avant propos - ISIGE MINES ParisTech

Transcription

avant propos - ISIGE MINES ParisTech
Vers une Nouvelle-Orléans durable :
Quelles opportunités après Katrina ?
-1-
Sommaire
Avant-propos
4
Remerciements
7
Introduction
9
Une ingénierie urbaine globale face aux risques naturels
13
1. Une ville conditionnée par son environnement
13
2. L’environnement naturel comme première ligne de défense
14
3. Les infrastructures comme réponses privilégiées aux risques
17
4. Les limites des infrastructures
18
5. La réhabilitation des infrastructures après Katrina
19
6. La perception du risque
21
Un processus de planification complexe et morcelé
24
L’économie de marché face aux défis de la reconstruction
30
1. Les éléments clefs de l’économie de la Nouvelle Orléans après Katrina
,
31
2. Le marché de la reconstruction face aux enjeux du développement durable
35
3. Une ville ou « tout passe, mais rien ne reste » ?
38
4. Les caractéristiques d’une économie durable pour une ville
39
Un mode de gouvernance favorisant une approche « marché »
40
1. Les principaux acteurs et organes décisionnels impliqués
dans la reconstruction de la Nouvelle Orléans
40
2. Eléments de réflexion sur l’échelle pertinente de gouvernance
pour reconstruire la ville
41
-2-
3. Conclusion : l’approche « marché » est-elle un mode de gouvernance
pertinent pour reconstruire un système urbain durable ?
« Re-vivre » à la Nouvelle Orléans où la crise du logement
46
48
1. Un habitat particulièrement vulnérable
49
2. Aides à la reconstruction…
50
3. Se sentir en sécurité pour revenir…
51
Le rôle joué par la culture dans la reconstruction de la ville
51
1. Une empreinte forte sur le territoire : la « culture de quartier »
52
2. La culture comme levier d’action économique
53
3. La culture comme levier d’action sociale
54
Reconstruire ou recréer la société ?
57
-3-
AVANT PROPOS
‘Vers une Nouvelle Orléans durable : Quelles opportunités après Katrina ?’ est le résultat d’une
réflexion collective suite à un voyage d’études d’une semaine en mars 2007. Ce voyage, qui fait partie
du cursus proposé aux étudiants du Mastère Spécialisé en Ingénierie et Gestion de l’Environnement
(IGE) promotion 2006-2007, a permis de prendre connaissance de la ville, les premiers projets et les
grandes questions qui restent à résoudre environ un an et demi après le passage de l’ouragan
Katrina.
Quel contexte pour la visite ?
Le voyage fait partie du programme pédagogique du Mastère Spécialisé en Ingénierie et Gestion de
l’Environnement Cette formation est dispensée par l’ISIGE, Institut Supérieur International en Gestion
de l’Environnement, de l’Ecole des Mines de Paris qui a été créé en 1992 en partenariat avec l’Ecole
Nationale des Ponts et Chaussées et AgroParistech. Il s’agit d’un cycle de formation post-master d’un
an qui permet de préparer des cadres à appréhender les enjeux environnementaux et plus
globalement de développement durable dans un contexte professionnel futur, que ce soit dans un
environnement industriel ou bien au sein d’organisations publiques nationales ou internationales, ou
encore dans le conseil au sens large.
Chaque année, environ 25 étudiants diplômés (bac+5) sont retenus pour suivre la formation après
une procédure de sélection. Les profils des candidats sont volontairement diversifiés, pour respecter
le caractère très multidisciplinaire des questions environnementales et de développement durable. La
promotion 2006-2007, qui a réalisé le travail présenté ci-après, compte ainsi 7 personnes avec une
solide expérience professionnelle et 19 jeunes diplômés, dont 12 ingénieurs (généralistes ou en
chimie), 8 personnes issues d’études à dominante agro-biologie, 8 personnes avec un profil sciences
économiques ou droit, et un architecte et un officier de la marine.
Le voyage constitue un élément de conclusion des 6 mois de formation théorique. Les séminaires
permettant d’aborder outre les bases scientifiques nécessaires à la compréhension (écosystèmes,
cycles biogéochimiques, hydrosystèmes) et les élémentaires de l’organisation de société au sens
large (droit, économie), l’environnement à l’échelle d’un territoire agricole et rural, l’environnement
-4-
industriel avec la maîtrise des impacts et la gestion de crise, la question énergétique et le
changement climatique, les nouvelles stratégies industrielles (écoconception, commerce équitable,
notation, responsabilité sociale, business ethics), et la prise en compte de l’environnement et du
développement durable à l’échelle d’une ville, et enfin l’analyse d’une controverse environnementale,
un travail sociologique. L’étude du système urbain et son évolution constituent l’élément final,
illustrant un bon nombre d’aspects abordés auparavant.
A la suite des 6 mois de formation théorique, une mission professionnelle de 6 mois vient compléter
la formation. Cette mission se déroule au sein de l’entreprise partenaire de l’étudiant et traite de
questions d’importance stratégique pour l’entreprise dans le domaine de l’environnement et du
développement durable.
Quels objectifs pédagogiques pour le voyage ?
Afin d'aborder les questions de la ville sous l'angle du développement et des enjeux de durabilité, une
étude de cas in situ est proposée à l'analyse des étudiants.
Au cours d'une semaine dans une ville, choisie pour ses enjeux en terme de développement, les
étudiants rencontrent un grand nombre d'acteurs, depuis les autorités locales jusqu'aux associations
de riverains en passant par les aménageurs, urbanistes, architectes ou encore les importants acteurs
sociaux économiques et les fédérations locales.
Les objectifs de ce voyage sont de comprendre l'organisation, aussi bien spatiale qu’institutionnelle,
de la ville étudiée et de son territoire et d'appréhender les éléments de contexte pour la ville. Ces
éléments qui influent sur l’évolution de la ville peuvent être de l’ordre événementiel, comme de
grands projets urbain liés à l’organisation de par exemple les Jeux Olympiques, économiques comme
la reconversion après l’ère industriel tel que cela a été le cas à Bilbao en Espagne, culturel, sous la
forme de la valorisation du patrimoine historique dans une ville comme Naples en Italie ou encore
politique suite à des modifications de nature de régime dans des pays, comme à Budapest en
Hongrie....
Ensuite, il s’agit d'identifier et d’analyser les différents enjeux de développement en s’appuyant sur
une démarche systémique et globale de la ville.
-5-
Il est demandé d’évaluer les aspects tels que les politiques de développement urbain, de rénovation
et de réhabilitation, la planification urbaine, les politiques sociales, le développement des réseaux et
des infrastructures et les stratégies de développement durable, le développement des infrastructures
métropolitaines, la logique des transports, les actions des entreprises, la part de la dimension sociale
dans la réhabilitation des quartiers, la politique sociale et économique de la ville, l'éducation et la
participation des citoyens ou encore le marketing urbain.
La Nouvelle Orléans et son re-développement engendrent des questions très vastes, dépassant le
cadre urbain. Le cas d’étude s’est avéré très complexe mais extrêmement riche.
La promotion des étudiants du MS IGE 2006-2007 et l’équipe pédagogique de l’ISIGE.
-6-
Remerciements
Le voyage d’étude entrepris en Mars 2007 n’aurait été possible sans le concours très actif de
personnes clés. Nous tenons à remercier ici très vivement et chaleureusement l’ensemble des
personnes qui nous ont prêtées leur aide, apporter leurs témoignages et nous chaleureusement
accueillis - d’autant que l’ensemble des intervenants à la Nouvelle Orléans ont tous subis
personnellement mais aussi leurs proches, leurs collègues et leur communauté le poids de la
catastrophe et parcourent le long et difficile chemin vers la reconstruction-.
Isabelle Maret, chercheur en Urbanisme à l’Université de la Nouvelle, a participé au montage de
l’ensemble du programme et a accompagné et guidé notre groupe tout au long de ce voyage. Elle a
également donné une conférence introductive pour rappeler les principaux événements de l’ouragan
et ses impacts ainsi que quelques éléments de contexte.
Le professeur Richard Campanella (Tulane University) a permis de comprendre l’historique de la
ville, son emplacement et les aspects socio-culturels qui fondent cette ville et qui jouent un rôle très
important. La visite en bus des différents quartiers de la ville sous la direction de Dr Ralph Thayer
(émérite de l’University of New Orleans) a montré la réalité du terrain. Certains ‘neighbourhoods’ sont
toujours très affectés, et restent abandonnés par leurs habitants.
La planification et le rôle des différentes agences et entités fédérales ont fait l’objet d’une matinée à
l’Université de la Nouvelle Orléans, durant laquelle James Amdal, Professeur à l’Université de la
Nouvelle Orléans, directeur de Maritime and Intermodal Transportation Center, et Shirley Laska et
ses collègues du Center for Hazards Assessment, Response and Technology, ont donné leur regard
sur ces questions. Les autres acteurs, politiques et économiques, ayant joué un rôle déterminant lors
de la catastrophe et le processus de reconstruction, ont également eu la gentillesse de nous
recevoir : la ‘City Council’, où un grand nombre de personnes a expliqué les processus qui ont suivi
l’événement, le ‘US Army Corps of Engineers’, dont le directeur local a fait une présentation des
travaux de recherche et de réflexion menés et commenté les choix faits pour éviter de nouveaux
désastres. La commission régionale de planification (Regional Planning Commission in Post-Disaster
Recovery) et ses activités ont été présentées par Mme Lynn Dupont, un des RPC Managers.
Le programme comportait une journée de visites aux zones de protection naturelle que constituent
les zones humides ‘wet lands’, sous la direction de Anne Rheams, Directeur de la Lake Ponchartrain
-7-
Basin Foundation, qui a permis d’étudier les aspects scientifiques, mais aussi sociaux et techniques,
de la question.
Le port constitue un élément économique déterminant, et a également joué un rôle important dans la
gestion de la crise occasionnée par le passage de Katrina et les dégâts. La visite guidée par Pat
Gallway, Chief Operating Officer du Port de la Nouvelle Orleans, l’a illustrée de manière très
complète.
Enfin, différents acteurs ont donné leur point de vue sur le rôle de la culture au sens large de cette
ville unique aux Etats-Unis : M Peter Trapolin, un architecte local travaillant dans le développement
des quartiers, M. Rick Gruber, directeur du musée de ‘Southern Art’, qui outre par la mise en avant
de la qualité de l’art du Sud des Etats-Unis dans des expositions, s’implique à travers un grand
nombre d’autres manifestations, rencontres musicales, rencontres tout court…., M. Nick Mueller,
directeur du Musée sur la deuxième guerre mondiale et les barges de débarquement qui ont été
conçus à la Nouvelle Orléans, et Dr Nick Spitzer, collaborateur à l’Université de la Nouvelle Orléans
qui s’occupe de la station radio et l’émission American Routes, dont la vocation dépasse largement
celle de faire connaître la musique des Etats du Sud, mais qui s’implique aussi pour les aspects
historiques et culturels.
Les travaux préparatoires et l’organisation sur place s’appuient également sur le concours très
apprécié de l’Ambassade de France aux Etats-Unis, par la participation de Dr Philippe Jamet, attaché
scientifique et la collaboration d’Aude Ghespiere, du Consulat de France à la Nouvelle Orléans.
Nous tenons à remercier toutes les personnes citées ci-dessus, ainsi que celles qui ont contribué à la
compréhension de la situation dans un cadre plus informelle, lors de rencontres dans la rue et des
discussions à bâtons rompus en dehors du programme officiel.
-8-
Introduction
Territoire de la Nouvelle-France, baptisée en l’honneur de Louis XIV, la Louisiane entretient avec
notre pays une relation fraternelle et ce ne sont pas les quelques changements de mains puis sa
vente finale aux jeunes États-Unis en décembre 1803 qui le démentiront. Les comtés sont ici des
paroisses, le code civil descend du code Napoléon ; globalement, les références à la France sont
quotidiennes et prisées… La Nouvelle-Orléans pour sa part abrite le plus ancien consulat français de
ce pays ; ouvert dès 1804, il assure la continuité de cette fraternité.
Dans ce contexte et celui, moins heureux de « post Katrina », l’ambassade de France à Washington fit
l’honneur à l’Université de La Nouvelle-Orléans d’apporter un soutien très concret à certains projets
initiés par le département d’urbanisme (DPUS 1 ) dans le cadre de la collaboration scientifique et
technique de différents instituts de recherches de nos deux pays. Cette aide tant financière qu’en
ressources humaines arrivait à point dans un département en difficile restructuration et dont les
missions étaient multipliées par l’actualité.
Les enjeux et les domaines inhérents à la reconstruction du système urbain de la Nouvelle-Orléans
cumulent un nombre de problématiques dont les interactions sont complexes :
•
Comment rétablir et améliorer les infrastructures de contrôle des crues et de génie urbain
pour assurer la viabilité de la ville ?
•
Comment ré-envisager le patrimoine bâti (logements, organisation des quartiers)?
•
Le tissu artisanal et commercial préexistant, qui est un élément fondamental de la culture
locale, de l’histoire et de l’organisation sociale, pourra-t-il être rétabli ?
•
Sera-t-il apporté au cours de la reconstruction, des éléments de solution aux problèmes de
mixité sociale, de pauvreté et de criminalité ?
Pour résumer, comment reconstruire une résilience qui assure un développement urbain durable ?
A propos du système territorial de la Basse-Louisiane (delta du Mississippi, zones humides, cordons
littoraux), les événements ont montré l’importance de reconnecter la dynamique urbaine à celle de son
territoire support. Une reconstruction durable de la Nouvelle-Orléans implique de repenser dans son
ensemble la gestion des milieux deltaïques et littoraux et d’arbitrer, de façon continue, les conflits
d’usage de ces milieux. Au cœur de ces constats, le partenariat vise à développer des réflexions
1Department
of Planning and Urban Studies
-9-
systémiques et à établir des scénarios de développement durable apportant une valeur ajoutée aux
schémas de reconstruction de la Nouvelle-Orléans élaborés par les acteurs publics et privés. En effet,
tout laisse à penser que les projets proposés par ces acteurs ne seront que la juxtaposition de
mesures sectorielles dont la pertinence, dans une vision globale et pérenne du système urbain, est
loin d’être assurée.
Enfin, La Nouvelle-Orléans et la Louisiane concentrent un ensemble de problématiques (i.e. urbaines,
territoriales, sociales, économiques, culturelles, sanitaires, gouvernance, etc.) qui font d’elles « un
laboratoire très riche pour l’élaboration de stratégies de développement durable intégrées».
La création ou le renforcement des liens avec l’École des Ponts et Chaussées, le Laboratoire Espace,
Nature et Culture, l’IRD Paris, l’Ecole des Mines de Paris (ISIGE), les Universités d’Orléans, de Paris
I, de Paris IV, sans oublier l’Université de Lausanne était partie intégrante du projet pilote 2005/2008.
La mise à disposition in situ d’étudiants travaillant sur nos thèmes en communauté d’échange francoaméricain fut riche et fructueuse ; les travaux seront publiés courant 2007/2008.
Le projet de cette collaboration aux multiples facettes incluait la tenue de la conférence ECORISE 2
qui réunit personnalités politiques, universitaires, et membres de la société civile sur le thème de la
reconstruction. Honorant le forum de leur présence, plusieurs Maires français et américains,
personnalités politiques, hauts fonctionnaires et universitaires de renom apportèrent leur crédit au fait
que le regroupement et la réflexion commune sont enrichis par la diversité des expériences et des
mises en œuvres. Cette concertation sera poursuivie à Paris en 2008.
Sous un angle cette fois plus pédagogique, le voyage d’étude de l’Institut Supérieur d’Ingénierie et
Gestion de l’Environnement (ISIGE) fut la concrétisation de cette volonté de provoquer une réflexion
concertée au niveau étudiant le plus élevé.
L’approche systémique des enjeux de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans était encore le thème
du déplacement. Interventions variées de référents locaux alternèrent avec des visites sur le terrain.
La diversité et le bien fondé des thèmes choisis permirent un séjour riche d’enseignements d’autant
que les intervenants furent parmi les plus érudits.
2 The Emergency – forum of City Officials on Rebuilding Infrastructure for a Sustainable Environment, en
francais: Reconstruction et Revitalisation des Villes après une Catastrophe pour un Environnement
Durable
- 10 -
Le groupe aborda le volet destruction / reconstruction à travers un ensemble composé d’une
présentation géographique et historique de la ville et d’une visite complète tenant compte de la réalité
d’aujourd’hui. Il s’imprégna de l’importance de la notion de quartier à La Nouvelle-Orléans et entrevit
la complexité de la situation, celle du quotidien, et en d’autres termes, la situation réelle des citoyens
revenus dans l’espoir de retrouver leurs repères et rebâtir leur vie. Citons, entre autres, cette
rencontre avec des citoyens de Gentilly qui ont pris l’option de reconstruire leur maison sur des pilotis
à 4 mètres du sol.
Dans la même veine, la présidente de Burbank Gardens montra l’importance des associations de
quartier nées au lendemain de l’ouragan. La sienne apporte son soutien aux résidents de Gentilly, un
quartier mixte fortement touché par l’inondation, démontrant l’importance des valeurs de solidarité
quelque soit le milieu social dans l’effort de reconstruction.
En ce qui concerne la protection future de la ville contre les ouragans, le groupe bénéficia d’un regard
portant bien au-delà de la présentation du Corps des Ingénieurs de l’Armée US pourtant très
exhaustive à propos de l’ensemble du système de levées et des projets de leur renforcement. Grâce
à la disponibilité de la sous-directrice de l’association qui veille à la protection du Lac Pontchartrain 3 et
de son bassin hydraulique, quelques évidences prirent de l’épaisseur dans l’esprit de notre groupe :
érosion de la côte, affaissement de la ville par assèchement (pompage incessant du sous-sol),
nécessité de reconstruction des lignes de protections naturelles de la ville (Iles au large, marsh 4 …),
besoin d’intégrer l’aménagement hydraulique et la protection des écosystèmes. Cette journée mit en
évidence l’antinomie des situations: alors que l’on réclame à grands cris la restauration des marais de
la côte louisianaise, les promoteurs de Slidell et Mandeville/Covington colonisent ceux de la rive
Nord et Nord-Est du lac, lotissant à tout va depuis l’ouragan.
Autre réalité, le groupe prend connaissance des multiples plans de reconstruction élaborés depuis
Katrina, leurs limites et leur non-mise en œuvre tandis que le marché immobilier profite de cette
inertie. Le disfonctionnement des différents niveaux de gouvernance dans de nombreux domaines
explique le manque de coordination et la lenteur des décisions. Cette fragmentation des
gouvernances explique aussi la dissémination et l’inégalité des ressources, inégalité accentuée par le
Lake Pontchartrain Basin Foundation.
Le Marsh désigne un marais côtier ou le sol est couvert de végétation et occupé en permanence ou
par intermittence d’une couche d’eau.
3
4
- 11 -
transfert des taxes locales proportionnelles au déplacement des populations sinistrées et réinstallées
sur les paroisses moins touchées.
Au fil des interventions, on pouvait entendre des commentaires parfois désabusés de notre petit
collectif à propos de la trop réaliste approche qui, quotidiennement, dépeignait la ville : économie
locale en berne, perspectives mal définies, marasme immobilier, vulnérabilité aux risques naturels
toujours aussi pesante, environnement en péril, population déplacée ou vivant en caravane,
criminalité record… à se demander si La Nouvelle-Orléans est vraiment située aux États-Unis. Si ce
séjour fut court, il eut la qualité de mettre à jour cette réalité d’une Amérique en décalage avec l’image
que l’on s’en fait …à moins que ce soit par ses atouts purement historiques et culturels que la
Nouvelle-Orléans garde les cartes qui la feront rebondir …
Cette visite a présenté les principaux enjeux d’une reconstruction durable de la ville, et provoqué un
intense questionnement, chez des étudiants vifs d’esprit, et pétillants de réactivité. L’élaboration de ce
rapport en est l’illustration.
- 12 -
Une ingénierie urbaine globale face aux risques naturels
La Nouvelle-Orléans illustre les relations entre un développement urbain et les contraintes imposées
par les caractéristiques géodynamiques et météorologiques qui forment son environnement naturel.
La catastrophe Katrina permet ainsi de revisiter les liens étroits entre la ville et ces différents facteurs,
en même temps qu’elle offre une opportunité pour analyser les forces et les faiblesses des réponses
apportées par le génie urbain aux risques naturels ambiants.
1. Une ville conditionnée par son environnement
Fondée en 1718 sur les zones en surplomb le long des rives du Mississipi, la ville a géré sa
croissance en empiétant sur des secteurs marécageux en contrebas. Aujourd’hui une majeure partie
du territoire urbanisé est installée sous le niveau de la mer et la ville se trouve à la confluence d’une
région nettement dominée par les eaux : lac Pontchartrain, lac Borgne, fleuve Mississippi, marais,
canaux. De plus, sa situation géographique la place sur la trajectoire d’événements climatiques
extrêmes (cyclones, tempêtes tropicales) provenant du Golfe du Mississipi. Elle est régulièrement
menacée par les ouragans et les inondations. Sa sécurité et son existence même reposent donc en
grande partie sur les ressources et les infrastructures offertes par le génie urbain.
Image radar de la topographie de la Nouvelle Orléans
(Source : NASA – www.nasa.gov)
- 13 -
2. L’environnement naturel comme première ligne de défense
Le cas de la Nouvelle-Orléans met en évidence l’importance, souvent minimisée au profit de
l’ingénierie, qu’il convient d’apporter aux défenses naturelles face aux risques. Le relief urbain est le
premier facteur dont il convient de tirer le meilleur parti. Ce facteur ne doit pas être uniquement perçu
en termes d’élévation, les zones en hauteur étant réputées protégées et celles en dépression,
vulnérables. De manière plus globale, il s’agit plutôt, à la lumière de l’inondation consécutive à Katrina,
de concevoir une ingénierie topographique qui exploite par exemple les rides du relief comme des
digues naturelles et les zones en cuvette (notamment le parc municipal) comme des champs
d’épandage des eaux en excès. Cette gestion du relief doit être adaptative, les sols urbains, étant
fréquemment caractérisés par une subsidence notable. Une ville peut ainsi s’enfoncer sous l’effet de
son propre poids et de facteurs aggravants comme les prélèvements d’eau souterraine et, dans le cas
de la Nouvelle-Orléans, du déclin du système deltaïque sous l’effet de l’artificialisation du bassin
versant fluviatile.
Elévation de la ville de la Nouvelle Orléans – en vert les zones au dessus du Niveau de la mer
(Source : media.washingtonpost.com)
- 14 -
A la périphérie de la ville, la couronne marécageuse et la végétation particulière qu’elle abrite
(herbacées, arbres) permet d’atténuer et de retarder les effets dévastateurs d’une onde de tempête.
Ce rôle modérateur des marais littoraux, de même que leurs fonctions épuratrices, sont reconnus
depuis longtemps. Néanmoins, un peu partout dans le monde, ils subissent des pressions
urbanistiques
et
économiques
qui
débouchent
sur
des
empiètements
considérables
et
l’affaiblissement, voire l’anéantissement du service défensif qu’ils offrent. De vastes zones
marécageuses subsistent pourtant autour de la Nouvelle-Orléans, principalement à l’est et sur le
pourtour du Lac Pontchartrain, mais de larges secteurs ont été fortement vulnérabilisés par
l’implantation de canaux (entre autres le Mississippi River Gulf Outlet, aussi dénommé « Mr Go ») qui
ont favorisé l’intrusion massive d’eaux fortement salées et déstructuré les écosystèmes paludéens.
Exemple de canal qui permet l’intrusion d’eau salée de mer dans les zones humides
(Source : http://www.whitehouse.gov/omb/budget/fy2005/images/corps-6.jpg)
Le Mississipi River Gulf Outlet : MR GO
(Source : Source: http://www.saveourlake.org/images/bulletin/mrgo.jpg)
- 15 -
Lors du passage de Katrina, l’effet tampon des marécages n’a donc pas été celui escompté et
beaucoup des marais subsistants ont été détruits ou fortement érodés par l’ouragan. Un grand volume
d’eau salée a été introduit instantanément, affaiblissant encore davantage les zones humides.
Destruction des zones marécageuses après le passage de l’Ouragan
Niveau (en pieds) de l’eau dans la Nouvelle Orléans après la rupture des digues
- 16 -
3. Les infrastructures comme réponses privilégiées aux risques
Conçus initialement comme compléments, puis progressivement comme substitution aux systèmes de
protection naturelle, les ouvrages d’ingénierie sont devenus indispensables pour protéger la ville des
effets des ouragans et des inondations.
Les infrastructures utilisées à cet effet à la Nouvelle-Orléans combinent des digues en terre (parfois
rehaussées de parois en béton) et un réseau complexe d’installations de drainage des eaux
(canalisations, canaux, bassins de rétention, stations de pompage, portes-vannes) qui permettent
d’évacuer les eaux accumulées en ville vers le Lac Pontchartrain. Les structures passives sont gérées
par le Corps of Engineers, tandis que la responsabilité des structures actives incombait (jusqu’à
Katrina) aux Paroisses.
Le système de protection contre les effets des ouragans
(Source : US Army Corps of Engineers)
Notons également que pour se défendre des inondations du Mississippi, le fleuve a été canalisé dans
la dernière partie de son tronçon et que divers ouvrages hydrauliques écrêteurs de crue sont
positionnés dans l’amont immédiat du bassin versant.
- 17 -
Les habitants peuvent également opter pour des mesures individuelles, comme l’élévation des
maisons sur pilotis. Ces pratiques entrent en principe dans un cadre de recommandations publiques.
Enfin, le réseau de transport est également conçu comme une infrastructure de réponse au risque. En
cas d’événement extrême, il doit permettre de mettre en œuvre rapidement et efficacement des plans
d’évacuation des populations.
Les différentes barrières constituant le système de protection de la ville
(from Comprehensive coastal protection master plan for Luisiana – Preliminary draft – CPRA novembre 2006)
4. Les limites des infrastructures
Toutefois, comme le montre le cas de la Nouvelle-Orléans, les ouvrages d’ingénierie et les
infrastructures collectives ou individuelles peuvent être dépassées par l’ampleur des événements. Les
défaillances du système technique de gestion des risques placent alors les populations dans une
situation critique. En effet, l’existence de ces infrastructures a atténué la perception, par les citadins,
de la véritable nature des dangers et, dans le même temps, l’effacement des systèmes de défense
naturels a éliminé toute alternative de protection. A certains égards, lorsque les infrastructures
s’effondrent et deviennent ineffectives, la ville et ses habitants se trouvent placés à un niveau global
d’exposition nettement supérieur à celui qui prévalait avant l’existence de ces infrastructures.
Un niveau très élevé de fiabilité des infrastructures et de leurs protocoles d’utilisation est donc
nécessaire. Or, l’analyse des défaillances du système de protection lors de l’ouragan Katrina a permis
de mettre en évidence de nombreuses déficiences de conception et de maintenance :
•
des barrières de protection n’étaient pas correctement entretenues (notamment pas les
riverains), ce qui a pu contribuer à l’apparition de brèches dans certains segments fragilisés,
- 18 -
•
des ouvrages n’ont pas été toujours été conçus avec la meilleure qualité géotechnique. Par
exemple, une partie de la digue située le long du « London Avenue Canal » avait été
construite à l’aplomb de lentilles sableuses qui n’avaient pu être repérées lors des sondages.
Ces hétérogénéités ont favorisé l’intrusion d’eau sous les fondations et la rupture de la digue.
De plus la structure des parois bétonnées était en « I » et ne permettait pas un bon ancrage
dans l’assise de terre,
•
la mise en route des pompes n’était pas automatisée. Les opérateurs qui en avaient la charge
ont été évacués sans avoir pu les actionner, entraînant donc la stagnation des eaux à
l’intérieur de la ville pendant plusieurs semaines. D’autre part, les réservoirs de fioul des
génératrices ont été inondés,
•
certaines stations de pompage étaient mal situées le long des canaux. Par exemple, au
« London Avenue Canal », la station de pompage était trop éloignée du lac Pontchartrain,
•
la capacité de rétention des eaux pluviales dans la ville était insuffisante,
•
enfin, le plan d’évacuation n’avait malheureusement pas pris en compte l’évacuation des
personnes qui ne possédaient pas de véhicule.
5. La réhabilitation des infrastructures après Katrina
Cette série de défaillances illustre combien il est difficile et coûteux de s’adapter de façon durable à
des phénomènes naturels extrêmes. De plus, face à un risque hydrologique qui ne peut tolérer le
moindre défaut dans le système de protection, puisqu’une seule brèche peut permettre l’intrusion
d’énormes quantités d’eau, il est nécessaire de faire « la part de l’eau » dans une politique
d’urbanisme. L’habitat devrait idéalement être concentré sur les zones topographiquement favorables
(élevées ou à l’abri de reliefs), tandis que les zones en creux devraient être préférentiellement
reconverties en secteurs récréatifs où les eaux de pluie ou d’inondation peuvent être concentrées.
Malgré les dysfonctionnements observés lors de Katrina, le système demeure efficace pour la gestion
des conséquences d’événements météorologiques moins extrêmes. Jusqu’à 2005, les risques étaient
globalement maîtrisés. A l’heure actuelle cependant, l’ensemble du système de protection a
probablement été fragilisé de manière importante par l’ouragan. La réparation des brèches et la
consolidation des zones les plus fragiles, ainsi que la révision de tous les ouvrages sont en cours
(elles semblent malheureusement encore fortement contrainte par des intérêts économiques). De
nouvelles technologies sont utilisées comme la construction de murs de digues en « T » renversé,
- 19 -
plus solides (à noter toutefois que leur coexistence avec l’ancienne technologie en « I » pourrait être
une source de fragilité supplémentaire).
Si la ville ne peut totalement fait l’économie de telles infrastructures, surtout dans compte tenu de
l’extension qui est actuellement la sienne, une réflexion de fond s’impose à propos de l’efficacité du
système de protection et des budgets consentis pour assurer un niveau de risque acceptable pour
l’ensemble des habitants de la Nouvelle-Orléans. Cette réflexion devrait prendre en compte les
nombreux avantages techniques, économiques et écologiques offert par les systèmes naturels et
définir des politiques appropriées de protection et de redéveloppement de ces espaces.
- 20 -
Les maisons qui ont résisté à l’ouragan sont probablement fragilisées. Leur réhabilitation devrait
prendre en compte le retour probable d’événements climatiques extrêmes. Or, c’est l’urgence qui
guide généralement la reconstruction. De nombreux habitants ont choisi de démolir leur habitation et
d’en construire une nouvelle sur pilotis, souvent sur le même terrain, en fonction des
recommandations d’élévation déterminées par les pouvoirs publics. Cette solution, si elle paraît
intéressante face aux inondations, doit être aussi évaluée en fonction des facteurs géotechniques
(subsidence, tassements, gonflements du sol) et de la résistance face aux vents soutenus. Elle
présente d’autres inconvénients de moindre importance, mais non négligeables, telles l’accessibilité à
l’étage et l’esthétique du quartier. En outre, la hauteur des pilotis devrait rester raisonnable, ce qui
signifie que cette solution ne paraît pas envisageable dans les secteurs les plus vulnérables de la
ville.
6. La perception du risque
Trois perceptions du risque cohabitent dans la cité. Le citadin possède une vision à court terme et
adopte volontiers une attitude affective face à la reconstruction. Il est peu conscient du risque et de
son évolution dans le temps. Les chercheurs et les planificateurs, quant à eux, possèdent une vision à
long terme mais pour la plupart ressentent peu le sentiment d’appartenance à la ville. Ils détiennent de
bonnes connaissances sur les notions de risque. Enfin les politiques ont une vision à moyen terme
- 21 -
correspondant à la durée de leur mandat électoral. Ils devraient être à même de concilier les deux
perceptions et d’y conformer les politiques de génie urbain.
Dans le cas de la Nouvelle-Orléans, les institutions publiques ont toujours été conscientes des risques
d’inondation et d’ouragan. En effet, la situation de la ville et le caractère marécageux du terrain sont
connus depuis l’origine. Cependant, certains quartiers se sont développés dans des zones
vulnérables. En raison de la forte culture de propriété privée et de libéralisme chère aux américains,
les politiques ne se sont jamais opposés à ces implantations. Il est d’ailleurs probable que les
habitants, du fait de leur perception limitée du risque, n’auraient pas tenu compte des
recommandations des institutions.
Bien que les habitants aient subi des revers climatiques successifs, avec Katrina comme point
d’orgue, certains ne renoncent jamais à construire. Ainsi, si l’appréciation du risque est subjective, son
acceptation l’est aussi et se manifeste par des comportements d’adaptation différents (surélévation du
bâti, changement de quartier, volonté de protection face aux ouragans de catégorie 5, voire
reconstruction à l’identique). Une dynamique commune semble toutefois se créer autour de la
reconstruction, en faisant toujours confiance aux systèmes de protection. Beaucoup d’habitants
appellent d’ailleurs de leurs vœux « a protection stronger and better than before Katrina ». C’est
pourtant la défaillance de la protection qui conduit certains habitants à penser que les impacts de
l’ouragan résultent plus d’un « man-made disaster » que d’un « natural disaster ».
Conclusion
La catastrophe qui a frappé la Nouvelle Orléans a révélé des insuffisances dans la conception et le
contrôle des ouvrages dédiés à la protection contre les risques naturels. Mais bien plus encore, elle a
remis en question le bien-fondé d’un système qui repose presque entièrement sur la confiance dans
technologies de génie urbain. Il apparaît que l’artificialisation du système urbain est source de
vulnérabilité et de sévérisation des dommages aux personnes et aux biens.
Réhabiliter la ville après la catastrophe, c’est aussi chercher à restaurer les liens perdus entre la ville
et son environnement, dans le sens où ce dernier peut procurer des services de protection face aux
risques naturels. Une ingénierie écologique, où les territoires deviennent des partenaires du génie
urbain, est probablement un instrument adapté aux enjeux modernes du développement durable des
villes. Il serait souhaitable que la Nouvelle-Orléans, dans la phase de reconstruction qui s’amorce, ne
- 22 -
passe pas à côté de cette prise de conscience. Les décisions récentes du Congrès Fédéral en faveur
du reversement de royautés pétrolières aux Etats riverains du Golfe du Mexique, en vue de financer
de vastes travaux de restauration du littoral et des zones humides côtières, sont un élément de
contexte qui permettrait d’orienter, dans l’aire métropolitaine de la Nouvelle-Orléans, les politiques
publiques dans le sens d’un génie urbain soucieux des territoires.
- 23 -
Un processus de planification complexe et morcelé
Suite aux Ouragans, 80% du territoire de la Nouvelle Orléans est inondé. Reconstruire une étendue
aussi vaste ne peut se faire mettre en place un processus de planification urbaine à différentes
échelles territoriales et qui intègre les contraintes imposées à la fois par les caractéristiques physiques
du sites mais aussi par la dimension sociale d’une ville dont les habitants ont été traumatisés, et qui
sont fortement attachés à leur quartier.
Le 17 octobre 2005, le gouverneur de la Louisiane, Mme Blanco, crée la « Louisiana Recovery
Authority » (LRA). Cette institution organise une conférence au début du mois de novembre pour
définir les priorités de la reconstruction de l’ensemble des zones touchées par les deux ouragans
Katrina et Rita. Il s’agit de déterminer comment les fonds seront débloqués dans le cadre du
processus de reconstruction, la LRA étant administrateur de sommes versées par l’Etat fédéral à la
suite des évènements (110 Milliards de dollars pour 5 états touchés par 3 ouragans). Il est décidé que
chaque ville touchée devra présenter un plan de reconstruction à la LRA pour pouvoir bénéficier de
ces fonds.
En parallèle, le maire de la Nouvelle Orléans, M. Nagin, qui doit faire face à la reconstruction de sa
ville et préparer un plan, met en place le 30 septembre 2005 le BNOB (Bring New Orleans Back)
Committee, composé de personnes de compétences et d’intérêts différents, et divisé en 6 souscommissions : éducation, santé publique, infrastructure, planification urbaine, développement
économique et culture. Cette instance se heurte cependant à deux difficultés majeures : son souhait
est d’associer la population à son plan, chose impossible à cette date car seulement 25% des
habitants sont présents dans la ville, et d’autre part, le temps imparti pour l’élaboration des plans de
reconstruction est de 3 mois, ce qui semble irréaliste.
Le « Urban Land Institute » (ULI), à la demande de la sous-commission « planification urbaine » du
BNOB, rend ses premières conclusions dans un rapport en Novembre 2005. Ses principales
recommandations sont de diminuer l’empreinte spatiale de la ville, d’essayer de maîtriser les
reconstructions isolées (Jack-O’-Lattern effect), de développer un plan stratégique pour favoriser le
retour de la population, et de convertir les quartiers les plus exposés au risque en espaces verts
(« green dots »). Cette sous-commission demande également à ce qu’il y ait un moratoire sur la
délivrance de permis de construire.
- 24 -
Ces conclusions sont largement controversées par la population. Le Maire ne voulant pas que se
développent des contestations, ne tient pas compte de ces recommandations et déclare le qu’il veut
reconstruire « all of New Orleans», avec une approche orientée économie de marché. La distribution
de permis de construire continue, chacun pouvant rebâtir sa maison à l’identique si les dommages
causés lors de l’Ouragan sont inférieurs à 50 %.
L’action du BNOB se poursuit, multipliant les réunions avec les habitants, et le comité publie son
rapport final le 11 janvier 2006. De nouveau ses propositions, qui supposent un certain nombre
d’hypothèses irréalistes (deadline, financement de la FEMA : Federal Emergency Management
Agency), sont massivement rejetées par les citoyens. Ces derniers se mobilisent et décident qu’ils
doivent s’organiser avec ou sans la ville, l’Etat ou la FEMA ; apparaissent alors des associations de
quartiers et un fort activisme citoyen.
Au niveau de l’Etat fédéral, la FEMA, via l’ESF 14 (Emergency Support Functions), collabore avec la
LRA et le BNOB pour tenter de coordonner les actions de reconstruction sur les 19 paroisses
touchées par les ouragans.
Au mois de mars 2006, la FEMA décide de ne pas financer le BNOB pour engager le processus de
planification urbaine des 13 districts de la Nouvelle Orléans. Le Conseil municipal (City Council)
décide alors d’utiliser les fonds qu’elles versent d’ores et déjà au Cabinet d’Architectes de Paul
- 25 -
Lambert à Miami pour qu’il effectue la planification des quartiers les plus innondés (les « wet
neighboroods » qui ont subis plus de 4 pieds d’eau) de la ville. Un découpage de la zone inondée de
la ville est effectué en 11 districts, eux-mêmes subdivisés en quartiers. Ce projet regroupe donc 46
volets correspondant à chaque quartier inondé. L’université de la Nouvelle Orléans y est associée et
s’occupe plus particulièrement des districts 5 (Lakeview) et 6 (Gentilly). La méthode utilisée consiste
en un état des lieux physique de chaque quartier, qui conduit à l’élaboration de différents scénarios
puis plans de reconstruction. Les citoyens sont largement consultés et participe au processus de
planification. La complexité de l’organisation à l’échelle de chaque quartiers, la prise en compte de
l’avis des habitants rend le processus très complexe. Certains quartiers ont même déjà entamé leur
propre processus de planification en utilisant l’argent de fondations privées qu’ils ont sollicités.
Pour bénéficier des fonds gérés par le LRA, c‘est un plan de la totalité de la ville qui comprend au total
72 quartiers dont 46 particulièrement inondés, qui doit être fourni. Les quartiers « secs » doivent donc
être intégrés au rapport Lambert qui ne porte que sur les quartiers « mouillés »
Lancé en octobre 2006, le « Unified New Orleans Plan » (UNOP), prend en compte tout le territoire de
la ville, à savoir à la fois les quartiers inondés et non inondés durant la catastrophe. Ce plan, financé
par le secteur privé, tient compte des projets précédemment élaborés. Piloté par qui ? Il est soumis à
la ville en janvier 2007, et est actuellement en cours de révision et sujet à enquête publique. Il sera
- 26 -
normalement adopté par la ville, le City Council et la LRA en avril 2007. L’UNOP présente la
particularité d’intégrer pour la première fois la notion de gestion de risque.
Actuellement, le Dr Ed Blakely, engagé par le maire en janvier 2007 en tant que « Director of the
Office of Recovery Management », cherche à développer un nouveau plan, « The One NO Plan ». Il
s’agirait de réaliser un nouveau document de planification à partir des grands principes de l’UNOP.
Au vu de la succession des différents documents, la planification peut-elle être cohérente et
pertinente ?
18 mois après la catastrophe, la ville de la Nouvelle-Orléans semble fonctionner à deux vitesses : des
quartiers intacts, et, d’autres, toujours totalement dévastés.
18 mois après la catastrophe, cinq documents de planification ont pourtant été réalisés, belle
production… Néanmoins, aucun n’a été retenu dans son ensemble. On paraissait être récemment
arrivé à un plan unifié, accepté dans sa globalité, avec l’UNOP. Pourtant, un nouveau venu sur la
scène orléanaise, Ed Blakely, semble venir remettre une nouvelle fois en question le processus de
reconstruction. Il voudrait faire une synthèse des plans précédents, mais personne ne paraît
réellement saisir le sens, voire le bien-fondé, de cette démarche. Cela signifie-t-il que la reconstruction
de la ville va encore être retardée ? La multiplicité de ces plans conduit nécessairement à se poser la
question de la cohérence et la pertinence de cette organisation.
Après la catastrophe, en raison de l’urgence de la situation dans laquelle se trouve la région, les
temps impartis pour l’élaboration des différents plans de reconstruction sont très réduits. A plusieurs
reprises, ces durées contraignantes dans la planification se révèlent même impossible à respecter.
Cela contribue sans aucun doute à nuire à leur efficacité, chacun de ces plans présentant des
lacunes. Dans un premier temps, le manque de prise en compte des attentes des habitants ou des
spécificités de la ville condamne l’issue des projets. Il a fallu du temps pour que les personnes
extérieures réalisent à quel point la Nouvelle-Orléans n’est pas une ville comme les autres, chaque
habitant possède un lien fort avec sa ville, et surtout son quartier. Ensuite, plusieurs projets ont peutêtre été menés jusqu’à leur terme sur un périmètre pas forcément pertinent : pourquoi ne s’intéresser
ainsi qu’aux zones inondées durant cette catastrophe (comme le « Lambert Neighborhood
Planning »)? Il parait évident que ce choix n’est pas vraiment adapté lorsque l’on considère la
reconstruction d’une ville dans son ensemble. Un autre point est manifeste de cette précipitation dans
la reconstruction : ainsi, l’intégration de la notion de risque et de management de ce risque ne semble
- 27 -
être apparue que tardivement, à l’occasion de l’UNOP. Dans une ville avec une situation aussi
sensible, cela apparaît comme un point essentiel, qui aurait dû être inhérent dès le premier plan.
Le processus de planification s’est ensuite révélé difficile en raison de la spécificité de la société
américaine, pour laquelle le droit à la propriété privée est sacré. Ainsi, les habitants s’opposent
farouchement à plusieurs des documents planificateurs, dès lors que l’on tente de leur imposer des
conditions de reconstruction sur leurs parcelles ou de les empêcher de revenir dans leur quartier. Les
habitants sont très attachés à leur quartier, à leur voisinage, et ne semblent absolument pas vouloir
prendre en compte la notion de risque lié aux catastrophes naturelles. Sans doute est-il très difficile
pour les autorités de trouver la bonne manière pour communiquer sur ce sujet, mais pourtant cela
paraît être un point crucial. On assiste aujourd’hui à des initiatives de reconstructions sporadiques,
individuelles ou organisées à l’échelle de voisinages, qui sont en complète contradiction avec le désir
des autorités de promouvoir des centres communautaires qui rassembleraient les populations, mais
qui sont surtout totalement contraires à une notion de développement urbain durable.
Tout ceci met en exergue un problème majeur dans la manière par laquelle les décideurs et instances
ont géré la crise : comme il a déjà été souligné précédemment, trop d’acteurs prennent part au
processus, chacun pensant pouvoir faire mieux que le précédent. La question politique influe d’autre
part sur les agissements des différents décideurs, qui ont tendance à ne se projeter que sur la durée
de leur mandat, c’est-à-dire à court ou moyen terme. Cela peut également se révéler un prétexte
électoraliste : on nous a cité l’exemple d’un élu, qui pour favoriser sa réélection, préfère
répondre rapidement aux demandes des habitants… Il autorise ainsi l’allocation de permis de
(re)construire sans conditions, sans se référer aux conclusions des plans. Démarche qui ne saurait
être définie comme responsable !
On a par ailleurs constaté que les plans sont pensés par différentes échelles (la région, la ville, le
quartier…), mais la planification semble toutefois ne concerner que le territoire de la ville ou paroisse
d’Orléans, approximativement. Au vu des flux économiques et de population qui existent aujourd’hui
entre les différentes paroisses, on peut se demander s’il ne serait pas plus judicieux d’établir une
planification sur l’ensemble des paroisses (au niveau du territoire de vie de l’agglomération), afin
d’enrayer le phénomène de compétition que l’on observe aujourd’hui, et de contribuer au façonnement
d’une aire urbaine véritablement unifiée.
Au final, le déroulement de cette planification amène à se demander si la ville va réellement tirer les
leçons de cette catastrophe. En particulier, certaines des propositions émises dans les projets
- 28 -
conditionnent fortement son occupation des sols. Seront-elles respectées ? La Nouvelle-Orléans doit
réussir à maîtriser son étalement urbain, et ce en diminuant son empreinte spatiale, en limitant les
reconstructions sur les zones inondables, et en gérant les flux de population. Seulement, il est vrai
qu’il n’est pas évident de devoir « revenir en arrière », en interdisant des constructions là où des
quartiers se dressaient autrefois. Comment concilier également désir de voir la population revenir
dans son ensemble et réduction de l’empreinte spatiale, c’est-à-dire comment loger autant de
personnes sur un territoire réduit ? D’autre part, beaucoup espèrent qu’une catastrophe de ce type ne
se reproduira pas avant longtemps. Ce que nous pouvons surtout souhaiter, c’est que dans le cas
d’une autre crise majeure, la ville saura profiter de son retour pour gérer la situation mieux qu’elle ne
l’a fait depuis août 2005. Rêvons enfin que dans un proche futur, certains quartiers retrouvent enfin un
visage humain.
- 29 -
L’économie de marché face aux défis de la reconstruction
Les Etats Unis sont la première puissance économique mondiale. Cette économie de marché à su
profiter des nombreux atouts du territoire Américain, immense et bien doté en ressources minières
(deuxième producteur mondial de charbon, pétrole, gaz naturel, or, cuivre…) et agricoles. Autre atout
majeur, ce pays dispose d’accès importants aux océans atlantique et pacifique, ainsi que d’importants
réseaux de transport. De plus, la prospérité américaine repose essentiellement sur son important
marché intérieur (en augmentation grâce à une immigration importante), à la capacité de ses
entreprises à investir sur les marchés mondiaux, et à sa suprématie technologique.
Il existe cependant une forte diversité entre les différents états fédéraux des USA. La Louisiane, qui
nous intéresse ici, est état populaire relativement pauvre (36ème état en PIB/hab en 2005 5 ), bien que
disposant de ressources naturelles intéressantes. Grâce à son climat semi-tropical, il produit par
exemple maïs, le riz, le blé, le soja, le coton, la canne à sucre, les fruits, les légumes et la patate
douce, et permet une exploitation forestière intéressante. Il dispose aussi d’importantes ressources
halieutiques, et produit ainsi 30% des fruits de mer des Etats Unis. La Louisiane dispose aussi, entre
autres ressources minérales, de pétrole et de gaz. L’industrie pétrochimique y est ainsi fortement
implantée.
Quand à la Nouvelle Orléans, elle dispose d’une ressource supplémentaire importante : le tourisme
culturel et musical. Cependant, le taux de chômage de cette ville a toujours été assez élevé.
Le 29 Août 2005, l’ouragan Katrina a mis à genou cette économie locale, et ainsi mis en en évidence
ses particularismes. Mais cet événement peut aujourd’hui être perçu comme un vecteur de nouvelles
opportunités, une chance de repenser l’économie locale pour la rendre plus durable. Que peut ou doit
apporter l’économie à une ville en reconstruction avec des perspectives de durabilité ? Comment le
marché peut-il être un élément de durabilité ?
Après un bref panorama de la vie économique de cette ville, nous étudierons les éléments constitutifs
des plans de reconstruction.
5
BEA statistics for 2005 gross state product - October 26, 2006
- 30 -
1. Les éléments clefs de l’économie de la Nouvelle Orléans après Katrina
Comprendre quels sont les principaux aspects de l’économie locale et comment ils ont été affectés
par Katrina peut permettre de tirer des enseignements sur la manière de repenser cette économie.
Le tourisme, la musique et la culture : des atouts économiques forts.
Le cœur de la ville, le « French Quarter », est le quartier de la Nouvelle Orléans connu pour
l’ambiance musicale et festive qui y règne, de jour comme de nuit. Il suffit de s’y balader pour
comprendre que cette partie de la ville est dédiée au tourisme et à la fête, avec de très nombreux bars
et restaurants, salles de spectacle dédiées au jazz et au blues, de boutiques de souvenir…
Ainsi, l’histoire, les spécialités culinaires, les musées et surtout le jazz ont fait de cette ville l’une des
principales destinations touristiques des Etats-Unis. Cette activité touristique est une manne financière
plus qu’importante pour la ville.
Epargné par les catastrophes naturelle consécutives à Katrina, le French Quarter attire encore de
nombreux visiteurs, même si la fréquentation touristique de la ville n’est pas encore comparable à
avant l’ouragan.
Toute l’enjeu est donc de continuer à développer le tourisme afin qu’il profite à une plus grande partie
de la ville ou de la population. Si les quartiers historiques tels que le French Quarter sont
particulièrement visités, bien d’autres zones pourraient être mises en valeur.
- 31 -
Par exemple les anciennes friches industrielles, aussi anciennes (voir plus) que le quartier français, ne
sont que très peu réhabilitées. Cependant, l’intérêt économique porté à ces zone industrielles est
croissant, avec l’élargissement du musée de la seconde guerre mondiale (World War II Museum) et la
prise en considération de cette zone par quelques architectes notamment M Peter Trapolin, que nous
avons rencontré. Le développement culturel ou touristique d’une zone peut permettre de créer de
nouveau dynamisme dans des quartiers en déclin.
Le Port : activité clef dans le (re)développement de la Nouvelle Orléans
Le port de La Nouvelle-Orléans est l’un des plus anciens du pays. La ville s’est en effet installée puis
développée sur ce site de part sa situation extraordinaire : à la fois au bord du fleuve Mississipi (accès
fluvial à tout le pays et accès au Golfe du Mexique) et bénéficiant d’un accès facile au lac
Pontchartrain par des canaux naturels (les Bayous). Aujourd’hui, avec ses 400.500 miles 6 de
connections avec le Mississipi, la ville peut être à la base d’exportation dans 38 états simplement
grâce aux voies navigables. Sa situation exceptionnelle et son ouverture sur le Golfe du Mexique,
permettent aujourd’hui au port d’être le plus important des Etats-Unis en terme de tonnage.
Le chiffre d’affaire du Port s’effectue principalement avec les importations d’acier, de gomme naturelle,
de café (50% des importations de cafés aux Etats-Unis passent par le port) et au transport de
passagers (800.000 personnes passaient chaque année en croisière avant Katrina).
6
Cela représente environ 645.000 km.
- 32 -
Ce mode de transport est peu coûteux, et permet de baisser le coût des matières premières; cela lui
accorde donc une place importante dans l’économie américaine.
Relativement épargné par l’ouragan (bonnes protections), le port a pu rouvrir rapidement. Les
premiers bateaux ont pu revenir 40 jours après les évènements. Cependant c’est seulement au bout
de 6 mois que le port à retrouver 100% du trafic pré–Katrina et un an après 100% du tonnage.
Le problème majeur était de retrouver la main d’œuvre nécessaire au bon fonctionnement du port
mais également au transport (chauffeurs de camions...). En outre, la rupture des moyens de
communications (téléphone, Internet) a rendu difficile le contact avec chacun des employés 7 . A la
demande du port, l’armée à rapidement mis à disposition quelques bateaux afin d’héberger
temporairement les opérateurs.
De plus, le port doit aujourd’hui gérer le problème de la réorganisation de canaux de navigation suite à
l’ouragan, dont le Mississipi River Gulf Outlet (MR-GO). Ceci risque en effet d’influencer le trafic
maritime en rallongeant le temps de navigation pour atteindre le port.
Aujourd’hui, le port génère un revenu de 40 millions de dollars par an mais, rien ne va directement à la
ville. En tant qu’agence de l’état, le port réinvestit ses bénéfices dans l’amélioration de son
infrastructure et de ses services. La ville bénéficie cependant des emplois directs (300 personnes sur
Aujourd’hui les autorités du port ont demandé à chacun des employés de donner un numéro de
téléphone et d’indiquer le lieu où ils se rendent en cas de tempête.
7
- 33 -
le port) et les indirects : essentiellement dans l’industrie de la torréfaction ou
du traitement des
produits importés (environ 20.000 emplois indirects au total pour la ville).
Il est important aujourd’hui de considérer les différentes façons par lesquelles le port pourrait jouer un
rôle dans la reconstruction notamment économique de la ville, et pourrait faire profiter La NouvelleOrléans de sa réussite. En effet, le port a besoin d’une ville et d’une population qui y travaille. Le
problème de la viabilité du port se pose donc essentiellement autour de la question de l’harmonie ou
de la cohérence entre la ville et son port. Jusqu’à quel point le port peut il se dédouaner de sa
responsabilité dans la reconstruction de la ville ?
Des Industries pétrolière et chimique qui ne profitent pas à la ville
En dépit de la présence de ressources naturelles minérales importantes, la ville reste l’une des plus
pauvres des Etats-Unis. En effet, l’état de Louisiane possède d’importante ressource fossile
notamment pétrolière, essentielle au pays. 11% du pétrole américain et 19% du gaz naturel (2e
fournisseur du pays) y sont prélevés. En outre, 25% des pétrochimiques américains (bases,
fertilisants, plastiques) y étaient produits avant Katrina.
Cependant, la Nouvelle Orléans ne tire que très peu de ressources de cette richesse. Les industries,
nombreuses dans la région, ne reversent à la ville qu’une faible taxe. Un enjeu est donc de trouver le
moyen de mieux tirer profit de cette situation afin de redistribuer les dividendes à la population locale.
De plus, la corruption, importante dans cet état, constitue une barrière supplémentaire.
- 34 -
2. Le marché de la reconstruction face aux enjeux du développement
durable
Les autorités locales font confiance au marché pour engager le processus de reconstruction
« physique » de la Nouvelle Orléans, ce en quoi il réussira probablement. Dans ce processus, il se
heurte cependant à diverses difficultés face aux enjeux du développement durable.
Un problème de main d’œuvre difficile à gérer
Le taux de chômage de la ville était l’un des plus importants aux Etats-Unis avant cette crise.
Aujourd’hui le problème a muté en manque de main d’œuvre dans certaines branches.
Certes, Katrina s’est révélé être une opportunité pour l’emploi de main d’œuvre peu qualifiée dans les
métiers de la reconstruction. Cependant, comment retrouver de la main d’œuvre dans une ville sans
habitants ou sans habitats? Et comment reconstruire la ville sans logement pour les travailleurs ?
Ainsi, 18 mois après l’ouragan, on constate bien en visitant les quartiers endommagés que tout reste à
faire.
Les toutes premières maisons sont aujourd’hui reconstruites, préfigurant la renaissance de ces
quartiers, mais il sera probablement long et difficile de sortir de ce cercle vicieux.
Ces circonstances ne sont pas plus favorables aux autres secteurs d’activités, loin de là. Le tourisme
et les autres activités économiques (industrielles, commerciales, …) ont mis du temps à redémarrer
notamment à cause des destructions et du départ des employés. Même la musique a été atteinte par
ce phénomène, le quartier des musiciens ayant été rasé. Avec la population c’est donc toute une
partie de la richesse de la ville qui a disparu.
Une compétition néfaste entre villes voisines
La compétition entre la ville de La Nouvelle-Orléans et ses voisines, bien que déjà présente avant
Katrina, est aujourd’hui exacerbée. Le système américain est tel que les villes de Louisiane et même
les différentes zones (« parish ») de la ville se trouvent en concurrence pour l’obtention des impôts
locaux, des aides fédérales, de l’état de Louisiane, ou même des investissements privés.
- 35 -
Ainsi, les zones ayant subies des dommages ayant perdu de la population, elles ont aussi perdu des
ressources fiscales. A l’inverse, les zones épargnées ont accueillies la population qui ont quitté la
Nouvelle Orléans, et bénéficient alors de plus de ressources fiscales.
Le manque d’organisation au niveau régional, et cette concurrence nuisent à l’établissement de
priorités et à l’échelonnement des dépenses.
Des inégalités frappantes pour financer la reconstruction
C’est donc essentiellement grâce aux fonds privés et par le biais du marché, que s’effectue le
redéveloppement de la ville.
D’où viennent les fonds ? Trois origines principales peuvent être distingués: les fonds venus de
l’intérieur, de l’extérieur, ou d’anciens habitants.
Dans la ville, le quartier d’affaire pourra par exemple jouer un rôle important de financeur de projets.
Des initiatives extérieures sont en cours : Donald Trump lance la construction d’un important building,
complexe d’affaire et d’immobilier de luxe. Son exemple peut être moteur, et montre le potentiel du
marché. Par ailleurs, des musiciens originaires de La Nouvelle-Orléans (comme Harry Connick Jr.) se
mobilisent pour reconstruire le quartier des musiciens (quartier pauvre). Enfin, les aides d’anciens
habitants et la participation des expatriés montrent l’attachement de la population à sa ville.
A défaut, les victimes de Katrina comptaient sur leurs assurances ou sur des aides fédérales pour
couvrir une partie des dommages et permettre de commencer la reconstruction. Quand nous avons
visité les quartiers endommagés 15 mois après Katrina, nous avons cependant rencontré des
personnes n’ayant toujours rien touché, et qui s’engageaient à nouveau dans un crédit bancaire pour
reconstruire leur maison, espérant ainsi lancer une dynamique de reconstruction des quartiers.
Ainsi, bien que permettant l’apport de plus de moyens que les seuls fonds publics, et mettant en place
des actions plus rapides, une stratégie « market driven » a ainsi des implications économiques et
sociales spécifiques. En effet, laisser le marché prendre en charge la reconstruction peut amener des
problème de cohérence dans les plans de reconstruction (unités, implantations,…). En outre les fonds
vont s’orienter majoritairement vers les points d’intérêts économiques les plus rentables. Néanmoins
cela ne prends pas nécessairement en compte les besoins sociaux : seule la population la plus aisée
aura accès aux principales infrastructures (logement, …) pour l’instant prévues.
- 36 -
Orienter les nouveaux projets pour éviter les erreurs du passé
Dans les futurs projets de développement, qu’ils concernent l’implantation de zones industrielles ou
commerciales, d’infrastructures ou même d’activités culturelles et touristiques, l’implantation est une
question majeure. Tout choix doit prendre en compte les impacts (afflux de population, attractivité,
nuisances, …) et le rayonnement sur les zones concernées.
Par le passé des erreurs ont été commises. Par exemple une zone a été prévue près du « Industrial
Canal », sans que quiconque ne s’y installe car la zone était difficilement accessible. Il faut donc
penser à situer de façon cohérente les zones industrielles, notamment par rapport à l’évolution des
moyens de transports. Notons que le port a décidé de réimplanter à terme son infrastructure en
prévision de la fermeture du MR-GO.
De même, la création ou l’agrandissement de musées tel que le « World War II Museum »,
engendrera certainement une évolution favorable du quartier.
Même si c’est principalement le marché qui influe sur le positionnement et l’implantation de ces
nouveaux éléments, il semble important que des choix stratégiques et politiques, soient pris en
parallèle par les décideurs publics afin d’en faire profiter au maximum la ville et sa population.
- 37 -
3. Une ville ou « tout passe, mais rien ne reste » ?
L’économie de la Nouvelle Orléans semble aujourd’hui trop dépendante de ses activités majeures et
notamment du tourisme. En effet, la ville ne propose que très peu de postes pour les personnes au
niveau de compétence les plus élevés, malgré la présence de grandes universités publiques ou
privées, épargnées par l’ouragan. La population la plus diplômée est souvent pousser à chercher du
travail dans d‘autres grandes ville voisines.
Il est indispensable d’intégrer ces questions de diversification dans les plans de reconstruction de la
ville. Une économie urbaine durable ne devrait-elle pas proposer des emplois pour tous, quelques soit
le niveau ou le domaine d’activité ? La ville devrait donc continuer à valoriser ses points forts évoqués
précédemment, et mais aussi tenter de développer de nouveaux pôles d’attractivité permettant le redéveloppement de quartiers en déclin ou détruits.
Dans cette tâche, la Nouvelle Orléans ne semble aujourd’hui pas beaucoup aidée par les autorités
fédérales. Pourtant, les autorités fédérales (James Carter-Councilman, Dubrovka Gillic-Ed Blakeley’s
representative…) que nous avons rencontrées ont évoqué l’importance de la reconstruction de
l’économie locale, sans pour autant faire référence à la population ou à la reconstruction de la ville.
Leur justification est la suivante : l’activité économique de la ville est essentielle pour les Etats-Unis.
Avant tout, l’économie doit aller de l’avant, et doit profiter des opportunités qui s’offrent à elle. Comme
nous l’avons vu précédemment la ville est un gros pourvoyeur de matières premières (importations et
exportations) et de ressources naturelles (pétrole, gaz). Ainsi, l’accent est aujourd’hui donné sur le redéveloppement rapide des infrastructures économique essentielles mais n’apportant pourtant que peu
de bénéfices à la ville, sans tenir beaucoup compte, semble-t-il, de leur intégration dans la vie locale.
Au regard de ces différents éléments, il semble que La Nouvelle-Orléans soit une ville par où tout
passe mais où rien ne reste (touristes, marchandises, matières premières…). La ville devrait dont
chercher les moyens de diversifier et de rendre plus attrayante son économie afin que ses richesses
matérielles, culturelle et humaines restent sur son territoire. N’ayant cependant pas de leviers directs
pour agir sur l’économie locale, elle devrait donc penser sa reconstruction de manière durable afin
d’en tirer profit au mieux.
- 38 -
4. Les caractéristiques d’une économie durable pour une ville
L’économie est l’un des piliers du développement durable. Au regard de ce constat, on peut réfléchir
aux éléments qui permettent de définir une économie durable.
Cette analyse a permis de trouver quelques éléments de réponse tels que : la bonne anticipation de
l’évolution économique, la diversification des activités et des emplois, la cohérence entre emploi et
population, l’attractivité des entreprises, la spécification sur des branches dynamiques avec soutien
politique (aides, négociations avec les autorités), la ré-attribution des revenus de l’économie à la ville
et leur redistribution équitable, …
Par ailleurs, il est essentiel que ce pilier soit totalement imbriqué aux deux autres volets social et
environnemental. Le marché seul ne semble pas être à même de le faire, les politiques publiques, les
décisions politiques et un processus de gouvernance efficace doivent en être les garants.
Enfin, pour la Nouvelle Orléans, il semble essentiel, dans une perspective de durabilité, de réussir à
mieux saisir les opportunités que lui offrent ses ressources. Comment garder en son sein les revenus
ou richesses que ce soit en terme humain ou monétaire. Il règne à La Nouvelle-Orléans une sensation
de passage, tout passe par cette ville mais rien n’y demeure (sauf l’attachement que l’on peut lui
porter !). Cette citée ne tire que peu de revenu direct ou indirect de ses différentes activités pourtant
florissantes. Un des premiers enjeux de la reconstruction de la ville est donc rendre à La NouvelleOrléans et à ses habitants ce qui leur revient de droit.
- 39 -
Un mode de gouvernance favorisant une approche « marché »
Pour beaucoup d’intervenants rencontrés lors du voyage d’étude, il ressort un manque de pilotage ou
de gouvernance dans la reconstruction de la Nouvelle-Orléans (NO). La démarche qui a été préférée
par le maire de la ville Ray NAGIN est celle du libre marché ou « market driven approach ».
Nous présenterons dans un premier temps les principaux acteurs de la reconstruction afin d’en
comprendre les enjeux. Nous tenterons ensuite de répondre aux questions suivantes : Y a-t-il une
échelle pertinente de gouvernance pour reconstruire la ville ? Quelles sont les particularités de la
« market driven approach » ? Permet-elle de construire un système urbain durable ?
1. Les principaux acteurs et organes décisionnels impliqués dans la
reconstruction de la Nouvelle Orléans
Les habitants de la Nouvelle-Orléans sont des sédentaires, installés depuis longtemps à la NO et
réticents à l’idée d’une mobilité, notamment si celle-ci est imposée. Ils sont caractérisés comme
beaucoup d’américains par un extrême attachement à la propriété privée, la confidentialité sur leurs
opérations propres : projet d’habitation, systèmes d’assurances personnels et une forte responsabilité
individuelle. L’assurance personnelle de la maison n’est pas obligatoire, ce qui génère des situations
très inégales face à la couverture aux risques.
L’importance de la communauté sociale des quartiers ou neighboorhoods est frappante et a été mise
en évidence par les planificateurs régionaux. La plupart se sont constitués par l’intermédiaire
d’associations qui mettent en relation les différents voisins. Cette proximité se caractérise par un
partage sur l’éducation des enfants, la pratique d’une religion, des échanges sur les différents sujets
de la ville.
La même forme de communauté sociale était mise en œuvre dans le logement collectif par l’autorité
responsable du logement social la « Housing Authority » ; il est à noter que ces logements n’ont pas
été réouverts après l’évacuation de la Ville. Les personnes n’ont pas été autorisée à revenir dans leur
appartement depuis la catastrophe. Cette décision avait été prise préalablement à Katrina ; ces
logements concentraient des personnes défavorisées et allaient à l’encontre de la mixité sociale.
- 40 -
Katrina a dévasté 49 quartiers. Sur 650 000 résidents, il y a eu 200.000 maisons détruites.
Les entrepreneurs génèrent des activités économiques très variées, qui ne couvrent pas la totalité des
différents types d’emplois. On retrouve essentiellement des emplois peu et moyennement qualifiés et
des emplois qualifiés, le tertiaire supérieur est quasi absent. 18.700 commerces ont été détruits,
200.000 emplois perdus. Le chômage avant Katrina était de 4,5%, il atteint les 17,5 % après.
La Ville de la Nouvelle Orléans est divisée en 6 districts, chacun dirigé par un « Council Man » élu par
les habitants. La compétence du district est la compétence déléguée par la Mairie sur la vérification
des demandes de permis de construire, les accès aux réseaux d'énergie et d'eau, l'application des
réglementations des installations d'activités économiques (enregistrement / registre du Commerce )
pour les acteurs qui s’implantent sur son territoire ; il est aidé en cela par des services de la Mairie,
attachés au district.
La Mairie garde la responsabilité de délivrer les permis de construire. Aucune redistribution des taxes
collectées entre districts n’est en place. Le district n’a pas de responsabilité sur les transports, les
infrastructures, les équipements municipaux. La Mairie est en charge uniquement des infrastructures
routières de la ville.
La Nouvelle-Orléans est la plus grande ville dans l'État de Louisiane comptant 480 000 habitants et
1 400 000 dans l'agglomération. La ville louisianaise est autant peuplée que l’aire de Lyon, la
deuxième métropole de France.
L'État de Louisiane est divisé en 64 paroisses ou « parish ». L'appellation 'paroisse' provient du mode
d'administration français ; le rôle administratif de la paroisse est équivalent à celui des comtés du
reste des Etats-Unis.
Les « parish » sont donc des ensembles urbains, dont le territoire constitue une limite des
responsabilités : les taxes récoltées au niveau de la paroisse ne sont pas l’objet de redistribution entre
paroisses limitrophes. Le centre est déconnecté de l’aire métropolitaine.
En terme de système urbain, le niveau régional est important à considérer car les trois paroisses
importantes limitrophes à la NO, St Bernard, Jefferson et St Tammany ont été dévastées.
Les pouvoirs relatifs à la santé, l'éducation, les transports, le droit municipal et la gestion des
infrastructures relèvent généralement du niveau de l'État local. Ence qui concerne les routes, le
- 41 -
niveau fédéral a en charge les autoroutes « highways »et les parish sont responsables des routes sur
leur territoire.
Le Regional Planning Commission (RPC) est une instance de coordination des études et de
planification des infrastructures, qui travaille à prévoir la réalisation des infrastructures nécessaires
(transport, protection, ..) et mettre à la disposition des décideurs politiques les plans et les
informations sur leur district.
Le niveau Fédéral intervient essentiellement par le biais de la Federal Emergency Management
Agency (FEMA). La FEMA constitue une instance de coordination des différentes initiatives de
reconstruction
telles
que
la
commission
« Bring
New
Orleans
Back »
(BNOB-
http://www.bringneworleansback.org ) ou encore la « Louisiana Recovery Authorithy (LRA,
http://www.lra.louisiana.gov/) et gère les fonds fédéraux d’indemnisation.
Au titre de la reconstruction de la Nouvelle Orléans, ces différents acteurs constituent les niveaux de
décision effectifs sur les choix à réaliser dans les différents enjeux de la reconstruction : l’urbanisme,
la gestion de l’eau, des déchets, stimulation de l’économie, protection contre les inondations, ….
2. Eléments de réflexion sur l’échelle pertinente de gouvernance pour
reconstruire la ville
Devant cette multiplicité des « décideurs » pour reconstruire la N.O., on peut se demander quelle est
l’échelle pertinente de gouvernance pour la reconstruction: l’échellelocale, la ville, le parish, les
parishs touchés, la région, l’état … ?
Il nous semble et nous allons le montrer par la suite que l’échelle de gouvernance n’est pas unique et
qu’elle dépend du point d’entrée du système (infrastructures routières et scolaires, gestion du risque,
attractivité économique,…).
En ce qui concerne la gestion du risque des inondations, elle peut être abordée par la mise en place
de protections physiques et la conception des mesures de prévention. Les protections physiques
s’appuient sur les levées, les protections à l’eau (floodwalls, gates, ..) qui pour être renforcées dans
certaines parties, nécessitent des emprises sur terrains privés et les moyens de drainage et
d’évacuation d’eau.
- 42 -
Les différentes opérations de reconstruction des levées sont menées par l’US Army Corp. à qui a été
confiée la réalisation des protections pour l’ensemble de la Ville.
Le maintien en état de ces ouvrages va impliquer des contrôles réguliers à exercer par chacun des
niveaux d’acteurs impliqués comme par exemple les « levee boards », les districts, la ville, le
« Regional Planning Commission , les Etats-Unis.
La prévention implique de construire dans des zones sûres, d’intégrer la Nouvelle Orléans dans
l’environnement naturel du golf du Mexique par la création de zones tampon naturelles, c’est à dire les
marais et la préparation de plans d’évacuation.
Les constructions dans les zones sûres doivent respecter des conditions de sécurité impératives qui
doivent être imposées à tous les habitants. Tous les échelons du National 8 , fédéral, régional, ville et
district sont concernés pour déterminer et inciter à la réinstallation vers des zones moins exposées.
La question a été posée : « quelles opérations de renforcement des protections ‘naturelles’ sont à
mettre en œuvre pour minimiser le risque d’inondation? »
Les plans de prévention aux risques et d’évacuation ont montré leurs défaillances.. Une des
responsables de l’équipe de Programmation des opérations de reconstruction de la ville nous a
clairement dit « The system do not function ».La préparation de nouveaux plans exige des opérations
sur les infrastructures routières et fluviales, des opérations d’urbanisme (bâtiments et aires de
rassemblement et de voies de déplacement), des moyens de transports et des dispositifs
organisationnels fiables et testés.
Là encore, on constate que les responsabilités des différents organes décisionnels, du district à l’Etat
fédéral en passant par la ville, les parish et le RPC, sont impliquées.
Pour ce qui est des infrastructures, la planification des transports et des équipements éducatifs est
soumis à une double exigence, d’une part une exigence d’efficacité pour réaliser au meilleur moment
au meilleur endroit l’équipement le mieux dimensionné, d’autre part la mise à disposition d’un
équipement pour accélérer la réinstallation des quartiers.
8 La FEMA a fait réaliser dans le cadre d’un partenariat innovant avec l’Université de la NO une base de
données d’indemnisation par l’Etat, celle-ci montre l’importance des fonds versés dans le processus
individuel de réinstallation. La FEMA est sensible au fait que les habitants ne reconstruisent pas dans les
zones considérées comme trop exposées.
- 43 -
La crainte de mettre en place trop tôt un équipement non utilisé ne doit pas figer la décision publique.
Cela a été analysé pour les écoles dans une étude récente 9 .
Deux idées fortes ressortent : le choix des écoles à reconstruire est un choix difficile, l’impact sur le
retour des populations est majeur notamment pour les populations qui n’ont pas les moyens d’envoyer
leurs enfants ailleurs. A l’inverse, la création d’infrastructures scolaires peut contribuer à inciter les
habitants à revenir.
On comprend donc qu’il est important que les projets de réinstallation des habitants soient suivis du
point de vue de l’implantation géographique et se basent sur quelques critères socio-économique de
la famille : enfants (âge, niveau scolaire), professions, lieux de travail, moyens de transport envisagé,
…au niveau de la ville et au niveau régional.
Un tel suivi permettrait de partager sur des objectifs et un horizon communs. La ville et la région
peuvent s’appuyer sur ces tendances pour orienter les projets de réouverture d’école. Les
réinstallations se renforceront d’ailleurs lorsqu’en retour il sera fait état de la réouverture de l’école et
de la mise en place de liaisons de transport en commun. Enfin, il semble important que la ville fasse
la promotion de ses activités en développant sur son territoire des activités ciblées qu’elle favorise par
la création de zones d’activités ou de zones commerciales et par l’appel à projets sur la scène
régionale, de l’Etat voire des Etats-Unis et à l’international.
Pour rééquilibrer des activités, l’articulation des échelles locales et régionales est nécessaire, des
décisions d’urbanisme et d’infrastructures sont à prendre.
Lorsqu’un entrepreneur a un projet sur un district donné ; pour certaines activités, il serait intéressant
qu’une analyse de la meilleure implantation soit réalisée et que la ville, ou la Région dans certains
cas, favorise une implantation plutôt qu’une autre, voire que soit envisagée une aide à la mise en
place d’une deuxième implantation.
“Can we rebuild a fair eduction system after a disaster ? The New Orleans experience” par Isabelle
MARET, Ph.D and Jane S. Brooks, FAICP, Urban and Regional Planning, University of New Orleans.
9
- 44 -
Tableau synthétique des interventions des différentes échelles de gouvernance sur les points
d’entrée retenus
La gestion du
risque
Neighboorhoods
Districts
Emprise sur
terrains privés
(digues)
Suivi des
réinstallations
Identification des
zones à risques
Implantation vers
des zones sûres
Mise en place des
règles de sécurité
City - BNOB
Délivrance des
permis de
construire en
cohérence avec
les besoins de
prévention
Identification de
zones sûres
alternatives
Pilotage local des
plans d’évacuation
Responsable de
la sécurité
Dynamique de
retour
La promotion
des activités
Décision sur son
territoire en
cohérence avec
les réinstallations
Information sur la
planification de la
satisfaction des
besoins
Autorisation
Autorisation
Apport de conseil
local
Cohérence
entre parish
Coordination
régionale et
arbitrage
Etat LRA
Soutien à la Région
et intégration dans
l’Etat
Responsable pour
le territoire du
développement
social,
économique et
culturel
Etats Unis
Federal
Emergency
Management
Agency
(FEMA)
Indemnisation
Cohérence
entre parish
Décision sur le
territoire
Arbitrage et
coordination
des décisions
de
reconstruction
et d’ouvertures
d’équipement
Intégration au
niveau de l’Etat
Conseils et
arbitrage
Equilibre financier
régional et
arbitrage entre
parish
Responsable
pour le territoire
du
développement
social,
économique et
culturel
Appels à
projets
Soutien à la
promotion des
décisions
exemplaires
Appels à projets
International
Apports de
moyens
exceptionnels
(construction
des levées et
renforcement
des défenses)
Expertise
Intégration avec le
niveau régional
« Suivi » des
dynamiques
Les
infrastructures
Parish
Regional
Planning
Commission
(RPC)
Soutien à la
promotion des
décisions
/projets
exemplaires
Expertises
Devoirs de
soutien et
droits de
regard au titre
de
l’importance
de la N.O.
pour l’histoire
mondiale
Equilibre
financier Etat
Appels à
projets
Nous déduisons de ces trois exemples que la question à résoudre n’est pas de déterminer quelle est
la bonne échelle de gouvernance ; elle consiste précisément à imaginer quelles interactions doivent
être mises en place entre ces échelles. Ce qui est important dès lors, c’est l‘articulation effective entre
les niveaux de décision qui assure une réelle dynamique de reconstruction. La planification devient
ainsi un processus dynamique pluri-annuel et pluri-acteurs.
Dans le cadre du BNOB un dispositif important (espaces citoyen, sites et forums internet) de recueil
des réactions des citoyens a été mis en place et a eu un succès très important : plus de 1200 pages
de réactions ont été collectées. Le Musée Odgen, musée consacré à la culture et aux arts du Sud des
Etats-Unis 10 a organisé dans ses espaces des moments d’échanges et de partage avec le support de
photographies afin de contribuer à la ré-appropriation de la ville par ses habitants. La radio
« American routes », installée dans la première station de tramway de la NO
ses émissions l’ensemble de la culture musicale de la Région.
10
11
http://www.ogdenmuseum.org
Basin Station Street
- 45 -
11
remet à l’honneur sur
3. Conclusion : l’approche « marché » est-elle un mode de gouvernance
pertinent pour reconstruire un système urbain durable ?
Afin d’arbitrer les choix entre les différents niveaux de décision (habitants, entreprises, sphère
publique - district, mairie, état, gouvernement fédéral -) ainsi qu’entre les différents enjeux de la
reconstruction (urbanisme, gestion de l’eau, des déchets, stimulation de l’économie, protection contre
les inondations…), le maire de la ville, Ray NAGIN, a choisi de laisser faire le marché. La
reconstruction est ainsi « guidée » par les décisions du marché (« market driven approach »), qui sont
sous l’impulsion des initiatives individuelles. Cette approche est tout à fait classique aux Etats-Unis, où
l’interventionnisme étatique est très souvent critiqué pour son manque d’efficacité (lourdeurs
administratives, problèmes de corruption…).
Au cours de notre voyage, nous avons pu observer quelles étaient les particularités de ce système
alliant initiatives privées, action publique et régulation « par le marché ». Cette réflexion s’appuie
notamment sur la présentation du Docteur James AMDAL, directeur de recherche à l’Université de la
Nouvelle-Orléans, ainsi que des témoignages des habitants reconstruisant leurs habitations dans le
quartier de Gentilly.
La première particularité est qu’elle laisse l’initiative et la quasi-liberté aux habitants de revenir à la
Nouvelle-Orléans réhabiliter leurs habitations s’ils le souhaitent. Ce fût un des messages forts du
maire (« nous allons reconstruire toute la Nouvelle-Orléans ») face aux plans d’urbanisme proposés
par les divers cabinets d’urbanisme 12 . Sous la pression des centaines de milliers de personnes
déplacées, cette liberté laissée aux habitants est sans doute une des raisons de sa réélection. La
contrepartie est que chacun est responsable de son habitation et de sa sécurité. Tout n’est cependant
pas sans contrôle : la mairie (via les permis de construire) et le gouvernement fédéral (via l’octroi ou
non des aides financières promises par la FEMA) imposent un certain nombre de normes pour la
reconstruction des habitations (par exemple, le plancher devant être un pied au dessus du niveau de
la mer, et trois pieds au dessus du niveau de l’inondation Katrina ).
Une seconde particularité, et atout dans ce contexte, est qu’elle permet d’agir dans l’urgence. Elle
évite toute bureaucratie, régulations étatiques, contrôles, ce qui permet de gagner du temps devant
l’urgence de la crise. Chacun peut ainsi revenir dès maintenant s’il en a les moyens, comme nous
avons pu le voir dans le quartier de Gentilly. Cela stimule les initiatives individuelles, ce qui peut créer
de proche en proche, une véritable dynamique de quartier (une personne revient, qui par relation
Notamment celui de DELONY, qui proposait la création d’espaces verts dans les endroits les plus
risqués et le déplacement des populations vers les zones plus « sûres »
12
- 46 -
stimule ses voisins, qui à leur tour …). Lorsqu’une zone aura ainsi atteint une taille critique, la
puissance publique interviendra en réinstallant des services publics (écoles, infrastructures…), tandis
que le marché, face à une demande et une main d’œuvre disponible, développera commerces et
entreprises. La régulation du système se fait ainsi « par le marché ». Si la reconstruction d’un quartier
est viable, alors avec l’installation des services publics et marchands, un cercle « vertueux » va
s’amorcer. Par contre les projets non viables seront éliminés. Les assurances jouent un rôle très
important dans cette régulation, car leurs choix d’assurer ou pas une reconstruction (en fonction du
risque d’inondation de la zone par exemple) va bien sûr déterminer le succès de tel ou tel projet.
La démarche que l’on voit à l’œuvre est de type « bottom up » : ce sont les initiatives individuelles qui
mettent en marche le système. Elle s’oppose au système d’urbanisme « à la française », où les
autorités, historiquement aménageuses, imposent aux habitants l’urbanisation ou non de telle ou telle
zone via les plans locaux d’urbanismes, les plans d’occupation des sols, les plans de prévention des
risques, les schémas d’aménagements, le droit de préemption…
Nous avons aussi pu observer un certain nombre de limites à ce système de reconstruction. Tout
d’abord, elle est efficace pour les citoyens qui ont les moyens. On peut s’interroger pour les autres.
Ensuite, elle favorise la réinstallation éparse des habitants, sans nécessairement créer d’agrégation
au niveau d’un quartier. C’est l’effet « Jack O Lantern » redouté par les urbanistes locaux. Ensuite le
marché ne prend pas forcement bien en compte un certain nombre d’externalités non marchandes
comme la protection de l’environnement, la mixité sociale ou la culture (jazz…). Ainsi les projets
sélectionnés par le marché ne sont pas forcement les meilleurs projets.
On peut donc en conclure que l’approche « marché » ou« market driven approach » se caractérise par
une grande flexibilité qui donne des réponses principalement à court terme, pour faire revenir les
habitants à la Nouvelle-Orléans. Mais on peut se demander si cette urbanisation de marché, sans
réelle planification, ni condition est bien durable, car elle ne semble pas traiter concrètement les
problèmes sociaux, environnementaux et culturels.
- 47 -
« Re-vivre » à la Nouvelle Orléans où la crise du logement
1. Un habitat particulièrement vulnérable
La ville de la Nouvelle Orléans s’étend sur un vaste territoire bâti de maisons individuelles, souvent de
« plein pied » et sans étage, construites avec des matériaux plus ou moins résilients : du bois 13 pour
les populations les plus pauvres et des briques pour les plus aisées. Situés sous le niveau de la mer,
ces habitations sont particulièrement vulnérables aux vents violents et à la montée des eaux.
Après Katrina, plusieurs types de reconstructions apparaissent de façon disparate : dans certains
quartiers, on voit de façon aléatoire des maisons en cours de reconstruction ou alors déjà quasiment
reconstruites. Mais, souvent, ces reconstructions se font à l’identique et avec les mêmes matériaux.
Cependant, lorsqu’ils en ont les moyens, certains habitants mettent leurs maisons sur « pilotis » : soit
en surélevant leur maison existante soit en en reconstruisant une sur des sols souvent sablonneux. La
question de la résistance de ce nouveau type de construction face aux aléas climatiques se pose de
façon évidente et soulève également la question de l’impact paysagé de ces quartiers reconstruits
.
13
En Louisiane, le fléau des termites est connu et vient d’autant plus fragiliser les maisons en bois.
- 48 -
2. Aides à la reconstruction…
Reconstruire est une étape particulièrement difficile pour des populations qui, s’ils sont encore en vie,
ont parfois perdu tous leurs biens. Les dossiers de demande d’aide sont laborieux à constituer et les
procédures très longues. Les difficultés viennent aussi du fait que les assurances ne remboursent pas
entièrement ou même pas du tout les pertes occasionnées par le vent et les inondations. Dans
d’autres cas, les habitants n’ayant souscrit à aucune police d’assurance, soit par manque de moyens,
soit parce qu’ils ne pensaient pas en avoir besoin un jour se considérant protégés par les « levees » 14 ,
se retrouvent sans moyens pour reconstruire.
Les aides publiques telles que le « Road Home », ne sont, quant à elles, pas à la hauteur des attentes
de la population, car les montants alloués ne sont pas très élevés et le mécanisme d’attribution est
particulièrement long. De plus, les familles dont la maison a été endommagée, ont beaucoup de
difficultés à prouver leur statut de propriétaires et perdent tout droit de toucher un quelconque
dédommagement. En effet, pour beaucoup de familles de la Nouvelle Orléans, les maisons se
transmettaient de génération en génération sans papier administratif certifiant les titres de propriété,
justificatif nécessaire pour toute demande d’aide.
14
Report NEW ORLEANS’s Recovery Blueprint, Thomas Cadoul, University of New Orleans, october 2006
- 49 -
3. Se sentir en sécurité pour revenir…
Vivre ou re-vivre à la Nouvelle Orléans après le passage de Katrina est une nouvelle épreuve. Outre
le fait d’avoir les moyens de revenir 15 , pouvoir bénéficier des services de base et recréer une vie dans
ces quartiers abandonnés, est particulièrement difficile pour ces populations qui ne peuvent compter
que sur eux-mêmes et sur les solidarités naissantes. Se regrouper entre voisins pour lutter contre les
pillages et la violence fait aussi parti de la vie quotidienne. En effet, depuis longtemps, la criminalité à
la Nouvelle Orléans est un fléau. En 2002, par exemple, selon les statistiques du FBI, le taux de
criminalité était de 5.180 délits pour 100.000 habitants, soit bien au-dessus de celui de New York qui
était la même année de 2.973. Aujourd’hui, après Katrina, cette criminalité s’est amplifiée du fait de la
précarité des quartiers touchés par les inondations, les habitants se sont retrouvés complètement
démunis, se sont sentis abandonnés et sans espoir de retrouver un emploi. La violence vient alors
répondre à cette crise humaine et sociale auxquelles les plus pauvres sont confrontés et luttes pour la
survie. "La violence est pire que l'ouragan", explique Charles Cannon, professeur à l'université de La
Nouvelle-Orléans, qui est né et a grandi dans la ville. "La multiplication des attaques à main armée,
des vols de voitures, des cambriolages, des agressions en tout genre et des meurtres, et l'incapacité
des forces de l'ordre à agir sapent la résolution des gens à rester dans une cité où la vie est déjà
compliquée. Si les classes moyennes repartent et si les autres ont peur de revenir, l'avenir s'annonce
précaire." 16
15
16
En mars 2007 environ 190 000 personnes seraient revenues
Le Monde du 27 février 2007
- 50 -
Le rôle joué par la culture dans la reconstruction de la ville
« There is no waterline on music »
Allen Toussaint – Musicien de la Nouvelle Orléans
Port historique sur le Mississipi, la Nouvelle Orléans est l’héritière culturelle des nombreuses
communautés qu’elle abrite. A la Nouvelle Orléans, la culture imprègne tous les aspects de la vie
quotidienne et donne à la ville son ambiance unique. De multiples initiatives pour relancer la ville,
entreprises par des artistes mais aussi par de simples habitants des quartiers, montrent que cette
omniprésence insuffle une dynamique de reconstruction de type « bottom-up ».
1. Une empreinte forte sur le territoire : la « culture de quartier »
Quand on aborde les problématiques de territoire, la notion d’identité culturelle est omniprésente. A La
Nouvelle-Orléans, le contexte pluriethnique et multiculturel laisse apparaître une ville à plusieurs
visages et très cloisonnée: de Ninth Ward au French Quarter en passant par Gentilly, Katrina a mis en
relief des quartiers très différents les uns des autres, et fonctionnant avec un mode de vie propre.
Ceux-ci ont tendance à fonctionner en « autarcie » et à s'ignorer les uns des autres ; on observe
d’ailleurs une forte spatialisation des différences avec des quartiers ethniques – Lower Ninth Ward
avec une communauté afro américaine et populaire en majorité, les latino-créoles du french Quarter,
les plus riches, blancs ou créoles dans les quartiers Ouest comme Métairie et Audubon – et des
espaces publics spécifiques.
Mais au-delà de ces identités ethniques, qu’elles soient franco-louisianaise, cajun, créole ou afroaméricaine 17 , la « culture de quartiers » est très forte et laisse une empreinte sur le territoire qui
dépasse souvent les différences ethniques. Transgénérationnel, chaque quartier a son histoire et est
plutôt caractérisé par un niveau de vie socio-économique. Le sentiment d’appartenance à un territoire
favorise la création de liens forts entre les populations et les voisins qui y habitent.
Dix-huit mois après la catastrophe, alors que la reconstruction peine à se lancer dans des zones
pauvres ou populaires, des initiatives se mettent en place très localement avec une forte solidarité.
17
Cette dernière communauté représente 67% de la population de la ville.
- 51 -
Dans certains quartiers comme celui de Gentilly, les habitants reviennent peu à peu et s’entraident
afin de recréer un espace social et collectif, et quand des commerces renaissent, c’est tout un quartier
qui commence à revivre. A long terme, la redynamisation effective du commerce local est
inévitablement une des clés de la reconstruction.
Aux abords de Lower Ninth Ward, une école a été rebâtie et pourrait servir de centre de rencontre et
d’échange entre différents quartiers.
Pour autant, cette culture de quartier peut aussi être un frein et un handicap à la reconstruction. En
effet, alors que les plans de reconstruction se succèdent et préconisent de reconfigurer les quartiers
par des mesures de regroupement géographique sur les parcelles les plus élevées, comme le
clustering, les familles reviennent pour reconstruire leur quartier tel qu’il était avant Katrina et retisser
le même tissu social. On assiste alors au phénomène de la « Jack-O’ Lantern » où quelques maisons
reconstruites s’alternent avec des dizaines de maisons vides.
Aujourd’hui, ces relations interculturelles doivent se renforcer et faire l'objet d'aménagements
conscients, fondés sur une juste appréciation du relativisme culturel et du développement. Il importe
donc de mettre en valeur ces ressources culturelles locales dans le management de la reconstruction
pour être en cohérence avec ces cultures de quartiers, car c’est aussi cela, l’âme de La NouvelleOrléans.
2. La culture comme levier d’action économique
La dynamique culturelle de la ville et le sport ont attiré 10,1 million de visiteurs en 2004. Le tourisme
représente une industrie de 5,5 milliards de dollars, ce qui représente 40% des revenus de taxes de la
ville et des emplois pour 85000 personnes dans la région 18 . Le tourisme représente ainsi l’activité
économique la plus importante pour la ville 19 .
Cependant, même si la culture est présente dans tous les quartiers, l’activité touristique se concentre
principalement dans les quartiers situés au bord du Mississipi, à savoir le French Quarter, la partie la
plus ancienne de la ville, et le Central Business District. Alors que le French Quarter attire pour son
http://www.neworleansonline.com/pr/releases/citywide/pr_MGstats.pdf
Les activités liées au tourisme favorisent de nombreux emplois mais aux salaires peu élevés, (évalués
à 50 % en dessous de la moyenne nationale) ce qui oblige parfois les employés à assurer plusieurs
emplois pour maintenir le niveau de vie des familles au-dessus du seuil de pauvreté.
18
19
- 52 -
architecture, ses nombreux restaurants, ses bars et ses clubs, les attractions principales du CBD sont
ses musées (Museum of Contemporay Art, Ogden Museum of Southern Art, World War II D-Day
Museum) et le Superdome ainsi que l’arène de l’équipe locale de basket.
Même si ces quartiers n’ont que très peu souffert physiquement, leur fréquentation touristique a
notoirement baissé après le passage de Katrina, remettant en cause la survie de certaines de ces
entreprises. Cela n’est pas le cas du WWII Museum, qui a obtenu le feu vert pour son extension en
vue d’en faire le musée national sur la seconde guerre mondiale. Pour des observateurs européens,
la mise en scène de ce musée peut d’ailleurs sembler déplacé, voire choquant vis-à-vis des
populations pauvres qui n’ont toujours pas retrouvé de toit. En effet, ne vaudrait-il pas mieux attendre
pour réaliser l’extension et reverser une partie des fonds pour la reconstruction de la ville ?
Cependant, ce serait oublier la place importante de la Nouvelle Orléans dans l’histoire américaine de
la seconde guerre mondiale et donc que la place du musée en son sein est tout à fait justifiée. Cette
extension qui va remodeler toute une partie du CBD, offre de nombreuses opportunités pour le
quartier : une nouvelle cafétéria, un plan de circulation révisé et un bâtiment dont le design apportera
une touche d’esthétisme supplémentaire 20 .
Mais n’est-il pas dommage de ne
pas mettre en lumière les différents visages de la cité ? La
reconstruction de la ville offre des opportunités aux quartiers auparavant peu fréquentés d’intégrer
désormais une dimension touristique et ainsi de profiter aussi de cette manne.
3. La culture comme levier d’action sociale
Outre les opportunités économiques qu’offre la culture à travers le tourisme, de nombreuses initiatives
personnelles ou institutionnelles nous ont montré que la culture pouvait être un levier d’action sociale.
20
Ce quartier, en grande partie épargné par les inondations, est loti par de nombreux bâtiments abandonnés
depuis plusieurs dizaines d’années suite à la migration de certaines activités économiques comme les garages
vers la banlieue de la Nouvelle Orléans. Il trouve alors un intérêt particulier car il offre de nouvelles opportunités
pour une réhabilitation des bâtiments en habitations de haut standing.
- 53 -
The Basin Street Foundation
Pour Nick Spitzer de la Basin Street Foundation, “Culture is about people’s social relationship based
on art”. Cet humaniste passionné est persuadé que la culture a un rôle central à jouer dans la
reconstruction de la ville et la reconquête de sa ou ses identités, à travers son dynamisme et sa
capacité à fédérer.
Cette fondation où sont organisées des expositions de peinture, des concerts et autres manifestations
culturelles est conçue comme un lieu privilégier pour des rencontres, des échanges. Lieu de création
et de transmission, la Basin Street Foundation héberge aussi le programme radio « American
Routes » dédié à la musique américaine et qui explore des « roots », à savoir les origines de la
musique et des musiciens, et les « routes » que la création musicale peut prendre.
- 54 -
The Ogden Museum of Southern Art
Très rapidement après la catastrophe, l’Ogden Museum a réouvert ses portes pour organiser chaque
jeudi des jazz sessions et redonner un lieu de rencontre aux habitants de la Nouvelle Orléans.
Comme le précise Rick Gruber, le conservateur du musée, « in New Orleans arts and music can not
be separated ». L’art est aussi un moyen de transmettre des messages comme le suggère par
exemple l’exposition photographique présentée en mars 2007 sur les logements sociaux et l’hôpital
public (fermé suite au passage de Katrina) dans le but d’interpeller la population et les décideurs sur
ce problème épineux. Comme nous l’expliquait Rick Gruber, même si le rôle premier d’un musée n’est
pas de faire du social, le musée dispose des locaux pour se placer en forum de discussion sur l’avenir
de la ville.
Musician’s village dans le Upper Ninth Ward
Le Musician’s village est une initiative citoyenne entreprise par deux musiciens renommés de la
Nouvelle Orléans, Branford Marsalis et Harry Connick Jr., en partenariat avec l’ONG Habitat for
Humanity.
- 55 -
Le projet consiste à reconstruire un quartier de musiciens et de familles à revenus modestes autour du
Ellis Marsalis Center for Music, un centre dédié à l’éducation musicale et générale. Il est prévu de
construire plus de 300 habitations dans ce quartier dans les années à venir.
La richesse et la teneur de ces différentes actions montrent comment la culture se révèle être un levier
efficace pour mettre en place des actions de champs et d’ampleur divers. Ainsi, il s’agit de réfléchir à
un système où les autorités locales pourraient interagir au travers de décisions adaptées en
capitalisant sur les ressources culturelles locales pour permettre aux habitants de chaque quartier et
Parish de se réapproprier leur ville et de s’aménager leur cadre de vie.
Nous l’avons bien compris « people come here because they like the culture ».
- 56 -
Reconstruire ou recréer la société ?
L’enjeu affiché par la ville est celui d’une reconstruction plus forte et plus durable de la Nouvelle
Orléans. Le cyclone Katrina a fait plus qu’inonder des rues et détruire près de cent mille maisons : il a
porté un coup terrible à une cité mythique, sanctuaire d’une population aux traditions et au patrimoine
linguistique d’une exceptionnelle richesse. Au-delà d’une catastrophe matérielle sans précédent dans
la région, c’est un bouleversement humain qui a résulté, provoquant mille cinq cent morts, six mille
disparus et le départ de deux cent mille personnes de cette ville de quatre cent quatre-vingt mille
habitants.
L'art à l'image du melting pot de la ville
Outre la nécessaire reconstruction matérielle de la ville, l’enjeu fondamental qui se joue ici est
d’identifier et d’organiser le type de société que l’ouragan donne aujourd’hui l’opportunité de recréer.
Katrina a-t-il créé une disparité entre les quartiers ou accentué un phénomène déjà à l’œuvre ? Avant
l’ouragan, préexistait des déséquilibres par quartiers du fait de l’historique des constructions. Déjà,
- 57 -
celles-ci conditionnaient une hétérogénéité des zones. Enrichis du bon sens et de l’expérience des
crues du fleuve Mississipi, les anciens ont originellement construit sur les sites géographiques les plus
élevés. Y résident à l’heure actuelle les populations les plus aisées et plutôt blanches. Le French
Quarter et le Garden District devenus à présent pour l’un la principale attraction touristique de la ville,
pour le second le quartier des luxueuses constructions coloniales, témoignent de l’ancien régime
d’avant la guerre de sécession ; et forment ensemble le cœur de la mémoire de la ville.
- 58 -
Lorsque la ville a été inondée à 80%, ce sont en masse les quartiers les plus pauvres qui n’ont pas
résisté. Si les quartiers résidentiels de Holy Cross, Esplanade Ridge, Broadmoor, Carrollton, et
Jackson Barrack ont été recouverts à hauteur de six pieds, ceux encore plus fragiles localisés près du
Lac Pontchartrain tels que Jefferson Parish à l’ouest, Lakeview, Gentilly, et New Orleans East ont été
totalement submergés jusqu’à neuf pieds. Cela tient au fait que ces quartiers plus récents ont été
construits à la hâte dans des zones présentant des risques, et n’ont pu bénéficier du résultat des
stations de pompage construites à l’époque sans prévision de l’étalement urbain.
Suite à l’ouragan, l’accent est de mise sur la reconstruction de la ville et la réhabilitation des quartiers.
Mais les réhabilitations les plus rapides ont été concentrées dans une large mesure sur les quartiers
anciens présentant un intérêt patrimonial et touristique pour la ville. Cette dernière a davantage été
soucieuse en effet de conserver une architecture qui raconte l’entremêlement et la succession des
cultures françaises aux accents acadiens (ou cajun), les colonnades classiques aux balcons en fer
forgé d’influence hispanique, et la culture afro-américaine vestige des anciennes plantations de coton
et de canne à sucre.
Quant aux quartiers de périphérie, formés de maisonnettes en bois de dimension variable, héritage
également mais plus exclusivement de la culture afro-américaine, peu de réhabilitations ont été
réalisées. Parler de réhabilitations relève d’ailleurs d’un euphémisme lorsqu’à cet endroit tout doit être
reconstruit : maisons, écoles, services de proximité et commerces qui participent de la vie d’un
quartier 21 . La vie a alors déserté et n’a pu revenir depuis l’ouragan. Cela tient notamment au fait que
les seules aides distribuées par l’état ne semble pas avoir visé le retour de cette population qui
représente peut-être un attrait économique insuffisant puisque la moins riche de la ville. Les seules
aides accordées aux plus pauvres l’ont été par la FEMA (Federal Emergency Management Agency)
mais en dehors de la ville ou à travers l’attribution de « road home », sorte de caravane qui tient lieu
de foyer près de la maison détruite.
Dégradés à près de 95%, les infrastructures réservés aux services d’éducation et de santé publique
notamment, n’ont pas été remis en fonctions et cela d’autant plus que les personnels ont fuis la ville. En
mars 2007, seulement 56 écoles publiques sur les 127 initiales à la Nouvelle Orléans ont été réouvertes (I.
Maret).
21
- 59 -
- 60 -
Globalement depuis les évènements de Septembre 2005, peu de reconstructions ont été réalisées. La
population s’est alors sentie abandonnée face au manque de volontarisme et la difficile coordination
des pouvoirs publics. Plus particulièrement, le traitement de la tempête n’a pas été le même selon les
quartiers et a même accentué les disparités préexistantes souvent génératrices de violence. Les
populations les plus riches ont alors pu reconstruire quelques maisons plus sûres sur pilotis, voire ont
pu faire appel à des architectes afin d’intégrer de nouvelles techniques et des matériaux durables 22 .
Les plus pauvres en revanche, ne peuvent dans la plupart des cas reconstruire ou ont été sommés –
habitants des logements sociaux notamment – de ne pas revenir dans leurs anciens lieux de
résidence. Ces constructions sont pourtant en briques, ce qui leur confère un caractère davantage
durable face aux tempêtes. L’argument d’échapper aux squats ou de reconstruire différemment est-il
alors valable lorsque d’autres constructions plus fragiles sont autorisées ? Eviter le retour de ce type
de population sous l’argument d’une future réhabilitation n’est-il pas un prétexte à éloigner celle-ci ?
Ainsi au regard du mode de traitement par les pouvoirs publics de l’après–Katrina, on peut légitiment
s’interroger sur ce qui est véritablement recherché par ces derniers. En effet, force est de constater
que certains quartiers sont laissés à l’abandon. Dans ce contexte, la redistribution des aides serait
alors corollaire à une forme de redistribution de la population. Les disparités des reconstructions
relèvent-elles du simple « laisser-faire » propre à l’économie de marché ou d’une stratégie qui vise à
sélectionner les citoyens les moins vulnérables?
En définitive, Katrina constitue-t-il pour la Nouvelle Orléans l’opportunité pour les pouvoirs publics de
créer une nouvelle société aux contours plus reluisants, plus riche, soit plus « attractive » ?
Le cas « sensible » des habitats sociaux
Avant Katrina, 14 000 familles soit 49 000 personnes vivaient dans des logements sociaux ou public
housing ou bénéficiaient d’aides pour le paiement de leur loyer. Aujourd’hui, 18 mois après Katrina, on
compte jusqu’à 80% des public housing fermés par les autorités publiques et une augmentation très
importante des charges (eau, électricité) 23 . L’objectif des autorités publiques chargées du logement,
dont la décision était antérieur aux événements de Katrina, étant de les démolir et d’en reconstruire de
Notons aussi que le processus de reconstruction est une aubaine pour différents acteurs privés
comme cet architecte qui développe des projets de construction de haut standing toujours envisagées
dans des zones vulnérables et participant à l’accentuation d’une ségrégation des populations et
d’exclusion des moins riches.
23 Tribune, février-mars 2007
22
- 61 -
nouveaux mais en plus petit nombre. Par conséquent, les familles les plus pauvres ne pourront pas
retrouver de logement dans la ville.
Logements sociaux condamnés et interdits d’accès
L’initiative individuelle comme palliatif à l’absence des pouvoirs publics
Un des aspects les plus remarquables à la Nouvelle Orléans, et sans doute général à l’ensemble des
Etats-Unis, est l’esprit d’entreprise individuel. Pour les habitants toujours présents sur le territoire, la
conscience et la responsabilisation envers son propre devenir constitue le plus souvent ce qui est
d’ailleurs à l’origine des quelques reconstructions à l’œuvre dans les quartiers de la périphérie. On
retrouve dès lors cet état d’esprit du « self made man » qui a participé aux fondements, voire à la
croissance de cette nation et qui a forgé sa fierté. Toutefois, la rencontre des individus permet de
saisir en filagramme que cette culture est aussi la résultante du laisser-faire inhérent à l’économie de
marché. C’est en effet parce que l’état n’est pas présent, et c’est à défaut d’une aide des pouvoirs
publics que chacun cherche à se relever, parce qu’il y va tout simplement de sa survie personnelle.
On peut d’ailleurs parler à cet égard d’une forme de résilience de la population car ce qui est
manifeste est la capacité que cette population a à renaître de ses cendres. Comme le confirmerait
- 62 -
Boris Cyrulnik, les Nouveaux Orléanais étonnent par leur ressort, leur capacité à rebondir face à un
évènement qui aurait pu les anéantir. Sans sombrer dans le pathos lié au traumatisme de la
catastrophe, ni sans le nier, il s’agit de ne pas rester dans un statut de victime. Si l’état n’aide pas,
alors chacun profite de n’importe quelle main qui serait tendue - pour autant qu’il y en ait une - afin de
se relever.
De la sorte, les individus s’organisent, le plus souvent à l’échelle des quartiers ou des communautés
car c’est à cet endroit que la solidarité se développe. Une entraide naît au niveau des individus,
souvent d’ailleurs par identité culturelle. On remarque nonobstant un certain hermétisme entre les
quartiers : la reconstruction ne s’effectue pas à l’échelle de la ville dans sa globalité. Les constructions
individuelles restent éclatées, hétérogènes, sans échange, sans mutualisation sur le savoir-faire dans
une optique de durabilité. Ceci en parti parce qu’il n’existe pas d’instance centralisatrice qui permette
de fédérer l’ensemble des paroisses de la ville.
- 63 -
A la recherche du « bon temps rouler » perdu
La Nouvelle Orléans est riche de son passé. Il est de notoriété commune de considérer la ville comme
un lieu où il fait bon vivre, où le jazz coule à flots, ou l’esprit est léger et festif mais pas seulement ;
une ville intégrée à l’état de Louisiane où l’esclavage était en vigueur il y a deux cent ans et qui lui a
conféré une profondeur d’où elle tire son soul (son âme).
L’autre aspect remarquable de la population est précisément cette recherche du passé. Chacun tente
de reconstruire, de retrouver le bonheur perdu d’avant la catastrophe. Ainsi, dans l’esprit des
habitants, l’objectif est précisément de rétablir la ville à l’identique du passé. Comme les cajuns ont
longtemps pleuré leur Acadie perdue (ancien Québec), les nouveaux orléanais recherchent ce goût,
ce parfum du passé où on laissait le « bon temps rouler ». Les tempêtes dans cette région font en
quelque sorte partie du décor. Les habitants l’intègrent et entendent faire avec, unique « nuage » à
cette région tellement agréable. A cet égard, on remarque que les divers ouragans qui traversent la
Louisiane en moyenne tous les six mois, et plus particulièrement Katrina, sont appréhendés comme
de perpétuelles répétitions. Il ne semble pas exister à ces occasions de véritable apprentissage de la
population qui naîtrait de l’expérience des destructions et de la fragilité des nouvelles constructions.
Ainsi les habitations sont invariablement reconstruites à l’identique : posées sur le sol et bâties en bois
telles de grandes cabanes. Si la forme de ces dernières s’explique également par le manque de
moyens de la plupart des foyers, et l’existence de taxes exorbitantes à la reconstruction, on remarque
néanmoins que cette population ne cherche pas à inventer le futur. C’est une société
fondamentalement tournée vers le passé, qui use de sa richesse initiale, mais dont la pérennité est
aussi conditionnée par la capacité qu’elle aura à se recréer. La Nouvelle Orléans est en effet
menacée de ne pas survivre un jour à une nouvelle catastrophe telle que Katrina. Car sa capacité à
renaître est-elle indélébile ? En ce sens, vivre à la Nouvelle Orléans est-il durable si les conditions de
vie sont systématiquement mises à mal.
En conséquence au-delà du traumatisme, la population doit parvenir à tirer les leçons du passé. De
même, il n’y a pas d’adaptation de la ville aux conditions climatiques particulières auxquelles elle est
exposée. Ainsi, il serait opportun pour les pouvoirs publics d’adopter une gestion de la cité (au sens
antique du terme), qui maximise le potentiel géographique en vue d’une meilleure harmonie des
usages, des bien-êtres et des évènements climatiques. Proposer un développement urbain qui
s’intègre véritablement dans un système où fonctionnent en interaction permanente topologie du
terrain, urbanisme, économie, écologie et reconnaître les particularismes identitaires des hommes qui
- 64 -
vivent sur ce territoire. La population constitue en effet une partie prenante à consulter dans son
ensemble et à intégrer nécessairement dans les décisions politiques à venir.
La Nouvelle Orléans doit quant à elle, forcer son ouverture à la modernité et par là, se tourner
radicalement vers l’avenir, tout en capitalisant sur la richesse de son histoire. Fondamentalement, elle
doit saisir l’extraordinaire opportunité qui se présente aujourd’hui à elle de non seulement se
reconstruire, mais de créer une nouvelle société.
- 65 -

Documents pareils

Reconstruire ou abandonner la Nouvelle Orléans ? Les

Reconstruire ou abandonner la Nouvelle Orléans ? Les zones à reconstruire de celles abandonnées à la nature. Les différentes opinions sur le tracé de cette ligne en disent aussi long sur les personnes (et leur sensibilité scientifique, économique, so...

Plus en détail