Lago, self-made rapper

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Lago, self-made rapper
Lago, self-made rapper
Samedi après-midi, au cœur de Paris, la rappeuse connue sous
le blaze “Lago de feu” m’accueille chaleureusement dans son
appartement. Café, tisane, et clopes au bec, cette addict’ de
rap, de sport, de “biff”, de scène, d’art, de mots, de
visuels, de lectures, de pâtes, de tatouages, et de Gucci Mane
(sacrée panoplie, n’est-ce pas ?), me raconte son parcours,
son univers. Portrait.
Photo crédit
Bretez
–
Florian
Je suis enfin ce que j’ai toujours rêvé d’être, un tyran
assumé. Je contrôle tous les tenants et les aboutissants de
mon métier.
Donc à priori, quand t’es une femme et que tu as 30 ans, t’es
pas censée rapper ? Eh bien Lago de feu, ou Lago, c’est la
preuve en personne du contraire. “Si ça peut être le métier
des autres, ça peut aussi être le mien”. Ok, mais qui est
cette “go” alors ? Lago, c’est une battante, une warrior avant
tout. Très tôt, elle écrit pour évacuer sa colère, jusqu’au
jour où elle découvre des “prod’s“, souvent des instrumentales
de trap, et se met à rapper dessus. “123€ pour un home
studio” plus tard, Lago entre dans le rap game français. Dans
ses textes, Lago reste généralement fidèle aux thèmes suivants
: le sport, l’argent, la discipline et ses expériences.
Après deux années de travail acharné, Lago de feu siège enfin
sur la chaise vide de Diam’s.
Son visage masqué par des verres sombres, Lago, c’est aussi un
personnage. Voire un concept, à la fois charismatique et
mystérieux. Par ce biais, et au-delà du clin d’œil à
ses héroïnes de référence (Mathilda dans Léon, Nikita ou
encore Lara Croft) qui ont pour point commun leur rôle
de gangsters,
elle souhaite être jugée moins sur son
apparence que sur son travail. Attention donc, il ne s’agit
pas d’une imposture.
Gangsters ? Rap ? Là, vous pourriez vous demander : qu’est-ce
qui lie une habitante du 6ème arrondissement de Paris et le
rap des rues ?
1) Justement, la rue, sa diversité.
Elle s’y sent libre,
mieux que dans l’univers où elle a grandit, qu’elle
décrit comme “un peu guindé, un peu bien-pensant, un peu
hostile à la mixité”.
2) Sa personnalité de “hustler”. En effet, elle commence à
travailler très jeune, dès ses 15 ans. Lago devient donc
rapidement, “[s]on propre patron, [s]on propre coach” et
commence à obtenir son “oseille” par tous les moyens. La
débrouillardise et la curiosité la caractérisent.
3) Sa rage. Lago demeure prisonnière de sa colère, de ses
émotions, et de son ambition ; le rap constitue ainsi son
exutoire, son art, son défi.
La rappeuse parisienne puise dans l’art en général, dans les
tourmentes de sa vie, mais aussi dans la vie des autres. “Je
suis une éponge de mon environnement. […] J’ai besoin de me
nourrir beaucoup. Mais heureusement il y a Tumblr. [rires]“.
Musicalement parlant, ses influences sont Gucci Mane, Gangta
Boo, ou encore Alpha 5.20.
Un mot d’ordre pour contrôler ses addictions : la discipline.
Le sport et le rap sont intimement liés dans le sens où tu
passes beaucoup de temps à tourner en rond avant d’avoir un
moment de grâce.
Quant à l’addiction au biff : “On te vend du rêve, mais on ne
te donne pas les techniques pour être riche. Du coup, en
parlant de mon rap, de mon sport, je montre que c’est par la
rigueur que j’arrive à être un bon hustler et à faire des
sous. Ça m’a permis de faire plus de projets aussi, ce n’est
pas de l’argent pour m’acheter des sapes et des machins, c’est
l’argent pour payer le loyer ! [rires]. C’est pour être
autonome, et ne pas attendre qu’on s’occupe de moi.”
Lago reconnaît avoir beaucoup souffert de ses déceptions,
notamment professionnelles et émotionnelles. “Le 6ème, ça
brille, c’est clinquant, mais…”, mais cela n’exempte pas ses
habitants de tourmentes.
Manifesto XXI – Que penses-tu de la religion ?
Je vois toutes les opportunités qu’on me propose comme un
cadeau. Je crois qu’on est dans une société où on n’est jamais
satisfait de ce qu’on a, et je suis trop reconnaissante. Je
suis quelqu’un de très croyant. Je considère que tout ce qui
m’est arrivé avait une raison. Dans les moments difficiles, je
puise l’énergie dans ce qui m’est arrivé de positif. Je m’en
fous que les gens qui m’entourent soient là-dedans ou pas. Ça
me fait grave du bien. […] Et puis c’est mon pote, c’est mon
gars sûr quoi [rires], et puis j’aime beaucoup Sainte-Thérèse
aussi, c’est ma go sûr ! Et ça m’a aussi aidée à assumer qui
j’étais.
Manifesto XXI – Qu’est-ce que tu dirais aux femmes qui se
retrouvent dans ta musique et qui commencent à écouter du rap
alors qu’elle n’en écoutaient pas forcément avant ?
Fais-toi confiance, écoute-toi. Toutes les réponses à tes
questions tu les trouveras à l’intérieur de toi, jamais dans
les autres. Je ne sais pas ce que c’est d’être un homme, mais
je crois que nous les femmes on passe beaucoup de temps à se
confronter aux inégalités du monde. Mais tout ça pour moi
c’est du bullshit qui se met entre toi et ton ambition. Tapetoi jusqu’à la mort pour tes idées.
La plupart de ses textes pourraient vous laisser penser que
Lago porte une certaine conviction féministe, or elle ne se
revendique pas comme telle. Elle refuse de lancer des
injonctions aux jeunes filles, en particulier en ce
sens qu’elle considère qu’elle ne fait rien pour les femmes,
or selon elle être féministe, c’est militer, ou du moins agir
concrètement. En outre, elle se définit comme apolitique, et
selon elle, en 2016, “il vaut mieux être égoïste que
féministe. […] Je me tape autant pour les femmes que pour les
hommes. Mais surtout pour moi.” Car Lago souhaite avant tout
se défendre.
Manifesto XXI – Tu peux nous parler de féminisme ?
Je crois que le rap met en lumière les écarts qu’il y a dans
la société. Si un rappeur insulte une meuf, c’est parce que la
société lui dit qu’il a le droit de le faire ! Moi j’insulte
tout le monde, mais en même temps, en tant que femme, je crois
que je m’autocensure vachement plus qu’un homme.
Manifesto XXI – Explique-nous le concept du gang de go.
Le gang de go c’est toutes ces éminences grises, toutes ces
femmes que je rencontre et que je trouve géniales, et qui ont
le même ADN que moi, c’est-à-dire qui se battent, quoi. Et
puis c’est aussi des filles que j’ai rencontrées qui venaient
s’entraîner avec moi. Le principe du gang de go, c’est : t’as
besoin d’un truc, t’appelle un membre du gang de go. L’idée
c’est de faire du réseau, c’est une mini-mafia [rires].
Manifesto XXI – Parle-nous de l’amour, pourquoi tu dis
“l’amour me trouble, alors je fais du cash”?
J’ai peur d’être amoureuse, de perdre pied, et de ne plus être
focus sur ce qui est vraiment important, c’est-à-dire ma
survie, aller faire mon oseille, aller faire mon sport, aller
faire mon rap. Donc je fais attention. Après je pense que le
vrai amour, c’est pas celui qui te détourne de ce que tu veux
faire. Je sais que je sais faire de l’argent, je sais que je
sais faire du sport, je sais que je sais faire du rap, mais
être amoureuse, je prends un peu des pincettes avec ça. Mais
j’adore la drague ! Après, rares sont ceux qui osent draguer
la rappeuse ! [rires]
Manifesto XXI – Tu es franco-écossaise, bientôt du rap en
anglais ?
Pas pour l’instant, j’ai envie de parler aux gens en français.
J’adore l’argot français. La culture que je me suis faite est
parisienne, ghetto-gâteau mélangé, même si du côté de ma mère
c’est la culture anglaise et que j’ai grandi un peu au
Portugal… ça manque tellement une rappeuse qui dit les vrais
trucs en français, depuis Diam’s y’en a pas eu, que du coup je
pense que c’est là qu’il faut être, et c’est là que j’ai envie
d’être.
Lago apprécie les styles des rappeurs français Alpha 5.20,
Kaaris, ou encore Niro, pour leur maîtrise du verbe ou leur
style singulier. Cependant, par “hygiène” elle n’écoute pas de
rap français : elle est elle-même dans le “game”, elle refuse
de s’en influencer.
Manifesto XXI – Avec qui aimerais-tu faire un feat ?
MC Bin Laden, un Brésilien qui fait du Baile Funk. Bizarrement
rapper en portugais ne me fait pas peur. J’ai habité au Brésil
donc je sais comment on parle là-bas.
Manifesto XXI – Comment tu choisis tes instrus ?
C’est elles qui me choisissent. Tu vas écouter 50 instrus, et
y’en a une, tu vas l’entendre, et directement tu vas te mettre
à écrire. Sur elles, j’ai envie de me coucher, comme disent
les mecs [à propos des femmes, ndlr][rires].
Manifesto XXI – Les autres types d’art du moment.
Aujourd’hui je fais du rap mais demain je ferai autre chose.
J’irai où l’inspiration me porte. L’art, c’est la meilleure
nourriture pour l’âme et le cerveau.
Lecture : L’inconsolée ;
Artiste mosaïste : Pier Esparre ;
Photographe : Guy Bourdin ;
Tatoueuse 2.0 : Diana Buraka ;
Dessin – Diana Buraka pour
Lago 2 Feu
En résumé, Lago, c’est tout un paradoxe. Lago est chaleureuse,
mais déclare ne pas aimer beaucoup de monde et son rap est
relativement agressif. Lago fait du sport, mais fume comme un
pompier. Lago est très croyante, mais reste une self-made
woman, qui réussit grâce à la discipline qu’elle s’impose.
Lago dans ses textes semble tenir des propos relevant d’une
certaine conviction féministe (du genre “J’me bats pour la
parité”), mais ne se déclare pas publiquement comme telle.
Lago rappe en français, mais n’écoute pas de rap français.
Lago est la fondatrice du gang de go, mais dans son équipe,
que des hommes. Lago a de l’ambition, mais cache son visage.
D’ailleurs, pourquoi chercher à tout prix à la dévoiler
? Pourquoi ne pas se contenter de se reconnaître dans sa
musique, ce qui justement est plus aisé avec son masque,
pouvant correspondre finalement à n’importe qui ?
Prochain live – le 27 janvier à Paris à la Gaîté Lyrique
Prochaine mixtape – printemps 2016
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