Notes de lectures de Georges Leroy Mai 2013 1/2 - Reseau

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Notes de lectures de Georges Leroy Mai 2013 1/2 - Reseau
Notes de lectures de Georges L e r o y
Mai 2013 1/2
HIHIH
L’attribution des étoiles est relative, et peut comporter des aspects négatifs… le diable porte pierre. Si l’appréciation
privilégie le fond à la forme, elle n’en constitue pas moins un jugement de synthèse avec sa part de subjectivité…
mais non de relativisme. Note : La qualité de ce document permet l’impression sur une imprimante de bureau.
Appelle-moi Stendhal
HHHII
Gérard Guégan
Stock, 170 p., 18 €.
Les biographies officielles ont
toujours raconté que l’auteur du
Rouge et le Noir, diplomate de son
état, sortait d’un rendez-vous avec
son ministre de tutelle, Guizot, lorsqu’il fut fatalement foudroyé par
une crise d’apoplexie, à deux pas
de la place Vendôme, le 22 mars
1842. Mais chacun le sait, tout ce
qui s’est écrit sur la mort d’Henri
Beyle, alias Stendhal, relève de l’invention. Même son cousin Romain
Colomb a biseauté les cartes. Même
Mérimée, ami de longue date, a
cherché le scandale en déformant
les faits. L’événement a pourtant eu
un témoin direct, Joseph Lingay.
Éminence grise de la monarchie de
Juillet, cet élève de Fouché, qui se
disait « le plus corrompu des cor-
rupteurs », régnait sur les fonds secrets de cinq ministères. Il en fit
ainsi profiter Gautier, Nerval,
Heine. Et, fort de son pouvoir, il
était sur le point en mars 1842 d’envoyer à l’Académie son cher Stendhal, avec qui il avait partagé plus
d’un plaisir. Tous les deux,
d’ailleurs, sortaient d’un bordel le
soir où, foudroyé par l’apoplexie,
l’écrivain manqua s’écraser sur le
pavé parisien. Dans les heures, les
jours suivants, Lingay s’employa à
assurer sa légende, en s’aidant
d’Old Nick, le découvreur de La
Chartreuse, du jeune Gobineau, Ultra rallié à la cause de Mathilde de
La Mole, et de Balzac, pas des plus
rigoureux quand il y allait de l’argent. D’ailleurs Balzac a anobli Lingay sous les traits du comte des Lupeaulx dans ses Illusions perdues.
manière désinvolte à tutoyer l’Histoire et l’écrivain, le temps d’une
dernière valse. La dernière valse du
romantisme. Les femmes y sont audacieuses
et
les
hommes
L’auteur ne s’embarrasse pas du
Code, qui n’a que trop servi, mais,
se mettant à la place de Stendhal,
faisant parler à Stendhal ou de
Stendhal divers personnages, il propose, sous couvert de révélations
sur la mort de Beyle, un traité romanesque du style. Parce qu’il a pu
consulter les carnets secrets de Lingay, réputés perdus, et un inédit de
Gobineau connu du seul Aragon,
Gérard Guégan s’est autorisé d’une
Et si, derrière nos inquiétudes
quant aux dérives du pouvoir, derrière nos craintes pour la démocratie, se cachait une question plus
profonde sur la forme du pouvoir ?
Et si notre désir de fraternité était
contrarié par les batailles politiques
qui divisent les Français tous les
deux ans ? Et si notre angoisse devant la mondialisation était d’autant
plus forte que la France n’est plus
très sûre de son héritage ?
brillants. C’est la vie. La vraie.
10 bonnes raisons
de restaurer la monarchie
HHHII
R. Dozoul et LL d’Aumale
Muller éditions, 100 p., 10 €.
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Insolentes et efficaces, ces « 10
bonnes raisons » font jaillir l’évidence : la monarchie constitutionnelle, où le roi soutient la démocratie au-delà des clivages
politiciens, est sans nul doute le
meilleur des systèmes. Livre à la
fois léger, bourré de blagues de potache, et sérieux, puisqu’il traite du
problème de la démocratie. Car,
même si plus personne n’en parle,
il y a bien un problème de la démocratie. Ce problème, c’est naturellement que nous sommes en permanence en campagne électorale.
Et cette situation s’est encore aggravée depuis que nous sommes
passés du septennat (d’ailleurs
voulu par les députés monarchistes
en 1873…) au quinquennat. Désormais, nous avons au moins une
élection tous les 2 ans.
La première (et la plus grave)
conséquence de cet état de fait,
c’est qu’il est désormais impossible
de mener une politique de long
terme dans l’intérêt du pays. Imagine-t-on aujourd’hui un nouveau
Colbert plantant la forêt de Tronçay
pour disposer de bois de qualité
pour la marine royale 300 ans plus
tard ? Cette vision court-termiste est
encore aggravée par l’électoralisme
et la démagogie auxquels sont
contraints les candidats. On ne peut
actuellement être élu qu’en promettant monts et merveilles aux électeurs. « Demain, on rase gratis »,
semble être la seule doctrine politique solide et commune à tous les
partis ! Et l’on peut toujours dire que
les Français sont mûrs et capables
d’entendre un discours de vérité, la
réalité, c’est que chacun préfère en-
tendre dire que sa situation va
s’améliorer dans les années à venir.
Jamais n’a été plus vraie la célèbre
assertion de Frédéric Bastiat selon
lequel l’État est cette grande fiction
à travers laquelle chacun s’efforce
de vivre aux dépens de tout le
monde ! En tout cas, on peut certainement dire, comme on le chantait au début du siècle, que les rois
ont fait la France et qu’elle se défait
sans roi. Se referait-elle avec un roi ?
Bonne question ! En tout cas il est
certain qu’il faut au moins connaître
– et combattre – les vices du système si l’on veut sortir de l’impasse
où s’enferre notre malheureuse patrie. Et, pour cela, l’humour et le
talent des deux auteurs sont d’une
redoutable efficacité.
Benoît XVI, un pontificat
sous les attaques
HHHII
MM Rodari et Tornielli
PG de Roux, 310 p., 25 €.
Existe-t-il, oui ou non, une attaque généralisée contre l’Église, la
papauté et plus particulièrement
Benoît XVI ? L’enquête passe en revue diverses affaires. À Ratisbonne,
la citation « politiquement incorrecte » qui heurte les musulmans.
À Varsovie, le cas de l’archevêque
Wielgus, récemment nommé, qui a
présenté sa démission après avoir
été dénoncé comme collaborateur
des communistes. À Linz, le cas de
l’évêque auxiliaire Wagner, qui s’est
désisté avant même sa consécration, après avoir été accusé d’être
trop conservateur. La réadmission
du missel préconciliaire voulue par
Benoît XVI qui a été vécue dans
l’Église comme un retour nostalgique au passé. Le piège négationniste. La levée de l’excommunication prononcée à l’encontre des
évêques lefebvristes et l’interview
télévisée de Mgr Williamson qui
niait l’existence des chambres à
gaz. La polémique suite à la conférence de presse de Benoît XVI dans
l’avion qui le transportait au Cameroun au sujet du préservatif. Pour
quelle raison la doctrine de l’Église
en matière de mondialisation, de
lutte contre la misère et de protection de l’environnement fait-elle
peur ? Les scandales pédophiles en
Irlande, en Allemagne et aux ÉtatsUnis… Que se passe-t-il dans les
hautes sphères de l’Église, où s’affrontent les cardinaux. Un règlement de comptes entre la vieille
garde et la nouvelle garde dans les
palais apostoliques ? Les dessous de
la Constitution apostolique pour
l’entrée de la communauté intégriste anglicane dans la communion avec Rome. Les prophéties
mariales. Le secret de Fatima ne
s’est pas accompli à travers l’attentat contre Jean-Paul II. L’évêque de
Civitavecchia et le prodige de la
statuette : les larmes de la Madone
pleureraient la pédophilie du
clergé. Le message pontifical ne
passe pas. Benoît XVI est réduit à
l’image d’un conservateur ennemi
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de la modernité. Tout ce qu’il dit et
qui dépasse ce cliché n’atteint pas
l’opinion publique. Un complot
contre le Pape ?
Deux journalistes, deux vaticanistes, cette race de journalistes
vraiment à part, qui suit et qui
scrute les faits et gestes du pape et
de son entourage et qui tente de les
interpréter. Forcément, ils sont Italiens, on ne fait pas mieux en la
matière. Depuis leurs postes d’observation, les auteurs étaient bien
placés pour sentir et analyser les attaques contre Benoît XVI, en remarquant d’ailleurs que dès le départ
certains parmi la curie ne prédisaient pas une longue durée au
pontificat du pape Ratzinger. Un
fait est certain : d’aucuns ne lui ont
pas pardonné d’avoir accepté le suprême pontificat.
À ce sujet, les auteurs relèvent
un peu plus de dix cas qui montrent
les attaques dirigées contre Benoît
XVI. Au bout du compte, on ressort
avec une synthèse intéressante sur
des faits que la mémoire finit par
évacuer. Reliés ensemble, ils prennent une certaine épaisseur. Une
certaine cohérence en ressort. Globalement, les auteurs sont restés au
plan journalistique : des faits, encore des faits, une analyse, mais ils
ne dévoilent pas vraiment les responsables de ces attaques. Pas de
noms, surtout. Seulement trois
cercles concentriques : les médias
et les pouvoirs qui ont intérêt à discréditer l’Église, une partie de l’entourage incompétent, les adversaires de l’intérieur. En fait,
respectueusement, délicatement
même, les auteurs laissent entendre
tout au long du livre qu’une grande
partie des problèmes auxquels fut
confronté Benoît XVI tient à un
manque de gouvernance au sommet et à l’incapacité d’une partie
de la curie, qui ne seconde pas correctement le Pape ou s’oppose à
lui. C’est clair : nos deux vaticanistes en savent davantage qu’ils ne
le disent dans ce livre. Mais déjà
celui-ci dévoile un climat et indique
les difficultés internes dans lesquelles se débat l’Église. À ce titre,
il mérite vraiment d’être lu.
Bleus horizons
qu’à un soldat et attribuait à la protection de Dieu son invincibilité.
Pourtant, il n’avait plus que deux
mois à vivre. C’est quoi, deux mois ?
Huit semaines, soixante jours, une
broutille, un coup de vent, le temps
d’un soupir, une éternité. »
Après le révolutionnaire Hérault
de Séchelles (C’était tous les jours
tempête) et le capitaine Étienne
Beudant (L’Écuyer mirobolant),
l’écrivain poursuit, avec le poète
Jean de La Ville de Mirmont, tué au
combat en 1914, à l’âge de vingthuit ans, son roman historique des
vies exemplaires et brisées, dans lequel par la voix d’un ami, il retrace
sa vie et ses relations dont Mauriac.
La Chine des Ming
et de Matteo Ricci
HHHII
Jérôme Garçin
Gallimard, 200 p., 19 €.
Le 8 septembre 1914, Jean reçut
sa feuille de route. Il la baisa, la caressa, la respira. Il pleura aussi, mais
de joie en lisant et relisant sa convocation. Car il était attendu, deux
jours plus tard, à la caserne de Libourne où il partit avec cette ferveur
que mettent les pèlerins à rejoindre
Saint-Jacques-de-Compostelle, cette
naïveté des enfants qui rentrent
chez eux après des vacances en colonie. Le garçon que je rencontrai
pour la première fois était heureux
et si plein d’idéal qu’on l’eût dit inconscient du danger. Il ressemblait
plus à un chevalier des croisades
HHHII
Isabelle Landry-Deron
Le Cerf, 260 p., 30 €.
Comment s’est déroulée la première rencontre entre le monde européen de la Renaissance et le
monde chinois de la dynastie des
Ming ? Comment l’Occident a-t-il
découvert Confucius ? Comment
Euclide fut-il introduit en Chine ?
« Lettré d’Occident », le jésuite
Matteo Ricci fut le premier Européen à assimiler la culture chinoise
et à transmettre à la Chine la foi ca-
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tholique et le savoir occidental. Il
s’efforça ainsi de mieux comprendre la pensée chinoise en s’immergeant dans les grands écrits de
l’Empire du Milieu et de prolonger
cette pensée de la science occidentale et de la connaissance du « Seigneur d’en Haut ».
Dès son arrivée en Chine à l’âge
de 30 ans, il comprit très vite que
ses connaissances, notamment mathématiques, cartographiques et astrologiques se révéleraient être un
formidable objet de curiosité intellectuelle pour les lettrés chinois et
une manière, pour lui, de mieux révéler l’existence de Dieu.
Chouan et espion du roi
HHHII
Stéphane Vautier
Louve édition, 380 p., 25 €.
1793. La Convention décrète la
levée en masse. L’Ouest se soulève.
De nombreux paysans désertent
alors l’armée de la République,
prennent des armes de fortune et
commencent à organiser la résistance à ceux qu’ils appellent les
Bleus. Parmi ces hommes qui refusent de combattre pour la République et veulent rester fidèles au
roi, se trouve Michel Moulin, fils
d’artisan. Il se révèle habile meneur
d’hommes et fin connaisseur de son
bocage natal. Rapidement, celui
que ses compagnons d’armes surnomment
Michelot
devient
l’homme de confiance de Louis de
Frotté, le jeune général de l’Armée
catholique et royale de Normandie.
Dans un style alerte, Moulin décrit
de l’intérieur l’organisation de la
chouannerie, l’âpreté des combats
et les délicates relations humaines
au sein de ce monde clos. Après
l’exécution de Frotté, tandis qu’il
tente de réintégrer la vie civile, il
est rattrapé par son passé et emprisonné au fort de Joux, en FrancheComté, d’où il s’évade dans des
conditions rocambolesques. Fugitif,
il parcourt ensuite l’Europe pour
échapper à la police impériale, puis
trouve refuge à Londres. Là, il découvre un autre monde, celui de
l’émigration et de ses royalistes intransigeants. Et c’est à Londres que
va commencer pour lui une nouvelle vie, celle d’espion au service
du roi. Ainsi, envoyé en France pour
préparer le retour des Bourbons, il
livre un témoignage de première
main sur les milieux interlopes des
passeurs, des réseaux plus ou moins
fiables, entre gendarmes, policiers
et gardes-côtes.
Le regard de Michelot est original à plusieurs titres : il est rare
d’avoir, sur la guerre civile qui a
ensanglanté les années 1790, le témoignage d’un homme sorti du
rang. Il est également peu fréquent
qu’un roturier, adhérant à la cause
royaliste, nous livre ses impressions
– parfois amères – sur le milieu de
l’émigration. Il est enfin précieux
d’avoir en un même récit, sur plus
de vingt années, les différentes fa-
cettes de la contre-révolution. Un
grand merci aux éditions de la
Louve pour cette parution.
Aux belles abyssines
HHHII
Bernard Bonnelle
La table ronde, 190 p., 17 €.
Longtemps Djibouti passa
mieux pour une ville française
d’Afrique que pour une ville africaine. Le bon temps des colonies.
Quand Djibouti était la capitale des
Somalis françaises. Le narrateur,
Pierre Jouhannaud, officier de marine, vient prendre le commandement d’un patrouilleur, l’Etoile-duSud, en remplacement de son ami
Alban de Perthes, retrouvé mort
dans sa cabine, une balle dans la
tempe. On est en 1939. La drôle
de guerre se profile. Djibouti, au
carrefour de l’océan Indien et de la
mer Rouge, est à portée du feu teuton. Les fascistes italiens ceinturent
la région. Les espions rôdent un peu
partout. Les trafiquants ont la belle
vie.
Pierre Jouhannaud ne croit pas
au suicide de son ami. Le commandant de la Marine locale lui assure
qu’Alban de Perthes a refusé de mener à bien une mission risquée et
s’est suicidé par poltronnerie. Impensable pour son ami. Il se sou-
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vient de leurs années à l’école navale, de leur bourlingage autour du
monde sur le croiseur Jeanne-d’Arc.
Il réfute la version officielle. Il ne
veut pas en rester là. L’enquête est
périlleuse. Pour découvrir une vérité qui ne peut être dite, Pierre va
devoir emprunter le chemin parcouru par Alban, traquant les indices, rencontrant des purs et des
lâches, des ambitieux et des révoltés, des cyniques et des résignés,
tous hantés par le souvenir d’une
insaisissable silhouette féminine. Il
y a ce singulier personnage, Potemkine, sorte d’homme à tout (dé)faire
à bord du navire, qui semble se
jouer de Jouhannaud ; un mécanicien russe peu recommandable ;
l’éthiopienne Eyodora, beauté mystérieuse par qui le drame est sans
doute arrivé. Jouhannaud joue une
partie délicate. Même les charmes
de la vie coloniale, comme ce bordel à marins, Aux Belles Abyssines,
recèlent de troublantes vérités. L’officier se mue en détective et serait
le héros.
A l’intrigue policière savamment
menée, s’ajoute le bonheur romanesque d’un récit restituant avec
brio l’atmosphère du Djibouti de la
Seconde Guerre mondiale. Ce roman d’atmosphère ressuscite avec
une vérité criante la vie coloniale
telle que la connurent les soldats
envoyés aux confins de l’Empire.
Mœurs locales, choses vues narrées
avec un souci de réalisme que soulignent les détails exotiques. Évocation colorée d’une ville où la misère côtoie le luxe. Ainsi procédait
un Henry de Monfreid. Vénéneux,
languissant, ce roman de Bernard
Bonnelle est un roman d’aventures
et de mer, qui n’est pas sans rappeler les récits de Joseph Conrad ou
de Pierre Loti. On retrouve aussi le
rythme et le trouble du Désert des
Tartares de Buzzati. Le ton est toujours juste ; le style, impeccable
d’élégance classique.
Ce roman est celui d’un amoureux de la mer et de la marine. Le
luxe de détails dont il abreuve son
lecteur garantit l’authenticité de son
récit. Quant à la touche de romanesque, elle est la cerise qui sublime la saveur du gâteau. On
goûte à la justesse d’une histoire
qui convoque la mer, la mort, l’amitié, le mystère et l’amour.
C’est ainsi qu’il entreprit avec
l’aide d’un de ses plus brillants disciples Xu Paul, la traduction des Éléments d’Euclide alors même que
les raisonnements et concepts déployés étaient totalement étrangers
à la pensée chinoise. Certaines des
expressions forgées par les deux traducteurs sont encore partie intégrante de la terminologie chinoise.
Matteo Ricci comprit également
que l’inculturation était une condition de l’évangélisation de la Chine.
Il s’imprégna ainsi des écrits de
Confucius, qu’il considérait comme
un autre Sénèque, et essaya de démontrer que confucianisme antique
et christianisme étaient tout à fait
compatibles. Il traduisit ainsi pour
l’Occident les Quatre livres du
confucianisme.
Wanli, insigne honneur. Sur le monument l’inscription suivante a été
portée : « A celui qui est venu attirer
par la justice et à l’auteur de tant
de livres ».
Un colloque international tenu
à l’Unesco en 2010 s’est penché
sur ces questions en suivant l’itinéraire du missionnaire jésuite italien
Matteo Ricci (1552-1610). Ce volume rassemble les réponses de
quatorze intervenants qui font le
point sur les circonstances du premier échange entre l’Europe et la
Chine. Ils se replacent dans la perspective de la mondialisation qui,
aujourd’hui, remet en question les
valeurs communes des grandes civilisations. Ricci a-t-il divulgué en
Chine des conceptions et des méthodes étrangères ou bien a-t-il bouleversé le discours des lettrés ? Comment la tradition confucéenne de
pluralisme culturel et religieux pouvait-elle accueillir le monothéisme
occidental ? Ces questions d’actualité sont, en Chine, très débattues.
Boccace
HHHII
Marina Marietti
Après une vie d’évangélisation
Payot, 280 p., 25 €.
et d’immersion dans l’Empire du
Avec ceux de Dante et de PéMilieu, cet intellectuel prodigieux
meurt à Pékin le 11 mai 1610 sur trarque, ses aînés, le nom de Bocun terrain donné par l’Empereur cace (1313-1375) brille au firma-
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ment de cette culture humaniste italienne qui influença toute la Renaissance européenne. Considéré
comme le créateur de la prose italienne et du genre de la nouvelle,
il est surtout connu pour son Décaméron, dont le succès ne s’est jamais démenti, mais son œuvre est
étonnamment féconde.
Bien que le droit et le commerce l’intéressent peu, il s’intègre
facilement à la cour du roi Robert
de Naples où il a l’occasion de se
lier avec des nobles de la cour de
la Maison d’Anjou. Là, il commence également à cultiver ses
connaissances littéraires, il lit les
classiques latins, la littérature chevaleresque française, Dante et Pétrarque. Il commence également à
rédiger ses premiers textes d’inspiration courtoise, en prose, comme
le Filocolo, ou en vers, comme le
Teseida. Il compose également un
poème épique sur la guerre de
Troie : le Filostrato. Enfin, c’est à
Naples qu’il vit sa première passion
amoureuse pour une dame qu’il
surnomme Fiammetta.
À la fin de l’année 1340, il
rentre à Florence en raison de la
faillite des Bardi. Le retour est douloureux : Boccace est triste de quitter Naples et se retrouve dans une
situation économique difficile. Cependant, il rencontre Pétrarque
avec qui il se lie d’amitié. Dès sa
jeunesse, il s’est occupé de poésie ;
son admiration pour Dante ne lui
permettant pas d’aspirer au premier
rang parmi les poètes, il s’est flatté
d’obtenir le second mais dès qu’il
connaît les poésies italiennes de Pétrarque, il perd tout espoir et jette
au feu la plus grande partie de ses d’arrêter et il meurt à Certaldo en
vers lyriques, sonnets, chants et 1375, un an après la disparition de
Pétrarque.
autres poésies amoureuses.
À l’occasion du septième centenaire de la naissance du conteur,
cette première biographie française
depuis un siècle met avant tout l’accent sur son rôle de passeur culturel. Passeur de la littérature chevaleresque en langue d’oïl, qui inspire
ses premiers poèmes courtois lors
de sa jeunesse napolitaine à la
brillante cour du roi Robert d’Anjou. Passeur surtout dans l’Europe
chrétienne de ces grands auteurs
oubliés de l’Antiquité : Tacite, dont
il redécouvre les manuscrits dans
la célèbre bibliothèque de l’abbaye
du Mont-Cassin et Homère qu’il traduit en latin avec l’aide d’un érudit
grec. L’auteur souligne aussi l’engagement citoyen de ce fils de riche
marchand, républicain convaincu
de la libre commune de Florence,
en butte à l’expansionnisme des Visconti, et ambassadeur de sa ville
auprès du Pape. Interprète des aspirations de la nouvelle bourgeoisie
intellectuelle à laquelle il appartient, Boccace est aussi l’interprète
du réel quand il se fait le témoin de
la terrible peste qui ravagea l’Europe en 1348 dans son chefd’œuvre, le Décaméron, ou quand
il donne libre cours à ses pulsions
amoureuses déçues dans le Corbaccio, violente satire misogyne. Retiré
à Certaldo, il vit la fin de sa vie
dans la misère. Enfin, en 13731374, il est invité par la ville de
Florence à faire la lecture publique
de la « divine comédie » de Dante
dans l’église Santo Stefano di Badia.
Mais sa mauvaise santé le contraint
Des chrétiens
contre les croisades
HHHII
Martin Aurell
Fayard, 420 p., 24 €.
Pour de nombreux historiens et
écrivains, les croisades auraient été
une pulsion unanime des Occidentaux pour conquérir les territoires
des religions concurrentes et imposer partout leur culture. Encore récemment des films et des discours
politiques ont véhiculé ce mythe.
Ce livre rompt définitivement avec
le fantasme d’un consensus autour
des guerres des croisés, ces pèlerins
armés partis conquérir les lieux
saints, soutenir les royaumes chrétiens d’Orient, voire rétablir la foi
catholique dans des provinces dissidentes, en particulier contre les
Cathares. Au terme d’une enquête
minutieuse à travers les archives et
les chroniques médiévales, Martin
Aurell fait resurgir les puissantes
voix des chrétiens qui se sont élevés
contre le pape et les princes prétendant libérer Jérusalem par la
force, alors même que Jésus avait
refusé à Pierre le droit de prendre
le glaive pour se défendre en ce
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même lieu. Il révèle comment des
prêtres, des moines et même des
troubadours se sont dressés contre
les exactions des hommes d’armes.
Ils ont condamné les pogroms en
Allemagne, les violences des chevaliers envers des populations
désarmées, le pillage des villes,
l’avidité des grands ordres militaires, dont les Templiers ou les Teutoniques. En réhabilitant les grandes
consciences qui ont plaidé avec
une étonnante précocité pour la tolérance, l’auteur réhabilite un humanisme ancré dans la foi. Ce livre
constitue donc une première. Grâce
aux auteurs critiques, il dévoile des
pages méconnues de l’histoire des
Croisades. Il modifie en conséquence notre regard sur la violence
au Moyen Âge.
Le congrès de Vienne
que le Sénat proclame Louis XVIII
roi. Le 23 avril, une convention signée par le comte d’Artois livre cinquante-trois forteresses que les
troupes françaises tiennent encore
en Allemagne, en Italie et en Belgique ramenant la France à ses limites d’avant janvier 1792. Elle est
suivie du traité de Paris du
30 mai 1814 qui règle le sort de la
France. Conformément à ce traité,
un congrès doit se réunir à Vienne
pour régler le sort des territoires repris à Napoléon, congrès qui est
convoqué en septembre avant de
débuter en novembre.
Ce livre offre une analyse d’un
événement fondateur de l’Europe
contemporaine, le Congrès de
Vienne qui tentera de réorganiser
une Europe bouleversée par 22 années de guerre. Parmi les délégations, celle de la France est présidée
par Talleyrand, personnage très apprécié pour son talent diplomatique.
Perrin, 400 p., 24 €.
De novembre 1814 à juin 1815,
entre Restauration et Empire, se
tient dans la capitale autrichienne
la plus grande réunion diplomatique du XIX°siècle destinée à réorganiser une Europe bouleversée par
des années de guerres. Elle fut bien
plus qu’un tourbillon de fêtes, de
bals et de spectacles.
En 1814 se forme une alliance
entre le Royaume-Uni de GrandeBretagne et d’Irlande, l’Empire
russe, le royaume de Prusse et l’Empire d’Autriche. Malgré une série
de victoires (batailles de Champaubert, Montmirail…) remportées par
Napoléon,
Paris
tombe
le
31 mars 1814 et les maréchaux forcent l’Empereur à abdiquer pendant
Le congrès de Vienne est une
conférence des représentants diplomatiques des grandes puissances
européennes. Les pays vainqueurs
de Napoléon Ier ainsi que les autres
États européens se réunissent pour
rédiger et signer les conditions de
la paix et donc déterminer les frontières et tenter d’établir un nouvel
ordre pacifique. Le congrès de
HHHII
Thierry Lentz
Vienne permet également la discussion sur la libre circulation navale,
l’abolition de la traite des Noirs (et
non pas de l’esclavage), qui persiste
cependant, et la mise en avant de
la neutralité de la Suisse et de la
neutralité de la Savoie.
Dans cette ample machinerie de
300 délégations, le Français Talleyrand, représentant des vaincus, sut
manœuvrer avec maestria. Mais
l’épisode des Cent-Jours vint tout
compromettre, et le congrès reste,
pour les Français, un mauvais souvenir. Ont-ils raison ? « Mon but, explique l’auteur, a certes été de raconter l’événement ? ce qui vaut la
peine ? mais aussi (…) d’évaluer
l’importance de ses rebondissements, d’analyser ses décisions et
leurs conséquences, sans me priver
d’aller me promener dans ses coulisses ». Détaché du point de vue
gallocentrique, cet ouvrage est en
vérité le premier qui embrasse ce
congrès dans toutes ses dimensions,
en le rendant pleinement à son
temps.
Le congrès se poursuit pendant
les « Cent-Jours » et prend fin seulement neuf jours avant la seconde
abdication de Napoléon, les Alliés
étant décidés à se défaire de lui définitivement. Après la bataille de
Waterloo, qui marque la défaite définitive de Napoléon, la France doit
accepter un second traité de Paris
dont les conditions de paix sont
plus rigoureuses qu’en 1814.
Au congrès c’est la vision anglo-autrichienne qui l’emporte : recherche de l’équilibre européen et
retour des rois légitimes, sans jamais donner satisfaction aux aspirations des peuples à l’unité natio-
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nale, par le biais de l’indépendance
(Belgique, Pologne, chrétiens des
Balkans) comme de l’unification
(Italie et en partie Allemagne), ou à
un régime constitutionnel. Finalement, en consacrant les principes
de légitimité et de restauration monarchique au mépris du droit des
nationalités, les hommes de Vienne,
à l’instar de l’Autrichien Metternich,
jettent les bases des révoltes libérales qui, en 1848, secoueront l’Europe entière lors du Printemps des
peuples.
Intelligence économique,
mode d’emploi
HHHII
Arnaud Pelletier
et Patrick Cuenot
Pearson, 280 p., 29 €.
Pour obtenir un avantage compétitif décisif, il est indispensable
de savoir délivrer l’information stratégique et utile au bon moment, à
la bonne personne et dans le bon
contexte. Pourtant, rares sont les entreprises qui pratiquent avec succès
l’intelligence économique. Comment définir réellement l’intelligence économique ? Quel rôle
joue-t-elle dans et pour l’entreprise ?
Existe-t-il un mode d’emploi efficace pour maîtriser l’information
stratégique de son entreprise ?
C’est tout l’enjeu de cet ou- et professions libérales, ainsi qu’aux
vrage. De la veille au lobbying, du étudiants en management.
renseignement à la stratégie, de la
L’éducation
gestion des risques au benchmarà l’âge du « gender »
king, de la gestion de crise au
knowledge management, vous apprendrez à maîtriser, à travers quatorze outils fondamentaux, toutes
les applications simples et
concrètes pour entamer une démarche d’intelligence économique
au sein de votre organisation
grande ou petite. Une action indispensable dans une économie
HHHII
ouverte où l’information et la
connaissance sont devenues des
Collectif
enjeux stratégiques.
Salvator, 130 p., 15 €.
L’intelligence économique n’est
pas réservée aux institutions et aux
grands groupes internationaux.
Toute entreprise, quelle que soit sa
taille, doit se saisir de ce concept
de management du XXIe siècle
pour faire face à la mondialisation,
gérer les aspects défensifs, quotidiens et offensifs, afin non seulement de ne pas perdre face à la
concurrence, mais aussi de gagner
des parts de marchés. Ce livre est
destiné à éviter les crises et des
problèmes, car l’évitement est un
mode de management tout à fait
adapté à la situation mouvante
dans laquelle nous sommes. L’intelligence économique c’est aussi
la capacité de gérer les crises et de
rebondir.
Cet ouvrage, très accessible et
pratique, est enrichi d’une grille
d’audit opérationnelle, de nombreux schémas explicatifs et de
liens vers des sites internet pour aller plus loin. Il est destiné tant aux
grandes entreprises qu’aux TPE/PME
Dans le prolongement des
controverses récentes sur l’introduction d’éléments des gender studies
dans les programmes scolaires en
lycée, ce petit livre propose un
éclairage très critique mais nécessaire, afin de mieux comprendre les
graves enjeux anthropologiques et
éducatifs qui sous-tendent les débats autour du gender, et plus largement des nouvelles idéologies remettant en cause toute idée de
nature humaine.
Les six auteurs, philosophes
confirmés ou théologien de renom,
donnent tous les éléments souhaitables pour poser à frais nouveaux
la question cruciale sans laquelle il
n’y a pas d’avenir éducatif : Dans
quelle vision de la personne voulons-nous nous inscrire – parents,
enseignants, responsables de mouvements éducatifs – nous qui avons
la mission d’accompagner les
jeunes dans leur croissance ? Un
livre utile et nécessaire à tous les
parents et mêmes aux adolescents.
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Notes de lecture de Georges Leroy, mai 2013 – Aller => au dossier d’origine => à l’accueil du Réseau-regain
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