LES HAÏTIENS ARRIVENT-ILS EN REPUBLIQUE DOMINICAINE
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LES HAÏTIENS ARRIVENT-ILS EN REPUBLIQUE DOMINICAINE
LES HAÏTIENS ARRIVENT-ILS EN REPUBLIQUE DOMINICAINE "COMME PIERRE À SA MAISON" ? (¿Llegan los haitianos a República Dominicana «como Pedro por su casa» ?) Matías Bosch Carcuro Julliet 2015 Une immigrante haïtienne dédiée à la vente informelle de produits comestibles sur l’avenue principale de la capitale dominicaine. "Como Pedro por su casa" ("Comme Pierre à sa maison") est une expression que l'on utilise dans la langue espagnole pour se référer au comportement d'une personne ou d'un groupe de personnes (Pedro, Pierre) qui entre et se meut à ses aises dans un lieu (casa, maison), en profitant, bénéficiant et en usant de tout ce qu'il y a dans celle-ci sans compter sur la permission des maîtres ou des propriétaires et sans regard, prudence et respect des normes ou limites que ceux-ci ont établies pour les personnes qui y sont étrangères. Étant donné qu'a été récemment utilisé cette expression (qui s'ajoute déjà à d'autres pré-existantes comme celle “d'envahisseur" par exemple) pour se rapporter à comment les immigrants haïtiens arrivent et s'établissent en République dominicaine - particulièrement les "sans-papier" -, nous avons considéré opportun d'offrir quelques données et certaines réflexions pour remettre en question une semblable allocution à ce sujet et la nécessité de comprendre plus justement et d'une manière objective le processus migratoire de l'île. 1) Entre 1986 et 2009, la République d’Haïti avait vécu la fin d'une tyrannie, quatre coups d'État, deux interventions politico-militaire, un embargo pétrolier et commercial, parmi d’autres calamités et des politiques néo-libérales des États-Unis qui ont détruit la production alimentaire nationale (pour laquelle le même Bill Clinton a publiquement demandé pardon). S’ajoute à cela, en 2010, Haïti a subi la catastrophe la plus destructive de l'ère moderne à l’échelle mondiale : un tremblement de terre de 35 secondes qui a tué 300 mille personnes, a terminé avec l'équivalent de 120 % de son PIB, a abattu les édifices institutionnels principaux et a enterré 30 % de ses fonctionnaires. Ensuite, 8000 personnes mourraient du choléra alors que le nombre d’infectés atteint les 800 mille. Ainsi, et tout cela, en 2011, les Dominicains se rendirent compte que, tandis que le Corps Spécialisé de Sécurité du Métro (CESM) comptait sur un budget de 109 millions de pesos, le Corps Spécialisé de Sécurité Frontalière (CESFRONT) créé en 2006 disposait à peine de 77 millions de pesos. Durant toutes les années suivantes, incluant 2015, le budget du CESM a continué d'être plus élevé que celui du CESFRONT, lequel ne correspond qu’à seulement 1.15 % du budget assigné au Ministère de la Défense. Selon le Budget Général de l'État, les actuels 230 millions de pesos du CESFRONT représentent 0.04 % de l'argent total de l'administration publique. Cela implique les deux instances les plus importantes de l’État, le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif, et avec cela tout le système politique dominicain. Ceci concorde-t-il avec la crise absolue qui a traversé le côté ouest de l'île et le degré de "priorité maximale" qu’a l'immigration haïtienne dans le discours politique et des médias locaux ? 2) Depuis qu'existe la Déclaration Universelle des Droits de l'homme et sa version régionale, la Convention Américaine (Pacte de Saint-Joseph) de 1969, la santé et l'éducation ne sont pas considérés être des “cadeaux” . Tout État est obligé de les garantir à tout être humain qui est sur son territoire qu'importe s'il provient de la France, du Mozambique, des Philippines ou du Pérou. En partant de cette base, il vaudrait la peine de clarifier que selon l'Enquête Nationale sur les Immigrants de 2012 (source unique d'information sur l’immigration en République Dominicaine grâce à la collaboration ONE-Nations Unies - Union Européenne), les immigrants dans le pays apportaient autour de 5.4 % du PIB, ceci est environ 3300 millions de dollars selon l'actuel PIB . De ces immigrants, 87 % sont des haïtiens et haïtiennes et gagnent en moyenne la moitié du salaire que perçoit l'autre 13 % d'immigrants non haïtiens. Eh bien, si nous additionnons la dépense publique en santé et en éducation pré-universitaire de 2015, nous verrons que ce sont à peu près 3955 millions de dollars, et que de ceux-là, selon les estimations du Ministère de Santé Publique et du Ministère de Education (MINERD), les immigrants haïtiens et haïtiennes de passage bénéficient tout au plus (en étant très optimistes) d'environ 150 millions de dollars. En résumé, les immigrants Haïtiens et Haïtiennes apportent économiquement dans le pays l'équivalent de 72.6 % de tout ce que l'État destine à la dépense en santé publique et en éducation publique non universitaire, et "consomme" à peine 2.9 % de ces ressources de dépense sociale. Sous ces conditions, peut-on soutenir que les attentions à la santé et l'éducation que les immigrants haïtiens reçoivent sont "retirées" comme une "charge" pour les Dominicains ? C'està-dire, qu’ils ne le gagnent pas mais que ceux-ci sont un “cadeau” et non un droit ? 3) Selon Index Mundi, des 221 pays considérés, Haïti occupe la 190e place des pays qui reçoit le moins de population et dont le plus de population sort à l'extérieur, avec une perte populationnaire avec des migrations de -4.12 . La République Dominicaine n'est pas à ce niveau, mais sa place est la 164e : la population dominicaine migrante est supérieure à la population qui arrive au pays, ce qui donne comme résultat une perte de population de -1.93. La Colombie, une nation fouettée par une guerre interne de plus de 50 ans, avec des millions de déplacés, morts et disparus, est à la place 139 c'est-à-dire à 35 places au devant de la République Dominicaine. Selon les données de l'ONU, déjà en 2013, 11.4 % de la population haïtienne et 11.5 % de la population dominicaine avaient migré. Selon le gouvernement des États-Unis, entre 2000 et 2009, 203 mille Haïtiens et 291mille Dominicains sont devenus résidants permanents aux ÉtatsUnis ; 132 mille Haïtiens et 217 mille Dominicains se sont naturalisés Américains entre 2003 et 2012. La raison est très simple : les Dominicains - comme presque tous les originaires des pays soumis au sous-développement et pillés durant des siècles - cherchent de meilleures opportunités ainsi qu’à aider leurs proches. En 2010, les Haïtiens qui vivent à l'extérieur ont envoyé à leur pays 1300 millions de dollars, soit autour de 25 % du PIB. En 2013, les Dominicains ont envoyé au pays des remises de 4200 millions de dollars, le 63 % depuis les États-Unis et Puerto Rico. Un immigrant haïtien travaillant dans la construction d‘un édifice dans un quartier de classe moyenne-supérieure à Santo Domingo. Ces trois paragraphes ont été écrits pour mettre en perspective les dernières déclarations officielles se rapportant aux immigrants haïtiens et haïtiennes comme les personnes qui ont traversé vers la République Dominicaine "comme Pierre à sa maison", l'expression parlée que l'on utilise dans toute la langue espagnole qui se réfère à quelqu'un qui agit de manière familière et sans réserve, en prenant et s’occupant de ce qui ne le regarde pas, et sans se préoccuper de respecter les normes des maîtres d'un lieu. À cela s’ajoutent les remarques appelants les immigrants comme "une charge", "un fardeau", "une situation qui est arrivée à sa limite", une population provenant d'un pays dans lequel ils ne trouvent rien et se retrouvent "délaissés" à chercher des "opportunités” qu'ils n'ont pas dans leur pays. Pourquoi l’insistance de traiter un sujet si sérieux et délicat en laissant de côté les explications rationnelles et ayant recours aux termes comme “illégaux”, le sujet des “accouchements” des mères haïtiennes en RD et jusqu’à “invasion”, que ce qu’ils gagnent d’abord est déshumaniser et criminaliser l’immigrant dans l’imaginaire de la population ? Pourquoi insister sur la migration comme explication des déficits des services publics, incluant avancer des données sans fondements et ne pas plutôt se demander, par exemple, pourquoi en République Dominicaine, la santé et l’éducation du peuple ne compte seulement qu’avec le 6.3% de toute l’immense richesse produite, un maigre 6.3%, lequel le même peuple le finance avec le quatrième ITBIS le plus élevé du continent avec une dette déjà gonflée au 50% du PIB ? Que dire sur tous les noyés et dévorés par les requins dans le Canal de La Mona ... Ce serait qu’ils essaient “d’envahir Puerto Rico” ? Comment ne pas parler des centaines de dominicains qui se sont incorporés dans l’invasion yanqui en Iraq et en Afghanistan cherchant la récompense de “la citoyenneté américaine” et qui, jusqu’à mourir en essayant, comme le jeune Juan Alcántara, avec le seul objectif d’ensuite être policier, pouvoir étudier et que sa fille puisse avoir une vie bien assurée ? Peut-être les données offertes, faciles à trouver, permettent de réfléchir. Les immigrants haïtiens, au milieu d'une crise de trente ans et une catastrophe sans égal, ont croisé une frontière, abandonnés à leur sort par les institutions et le système politique dominicain, et cela est visible dans des choses concrètes et mesurables comme le budget de la protection frontalière malgré le fait que la réalité demandait tout l'opposé. Encore moins de sens serait de parler des immigrants comme familiers et imprudents qui croisent "de ce côté", si, dans la première opportunité qu'ils ont eu de régulariser leur statut social, presque 300 mille se sont présentés à l’appel, selon ce que le propre gouvernement informe et exalte, desquels tout au moins 80 % sont sûrement immigrants haïtiens et qu’ils l’ont fait au milieu de toutes les difficultés du monde. D'un autre côté, les immigrants haïtiens ne reçoivent pas de “cadeaux”, les Droits de l'homme les assistent et ils produisent des richesses immenses avec la sueur de leur front et dans des conditions salariales rayées de surexploitation. De plus, même si le peuple dominicain reçoit lui-même des miettes de la richesse nationale comme dépense sociale, les immigrants, avec de la chance, accèdent à de petites, infimes parties si on les compare à l'évaluation de leur activité économique. Les immigrants ne vivent pas très différemment de la grande majorité des travailleurs dominicains dont la réalité quotidienne dans leurs foyers est loin de la croissance, d'une économie inégale concentrée dans peu de mains, tant des revenus que de la satisfaction des droits. Finalement, si, de fuir la misère et chercher des opportunités dans d'autres pays se traite comme mesure de "l’abandon" des gouvernements et des entrepreneurs, il serait recommandé de porter le regard sur les décennies de migration dominicaine incessante - dans beaucoup de cas indocumentée, comme les “boat people” (yoleros)- . Cela peut nous aider non seulement à comprendre ceux qui arrivent sur cette terre, mais aussi, à nous regarder dans le miroir, assumer la responsabilité pour la vie de plus d'un million de compatriotes qui ont abouti à un exil d’un nouveau type, desquels nous recevons les devises et nous paraîtrons ne pas nous refléter comme un pays qui flotte dans ses richesses et qui continue à expulser une population en déchirant des familles remplies de désespoir. De grandes leçons et de nouvelles idées pouvons nous tirer de penser à tout cela.