MYELOPATHIES CERVICARTHROSIQUES
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MYELOPATHIES CERVICARTHROSIQUES
MYELOPATHIES CERVICARTHROSIQUES P. Antonietti, Clinique Jouvenet - Paris Introduction L’arthrose cervicale entraîne des proliférations osseuses aboutissant à des compressions du contenu rachidien, ce qui peut entraîner des symptômes neurologiques : des névralgies cervico-brachiales (NCB); des compressions de la moelle, ou myélopathies cervicarthrosiques (MCA), avec leurs risques propres, et qui peuvent s’associer aux NCB. Leur définition est essentiellement clinique. Les myélopathies cervicarthrosiques constituent une pathologie grave, exposant les patients à des complications neurologiques sévères, d’évolution imprévisible, parfois aiguë, et de récupération incertaine. Il a été observé des tétraplégies définitives après un traumatisme minime, chez des patients porteurs d’une MCA connue. La chirurgie trouve des indications incontestables, mais comporte des risques neurologiques. Dans certains cas, la question est de savoir si le risque évolutif est plus important que le risque de la chirurgie. Il faut savoir que : la chirurgie est plus dangereuse sur des formes évoluées que sur des formes débutantes ; la récupération neurologique est généralement incomplète, d’autant plus partielle que l’atteinte neurologique est sévère : lorsque l’atteinte est sévère, il faut prévenir le patient que l’opération a pour but non pas la récupération neurologique mais la non-aggravation. On se trouve donc parfois dans la situation difficile de proposer à un patient ayant fait une « poussée d’insuffisance médullaire », une intervention lourde et non dénuée de risques, dont le but sera intangible : écarter le risque d’une aggravation neurologique probable, sans amélioration clinique nette après l’opération. Sommaire • interrogatoire et examen clinique • signes radiologiques, examens électriques, formes cliniques et diagnostic différentiel • traitement chirurgical : technique et stratégie • traitement chirurgical : suites opératoires, évolution post-opératoire, complications INTERROGATOIRE Il précise différents points : - signes révélateurs : paresthésies des mains ou des pieds, de topographie floue, non radiculaire, diminution de force des membres supérieurs, gêne à la marche, troubles de l’équilibre (par atteinte de cordons postérieurs de la moelle) ; - ancienneté des troubles et évolutivité ; - cervicalgies : parfois absentes, ou très anciennes, n’ayant pas particulièrement attiré l’attention ; http://www.rhumato.net 1 - retentissement sur la vie courante, autonomie (marche, transferts, travail, utilisation d’un véhicule, ...) ; - traitements déjà proposés. EXAMEN CLINIQUE Examen neurologique C’est principalement l’examen neurologique qui nous intéresse. Il met en évidence des signes d’atteinte médullaire, en précise la sévérité, et permet de classifier l’état neurologique actuel du patient. - a) signes pyramidaux : association à des degrés divers des signes suivants : • classiquement, les réflexes ostéo-tendineux - aux membres supérieurs et/ou inférieurs – sont vifs, diffusés et polycinétiques ; • aux membres inférieurs : signe de Babinski, clonus de la rotule, trépidation épileptoïde du pied ; • aux membres supérieurs : signe de Hoffmann (la mise en extension brusque de la 3 phalange du médius entraîne la flexion du pouce ; le pouce de l’opérateur est placé à la e face palmaire de l’IPD, l’index met la 3 phalange en flexion forcée, et la contrainte est relâchée brusquement) ; • abolition des réflexes cutanés-abdominaux et du crémastérien ; • anomalies du tonus musculaire : spasticité (élastique), traduisant une atteinte sévère. e Ces signes peuvent être absents au début. Il existe d’autres signes dont la recherche est plus rarement réalisée. - b) déficit moteur : à quantifier aux membres inférieurs et supérieurs ; - c) troubles de la sensibilité : superficielle profonde : ils résultent de l’atteinte des cordons postérieurs de la moelle. Ils peuvent entraîner une démarche ébrieuse, mais ne doivent pas être confondus avec des troubles cérébelleux ou vestibulaire. - troubles de perception de position articulaire (gros orteil) ; - troubles de perception du diapason. - d) l’association de ces signes peut aboutir, dans les formes évoluées, à une démarche spastique caractéristique. Examen du rachis Il apporte généralement peu d’informations : douleur parfois absente, raideur dans tous les secteurs de mobilité. SIGNES RADIOLOGIQUES http://www.rhumato.net 2 Radiographies standard arthrose cervicale F P ¾ ; étude des trous de conjugaison sur les ¾ ; recherche de signes en faveur d’un CCE constitutionnel ; recherche d’un spondylolisthésis cervical, imposant une fixation de la colonne ; analyse de la forme de la colonne, ce qui peut conduire à restaurer une lordose aussi physiologique lors du traitement chirurgical (figure 2). Figure 1a : radiographie de face (cliquer pour voir la figure) Figure 1b : radiographie de profil (cliquer pour voir la figure) Figure 1c : radiographie ¾ droit (cliquer pour voir la figure) Figure 1d : radiographie ¾ gauche (cliquer pour voir la figure) Figure 2 : radiographie de profil : cyphose cervicale (cliquer pour voir la figure) Tomodensitométrie Elle visualise au mieux les obstacles de nature osseuse et permet de mesurer les dimensions canalaires sur les coupes en densité osseuse. Figures 3a, 3b, 3c, 3d : scanner (patient de la figure 2) (figures 3a, b, c : ostéophytose majeure prédominant à gauche, rétrécissant le canal et comprimant la moelle) : Figure 3a : (cliquer pour voir la figure) Figure 3b : (cliquer pour voir la figure) Figure 3c : (cliquer pour voir la figure) Figure 3d : reconstruction de profil : sténose latérale C5-C6 et C6-C7. (cliquer pour voir la figure) IRM C’est le seul examen permettant de visualiser directement la moelle. En séquence T2, on recherchera un hypersignal médullaire traduisant une atteinte sévère et dont la seule constatation doit faire envisager le traitement chirurgical (figures 4 a et b). Figure 4a : IRM sagittale T2 : hypersignal médullaire (cliquer pour voir la figure) Figure 4b : IRM sagittale T2 : hypersignal médullaire bifocal (cliquer pour voir la figure) Figure 5a : IRM sagittale T2 (patient de la figure 2) : sténose C2-C3 majeure, sans hypersignal médullaire en séquence T2. (cliquer pour voir la figure) Figure 5b : IRM sagittale T2 (patient de la figure 2) : sténose C2-C3 majeure, sans hypersignal médullaire en séquence T2. (cliquer pour voir la figure) Figure 6 a : IRM axiale (même patient) : sténose complète du canal en C3. (cliquer pour voir la figure) Figure 6 b : IRM axiale (même patient) : hypertrophie articulaire postérieure gauche, sténose gauche complète (flèche 2) ; moelle flèche 1. (cliquer pour voir la figure) Figure 7 : IRM sagittale T2 : canal cervical étroit à 4 étages, sans hypersignal T2 ni anomalie importante de la lordose cervicale. (cliquer pour voir la figure) Le scanner et l’IRM permettent l’analyse des éléments compressifs : - nature : ostéophytes, disque, ligament jaune ; - topographie : antérieure ou postérieure, mixte. Il en résulte une stratégie chirurgicale. EXAMENS ELECTRIQUES http://www.rhumato.net 3 Electromyogramme (EMG) L’EMG des membres supérieurs cherche à mettre en évidence une atteinte radiculaire, car il est parfois difficile de faire la part des choses entre l’origine radiculaire ou médullaire d’une atteinte motrice ou sensitive. Nous verrons que l’on peut modifier la stratégie chirurgicale selon qu’il existe ou non une atteinte radiculaire. Potentiels évoqués somesthésiques Ils étudient les voies sensitives longues, confirmant l’existence d’un ralentissement de la conduction médullaire et la topographie cervicale des obstacles. Les examens électriques ont un intérêt médico-légal non négligeable. FORMES CLINIQUES L’association MCA-CLE (canal lombaire étroit) n’est pas exceptionnelle. Là encore, il est difficile de faire la part des choses entre ce qui revient à l’un et à l’autre. Quoi qu’il en soit : - le traitement chirurgical des deux pathologies peut être nécessaire ; - le résultat fonctionnel post-opératoire global est moins bon que lors de pathologies isolées. Le diagnostic généralement fait en premier est celui de CLE. Le diagnostic de CCE est souvent évoqué devant une amélioration incomplète après traitement chirurgical du CLE. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL - C’est principalement celui de maladies neurologiques entraînant des syndromes pyramidaux, SLA par exemple. Un avis neurologique est toujours intéressant. - Myélopathies traumatiques, mais le contexte est différent. - Myélopathies d’origine tumorale, orientation par le contexte souvent (primitif connu), l’imagerie toujours. TRAITEMENT CHIRURGICAL Il n’y a pas de traitement médical. Le traitement chirurgical consiste en la levée des obstacles, éventuellement en la stabilisation de la colonne, puisque l’instabilité, très fréquente, est préjudiciable à la moelle. TECHNIQUE Elle est comporte deux aspects : - la levée des obstacles ; - la stabilisation. 1 – Levée des obstacles : libération médullaire +/- libération radiculaire obstacles postérieurs : la levée des obstacles postérieurs est obtenue par laminectomie (figure 8), réalisée soit de proche en proche à la pince manuelle ; soit au moyen http://www.rhumato.net 4 d’instruments motorisés, scie oscillante ou fraise. La technique consiste à sectionner les lames de part et d’autre des épjneuses et à retirer en monobloc les lames de plusieurs vertèbres, encore reliées par les ligaments (figure 9). Cette dernière technique, dite de la « carapace de homard » a l’avantage d’être très rapide, et de n’introduire aucun instrument dans un canal déjà étroit ; Figure 8 : vue opératoire : laminectomie de 4 vertèbres avec ostéosynthèse postérieure. (cliquer pour voir la figure) Figure 9 : même intervention : laminectomie en « carapace de homard » : au moyen d’une fraise, on pratique 2 traits d’ostéotomie de part et d’autre des épineuses ; les lames sont enlevées en bloc (ici 4 vertèbres) ; cette technique permet de ne rien introduire entre la moelle et les lames et de limiter le risque neurologique. (cliquer pour voir la figure) obstacles antérieurs : la levée d’obstacles antérieurs impose la réalisation d’une greffe osseuse, éventuellement d’une ostéosynthèse. La libération antérieure est réalisée par abord antérieur pré-sternoicléido-mastoïdien droite ou gauche ; il faut pratiquer : soit des discectomies étagées avec résection des ostéophytes et greffes intersomatiques aux mêmes niveaux (intervention de ROBINSON) ; soit une tranchée antérieure par corporectomie médiane des vertèbres en cause, et greffe massive entre la vertèbre supérieure et la vertèbre inférieure (intervention de SIMMONS) ; la greffe est prélevée aux dépens de la crête iliaque, plus rarement du péronée ; là encore, on utilise des instruments motorisés (fraise diamant montée sur une turbine) ; cette technique donne une libération plus efficace ; o quelle que soit la technique utilisée par voie antérieure, il faut pousser la libération suffisamment loin latéralement pour obtenir une libération radiculaire satisfaisante ; en effet, le geste médian libère la moelle, le geste latéral libère les racines. o La technique originelle est celle de Cloward. Elle est abandonnée car n’utilisait qu’un greffon unicortical qui se tassait régulièrement, aboutissant à une cyphose locale. On n’utilise plus que des greffons tricorticaux ; certains préfèrent l’utilisation de cages intersomatiques, en association à des substituts osseux. 2 – Ostéosynthèse Par voie postérieure : plaques vissées dans les massifs articulaires, simplement associées à un avivement des articulaires ; Par voie antérieure : plaque vissée dans les corps vertébraux ; cages-plaques, réglant le problème de la greffe et de la plaque au moyen d’un seul et unique matériel. o o La fixation de la colonne n’est pas systématique. Elle est cependant logique : l’instabilité est préjudiciable à la moelle elle permet la restauration de la lordose, qui semble garante de meilleurs résultats à long terme ; lorsqu’une greffe osseuse est réalisée, elle est souvent associée. Cependant, les complications iatrogènes sont plus fréquentes lors de l’utilisation d’une ostéosynthèse (notamment les plaies oesophagiennes). Figures 10 a et 10 b : double abord sur 3 niveaux (4 vertèbres) : Robinson 2 étages, ostéosynthèses antérieure et postérieure. L’ablation des épineuses est bien visible en arrière. Figure 10 a (cliquer pour voir la figure) Figure 10 b (cliquer pour voir la figure) Figure 11 : double abord sur 1 niveau. (cliquer pour voir la figure) http://www.rhumato.net 5 Figure 12 : IRM sagittale T2 (même patient que figure 11) : noter l’importance de la libération en avant et en arrière. (cliquer pour voir la figure) Figure 13 : Double abord à 3 niveaux (4 vertèbres) : correction parfaite de la lordose cervicale. Il a été réalisé un Simmons C5-C7 et un Robinson C4-C5. (cliquer pour voir la figure) STRATEGIE La stratégie est en partie une affaire d’école : certains pensent que la laminectomie sans fixation est suffisante dans la plupart des cas, en particulier lorsque les obstacles sont principalement postérieurs. Néanmoins, cette technique n’est pas exempte d’inconvénients : • persistance des obstacles antérieurs notamment radiculaires ; • persistance d’une instabilité, majorée par la laminectomie ; • absence de restauration de la lordose ; • il a même été décrit l’apparition de radiculalgies post-laminectomie : cela s’explique par le fait qu’après libération postérieure, la moelle recule, et met en tension les racines, qui restent fixées en avant dans les foramens. Ces inconvénients conduisent d’autres auteurs à associer, selon les cas ou systématiquement : • une fixation postérieure ; • et/ou une libération antérieure avec greffe. Lorsqu’il existe une compression antérieure prédominante, mais que le canal est de dimensions limites, il est également préférable d’associer les deux temps : la laminectomie première permet à la moelle de reculer, ce qui sécurise la libération antérieure. Si il existe une atteinte radiculaire clinique et électrique pré-opératoire, un abord antérieur est nécessaire pour libérer les racines. Il est rare que la compression soit purement postérieure, et dans un grand nombre de cas, l’abord doit être mixte, avec fixation postérieure et antérieure : • laminectomie avec fixation ; • corporectomie, greffe et fixation antérieure. Les deux gestes peuvent être réalisés dans le même temps opératoire, pour autant que le patient puisse le supporter. La durée globale d’anesthésie est d’environ 4 heures, le saignement relativement modéré (1 litre environ), et d’autant moins notable que l’on utilise un Cell Saver ™ (qui permet la récupération d’environ 50% du saignement). Les avantages sont évidents : anesthésie unique pour le patient, moindre souffrance, durée d’hospitalisation réduite, coût inférieur. SUITES OPERATOIRES Le patient est levé le lendemain de l’intervention. L’utilisation d’une PCA rend la douleur très supportable, la voie postérieure étant plus douloureuse que la voie antérieure. C’est surtout la prise de greffe qui gêne le patient pendant les premiers jours. La durée d’hospitalisation est d’une semaine environ, Un collier minerve doit être porté pendant 2 à 3 mois. Il n’y a pas de rééducation particulière, sauf en cas d’atteinte neurologique sévère pré-opératoire. EVOLUTION POST-OPERATOIRE Neurologique : une récupération partielle est habituelle, mais la guérison ne peut être promise au patient. Sur les différentes cotations, il est habituel de gagner un ou deux grades. http://www.rhumato.net 6 L’amélioration neurologique est d’autant plus probable que le patient est jeune, l’atteinte moins sévère et l’évolution pré-opératoire courte. Imagerie : un hypersignal pré-opératoire ne régresse pas toujours après l’intervention. (diapo EPSNO193 et 94). L’imagerie de contrôle par IRM ou scanner n’est pas indiquée dans la plupart des cas. La radiographie standard est plus intéressante, montrant la fusion des greffes et la stabilité des montages. Les examens électriques peuvent être demandés si l’on a l’impression d’une récupération lente ou incertaine. Figure 14 : myélopathie cervicarthrosique avec hypersignal T2 (cliquer pour voir la figure) Figure 15 : aspect post-opératoire (IRM à 1 an) : laminectomie C4-C7 avec greffon type Simmons et ostéosynthèse par plaque Titane. Libération médullaire satisfaisante ; amélioration clinique, mais persistance de signes sensitifs et à l'IRM, persistance du signal T2. (cliquer pour voir la figure) Evolution des niveaux adjacents : comme toujours en matière d’arthrodèse, il peut se produire une dégradation adjacente à la zone fixée. COMPLICATIONS Les complications potentielles sont diverses, mais il faut craindre surtout une aggravation de la situation neurologique. Là encore, c’est la précocité de l’intervention et le caractère partiel de l’atteinte neurologique qui sont associés aux meilleurs résultats. Quoi qu’il en soit, la chirurgie de la MCA est impérative, car l'évolution se fait toujours vers l’aggravation, parfois de façon brutale et définitive. http://www.rhumato.net 7