de la forêt de Tronçais, tout proche de celui de Meaulne (sans « s » mais non sans rapport avec Le Grand Meaulnes dont l’intrigue se noue dans le bourg voisin d’Épineuil-le-Fleuriel, « Sainte-Agathe » dans le roman d’Alain-Fournier). Étrangère, cette France ? Comme je l’étais à moi-même. Méconnue, plutôt, ma France aussi, mais voilée. Car, sauf à le rejeter, l’étranger n’est-il pas, in fine, l’autre, l’étrange qui est en nous et que nous ignorons ? Comme apprenti journaliste, je me suis jeté sur les petites routes du département de l’Allier avec la ferme intention de le connaître, d’essayer de le comprendre, de le raconter, et, en chemin, de m’y révéler à moi-même. Peut-être que je le raconterais toujours si, trente-cinq ans après l’avoir quittée, à l’âge de sept ans, je n’étais pas retourné dans la ville où j’ai appris à lire et à écrire, où j’ai mes premiers souvenirs, Istanbul. Moins sur place que, quelques mois plus tard, dans un rêve, un cauchemar, l’adulte que j’étais a vu, littéralement vu l’enfant qu’il avait été. Passé le bouleversement, d’abord douloureux, qui ne saurait en quelques pages être un tant soit peu démêlé, j’ai décidé de faire non plus des journaux mais des livres. Des livres que, pour commencer, d’autres écriraient et qui diraient des géographies dans la tête, je n’employais alors pas encore le mot approprié d’exil, c’est de Leïla Sebbar que bientôt je le tiendrai. 3 Coll. part. SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page4 4 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page5 Vichy-Tombouctou dans la tête © Josette Vial. Ville de Vénissieux Les titres des deux premiers livres que j’ai publiés témoignent de ce projet initial : Vichy-Tombouctou dans la tête, de Jean-Michel Belorgey, qui me soufflera l’intitulé de la collection inaugurale, « d’un lieu l’autre », et Le Village et enfin, de Luc Baptiste, son village natal reclus dans la misère et enfin les horizons qu’ouvrent la littérature, les voyages, l’écriture… Puis il y eut la rencontre avec Leïla Sebbar, née en Algérie d’un père algérien et d’une mère française de France, autour de portraits de femmes sur cartes postales coloniales collectionnées par JeanMichel Belorgey. « Les femmes du peuple de mon père », écrira-t-elle en ouverture de Femmes d’Afrique du Nord, le premier de nos livres construits autour d’un corpus d’images. Un livre riche aussi des regards du collectionneur et, depuis sa seconde réédition, de l’historienne Christelle Taraud, spécialiste de la prostitution coloniale, car beaucoup des modèles photographiées pour ces cartes postales dans des studios d’Algérie ou du Maroc étaient des prostituées. Leïla Sebbar en 2007, à la bibliothèque Robert-Desnos de Vénissieux. Photo Josette Vial. 5 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page6 Mes Algéries en France Je me retrouvais dans ce livre et dans l’univers de Leïla Sebbar qui dit l’exil, la violence intime et politique. De la guerre d’Algérie, des échos m’étaient parvenus à mon retour d’Istanbul, en 1960, j’avais alors sept ans. Déjà, juste avant notre départ, en été, il y avait eu, au printemps, un coup d’État militaire en Turquie, j’avais vu des soldats menaçants chez les riches parents de mon ami turc, j’ai souvenir d’Istanbul vide où seules les forces armées avaient le droit de circuler, j’entendrai parler de la pendaison sur une île du Premier ministre Menderes. Puis, à Paris, vite, des photos sanglantes dans Paris-Match que je n’avais pas le droit de feuilleter, un bruit d’explosion un jour à BoulogneBillancourt, les discussions enflammées des adultes, Algérie française, Algérie algérienne, « oui », « non », « OAS » sur les murs, l’attentat du Petit Clamart, un premier aperçu d’histoire vive française. De Leïla Sebbar je publierai ensuite Mes Algéries en France qui ouvrait, elle et moi l’ignorions alors, une trilogie sur ses mythologies et où elle fait s’entrecroiser textes et images d’elle et de « [ses] compagnes et compagnons sur [ses] routes algériennes », entre autres images celles d’un dessinateur-né, Sébastien Pignon. Puis elle nous donnera des récits, des nouvelles, deux romans, le premier a pour titre Les Femmes au bain qui, sur la couverture, s’inscrit dans un « Nu rouge » d’Édouard Pignon, le grand-père de Sébastien, le beaupère de Leïla ; elle lui fait place dans son dernier livre, Le Pays de ma mère – Voyage en Frances, qui fait suite à sa trilogie du côté de son père. 6 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page7 Journal de Budapest Parallèlement, Bleu autour se consacre de plus en plus à la littérature étrangère. Ce fut d’abord, traduit de l’américain, Retours - Journal de Budapest, de Susan Rubin Suleiman, qui avait repéré Bleu autour grâce à une brève signalant sa naissance dans Le Monde des Livres. C’est le récit d’une quête de traces qui mène cette professeur de littérature française à Harvard jusqu’en Pologne où, dans certaines villes, on ne peut plus trouver aucun document attestant la naissance ou la mort d’un seul Juif. Ce furent ensuite deux récits d’enfance turque, Au pays des poissons captifs, de Nedim Gürsel, que j’avais rencontré dans une fête du livre à Saint-Étienne, et Suite byzantine, de Rosie Pinhas-Delpuech, amie parisienne de Leïla Sebbar, née dans une famille sépharade d’Istanbul, un des rares écrivains turcs de langue française. Puis, par Rosie, la découverte du grand nouvelliste Sait Faik, le pape – un drôle de pape – de la littérature moderne turque. C’est dans son sillage qu’écrivent Nedim Gürsel, Orhan Pamuk (que nous avons laissé à Gallimard !) et Enis Batur qui publie chez Actes Sud et chez nous, qui est avec Nedim Gürsel le plus français des écrivains turcs. Puis une économiste parisienne d’origine turque, de nationalité française aussi, Deniz Ünal, m’apporte sa traduction de l’œuvre en vers libres d’Orhan Veli, le Prévert ou le Desnos turc, qui avec Nâzım Hikmet a révolutionné la poésie turque. Il était le contemporain et l’ami de Sait Faik, leur cause était moins celle du peuple, portée par Nâzim Hikmet et Yachar Kemal (dont nous avons édité une anthologie de grands reportages), que celle de l’individu ; aussi sans doute étaient-ils restés méconnus en France où les premiers « passeurs » de la littérature turque moderne, des exilés politiques de Turquie, se retrouvaient davantage dans des textes engagés. 7 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page8 Les nuits froides de l’enfance Et toujours par Deniz (car nous convolerons), qui, sous le pseudonyme d’Elif Deniz, dirige maintenant le domaine turc de Bleu autour, nous publierons la nouvelliste Füruzan et l‘incandescente Tezer Özlü : lisez d’elle Les nuits froides de l’enfance et La Vie hors du temps, comme aussi L’arabe comme un chant secret de Leïla, La Chambre aux pommes de Florence Hinneburg, qui se dit autant par des mots que par des gravures, l’âpre Discorde de Michel C. Thomas, Sur la route du Karakoram, de Luc Baptiste (qui s’y révèle aussi photographe), Suites byzantines (au pluriel, depuis sa réédition augmentée par Rosie Pinhas-Delpuech de courts récits), Le Facteur d’Üsküdar, d’Enis Batur, recueil de trente-six romans, et tous les autres livres, jusqu’au dernier-né, Notre Chanel, de Jean Lebrun, qu’il a écrit entre Fond de France, dans les Alpes, et la maison forestière de Giverzat, à un jet de pierre de l’abbaye des Bénédictines de Chantelle, à portée de voiture de Saint-Pourçain-sur-Sioule, où nous revoilà après ce long détour par la Turquie. On épargnera d’autres détours au lecteur, car nous avons fait des incursions dans les littératures arménienne, ouzbek, norvégienne avec trois écrivains disparus (respectivement Raffi, 8 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page9 Tchulpân et Olav H. Hauge), dans la littérature russe aussi avec le bien vivant Evguéni Grichkovets, anglaise enfin ou plutôt de langue anglaise avec Moris Farhi qui a des origines sépharades et turques et dont paraît ce printemps Les Enfants du Romanestan, après le recueil de son œuvre poétique, Cantates des deux continents, publié fin 2013 et comprenant des gravures de Florence Hinneburg déjà citée pour sa Chambre aux pommes, si vous me suivez toujours… Visites aux paysans du Centre © Coll. Henry - de Durat Donc des livres de littérature étrangère, française aussi, avec, récemment, un début de collection de rééditions critiques et illustrées de textes classiques qui ont une forte résonnance dans les contrées du centre de la France. L’idée de la première réédition s’est imposée comme une évidence aux Rendez-vous de l’histoire de Blois, quand fut annoncé, en octobre 2011, le thème des Rendez-vous de 2012 : « les paysans ». Je savais épuisée l’unique réédition, en 1978, de Visites aux paysans du Centre, de Daniel Halévy, dont la lecture, à mon arrivée dans l’Allier, m’avait donné bien des clés de ce département rouge. Du moins jusqu’aux élections municipales de mars dernier où même Bourbon-l’Archambault, berceau du syndicalisme paysan au début du XXe siècle, a perdu son maire communiste et viré à droite. Cela n’a pas été le cas – la tradition est sauve – de la commune voisine d’Ygrande, patrie de l’écrivain-paysan Émile Guillaumin, qui fut la plume des paysans syndiqués du Bourbonnais et que son roman La Vie d’un simple fit connaître à Paris, d’où il vit un jour débarquer chez lui l’intellectuel dreyfusard Daniel Halévy, curieux de ces campagnes alors en ébullition. Image reproduite sur la couverture de Visites aux paysans du Centre (Bleu autour, 2012). 9 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page10 Yvonne de Galais chez Pierre Loti Après avoir revisité les Visites aux paysans du Centre avec des amis proches, l’historienne Marie-Paule Caire-Jabinet, l’essayiste et ancien député François Colcombet, mon vieux compagnon de route Didier Arrachart, avec encore pour préfacier l’ancien ministre Pierre Joxe, petit-fils de Daniel Halévy, nous avons jeté notre dévolu sur Le Grand Meaulnes, paru cent ans plus tôt, en 1913. Le journaliste Bernard Stéphan, qui a coordonné cette réédition, a réuni d’intéressants éclairages sur Alain-Fournier, également sur le personnage noir du roman, Valentine, dans la vraie vie Jeanne Bruneau, le contrepoint de la lumineuse et inaccessible Yvonne de Galais inspirée d’une certaine Yvonne de Quiévrecourt. Sur cette dernière, nous étions pauvres, mais nous ne le sommes pas restés longtemps, grâce à Alain Quella-Villéger auquel je parle, peu avant qu’il ne soit bouclé, de ce travail collectif. Natif, comme Pierre Loti, de Rochefort-sur-Mer, il est, avec Bruno Vercier le spécialiste de l’auteur d’Aziyadé dont ils ont notamment publié chez nous l’œuvre dessinée et photographique. D’ailleurs, c’est Loti et cette fois son Pêcheur d’Islande qui nous font nous croiser à Paimpol lors d’une manifestation qui lui est consacrée. Mais sitôt que j’évoque Le Grand Meaulnes, Alain me ramène à Rochefort où, racontet-il et écrira-t-il, Henri Fournier eut ses derniers rendez-vous avec Yvonne de Quiévrecourt qui y avait des attaches. Alain-Fournier et Pierre Loti ne se rencontreront pas plus à Rochefort qu’ailleurs, poursuit-il, « mais une photographie atteste, en revanche, que Pierre Loti reçut en sa fantasque demeure, à l’une des fêtes qu’il se plaisait à y donner, en l’occurrence une soirée musicale dite “des Ondines”, Yvonne de Quiévrecourt en personne ! » Dans sa tunique décolletée garnie d’une guirlande de fleur, parmi les jeunes femmes déguisées en ondines, elle apparaît absente, troublante. L’étrange photo, qui date de 1908, eût à elle seule justifié la réédition de ce roman de l’enfance et de l’adolescence, roman initiatique, tragique aussi, où la quête du bonheur, de l’amour absolu se perdra, comme toujours est perdu le « paradis de l’enfance ». Dans une note de l’éditeur, j’écris encore que tout commence par la « fête étrange » qui désoriente. Dans le « domaine mystérieux » survient le Bohémien. Ici soudain c’est l’ailleurs. L’horizon s’ouvre, il faut partir, à Paris, en Allemagne, obéir à cette quête dans l’urgence de l’avant-guerre. Car, note Pierre Bergounioux dans la préface de la réédition, Alain-Fournier « a eu, comme Charles Péguy, le pressentiment que la catastrophe était imminente ». 10 © Maison de Pierre Loti / Musées de la Ville de Rochefort SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page11 Parmi les jeunes femmes costumées en ondines qui constituent le chœur de la soirée musicale donnée par Pierre Loti, le 25 avril 1908, dans sa maison de Rochefort, on reconnaît Yvonne de Quiévrecourt, debout à gauche, de face, en tunique décolletée garnie d’une guirlande de fleurs. Le personnage masculin déguisé n’est pas Loti, mais l’un de ses invités, un certain Cavailhé. SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page12 Claire Forgeot et ses « paysages perdus » C’est en ayant en tête ce tragique du roman, qui me frappe à sa relecture, que je m’interroge sur l’illustration de la couverture. Me revient en mémoire le flou irisé de la longue scène de la fête dans le film d’Albiccoco que j’avais vu, adolescent, à sa sortie, en 1967. Je revois le film, il est loin du roman que je viens de relire, je m’ennuie, c’est une autre esthétique si c’en est une… Cependant, le traitement impressionniste de la scène de la fête m’aiguille vers des paysages qui eux tomberaient juste, des tâches de couleurs primaires mais parsemées de points noirs, très noirs, flanquées, parfois barrées de troncs et de bosquets calcinés du même noir : une série de tableaux de Claire Forgeot qui a un pied dans l’Allier et un autre à Paris où je les ai vus exposés. Alors je lui demande, à Moulins, si cela lui dirait de créer des images qui pourraient être reproduites sur les pages de couverture de notre réédition du Grand Meaulnes. Je le fais en me gardant d’employer le mot d’illustration. Je sais bien, en effet, qu’elle entend ne plus se consacrer qu’à sa seule peinture, après avoir longtemps travaillé et acquis une notoriété certaine dans le monde du livre comme illustratrice de couvertures, chez Gallimard ou au Seuil, et d’albums pour la jeunesse, notamment aux anciennes éditions Ipomée, à Moulins, où, sous leur impulsion, s’est ouvert le Musée de l’illustration jeunesse. Elle me répond qu’elle est prête à tenter un travail qui s’inscrirait dans la série de ses « Paysages perdus » et qui serait à prendre ou à laisser. J’ai pris, des deux mains. Voyez, dans notre réédition, les pages 1 et 4 de couverture, aussi les paysages et feuillages en noir et blanc qui ouvrent chacune des trois parties du roman d’Alain-Fournier. 12 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page13 F. Tülin et l’obsession du noyau Au Sélect, à Paris, la brasserie préférée de Leïla où nous travaillons et bavardons souvent, le « café près de la gare Montparnasse » qu’évoque Tezer Özlü dans Les nuits froides de l’enfance (de passage à Paris elle y rencontre un buveur de rakı et de cognac, il est fou de Léo Ferré et Paris, elle dort avec lui sous les toits les nuits suivantes) au Sélect, donc, Deniz et moi retrouvons régulièrement Enis et Tülin, Enis Batur et « Tülin tout court, à la rigueur F. Tülin », précise-t-elle. Elle est folle de Paris elle aussi, et peintre, grande peintre. Nous avons vu de ses toiles à Istanbul Modern, le musée d’art contemporain qui borde le Bosphore, et, il y a peu, dans une galerie d’Istanbul, ses saisissantes variations autour du noyau de pêche qui l’obsède « par le mouvement perpétuel qu’il crée ». Ce sont des formes différentes, mobiles elles aussi, qu’elle nous a données pour la couverture et les pages intérieures du Facteur d’Üsküdar, le second livre que nous avons fait paraître d’Enis Batur, en 2011, après D’une bibliothèque l’autre, en 2008, avec une préface d’Alberto Manguel. Mais, contrairement aux œuvres de cet auteur, qui publie aussi chez Actes Sud, celles de Tülin, qui travaille de plus en plus à Paris où elle habite maintenant régulièrement, sont inconnues en France. Seulement, où les exposer ? nous demandons-nous. 13 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page14 Frédéric et Gilles Charmat Je suggère au centre de la France, à… Saint-Pourçain-sur-Sioule. Et je raconte à Tülin qu’au chevet de l’église de cette petite ville, dans le dos de la Marianne qui surplombe la place du marché, les caves des Bénédictins abritent chaque été depuis une vingtaine d’années des expositions d’art moderne sous l’égide d’une association, Les Amis de Frédéric Charmat, que préside Gilles Charmat, le frère cadet de celuici. Ces caves, mises à la disposition de l’association par la Ville de Saint-Pourçain, sont aussi dénommées La Maison de la Lithographie, en raison de presses léguées avant sa mort, en 1988, à l’âge de 42 ans, par Frédéric Charmat, éditeur et critique d’art, dessinateur et peintre aussi. Peut-être Gilles Charmat voudra-t-il accueillir les noyaux de Tülin, et les paysages calcinés de Claire Forgeot, et encore, demain, les gravures de Florence Hinneburg, les dessins et aquarelles de Sébastien Pignon… Oui, il veut, l’union fait la force, me ditil à Saint-Pourçain, après qu’il a feuilleté notre Grand Meaulnes et les catalogues d’expositions passées, à Istanbul, de Tülin. « Nu rouge », 1973, huile de Édouard Pignon. Coll. Dominique Pignon. 14 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page15 Sur mon bureau surnage – par quel hasard ? – un petit livre consacré à l’œuvre d’Édouard Pignon. Pourquoi, me demande-t-il ? Je lui réponds qu’il le saurait s’il connaissait mieux les livres d’une petite maison d’édition basée à Saint-Pourçain ! Et je lui montre le « Nu rouge » sur la couverture des Femmes au bain, de Leïla, ainsi que d’autres œuvres du même Édouard Pignon reproduites dans d’autres livres d’elle. Puis Gilles me rend la pareille : si j’avais attentivement lu la notice consacrée à son frère Frédéric à l’entrée de la Maison de la Lithographie, j’aurais découvert que parmi les nombreux artistes dont celui-ci avait édité des lithographies figurait Édouard Pignon. Et il m’apportera par la suite une série de photos où son frère est au côté du peintre et, surtout, l’une des lithographies signées Pignon qu’il a exhumée : un « Nu rouge » ! Alors aussi une exposition, demain, de toiles et lithographies d’Édouard Pignon au chevet de l’église de Saint-Pourçain-sur-Sioule ? J’en reparlerai à Leïla, peutêtre que Dominique Pignon, son mari, dira oui. Lithographie de Édouard Pignon, 1974. © Fonds Charmat. 15 SPDA_N°1_ESSAI 29/04/14 09:42 Page16 Saint-Pourçain-des-Arts Pour ce printemps 2014, du 7 au 31 mai, place aux « Paysages perdus », de Claire Forgeot, puis à F. Tülin qui, du 12 juin au 23 août, présente à Saint-Pourçain-sur-Sioule sa première exposition en France, qu’elle a intitulée « Au-delà du noyau ». Deux expositions dont les vernissages sont précédés le premier d’une conférence par l’historienne Marie-Paule Caire-Jabinet sur notre réédition du Grand Meaulnes, le second d’une rencontre sur la modernité de la littérature turque contemporaine qu’animera l’écrivain et éditeur Enis Batur. Suivront d’autres manifestations couplant peinture et littérature, et pourquoi pas d’autres formes artistiques, musicales ou théâtrales. Saint-Pourçain-des-Arts est né, autrement dit une série de manifestations à la manière de ces deux premières, et une série de petits livres comme celui-ci qui les prolongeront et diront de quelles rencontres elles sont les fruits. Photo Louise Métayer. Saint-Pourçain-sur-Sioule, le 21 avril 2014 PATRICE RÖTIG La Marianne qui surplombe la place du marché à Saint-Pourçain-sur-Sioule. 16